IV. La communauté
p. 70-83
Texte intégral
1Le bouddhisme est la religion la plus importante de Ceylan, celle qui compte le plus d’adeptes et qui joue un rôle dominant dans toute l’activité du pays. Les deux tiers des Ceylanais sont bouddhistes, soit à peu près cinq millions d’individus en 1955.
2Les moines sont au nombre de 15.000 environ, ce qui représente un religieux pour 330 laïques. Cette proportion est inférieure à celle que Ton trouve dans les autres pays du Sud-Est asiatique où la coutume veut que les jeunes gens passent quelques mois dans un monastère.
3Les moines de Ceylan ne prononcent pas de vœux perpétuels, et chacun est libre de quitter la vie religieuse, en tout honneur, quand il lui plaît. Pourtant, la plupart des moines passent toute leur existence sous la robe jaune. Un petit nombre de jeunes gens, 2 à 5 % peut-être, font un stage de quelques années dans un monastère, comme novices puis comme moines confirmés.
1) Organisation nationale de la communauté
4Malgré son importance, le bouddhisme n’est pas défini à Ceylan comme religion d’Etat. Ceci constitue une sage mesure politique reposant sur le fait qu’à côté des quelque cinq millions de bouddhistes il y a aussi plus d’un million et demi d’hindouistes, environ quatre cent mille musulmans et plusieurs dizaines de milliers de chrétiens. Certains milieux bouddhistes, tant laïques que monastiques, s’efforcent pourtant de changer cet état de choses et revendiquent la reconnaissance du bouddhisme comme religion d’Etat par le gouvernement, mais ils se heurtent aux milieux modérés qui semblent actuellement représenter la majorité. Ce conflit religieux est du reste étroitement lié aux conflits politiques concernant les nationalités et les langues. En effet, les vrais Ceylanais sont bouddhistes et parlent le singhalais alors que les Tamouls vivant dans l’île sont hindouistes et parlent leur langue propre.
5Dans ces conditions, l’Etat n’accorde aucune aide financière aux monastères et se contente de donner des subventions, du reste insuffisantes, aux collèges bouddhiques ou pirīvena. Malgré cela, le gouvernement possède un droit de regard sur la gestion des biens appartenant aux grands monastères, et il a constitué un office particulier dont les membres surveillent les revenus et les dépenses de ces grands monastères. Ceux-ci paient pour cela un pourcentage minime sur leurs revenus, ce qui suscite beaucoup d’objections. Pourtant certains temples célèbres et riches, comme celui de la Dent à Kandy, ne sont pas l’objet de cette surveillance. Il doit y avoir, dans ce cas, survivance de privilèges accordés jadis par les rois de Ceylan.
6Il n’y a pas de chef de la communauté sur le plan national, analogue au saṃgharāja du Cambodge ou de la Birmanie. Les plus hauts dignitaires dans la hiérarchie sont, à Ceylan, les chefs de sectes, les mahānāyaka. Au-dessous viennent les anunāyaka, chargés de les représenter dans certaines circonstances, puis les nāyaka, qui dirigent chacun l’ensemble des moines de leur secte résidant dans une province déterminée, il faut également signaler les adhikaraṇanāyaka, chargés d’assurer le bon ordre dans la communante et d’y rendre la justice le cas échéant, et dont la juridiction s’exerce sur une province, parfois sur deux ou trois. En dehors et parallèlement à cette hiérarchie subsistent les upādhyāya, qui correspondent à peu près aux évêques chrétiens. Ils sont les précepteurs des novices et présentent les candidats à la vie monastique lors de la cérémonie d’ordination ou upasaṃpadā qui se déroule dans la salle capitulaire (uposathāgāra). Le terme upādhyāya désigne un titre et non pas une fonction. Les upādhyāya, moins nombreux que les nāyaka et considérés comme leur étant supérieurs, sont nommés par le chapitre de la secte à laquelle ils appartiennent. Les ācārya sont les professeurs des collèges monastiques.
