De l’antiquité vénérable des repas sacrés
Enquête sur trois mythes mésopotamiens
p. 277-303
Résumé
In an analytical approach of three Mesopotamian myths (Lugalbanda and the Cavern, Adapa, and Ishtar’s Descent to the Nether World), the author deduces similarities which help to enlighten a central role played by food offerings. They all three refer to cultic duties: care and feeding of the gods, and satisfying the spirits of the dead. In a broader frame, it appears that these three stories are not only divided into three spheres (heaven, earth and nether world), but they also promote heroic figures dragged down into a cavern, into the depths of the sea or into the darkness, in order to revivify and become the ultimate actor in rituals and cookery.
Remerciements
Je remercie Brigitte Lion, Jean-Jacques Glassner et Giselle Boisvert pour les observations dont ils ont bien voulu me faire part dans une première version de cet article. Les erreurs qui peuvent subsister doivent bien entendu être imputées au seul auteur de ces lignes.
Texte intégral
1Dans le monde religieux mésopotamien, il existe un grand nombre de textes écrits en sumérien et en akkadien qui documentent la cuisine, le déroulement et l’organisation des festins préparés à l’intention des dieux1. À côté des textes rituels prescriptifs2, une riche tradition littéraire mythologique renseigne l’historien sur l’art de la table, socle de la communication sociale. Plusieurs récits fondateurs rattachés au corpus mythologique présentent ainsi des motifs particuliers (par exemple animaliers, végétaux, astraux, ainsi que des valeurs esthétiques et morales). Ces récits fournissent une explication sur le fait de savoir comment et pourquoi les humains ont dû préparer une nourriture cultuelle pour les grands dieux d’abord, pour les morts vénérables ensuite, mais aussi pour les humains méritants. L’ensemble dessine trois sphères complémentaires.
2Dans ce lot de récits fabuleux, trois mythes ont retenu mon attention en ce qu’ils évoquent, chacun à leur façon, des étapes initiatiques et une alimentation choisie pour marquer des rites d’intégration. Ces trois récits étiologiques sont instructifs, car ils ont en commun des traits constitutifs essentiels et semblent même obéir à un schéma identique. Les protagonistes des trois mythes se trouvent confrontés au même défi, à savoir comment assurer la continuité des rites traditionnels alors que la société se transforme inexorablement. Malgré d’évidentes similitudes, ces trois récits n’ont, à ma connaissance, jamais été rapprochés ou analysés dans la perspective comparatiste de l’alimentation et du sacré.
3Le premier récit retenu est celui de Lugalbanda et la Caverne de la montagne3. Il s’agit d’un récit établi autour de l’histoire d’un jeune prince, fragile garçonnet, incapable de suivre ses aînés en expédition. Mis à l’écart, protégé dans un couffin, placé à l’intérieur d’une grotte et entouré d’offrandes superbes, puis soumis à une série d’épreuves bénéfiques, il va devenir tour à tour chasseur, agriculteur, cuisinier et finalement expert en nourritures succulentes. Pour notre propos, le héros cuisinier, avant de devenir le roi fabuleux d’Uruk, expose aux divinités des plats à caractère sacré.
4Le second récit, Le mythe d’Adapa, écrit en akkadien, est assez proche du précédent4. Il rapporte les mésaventures d’Adapa, le plus remarquable des demi-dieux apkallu5. Il est l’hybride, « l’homme poisson », l’habile, celui qui est expert en technique6. Adapa, en charge des cuisines dans le palais des dieux, doit, chaque jour, préparer les oblations pour la table d’Ea/Enki, le dieu de la sagesse. Il va à la pêche le long des côtes pour rapporter le fin poisson qui plaît aux dieux. Mais un jour, un vent mauvais, le Vent du Sud, décide de drosser son embarcation, de la faire chavirer. Adapa plonge et découvre le monde subaquatique et ses secrets. Comme un poisson dans son élément, Adapa échappe à la noyade et lance contre Vent du Sud des imprécations si terribles qu’elles finissent par lui briser les ailes. Les dieux ne l’entendent pas ainsi. Adapa est convoqué à la Cour céleste. Il doit faire pénitence, porter le deuil et suivre scrupuleusement les étapes qui le ramèneront à sa condition sacerdotale. En entrant devant le dieu An, il ne devra absolument pas consommer de nourriture de mort (akala ša mūti ukallūnikkumma lā takkal), il ne boira pas de boisson de mort (mê mūti ukallūnikkumma lā tašattī), mais mangera le pain de vie (akal balāţi) et l’eau de vie (mê balāţi). Il se purifiera en recevant une onction d’huile parfumée et un vêtement neuf, des gestes qui sont autant de marques initiatiques7.
5Le troisième mythe, La descente d’Inanna aux Enfers8, traite (de façon laconique) du voyage infernal de la déesse des plaisirs vers le monde des morts. Le récit met en scène cette fois, non plus des demi-dieux ni des personnages héroïsés, mais de véritables divinités. La première est Inanna. Connue sous le nom akkadien d’Ištar, déesse du ciel et de la terre, divinité de l’amour et de la guerre, elle est représentée par la planète Vénus9. Avec la mort de son beau-frère, un deuil est instauré. Inanna, parée de majesté, décide10 de voyager vers le royaume de morts afin de rencontrer la reine des Enfers11. La déesse des plaisirs prépare son voyage avec soin. Elle confie à sa servante le soin d’accomplir les rites durant son absence. Parée de tous ses attributs, elle quitte ses logis, abandonne les privilèges qu’elle détenait sur les temples du pays de Sumer, et se met en route. Inanna traverse successivement les espaces liminaires réservés aux défunts, se soumet aux règlements en vigueur, se dépouille de tous ses attributs de pouvoir, si bien qu’elle parvient dénudée devant la reine des morts, Ereškigal. Inanna/Ištar est jugée et condamnée à mort, c’est-à-dire abandonnée dans un cachot. Ce n’est que grâce à un subterfuge et par l’intermédiaire de nourriture de vie et de boisson de vie, véritables productions magiques, qu’Inanna pourra ressusciter et assurer la fécondité sur terre.
