Chapitre VII. Définition du lien
p. 171-187
Texte intégral
1V. On va consacrer une série de trois chapitres à caractériser la catégorie du lien mentionnée dans le chapitre précédent. Cette catégorie est (la seule) qui reste à traiter parmi la triade âme liée-lien-Seigneur à laquelle le sūtra fondamental se référait en ces termes : “Śiva... enlève à l’âme — devenue auparavant étrangère à Lui — son réseau de liens”. Ici les liaisons sont parfaitement claires, tant au niveau du sūtra qu’à ceux de la section, du chapitre ou de la catégorie. Quant à celle au niveau de la phrase explicative, on doit admettre qu’elle s’opère avec des phrases telles que : “La couverture”, la force du Seigneur, le karman, l’effet de la māyā forment le quadruple réseau de liens. En bref, leurs fonctions ont été mentionnées à l’aide de ces noms mêmes.”
Ā. 1. On décrit maintenant brièvement les liens, nescience etc., à la disparition desquels les âmes accèdent au gouvernement de l'univers.
2V. “Maintenant”, c’est-à-dire à présent, on décrit “brièvement”, succinctement, les liens. Ces entraves de l’âme, karman, māyā, puissance d’obstruction, tirent leur origine de la “nescience”, c’est-à-dire de l’ignorance ou de la souillure. A leur disparition les “âmes”, c’est-à-dire les Soi, sont délivrées de leur servitude et deviennent maîtres de l’univers. Leur liberté leur ayant été révélée, les âmes délivrées, à l’instar de Śiva, ne dépendent plus d’un autre être. Toutefois, celles à qui échoient les fonctions de Vidyeśvara etc. s’acquittent d’une quintuple opération.
3— Mais comment peut-on, antérieurement à la délivrance, s’assurer de la condition asservie de l’âme ?
4— Parce qu’elle est alors empêchée de connaître et d’accomplir toutes choses.
5D. On relie au contexte le développement commençant par : “On décrit maintenant La liaison au niveau du sūtra s’opère avec l’expression : “son réseau de liens”. Au niveau de la section, elle s’opère avec la section de la doctrine. Au niveau du chapitre, elle se fait avec les mots : “lorsque sont détruits les liens” (à la fin du chapitre précédent). Au niveau de la catégorie, elle se fait avec la catégorie du lien. Quant à celle au niveau de la phrase explicative, elle a été indiquée (dans le commentaire même).
6Ici, dans le sūtra commençant par “On décrit maintenant on se propose d’examiner tout d’abord la forme propre des quatre espèces de liens, “nescience” etc. ; on désigne par ce terme la souillure qui depuis toujours recouvre les âmes. On explique ensuite quelle signification le terme “maître” revêt ici : “Leur liberté... etc.”. Dans l’expression : “les fonctions de Vidyeśvara etc.” le terme “etc.” implique qu’on se réfère également aux Mantra.
7— (Mais) le Soi ne devient pas souillé, parce qu’il est (essentiellement) pur. Et il ne faudrait pas croire qu’il s’agit ici d’une raison non fondée, d’une simple pétition de principe. En effet, si l’esprit est affecté de la souillure de par sa nature même, la souillure ne pourra jamais être écartée de lui. Elle appartiendra à sa nature même, comme l’éternité ou le caractère pervasif, et cela aura pour conséquence l’impossibilité de la délivrance. Le Soi doit donc être considéré comme libre de souillure, car autrement la délivrance serait impossible.
8— A cela le commentaire répond : “Parce qu’elle est alors empêchée... etc.”. Le sens est que le Soi est lié par un certain lien sans commencement. Il n’est pas libre, au même titre qu’un animal entravé, bélier etc., et son lien est la souillure. C’est ainsi qu’on établit (l’existence) de la souillure.
9V. Autrement, en effet...
Ā. 2. Si le lien est absent, il faut demander à quoi tient alors la dépendance d’un principe externe. Si (cette dépendance) est naturelle, le terme de délivrance ne s’appliquera plus aux délivrés.
10V. L’esprit, s’il est exempt de liens, n’est pas entravé. S’il n’est pas entravé, à quoi tient sa dépendance d’un principe externe, en vertu de laquelle lui échoit ce qui lui déplaît et est détruit ce qui lui plaît ? Ou bien vous estimez que sa dépendance, loin d’être produite par les liens, lui est constitutive. Mais alors le terme de délivrance cessera de s’appliquer aux âmes délivrées. Dans l’expérience commune, en effet, le terme de délivrance désigne la disparition des liens.
11D. Par les mots : “Autrement, en effet” le commentaire indique que si la dépendance (de l’âme) envers un principe externe n’existait pas, la conséquence en serait l’indistinction de la servitude et de la délivrance.
12— Mais si la souillure de l’âme lui est constitutive, il en résultera l’impossibilité de la délivrance !
13— Non, répond le commentaire, on doit admettre que le Soi est affecté de la souillure, parce qu’il dépend d’un principe extérieur. De fait, après avoir formulé l’objection à partir de : “Ou bien vous estimez on réfute la théorie du caractère constitutif (de la souillure).
