Introduction
p. 1-7
Texte intégral
Bei den textlichen Parallelen stellt sich sofort die Frage, erstens ob sich diese Parallelität nur auf den Inhalt der Aussage bezieht, oder zweitens auch auf die Wortwahl, drittens, ob die Gleichheit selbst bei der Wahl der Hieroglyphen zu beobachten ist und viertens, ob sich die Identität bis hinein in die Gruppierung der Zeichen fortsetzt.
Erich Winter (1995, p. 305)
1Le choix du thème de cet ouvrage résulte d’un constat : quoique souvent évoqué dans la recherche égyptologique, le phénomène d’échanges et de diffusion de pratiques cultuelles comme de textes sacrés à travers l’Égypte tardive n’a jamais fait l’objet d’un ouvrage qui lui soit complètement dédié. Les dernières décennies ont apporté une considérable augmentation des témoignages répertoriés de ces pratiques, à la suite de la publication de nombreuses études consacrées aux inscriptions des temples de Haute Égypte et aux papyri des périodes hellénistique et romaine. Parmi ceux-ci, signalons l’article devenu classique de Erich Winter dans le troisième volet des Tempeltagung (Winter 1995), qui constate les parallèles, parfois exacts, parfois avec des adaptations locales, de quelques inscriptions dans les sanctuaires de Philae, Edfou et Kalabcha, témoignant ainsi de l’intertextualité. De la même façon, Philippe Derchain dans les Festschrift Winter (Derchain 1994), étudie les rapports existants entre quelques textes du temple d’Opet et de la porte d'Évergète à Karnak, et certains passages du papyrus Berlin 3049.
2Plus récemment, pour ne citer que quelques exemples, Christophe Thiers et Youri Volokhine ont signalé la reproduction dans le décor pariétal des cryptes du temple d’Ermant des passages du Stundenritual (Thiers, Volokhine 2005, p. 68-70). Dans le temple d’Esna, on a pu mettre en évidence la reproduction à l’identique de petits extraits inscrits dans la salle hypostyle du temple d’Hibis, ainsi que la parenté d’autres avec ceux présents dans le décor d’une des chapelles osiriennes de Dendara (Fernández Pichel 2018, p. 50-53 (g) et p. 167).
3Dans la lignée de ces contributions antérieures, et sans prétendre bien sûr épuiser un sujet par nature fort vaste, les articles réunis ici ont pour objectif d’apporter d’autres éclairages sur ce phénomène et permettent d’envisager l’ampleur et la multiplicité des formes prises par ces échanges en présentant de nouveaux exemples, souvent inédits, de ces pratiques textuelles et rituelles.
4La publication à l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao) d’un tel ouvrage prend tout son sens lorsque l’on considère l’importance de la contribution de cette institution à l’étude de l’Égypte tardive, d’une part grâce à la publication des inscriptions de nombre de temples tardifs dans la collection Temples ou dans les MMAF et les MIFAO, et d’autre part grâce aux nombreuses études issues de ces sources primaires effectuées par ses chercheurs et parues notamment dans les BdE ou dans des articles du BIFAO.
5L’édition de cet ouvrage n’aurait, en outre, pas pu voir le jour sans le soutien du LabEx ARCHIMEDE et de l’équipe Égypte nilotique et méditerranéenne (UMR 5140, Archéologie des sociétés méditerranéennes) de l’université Paul-Valéry – Montpellier 3, laquelle a également une longue tradition de recherche autour des temples et de la religion tardive, initiée par François Daumas et continuée ensuite par Jean-Claude Grenier ou encore Christophe Thiers.
