L’existence individuelle
p. 171-188
Texte intégral
1L’existence de l’espace, celle du temps, objets du sujet pensant, posent en face de celui-ci la consistance d’ensemble d’un monde dont la réalité semble subsister dans une étendue extérieure à nous, dans une durée indépendante de nous. L’examen de la nature propre aux deux coordonnées de l’univers a de surcroît suggéré que ce dernier n’est pas seulement donné comme vrai dans sa totalité, mais également en chacune de ses parties : la pluralité est inscrite dans le temps comme dans l’espace, chaque instant de durée, chaque portion d’étendue sont aussi réels que les réalités infinies sur lesquelles ils se détachent.
2Mais pour passer de cette pluralité fondamentale à celle que présentent les objets concrets, un certain nombre d’obstacles restent encore, à surmonter. L’espace et le temps témoignent certes par leur seule existence que l’un et le multiple peuvent sans contradiction coïncider en des réalités continues et infinies. Mais lorsqu’il est question d’objets finis, séparés les uns des autres, et des relations qu’ils peuvent avoir entre eux, de nouveaux problème se posent. Comment chaque objet est-il légitimement dit un en lui-même et multiple en ses qualifications, et comment, par ailleurs, plusieurs réalités distinctes peuvent-elles être jointes par le moyen d’une relation qui soit unique ? Aux adversaires de l’existence de l’univers, sa pluralité apparaît par elle-même comme un tissu de contradictions. Ce monde se détruit lui-même, écrit Jayatīrtha1, résumant ainsi toutes les apories que les bouddhistes se plaisent à découvrir dans la seule pensée de la multiplicité des êtres. On ne peut en effet semble-t-il, donner du réel, en sa totalité comme en la moindre de ses parties, aucune description qui ne postule toute une dialectique de la différence, bheda, et de la non-différence, abheda. Dira-ton, par exemple, de l’étoffe qu’elle est, ou non, différente des fils qui la composent ? Répondre que les deux propositions sont vraies à la fois, revient à dire qu’aucune ne l’est. C’est de la même manière que la trame de cet univers ne peut se décrire comme une, ni comme multiple, s’exprimer par affirmations ni par négations, et que le support fallacieux qu’elle offre aux êtres enlève à ceux-ci toute consistance vraie. Peut-on parler du moindre de ces êtres en effet, sans poser des équivalences qui n’en sont pas, puisqu’on ne peut dire de la cruche qu’elle est noire, ou qu’elle est differente de l’étoffe, sans affirmer des identités entre des termes que nous savons n’être pas synonymes, sans introduire le non-être dans la description même de l’être ? Le simple jeu du même et de l’autre suffit à faire apparaître l’inanité de ce que nous appelons réel, la “Vacuité dont les apparences sont l’inexplicable et insaisissable manifestation. Bien que se gardant de telles conclusions, les advaitin dissolvent tout aussi sûrement la réalité du multiple, en lui assignant un statut intermédiaire entre existence et non-existence, statut “indéfinissable” en termes de l’une comme de l’autre, et statut provisioire, destiné à s’évanouir sans laisser de traces devant la seule vérité de l’Un.
3Madhva qui considère ces doctrines comme aussi radicalement nihilistes l’une que l’autre, se doit donc de construire en face d’elles une philosophie de la pluralité qui puisse rendre compte des relations internes et externes des êtres individuels que nous présente notre expérience. Pour ce faire, il lui faut prendre position en regard du système du nyāya-vaiśeṣika. Celui-ci a en effet décrit et classé les divers types de relations qui constituent le monde concret et permettent de le comprendre dans sa diversité. Madhva tient lui aussi que le monde est réel et que sa réalité est intelligible, il tient lui aussi que la pensée peut rejoindre le concret et le décrire tel qu’il se présente et tel qu’il est. C’est à partir des solutions du nyāya-vaiśeṣika et à travers la discussion qu’il en instaure, que sont présentées les siennes propres.
4Les naiyāyika reconnaissent deux types de relations, distinguant le simple contact spatial, saṃyoga, qui ne présente aucun caractère de nécessité, de la liaison dénommée par eux samavāya, par laquelle sont reliées de façon fondamentale les catégories dernières du réel. Cinq formes de relations se trouvent relever du samavāya : la relation qui existe entre guṇa et guṇin, entre une qualité, telle saveur ou couleur, et le support de cette qualité, permet d’affirmer qu’un même objet possède plusieurs propriétés distinctes ; la relation avayava-avayavin est celle qui unit les constituants, les “membres” au tout qu’ils composent, et fait dire que “l’étoffe est dans les fils” dont elle est tissée ; les diverses actions, kriyā, sont également reliées par samavāya à leur support, āśraya ou kriyāvat, sujet du verbe d’action ; la généralité, sāmānya, qui permet de penser sous une même notion des êtres divers, exige un samavāya capable de relier les individus concrets, les “manifestations particulières”, vyakti, à leur genre commun ; enfin une catégorie de spécification, viśeṣa, qui est requise pour rendre compte de la distinction entre les substances éternelles, appelle également un samavāya capable de joindre ces substances à leur viśeṣa.2
5Bien qu’il s’agisse dans tous ces cas d’aspects différents du problème de l’un et du multiple, ces cinq types de samavāya ne semblent pas aux mādhva correspondre à des questions de même ordre. Les unes visent le rapport de la substance à ses attributs, du dharmin unique à ses dharma multiples, les autres entendent rendre compte de la pluralité des substances, séparées les unes des autres, et cependant en relation les unes avec les autres. Ces deux ordres de problèmes sont envisagés de façon distincte par les mādhva : l’un est contenu dans la notion de viśiṣṭa, tout concret et spécifié, l’autre implique l’examen de la notion de bheda, différence qui sépare ces réalités et les divise les unes des autres.
6Le premier problème est insoluble, pensent les mādhva si l’on commence par considérer comme absolument séparés les termes, dharmin et dharma, substance et attribut, pour les unir ensuite par une relation qui, tel le samavāya, soit différente d’eux.3 Si l’on pose qu’il y a bheda, différence radicale, division, entre ces termes, comment pourra-t-on à partir d’une telle analyse, retrouver l’expérience qui ne nous les présente jamais à l’état séparé ? L’objet qu’il s’agit de décrire est donné comme un tout dont la réalité spécifique implique nécessairement des particularités individuelles, comme un existant qualifié, un viśiṣṭa. Si l’on abandonne ce fait essentiel, l’on voit apparaître aussitôt d’inévitables fautes logiques, signes infaillibles d’un raisonnement qui fonctionne à vide. C’est ce qui se produit en effet dans le cas examiné : le samavāya, catégorie factice, inventée pour résoudre un problème arbitraire, est exposé de toutes parts aux contradictions. Sa nature même de relation doit être mise en question, du fait que celle-ci est définie comme extérieure à des termes eux-mêmes séparés les uns des autres. Entre deux réalités distinctes n’est admis que le contact spatial, le saṃyoga, qui peut les rapprocher mais ne constitue pas un tout réel. La différence posée comme essentielle par les naiyāyika, entre saṃyoga et samavāya, ne pourra être maintenue si le samavāya a même fonction d’unir des termes foncièrement distincts.4 La difficulté apparaît clairement dans le cas de la relation entre les fils et l’étoffe : c’est le contact des fils qui fait l’étoffe, et ce contact est saṃyoga ; si cependant l’on dit que la relation entre les fils mis en contact et leur résultat, l’étoffe, est samavāya, on entend qu’il s’agit là d’un autre type de relation, d’une relation nécessaire ; mais une telle relation devrait pouvoir être dite indestructible, et nous savons que nous pouvons détruire l’étoffe en supprimant le contact mutuel de ses fils. Là où le saṃyoga semble suffire, à quoi bon lui adjoindre le samavāya ? Devra-t-on le lui adjoindre dans tous les cas et dire que l’aigle et le poteau sont liés nécessairement ? Comment donc distinguer une relation fortuite d’une relation essentielle : pour affirmer qu’un samavāya ne comporte pas d’exceptions ne faudra-t-il pas dire qu’il est nécessairement joint à ses termes ?5 Ceci revient à dire qu’un samavāya, pour être efficace, requiert un autre samavāya.6 La menace de régression à l’infini confirme le caractère fallacieux de l’hypothèse de départ.
