Chapitre IV. Description de la forme propre du maitre
p. 125-137
Texte intégral
1V. Après avoir, par la méthode de concordance et de différence, établi la catégorie du Maître, on entreprend un nouveau chapitre destiné à déterminer sa forme propre. On va d’abord développer l’expression : “doué d’une activité universelle” qui est contenue dans le sūtra fondamental. Quant aux deux liaisons (à établir), au niveau du chapitre et au niveau de la section, il faut savoir I) que l’objet de ce chapitre est la détermination d’un effet indiqué à la fin du chapitre précédent et 2) que l’on se trouve toujours dans la Section de la Doctrine. En ce qui concerne les liaisons au niveau de la matière du traité etc., il convient de procéder comme précédemment.
Ā. I. Pourvu d’un tel corps, à l’aide de cet organe à l’énergie indomptable, Il produit partout les effets requis et quand ils sont requis.
2V. Celui qui, de cette manière, possède un corps fait de mantra, c’est le Seigneur. “A l’aide de cet (organe)” : on a dit plus haut : “Son instrument n’est autre que Sa Puissance”. A l’aide de cet organe, fait de puissance, et dont l’efficience ne rencontre pas d’obstacles, Il produit en tous temps la totalité des effets, maintien (de l’univers) etc., mais Il ne produit pas (uniquement) en simultanéité. Tout effet normalement requis, à tout instant et quelque soit son importance, c’est Lui qui le produit. Il produit en succession aussi l’ensemble des effets. Tel est le sens. On a déclaré plus haut :
3“Produisant à la fois progressivement et simultanément, (la Cause suprême) a le pouvoir de produire progressivement et autrement”.
4D. On commence par relier le chapitre commençant par : “Pourvu d’un tel corps” à son contexte. La liaison au niveau de la matière dont on traite s’établit par le fait que (ce chapitre) traite de la catégorie du Maître. Au niveau du sūtra, elle consiste dans le (développement) du qualificatif : “doué d’une activité universelle”. Au niveau de la phrase explicative, elle peut s’établir de plusieurs manières, par exemple avec une phrase telle que : “Sa forme corporelle... se compose de cinq Mantra propres aux cinq opérations”. Par les mots : “de cette manière... etc.” le commentaire indique que (le sūtra) exprime en termes généraux la qualité d’agent du Seigneur relativement aux cinq genres d’effets. “Il produit l’ensemble des effets” : il s’agit des cinq genres d’effets, création etc..
5V. Qu’est-ce que le suprême Seigneur produit en tout premier lieu ? on répond :
Ā. 2. Alors, pour commencer, Il crée un groupe de huit êtres, âmes pures1, aptes (à partager sa perfection), pourvues de puissances comme Vārnā etc. et escortées de soixante-dix milllions (de Mantra).
6V. “Alors” veut dire : “dans ces conditions”. On a dit que la Puissance (du Seigneur), tout en étant une, se subdivise en Vāmā etc. en fonction de la diversité) des effets à produire. Cette Puissance, faite d’omniscience et d’activité universelle, se trouve dans toutes les âmes comme (elle se trouve) en Siva. Mais celles-ci, empêchées par la nescience sans commencement, ne peuvent devenir, semblables à lui si elles ne reçoivent pas la Grâce. Il crée ainsi un groupe huit êtres qui sont pure connaissance, parce que leurs liens faits de karman et de māyā ont été détruits, et qui sont aptes à entrer dans le séjour (de Siva), conformément à l’état d’involution de leur souillure. Il leur adjoint une escorte de soixante dix millions de Mantra et leur procure le groupe des neuf puissances, Vāmā etc.
7D. En vue d’exposer l’ordre selon lequel s’effectue la création on commence par introduire le sūtra commençant par “Alors”. On a dit plus haut :
8“Cet (instrument), de par le caractère illimité de son champ d’application, relativement au connaissable et à ce qui doit être accompli, est (lui-même) tel”.
9Et aussi dans le vénérable Parākhya :
10“Sa division vient de la diversité des effets à produire ; absolument parlant, elle ne comporte pas de division Vāmā, Jyeṣṭhā, Raudrī, Kālī, Kalavikaraṇī, Balavikaraṇī, Balapramathanī, Damanī et Manonmanī2. Cette face par laquelle lors de la création, il vomit (vamati) le triple monde, a été désignée comme Vāmā”.