6Alors que la religion de l’Égypte tardive faisait l’objet d’un intérêt croissant, il est devenu apparent que les temples et leurs clergés ne fonctionnaient pas comme des entités isolées, chacune développant localement une théologie propre à un collège divin et des rituels spécifiques qui lui seraient réservés. Au contraire, l’étude des théologies, des textes comme des pratiques cultuelles a montré l’existence de nombreux points de contact et d’échanges, entre les dieux comme entre les hommes. Certains liens sont évidents et multiples, comme par exemple entre les temples d’Edfou et de Dendara, tandis que d’autres sont plus subtils. En effet, bien que ces échanges soient avérés et témoignent d’une certaine universalisation de la religion égyptienne au niveau du pays, chaque clergé local a à cœur de transformer ces emprunts pour les adapter aux particularités de son panthéon et de ses sanctuaires. De fait, il est souvent difficile de tracer avec certitude l’origine exacte de telle ou telle influence, de postuler l’existence d’un texte-source (Urtext) ou encore de définir quelle est la part de « norme » et la part d’adaptation dans chaque tradition. Cependant, ce processus de diffusion et d’échanges à travers les différents lieux de culte de l’Égypte ptolémaïque et romaine se fait jour de plus en plus régulièrement dans les recherches actuelles.
7L’objectif du présent ouvrage est donc de contribuer à une meilleure compréhension de ces relations et des pratiques rituelles qui les sous-tendent, afin de mettre en valeur les modalités de fonctionnement de la religion égyptienne tardive, au cœur d’un double mouvement, d’apparence contradictoire, de standardisation d’une part et de singularisation locale d’autre part.
8Ces phénomènes de diffusion des textes et d’analogies entre les rites s’inscrivent dans une dynamique complexe de production et de reproduction textuelle qui témoigne de l’importance de la tradition et de l’ancrage de tout acte rituel dans la « première fois » (Vernus 2017). Par conséquent, que l’on produise de nouveaux textes, de nouveaux rites, ou que l’on reproduise des textes et des pratiques anciennes, la présence de la tradition est primordiale et vient donner forme au texte comme au culte. Toute création, toute diffusion d’un rituel est ainsi sous-tendue par deux mouvements qui s’opposent et s’attirent à la fois : la reproduction d’un modèle passé et l’adaptation à la situation actuelle (Vernus 2017, p. 482).
9Bien attestée dans l’Égypte tardive, tant dans le domaine de la théologie que dans les aspects pratiques des rituels, cette double influence peut être mise en évidence par l’archéologie comme par la philologie ou encore l’histoire des religions et des mentalités. Que ces tendances mimétiques et ces échos textuels et cultuels, dont témoignent notamment les études sur la genèse textuelle et l’intertextualité, se retrouvent en divers lieux d’Égypte implique en outre un substrat commun de la culture sacerdotale et une diffusion d’un clergé à un autre de ces traditions, diffusion plus ou moins large selon les cas et les contextes (Jambon, Fortier 2009, p. 86-88, § 4.2).
10Parmi les phénomènes d’échanges les plus aisément identifiables se trouve celui de la diffusion d’un même corpus de textes dans plusieurs sanctuaires. Là où un premier temps de l’investigation a conduit les savants à rechercher l’unité, le parallélisme voire la copie exacte entre ces textes issus de différentes sources (par exemple, Junker 1910), on s’intéresse désormais aux variantes d’une copie à l’autre et à la mutation des textes ou, en d’autres termes, à « ce qui relève de l’esprit » et « ce qui relève de la lettre » (Jambon, Fortier 2009, p. 86). Le but est ainsi d’identifier dans le texte ce qui correspond à une structure commune propre au type de texte et ce qui s’apparente à une adaptation aux pratiques et à la théologie locales.
11Dans cette perspective, l’article de Nicolas Leroux consacré aux légendes fonctionnelles de porte met au jour les règles de rédaction qui les sous-tendent et se retrouvent dans tous les temples où elles apparaissent. Mais il montre également les spécificités propres à chaque temple ainsi que les reprises et les adaptations faites par chaque clergé. Des échos textuels se dévoilent ainsi, tant d’un temple à un autre qu’à l’intérieur d’un même sanctuaire. Il s’agit parfois d’une copie pratiquement à l’identique d’un texte d’Edfou à Dendara, ou alors de jeux sémantiques au sein d’une même légende ou encore de variations lexicales dans le corpus d’un même temple. Ayant reconnu l’unité de ce type d’inscriptions, il s’agit désormais de faire résonner leurs spécificités, que ce soit au niveau du texte lui-même et de sa signification ou bien vis-à-vis de son emplacement dans le temple.