7Pour éviter de telles difficultés, les adversaires répondent que le samavāya “se suffit à lui-même”, qu’il est svanirvāhaka. En ce cas, dit Madhva, il faut affirmer que le samavāya, qui joint par exemple la substance à ses attributs, n’est pas différent de cette relation même : il est la substance dans son rapport à ses qualités, il est donc tout simplement identique à la substance.7 Dire que le samavāya se suffit à lui-même, revient donc à dire que la substance se suffit à elle-même, qu’elle est ce qu’elle est, le substrat au-delà duquel on ne remonte pas, l’objet concret qui porte en lui ses relations internes.8 Ceci est exactement la position des mādhva, qui n’ont pourtant nul besoin de la notion de samavāya.
8Partons donc de la substance et non de la relation, semblent proposer les mādhva, et considérons le problème de l’attribution sous tous ses aspects. Trois positions sont possibles concernant le rapport entre le dharmin et ses divers dharma : ou bien l’on dit, comme les naiyāyika que les deux termes sont différents l’un de l’autre et l’on essaie de les unir, ou bien l’on déclare qu’ils sont absolument identiques, comme le font les advaitin, ou bien on les dit à la fois différents et non-différents, ce qui semble faire allusion à la position de Bhāskara. Madhva a montré les difficultés de la conception des naiyāyika. Il lui faut donc se prononcer entre la position de la non-différence, abheda, et la position de la différence-non-différence, bheda-abheda. Cette dernière pourrait sembler tentante si elle ne se révélait une solution de facilité : déclarer en effet que les attributs sont à la fois identiques à la substance et autres que celle-ci, ne fait que masquer le problème, en baptisant la difficulté. La relation de bhedābheda·, qui est la synthèse de deux notions contradictoires, ne peut être qu’une fausse relation. Ne possédant aucune unité intrinsèque, elle ne peut prétendre à jouer un rôle unifiant. Il est aisé de montrer son impuissance : relation entre deux termes, doit-elle être dite elle-même “différente-non-différente” de chacun d’eux ? Ceci fait apparaître le régrès à l’infini. Si, pour l’éviter on veut prendre appui sur la substance, il faut répondre à l’alternative suivante : la relation de bhedābheda, qui est censée unir la substance à ses attributs, est-elle différente de cette substance ou identique à elle ? Dans le premier cas, comment rejoindra-t-elle jamais son support afin de s’y fixer ? Dans le second, elle ne se distingue plus de celui-ci, et il est inutile de faire une telle hypothèse.9
9Il ne reste qu’une position, celle que se trouvent soutenir les advaitin avec lesquels, pour une fois les mādhva sont d’accord. Ce point de vue maintient qu’il n’y a pas de différence réelle entre substance et attribut. Les visées des deux doctrines restent cependant diamétralement opposées : les advaitin nient la différence entre ces deux termes parce qu’ils nient toute différence et ne reconnaissent d’autre vérité absolue que celle de l’unité ; les mādhva entendent par cette affirmation rendre compte du réel, tel qu’il est, dans sa pluralité donnée.
10Il n’y a pas de cas où nous puissions saisir séparément le dharmin et le dharma, pensent les mādhva, aucun pramāṇa, moyen de connaissance, qui nous permette de constater la moindre différence10 entre le substrat d’une qualité et cette qualité, le tout et les parties qui le constituent, le sujet d’une action et l’action elle-même. La couleur fait partie intégrante de l’étoffe, celle-ci est absolument identique à ses fils, et le mouvement de l’étoffe agitée par le vent ne se connaît pas comme séparé de cette dernière. Ces relations, qui correspondent aux trois premières des cinq relations acceptées par le nyāya-vaiśeṣika, sont effectivement différentes du simple saṃyoga, contact spatial, mais non parce qu’elles relèveraient d’un mystérieux samavāya : la liaison qu’elles expriment est en effet si étroite qu’elle ne peut être formulée qu’en termes d’identité.
11Mais là est toute la difficulté, dira-t-on aussitôt. Comment peut-on affirmer de telles identités par des propositions qui ne soient pas tautologiques ? Pour vouloir éviter les écueils du système naiyāyika, faut-il tomber dans des apories insolubles, qui finalement donneraient raison aux advaitin ? Si en effet nous ne pouvons parler de l’unité qu’en termes qui la démentent, n’est-ce pas que cette unité transcende notre pensée, ses moyens de connaissance et ses moyens d’expression ? A la limite, seule sera vraie l’unité du Brahman, absolument ineffable.
12C’est ici, en face d’un dilemne qui paraît sans issue, que les mādhva introduisent une notion qui leur est propre, celle de viśeṣa, de “spécification”. Entre dharmin et dharma il y a bien, disent-ils, abheda, non-différence, mais cette identité est “pourvue de spécification”, elle est sa-viśeṣa-abheda.
13Mais il est nécessaire de justifier l’usage de cette nouvelle relation et de montrer qu’il n’est pas exposé aux difficultés précédentes. Les mādhva, ayant posé l’unité avant le viśeṣa, peuvent se prévaloir d’un changement radical de perspective : le viśeṣa est relation authentique parce qu’il n’a pas pour fonction de créer une unité entre des termes supposés différents les uns des autres. Ceux-ci ayant au contraire été donnés comme préalablement identiques, il n’est pas question d’expliquer par quel moyen on réussirait à les joindre. Ce qui est en cause c’est la différence introduite en eux par les expressions du langage courant. Mais il faut remarquer aussitôt que cette différence ne brise en aucun cas l’unité de la substance, dont diverses propositions décrivent divers aspects. Une semblable diversité, loin de mettre en question l’identité du support avec lui-même, la suppose. Chaque énoncé postule la convergence en un “substrat commun” de spécifications multiples. Nous nous trouvons donc en présence d’une pluralité qui ne contredit nullement l’unité, mais au contraire la met en évidence. Il reste absolument vrai de dire que le dharmin et le dharma sont non-différents l’un de l’autre, mais il est possible d’introduire entre eux comme une distance provisoire, qui permet de distinguer sans les séparer deux termes qui n’en font qu’un. Telle est la fonction du viśeṣa selon les mādhva : il n’est pas différence, car il ne joue son rôle que sur un fond d’unité ; il “crée les effets de la différence, là où il n’y a pas de différence” ; il est, dit Jayatīrtha, bheda-pratinidhi, “substitut de la différence”.11 Il doit donc être conçu comme intérieur à la relation même qui joint par identité la substance à ses attributs, non qu’il crée cette relation, mais plutôt qu’il en écarte les termes pour manifester la force d’attraction qui les unit.