2) Organisation locale de la communauté
7Dans les grandes villes les monastères n’abritent en général que de dix à quinze moines. Ainsi à Colombo, il y a douze moines à l’Asokārāma, quinze au Vajirārāma, quinze à l’Isipatanārāma, dix moines et dix novices au monastère de Ward Place, vingt moines au Gotamīvihāra, vingt-cinq au Jayavardhanārāma. Les grands séminaires bouddhiques sont évidemment plus peuplés. Au Vidyālaṅkāra Pirīvena résident cent moines, dont les vingt professeurs. Au Vidyodāya Pirīvena également on compte cent moines, dont les vingt-cinq professeurs. Pourtant, le premier admet cinq cents moines élèves et le second huit cents, mais il ne s’agit là que de demi-pensionnaires ou de résidents temporaires, A Ceylan, les plus grands monastères n’abritent pas plus de cent cinquante moines comme résidents permanents. Nous sommes loin des milliers de bhikkhu qui résident dans certains monastères du Siam et de la Birmanie et aussi des milliers que devaient renfermer les anciens monastères singhalais, à Anurādhapura et à Polonnaruwa par exemple.
8Dans les petits monastères ruraux, on ne rencontre généralement que trois ou quatre moines, et encore faut-il préciser que la plupart du temps on compte un seul monastère pour trois ou quatre villages.
9Le monastère est dirigé par un chef nommé aujourd’hui vihārādhipati et anciennement mahāthera, qui est responsable de l’administration et de la discipline. Il est choisi le septième jour après la crémation du précédent, par la communauté assemblée en présence des laïques. Ces derniers n’ont aucune voix, et leur présence, nullement nécessaire, n’est que traditionnelle. Généralement, c’est l’économe (vinayādhikārin) du monastère qui est ainsi choisi. S’il y a deux candidats, celui qui est évincé peut demander justice au chef de la secte (mahānāyaka) ou même aux autorités judiciaires civiles, mais ce dernier cas est très rare. Le vihārādhipati désigne de sa propre autorité parmi les moines de la communauté ceux qui sont chargés de fonctions particulières, telles qu’économat, service des invitations etc... Il fixe les dates des diverses cérémonies, décide des constructions et réparations à entreprendre etc.., mais il ne prend ces décisions qu’après avoir consulté la communauté et même dans certains cas, les laïques. Une motion est proposée, ceux qui l’approuvent se taisent, les autres font connaître leurs objections. On utilise très rarement le vote, qui risque de diviser la communauté, et l’on parvient presque toujours, après une discussion courtoise, à faire l’unanimité sur un sujet donné.
10Le chef du monastère désigne de lui-même, sans avoir à en référer à qui que ce soit, les moines chargés des diverses fonctions. Ces désignations sont, en général, définitives. Autrefois la gestion des grands monastères exigeait la collaboration d’un grand nombre de fonctionnaires religieux, chargés chacun d’une tâche précise, mais de nos jours où les plus grands monastères n’abritent guère plus de cent bhikkhu le nombre de ces fonctions est très réduit et il arrive même souvent que certains moines plus expérimentés que les autres assument plusieurs tâches à la fois.
11La plus importante de ces fonctions est certainement celle d’économe (vinayādhikārin). Considéré comme l’adjoint principal du vihārādhipati, il est généralement choisi pour lui succéder. Il est chargé d’accepter et d’arranger le programme des invitations, conférences, cérémonies et autres activités de la communauté.
12Parmi les fonctions mineures, il y a celle du gardien de magasin (baṇḍāhāra), à qui est confiée la garde et la répartition des biens conservés dans le magasin dont il a la clé. C’est à lui que doivent s’adresser les moines ayant besoin de vêtements, de livres etc... Un autre moine est chargé d’accepter les invitations (ārādhana) des laïques et un autre est désigné pour réciter les formulaires des actes disciplinaires (karmācārya). Un moine spécial est chargé de garder et d’entretenir le vikāra, le stūpa et l’arbre de bodhi. Il doit ainsi ouvrir la porte du temple aux pèlerins, les y guider et, soir et matin, nettoyer ces lieux sacrés, les balayer, ôter les fleurs fanées et les remplacer par d’autres. Il est directement responsable de cet entretien, mais les autres moines participent normalement à cette tâche. Cette fonction tardive n’a pas de titre spécial. On désigne celui qui en est chargé comme le moine “du vihāra”. Il faut enfin citer les professeurs (ācārya) chargés de l’éducation des novices.