14— Mais, même si l’Esprit est exempt de souillure, la Passion (rāga),1 faite de rajas et de tamas et relevant de la Nature, peut venir s’y refléter, comme la couleur rouge (rāga) dans un cristal. De la sorte, servitude et délivrance ne se confondront pas.
15— A cela on répond : ce (lien) qui affecte l’âme transmigrante et que vous considérez comme produit par la passion est produit simplement par la souillure ; il n’est pas sans cause. S’il l’était, cette passion ne se rencontrerait pas seulement dans la condition transmigrante mais aussi bien dans la délivrance, les deux états étant alors indistincts.
16— Mais la Nature produit la passion seulement chez tel Esprit par rapport auquel son activité n’a pas encore cessé. Elle ne la produit pas chez tel autre par rapport auquel son activité a cessé. Il y a donc bien une différence (entre les deux états). Aussi, qu’a-t-on à faire de cette “souillure” que rien ne justifie ?
17— Non ! Si l’on n’admet pas la souillure, l’Esprit, essentiellement pur, ne pourra pas s’attacher à des jouissances impures, basses en ce qu’elles relèvent de la Nature, de même que le brahmane (n’entre pas en contact) avec des objets impurs. On a dit : “Si l’Esprit n’est affecté d’aucune impureté, comment peut-il s’attacher aux jouissances ?”2. Or, cet attachement est un fait d’expérience. On en conclut qu’il n’est pas constitutivement préservé de la souillure mais au contraire affecté par elle.
18— Mais cet attachement dépend de la catégorie de la Passion !
19— Non ! Cette dernière n’est pas elle-même sans cause, car, si elle l’était, on retrouverait la conséquence de l’impossibilité de la délivrance, par indistinction des deux états. On ne peut davantage soutenir que la dépendance envers un principe extérieur est produite par le karman. Vous considérez en effet le karman comme une qualité de l’organe mental (buddhi) et non pas, à la manière des partisans du Nyāya etc., comme une qualité du Soi. Donc, (selon vous) cette (dépendance) ne caractérisera le Soi que dans les cas où l’organe mental sera présent. Elle ne le caractérisera pas dans les états d’isolement résultant de la dissolution cosmique où l’organe mental est (provisoirement) absent. Vous-mêmes avez déclaré : “De la Nature procède le mahat, de celui-ci l’ego…”3 Dans une telle situation, donc, le karman qui sert à distinguer servitude et délivrance sera absent et l’on retrouvera la conséquence malheureuse précédente. Il est dit également dans le Parākhya : “Sur la (voie) pure, cela ne joue pas le rôle de principe troublant”
20Mais ceux qui identifient la souillure à la māyā déclarent : “Posons que la māyā est à elle seule la souillure, car elle provoque l’égarement !”. Et ceux qui l’identifient à la Nature déclarent : “Le Prédonné (pradhāna) et lui seul, joint à la quintuple aberration, ténèbres, égarement etc., est la souillure ; qu’a-t-on besoin d’autre chose !”
21A cela nous répondons : la māyā sera la souillure ou bien par sa forme propre ou bien par ses effets. Or, elle ne peut l’être par ses effets. Ceux-ci, kalā etc., ne sont établis qu’à partir de leurs propres effets, si bien qu’on ne dispose pas de moyens de connaissance droite pour en faire la cause d’effets d’autre nature, et cela reviendrait à forger de toutes pièces une multitude de de nouveaux principes. De plus, comme ces (effets de la māyā) n’existent que pendant la phase de création, on retrouve, pour les états d’isolement de l’Esprit lors de la dissolution cosmique, la même conséquence fâcheuse dont il a déjà été question. Si la māyā constitue la souillure par sa forme propre, comme elle ne diffère pas (d’une âme à l’autre), la délivrance d’un seul sera la délivrance de tous. Et si elle était différente selon les Esprits, étant multiple et non-pensante, elle serait un effet, au même titre que l’organe mental. Il faudrait alors introduire une nouvelle māyā Si cette dernière était (à son tour) identique à la souillure on retrouverait encore la même conséquence fâcheuse et ainsi de suite à l’infini. Et l’on ne peut pas dire non plus que cette māyā assumera, comme le fait la souillure, des puissances différentes selon les individus, car une puissance ne saurait appartenir à une autre puissance. Nous dirons que la cause est l’état potentiel et l’effet l’actualité
22— Mais comment avez-vous pu parler d’une puissance de la māyā, lorsque vous avez déclaré : “rendant aptes à la manifestation Ses puissances de māyā ” ?
