Chapitre IV. Examen psychologique de la survivance de la caste
p. 69-91
Texte intégral
Les besoins biologiques et sociaux
1Nous avons vu dans le chapitre précédent que la caste consiste en différents groupes qui essaient de se fortifier derrière les murs des sous-castes, murs qu’ils se sont imposés à eux-mêmes, de s’isoler rituellement ou socialement, et souvent de revendiquer la supériorité les uns sur les autres. Une fois tout ceci admis, il reste à examiner du point de vue psychologique la question de la survivance de la caste depuis des siècles.
2Si l’on veut étudier la nature de la caste du point de vue de la psychologie, il faut connaître la dynamique de groupe et la formation des groupes petits et grands. La caste est la façon dont les Indiens se groupent. S’ils le font d’une manière particulière et qui dure depuis des siècles sans changement notoire, nous devons admettre que les individus concernés doivent trouver certaines satisfactions qu’ils n’ont pas trouvées dans d’autres modes de groupement1. Aussi serait-il erroné du point de vue scientifique de prétendre que le rapport entre l’individu et le groupe est à sens unique ; que l’individu exige des satisfactions des groupes auxquels il appartient et que les groupes passivement les lui fournissent. Il y a plutôt une interaction mutuelle entre 1 individu et le groupe2.
3Formulant une théorie du groupe humain, théorie basée en partie sur celle de Homan, mais la corrigeant sur les points essentiels, le professeur Hsu affirme ; “Chaque individu humain a deux sortes de besoins : (a) des besoins biologiques (b) des besoins sociaux’3. Hsu emploie le terme de “besoin” au sens que lui a donné Henry A. Murray de construction ou de concept hypothétique qui représente une force (dont on ignore la nature psychologique) dans la région du cerveau, force qui organise la perception, l’aperception, l’intellection, la volition et l’action d’une manière telle qu’elle transforme dans une certaine direction les situations existantes insatisfaisantes"4.
4Les besoins biologiques, selon Hsu, se réfèrent à la nourriture, à la sexualité, à d’air, à la protection corporelle et à la pesanteur. Ce sont évidemment les besoins primordiaux de l’homme. Mais il ne peut vivre pour eux. Hommes et animaux partagent ces mêmes besoins biologiques, et par conséquent, ces besoins ne peuvent expliquer les types de comportement qui sont propres aux êtres humains5. En fait, les besoins biologiques sont les substances essentielles de la vie, sans lesquelles il n’y aurait pas de vie possible, animale ni humaine. Mais les besoins qui donnent un sens à la vie sont les besoins sociaux sans lesquels la vie humaine ne pourrait se distinguer de la vie animale. Les efforts des animaux sont avant tout dirigés vers la satisfaction de leurs besoins biologiques. En dépit du fait que les humains doivent tendre à satisfaire leurs besoins biologiques, leurs efforts sont, au contraire, dirigés avant tout vers la satisfaction de leurs besoins sociaux : être avec d’autres hommes, leur être apparenté, avoir de l’importance aux yeux de quelques-uns ou aux yeux de tous.6.
5Alfred Lindesmith et Anselm Strauss ne semblent pas attacher beaucoup d’importance aux postulats des besoins et les considèrent comme peu utiles. Ils pensent ainsi parce que, selon eux, les besoins sont divers et ont tendance à changer sans cesse au fur et à mesure que les conditions de vie progressent du simple au complexe ; et la classification des besoins sociaux en des types de base relativement peu nombreux “n’explique pas entièrement le comportement”.
6Selon eux, si l’on dit qu’un mari est infidèle à sa femme par “désir de nouvelle expérience”, et qu’un autre mari est fidèle par “désir de sécurité”, il reste à se demander pourquoi l’un est infidèle et l’autre ne l’est pas. Etiqueter ainsi le comportement revient à imputer à l’individu, tout à fait arbitrairement, des motifs théoriques et invérifiables, qui sont représentés comme les forces ou agents déterminants, agissant derrière les actes patents. Un besoin en tant que tel n’est pas directement perçu ; tout ce que l’on peut observer c’est le comportement lui-même. De là vient que le besoin est d’abord inféré de l’acte, puis ensuite sert à l’interpréter et à l’expliquer· De telles explications tournent en rond car elles n’en disent pas plus long qu’une simple description du comportement7.
7Ce point de vue a été critiqué de bout en bout par Hsu ; sa critique est basée sur ce que des faits inaperçus peuvent être aussi réels que des actes manifestes et sont aussi vérifiables qu’eux. Le domaine tout entier de la psychologie dépend de l’éclaircissement des forces secrètes. De plus, certaines forces, même dans le monde physique, ne peuvent jamais être vues, de par leur nature même. L’electricité et la pesanteur en sont des exemples.
8Le professeur Hsu a proposé trois besoins sociaux fondamentaux pour tous les humains : (a) le statut, (b) la sécurité, (c) la sociabilité. Examinons à présent ce qu’il entend exactement par ces termes.
9Le statut : selon Hsu “le statut donne à l’individu le sens de son importance devant ses semblables dans presque toutes les situations qui le concernent. C’est l’évaluation de l’individu vis-à-vis du groupe ou des groupes dont il fait partie. En d’autres termes, le statut est le rang ou la position occupée par un individu dans son ou ses groupes, avec des attitudes, des devoirs et des privilèges spécifiques entre cet individu et ses semblables qui reconnaissent son rang ou sa position. On trouve le statut dans les sports, les visées économiques, les professions, la politique, parmi les ecclésiastiques comme parmi les chasseurs, non moins prisé par les étudiants que par les guerriers...”