3) La vie économique des monastères
13Comme toute société humaine, la communauté bouddhique est astreinte à certaines activités économiques, et comme beaucoup de sociétés religieuses, elle se trouve en cela gênée par l’idéal de pauvreté qu’elle a choisi. En fait cette difficulté a été résolue depuis bien des siècles et on pourrait écrire des volumes sur l’histoire des solutions qui ont été utilisées au cours des âges par les communautés bouddhiques. Bornons-nous à examiner l’état présent des choses. Deux cas peuvent se présenter, celui des grands monastères anciens subsistant et celui des monastères modernes.
14Les grands monastères anciens, très rares, ont conservé les biens qui leur avaient été accordés jadis par les rois de Ceylan, d’où le nom de “grands monastères royaux” (rājamahāvihāra) qu’ils continuent de porter. Ils possèdent ainsi des terres, des dizaines ou des centaines d’hectares, de rizières ou de cocoteraies et aussi, parfois, des titres bancaires et même des revenus prélevés sur les contributions publiques· A ces donations royales, il faut évidemment ajouter les donations privées des riches laïques soucieux de suivre l’exemple de leurs souverains. Ces monastères sont donc généralement riches. En fait, ils sont très rares et constituent un anachronisme.
15Les monastères modernes vivent, eux, uniquement de la charité privée. Chacun d’eux possède généralement un petit bien foncier, constitué par deux ou trois hectares de rizière ou de cocoteraie, mais le plus clair de ses revenus vient des dons que lui assure régulièrement la communauté des laïques de sa paroisse. Celle-ci est organisée en une société de donateurs (dāyakasabhā) à laquelle participent tous les laïques, hommes et femmes. Elle élit un comité de direction de cinq à quinze personnes qui est chargé de répartir les tours de donation entre les familles des laïques.
16Chaque famille apporte ainsi à tour de rôle sa contribution à l’entretien de la communauté des moines. En principe, elle doit fournir la nourriture de toute la communauté pour cette journée entière. Dans une paroisse groupant soixante familles laïques par exemple, chacune d’elle doit s’acquitter de cette tâche tous les deux mois. En fait, et c’est là qu’intervient surtout le comité de direction, on tient compte de la prospérité et des charges de chaque famille, Ainsi une famille pauvre peut se contenter de fournir le petit déjeuner de la communauté et une famille riche, au contraire, se charger de nourrir les moines pendant deux ou trois jours.
17Il en est de même en ce qui concerne les dons de vêtements, de meubles, d’ustentiles divers, la construction et l’entretien des bâtiments monastiques. Les laïques peuvent y contribuer en apportant au comité les objets eux-mêmes, en lui versant une certaine somme d’argent, ou encore en accordant quelques heures de travail à l’entretien et à la construction des bâtiments. Souvent une famille très riche ou plusieurs familles aisées se chargent de ces dépenses extraordinaires et il est courant de trouver dans les monastères des inscriptions signalant que telle chaire, telle table, tel édifice ont été donnés par telle famille. Assez généralement, ces donations sont faites au nom d’une personne décédée, soit qu’elle ait inscrit cette donation dans son testament, soit que ses héritiers espèrent ainsi lui assurer une meilleure destinée après la mort. La doctrine bouddhique des Theravādin n’admettant pas la cession des mérites d’une personne à une autre, comme cela est courant au Japon, on peut voir là un moyen de tourner cette difficulté en attribuant au défunt la responsabilité d’un don qui incombe parfois plus à ses héritiers qu’à lui-même.