14La nécessité du viśeṣa apparaît comme la condition de toute activité mentale, de toute tentative de description du réel, de tout énoncé affirmant des identités spécifiées. Sa nécessité est telle qu’elle est, pensent les mādhva, sous-jacente à toutes les théories qui l’ignorent. Les advaitin, qui doivent admettre, au moins à titre provisoire, que la Révélation parle de l'unique Brahman, en énonçant “ce qu’Il n’est pas”, sont bien obligés de reconnaître que des tels énoncés ne sont pas composés de mots parfaitement synonymes entre eux ; s’il en est ainsi, il faut bien penser qu’ils représentent des identités spécifiées, utilisent le viśeṣa.12 Les partisans de la “différence-non-différence” ne peuvent, eux non plus, parler de cette relation sans faire intervenir le viśeṣa : dire que les attributs sont “différents-non-différents” de la substance, signifie qu’ils sont identiques à elle “sous un certain rapport”, autres qu’elles “sous un autre rapport”, c’est-à-dire selon telle ou telle spécification, tel ou tel viśeṣa.13 Enfin les naiyāyika ne peuvent utiliser une unique relation, le samavāya, en vue de joindre des couples de termes dans lesquels chacun se trouve, vis à vis de l’autre, en relation inverse de celle de sa contre-partie vis à vis de lui-même, sans sous-entendre que chaque cas représente une “spécification” du samavāya.14
15La notion de viśeṣa se présente donc comme une exigence interne de la pensée, condition de son application exacte au réel. Faut-il en conclure qu’elle est un produit de l’activité mentale et correspond à quelque opération analogue à l’abstraction, à une distinction de raison, dissociant des éléments de façon tout idéale ? Telle n’est certainement pas la pensée des mādhva, pour lesquels il n’est aucune conception vraie qui n’ait son répondant dans le réel. Si donc nous pensons le viśeṣa en vérité, c’est qu’il existe réellement dans les choses. Il faut le connaître comme une capacité inhérente à la substance elle-même15 : si nous pouvons discerner tel de ses attributs, c’est qu’il existe en elle comme un pouvoir de se faire connaître sous tel de ses aspects. Les termes de “puissance du viśeṣa” ou “force du viśeṣa”, viśeṣa-śakti ou viśeṣa-bala, qui reviennent fréquemment dans les écrits mādhva confirment cette interprétation. La notion de viśeṣa possède un dynamisme propre, elle exprime comme une expansion de la substance, apte à rayonner à partir d’elle-même les divers aspects que nous saisissons d’elle. La puissance du viśeṣa ne se distingue pas en définitive de la cohésion intime de chaque réalité, de sa densité d’existence, qu’elle manifeste à travers la diversité et grâce à celle-ci.16 Ceci explique que le terme de viśeṣa puisse être donné comme synonyme de padārtha-śakti, “puissance d’une entité”, ou de vastu-sāmarthya, “capacité de la chose”.17
16Dans cette perspective il est possible de dire que le viśeṣa est svanirvāhaka, “se supportant lui-même”, sans que ceci représente un aveu d’impuissance analogue à celui auquel les mādhva acculaient leurs adversaires. Ceux-ci pour éviter le régrès à l’infini menaçant toute relation différente de ses termes, ou seulement différente-non-différente d’eux, devaient finalement déclarer que cette relation se suffisait à elle-même. Les mādhva leur demandaient alors si une relation de ce genre était, ou non, différente de la substance, et si la réponse était qu’elle n’en différait pas, ils se déclaraient satisfaits. Ils avaient en effet amené leurs adversaires à leur propre position : si la relation se supporte elle-même, c’est qu’elle n’est pas différente de la capacité par laquelle la substance se supporte elle-même, elle n’est pas différente du viśeṣa dont telle est justement la définition.18 Dire donc que le viśeṣa est svanirvāhaka exprime très exactement le caractère irréductible du concret, le fait pour chaque chose d’être ce qu’elle est dans son individualité, provisoirement peut-être, mais véritablement infrangible.19
17Une conséquence de la capacité du viśeṣa à se supporter lui-même est que le viśeṣa peut supporter d’autres viśeṣa, peut donc se spécifier sans que la relation qu’il manifeste se distende en aucune manière, sans qu’aucune fissure s’introduise dans le rapport dharmin-dharma.20 L’objection de régrès à l’infini, que suggère aussitôt l’expression “spécification de spécification”, ne peut être retournée contre les mādhva, car ces spécifications secondaires n’ont aucunement fonction de chaînons destinés à relier le viśeṣa à quelque terme dont il serait distinct. Solidement enraciné dans la substance, le viśeṣa peut se ramifier sans se diviser de celle-ci ni de lui-même. Il se peut ainsi qu’une chose acquière, par une cause adventice, quelque spécification supplémentaire, que l’étoffe soit teinte par exemple, sans que l’on dise pour autant que ce nouveau viśeṣa lui appartienne moins étroitement que les autres. Tout se passe, semble-t-il comme dans un phénomène d’aimantation : de même que la limaille aimantée devient elle-même aimant, les viśeṣa acquis s’intégrent à la substance aussi fermement que s’ils en étaient des qualifications premières, au point qu’ils sont à leur tour capables de porter de nouvelles spécifications.
18Il se peut même que le “tout qualifié”, le viśiṣṭa, soit le résultat d’une composition accidentelle, mais une fois cette composition réalisée et tant qu’elle dure, elle constitue un ensemble véritable.21 Si l’on prend l’exemple de “l’homme porteur d’un bâton”, du daṇḍin, le bâton, daṇḍa, tenu par Devadatta, compose avec celui-ci un viśiṣṭa réel, désigné par un substantif unique, et qui demeure tel jusqu’au moment où l’homme jette le bâton. Il faut ici distinguer deux temps : avant que le viśiṣṭa soit formé, Devadatta représente le viśeṣya, “la réalité à qualifier”, et le bâton est le viśeṣaṇa, “le moyen de qualification”, et ces deux réalités sont absolument séparées ; mais une fois la composition accomplie une relation nouvelle est créée, relation d’identité spécifiée, joignant le tout qualifié, viśiṣṭa, à toutes ses qualifications, viśeṣa, qui ne sont plus séparées de lui : ce nouveau viśiṣṭa s’assimile tous les caractères de Devadatta, et c’est du daṇḍin que seront affirmés maintenant les attributs qui lui appartiennent.