10La sécurité signifie : “la certitude d’un individu quant à ses liens avec ses semblables. Elle lui est donnée par le cercle ou les cercles auxquels il appartient. En d’autres termes, la sécurité se réfère à une condition de l’individu dans laquelle il peut avec certitude et sans crainte de répudiation prétendre que ses semblables lui appartiennent en ce sens qu’ils sont de la même espèce que lui, qu’ils partagent avec lui certains buts, certaines pensées et certains modèles d’action. Dans les moments difficiles, il peut compter sur leur aide morale et matérielle, de la même façon qu’ils peuvent compter sur la sienne. Les sources de sécurité de l’individu sont nombreuses : famille, amitié, club, parti politique, église, temple...”8
11La sociabilité : “La sociabilité signifie le plaisir de l’individu à être avec ses semblables, son désir de garder avec eux des rapports basés sur la bonne entente, l’amabilité et le plaisir de leur compagnie. Cela inclut le désir de l’individu de chercher à prendre contact avec ses semblables, à encourager les bonnes relations, ou à lier des rapports de sexualité, d’agressivité, de soumission, d’intrigue, etc. dans un contexte social. Des expressions concrètes de la sociabilité que l’on trouve dans les sociétés humaines sont les réunions, l’hospitalité, les danses, le mariage, les chasses au renard et autres événements de société, les foires, les rapports sexuels (autres que pour la procréation ou pour le gain matériel), les relations de famille ou de clan...”9.
12Ces trois besoins sociaux sont liés entre eux. Ainsi, par exemple, l’individu qui possède un haut statut social a plus de chances de satisfaire les deux autres besoins. De même, un individu très sociable a plus de chances d’obtenir de hautes positions qui lui donneront plus de sécurité et un plus haut statut. “En fin de compte, il y a lieu de croire que les besoins de sécurité et de statut sont probablement plus importants que celui de sociabilité, car la sociabilité a tendance à être influencée par la sécurité et le statut, plus que la sécurité et le statut ne le sont par la sociabilité.”10
13Ces trois besoins sociaux semblent agir comme facteurs de motivation dans la formation et aussi dans la survivance des groupes de caste et de sous-caste. L’individu a tendance à se conformer aux règles et aux prohibitions de sa caste si, selon lui, il comble ses besoins sociaux essentiels pour donner à sa vie un sens ou pour la rendre satisfaisante. Il aura tendance à se détacher de sa caste et à chercher à appartenir à une autre sous-caste si, selon lui, ses besoins sociaux ne sont pas comblés on ne le sont pas suffisamment ou de la façon qu’il le désire11.
14La plupart des rites et tabous qui ont trait à la nourriture peuvent aussi être compris en termes de sécurité ou de statut. Ces rites et tabous peuvent avoir d’autres fondements, mais dans le contexte actuel, on peut les interpréter comme des moyens d’atteindre la supériorité dans les prétentions de statut. En fait, la pureté rituelle et les tabous alimentaires sont les signes les plus omniprésents mais arbitraires limitant, démarquant et définissant les frontières spécifiques de la sociabilité, de la sécurité et du statut. Dès qu’un signe de pureté rituelle ou de tabou alimentaire est éliminé, un autre vient le remplacer, à moins qu’un changement fondamental ne se produise dans l’idée de hiérarchie et dans l’attitude correspondante. Plus on insiste sur le statut et la hiérarchie, plus les efforts d’isolation seront prolifiques de la part des groupes qui désirent une supériorité plus grande encore ou des groupes qui sont mécontents de leur infériorité présente.
15Presque tous les auteurs qui ont écrit sur ce sujet ont observé que les tabous ont subi la pression de la vie urbaine moderne. Le professeur Ghurye écrit : “Les exigences du travail de bureau ont forcé les citadins à se défaire des vieilles idées de pureté. Les Hindous sont obligés de manger des mets préparés par des Chrétiens, des Musulmans ou des Persans, parce que les restaurants hindous ne sont pas tous facilement accessibles aux heures de bureau. Dans les hôtels hindous, ils sont obligés de manger avec des personnes de presque toutes les castes, car l’hôtelier ne peut réserver des places aux membres de différentes castes. Ce qui se fit à l’origine sous la pression de la nécessité est devenu pour beaucoup une routine dans leur vie de citadins12”
16Il semble que souvent un individu et un groupe de caste s’efforcent de rationaliser lorsqu’il y a conflit entre les rites et pratiques de caste et les conditions de vie changeantes. Par exemple, R. K. Mukerjee observe que lorsque les Hindous de caste supérieure sont obligés d’utiliser le même robinet que les Intouchables, il y a souvent à portée de leur main de l’argile pour purifier le robinet selon les rites avant l’usage13. Srinivas nous donne un autre exemple de ce processus de rationalisation. Selon lui, les Brahmanes ayant subi une influence occidentale découvrirent vite les avantages de l’usage de la bicyclette, mais son adoption posait une grosse difficulté d’ordre religieux. Les selles de bicyclettes étaient recouvertes du cuir de la vache sacrée, et par là-même, polluaient le toucher. Ce tabou fut tout d’abord rationalisé en cachant le cuir sous une couverture protectrice de peau de daim pure, mais par la suite, cette peau de daim disparut et la selle de cuir sans protection fut utilisée. Srinivas note que de la même façon, l’eau courante dans les maison d’habitation fut tout d’abord rejetée, même par ceux qui pouvaient se permettre ce luxe, parce que l’eau devait passer par une rondelle de cuir sur la valve. Bientôt, cependant, la tentation devint trop forte et le rituel céda le pas à la commodité14.