11On a dit plus haut : “La conscience, sous forme de connaissance et d’activité, est présente dans l’âme, partout et toujours”.
12A partir de : “parce que leurs liens...”, le commentaire explique le sens de l’expression “âmes pures”. On ne peut pas nier l’existence de tels êtres établis à la fois par la Tradition et par le raisonnement. Les âmes liées peuvent bien être débarrassées de leurs liens faits de karman et de māyā, elles demeurent associées à la souillure proprement dite, différente (du karman et de la māyā), et dont on admet qu’elle joue aussi le rôle d’un lien. Quand un certain lien (A), distinct d’un autre lien (B), affecte certaines personnes il est établi que ces personnes, en l’absence même du lien (B), sont bel et bien liées. Le cas est le même pour les chaînes matérielles etc.
13— Mais la manifestation de l’omniscience n’est qu’une espèce particulière de Grâce ! On dira plus loin : “Ceux dont Il provoque, la délivrance pendant le sommeil (cosmique) deviennent immédiatement des Śiva ; ou bien (d’autres) le deviennent lors de la dissolution ou de la création, d’autres encore deviennent des régents”. De même dans le vénérable Mataṅga : “La délivrance est de sept espèces”.
14— En effet : postérieurement à l’apparition de la voie pure, il faut entendre par “création”, dans le cas des Vidyeśvara etc., non pas seulement la manifestation de l’omniscience etc. mais aussi la production (pour eux) de corps ayant cette (voie pure) pour matière première. C’est ce que le commentaire dit (implicitement) à partir de : “Il leur adjoint une escorte...”. Leur association à un corps est effective car, pervasifs et dépourvus de forme matérielle concrète, ils ne pourraient sans l’adjonction d’un corps être entourés par (les Mantra). On pourrait cependant raisonner ainsi dans le but de réfuter cette corporéité des Vidyeśvara (pourtant) établie par la Tradition : “Les Vidyeśvara et les Mantra, eux non plus, ne sont pas réellement unis à un corps, parce qu’il s’en suivrait leur manque d’omniscience, comme dans le cas de Devadatta etc.”. Mais l’universalité de cette règle est démentie par le cas des êtres qualifiés (pour régir) le domaine de la māyā. On a dit en effet que des êtres comme Śrīkaṇṭha possédaient l’omniscience tout en étant unis à un corps. On a déclaré précédemment : “des Mantreśvara... qui possèdent un éclat semblable à celui des Seigneurs installés sur un plan supérieur”. De plus, ce raisonnement est rendu incertain par le fait de l’existence des yogin. La Révélation, en effet, nous apprend que (certains) yogin, tout en possédant un corps, sont omniscients. Enfin, la raison invoquée, la possession d’un corps (par les Vidyeśvara), n’est pas valide : leur corps ne ressemble pas (à celui de Devadatta etc.). Il est dit dans le Kiraṇa : “Son corps est dit d’origine pure ; il n’est pas né du karman”3. “Le groupe des neuf puissances, Vāmā etc.” : le sens est que (les Vidyeśvara), pourvus de puissances telles que Vāmā etc., sont capables d’accomplir les cinq espèces d’opérations. La différence entre les Vidyeśvara et les Mantra est donc celle-ci : les premiers accomplissent les cinq espèces d’opérations mais les seconds (ne) sont (que) des instruments de la Grâce (du Seigneur).
15V. On s’apprête maintenant à décrire les huit chefs de ces soixante-dix millions de Mantra, Ananta etc.
Ā. 3-4. A leur tête sont ces Seigneurs des Seigneurs des Rois des Rois : Ananta, Sūkṣma et aussi Śivottama, Ekanetra et Ekarudra, Trimūrti à l’éclat infini, Śrīkantha et Śikhaṇḍin. Parce qu’ils sont un tant soit peu privés de la transcendance absolue, ils sont régis par le Suprême Seigneur.