19Ceci ne signifie pas que tous les viśeṣa se trouvent sur le même plan. Certains sont si intérieurs à la substance qu’ils se confondent avec son essence même. D’autres sont périphériques et ne lui appartiennent que pour un temps.22 Certains sont donc conformes à la substance, yāvaddravya, d’autres lui sont accidentels, ayāvaddravya.23 Les transformations subies par la substance mettent en évidence cette distinction, manifestant quels viśeṣa peuvent être séparés de la substance sans la détruire, quels au contraire lui sont essentiels. Mais dans le moment actuel, un ensemble réel est absolument digne du nom de viśiṣṭa, quelle que soit la façon dont il ait été produit, quelle que soit la durée de son existence.24 Ainsi l’étoffe est un viśiṣṭa, bien qu’elle ne soit pas indestructible : la mise en contact des fils a produit en eux un viśeṣa, la spécification nouvelle d’être “en connexion mutuelle”, et l’étoffe est “non-différente des fils tissés”. La relation de sa-viśeṣa-abheda régit donc tout rapport de type avayava-avayavin, comme elle régit les autres rapports de spécifications, celui de qualité, guṇa, ou celui d’action, kriyā. De cette manière, trois des relations reconnues par le nyāya-vaiśeṣika se trouvent expliquées par le viśeṣa.
20Restent les deux catégories de sāmānya et de viśeṣa, dont le samavāya rendait compte dans ce même système. La première implique l’existence de notions abstraites, qui subsisteraient, chacune unique et éternelle, en la multitude des êtres particuliers : le samavāya aurait donc pour fonction de relier celles-ci à ceux-là. Madhva rejette l’existence séparée d’entités qui seraient des notions abstraites, et il affirme fortement que nous connaissons exclusivement des individus particuliers, pourvus de leurs caractères tout aussi spécifiques.25 Il se plaît à poser aux partisans des idées générales diverses apories qui confirment le caractère arbitraire d’une telle supposition. Si l’on pense telle notion générale, distincte des individus et liée à eux par samavāya, comment pensera-t-on la généralité de cette notion générale elle-même ? Un nouveau samavāya sera requis, renouvelant la menace du régrès à l’infini. Jayatīrtha pose une difficulté supplémentaire : comment peut-on parler de l’existence de ces notions générales ? Si l’on dit qu’elles existent, il faut leur attribuer une qualité générale, le fait d’exister, l'astitva. De cet astitva, dira-t-on qu’il existe ou non ? Si on le nie, on se contredit soi-même, mais affirmer l'astitva de l'astitva ouvre une nouvelle alternative : ou bien l’on considèrera ces notions comme séparées l’une de l’autre, et l’on s’exposera à la même demande, indéfiniment ; ou bien l’on dira que ces deux termes n’en font qu’un, et l’on avouera que le fait d’exister n’est pas différent de l’existence elle-même. Cependant l’on a pu leur appliquer la relation dharmin-dharma, “support-attribut”, alors qu’on les a reconnus être identiques, l’on a donc implicitement utilisé le viśeṣa,26 Il n’en faut pas plus pour mettre en évidence le caractère définitivement concret de toute existence et refuser cette qualité d’exister aux notions abstraites. De ce fait, puisque les sāmānya ne se trouvent jamais hors des choses, il est bien évident que le samavāya destiné à leur relier celles-ci devient inutile.
21La dernière catégorie pour laquelle les naiyāyika usent du samavāya, est la catégorie de viśeṣa. Sous la similitude des termes, les notions signifiées sont très différentes dans les deux écoles, et les mādhva n’ont pas de peine à montrer que le problème auquel répond le viśeṣa de leurs adversaires ne se pose pas pour eux. En effet le système du nyāya-vaiśeṣika conçoit le viśeṣa comme une entité adjointe par samavāya aux substances éternelles, pour les distinguer entre elles. Il joue en particulier ce rôle pour les atomes : sa fonction est de faire exister ces atomes de façon diverse, c’est-à-dire en des points divers de l’espace.27 Les mādhva contestent l’utilisation de la notion de viśeṣa en un tel sens ; le viśeṣa des naiyāyika n’est pas à proprement parler un agent de spécification des atomes puisque ce système les conçoit comme préalablement pourvus de qualités spécifiques. Quant à son rôle propre, qui est de permettre le contact entre chaque atome et un point défini de l’espace, il n’a de raison d’être que dans un système pour lequel l’espace est absolument non-divisé. Il est certain que la localisation dans un espace indivisible, d’atomes dépourvus de parties, requiert quelque artifice dont témoigne l’invention du viśeṣa.28 Mais les mādhva ignorent un tel problème, car ils refusent la notion d’atome comme contradictoire en elle-même : il n’y a pas d’arrêt dans la division de l’étendue, tout objet étendu se trouve en droit divisible à l’infini,29 et l’on ne peut en sens inverse tirer les réalités étendues d’une composition d’atomes inétendus. D’autre part ils ont montré que la notion d’espace implique celle des parties de cet espace. Il n’y a donc aucune difficulté à concevoir le contact des parties de l’espace avec les parties des objets qui se trouvent dans l’espace.
22Ayant ainsi écarté les deux catégories du nyāya-vaiśeṣika qui correspondent à des problèmes que leur propre système n’accepte pas, les mādhva peuvent donc dire, au terme de cette discussion, que leur conception du viśeṣa rend compte par elle seule de toutes les relations intérieures à la substance. La simplification opérée n’est pas seulement économie d’hypothèses, elle permet en outre à la pensée de rejoindre le réel sans se heurter aux difficultés que multiplient les partisans de l’irréalité du monde.30 Il n’est que de prendre l’existence telle qu’elle est, de la décrire dans son caractère essentiel, qui est d’être un fait irréductible, pour faire apparaître les notions qui à la fois expriment et expliquent cette irréductibilité.
23Mais montrer que le viśeṣa est l’hypothèse la plus simple et la meilleure, suffit-il à prouver qu’il existe ? Les mādhva rejettent l’autorité du raisonnement “indépendant,” c’est-à-dire qui ne s’appuierait pas sur le contenu d’une expérience. L’hypothèse arthāpatti, affirment-ils, n’est pas un pramāṇa par elle-même, elle n’est qu’une forme du raisonnement, soumise comme lui au fait, et ne pouvant atteindre la vérité par ses seules forces. Si donc les mādhva présentent leur conception comme l’hypothèse la plus satisfaisante, c’est au plan de la discussion d’un système qui avait avancé une autre hypothèse, celle du samavāya. Mais il est certain que là n’est pas leur dernier mot au sujet d’une notion qui est au centre de toute leur doctrine, à la base de toutes leurs explications.
24Par quelle expérience cependant pouvons-nous appréhender le viśeṣa, pouvoir interne de la substance, force de cohésion de chaque réalité, capacité cachée au cœur même de la relation du substrat et de ses attributs ? Madhva ne craint pas d’affirmer que le viśeṣa est connu par perception, pratyakṣa, mais cette perception est celle du sākṣin. Bien que le viśeṣa ne figure pas dans les listes,31 par ailleurs ouvertes, des objets du sākṣin, un texte formel de l'Anuvyākhyāna déclare que “tous ces viśeṣa sont assurément objets de la perception du témoin”.32 Ceci signifie donc que le viśeṣa est donné à l’évidence intellectuelle comme une vérité immédiate, mais ceci ne signifie pas qu’il lui soit donné comme une entité isolée qui puisse être saisie à part de l’expérience sensible. Par analogie avec la connaissance de ces autres objets du sākṣin que sont l’espace et le temps, il est possible de comprendre le viśeṣa comme une catégorie du réel, qui s’impose à la pensée dans toutes les démarches par lesquelles elle appréhende une vérité d’existence. Ainsi le viśeṣa est connu “dans” les choses, dans la mesure où nous les jugeons vraies, où nous ne les prenons pas comme un assemblage illusoire de données hétérogènes, dans la mesure où nous savons que ces données convergent vers un noyau de réalité. Ce jugement qui provient de seul “témoin”, informe notre perception sensible de telle sorte que, par un unique acte de perception, nous “voyons” les choses et leur existence.