12Par son travail sur un autre corpus, celui des « manuels de géographie liturgique », Lorenzo Medini aborde également cette question des rapports entre un texte très stéréotypé, tant par sa forme que par son contenu, et les adaptations qui en sont faites selon l’endroit où il est inscrit. Se présentant sous la forme d’une suite de scènes d’offrandes organisées géographiquement et généralement placées au troisième registre des murs du temple, ces manuels donnent un aperçu des rites spécifiques de chaque province égyptienne. La comparaison des similitudes et des différences entre ces manuels dans les temples où ils apparaissent permet de faire émerger non seulement des pratiques de copie et de distribution géographique et chronologique de certaines traditions sacerdotales, mais aussi des adaptations spécifiques au contexte d’un temple particulier et de sa théologie.
13C’est d’ailleurs à l’une de ces adaptations spécifiques que Romain Ferreres consacre sa contribution. Il choisit ainsi un autre point de vue pour traiter la question de la tension entre « copie » et « adaptation » en s’attachant à étudier les raisons de la substitution d’un rite inhabituel au rite « canonique » des manuels étudiés par L. Medini dans le cas de la scène consacrée à la XXIe province de Haute Égypte sur les colonnes du pronaos d’Edfou. Seule une étude attentive des jeux de construction internes à la décoration des colonnes, associée à une connaissance des sources relatives à la province et au sacrifice de l’oryx, permet de mettre en évidence les raisons de ce changement et les réseaux de circulation thématique au sein du pronaos qui ont permis la substitution de ce rite en respectant à la fois la logique interne voulue par les hiérogrammates du pronaos d’Edfou et les traditions rituelles propres à la province concernée.
14Cet exemple témoigne de toute la richesse et la subtilité de la création des programmes décoratifs des temples tardifs et des textes qui les accompagnent, aussi bien du point de vue de la théologie que du rituel. Il montre également que les connaissances d’un clergé ne se résumaient pas à leur seul temple ou à leur province mais que les prêtres pouvaient avoir accès à des traditions moins connues et plus lointaines pour les incorporer à leurs constructions théologiques. Les liens entre les temples se matérialisent alors non pas dans la forme même des textes mais, plus subtilement, à travers des circulations d’idées et des influences théologiques discrètes : une épithète ou une épiclèse, un élément de théologie précis ou encore une pratique rituelle spécifique qui se retrouvent en différents lieux et qui témoignent des échanges et des contacts, d’une volonté de créer une relation entre différentes sphères religieuses.
15C’est ce que cherche à mettre en évidence l’article d’Abraham I. Fernández Pichel en s’attachant quant à lui à l’étude des analogies constatées entre les théologies des principales divinités criomorphes du panthéon égyptien dans la documentation tardive. Il montre également le rapprochement explicite à plusieurs reprises entre Khnoum, Banebdjed et Herichef témoignant de la transmission des savoirs et de la réinterprétation théologique qui vise à une mise en valeur des particularités locales de leurs centres de culte majeur à Esna, Éléphantine, Mendès et Héracléopolis Magna.
16C’est également ce que l’on constate avec l’introduction, au début de l’époque romaine, du dieu Haroéris de Létopolis dans la IXe province de Haute Égypte. Si l’origine de la diffusion de ce dieu dans une province distante de son lieu d’origine et de ses autres lieux de culte antérieur n’est pas au cœur de la contribution de Marion Claude, elle met en avant les modalités pratiques de l’implantation du culte dans la région d’Akhmîm à travers l’étude des sépultures de faucons sacrés liés au dieu et des textes qui y sont associés. Les pratiques relatives au culte de ces faucons sacrés qui se font ainsi jour entrent en résonnance avec d’autres cultes du même type à travers l’Égypte et permettent d’envisager au niveau rituel et matériel aussi bien les similitudes que les divergences dans ces pratiques et leur ancrage religieux.