23— A cet endroit nous avons dit que les effets reposent dans leur cause sous forme potentielle mais nous n’avons pas parlé de puissances appartenant à la cause et qui produiraient les effets. Nous exposerons aussi la doctrine de la réalité des effets (dans leur cause). Ou bien les puissances de la souillure sont différentes de celles qui produisent le monde et, si la souillure est ainsi établie comme différente, toute cette querelle ne porte plus que sur des mots. Dans le cas où la Nature (est présentée) comme identique à la souillure on raisonnera de la même façon. La souillure est ainsi établie comme distincte (de la māyā et de la Nature). Celle-ci, dans les âmes, est sans commencement, comme la couleur sombre du cuivre. 4 Ainsi donc, même si elle est d’une autre nature, la souillure fait partie de la condition d’âme liée. Sans elle, en effet, cette condition ne saurait exister.
24V. Dans le même ordre d’idées on déclare :
Ā. 3. On observe que celui qui est libre de liens commande et que celui qui est lié est commandé. Telles sont la servitude et la délivrance chez (l’âme) liée et chez (l’âme) délivrée.
25V. Chez celui qui est lié, la servitude consiste à être, à cause des liens qui entravent, au pouvoir de celui qui n’est pas entravé. Le sens est que (l’âme) liée dépend du suprême Seigneur qui, Lui, est libre. Chez celui qui est délivré, la délivrance consiste en ceci que, la servitude disparaissant, il accède à l’indépendance : sa liberté est manifestée. De même, en ce monde, on appelle “souverain” celui qui est exempt d’entraves et “sujet” celui qui est entravé.
26Comment cela ? On répond :
Ā. 4. C’est pourquoi la dépendance à l’égard d’un principe extérieur {fait conclure à) la servitude. Si celle-ci était éternelle, comme la pensée etc., la multitude des moyens de délivrance serait inutile. Abandonnons cette hypothèse !
27V. Pour cette raison, cette dépendance du Soi à l’égard d’un principe extérieur, par exemple lorsqu’il s’agit pour lui d’obtenir ce qu’il désire, fait “conclure” à sa servitude, ainsi convient-il de compléter. En effet, la liberté de celui qui n’est pas asservi n’est pas entravée. Mais il ne faudrait pas croire que cette (dépendance) du Soi, sous prétexte qu’elle n’a pas eu de commencement, est éternelle au même titre que ses puissances d’action et de connaissance. Cela entraînerait en effet une conséquence indésirable : “Si celle-ci était éternelle comme la pensée etc....”. Si jamais cette dépendance du Soi à l’égard d’un principe extérieur était considérée comme éternelle, l’impossibilité de sa destruction rendrait vaine la foule des moyens de délivrance admis même par les autres doctrines, connaissance, yoga etc. La manifestation de la liberté (de l’âme) ferait en effet défaut, l’âme étant constamment asservie. “Abandonnons cette hypothèse !” : le sens est qu’il convient d’abandonner cette pensée qui aboutit à rendre la transmigration indestructible. Il est donc acquis que cette dépendance à l’égard d’un principe extérieur est produite par les liens. Et ces liens sont la souillure etc.
28D. “Mais il ne faudrait pas croire... etc.” : le commentaire indique ici que cette dépendance, même si elle n’a pas eu de commencement, n’est pas éternelle.
29V. L’âme en vérité...
Ā. 5. Bien qu'elle soit le réceptacle d'une puissance de pensée éternelle et omniprésente, recherche dans les deux conditions, respectivement, la force propre aux âmes liées et celle propre à Śiva. (Cela ne s'explique) pas autrement {que par la présence d'obstacles).
30V. Si l’âme, en effet, ne voyait pas sa puissance de pensée entravée de toute éternité par la nescience, comment pourrait-elle, étant le réceptacle d’une puissance de connaissance éternelle et omniprésente, désirer, c’est-à-dire rechercher dans l’existence, en vue de réaliser ses buts consistant en jouissance, une excitation par kalā etc. de sa propre capacité, telle qu’elle convient à une âme liée ? Ce n’est pas autrement (que s’explique) sa recherche de cette force. Si l’on n’admet pas le lien, (l’âme) possédant naturellement la forme de la pensée immaculée, n’aura aucun motif de s’engager dans cette recherche. Mais comme, à travers les deux états5 ce qu’elle recherche c’est, respectivement, une excitation de sa force d’âme liée et une excitation de la force du suprême Seigneur, il existe un facteur qui, en entravant sa connaissance et son activité, ruine sa liberté.
31D. “L’âme en vérité...” : on établit ici par la méthode de différence que (l’âme) est asservie en tant qu’elle dépend d’un principe extérieur.
Ā. 6. Cet obstacle qui affecte l’âme a été appelé de nombreux noms dans la doctrine śaiva aux cinq divisions6 mais il échappe aux doctrines qui expriment le point de vue des âmes liées.
32V. L’obstacle, c’est-à-dire la souillure qui affecte l’âme, est qualifié, dans la doctrine śaiva aux cinq divisions, de multiples noms qui seront indiqués par la suite. Mais il n’est jamais compris par les auteurs des doctrines qui expriment le point de vue des âmes liées. De quels noms est-il appelé dans les traités (śaiva) ? On répond :
Ā. 7. Servitude, brouillard, mort, égarement, tache, souillure, nescience, voile, détresse, maladie, flétrissement, racine du mal, déclin etc.