18Nous avons fait allusion, un peu plus haut, au don de travail. La forme la plus habituelle de celui-ci est représentée par l’activité des domestiques laïques des monastères. Ceux-ci sont généralement des vieillards sans profession et sans famille qui ont choisi de finir leurs jours en accomplissant les humbles besognes domestiques (préparation des repas, nettoyage etc..) auxquelles ne peuvent se livrer les moines. On les appelle upāsaka. Parfois ce service est assuré par des adolescents qui reçoivent l’enseignement des moines et paient ainsi leurs études. Dans les grands monastères riches des villes, les travaux domestiques sont le plus souvent exécutés par des domestiques à gages, rétribués par le comité laïque de gestion des biens du monastère. L’entretien de ces grands établissements exige parfois un nombreux personnel spécialisé de cuisiniers, plongeurs, balayeurs, blanchisseurs et même chauffeurs lorsque le monastère possède une voiture.
19Les donations en espèce sont, nous l’avons vu, permises. En principe, conformément aux règles du Vinaya, les moines ne doivent pas recevoir d’argent ni même le toucher et n’accomplir aucune opération le concernant. En fait, dans les circonstances de la vie moderne, cela est devenu bien difficile sinon tout à fait impossible. Si les moines de certaines sectes, notamment des sectes birmanes plus conservatrices et plus austères, continuent à éviter scrupuleusement tout contact avec les pièces de monnaie et les billets de banque, ceux des autres sectes demeurent fidèles à l’esprit mais non à la lettre des vieux règlements.
20En général, il n’est pas permis à un moine de recevoir de l’argent de la main à la main. Dans presque tous les monastères, notamment tous les temples et sur la plate-forme des stūpa, à côté des tables d’offrandes, il y a des troncs fermés par un cadenas et dans lesquels il est loisible à quiconque de déposer une obole. Les fonds ainsi recueillis sont gérés, comme les autres biens du monastère, par le comité des laïques. Lorsqu’un dévot ou un visiteur tient à faire un don en espèces de quelque importance, c’est à ce même comité qu’il doit le remettre, ou à l’un de ses membres qui, après avoir fait constater le don au moine économe (vinayādhikārin), prend la responsabilité de l’utiliser au profit de la communauté.
21Si, à l’intérieur d’un monastère, un moine n’a pas l’occasion de manipuler d’argent puisque le comité des laïques veille à la totalité de son entretien, il est souvent amené lorsqu’il sort, et notamment lorsqu’il voyage, à l’utiliser. Il est en effet impossible que chaque moine soit toujours accompagné dans ses moindres déplacements par un laïque chargé de régler ses dépenses diverses et notamment ses frais de voyage.
22Au point de vue fiscal, les monastères, étant considérés comme des institutions charitables, sont exonérés de tous impôts et taxes.
23Il faut signaler, en guise de conclusion, un phénomène en apparence paradoxal, le fait que, plus les moines d’une communauté font preuve d’austérité, en observant scrupuleusement les anciens règlements, plus cette communauté est riche. En effet, le renom d’austérité de ces moines attire l’attention des personnes pieuses qui se montrent plus généreuses dans leurs offrandes. C’est du reste là un phénomène courant dans l’histoire des religions et qui n’est pas particulier au bouddhisme, mais qui se complique pour lui assez curieusement. En effet, le mérite spirituel étant lié au don, la communauté est tenue d’accepter ces offrandes pour ne pas priver le donateur du mérite ainsi recherché ; mais comme la communauté n’est pas en principe un organisme charitable, elle ne peut transférer les richesses ainsi acquises à des gens dans le besoin et se voit donc contrainte de les accumuler pour son seul usage propre, même si leur montant dépasse ce qui lui est nécessaire pour subsister.
24Ce phénomène a joué un grand rôle dans la vie des communautés bouddhiques des siècles passés dans tous les pays où le bouddhisme a été florissant et il explique en grande partie l’immense puissance économique acquise souvent par le Saṃgha1. Il a conservé de nos jours une importance notable dans certains pays comme la Birmanie et le Thaīland, mais il ne semble pas exister sur une aussi grande échelle à Ceylan. De plus, le développement des activités charitables des monastères et la constitution de fonds spéciaux liés à celles-ci permettent, dans certains cas, de disposer du surplus des richesses acquises au profit des nécessiteux.