17En plus de la rationalisation, on peut également observer d’autres concepts freudiens opérant dans le système des castes15. N. K. Bose a fait remarquer que le sannyāsa est une évasion de l’oppression rigoureuse de ce système. Il écrit : “Le Sannyāsi fut placé hors de l’atteinte des lois sociales courantes. Il ne fut plus obligé d’entretenir le feu sacré, premier devoir de tout maître de maison. Il ne tombe plus sous le coup des lois de l’état, à moins, bien entendu, qu’il n’entre dans le ressort des restrictions criminelles...Ainsi, bien que la société hindoue eût supprimé l’individu dans les conditions normales, la restriction prit un caractère plus ou moins volontaire, puisque celui-ci pouvait échapper à la rigueur de la société par les biais de l’institution du Sannyāsa. On peut concevoir que cette soupape de sûreté fut dans une certaine mesure responsable de la stabilisation de l’ordre hindou de la société. Ceux qui souffraient d’un sentiment d’oppression avaient la possibilité de s’échapper et de laisser l’organisation fonctionner comme auparavant. Les hautes castes pouvaient adopter la vie de Sannyāsi sans difficulté. Mais si un Vaishya ou un Sudra voulait renoncer au monde, il lui fallait obtenir une autorisation spéciale du roi. Plus tard dans l’histoire de l’Inde, quand le Vishnouisme et d’autres sectes réformatrices devinrent populaires les portes s’ouvrirent toutes grandes aux Sudras ainsi qu’aux femmes. Et ainsi, dans un certain sens, cet arrangement particulier pour sauvegarder la liberté de l’individu agit comme une compensation du caractère totalitaire du système de la caste. Chacun aidant à rendre l’autre plus stable et permanent16”.
18Personne sans doute ne nierait l’effet calmant ou de quelque valeur médicale de l’application quotidienne de pâte de santal sur le front, pratique des gens de haute caste, particulièrement des Brahmanes, dans toute l’Inde. En terminologie freudienne, cela peut s’expliquer par la technique qui consiste à attirer l’attention au niveau de tout un groupe. Il est difficile de parler de son effet spirituel, mais il est certain que cela incite les personnes de basse caste et les Intouchables à se tenir à distance de ceux qui portent ce signe, dans les lieux publics.
L’attachement aux pouvoirs surnaturels crée une dépendance des hautes castes ou des personnes de haut statut
19En admettant que le statut, la sécurité, et la sociabilité soient les besoins sociaux primordiaux des humains, le milieu le plus favorable à leur développement et à leur bon fonctionnement semble être le système des castes. La base essentielle du système est le fait d’attacher une importance démesurée aux différences de statut entre les êtres humains. Il n’existe aucune possibilité d’altération de statut excepté dans les réincarnations futures. Pour les Hindous, toute existence temporelle est transitoire et illusoire, mais en même temps, les Hindous peuvent être opportunistes et avoir des règles de moralité17.
20Les multiples régies de moralité et de conduite ne présentent pas de conflit interne à l’individu. Il ne ressent pas de dépit à se conformer et à se comporter différemment dans un ensemble de circonstances fortement contrasté. Il est conditionné à traiter la charité comme une vertu personnelle pour améliorer son destin. Ainsi, il n’aura nul ou presque aucun désir de défendre la cause des opprimés ni de renverser la position privilégiée des oppresseurs. Sa règle de conduite de base est d’accepter sa place dans l’ordre établi et de s’efforcer de l’améliorer dans sa prochaine réincarnation. Il n’aura guère le sens de la justice ou de l’injustice des rapports entre les groupes dans leur ensemble, ni aucun désir de les changer.
21Le mode de vie hindou a été décrit par Hsu comme centre sur le surnaturel, ce qui est caractérisé par la valeur attachée à la vérité absolue et à l’importance du clergé. Les Hindous, contrairement aux Occidentaux, recherchent les vérités abstraites par le biais du mysticisme et non de la science. D’un autré côté, alors que les Occidentaux donnaient et continuent de donner un grand prix au clergé, les Hindous ne se sont pas longtemps fiés uniquement à lui et depuis plusieurs siècles se sont dégagés de sa domination18.
22Cette orientatiou centrée sur le surnaturel pousse l’individu à rechercher l’intimité avec la Réalité ultime et Ses manifestations, et crée en lui une sorte de dépendance unilatérale dans ses rapports avec autrui. Par dépendance unilatérale, on entend le fait que l’individu n’éprouve pas de ressentiment à recevoir et ne se sent pas forcément obligé de rendre la réciproque. Il semble que de type des rapports non-réciproques soit caractéristique d’un mode de vie centré sur le surnaturel ; S. Radhakrishnan a fait observer : “Si la forme fondamentale du Suprême est nirguna, sans qualité, et acintya, inconcevable, le monde est une apparence qui ne peut être logiquement apparentée à l’Absolu. Dans l’ultime éternité de Brahman, tout ce qui se meut et évolue est fondé. Par lui, tout existe et rien ne peut être séparé de Lui, bien qu’il ne cause rien, ne fasse rien, ne détermine rien. Alors que le monde dépend du Brahman, celui-ci ne dépend pas du monde. Cette dépendance unilatérale et l’inconcevabilité logique de la relation entre la Réalité ultime et le monde sont tirées du mot Mâyâ19.
23De cette façon, il n’est pas nécessaire que ceux qui donnent et ceux qui reçoivent soient en rapport direct les uns avec les autres, car la responsabilité ultime de leurs actions se trouve dans le dharma. Si ceux qui donnent le font en raison du dharma et si ceux qui reçoivent le font aussi en raison du dharma, alors les êtres humains n’ont pas du tout à être redevables les uns envers les autres.
24Pour citer encore le professeur Hsu : “La règle fondamentale de conduite pour l’Hindou, c’est son rapport avec les dieux. Ses liens terrestres avec sa famille et autrui sont souvent éclipsés ou du moins fortement affectés par ses liens avec des hommes qui ont une propension à la sainteté, c’est-à-dire, des prêtres ou des saints hommes. Cette orientation surnaturelle s’accorde bien avec des liens humains atténués et entretient une quête perpétuelle de points d’attache supraterrestres20”.
25Parfois cette orientation des Indiens du Nord centrée sur le surnaturel prend des proportions pathologiques. L’exemple du Mahatma Gandhi est bien connu. On lui attribue des qualités surnaturelles et il est considéré comme une réincarnation de Dieu et on lui rend presque un culte. De la même façon, feu le Pandit Nehru était dans ses écrits, ses discours et ses actes très loin de la tradition hindoue. Il est probable qu’il ne croyait en aucun pouvoir surnaturel. Cependant, cela n’empêcha pas les gens de venir chaque matin pour son darshan ou de l’adorer comme un dieu. En fait, récemment, un temple lui fut érigé dans l’état de Bombay, et il fut déclaré que le Pandit Nehru était une réincarnation de Vishnou, toutes choses qui attirèrent son indignation et sa colère.