33V. Cet obstacle — remarque-t-on — ne diffère pas d’une âme individuelle à l’autre. Mais, tout en étant un, il est joint à de multiples puissances qui entravent la pensée.
Ā. 8. Celui-ci est unique à travers tous les êtres, sans commencement, massif, vaste. Il comporte un assemblage de puissances qui se retirent lorsque leur temps est fini et qui sont particulières à chaque âme.
34V. Cet obstacle est unique pour l’ensemble des êtres créés des quatorze espèces. Pourquoi ? A cette question on répond en le caractérisant. Il est “sans commencement”. On montrera plus loin, en effet, qu’il est sans commencement pour tous les êtres. Il n’est pas adventice à la manière des liens faits de māyā etc. Il est donc unique. En effet, s’il était multiple, comme par ailleurs il est non-pensant, il dépendrait d’une autre cause et ne pourrait donc pas être sans commencement. Et il ne faut pas dire que l’absence de commencement existera dans le cas même où il dépendrait d’autres causes parce que les termes successifs d’une série, comme kalā etc., se feraient obstacle mutuellement. Comme le dit le vénérable Kiraṇa : “De même que la souillure est sans commencement, le karman l’est aussi. S’il n’était pas établi comme dépourvu de commencement, d’où proviendrait cette diversité (des destins) ? Donc le karman sera sans commencement et pareillement la māyā”. En effet, celui qui, tel Śiva, en serait dépourvu ne pourrait plus être lié à nouveau. Nous dirons que là où l’obstacle est présent (l’âme) n’est pas exempte de la souillure.
35“Massif” signifie “compact”, “infrangible”, tel est le sens. “Vaste” parce qu’il recouvre les Soi pervasifs. Il est joint à un groupe de puissances réparties selon les âmes individuelles et qui, lorsqu’elles atteignent leur maturité, agissent dans le sens de la disparition (du lien). C’est ainsi qu’il est dit dans la “Détermination des trois principes” : “Les puissances de la souillure, différentes d’une âme à l’autre, recouvrent leurs qualités”.7
36D. On pourrait objecter que si la souillure est unique, la libération d’un seul entraînera la libération de tous. A cela on répond : “Cet obstacle... ne diffère pas... etc.”. “Les êtres créés des quatorze espèces... etc.” : comme cela est bien connu on se sert ici de cette expression pour désigner indirectement (toutes) les âmes liées ; il n’y a donc pas ici de contradiction.
37Ce qui recouvre (les âmes) n’entre pas en action de lui-même, parce que ce principe est non-pensant. Et il ne peut pas non plus être anéanti par la connaissance du Soi, parce qu’il est une substance, comme la membrane qui, dans la cataracte, recouvre l’œil. De même, en effet, que la cataracte ne peut être supprimée, même si son existence est connue, sans l’intervention de l’oculiste, de même cette substance (qu’est la souillure) ne peut être anéantie sans cette intervention du Seigneur qu’on appelle “initiation”. Nous l’avons dit et le redirons encore.
38V. Et cette souillure...
Ā. 9.... est présente (dans les âmes) sans avoir eu de commencement. Ou bien elle a commencé à exister dans le passé et alors (il convient d’indiquer) la cause de cela. Si, présente d’une autre manière, elle entrave les délivrés eux-même, tout effort en vue de la délivrance est vain.
39V. Elle est présente dans les âmes depuis un temps sans commencement et non pas à partir d’un certain moment. On dit pourquoi il en est ainsi. Si, en effet, on admet qu’elle est présente dans les âmes à partir d’un certain moment, alors la raison de sa jonction à l’âme “doit être indiquée”, ainsi convient-il de compléter. Mais si cette souillure est présente, s’attache à l’âme, “d’une autre manière”, c’est-à-dire sans dépendre d’une cause, alors elle entravera les âmes délivrées elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elle aboutira à bloquer leurs puissances de connaissance et d’action.
40Si vous dites : “Admettons-le ; quel mal y a-t-il à cela ?”, (nous répondons :) “alors tout effort en vue de la délivrance est vain”. Si les âmes délivrées doivent sans cesse à nouveau entrer en contact avec la souillure, alors tout effort accompli en vue de cette “délivrance,” semblable au bain d’un éléphant,8 sera vain. De plus, le contact avec la souillure est la condition de possibilité de la transmigration. Donc, par rapport à l’âme, la souillure n’est pas quelque chose d’adventice. C’est ainsi que le vénérable Svāyambhuva, avec d’autres textes, déclare : “Ainsi la souillure sans commencement qui affecte les esprits est réputée être la servitude”.9
41D. “Et cette souillure...” : à partir d’ici on établit que (la souillure) est sans commencement.
42V. On justifie encore cela d’une autre manière :
Ā. 10. Bien que comptée comme multiple, elle est une, car si elle était telle (i.e. multiple), elle aurait eu un commencement. Mais ses puissances ne se ramènent pas à l'unité, puisqu’on n’observe pas la délivrance simultanée (de tous).