4. Les activités culturelles des monastères
25En dehors des occupations proprement religieuses, les activités les plus importantes des moines concernent l’enseignement. Celui-ci se divise en enseignement destiné aux novices et aux jeunes moines et enseignement destiné aux laïques.
26Les novices sont généralement des adolescents, les plus jeunes ayant environ dix ou douze ans, mais il y a aussi parmi eux des adultes ayant décidé tardivement de prendre la toge. Leur éducation dure plusieurs années et comprend, outre la lecture, l’écriture et le calcul, l’étude du pâli et du sanskrit, de la littérature canonique et paracanonique, de l’histoire du Saṃgha, de la discipline et de la liturgie, parfois-de la médecine ayurvédique ou même de l’astrologie. Le chef du monastère désigne le ou les maîtres chargés de les éduquer et chacun de ceux-ci s’occupe d’un ou deux novices, rarement plus. Les novices vivent comme les moines, portent les mêmes vêtements, ont le crâne rasé et sont astreints à la plupart des règles du monastère dans lequel ils résident.
27Dans les grands séminaires ou pirīvena, fréquentés souvent par des centaines de novices, l’organisation est évidemment différente et ressemble à celle de nos séminaires et collèges occidentaux. Au Vidyodaya pirīvena de Colombo, il y a huit cent moines et novices inscrits comme élèves et vingt-cinq moines professeurs. Au Vidyālaṅkāra pirīvena, il y a cinq cents élèves religieux et vingt professeurs. L’enseignement donné dans ces séminaires s’adresse aux novices et aux moines qui ont déjà accompli plusieurs années d’études et représente donc un cycle supérieur, plus ou moins spécialisé. Ainsi, le Vidyodaya pirīvena est le grand centre singhalais des études de médecine ayurvédique. Les cours n’occupent qu’une partie de la journée et par exemple, au Vidyālaṅkāra pirīvena, ils ne durent que quatre heures, de 14 h. à 18 h. Les élèves sont soumis à des examens qui se déroulent d’une façon identique aux nôtres. J’ai pu ainsi pénétrer dans une salle d’examen en plein fonctionnement, au Vidyālaṅkāra pirīvena. Deux cents novices et jeunes moines d’une vingtaine d’années, assis chacun sur une chaise devant une petite table, rédigeaient en belle écriture singhalaise leurs compositions sur de grandes feuilles de papier blanc analogues aux nôtres. A chacun avait été remis une petite feuille imprimée en écriture singhalaise contenant le sujet à traiter. Le silence était total, les candidats sérieux et appliqués. Sur l’estrade et dans les travées, quelques professeurs surveillaient l’ensemble des candidats. S’il n’y avait pas eu les toges jaunes, les crânes rasés et les deux cents parapluies accrochés au dossier des sièges ou au rebord des fenêtres, on aurait pu se croire tout à fait dans une quelconque salle d’examen parisienne.
28Dans l’enseignement destiné aux laïques, on peut distinguer l’enseignement classique et l’enseignement proprement religieux. Le premier est une survivance de l’ancien monopole de fait que possédaient les monastères en ce qui concerne l’enseignement général des enfants laïques. Aujourd’hui, l’état a pris à sa charge cet enseignement et presque chaque village possède son école tenu par des instituteurs laïques. Mais, comme en France, actuellement, à côté de cet enseignement public, il subsiste un enseignement privé qui est donné par les communautés religieuses. Il n’est guère de monastère un peu important qui n’ait ainsi conservé quelques élèves laïques, car l’opinion publique considère que l’enseignement des moines en ce qui concerne les matières classiques (pâli, sanskrit, singhalais et cultures correspondantes) est meilleur que celui des laïques, plus moderne et plus pratique. Il est même assez courant, parait-il, de voir des adolescents suivre également les cours de l’école d’Etat et ceux de l’école monastique. Il m’a s’emblé pourtant que le nombre de ces élèves était généralement très restreint. Ainsi, à l’Isipatanārāma, l’école est minuscule et ne compte que quatre élèves. Il en va évidemment tout autrement dans les grands séminaires ou pirīvena, qui accueillent des centaines d’élèves laïques. Il y en a sept cents au Vidyālaṅkāra pirīvena, qui y viennent étudier tous les jours, sauf le dimanche, de 8 h à 12 h, en même temps que les jeunes novices qui commencent leurs études classiques. Les élèves des deux sexes y sont accueillis également mais la prédominance des garçons est très nette. Les études commencent à l’âge de douze ou treize ans et durent de trois à cinq ans selon les aptitudes des élèves et le niveau qu’ils désirent atteindre.