26Un individu qui vit dans un monde centré sur le surnaturel avec des attitudes de dépendance unilatérale, a tendance à chercher des solutions à ses problèmes en s’en remettant aux dieux ou aux personnes qui, par rapport à lui, jouissent d’un statut plus élevé ou possèdent de plus grands pouvoirs. Mais la dépendance unilatérale au surnaturel ne donne aucun critère de succès ou d’échec. Elle est plutôt susceptible d’amener à des rites plus complexes pour influencer les dieux et à des pèlerinages plus lointains pour chercher des divinités plus efficientes. Et la dépendance unilatérale à des hommes de plus hauts statuts ou pouvoirs encourage les demandes excessives de ceux de qui ils dépendent et impose d’innombrables fardeaux à ceux qui sont les objets de la dépendance des autres. Elle risque d’accroître l’irresponsabilité de la part des hautes castes. Cet état de choses est producteur de tendances centrifuges parmi les hommes, de telle sorte que les besoins de l’individu de se joindre aux autres êtres humains ne sont pas satisfaits automatiquement ni aisément. La caste est une expression de ce caractère centrifuge et fournit en même temps une échelle des groupes humains par laquelle l’individu peut se rattacher à ses égaux, mais aussi particulièrement à ses supérieurs et inférieurs, avec de nettes démarcations de ses obligations et récompenses21.
27Si les Hindous sont caractérisés comme dépendants unilatéralement cela ne signifie pas qu’ils n’aient pas de confiance en soi, ni que tous les Américains, par exemple, soient entièrement dépourvus de dépendance unilatérale. Cela exprime simplement les principales tendances psychoculturelles qui encouragent la domination de quelques idées sur d’autres, et non une exclusion totale22. De cette manière, les types de comportement associés aux idées dominantes sont enseignés aux jeunes et ont certaines valeurs, tandis que d’autres sont généralement considérés comme indésirables. Le rapport entre les idées dominantes et les autres a été schématisé par Hsu comme suit :
Américains | Chinois | Hindous | |
Idées dominantes | Confiance en soi | Dépendance mutuelle | Dépendance uni latérale |
Autres idées | (A) Dépendance mutelle | Confiance en soi | Dépandence mutuelle |
(B) Dépendance unilatérale. | Dépendance unilatérale | Confiance en soi. |
28Enfin, bien que beaucoup d’indiens soient matérialistes, il est également vrai que la plupart d’entre eux, particulièrement dans l’Inde du Nord, est liée de façon excessive aux obligations de caste au point que certains sont pratiquement asservis à cette institution. En général, les Indiens attachent beaucoup plus d’importance aux choses surnaturelles, ils épuisent leur temps, leur énergie, leur argent et leurs efforts à se rendre les dieux favorables, à prendre soin de leur culte, à avoir leur darshan, à leur adresser des requêtes, à représenter théâtralement leurs faits surhumains, ou simplement à chanter leurs louanges kirtan. De plus, cela est vrai des hautes et basses castes, du Brahmane, et de l’Intouchable, du riche et du pauvre, de la grande majorité des personnes éduquées de façon moderne et de toutes celles qui ont été élevées dans les traditions. Dans de telles circonstances, il est difficile de prédire si leurs tendances psychoculturelles pourront trouver une direction définie de façon qu’ils puissent faire un meilleur usage de leur temps, de leur énergie de leur argent, et de leurs efforts, en se consacrant à la tâche de construire le progrès industriel du pays tout entier.
Effet psychologique de l’action non-motivée
29La doctrine du non-attachement est l’essence de la Bhagavadgītā qui affirme : l’action est ton devoir, la récompense n’est pas ton souci. Cette doctrine a acquis une importance inconcevable dans la société de l’Inde du Nord. P. Thomas écrit : “Le poème regorge tant de l’esprit de l’hindouisme que chaque école de philosophie et chaque secte croient qu’il enseigne leur doctrine particulière...Le yogi, le sannyasi, le soldat, le saint et même le voyou citeront la Gītā comme leur livre de prédilection, tant l’œuvre représente dans son intégralité la façon hindoue de voir la vie”23.
30Cette doctrine conduit l’individu à avoir des réactions diffuses envers son milieu et à ne pas se préoccuper de lignes d’action concrètes. Elle vise à diriger un individu vers certaines lignes d’action concrètes, ou objectifs, et en même tempe à lui rappeler sans cesse que tout est égal à tout ou à rien. De plus, elle ne sert pas la cause de la satisfaction des besoins sociaux principaux de l’individu hindou. Elle aide sans doute à rendre la situation plus complexe encore.
31En premier lieu, vivre signifie décider. Du matin au soir, chaque jour, tous les êtres humains sont confrontés à des problèmes et doivent prendre des décisions. Les décisions sont impossibles ou, du moins, difficiles si l’individu envisage les différentes alternatives avec un sentiment dominant d’indifférence du résultat.
32En deuxième lieu, une conception basée sur l’indifférence du résultat aura inévitablement pour corollaire un sentiment de grande incertitude mutuelle et même de méfiance dans les rapports des hommes entre eux. L’individu qui considère toute action avec un sentiment de détachement, confronté à un autre ayant une conception des choses différente a tendance à ne pas estimer devoir être lié par des règles de conduite, par la réciprocité des obligations, par de profondes convictions ou par un sentiment de loyauté. La question importante qui se pose à lui, s’il doit prendre une décision, est de savoir s’il peut vaincre les obstacles qui lui barrent la route ou si ces obstacles sont insurmontables.
Y a-t-il une solution ?