43V. Cette souillure est une, aucun moyen de connaissance droite ne permettant de la poser comme multiple. “Telle”, c’est-à-dire ainsi constituée, pourvue des qualités de multiplicité et de mutabilité. On observe que ce qui est multiple a eu un commencement, ainsi les cruches etc. Mais (la souillure) n’a pas eu de commencement, puisqu’elle recouvre les âmes depuis toujours. Elle est donc unique. Si elle était multiple, elle dépendrait d’une cause et aurait eu ainsi un commencement.
44On explique alors ce qui a été dit (plus haut) : “Il comporte un assemblage de puissances qui se retirent lorsque leur temps est fini et qui sont particulières à chaque âme”. On doit admettre que cette souillure, bien qu’unique, possède une multitude de puissances non-éternelles, réparties selon les âmes individuelles et qui entravent leur connaissance et leur activité. Autrement, s’il n’y avait qu’une seule puissance, dès qu’elle se serait retirée d’un seul Esprit, tous, au même instant, seraient délivrés. Mais, puisque l’on n’observe pas cette simultanéité dans la délivrance, il convient d’admettre une multiplicité de puissances.
45D. “On justifie encore cela d’une autre manière” : il s’agit ici de l’unicité de la souillure.
46V. Et ces puissances de la souillure n’exercent pas librement leur action de blocage et ne disparaissent pas librement. On caractérise par son activité la puissance d’entraver du suprême Seigneur précédemment désignée dans la phrase : “La “couverture”, la force du Seigneur, le karman...” comme nécessairement associée à la souillure.
Ā. 11. Sur elles (règne) la (puissance de blocage) du grand Seigneur, bienveillante, dispensant la Grâce à tous les êtres. C'est seulement parce qu’elle se conforme aux caractéristiques des (liens) qu’elle est appelée métaphoriquement “lien”.
47V. Parce que cette puissance de Śiva se conforme à la propriété caractérisée par le blocage de la pensée et de l’activité, propriété qui appartient aux puissances de la souillure, elle est appelée métaphoriquement “lien”. Mais, fondamentalement, elle n’est pas un lien. Pourquoi ? On indique la raison de cela en donnant les particularités de cette (puissance). “Bienveillante, dispensant la Grâce à tous les êtres” : en répandant naturellement la Grâce sur tous les mondes elle leur procure le salut.
48D. Après avoir décrit le lien appelé “souillure” on s’apprête à décrire celui qui consiste dans la puissance de blocage. Pour cela, on introduit le sūtra commençant par “Parmi elles”.
49— Mais pourquoi est-ce l’exposition de la puissance de blocage, et non par exemple celle de la māyā, qui fait suite immédiatement à celle de la souillure ?
50— A cela on répond : “On caractérise par son activité... etc.”. Le sens est que la description des liens suit l’ordre selon lequel ils ont été d’abord désignés.
51Cette puissance, bien qu’une, est dite multiple, par métaphore. Ainsi, lorsqu’on évoque le caractère non-pensant des puissances de la souillure, on désigne aussi indirectement les liens constitués par la souillure etc. On a qualifié métaphoriquement de “lien” la puissance de Śiva, en tant qu’elle se conforme aux propriétés (des puissances de la souillure) auxquelles il est bien connu qu’elle préside en tant que principe pensant. On dira : “(La Grâce) a été aussi (implicitement) déclarée dans le cas de la māyā avec ses dépendances et dans celui du karman”.
52V. Et ainsi...
À. 12. Cette (puissance de Śiva), faisant évoluer ces (puissances de la souillure) au point de faire cesser l'entrave, est appelée “pleine de Grâce”, lorsqu'elle provoque l'épanouissement (des âmes) par la brillance de la pensée de ce soleil qu’est Īśāna.
53V. En partant du thème nominal fourni par le mot “évolution” (pariṇāma) et en le transformant, grâce à l’indice du causatif, en signification verbale, on obtient la forme “faisant évoluer” (pariṇāmayati). Il s’agit des puissances toujours adjointes (à la souillure) et qui résident dans tous les êtres. La puissance du Maître les fait évoluer “au point de faire cesser l’entrave”, c’est-à-dire pendant toute la durée de leur fonction10. Lorsqu’elle provoque l’épanouissement (des âmes) en utilisant comme cause instrumentale la brillance de la pensée de ce soleil qu’est Īśāna, elle est appelée “pleine de Grâce”. Le terme “ka” a ici le sens de “tête” : il s’agit d’ Īśāna toujours tourné vers les activités de Grâce. Le sens de cette formule est donc : “la tête Īśāna”11. Celle-ci, étant constamment occupée à dispenser la Grâce à tous les mondes, est comparable au soleil. Ainsi, lorsque (la puissance du Seigneur) accomplit à travers elle, grâce à cet éclat de la connaissance qui illumine le bien suprême, l’éclosion de la forme propre des âmes, c’est-à-dire lorsqu’elle fait s’épanouir leur intériorité, elle est appelée “pleine de Grâce”.