29Les monastères peuvent également se charger de l’éducation des adultes. Ainsi, le Vidyālaṅkāra pirīvena reçoit le soir, entre 18 h et 21 h, quelque trois cents adultes, des laïques mais aussi quelques moines, auxquels il dispense un enseignement moderne de style anglais.
30Suivant en cela la coutume des pays chrétiens, les communautés bouddhiques de Ceylan dispensent aux enfants laïques des deux sexes un enseignement dominical. Chaque dimanche matin, de 8 h à 12 h, les enfants de la paroisse se réunissent dans la dharmasālā équipée en salle de classe à l’aide de bancs, de tables et de tableaux noirs et y reçoivent un enseignement religieux et des rudiments d’enseignement classique. Ces cours sont aussi régulièrement suivis que le catéchisme ou l’école du dimanche dans les églises catholiques et les temples protestants de l’Occident chrétien. L’Isipatanārāma de Colombo accueille ainsi chaque dimanche environ deux cents enfants.
31Les cours sont gratuits, sauf dans les monastères où les maîtres ont le statut de professeur, mais dans ce cas les sommes sont versées à la communauté. C’est pour une grande part à cet enseignement traditionnel, fonctionnant depuis des siècles, que Ceylan doit le rang honorable qui est le sien parmi les pays d’Asie en ce qui concerne l’éducation.
32Les activités culturelles des moines ne se bornent pas à l’enseignement. Certains d’entre eux suivent aussi les cours de l’Université de Ceylan et y acquièrent divers grades et titres, y compris celui de docteur. Les plus érudits se livrent à des recherches concernant l’histoire, la littérature, les doctrines du bouddhisme, non seulement du Theravāda mais aussi des autres familles spirituelles de cette grande religion. D’autres écrivent des articles et des ouvrages destinés à faire mieux connaître et comprendre leurs doctrines, ou à guider les fidèles dans leurs exercices religieux et leurs méditations. D’autres encore préparent des éditions des livres canoniques et paracanoniques. Il en est enfin qui organisent des conférences et des congrès ayant pour thème quelque sujet religieux.
5. Les activités charitables des monastères
33L’exercice de la médecine par les moines remonte aux premiers temps du bouddhisme et il fut basé sur la nécessité de faire soigner les moines malades par les autres religieux de la communauté. Il n’est donc pas étonnant que l’un des principaux séminaires de Ceylan, le Vidyodaya pirīvena, serve d’Ecole de médecine pour les moines. Il s’agit bien entendu de médecine ayurvédique.
34Il y a donc, parmi les moines, un corps de médecins qui possède des hôpitaux et donne des consultations dans les monastères. Ces médecins religieux ne réservent pas leurs soins aux seuls moines, mais-ils soignent également les laïques. Selon la coutume qui régit les relations économiques entre les moines et les laïques, ceux-ci ne versent pas au médecin des honoraires fixes mais ils font à la communauté des dons dont le montant est laissé à leur discrétion et qui varie par conséquent selon leur richesse. Ces dons sont généralement affectés à l’entretien des écoles et au fonctionnement des institutions charitables dépendant de la communauté.
35Il existe en effet d’autres activités charitables auxquelles peuvent se livrer les moines. Ainsi, certains d’entre eux organisent des visites aux malades des hôpitaux civils et remettent aux plus déshérités d’entre eux des dons provenant de fonds alimentés comme ci-dessus.
