VI. Conclusion
p. 122-124
Texte intégral
1§ 6.1. Une telle étude ne peut conduire qu’à des conclusions partielles qui portent beaucoup plus sur les caractères particuliers des deux textes étudiés que sur la façon dont l’ensemble des textes de même nature envisage les questions architecturales. La première constatation assez évidente est que la place accordée à l’architecture varie considérablement d’un texte à l’autre. L’Ajitāgama est de loin le plus riche : c’est lui qui fournit le plus de descriptions et par là même le plus de termes techniques ; on ne peut cependant manquer d’être frappé par le fait que ces descriptions portent beaucoup plus sur des points de détail et d’une façon plus générale sur les caractéristiques purement extérieures et immédiatement visibles des édifices ; ajoutons à cela que le vocabulaire est considéré comme connu et que les descriptions si minutieuses soient-elles supposent implicitement la maîtrise des Śilpaśāstra. Cette dernière tendance est encore plus nette dans le Rauravāgama qui, comme nous l’avons déjà dit, énumère beaucoup plus qu’il ne décrit : ainsi par exemple pour les soubassements ou encore les piliers à propos desquels il mentionne des types particuliers sans les décrire ce qui ne va pas sans une certaine ambiguïté puisque, comme nous l’avons vu, des noms semblables sont souvent attribués à des types différents (ainsi pour les piédestaux padmapīṭha, pour les temples ābhāsa ou pour les maṇḍapa viśāla). Cela n’empêche d’ailleurs pas ce texte d’apporter toute une série de données intéressantes sur la disposition intérieure des “grands” prāsāda ou bien encore sur la forme du toit des gopura ou, surtout, sur la présence de lanterneaux au dessus de certains maṇḍapa ; à propos de ce dernier point il est bien évident que le Raurava fait appel à des notions connues qu’il nous reste à trouver, présentées de façon plus complète, dans d’autres textes. Enfin nous sommes un peu surpris du peu de place que le Raurava accorde aux rites qui accompagnent la construction et de l’absence complète de toute précision sur les sites propices à l’installation d’un sanctuaire ; cette lacune est d’autant plus bizarre que ce texte s’étend par ailleurs assez longuement sur l’installation du temple provisoire ; on a un peu l’impression que le compilateur de cet ouvrage considère que le temple ne présente d’intérêt pour ses lecteurs qu’une fois qu’il est construit, le développement sur le temple provisoire se justifiant par le fait que cet édifice entre en jeu aussi bien lors de la construction d’un nouveau temple que lors de travaux de restauration, auxquels le Raurava consacre quelques vers. Cependant cette explication n’est guère satisfaisante et nous penserions volontiers que ces lacunes peuvent tout simplement être dues à des accidents dans la transmission du texte.
2§ 6.2. Les dimensions et les proportions occupent une grande place dans nos deux textes, comme d’ailleurs dans la plupart des textes parallèles : on a ainsi vu que la moitié du chapitre que le Raurava consacre aux prāsāda ne porte guère que sur ce sujet ; dans l’Ajita on constate un phénomène à peu près semblable dans le chapitre portant sur les maṇḍapa et ce ne sont là que des exemples parmi beaucoup d’autres. On peut se demander ce que viennent faire toutes ces dimensions dans des ouvrages qui ne semblent pas destinés à être utilisés par des techniciens du bâtiment et l’on est frappé par la précision des dimensions fournies eu égard au silence des textes sur les techniques de construction. Nous pensons qu’il existe à cela une double explication ; la première est que les dimensions ont une très grande importance dans la détermination du caractère faste d’un édifice par le biais des formules āyādi : si le desservant d’un temple ou bien encore son fondateur n’attache sans doute qu’un intérêt limité aux techniques employées pour édifier ce temple, il est en revanche très probable qu’il s’intéresse de très près à tout ce qui peut toucher le fruit que le service ou la construction de ce temple lui apportera : l’on peut dire que le choix des dimensions relève en fait de l’aspect religieux de la construction au même titre que le choix du site ou que la mise en place du dépôt de fondation. L’autre explication de cette importance donnée aux dimensions se trouve, nous pensons, dans une certaine classification hiérarchique des édifices qui, si elle ne se trouve pas exprimée clairement dans les deux textes étudiés ici, apparaît bien nettement dans d’autres : ainsi par exemple le Mayamata (IX 79 et suiv.) explique que les “petits” temples sont pour les petits villages et que construire un temple de classe supérieure dans une agglomération de catégorie inférieure est une faute (comme d’ailleurs le temple de classe inférieure dans l’agglomération supérieure) ; de la sorte l’intérêt apporté aux dimensions rejoint en fait un souci général de conformité à des normes strictes, souci qui doit se manifester aussi bien dans l’accomplissement des rites que dans l’établissement des constructions où doivent se dérouler ces rites. Nous touchons là, semble-t-il, au but essentiel des développements consacrés à l’architecture dans les manuels que nous avons étudiés ici. Il s’agit avant tout de fournir des normes et des références qui permettent en quelque sorte de contrôler le travail accompli par les techniciens au moment de la construction du temple ou bien encore lors de travaux ultérieurs. Un témoignage ancien de ce rôle joué par les āgama nous est fourni par une inscription d’Uttaramērūr datant probablement du VIIIo siècle où il est dit que le temple de Sundaravaradaperumāl fut construit “selon les āgama” (V. Ganapathi Sthapati, An interesting inscription from Uttiramerur, Seminar on inscriptions 1966, ed. by R. Nagaswamy, Madras 1968, p. 178 et suiv. ; F. Gros et R. Nagaswamy, Uttaramērūr, Pondichéry 1970, p. 81). Beaucoup plus récemment on a vu, il y a quelques années, les desservants du grand sanctuaire de Tirupati utiliser l’autorité des āgama pour s’opposer à l’ouverture au travers de l’enceinte du temple d’une porte supplémentaire destinée à faciliter la circulation des pélerins qui en foules innombrables viennent chaque année faire leurs dévotions. Ce dernier exemple qui n’est nullement isolé montre bien comment les āgama peuvent être utilisés en quelque sorte contre les techniciens ou plus exactement par les techniciens du rituel contre ceux qui relèvent de domaines plus mondains. Il nous semble que l’on peut sans beaucoup de risques supposer qu’un tel usage n’est pas nouveau et qu’il est finalement, comme nous le disions plus haut, celui pour lequel ont été compilés nos textes. Si pour l’étude des traditions architecturales cela a pour conséquence de limiter quelque peu l’intérêt de ces textes en bornant d’une certaine manière leur domaine à ce qui touche de près ou de loin au rituel, cela présente en revanche l’avantage de nous fournir des données dont on peut dire qu’elles ont été considérées comme impératives.
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2012