33Une question importante reste à résoudre : quelle est la solution ? Hsu observe : “La caste est basée sur la position théorique d’unité des êtres vivants. Elle ne considère les multiples murs fermés eux-mêmes de la caste que comme une partie de l’édifice total, l’amélioration individuelle par la réincarnation servant de pont entre eux. Le castéisme n’est pas, par conséquent, un défaut auquel on puisse remédier, même dans un futur lointain. Il exprime un conflit qui ne permet pas de solution permanente. Devant le caractère diffus du non-attachement, l’Homme cherche à se fortifier derrière les murs fermés de la caste. Mais comme toutes les différences et toutes les existences sont ultimement soumises au changement, la pression pour la satisfaction de ses besoins sociaux ne peut être confinée par aucune barrière particulière. Il y a donc une perpétuelle recherche de l’universel et de l’ultime dans lesquels toutes différences disparaissent, en même temps qu’une quête croissante du particulier et de l’immédiat dans lesquels les seules considérations sont des cercles spécifiques d’amitiés, des signes d’appartenance et des symboles de prestige24”
34Le système des castes est un système dans lequel on trouve un cercle d’interaction, au-delà de la famille biologique, où mener les activités de la vie et dans lequel on trouve la satisfaction de ses besoins sociaux principaux, à savoir la sociabilité, la sécurité, et le statut. Mais, pour citer encore Hsu : “Comme le principe de hiérarchie domine l’organisation sociale toute entière, la lutte de statut, la crainte de la perte de la caste, la plus grande conformité en résultant et le ressentiment contre le castéisme, maintiennent le système des castes dans un état d’animation dynamique. L’individu ne peut jamais être satisfait du statu quo. Il s’efforcera de changer le nom de sa caste, il créera de nouvelles sous-castes il se justifiera à l’aide de mythes obscurs, de légendes, et d’écritures sacrées, pour élever le statut de sa caste, il inventera de nouvelles règles basées sur de vieux modèles (comme par exemple la prohibition du remariage des veuves) pour rendre sa sous-caste différente ou supérieure à d’autres sous-castes. Ce sont des processus constants dans la société hindoue”25.
35En se basant sur les changements extérieurs que la caste a subis depuis l’Indépendance, beaucoup trouvent là une source d’optimisme et escomptent sa complète abolition ou, du moins, une transformation radicale de la caste. Mais la satisfaction des besoins sociaux fondamentaux et les satisfactions psychologiques qui en sont dérivées soulèvent des doutes quant à la disparition éventuelle de la caste, du moins dans la société de l’Inde du Nord, et l’on peut se demander si la caste disparaîtra jamais. De plus, aussi longtemps que le système survivra, les considérations de caste, souvent au prix de l’efficacité de ceux qui sont les avocats les plus acharnés à le condamner et à désirer son abolition en pratique, ne s’avéreront guère favorables au progrès industriel, objectif depuis longtemps déclaré du gouvernement du Congrès.
36Enfin, on peut noter que la majorité des Hindous de l’Inde du Nord croit en plusieurs divinités : bienveillantes, féroces, malignes, ambivalentes aussi bien qu’indifférentes. En général, ils n’éprouvent aucune hésitation à se rendre à différents temples ou à supplier différents dieux pour la même requête concrète, que cela soit pour avoir des fils, la prospérité ou le succès à un examen, ou encore pour la guérison d’une maladie. Ils croient à la réincarnation, croyance selon laquelle la condition de vie de l’individu est déterminée par son mérite ou démérite dans son existence antérieure, de même que sa conduite présente déterminera son bien-être ou sa mauvaise fortune dans sa prochaine existence. Ils cherchent à avoir des rapports positifs avec les dieux mais nourrissent des attitudes négatives avec les hommes, les saints exceptés.
37Pour un Hindou de l’Inde du Nord, la dépendance de ses semblables et de sa postérité a l’égard de homme est illusoire, et l’homme vit presque entièrement pour le culte et la dévotion rendus aux dieux. De là vient que la plupart des classiques hindous doivent avoir trait à l’adoration des dieux et à leurs faits surhmains. En outre, cela vaut non seulement pour les masses illettrées mais, aujourd’hui encore il est extrêmement courant de voir des intellectuels hindous ayant une éducation occidentale rester fidèles, théoriquement et en pratique, à la tradition sacrée indienne.
38Le monde intérieur d’un Hindou de l’Inde du Nord est infini et sans limite. Les éléments de ce monde intérieur ne doivent pas nécessairement y être intégrés étroitement, ni même y être intégrés du tout. Par conséquent, entre l’individu et ses dieux, il y a place aux manœuvres et aux imperfections et même les contradictions peuvent fleurir côte à côte sans que cela pose aucun problème psychologique à l’individu. Quoiqu’il en soit, son union ultime avec l’Atman est projetée dans un futur infiniment lointain. C’est la raison pour laquelle les dieux non seulement possèdent des pouvoirs surnaturels mais aussi les faiblesses humaines et la fourberie, non seulement des épouses mais aussi des amantes.
39On voit couramment, lors de la projection de films religieux, des personnes joindre les mains, demander des bénédictions ou supplier pour la réalisation d’une requête les acteurs de cinéma. De même, il ne manque guère d’étudiants d’université ou de collège qui croient que des esprits supraterrestres jouent un grand rôle dans leurs examens, croyance qui est apparemment rare dans l’esprit des étudiants occidentaux.
40L’effet de cette structure psychologique est soit l’inaction totale, soit la tendance de l’individu à s’en remettre en tout aux mains des dieux. L’inaction est étayée de plus par la doctrine de l’action non-motivée. Ceci appliqué au problème de l’industrialisation, le résultat en est, soit une sorte de résistance, soit, pour le moins, un manque de coopération active avec les efforts d’industrialisation. Il n’est pas surprenant de voir, aujourd’hui encore, la majorité des politiciens ne pas prendre de mesures importantes sans consulter les prêtres, même pour prendre des décisions quant à l’emplacement ou l’inauguration d’une entreprise industrielle.