36D’autres s’occupent de recueillir et d’élever des orphelins, mais cette tâche est généralement assumée par des nonnes ou upāsikā, surtout si les enfants ainsi recueillis sont des fillettes. J’ai pu visiter le home d’enfants du Vihāra Mahādevī, situé dans la campagne à quelque 20 km. au Nord-Est de Colombo. Il abrite une centaine de fillettes de trois à seize ans dont s’occupent quelques femmes de tous âges, pleines d’enthousiasme. Les bâtiments sont neufs et ne comportent pas d’étage. Ils sont réunis autours d’une cour centrale, à la mode singhalaise, mais pourvus de tout le confort nécessaire, peints de couleurs claires et gaies et admirablement tenus. Tout est prévu, y compris l’infirmerie où les enfants malades sont isolées, et les chambres destinées aux visiteurs occasionnels. Les fillettes sont bien tenues, habillées de vêtements variés, clairs et bien adaptés à leur àge, sans que rien rappelle l’uniforme sombre et sévère des anciens orphelinats occidentaux. Elles sont visiblement bien nourries et gaies. A quelques mètres de là se trouve le couvent ou ārāma des nonnes, neuf et admirablement tenu lui aussi. Onze nonnes y résident, d’âges fort divers et la supérieure est une jeune Allemande, ce qui explique sans doute pour une bonne part la ressemblance frappante de ce home d’enfants singhalais avec ceux que l’on peut trouver en Allemagne ou en Suisse.
6. Les activités sociales et politiques des monastères
37De même que les curés et les pasteurs dans nos villages et bourgades d’Occident, les bhikkhu jouent un rôle important sur le plan social et politique. Ils sont généralement choisis comme conseillers (anusāsaka) dans les sociétés locales pour le progrès rural (grāmavardhana) et ils en sont souvent les dirigeants de fait. Ces sociétés s’occupent de tout ce qui concerne l’amélioration du bien-être dans les villages, de l’agriculture, des routes, du commerce etc. Il y a, chez les moines modernes, un grand mouvement d’intérêt pour la vie civile (artha), conjointement â l’intérêt naturel pour la vie religieuse (dharma).
38Cela se manifeste notamment dans la vie politique, à laquelle les moines prennent une part très active car aucun règlement ne le leur interdit. En fait, ce sont surtout les jeunes bhikku qui se mêlent ainsi à la vie politique, avec une tendance générale très nette pour les partis de gauche et même d’extrême-gauche. Les vieux moines, naturellement plus réservés et d’opinions plus conservatrices, voient avec réprobation le développement de cette tendance progressiste. Certains d’entre eux même, ressentant plus ou moins consciemment le besoin de rétablir l’équilibre politique et de réagir contre un mouvement qui leur semble aller contre les intérêts généraux de la communauté, ont ainsi été amenés à patronner des partis du centre et de la droite. Leur opinion est influencée de façon complexe par le réveil du nationalisme et le rêve de voir un jour le bouddhisme devenir religion d’Etat comme dans d’autres pays du Sud-Est asiatique et acquérir ainsi des avantages particuliers.
39Les jeunes moines collaborent en grand nombre aux partis du centre gauche, notamment au parti socialiste libre qui correspond à peu près à l’aile gauche du parti radical dans la France actuelle. Ils ne se contentent pas de lui témoigner leur sympathie mais ils y sont inscrits et militent activement et publiquement dans ses rangs.
40Un certain nombre de moines vont plus loin et sympathisent avec l’un ou l’autre des deux partis communistes singhalais, le parti stalinien et le parti trotzkyste. Il est pourtant extrêmement rare que leur ardeur aille jusqu’à les convaincre de devenir membre de l’un ou l’autre de ces deux partis. On doit signaler cependant que, pendant quelque temps, le chef de l’un d’eux fut un authentique bhikkhu.
41L’action politique des moines, si elle ne peut guère être que verbale, n’en est pas moins fort efficace en raison de l’influence qu’ils exercent sur une population très pieuse dans l’ensemble. Elle ne manque pas de se manifester à la moindre occasion, qu’il s’agisse de préparer des élections ou, comme dans l’été 1953, de soutenir un mouvement de grève.