54D. A partir de : “Et ainsi...” on établit l’unicité de la puissance (du Seigneur). V. Ici l’ascète interroge :
Ā. 13. Ce qui pense, et le reste aussi, fait l’objet de la Grâce de Śambhu. Mais, comme ces deux (catégories) se contredisent mutuellement, la Grâce ne peut les atteindre en même temps. Comment peut-on dire alors que la {puissance de Śiva) dispense la Grâce “universellement” ?
14. Et le Seigneur de l’univers, s’étant engagé dans une activité qui tend à venir en aide à tous les êtres, ne saurait (en même temps) les fouailler, alors qu’ils le sont déjà, en présidant à ce qui leur nuit.
55V. “Ce qui pense” englobe toutes les âmes. “Le reste” désigne la souillure, le karman, la māyā et leurs effets. Tout cela fait l’objet de la Grâce du suprême Seigneur, par le simple fait qu’il préside à toutes choses. Mais cette réception de la Grâce par les choses pensantes et non-pensantes respectivement, par les âmes liées et par les liens, ne s’effectue pas simultanément. Lorsque les liens non-pensants bénéficient de la Grâce, les âmes liées, en revanche, sont négligées et ne reçoivent pas la Grâce. Et lorsque ce sont les êtres pensants qui en bénéficient ce sont leurs liens qui sont négligés. Il n’est donc pas possible que ces deux (catégories) qui s’opposent bénéficient simultanément de la Grâce. Aussi, comment (la puissance du Seigneur) a-t-elle pu être décrite comme dispensant la Grâce universellement ?
56Et il n’est pas admissible que le Seigneur qui, mû par la compassion, travaille au salut de tous les êtres, dispense Sa Grâce au groupe des liens (fait de) souffrance, de châtiment, d’individuation et qui contrecarre ce qui est avantageux (pour les âmes). S’il agissait ainsi, Il affligerait les âmes déjà affligées par la souffrance d’être privées de liberté en fonction du recouvrement de leurs puissances de connaissance et d’action. Telle est la thèse préliminaire.
57D. A partir de “Ce qui pense” on commente les deux sūtra interrogatifs commençant par “Ce qui pense, et le reste....”. L’expression “toutes les âmes” (sakalātmānas) signifie “toutes les âmes liées”. Mais ce ne sont pas seulement les âmes “sakala” qui sont connues (pour être affectées de la souillure). Même si l’on ne se réfère qu’aux premières, (une inférence) de type pūrvavat permet d’établir les particularités de la cause à partir de celles de l’effet12. C’est ainsi qu’il convient d’expliquer ce point. En effet, tant les âmes vijñānakala que les âmes “pralayākala” font l’objet de la Grâce.
58V. Mais (voici) la thèse définitive :
Ā. 15. Ce n’est pas pour fouailler (les âmes) qu’il dispense la Grâce à la souillure. Mais c’est par l’intermédiaire d’un moyen, et non autrement, que toutes choses s’accomplissent.
59V. Certes, la puissance (du Seigneur) dispense la Grâce aux choses pensantes et non-pensantes. Mais il n’est pas vrai que la simultanéité (des deux opérations) soit impossible. En effet, leur opposition mutuelle n’existe pas. Et lorsqu’en provoquant son involution Il dispense la Grâce à la souillure, ce n’est pas dans le but de fouailler l’âme mais bien dans le seul but de lui dispenser la Grâce. Tout ce qui a coutume d’être accompli l’est par un moyen et non pas en se passant de moyen.
60D. En vue de commenter la sūtra qui apporte la thèse définitive on bâtit une introduction : “Certes... etc.”. On affirme l’inanité de la première objection : “Mais il n’est pas vrai... etc.”. On affirme ensuite l’inanité de la seconde objection : “Et lorsqu’en provoquant... etc.”. On prouve la première affirmation : “Tout ce qui a coutume... etc.”. S’il agit en conformité avec les propriétés du non-pensant c’est seulement dans le but de dispenser la Grâce aux choses pensantes. Et comme l’âme ne peut recevoir la manifestation de sa nature de Śiva tant que la Grâce n’a pas porté sur le non-pensant, la contradiction invoquée n’existe pas.
61V. Mais le moyen auspicieux consiste en ce que...
Ā. 16. Il n'y a de délivrance pour personne lorsque règne la participation aux ténèbres. Cette participation ne disparaît que grâce à l'involution de la puissance de cette(souillure).
17. Cette (involution) elle-même ne s'opère jamais spontanément, même dans les choses qui y sont aptes. C'est que, partout et toujours, ce qui ne pense pas doit être dirigé par ce qui pense.
62V. Certes, tant qu’il y a participation à la souillure, il n’y a pas de délivrance pour personne, parce que seule la disparition de cette (souillure) mérite le nom de délivrance. Et cette participation s’épuise par l’involution de la puissance de cette souillure. Et cette involution ne s’effectue pas spontanément, même dans une chose qui y est apte. On observe en effet qu’en tous temps et en toutes circonstances les choses non-pensantes sont guidées par les choses pensantes dans la production de leurs effets. Ainsi est réfutée la première objection d’après laquelle il y aurait une opposition mutuelle entre la Grâce dispensée aux choses pensantes et l’involution de la souillure qui (en réalité) s’effectue en vue de cette (Grâce).