25Selon une démarche qui lui est familière, Madhva confirme sa position par le témoignage de l’activité pratique, celle de l’action et du langage, tout l’ensemble des comportements désignés par le terme de vyavahāra. En celui-ci se révèle comme spontanément cette science innée du vrai qui est celle “témoin,” laquelle nous garantit la valeur de nos certitudes pratiques. Madhva donne du mot vyavahāra une “étymologie” qui vise à en exclure toute nuance relativiste et à fonder sa vérité dans celle du jugement porté par le sākṣin : vyavahāra signifierait “ce qui a efficacité”, vyavasāyin, “grâce au sākṣin”.33 C’est pourquoi, continue le texte, “pour fonder ce vyavahāra, reconnu par tous, c’est le sākṣin, sans défauts, que toujours nous devons seul accepter”. Il est remarquable que ces considérations suivent immédiatement le passage qui affirme que les viśeṣa sont les objets de la perception du sākṣin, signifiant par là que tous nos comportements spontanés supposent une certaine connaissance du viśeṣa. Ceci doit être rapproché de l’argument employé contre les adversaires : ceux-là mêmes qui ignorent ou nient le viśeṣa ne peuvent éviter d’en faire usage sous une forme ou sous une autre.
26Telle semble donc être l’“expérience” qui donne valeur à l’hypothèse du viśeṣa. Elle est si fondamentale qu’elle fonde toute expérience objective et toute description de cette expérience. Percevoir le moindre objet comme réel, c’est le percevoir comme possédant sa capacité propre d’existence, c’est le connaître comme ce tout concret, ce viśiṣṭa, identique à ses viśeṣa, rayonnant par eux la multiplicité de ses aspects, manifestant par eux l’unité en laquelle ils s’enracinent.
Notes de bas de page
1 N.S., II. 2.189 (p. 56b) sarvam idaṃ svavyāhatam/
2 N.S., II. 2. 95 (p. 122b) vaiśeṣikādayo’vayavāvayavinor guṇaguṇinoḥ kriyākriyāvator jātivyaktyor viśeṣanityadravyayor atyantabhedam abhyupagamyātyantabhinnam eva samavāyākhyaṃ sambandham abhyupagacchanti/“Les vaiśeṣika et autres, considérant qu’il y a séparation absolue entre avayava et avayavm, guṇa et guṇin, kriyā et kriyāvat, jāti et vyakti, viśeṣa et substance éternelle, considèrent qu’il y a également une relation absolument séparée (de ces termes) et qu’ils appellent samavāya”.
3 atyantabhinna/cf. note précédente.
4 A.V., II. 2. 95 [6] (p. 25b) kāryakāraṇayoścaiva gunādeḥ pañcakasya ca/bhinnasyaiva tu sambandhaḥ samavāyo’nya īryate/bhinnatvasāmyatas tasya tābhyāṃ yogo bhaved dhruvam/“Quant à ce lien différent qui existerait entre les cinq couples, effet et cause, qualité etc., eux-mêmes séparés, et que l’on appelle samavāya, comme il est également séparé, il doit y avoir certainement entre ces couples et lui une relation de saṃyoya”. Jayatīrtha explique l’expression cause-effet comme répondant à la relation avayava-avayavin : les fils sont les avayava, les constituants de l’étoffe, c’est pourquoi on les dit ses causes.
5 N.S., ibid., (p. 123a) yadi vyabhicāraparihārāya samavāyasyāpi samavāyāntaram upeyate/tadānavasthitir iti/“Si pour supprimer les exceptions, le samavāya requiert un autre samavāya, alors c’est le régrès à l’infini”.
6 N.S., II. 2. 95 (p. 122b) tena samavāyasyāpi tantupaṭābhyāṃ samavāyo’bhyupagantavya eva syāt/“par là il vous faudrait aussi concevoir un samavāya entre ce samavāya (d’une part) et les fils et l’étoffe pris ensemble (d’autre part)”.
7 A.V., II.2. 96 [6] (p. 25b) sa svanirvāhakaścet syād dravyam eva tathā na kim/“Si l’on dit que le samavāya se supporte lui-même, pourquoi ne pas dire cela de la substance ?”
8 N.S., ibid., (p. 127a) samavāyaḥ sambandhātmakatvāt svanirvāhako na dravyam iti cenna/tadasiddhau sambandhatvasyāpyasiddheḥ/saṃyogasyāpi svanirvāhakatāpatteśca/tasyānityatvān neti cenna/samavāyanityatvasyāsiddher iti/ “Si vous dites : le samavāya se supporte lui-même parce qu’il est une relation, mais non la substance. Nous le refusons : puisque le samavāya n’est pas prouvé, sa nature de relation n’est pas prouvée, et il s’ensuivrait pour le saṃyoga la même propriété de se supporter lui-même. Ceci n’est pas pour le saṃyoga, parce qu’il est temporaire. Nous répondons que l’on n’a pas prouvé que le samavāya fût éternel”.
9 N. S., I. 2. 25 (p. 56b) kiñca bhedābhedayor api vastunā parasparaṃ ca bhedābhedāntarābhyupagame’navasthā/svanirvāhakatve tu viśeṣāṅgīkāraḥ/bhede vastuni bhedābhedāviti vyavahārānupapattiḥ/vastunā tayoḥ sambandhābhāvāt/atyantābhede'pi vastuni bhedābhedāvityādhārādheyabhāvo dvivacanaṃ cānupapannaṃ syāt/vastutanmātratvāt/“Bien plus entre ce lien de bheda-abheda et la chose, et entre les deux ternies de ce lien, il faut concevoir une nouvelle relation de bheda-abheda et c’est le régrès à l’infini. Si vous dites que cette relation se supporte elle-même, c’est que vous admettez le viśeṣa. Si vous dites que cette relation est séparée de la chose, vous ne pouvez plus parler de votre différence-non-différence, parce qu’il n’y a pas de relation entre ces deux (différence et non-différence) et la chose. Si vous dites qu’il y a absolue non-différence avec la chose, il serait impossible d’employer le duel (bhedābhedau) et de parler de relation de support à supporté, parce que votre relation ne serait rien autre que la chose”.
10 N.S., II. 2. 102 (p. 138a) anubhūyate ca tantupaṭādibuddhiḥ kuṇḍabadarādibuddher vilakṣaṇetyābhedaviṣayaiva sāvasīyate/kiñca paṭotpatteḥ prāg yāvantaṃ deśam avaṣṭabhya tantavas tiṣṭhantipaṭo’pi tāvantam eva/na ca mūrtayoḥ samānadeśatvaṃ yujyate/tena jñāyate tantvabhinnaḥ paṭa iti/“Puisque la représentation des fils et de l’étoffe est donnée par l’expérience comme distincte de la représentation des fruits dans la jatte, il est certain qu’elle a pour objet une non-différence. Bien plus, avant la production de l’étoffe, les fils occupent un espace défini, le même que celui qu’occupera l’étoffe. Et il n’est pas possible que deux objets solides aient même emplacement. C’est pourquoi nous disons que l’étoffe est connue comme non-différente des fils”.