42Les motifs de cette action politique sont évidemment très complexes et pas toujours faciles à déterminer. Certains reposent certainement sur l’intérêt bien compris de la communauté, soit qu’avec la tendance conservatrice on veuille préserver ou même accroître les avantages de la vie monastique, soit qu’avec la tendance progressiste on veuille éviter d’être “débordé sur la gauche” et de voir le bouddhisme subir cette désaffection des masses populaires que connaît le christianisme dans certains pays d’Europe durement touchés par la propagande d’extrême-gauche. Il y a pourtant des motifs plus nobles et plus désintéressés. Le parti monastique conservateur peut ainsi vouloir rester fidèle au vieil idéal de la vie religieuse antique, purement contemplative et demeurant en marge de la vie civile. Le parti progressiste peut, au contraire, désirer réformer la société laïque en appliquant avec une subtilité et un zèle nouveaux la morale bouddhique. Cela ressort nettement des intéressantes conversations que j’ai pu avoir avec des représentants éminents des deux tendances. En fait, on retrouve ici des motifs d’action tout-à-fait analogues à ceux des prêtres et pasteurs chrétiens, et ce n’est pas étonnant puisque, chez les uns comme chez les autres, s’est éveillé la conscience du danger énorme que court la religion qu’il s’agisse du bouddhisme ou du christianisme, dans les circonstances politiques actuelles.
7. Les nonnes
43Depuis bien des siècles, il n’y a plus de nonnes au sens propre du terme, c’est-à-dire de bhikkhunī. Pourtant on rencontre encore actuellement, à Ceylan, des nonnes bouddhiques auxquelles on donne le nom d’upāsikā qui désignait autrefois les dévotes laïques.
44Elles ont le crâne rasé comme les moines et portent le même costume avec les mêmes nuances de couleurs et, en plus, un corsage de tissu fin, à manches longues, de couleur blanche, jaune ou ocre. Elles ne prononcent pas de vœux perpétuels et peuvent reprendre la vie civile quand elles le désirent.
45Elles vivent en petites communautés de femmes. Le seul couvent que j’ai visité, celui du Mahādevī Vihāra quoique tout neuf, est construit sur le plan des monastères antiques : un cloître sensiblement carré donnant sur une cour intérieure et sur lequel s’ouvrent toutes les cellules. Cet exemple, malheureusement unique dans ma documentation, semblerait indiquer que la vie des nonnes est plus retirée, tourne plus le dos à la vie extérieure que celle des moines. Pourtant, il m’est arrivé plusieurs fois à Colombo et à Anurādhapura de croiser une nonne dans la rue, voyageant seule ou accompagnée de quelques laïques. Leur nombre est assez réduit, quelques centaines m’a-t-on dit.
46Etant considérées comme des laïques, ainsi que l’indique leur nom, elles doivent rendre aux moines les mêmes honneurs que ceux-la. Lors de ma visite au Mahādevī Vihāra, on fit asseoir dans des fauteuils, sous la véranda de l’ārāma, les deux bhikkhu que j’accompagnais et les nonnes vinrent à tour de rôle saluer front contre terre leurs deux honorables visiteurs. Ceux-ci, sans esquisser un mouvement, les yeux baissés, murmuraient à chaque fois la bénédiction habituelle. Les couvents des upāsikā sont, comme autrefois ceux des bhikkhunī soumis à l’autorité des moines.
47Les activités extra-religieuses des upāsikā semblent se concentrer sur l’enseignement et les œuvres charitables et sans doute se consacrer plus spécialement aux fillettes et aux femmes, dont il est impossible pour les moines de s’occuper directement. On retrouve donc ici encore un parallélisme avec le christianisme dans lequel les sœurs, catholiques et les diaconnesses protestantes s’occupent plus particulièrement de l’éducation des fillettes et des jeunes filles et des œuvres d’assistance charitable.
Notes de bas de page
1 Pour la Chine voir J. Gernet : Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du Ve au Xe siècle, Saïgon,
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La création d'une iconographie sivaïte narrative
Incarnations du dieu dans les temples pallava construits
Valérie Gillet
2010
Bibliotheca Malabarica
Bartholomäus Ziegenbalg's Tamil Library
Bartholomaus Will Sweetman et R. Ilakkuvan (éd.) Will Sweetman et R. Ilakkuvan (trad.)
2012