Etude d’un test d’aperception thématique
41Le présent chapitre serait incomplet sans référence à l’étude T. A. T. de différents étudiants faite par Hsu26, étude qui est une expérience dans un domaine non exploré. L’utilisation de tests projectifs pour démêler les attitudes et les valeurs inconscientes de caste n’a pas encore été tentée à une grande échelle par les psychologues, qu’ils soient Indiens ou non-Indiens. Cependant, il est vrai que cette étude est un essai tenté dans l’espoir de découvrir une façon scientifiquement réalisable d’utiliser des echniques projectives dans des études “cross-cultural” à une grande chelle.
Données et approche
42Hsu a basé son étude sur environ 600 histoires imaginées données par 300 sujets sur les cartes 1 et 12 B. G. du T. A. T. de Murray en hiver 1961. Sur ces 300 sujets, 175 sont Indiens et ainsi 350 histoires, soit plus de 58 % du total, ont été recueillies en Inde.
43La carte 1 de Murray a été choisie “en raison de sa valeur de stimulant en évoquant une variété de réactions interpersonnelles ; la carte 12 B. G. en raison de son contenu non-humain et de son potentiel pour faire jaillir des associations au milieu naturel”28. Cependant, les psychologues médicaux considèrent la carte 1 comme “la seule image de grande valeur dans le T. A. T. ” si l’on entreprend “de faire des exposés de la personnalité totale”29. Et la carte 12 B. G. n’est pas considérée comme “très utile dans aucun cas spécifique, excepté pour les sujets suicidomanes ou très déprimés”30.
44L’analyse du contenu des fantaisies a été faite avec une accentuation minimale sur l’interprétation en profondeur. L’interprétation a suivi les lignes bien établies de raisonnement. Par exemple, l’introduction de personnages additionnels comme les parents ou un professeur, etc.... dans la carte qui ne représente qu’un garçon assis à table contemplant un violon, a suggéré une conscience accrue du milieu humain, et un plus grand besoin de se mêler émotionnellement aux autres. Réciproquement, les sujets qui se sont concentrés uniquement sur le personnage de l’image ont été considérés comme moins spontanés, moins inhibés dans leurs rapports avec autrui. La carte 12 B. G. représente un paysage avec un bateau à rames tiré sur la berge d’une rivière dans une forêt. Il est affirmé qu’on a porté une attention spéciale dans cette analyse à la mesure dans laquelle les sujets étaient sensibles au milieu non-humain, et à la mesure dans laquelle ils se détendent au contact de la nature. Ceux qui apparemment n’étaient pas effrayés par la solitude ont été déclarés présenter des attitudes d’acceptation de soi.
45La première catégorie de matériaux projectifs analysés dans les deux cartes est formée par les rapports interpersonnels. Par référence à la carte 1 cette catégorie a été ensuite divisée en sous-catégories : père, mère autres personnes, aucun individu, dépendance et résistance. Par référence à la carte 12 B. G., les sous-catégories sont : un individu, deux individus, plus de deux individus (tout nombre au-dessus de deux) et aucun individu.
46La seconde catégorie, la sensibilité au milieu physique (c’est-à-dire non-humain) a été basée sur le calcul numérique des adjectifs descriptifs ou des noms décrivant le paysage. La graduation a été fixée arbitrairement par Hsu comme suit : vive sensibilité quand 7 adjectifs ou plus sont employés, sensibilité moyenne pour 3 adjectifs au moins, aucune sensibilité pour les sujets qui ne font aucune référence à la description de la scène du paysage.
47La réaction des étudiants à la carte 12 B. G. s’est conformée le plus souvent à l’un ou à l’autre des deux types distincts : ils réagirent au stimulus du contenu manifeste de l’image soit par des associations de type rêverie ; soit, effrayés apparemment par la solitude, ils imaginèrent des intrigues romanesques et des aventures ; d’où utilisation des catégories Rêverie et Intrigue. La dernière catégorie a trait à l’imagination des étudiants indiens. “Cette catégorie contient des matériaux projectifs dans lesquels les sujets anthropomorphisent la faune, la flore et les choses inanimées et semblent ne pouvoir faire de distinctions absolues entre sujet et objet”31. Hsu suggère la catégorie Mutabilité pour décrire ce comportement, catégorie utilisée dans l’analyse des réponses aux cartes 1 et 12 B. G.
Analyse et interprétation
48Il est impossible de donner ici l’interprétation intégrale du professeur Hsu. Nous n’avons relevé que les points significatifs dans le contexte présent32.
49Hsu a inféré l’influence des modèles traditionnels de la façon intellectuelle d’aborder et de résoudre les problèmes, de la priorité de la pensée sur l’action et du sentiment de vénération quand il y avait des associations religieuses. Une inhibition émotionnelle très marquée se dégage également des réactions aux deux cartes du T.AT. On pourrait conjecturer que les sujets manquent dans l’ensemble d’urbanité et de sophistication intellectuelle.
50La préoccupation des sujets pour la pensée suggère un manque d’engagement dans l’action ou le sentiment. Les sujets réagissent au milieu ambiant par une sensibilité émotionnelle et des images très poétiques, par une acceptation passive de ce qui ne peut être changé. Cependant, on peut supposer que les projections relativement fréquentes de la pauvreté, la mort et la cécité reflètent, au moins en partie, les conditions courantes avec lesquelles ces sujets sont familiers.
51Très souvent, les sujets donnent des attributs humains au phénomène naturel : “Toutes les feuilles de cet arbre couvraient son corps et les oiseaux chantaient une prière pour lui”. Ils expriment leur vénération en Dieu : “Ces forêts sont l’œuvre de Dieu. Ce phénomène hindou prépondérant suggère une structuration de la réalité dans laquelle les situations de la vie quotidienne sont imprégnées de l’intensité du sentiment religieux. Les images religieuses sont fréquemment projetées et le modèle hindou dominant d’approche contemplative et méditative de la solution de problèmes est également apparent. Par exemple : “Un jour James Watt...se mit à réfléchir et découvrit la vérité de la machine à vapeur”. La distinction entre sujet et objet n’est pas toujours claire. Cela peut être inféré de projections religieuses telles que : “Par la grâce du Tout-Puissant, elle se changea en une vieille femme et se mit à prêcher la vérité et la piété”.