11 N.S., II. 2. 102 (p. 138a) yatra kevalam abhedaḥ pratīyate na tatra sāmānādhikaraṇyavyavahāro bhavati/yathā ghaṭaḥ kalaśa iti/atra tvahhedaḥ pratīya māno viśeṣeṇa sahita eva pratīyate/viśeṣaśca bhedapratinidhiḥ sāmānādhikaraṇyavyavahāraṃ prasūta iti/“Là où l’on connaît la simple identité l’on n’emploie pas la notion de support commun, comme lorsqu’on dit ‘le pot, la cruche’ ; mais bien là où l’on connaît la non-différence accompagnée du viśeṣa ; et le viśeṣa, substitut de la différence est dit engendrer l’emploi de la notion de support commun.” (Cf. Ie part, ch. 1, n 2 p. 55).
12 A.V., I. 2. 26 [6] (p. 12a) akhaṇḍavādino’pi syād viśeṣo’nicchato’pyasau/vyāvṛtte nirviśeṣe tu kiṃ vyāvartyabahutvataḥ/“Le partisan de la non-division possède aussi le viśeṣa, même s’il n’en veut pas. Si le Brahman, dépourvu de viśeṣa, est connu par négation, pourquoi une pluralité de termes à nier ?”
13 N.S., I, 2. 25 (p. 56b) bhedābhedavādinā tvavaśyam aṅgīkaraṇīyo viśeṣaḥ/parasparaviruddhayor bhedābhedayor ekatra tam antareṇānupapatteḥ/“Quant au bheda-abheda-vādin, il lui faut nécessairement admettre le viśeṣa, parce qu’il n’est pas possible que deux contradictoires, différence et non-différence, existent ensemble, en un seul objet, sans lui”.
14 N.S., I. 2. 25 (p. 56b) api caikasvabhāva eva samavāyaḥ/sa katham avayavādīṇ ādhāratvenāvayavyādīn ādheyatvena niyacchet/avayavādīnāṃ svabhāvabhedād iti cet/alaṃ tarhi samavāyena/atha samavāyasyaiva vicitrabhāvatvaṃ tadā saviśeṣatvam eveti/“En outre votre samavāya a une unique nature : comment pourra-t-il régir les avayava, en tant qu’ils sont supports, les avayavin, en tant qu’ils sont supportés. Si vous dites : ‘parce que ceci est dû à la différence de nature des avayava et des autres’, en ce cas plus besoin de samavāya. Ou bien, c’est le samavāya lui-même qui a une nature variée, alors c’est qu’il est pourvu de viśeṣa”,
15 A.V., II. 2. 98 [6] (25b-26a) dravyam eva tato nantaviśeṣātmatayā sadā/nānāvyavahṛter hetur anantatvaṃ viśeṣataḥ/ “Ainsi c’est la substance elle-même, du fait qu’elle est constituée de viśeṣa infinis, qui est constamment cause de la variété d’expressions que l’on emploie ; l’infinité est par le viśeṣa”.
16 N.S. ibid. (p. 127b) tathā guṇaguṇyādīnām atyantābhede’pi guṇādīnāṃ dravyaviśeṣatvena dravyam eva viśeṣaśaktyaivāparyāyaśabdavācyatvādivyavahārahetur bhaviṣyati/“Ainsi, bien qu’il y ait non-différence absolue entre guṇa et guṇin etc., du fait que les guṇa etc., existent comme viśeṣa de la substance, c’est la substance même qui deviendra, par la puissance du viśeṣa, cause de l’emploi des mots non-synonymes”.
17 Cf. Ie part. ch. 1 pp. 54 ss.
18 A.V., II. 2. 99 [6] (p. 26a) viśeṣaśca viśeṣī sa svenaiva samavāyavat/kalpanāgurutādoṣāt padārthāntaratā na hi/ “Et le viśeṣa est lui-même porteur du viśeṣa par lui seul, car il n’y a pas défaut d’excès d’hypothèses comme pour le samavāya, parce qu’il n’est pas une autre réalité”,
19 N.S. ibid (p. 130a) yathā samavāyaḥ svenaiva samavāyī na sambandhāntareṇetyabhyupagamyānavasthā pareṇa parākriyate/tathā sa dravye’nekavyavahāranirvāhahetur viśeṣaśca svenaiva viśeṣī na punar viśeṣāntareṇa/ato na kaścid doṣa iti/samavāyavad ityupalakṣaṇam/sattāntyaviśeṣavaccetyapi draṣṭavyam/yathā dravyaguṇakarmasu sadvyavahārahetuḥ sattā svenaiva satī svīkṛtā/yathā ca nityadravyeṣvatyantavyāvrttipratyaye hetur antyo viśeṣaḥ svenaivātyantavyāvṛttas tathaiveti/“De même que notre adversaire écarte le régrès à l’infini en disant que le samavāya est pourvu de samavāya par lui-même seulement, et non par une nouvelle relation, de même nous disons que ce viśeṣa qui, dans la substance est cause des diverses façons dont on l’exprime, est seulement par lui-même pourvu de viśeṣa, et non par l’effet d’un autre viśeṣa. Ainsi il n’y aucune difficulté, comme dans le cas du samavāya, est-il sous-entendu. (Jayatīrtha pense que le mot samavāyavat, cf. texte de Madhva, note précédente, porte sur les mots qui le précèdent et qu’il faut le sous-entendre à nouveau dans la seconde partie du śloka.) Il faut voir qu’il en est comme de ‘l'existence’ et du ‘viśeṣa ultime’ (de votre système). De même que le fait d’exister, cause des diverses façons de parler de l’être comme substance, qualité, action, existe, comme vous l’admettez, par soi-même ; et de même que votre viśeṣa ultime, cause de la représentation de distinction absolue entre les substances éternelles, est lui-même par lui-même absolument distingué, c’est de la même façon que nous le disons”.
20 N.S., II. 2. 99 (p. 130a) nanvayaṃ nānāvyavahāranirvāhahetur viśeṣo yadi dravyātmaiva kathaṃ tarhi dravyasya viśeṣaḥ syāt/tadīyatāyā bhedavyāptatvāt/maivam/vināpi bhedena tatpratinidhinā viśeṣeṇaiva viśeṣasya tadīyatopapatteḥ/ “Mais si ce viśeṣa, cause de la diversité de nos expressions, est l’essence même de la substance, comment peut-il être un viśeṣa de la substance, car l’appartenance implique la différence ? Non pas : parce qu’il est possible que cette appartenance soit une propriété du viśeṣa, sans qu’il y ait de différence, par le seul fait du viśeṣa, qui est substitut de la différence”.