16V. Les “Rois” sont les régents des mondes, Indra etc.. Ceux qui “règnent” sur eux sont les cent Rudra. Eux-mêmes sont régis par les Seigneurs des régions cosmiques etc. Ces derniers, enfin, ont pour Seigneurs les augustes Vidyāmaheśvara. Et ceux-ci, “parce qu’ils sont un tant soit peu privés de la transcendance absolue”, parce que, dans une certaine mesure, ils n’ont pas obtenu l’égalité d’essence avec le Suprême Seigneur, à cause de la “souillure liée à la fonction” (adhikāramala) qui subsiste partiellement en eux, se voient assigner (une tâche) par le Suprême Seigneur.
17D. En vue de développer ce point, le commentaire, sous l’apparence d’une introduction, répond négativement à la question : “Est-ce que, dans le sūtra suivant4, le terme teṣām (“d’eux” ou “leur”) ne doit pas être interprété au sens de “Seigneur” ?”. Ils ne sont pas seulement les chefs des Mantreśvara mais aussi des régents des mondes etc.
18— Mais, s’ils accomplissent les cinq espèces d’opérations, ils seront semblables à Śiva !
19— “Non”, répond le commentaire : “Parce qu’ils... etc.”.
20V. Ces huit (Seigneurs) omniscients et doués d’une activité universelle, sont-ils de nature identique ou bien y-a-t-il quelque différence entre eux ? A cette question on répond :
Ā. 5. Bien qu’ils possèdent (tous) des qualités telles que l’omniscience etc. il existe (entre eux) un ordre de subordination déterminé par la portion de souillure qui subsiste en chacun. Ils se distinguent ainsi les uns des autres. Il en va de même, à un niveau inférieur, pour les Mantra.
21V. Bien qu’ils soient tous omniscients et doués d’une activité universelle chacun d’eux est subordonné à son supérieur immédiat, et cela à cause du reste de souillure, indiqué par le fait qu’ils sont mûs, qui subsiste en eux. Ainsi, pour ceux qui sont installés à un niveau inférieur, leur activité est relativement moins noble,5 comparée à celle de ceux qui sont installés au-dessus d’eux. On a dit : “Un tel, parce qu’il possède des qualités éminentes, est considéré comme installé à un niveau supérieur”.6 Ils ne sont pas les seuls à se distinguer ainsi les uns des autres, il en va de même pour les Mantra, à un niveau inférieur.
22D. “Leur activité est relativement moins noble.. : le sens est que l’omniscience (au contraire) est la même chez tous. “Ils ne sont pas les seuls...” : c’est que la création des Mantra a suivi immédiatement celle des Vidyeśvara.
23V. On caractérise les Mantra :
Ā. 6. Ceux-ci, mûs par la puissance de Śiva manifestée dans les Mantreśvara, mettent en œuvre la Grâce qu’il accorde aux hommes, à ceux qui en sont dignes et lorsqu’ils le sont.
24V. Ces Mantra, mis en action par la Puissance de Śiva révélée aux Mantreśvara supérieurs et inférieurs, effectuent l’opération de la Grâce.7 Ils accomplissent cela à de certains moments et pour certains hommes, compte tenu de leur aptitude, car une extension (de la Grâce) à tous et sans tenir compte des aptitudes serait excessive.
25D. “Pour certains hommes...etc.” : les (Mantra) jouent, par rapport à la Grâce, le rôle d’instruments ; tel est le sens.
Ā. 7. Dépendante d’un corps (pour se comporter en) incitateurs, une moitié de ceux-ci, après avoir été postée sur la totalité de la voie, pénètre en Śiva, avec ses Seigneurs, à la fin de la période de maintien de la création.
8. L’autre (moitié) n’à pas besoin d’un tel support ; après avoir rempli son office, selon le désir du Seigneur, à un niveau inférieur à celui du champ principal d’évolution, elle disparaît lorsque sa voie propre est résorbée.
26V. Une moitié de ces soixante dix millions de Mantra, qui sont des “incitateurs”, qui exercent la Grâce, a besoin d’un corps à titre de support. Par là, elle est dépendante de maîtres ; dépendante de ceux-ci, elle est dépendante de ses Seigneurs qui ont les maîtres (spirituels) pour support. Sa fonction consiste à dispenser la Grâce à qui de droit. Après l’avoir exercé “sur la totalité de la voie”, c’est-à-dire la voie de la māyā, “à la fin de la période de maintien de la création”, à l’occasion de la dissolution de cette voie de la māyā, elle obtient “avec ses Seigneurs”, accompagnée des Mantreśvara, l’union à Śiva.