52Il y a un total de 17 réponses d’abandon ou d’égarement sur les 4 groupes indiens, avec Vidyasagar en tête (10 réponses), Asutosh (5 réponses), Lady Irwin (2 réponses) et Indo-American Society (1 réponse). 14 de ces réponses expriment clairement l’abandon et 4 l’égarement ou la séparation. Voici une réponse typique de cette catégorie, donnée par un étudiant de Vidyasagar : “L’image, on dirait que c’est un jardin avec un très grand arbre et à côté un bateau. Dans le bateau un bébé est endormi. Ses parents l’ont abandonné dans le jardin. Mais le grand arbre protège l’enfant des rayons du soleil et de la pluie. Les parents du bébé n’avaient aucune affection ni tendresse pour lui”.
53Les causes de l’abandon sont soit inconnues, soit le manque d’affection des parents, soit le destin. Un bon exemple du destin comme cause de l’abandon est fourni par un étudiant de Indo-American Society : “Cette image me fait penser à la naissance d’une célèbre poétesse tamoule, à savoir Auvvaiyar. Elle était la fille d’un sage réputé et sa mère lui donna le jour alors qu’elle traversait une épaisse forêt avec son mari. La mère, poussée par son instinct féminin, voulut naturellement garder l’enfant avec elle, mais le sage, qui prévoyait l’avenir, ne l’approuva pas. Il dit que l’enfant deviendrait dans le futur une célèbre poétesse et un maître spirituel et malgré le souhait de la mère, il abandonna l’enfant dans un panier dans l’épaisse forêt. Il advint ensuite qu’une inondation fit flotter le panier qui tomba entre les mains d’un Brahmane qui n’avait pas d’enfant. Celui-ci conçut un respect spirituel pour le bébé et l’éleva. Quand elle fut nubile, on voulut la contraindre de se marier mais elle ne le fit pas. Par la grâce du Tout-Puissant, elle se changea en vieille femme et se mit à prêcher la vérité et la piété. Cependant, elle ne découvrit aucune religion nouvelle”.
54La puissance du destin est également manifeste dans la réponse d’une étudiante de Asutosh, dans laquelle un prophète prédit à un jeune couple qu’il aurait un enfant qui deviendrait un voleur. Après la naissance de leur fils, les parents l’abandonnèrent dans une boîte dans une sorte de forêt. Il fut recueilli par des bûcherons et devint un homme fort. Mais il advint qu’un jour, comme il allait couper du bois, il s’égara et rencontra un groupe de voleurs qui le contraignirent à se joindre à eux et ainsi il devint un voleur. Dans le reste de la réponse, le sujet expose sa conviction selon laquelle il faut “s’incliner devant le destin”.
55En général, cependant, les histoires imaginées par les quatre groupes indiens sont caractérisées par des tendances méditatives. Par ailleurs, les réactions des étudiantes indiennes dans l’ensemble sont similaires dans leur contraste avec les réactions des étudiants indiens. Les réactions des étudiantes montrent une plus grande passivité et une plus grande projection spontanée ayant trait à l’harmonie avec l’univers en même temps qu’une plus grande expression des stimulants religieux traditionnels par rapport aux réactions des étudiants.
56Ce qui nous intéresse le plus dans cette interprétation est la structuration de la réalité par les sujets, structuration dans laquelle les situations de la vie quotidienne sont imprégnées de l’intensité du sentiment religieux, de l’approche contemplative de la solution de problèmes et de la prépondérance de la pensée sur l’action. De plus, les sujets réagissent au milieu ambiant avec une sensibilité émotionnelle et des images poétiques, avec une acceptation passive de ce qui ne peut être changé. Si nous acceptons l’analyse du professeur Hsu, en l’absence d’autre étude importante, de façon évidente, cette structure de la personnalité de la jeunesse indienne ne semble pas très favorable à la construction du progrès industriel et économique. Bien entendu, l’on ne peut généraliser à partir de données si limitées et de 2 cartes de T. A. T. seulement. Cependant, la tendance elle-même indique qu’une telle structure de personnalité est plus susceptible de résister que de céder aux efforts d’industrialisation. Cette tendance indique également un besoin très grand du développement de recherches empiriques dans cette direction.
Notes de bas de page
1 Le professeur Jean Stoetzel dans : La psychologie des relations interpersonnelles, Traité de sociologie, ed. George Gurvitch, Presses Universitaires de France, Tome II, 1961, p. 351, fait remarquer que : “Les individus se groupent pour obtenir certains résultats. Dans les groupes, les activités peuvent se comprendre par trois types de fonctions ; celles qui visent à se rapprocher des buts communs : celles qui visent au maintien du groupe comme groupe ; celles enfin qui produisent la satisfaction directe des besoins individuels des membres (par exemple donner carrière aux tendances agressives individuelles, assurer la reconnaissance d’un statut élevé)”.
2 F. L. K. Hsu : A Theory of the Human Group, dans : Clan. Caste and Club, op. ct. pp. 138-161.
3 F. L. K. Hsu : Ibid. p. 149.
4 H. A. Murray : Explorations in Personality, New-York Oxford University Press, 1938, pp. 123-24 : certains psychologues font une différence entre les sens dynamique et non-dynamique du terme de besoin. Selon le groupe pour lequel le besoin est non-dynamique, le besoin ne provoque pas d’action compensatrice, alors que selon le groupe “dynamique”, il en provoque. Cf. Paul T. Young : Motivation and Emotion, New-York, John Wiley & Sons, 1961, pp. 123-24.