21 N.S., II. 2. 139 (p. 25a-b) viśiṣṭākāro na viśeṣaṇaṃ nāpi sambandhaḥ kiṃ nāma viśeṣyam/ na ca tanmātram/dvividho hi viśiṣṭākāraḥ/yāvadviśeṣyabhāvyayāvadviśeṣyabhāvī ca/tatrādyo viśeṣyeṇātyantābhinnaḥ/yatheśvaraḥ svarūpeṇa sarvajñaḥ/.../dvitīyas tu viśeṣyeṇa bhinnābhinnaḥ/yathā parvatenāgnimān/yathā hi saṃyogaviśeṣasacivās tantavaḥ paṭākāreṇa pariṇamante/tathāgantukaviśeṣeṇa sambandhād viśeṣyasvarūpaṃ viśiṣṭākāreṇa pariṇamate/ / “La forme composée (viśiṣṭa-ākāra) n’est pas le moyen de qualification (viśeṣaṇa), ni non plus la relation, mais c’est la réalité à qualifier (viśeṣya). Mais ce n’est pas uniquement celle-ci. Car le viśiṣṭa-ākāra est de deux sortes : celui qui existe selon le viśeṣya et celui qui n’existe pas selon lui. Le premier est entièrement non-séparé du viśeṣya, comme l’on dit : le Seigneur est omniscient par essence... le second peut être séparé ou non-séparé du viśeṣya, comme pour la montagne le fait qu’elle soit en feu, ou comme pour les fils qui, unis par un contact déterminé, se transforment en étoffe ; ainsi, par un lien avec un viśeṣa accidentel l’essence propre du viśeṣya se transforme en viśiṣṭa-ākāra”.
22 A.V., II. 2. 107 ss. [6] (p. 26a) asmatpakṣe guṇādyāśca tadvanto hi viśeṣataḥ/ananyatvānnānavasthā bhedo nāśe bhavet tathā/ viśeṣam eva saṃśritya.../ “Dans notre position, les qualités etc., et les supports de celles-ci existent grâce au viśeṣa : comme nous nous appuyons uniquement sur le viśeṣa, il n’y a pas régrès à l’infini, car il n’y a pas de différence (entre les qualités et la substance), la division ne se produit que lorsque la substance est détruite”.
Jayatīrtha ici encore précise que ceci ne revient pas à la doctrine bheda-abheda, comme le lui objectent ses adversaires : kiṃ bhedābhedābhyupagamena/maivam/ viśeṣaya bhedakāryavyavahāramātranirvāhakatvena vināśaṃ pratyanirvāhakatvāt/ sakalabhedakāryakāritve viśeṣo bheda eva na tatpratinidhiḥ syāt/ “A quoi bon accepter (maintenant) la doctrine bheda-abheda ? Pas du tout : car le viśeṣa supporte seulement les usages qui ont pour effet la différence, et ne supporte rien qui ait rapport à la destruction de la chose. Si le viśeṣa produisait tous les effets de la différence, il serait différence et non viśeṣa” (p. 150a-b).
23 ou yāvadviśeṣya et ayāvadviśeṣya, cf. note 1 p. 181.
24 A.V., II. 2. 110ss. [6] (p. 26a) abhinno bhagavānsvena tadanyena vibhedavān/ nityā dharmās tadīyās tu sarve’smān naiva bhedinaḥ/ sāmastyocchedino’nyatra dharmā ubhayarūpiṇaḥ/ “Le Bienheureux est sans division en lui-même, il est divisé de ce qui est autre que lui. Tous les attributs qui lui appartiennent sont éternels, n’étant absolument pas divisés de lui. Ailleurs, les attributs qui sont voués à se séparer de leur totalité sont de deux sortes”, (c’est-à-dire divisés et non-divisés de leur support). Mais ceci ne revient pas à la doctrine bheda-abheda : il s’agit de la “différence des temps” dit Jayatīrtha. Tant que dure la composition, les attributs même temporaires ne sont pas séparés de leur support.
25 A.V., II. 2. 121 ss. [6] (p. 26b) naratvādikam apyevaṃ tattaddharmatayeyate/ na sarvadharma eko’sti samudāyas tu bhinnagaḥ/ etādṛśaṃ ca sādṛśyaṃ padārtheṣu pṛthak pṛthak/ “L’humanité est de même considérée comme un attribut de tel ou tel homme : il n’existe pas un attribut unique appartenant à tous, mais une collection qui suppose des êtres différents. Et la ressemblance est de même, existant dans chacune des réalités”. Jayatīrtha explique que la ressemblance n’est pas un attribut commun aux choses qui se ressemblent, mais qu’elle repose de façon différente sur chacun de ses termes : anayoḥ sādṛśyam ityādeścāsyānyena sādṛśyam asyānyena sādṛśyam iti upapatteḥ/ “parce qu’il est possible de dire que, lorsqu’on parle de ressemblance entre deux choses, il s’agit de la ressemblance de celle-ci par rapport à l’autre, de celle-ci par rapport à l’autre”. Il en sera de même pour la différence (cf. chapitre suivant) : chaque chose à sa manière à elle de différer des autres.
26 N.S., II. 2. 106 (p. 142a-b) dharmapadārthaṃ dravyādibhyo bhinnam abhyupagacchan praṣṭavyaḥ/astitvādidharmeṣvapyastitvādikam asti na vā/ neti pakṣe’nubhavavirodhaḥ astitvaṃ na jñeyaṃ nābhidheyam iti svakriyāvirodhaśca/ anyathā dravyādiṣvapi tadabhāvāpattiḥ/ ādye tadāśrayato bhinnam abhinnaṃ vā/ ādye tatrāpyastitvādyantaram ityanavasthā syāt/ dvitīye tvasti tāvat tatrāpi dharmadharmyādivyavahāraḥ/ sa cānupapadyamāno viśeṣaṃ gamayatīti/ “A celui qui tient qu’il existe une entité, l’attribut, séparé des substances etc., il faut demander : est-ce que dans les attributs d’existence par exemple, il y a ou non un attribut d’existence ? S’il répond non, il contredit l’expérience, et s’il répond que l’attribut d’existence n’est ni connaissable ni exprimable, il contredit sa propre construction, car il n’existerait pas non plus dans les autres cas, pour les substances elles-mêmes etc. S’il répond qu’il existe, son existence est-elle séparée ou non-séparée de son support : dans le premier cas il lui faudra aussi un attribut d’existence, et ce sera le régrès à l’infini. Si elle n’est pas séparée de son support c’est que, au moins dans ce cas, l’on parle de l’attribut, du support d’attribut etc., (en même temps) et cette façon de parler ne leur étant pas acceptable, elle conduit au viśeṣa”. Les vaiśeṣika disent en effet que l’existence, sattā, est un terme au-delà duquel il n’est pas possible de remonter, cf. plus haut note 1 p. 180.