27Mais qu’en est-il de l’autre moitié ? A cela on répond : “L’autre (moitié)...etc. “Selon le désir du Seigneur” : partout où le Seigneur désire déployer Sa Grâce il le fait par Son simple désir, sans avoir besoin du support constitué par les maîtres spirituels. On parle de “champ principal d’évolution” en ce sens que l’évolution qui s’y produit est la plus importante.8 “A un niveau inférieur :” partout en-dessous de ce domaine et sur la voie de la māyā, elle remplit son office. Lorsque sa voie est résorbée”, détruite, elle “disparaît”, elle s’en va. Le vénérable Sadyojyoti a dit : “Le monde une fois créé, une moitié des Mantra, ayant exercé la Grâce vis à vis des âmes agréées par Śiva, et cela sous son impulsion (directe), sans le support du corps d’un maître, s’en va (vers la délivrance)”9
28D. Toujours en vue de développer ce point, on commente les deux sūtra suivants. Le sens est celui-ci : parmi ces soixante-dix millions de Mantra, ceux dont la souillure a achevé son évolution, au nombre de trente cinq millions, sont, à la fin de la période cosmique, délivrés par la permission d’Ananta qui est leur origine. Les autres (sont délivrés) lors de la grande dissolution cosmique. Il est dit dans le Mataṅga :
29“...s’acquittant de leur tâche, conformément à l’ordre de leur maître, la moitié de la troupe reste et l’autre s’en va...”.10
30V. Après les Mantra, on parle des Mantreśvara :
Ā. 9. Alors, manifesté sous la forme d’Ananta etc., Il crée, à partir du “principe noué”, cent dix-huit Seigneurs qu’Il pourvoit d’un corps fait de kalā etc..
31V. “...Il investit celle-ci avec les âmes (qu’elle contient) et Il s’y tient afin que (les créatures) trouvent le repos” : c’est ainsi que l’on décrira le principe de la māyā comme le conglomérat des âmes en repos. C’est à partir de lui, de ce “principe noué”, que le suprême Seigneur, manifesté sous la forme d’Ananta etc., crée cent dix-huit Seigneurs, régents des régions cosmiques, pourvus d’un corps fait de kalā etc.
32— Mais on a dit au début : “Il crée encore cent dix-huit Vidyeśvara qui ont part à la māyā...etc.”11 et l’on disait de ceux-là qu’ils avaient été directement favorisés de la Grâce du suprême Seigneur. Ici l’on attribue cette action au Seigneur en tant qu’il s’est manifesté sous la forme d’Ananta etc. ; il y a là une contradiction !
33— Non, car ce sont seulement Ananta et les autres qui opèrent la jonction avec les kalā etc. et non pas le suprême Seigneur. La Révélation déclare :
34“Sur la voie pure c’est Siva qui est réputé opérer ; sur la (voie) obscure c’est Ananta”.12
35Mais Lui (le suprême Seigneur) favorise directement de Sa Grâce ces êtres (préalablement) pourvus de kalā etc. et rendus ainsi aptes à l’expérience affective. Il n’y a aucun défaut dans notre position.
36D. Maintenant, après avoir énoncé la création directement opérée par Siva sur la voie pure, on introduit le sūtra commençant par “Alors” afin de décrire la création opérée sur la voie impure par l’intermédiaire d’Ananta etc. “A partir du principe noué” : selon une règle destinée à être énoncée dans la suite, c’est en fonction de la gradation dans l’involution de leur souillure que, parmi les êtres dits “dépourvus de kalā pour la durée de la résorption cosmique”, certains occupent la fonction de suprême Mantreśvara. Parmi eux, c’est à des êtres comme Ananta que (le suprême Seigneur) confie la tâche de pourvoir (les Mantreśvara ordinaires), après qu’il les ait créés, d’un corps fait de kalā etc. La manifestation de leur omniscience leur est procurée directement par le suprême Seigneur tandis que leur jonction à un corps fait de kalā etc. est confiée à des êtres tels qu’Ananta. “Mais Lui...etc.” : on pourrait croire que ces êtres pourvus de kalā et aptes à l’expérience affective seront semblables à nous ; en fait il n’en est rien parce que leur corps et leur expérience affective, qui sont le support de leur fonction, leur sont absolument indispensables et parce que leurs puissances de connaissance et d’action leur ont été révélées par le suprême Seigneur. On a dit : “Même pourvus de kalā etc., ils ne sont pas au pouvoir de kalā, comme l’est le troupeau des âmes liées”.