5 Cf. David Mc Clelland, John W. Atkinson, Russel A. Clark & Edgar L. Lowell, The Achievement Motive, pour une excellente analyse des besoins biologiques servant d’obstacles à toute théorie de motivation humaine. Appleton Century-crofts, New-York, 1953, pp. 13-18.
6 F. L. K. Hsu, op. ct. p. 150.
7 Alfred E. Lindesmith et Anselm L. Strauss : Social Psychology, en. ré. The Dryden Press, New-York, 1956, pp. 280-81, cité dans : Clan Caste and Club, op. ct. p. 151.
8 F. L. K. Hsu : Clan, Caste and Club, op. ct. p. 152
9 Ibid. p. 152.
10 Walter Cotu, dans Emergent Human Nature, Alfred A. Knopf, New-York, 1949, p. 228, affirme : “Les besoins peuvent être reconnus par certaines personnes et ne pas l’être par d’autres ; par certains groupes et ne pas l’être par d’autres. Ils peuvent être reconnus mais non adoptés, ou adoptés mais non reconnus (besoins inconscients). Les besoins peuvent être imputés mais non acceptés ; ils peuvent être imputés par certains et contestés par d’autres. Il y a toutes sortes de conditions de besoins dans les domaines sociaux. Un besoin imputé est toujours un besoin ressenti par la personne ou le groupe qui l’impute aux autres, mais n’est pas nécessairement ressenti par ceux auxquels on l’impute. Un besoin ressenti est toujours ressenti comme tension d’un certain degré, mais toutes les tensions peuvent ne pas être identifiées par soi ou par les autres, ou elles peuvent être identifiées par les autres et non par soi, par soi et non par les autres, ni par soi ni par les autres ou par soi et par les autres”.
11 Jean Stoetzel dans : La Psychologie des relations interpersonnelles, Traite de sociologie, ed. George Gurvitch, Presses Universitaires de France, Tome II, 1961, p. 343, fait remarquer : “L’exposé des notions de statut et de rôle fait immédiatement apparaître combien elles sont importantes pour conceptualiser les relations interpersonnelles. Le statut d’une personne se définit par l’ensemble des comportements à l’égard d’elle-même qu’elle peut légitimement attendre de la part des autres.”
12 G. S. Ghurye : Caste and Race in India, Londres, op. ct. p. 173.
13 E. K. Mukerjee ; Inter-Caste Tensions, op. ct. Laknau, pp. 27 & 84.
14 Μ. N. Srinivas : Caste in Modern India, op. ct. pp. 52-53.
15 Jean Stoetzel dans ; La Psychologie des relations interpersonnelles, op. ct., 1961, p. 342, fait remarquer que : “Des mécanismes comme l’identification, la projection, la compensation, la rationalisation, le transfert, la fixation, et d’autres, sont tous relatifs à la conduite interpersonnelle”.
16 N. K. Rose : Caste in India, dans Man in India 1951 XXXI, No. 3 & 4, pp. 115-116, Cité dans : F. L. K. Hsu : Clan, Caste and Club, op. ct. pp. 36-37.
17 Les différents dharma pour les différentes positions et occupations des individus et des castes ont donné naissance à une multiplicité de règles. La flexibilité du concept de dharma se trouve dans le concept de āpaddharma, selon lequel lorsque la vie d’un individu est en danger il peut abandonner le dharma traditionellement sanctionné en faveur d’une conduite qui n’est pas approuvée généralement. Par exemple, un Brahmane peut avoir recours à la mendicité s’il risque de mourir de faim et il en est de même-pour d’autres groupes de castes. Cf. Chapitre suivant pour une discussion plus détaillée : du sens et des caractéristiques du ahdrma.
18 F. L. K. Hsu : Three Worlds dans : Clans, Caste and Club, op. ct., p. 4.
19 S. Radhakrishnan ; Introductory Essay, Bhagavadgita, George Allen & Unwin, Londres, 1948, pp. 37-38.
20 Cependant, la quête de points d’attache supraterrestres ne conduit à aucune destination visible et ne fournit aucun critère de succès, excepté peut-être ce que le vrai mystique méprisera. F. L. K. Hsu : Clan, Caste and Club, op. ct. p. 5.
21 Cf. Chapitre : Three Worlds, dans F. K. L. Hsu, Clan, Caste and, Club, op. ct. pp. 1-11, pour une excellente discussion du contraste entre d’un côté le monde hindou centré sur le surnaturel et le monde chinois centré sur la situation et de l’autre le monde américain centré sur l’individu.
22 Cf. Chapitre : Three Worlds, dans F. K. L. Hsu, Clan, Caste and Club, op. ct. p. 10.
23 P. Thomas : Hindu Religion, Customs and Manners, 2° édition, D. P. Taraporevala & Sons, Bombay, p. 49.
24 F, L. K. Hsu : The Psychological Basis of Caste in India, dans Clan, Caste and Club, op. ct. p. 188.
25 F. L. K. Hsu : The Psychological Basis of Caste in India, dans Clan, Caste and Club, op. ct. p. 189.
26 Cf. Annexe : A Thematic Aperception Test Study of Chinese Hindu and American College Students, dans F. L. K. Hsu : Clan, Caste and Club, op. ct. pp. 263-311.
27 Ce tableau est un extrait du tableau complet qui inclut la répartition de sujets chinois et américains. F. L. K. Hsu, op. ct. p. 264.
28 F. L. K. Hsu, op. ct. pp. 264-65.
29 Leopold Bellack : The Thematic Apperception Test and the Childrens Apperception Test in Clinical Use, Grime, & Stratton, New-York, 1954, p. 101.
30 L. Abt & L. Bellack : Projective Psychology, A. A. Knopf. New-York, 1950, p. 211.
31 F. L. K. Hsu : A Thematic Apperception Test Study of Chinese, Hindu and American College Students, op. ct. p. 270.
32 Pour une discussion détaillée de l’interprétation des différents groupes, voir : Analysis of Groups, dans : Clan, Caste and Club, op. ct. pp. 270-79.
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La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012