17Cette approche plus pratique de la circulation des cultes à travers l’Égypte hellénistique et romaine se retrouve également dans les articles d’Audrey Eller et Charlène Cassier. En effet, A. Eller s’interroge sur la présence de Seth comme dieu des oasis dans les temples gréco-romains et met ainsi en évidence l’influence de l’économie sur la théologie. Elle montre comment des réalités pragmatiques, telles que l’importation de vin des oasis, parmi les offrandes prisées des temples ptolémaïques, a pu influencer la théologie de ces derniers en rendant un aspect positif à la divinité de ces franges désertiques, Seth.
18Quant à C. Cassier, elle mène son enquête à travers les sources papyrologiques grecques et démotiques pour tenter de comprendre comment les divinités de la XXIe province de Haute Égypte se sont implantées dans le Fayoum. Ces influences se remarquent en effet à différents niveaux, théologique et topographique, et pourraient avoir accompagné des déplacements de population, phénomène habituellement difficile à identifier avec certitude.
19Ainsi, à travers les divers travaux réunis dans cet ouvrage, plusieurs modalités d’échanges et de circulation dans les temples tardifs sont étudiées : théologiques, textuelles, géographiques, cultuelles, etc. montrant ainsi la vivacité des échanges entre les différents clergés égyptiens, mais aussi leur capacité à modifier, intégrer, adapter ces influences extérieures pour les intégrer à un contexte local. Ces échanges résultent de deux mouvements de direction opposée, une spécialisation accrue des pratiques locales et en même temps une uniformisation de la « religion égyptienne », en apparence contradictoires mais qui sont en fait au cœur même du génie de la religion égyptienne tardive : cette capacité à faire du neuf avec du vieux, à faire dialoguer des traditions distinctes en les subsumant sous des principes généraux unifiés.
Paris et Tübingen, janvier 2020
Bibliographie
Derchain 1994
P. Derchain, « Allusion, citation, intertextualité » in M. Minas, J. Zeidler (éd.), Aspekte spätägyptischer Kultur: Festschrift für Erich Winter zum 65. Geburstag, Mayence, 1994, p. 69-76.
Fernández Pichel 2018
A.I. Fernández Pichel, Les hymnes au dieu Khnoum de la façade ptolémaïque du temple d’Esna, SSR 20, Wiesbaden, 2018.
Jambon, Fortier 2009
E. Jambon, A. Fortier, « Médamoud no 343 » in C. Thiers (éd.), Documents de théologies thébaines tardives 1, CENiM 3, Montpellier, 2009, p. 49-95.
Junker 1910
H. Junker, Die Stundenwachen in den Osirismysterien nach den Inschriften von Dendera, Edfu und Philae, DAWW 54, Vienne, 1910.
Thiers, Volokhine 2005
C. Thiers, Y. Volokhine, Ermant I. Les cryptes du temple ptolémaïque, MIFAO 124, Le Caire, 2005.
Vernus 2017
P. Vernus, « Modelling the Relationship Between Reproduction and Production of “Sacralized” Texts in Pharaonic Egypt » in T. Gillen (éd.), (Re)productive Traditions in Ancient Egypt, AegLeod 10, Liège, 2017, p. 475-509.
Winter 1995
E. Winter, « Zeitgleiche Textparallelen in verschiedenen Tempeln » in D. Kurth (éd.), Systeme und Programme der ägyptischen Tempeldekoration.3. Ägyptische Tempeltagung, Hamburg, 1.-5. Juni 1994, ÄAT 33/1, Wiesbaden, 1995, p. 305-319.
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