37V. On indique qu’eux-mêmes mettent en action d’autres êtres :
Ā. 10. Au moyen de ces derniers le Tout-Puissant (crée) des régents des mondes, affectés de la souillure. C'est d'eux, dont la puissance est dépendante du karman, que procède cet univers tout entier.
38V. Le Seigneur, au moyen de ces derniers, à commencer par les huit régents des sphères cosmiques, crée d’autres régents des mondes, Brahmā etc. ; ils sont affectés de la souillure (mais) leurs puissances de connaissance et d’action ont été excitées. Ainsi s’opère la liaison avec ce qui précède. Comment se présentent ces (autres régents) ? A cette question on répond : “C’est d’eux... que procède cet univers tout entier”. Il convient de compléter ainsi : “C’est à partir d’eux qu’est manifestée la totalité de cet univers comprenant les êtres mobiles et immobiles”. “...Dont la puissance est dépendante du karman" : le lien fait de karman n’est pas détruit chez eux parce que quelque chose y fait obstacle ; aussi sont-ils pourvus de kalā et récipiendaires de la Grâce du suprême Seigneur.13
39D. “Brahmā etc...affectés de la souillure” : on a dit : “Certains Mantra sont supérieurs et d’autres inférieurs, tels Brahmā, Visnu etc. ; postés à l’intérieur de l’œuf (du monde), ils comportent la souillure”.14 Leurs puissances de connaissance et d’action ont été excitées” : cela ne vaut que dans les limites de leurs domaines respectifs. Le commentaire, en réponse à une question, remarque que ce point même est évoqué dans la seconde moitié (du sūtra). “Mobiles et immobiles” : il s’agit de la création des êtres des quatorze espèces. Les partisans du Sāmkhya ont déclaré :
40“La création divine comporte huit formes, l’animale cinq, l’humaine une seule ; telle est en résumé la création matérielle”.15
41“Le lien fait de karman..." : c’est parce qu’ils sont soumis au karman que leur souveraineté ne s’étend qu’à leur domaine propre.
42V. Il ne crée pas seulement ceux-là mais aussi...
Ā. ii. (Il crée) les auteurs des traités dignes des âmes liées et les âmes liées elles-mêmes qui adhèrent à leurs prescriptions et sont pourvues des organes d’action requis pour l'obtention (des fruits) promis par eux, et cela jusqu'au niveau de Kālāgni.
43V. Il crée — ainsi convient-il de faire la liaison avec ce qui précède — les auteurs, l’Arhat, Kapila etc., des traités “dignes des âmes liées”, c’est-à-dire la doctrine Jaina, le Sāṃkhya, le Pāñcarātra etc., et Il crée les âmes liées qui se conforment à ces (doctrines). Il les crée pourvues des organes d’action qui leur permettent d’obtenir les fruits indiqués dans les enseignements de ces traités. Il les crée jusqu’au niveau de Kālāgni.16
44D. “Il les crée jusqu’au niveau de Kālāgni” : C’est le Seigneur lui-même qui crée l’ensemble de ces êtres mais par l’intermédiaire de cette série (de régents cosmiques).
45V. Après les avoir créés, que fait le Dieu ? A cette question on répond :
Ā. 12. Durant la période de maintien de l'univers, Il investit ces êtres avec leurs moyens d'action et les anime de Son énergie, cela afin d'atteindre Son but propre (ou : “afin qu'ils atteignent leurs buts propres”). (En cela), Il passe inaperçu des êtres.