63Et voici la réponse à la seconde (objection) :
Ā. 18. De même qu'un médecin, bien qu'il fasse souffrir son malade en lui appliquant des substances acides etc., n’est pas considéré comme une cause de souffrance, parce que, finalement, il procure un bien désiré.
64V. Le suprême Seigneur n’est pas considéré comme une cause de douleur, même s’Il se montre cruel envers les âmes dont l’activité et la connaissance sont recouvertes par les liens, en leur procurant les souffrances de la naissance et de la mort par le biais d’une conformation aux propriétés des divers liens. De même, un médecin, même lorsqu’il tourmente son patient à l’aide de substances acides, d’instruments tranchants etc., n’est pas considéré comme une source de douleur, parce qu’à la fin il lui procure le bien qu’il désire, à savoir la guérison.
65D. “De même... etc.”, ici est montrée l’inanité de la seconde objection, remarque le commentaire.
66V. Mais comment le suprême Seigneur, qui est absolument pur, pourrait-U se conformer aux propriétés des liens ? A cela on répond :
Ā. 19. Parce qu'il est omniprésent, le grand Seigneur n'abandonne pas Son contrôle. Et Il ne tombe pas non plus dans l’indifférence, partout où il y a quelque chose à accomplir.
67V. Le Bienheureux n’abandonne pas Son contrôle des êtres non-pensants. C’est que Lui, le grand Seigneur, commande à toutes choses et accomplit toutes choses. Partout où il y a quelque chose à accomplir, Il déploie de l’efficace en assistant les divers agents et ainsi accomplit cette tâche. C’est ce que l’on trouve dans la Démonstration du Seigneur. Le terme udāsa “indifférence” vient de la forme verbale ud-āste “se tenir à part” ; il s’agit ici de l’état d’indifférence, d’inactivité.
68Après avoir montré que la Grâce est dispensée simultanément (au pensant et au non-pensant), on indique, tout en continuant à discuter ce point, la signification du terme “Grâce”.
Ā. 20. La Grâce dispensée à un sujet consiste en une aide apportée à ses attributs. Il n’y a, chez aucun sujet, d'attribut qui ne reçoive l'aide du Maître.
69V. Cette aide apportée aux attributs (dharma) d’un sujet (dharmin) susceptible de recevoir la Grâce est la Grâce même mise en œuvre par Celui qui la dispense. Ainsi le soleil (aide-t-il) les lotus dont c’est la nature de s’épanouir progressivement. Et, chez aucun sujet, il n’existe d’attribut qui ne soit “aidé”, gouverné par le (Seigneur), qui est omniprésent.
70D. D’après le commentaire, le sūtra commençant par “La Grâce dispensée... ” indiquerait le sens du terme “Grâce”. Dans la seconde moitié (du sūtra), c’est le gouvernement de toutes choses par le Seigneur qui serait indiqué.
71V. Et ainsi...
Ā. 21. Dans l'âme liée chez qui l’emprise des ténèbres a perdu de sa force la Grâce croît. Dans les autres êtres elle procède d’une incitation de leur activité.
72V. “L’emprise” revêt ici la forme d’un blocage de l’activité et de la connaissance. La “force” est la puissance. Dans l’âme liée sur qui cette puissance des “ténèbres”, de la nuit, de la souillure, a perdu son emprise, la Grâce “croît”, grandit, devient forte. Cela revient à dire que l’emprise de la puissance de la souillure disparaît. Quant aux “autres choses”, c’est-à-dire le groupe de liens formé par la souillure etc., il reçoit la Grâce, parce qu’il y a de la part du Seigneur une “incitation”, une mise en marche de leur activité consistant en involution etc. Le sens est que cette “mise en marche” de l’involution etc., en vue de la délivrance des âmes liées, est la Grâce dispensée aux liens.
73V. Sur quoi tout cela débouche-t-il ? On répond :
Ā. 22. Lorsque disparaît la souillure avec son emprise, la (puissance d'obstruction du Seigneur) diminue. Alors, les deux attributs constitués par la qualité de sujet connaissant et la capacité à évoluer reçoivent une aide.
74V. “La souillure avec son emprise” : il s’agit de l’emprise de la souillure consistant en individuation. Lorsqu’elle disparaît, cette puissance du suprême Seigneur dont l’existence liée à celle (de la souillure) n’a pas eu de commencement devient encline à disparaître. Elle diminue, elle se relâche quelque peu. Alors, l’aide apportée à l’attribut consistant dans la qualité de sujet connaissant est la Grâce dispensée à l’âme. (L’aide) apportée à l’attribut consistant dans la capacité à évoluer est la Grâce dispensée aux liens.
75D. On indique que le sūtra commençant par “Lorsque disparaît...” résume ce qui a été dit auparavant. On explique ensuite le sens de l’expression : “(la puissance) diminue”.