27 M.S.S.S., p. 9a-b : nanu gaganaṃ tāvad vibhu/ tasya sakalamūrtadravyasaṃyogo vaktavyaḥ/ sa ca naikadeśāvacchedena/ tasyākhaṇḍatvenaikadeśābhāvāt/.../ ato gaganādivibhudravyasya ghaṭādinā saṃyogatadabhāvobhayanirvāhako viśeṣo'nanyagatyā svīkaraṇīyaḥ/.../ paramāṇuṣu yadyapi paramāṇutvajātir itaravyāvṛttihetur asti/ tathāpi paramāṇvantarādisaṃyogatadabhāvasiddhyarthaṃ viśeṣasyāvaśyakatvāt/ anityadravyeṣvapi na viśeṣas svīkāryaḥ/ teṣām avayavatvena pradeśabhedena saṃyogatadabhāvayor upapatteḥ/ “Mais du fait que l’espace est omni-pénétrant, il faut le dire en contact avec toutes les substances concrètes. Et ce contact ne se fait pas par la division de l’espace en lieux déterminés, parce qu’il est sans coupure, ne possédant pas de pluralité de lieux... Aussi parce qu’il n’y a pas d’autre issue, il faut admettre un viśeṣa qui permette à la fois le contact et l’absence de contact entre la substance omni-pénétrante de l’espace et les objets, cruches etc. ;... Pour les atomes ultimes, bien que la catégorie à laquelle ils appartiennent soit cause de leur distinction, pourtant pour rendre compte du contact et de l’absence de contact d’un atome avec un autre, le viśeṣa est nécessaire. Mais pour les substances non-éternelles il n’est pas besoin de viśeṣa : comme elles ont des parties, le contact et son absence sont possibles par la différence des lieux qu’elles occupent”. La réponse des mādhva est que tout est divisible, aussi bien l’espace que les atomes : atrocyate/ gaganaparamāṇvādīnām api sāvayavatvena saṃyogatadabhāvayoḥ sambhavāt/“ici il est dit : parce qu’il est possible que le contact et son absence, entre l’espace et les atomes, se fasse du fait qu’ils sont, eux aussi, pourvus de parties”.
28 ibid., p. 10a : kiñca paramāṇor avayavānaṅgīkāre tasya daśadikṣvabhisambandho na syāt/ “Bien plus, puisque vous considérez que l’atome est sans parties il ne peut être en relation avec les dix directions (de l’espace)”.
29 A.V., II. 2. 84 [6] (p. 25a-b) ataḥ sarvapadārthānāṃ bhāgāḥ santyeva sarvadā/ sarvadikṣvapi sambandhād avibhāgas parāṇutā/ “Ainsi toutes les réalités sont toujours, sans exception, pourvues de parties, parce qu’elles sont en relation avec toutes les directions : l’atomicité c’est le fait de n’avoir pas de parties”. Jayatīrtha précise que l’atome ultime est pourvu de parties : paramāṇuḥ sabhāgaḥ padārthatvād ghaṭavad iti/ ...sākṣiṇā paramāṇusiddher uktatvāt/ tena ca sabhāgatayaiva siddheḥ/ “l’atome ultime est pourvu de parties, parce qu’il est un objet, comme la cruche... par ce qu’il a été dit que le paramāṇu est établi par le sākṣin, et parce que celui-ci l’établit comme pourvu de parties” (p. 98b). Dans ces conditions les derniers mots du texte de Madhva font difficulté : Jayatīrtha les explique en disant qu’il s’agit d’une non-division de fait et non de droit : yasya vibhinnāvayaveṣu satsvapi teṣām vibhāgo na kadāpi bhavitum arhati sa paramāṇur iti/ “est dit paramāṇu ce qui, tout en ayant des parties distinctes, ne peut jamais subir de division de ces parties” (p. 99a).
Le B.T. affirme les deux points : d’une part il dit que rien, jamais, n’est connu comme dépourvu de parties (par. 14) : na cānavayavaṃ vastu kvacit syān mānagocaram/ d’autre part (par. 91) il déclare : ākāśā apyatas tvete hyanantā apkaṇādivat/ “ces espaces eux-mêmes sont donc en nombre infini, comme les gouttes d’eau etc.,”, semblant donner à l’espace une structure granulaire.
La solution semble se trouver dans les affirmations de Madhva selon lesquelles la notion d’atomicité est relative, comme celle de grandeur. L’atome est un infini mais chaque ordre de grandeur représente un nouvel ordre d’infini. Madhva emploie à ce sujet la notion de tāratamya, de hiérarchie qu’il emploiera pour rendre compte de la gradation des âmes : à chaque degré l’on trouve un groupe d’âmes en nombre infini, il y a donc une hiérarchie entre les infinis.
A.V., II.2. 86 [6] (p. 25b) tāratamyena sarve’pi mahāntaścāṇavo yataḥ/ “parce que toutes choses sont grandes ou atomiques selon leur hiérarchie” et A.V., II. 2. 66 : [6] (p. 24b) : aṇutvaṃ ca mahattvaṃ ca yato vastuvyapekṣayā/tāratamyasthitā yasmāt padārthāḥ sarva eva ca/ “l’atomicité et la grandeur sont relatives à la chose, c’est pourquoi toutes les réalités aussi se tiennent en hiérarchie”. Jayatīrtha au commentaire du premier passage rapproche explicitement la hiérarchie des groupes d’âmes et les degrés selon lesquels existent les divers infinis : tathā sarvakalpeṣu saṃsāriṇo'nantāḥ/tathāpyapavargavaśāt tāratamyam upeyam eva/ “C’est ainsi que dans tous les kalpa, les êtres en transmigration sont infinis, et que pourtant, en dépendance de leur ascension, une hiérarchie est établie (entre eux)” (p. 99b).
Ces développements de la doctrine paraissent se rattacher étroitement à la notion de viśeṣa : le viśeṣa, force de cohésion de chaque réalité, permet de penser l’unité d’ensembles pourvus de parties infinies, et de concevoir ces infinis comme des touts pouvant être en relation les uns avec les autres, hiérarchisés en ordre de grandeur.
30 A.V., II. 2. 139 [6] (p. 27a) asmatpakṣe viśeṣasya sarvatrāṅgīkṛtatvataḥ/nāsti doṣaḥ kvacit.../ “Dans notre position, puisque le viśeṣa est accepté dans tous les cas, il n’y a plus aucune difficulté...” Madhva laisse apparaître un véritable enthousiasme pour la notion de viśeṣa, et il s’étonne qu’elle rencontre tant d’opposition : A.V., II.2. 103 [6] (p. 26a) etādṛśe viśeṣe’smin ko dveṣo vādināṃ bhavet/ “Puisque ce viśeṣa est tel, comment les docteurs peuvent-ils avoir cette haine pour lui ?”
31 Cf. plus haut, IIe part. ch. 1 notes 1 et 2 p. 141.
32 A.V., II. 3. 68 [14] (p. 36a) viśeṣaḥ sarva evaite sākṣipratyakṣagocarāḥ/ūrīkṛtya ca tān sarvān vyavahāraḥ pravartate/ “Tous ces viśeṣa sont assurément objets de la perception du sākṣin, et c’est en les reconnaissant tous que se fait l’usage courant”.
Le M.S.S.S. (p. 8a) cite un autre texte de Madhva, provenant du Ṛg-bhāṣya ; taduktaṃ ṛgbhāṣye/uktvā dharmān pṛthaktvasya niṣedhād evam eva hi/viśeṣo jñāyate śrutyā bhedād anyaśca sākṣita iti/ “Lorsque la Śruti parle des attributs, tout en niant qu’ils existent de façon séparée, elle fait connaître le viśeṣa, et celui-ci est donné comme autre que la différence par le sākṣin”. Un texte du B.T. (par. 3) dit également : viśeṣo’nubhavād eva jñāyate sarvavastuṣu/ “le viśeṣa est connu certainement par l’expérience dans toutes les réalités”,
33 A.V., II. 3. 69 [14] (p. 36a-b) sākṣiṇo vyavasāyī tu vyavahāro ’bhidīyate/ tasmāt sarvaprasiddhasya vyavahārasya siddhaye/ sākṣī nirdoṣa evaikas sadāṅ gīkārya eva naḥ/
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