46V. Il contrôle entièrement par “Son énergie”, Sa propre puissance de désir, ces êtres “avec leurs moyens d’action”, c’est-à-dire avec les moyens d’obtenir l’expérience affective, principes, dispositions, mondes etc.. “Cela afin d’atteindre Son but propre”, en vue de la réussite de Sa propre activité. Ou bien, considérant que le “but” (artha) est ce qui est recherché (arthyate) par les “soi”, c’est à dire par les âmes, on peut penser ici aux buts de l’homme que sont jouissance et délivrance, buts que (le Seigneur) mettrait les âmes en situation d’atteindre intégralement. Il ne se comporte pas en insensé et n’agit pas en dehors de tout motif.17 Même le sot n’agit pas sans se référer à un motif. Et Il n’agit pas non plus par jeu : toute idée de jeu est absente chez celui qui est dépourvu de passion. Il n’agit pas davantage dans Son propre intérêt, étant déjà comblé. Comme les “êtres”, c’est-à-dire les vivants, sont sous l’emprise de la nescience, ils ignorent Son opération.
47D. Après avoir évoqué la création, on introduit le sūtra commençant par : “Durant la période de maintien...”, cela en vue d’évoquer la période de maintien de l’univers. “Après les avoir créés...etc.” : il s’agit des sujets de l’expérience effective. On commence par expliquer l’expression : “pour atteindre Son but propre” comme se rapportant aux principes etc. On a dit en effet que des choses non-pensantes ne pouvaient agir si elles n’étaient sous le contrôle d’êtres pensants. A partir de “ou bien” on propose une autre interprétation selon laquelle cette expression se rapporterait aux sujets de l’expérience affective. C’est que que la jouissance ne vient pas d’elle même à la rencontre de l’homme car, à la manière des substances matérielles etc., elle possède une forme sensible définie (mūrtatvam) (et ainsi est non-pensante). On a dit : “L’homme, n’étant pas libre, ne va pas de lui-même à la rencontre de la jouissance”. A partir de : “Il n’agit pas davantage...” on écarte l’interprétation selon laquelle (le Seigneur) agirait pour réaliser Ses propres intentions ou faire aboutir Ses propres activités, création etc.
48V. Après avoir ainsi évoqué la création et le maintien (de l’univers), on évoque sa rétraction :
Ā. 13-143. Ayant repris les instruments de l'expérience affective et les ayant résorbés dans leur cause (matérielle), Il investit celle-ci et les âmes (qu’elle contient) et Il s’y tient afin que les créatures fatiguées de l’existence trouvent le repos. C’est qu’il a en vue le bien de tous les êtres.
49V. A la fin de la période de maintien de la création, Il rétracte “les instruments de l’expérience affective” corps, organes, mondes etc., c’est à dire qu’il les résorbe dans leur cause (matérielle) appelée māyā. Gouvernant cette cause avec la masse des âmes cachées en son sein, Il s’y tient afin que les êtres transmigrants, fatigués de pérégriner sur le chemin de l’existence, trouvent le repos. Il bloque en quelque sorte l’activité de chacun d’eux. Pourquoi ? A cela on répond : “C’est qu’il a en vue le bien de tous les êtres”. Le suprême Seigneur, agissant en vue du bien de tous les êtres, leur procure, sous forme de sommeil, un repos destiné à chasser leur fatigue.
50D. Le commentaire indique que (dans le sūtra) commençant par : “Ayant repris les instruments...” c’est la rétraction cosmique qui est évoquée.
51V. Mais alors...
Ā. 14b. Lorsqu'arrive la fin de ce sommeil Il recommence à agir comme avant.
52V. A la fin de ce sommeil, limité dans le temps comme on aura l’occasion de le dire, le suprême Seigneur reprend Son activité au point du jour (cosmique).
53On indique maintenant que, même durant ce sommeil, Ses puissances d’action etc. demeurent engagées dans la production d'effets divers.
Ā. 15. Même durant ce sommeil, Il continue à éveiller ceux qui sont susceptibles d’être éveillés, entravant ceux qui sont destinés à l'être, faisant mûrir le karman de ceux qui en sont affectés, rendant aptes à la manifestation Ses puissances de māyā, Il contemple tout ce qui est tel que cela est.18
54V. Dans l’état de sommeil comme dans l’état d’éveil (de l’univers), Il tient compte de la gradation dans les divers stades d’involution de la souillure. Il éveille ceux qui méritent de l’être, entrave par Sa puissance d’obstruction ceux qui méritent de l’être, fait mûrir le karman de ceux qui en sont affectés, prépare Ses puissances de māyā à produire. Il contemple dans sa réalité l’univers entier, pensant et non-pensant, et qui comprend les principes, les êtres, les mondes. A la différence d’êtres tels que nous, Il n’a pas affaire — dirons nous plus loin — à des apparences contraires à la réalité des choses. On pourra ainsi résumer ce chapitre en disant qu’il décrit une triple activité (du Seigneur) qui consiste à créer l’univers, à le maintenir, et à le rétracter.