76V. En conclusion, on déclare :
Ā. 23. L’opération simultanée et successive (de la Grâce) est ainsi aisément explicable. Elle a été aussi (implicitement) indiquée dans le cas de la māyā avec ses dépendances et dans celui du karman.
77V. “Ainsi” signifie “grâce au raisonnement dont on s’est servi”. L’opération simultanée de la Grâce sur les choses pensantes et sur les choses non-pensantes a été démontrée. Celle en succession devient alors d’autant plus facile (à expliquer) ; elle ne présente pas de difficulté. Et il faut savoir que la Grâce a été — sans que cela ait été dit explicitement — posée comme dispensée à la māyā accompagnée de ses dépendances depuis kalā jusqu’à la terre, ainsi qu’au karman, comme elle l’a été à la souillure. Dans le cas de la māyā, elle a la nature d’une manifestation ainsi que d’une rétraction de kalā etc. Dans le cas du karman, elle tend à le mettre en état de produire ses fruits. Lorsqu’on a dit que “partout et toujours, ce qui ne pense pas doit être dirigé par ce qui pense”, on a englobé dans un terme général tout (ce qui ne pense pas).
78D. “En conclusion, on déclare” : ici, le commentaire remarque que (l’auteur du sūtra), sous prétexte de résumer ce qui a été dit auparavant, annonce maintenant en termes exaltés qu’il n’est pas impossible que choses pensantes et choses non-pensantes bénéficient simultanément de la Grâce, parce que le Seigneur peut exercer cette fonction par sa simple présence, à la manière du soleil.
Notes de bas de page
1 Cette objection est faite du point de vue du Yoga de Patañjali pour qui rāga est une des cinq “afflictions” (kleśa) qui déterminent la douleur et la transmigration. Dans le système ṣaiva on ne nie pas l’existence de rāga mais on en fait un simple dérivé de māyā (dans la série des cinq “cuirasses” qui commence par kalā ; cf. infra, p. 224 sq.), laquelle n’est elle-même opérante que dans la mesure où la souillure originelle n’a pas été écartée de l’âme.
2 Svāyambhuvāgama, XXXIII 4.
3 Sāṃkhyakārikā, 22
4 La “couleur sombre du cuivre” (due à un oxyde ?) l’accompagne “depuis toujours” et, cependant, elle peut être écartée par l’effet d’une application de mercure, par exemple. Pareillement, “la souillure sans commencement” peut être écartée par la dīkṣā. Voir le commentaire d’Aghoraśiva sur Tattvapradīkāśa, 18 où se trouve déjà cette comparaison.
5 Le fait qu’il y ait “deux états”, c’est-à-dire deux orientations fondamentales de l’âme, l’une vers la délivrance, l’autre vers la jouissance, est vu comme une preuve de la réalité du “lien”. Paradoxalement, si le “désir de jouissance” n’était pas présent dans l’âme, le “désir de délivrance” ne le serait pas davantage car l’âme serait déjà concrètement identique à Śiva.
6 Litt : “aux cinq flux” ; allusion aux modalités de l’émanation originelle de la Science à partir de Śiva.
7 Tattvatrayanirṇaya, 11.
8 Allusion à un dicton populaire : les éléphants, après s’être baignés, aiment se rouler dans la boue, anéantissant ainsi (du moins, d’un point de vue anthropomorphique !) le bénéfice de leur bain.
9 Svāyambhuvāgama, vidyāpaṭala, pasuvicārapaṭala, śl. 1 (I.F.I., T. 39, p. 119).
10 C’est ici qu’apparaît le plus clairement la véritable fonction de la tirodhānaśakti. Le Seigneur travaille à la délivrance des âmes d’abord en renforçant les liens, lesquels ne sont pour lui que moyens (upāya) ou occasions. La délivrance n’ayant de sens que par rapport à la souillure originelle, il convient avant tout de faire cesser le “règne” de cette souillure (malādhikāra). Or, pour cela, il est nécessaire que la souillure elle-même développe ses propres potentialités. Mais celle-ci, comme toute chose inerte et non-pensante, doit être dirigée par une instance consciente (cf. śl. 17 : sarvathā sarvadā yasmāc citprayojyam acetanam) qui ne peut être, en l’occurence, que le Seigneur lui-même. D’où le sens profondément “miséricordieux” de l’opération par laquelle Il fouaille les âmes en “activant” leurs liens.
11 Traduction littérale. Le sens développé est probablement : “Il y a une indication donnée par un mantra qui s’énonce” “Īśānamrūdha” (il fait partie des cinq brahmamantra associés à Śiva, cf. SP I, p. XXXIII). On veut dire que l’association permanente entre “Īśāna” et “tête” est déjà perceptible dans la formulation même de ce mantra. Pour le rapport spécifique d’Īśāna à la Grâce, voir supra, p. 121.
12 On attendrait plutôt : “une inférence du type śeṣvat”, concluant de la partie au tout. L’idée est simplement que Śiva dispense sa Grâce à l’âme en tant que telle car c’est en tant que telle que la souillure la recouvre.
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