55D. — Mais, pendant le sommeil (cosmique), le Seigneur n’est-il pas dépourvu d’activité, comme l’est la multitude des âmes ?
56C’est à écarter cette objection — remarque le commentaire — qu’est consacré le sūtra commençant par “Même durant ce sommeil...”.
57— Mais comment la distinction des états d’absorption, de jouissance et de gouvernement peut-elle exister chez le suprême Seigneur ?
58— Nous disons que ceci est un langage métaphorique justifié par le fait que (le Seigneur) préside aux divers aspects de l’état de bindu. On a dit : “Il est (décrit) métaphoriquement comme sujet gouvernant, sujet jouissant, sujet résorbé”. C’est pourquoi on dira que le suprême Seigneur, parce qu’il gouverne les mondes de Nivrtti etc., se voit métaphoriquement désigné du nom même de Nivṛtti : “Son siège s’appelle “Nivṛtti” et, dans ce cas, le Seigneur lui-même est “renonçant” (nivṛttimān)”19. Ainsi il n’y a pas de contradiction. Mais la différence des âmes qui, par des moyens tels que l’initiation etc., ont atteint tel ou tel stade, est bien réelle. Il est dit dans le Svāyambhuva : “Quiconque aspire à des jouissances relevant de tel niveau est assigné à ce niveau même ; muni de pouvoirs, grâce à la capacité des Mantra...”.20
59— Mais 1’“obstruction” est l’occultation et l’on a dit qu’elle était l’impossibilité que se perde l’expérience affective conforme (au karman individuel). Au moment de la rétraction cosmique il y a absence pure et simple d’obstruction ; comment peut-on dire alors qu’il “entrave ceux qui méritent de l’être” ?
60— Il n’y a pas ici de faute. Le sens est que, par le repos, Il rend susceptibles d’être entravés ceux qui méritent de l’être. “Ses puissances de māyā...” : il s’agit de Ses puissances d’action en tant qu’elles se tiennent au niveau de la māyā. Le commentaire indique la raison pour laquelle le chapitre se termine précisément ici : c’est que la triade bien connue de tous et formée par les opérations de création, de maintien et de rétraction (du monde) a été décrite. Dans le chapitre suivant, on exposera les deux (autres) opérations qui, elles, sont établies par le (seul) traité, tel est le sens.
Notes de bas de page
1 Ou mieux, peut-être, “Parmi les âmes pures (kevalāṇu, synonyme de vijñānakevalin) Il crée ( =sélectionne) un groupe de huit... etc.” Ce sont les huit Vidyeśvara dont on sait qu’ils sont toujours recrutés parmi les vijñānakevalin. La question des critères président à une telle sélection sera abordée plus loin.
2 Ces puissances sont, en quelque sorte, les parèdres des Vidyeśvara. Quand, dans le rituel quotidien, on “construit” le trône de Śiva, chacune siège à côté de “son” Vidyeśvara sur un même pétale de lotus autour du trône. La neuvième, Manonmanī, est associée à Sadāśiva. Les trois premières, d’autre part, se trouvent associées à quantité d’aspects du rituel. Pour la correspondance avec les Vidyeśvara et son origine possible, voir SP I, p. 166, n. I.
3 Kiraṇãgama, vidyāpāda, patipaṭala, śl. 7.
4 C’est-à-dire dans le sūtra 3. Ananta et les autres Vidyeśvara ayant déjà été mentionnés, on pourrait imaginer que ce sont eux qui ont pour chefs les “Seigneurs des Seigneurs des Rois des Rois”. Mais ils sont eux-mêmes ces très grands Seigneurs. Le mot teṣām ne peut donc renvoyer qu’aux soixante-dix millions de Mantra.
5 Litt. : “diminue à chaque fois d’une kalā, ou portion”. L’image est celle de la lune qui, chaque quinzaine, croît ou décroît d’une kalā par jour.
6 Mālinīvijayottara, II 60.
7 Ils “mettent en œuvre la Grâce” en ce sens qu’ils en représentent l’efficience lorsqu’ils sont récités par des guru (non nécessairement humains !) en tant que prêtres de la dīkṣā ; d’où la référence, dans la vṛtti sur le sūtra 7, aux Seigneurs de ces Mantra “qui ont les maîtres pour supports”.
8 Ce terme désigne, techniquement, le principe du Pur Savoir (śuddha vidyā) où sont censés résider les Mantra et leurs Seigneurs. Le principe général d’une division de la Voie (adhvan) en deux sections, pure et impure, a conduit à une division des Mantra en deux groupes. Les uns “travaillent” sur la voie pure, c’est-à-dire que, mûs directement par Śiva ou les Vidyeśvara, ils confèrent la dïksā à des êtres très purs eux-mêmes et dépourvus de corps grossier. Les autres opèrent au niveau du māyātattva et de ses dérivés. Ils doivent donc venir s’installer dans les corps de maîtres spirituels vivant à ces étages de la voie impure et y dispensant la dīkṣā à leurs habitants. Ce qui surprend au premier abord, c’est de voir les textes faire opérer le premier groupe de Mantra aussi sur la voie impure. Peut-être doit-on comprendre qu’ils y servent à conférer l’initiation à des régents cosmiques postés sur cette voie impure pour toute la durée de leurs fonctions mais qui n’y ont pas leur véritable résidence (cf. le commentaire d’Aghoraśiva sur Tattvaprakāśa, 10 et les remarques de P.S. Filliozat, op. cit., p. 266).
9 Tattvasaṃgraha, 33.
10 Mataṇgapārameśvara, vidyāpāda VII, śl. 13, p. 237.
11 Cf. supra, p. 49 (I, śl. 25) ; on parlait alors non des Vidyeśvara mais des Mantreśvara, ce qui paraît plus logique
12 Déjà cité, p. 59 (n. 13 du chap. II) ; le sera encore, p. 218.
13 Ce n’est pas le fait d’être sakala qui rend ces êtres aptes à recevoir la Grâce. Ils sont sakala, donc aptes à la consommation du karman etc., et ensuite (mais sur un autre plan) récipiendaires possibles de la Grâce.
14 Déjà cité, p. 47 (n. 89 du chap. I). Ici, la forme incorrecte para doit être corrigée en aparā, “inférieurs”.
15 Sāmkhyakārikā, 53.
16 Cela signifie que ces êtres sont trop impurs pour pouvoir exister dans les mondes placés au-dessus de Kalāgni (lui-même situé dans la kalā Nivṛtti).
17 Corriger amürtatvāt en mūtatvāt (équivalent ici de acetanatvāt).
18 Ce thème de la “quintuple activité subtile” demeure l’un des points les plus obscurs de la dogmatique śaiva. En particulier, il est difficile de comprendre comment karman et mala peuvent continuer à “mûrir” pendant cette période de vide total. La réponse réside peut-être dans une sorte de passage à la limite : si le Seigneur pouvait, un seul instant, cesser d’agir — fut-ce même durant le pralaya — il ne mériterait plus absolument le nom d’Agent (cf. le commentaire de Rāmakaṇṭha sur Nareśvaraparīkṣā II, śl. 29-31, éd. KSTS, p. 151-153 et les références rassemblées par K. Sivaraman, op. cit., p. 503, n. 12).
19 Cf. Infra, p. 332. Allusion ici au thème des 5 kalā, ou états du bindu qui, en tant que telles, fournissent l’un des 6 principes de classification des réalités dont on se sert dans la dikṣā. Elles ont nom : nivṛtti, pratiṣṭhā, vidyā, śānti et śāntyatītā. Les divers mondes dont se compose l’univers relèvent chacun de l’une de ces kalā (On dit : “les mondes de Nivṛtti... etc.”). Voir SP I, p. XIX.
20 Svāyambhuvāgama, yogapāda, bhuvanadīkṣāpaṭala, śl. 2 (I.F.I., T. 39, p. 148).
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