6Les trois récits évoquent en substance le rôle crucial des rites de passage, l’intervention magique et sacrée des divinités dans l’élaboration des rites de la table, et même la distinction essentielle entre nourriture de vie et nourriture de mort. Bien que tous différents, ces mythes ont un point commun : ils présentent des héros qui, face à l’adversité, parviennent, au prix d’efforts considérables, à instaurer un ordre sacré autour des affaires de la table. Ils rappellent à tous que la cuisine est à la fois œuvre de culture, moyen de hiérarchisation et participation à la vie cosmique.
I. Lugalbanda et la caverne, ou comment nourrir les dieux ?
I.1. Le récit des origines
7Le récit des origines évoque ici les mystères des rites de la table, notamment la part réservée aux dieux et la part qui revient aux hommes. Le texte comporte plusieurs phrases identifiant ce qui est « bon à penser », ainsi que des aliments qui permettent d’acquérir force et vitalité.
8La mère de Lugalbanda avait donné naissance à sept fils qui, tous, avaient été nourris dans leur prime enfance du merveilleux lait de la Génisse céleste. Tous étaient braves, les meilleurs du pays de Sumer. Ils avaient grandi autour de la table du dieu Anu et étaient devenus lieutenants12. Lugalbanda était le huitième, le plus fragile, et ne trouvait que difficilement sa place à leurs côtés13. Alors qu’il suivait l’expédition menée par son père dans une région montagneuse, le garçonnet tomba malade. « Telle une gazelle prise au piège, il mordit la poussière. » Épuisé, il ne pouvait plus marcher. Ses compagnons durent se résigner à le laisser sur place, seul avec quelques provisions, moyennant la promesse de revenir le chercher plus tard. Le jeune malade fut placé dans une anfractuosité naturelle, un abri aménagé comme un nid d’oiseau :
Les soldats déposent à son intention des mets du festin, des dattes, des figues, de la viande douce, celle qui convient à un corps éprouvé. À cela s’ajoutent différentes sortes de crèmes venant de la bergerie, de frais fromages, du beurre, exactement comme s’ils établissaient un repas cultuel (tākultu)14. Directement en face de cette table, ils disposèrent à son intention des boissons merveilleuses : de la bière additionnée de sirop de datte, de la bière noire épaisse et de la bière légère, du vin et de l’eau pure, le tout transporté dans des outres et des sacoches en cuir semblables à celles qu’emploient les débardeurs dans les ports15.
9Au petit matin, grâce à un jeûne volontaire et régénérateur (car tout porte à croire qu’il n’a pas touché aux mets déposés devant lui), le jeune homme se trouve métamorphosé16, prêt à sortir de la caverne et prier les dieux. Grâce à l’eau pure des torrents de montagne et aux plantes qui régénérèrent, il devient un gaillard habile pouvant produire ce qu’il y a de meilleur parmi les aliments. Maître des éléments, il entreprend de chasser du gibier herbivore (aurochs et chèvres sauvages), de faire de l’agriculture et du feu pour cuire ses aliments. Sans rien connaître de l’art de faire le pain, sans rien savoir de la cuisson, il cuit la pâte et la garnit de sirop de datte, sans oublier la part réservée aux divinités. Au lever du jour, Lugalbanda invoque le nom sacré d’Enlil, installe dans un espace de la montagne qu’il a aménagé les représentations d’Anu, Enlil, Ea/Enki et Ninhursag devant les gâteaux qu’il a préparés17. Il dresse la table, verse les libations, de la bière noire, de la bière légère et du vin plaisant au goût. Il sacrifie des chèvres, prélève le foie, le brûle sur le foyer. Les dieux Anu, Enlil, Ea/Enki et Ninhursag acceptent cette offrande que Lugalbanda leur a réservée.
I.2. Interprétations
10Le récit nous met en présence d’une recréation du monde imbriquée dans l’espace du culte et des offrandes alimentaires. Les principes, ici mis en place, sont ceux de la dévotion et du respect dû aux grands dieux. Lugalbanda les instaure de lui-même, sans intervention extérieure. Au terme de cette étrange initiation secrète (car rien n’est révélé des moyens employés), le héros se sera enseigné lui-même et aura acquis des pouvoirs exceptionnels18.
11Le jeune Lugalbanda, par la force des choses, renonce à tout ce qui le rattache à la vie sociale, comme le fait de partager ses repas. Mais, grâce à l’initiation mystérieuse, il trouve ses forces vitales, non pas dans une nourriture fournie par les soldats ses frères, mais dans une nourriture providentielle, une manne donnée par les dieux.
12Tel un ermite, le jeune homme a réservé la nourriture de qualité à la divinité des lieux : un festin votif offert à Anzû-Imdugud, l’aigle à tête de lion, personnification des forces de l’univers et de l’ordre19. Cette entité a, en guise de palais, établi son nid sur les plus hautes cimes des montagnes du Zagros. Pour fournir cette subsistance exceptionnelle, car seule une alimentation de qualité peut être agréée par la divinité, il faut affronter de grands dangers20. Son geste de piété sera payé de retour. Les dieux lui en seront reconnaissants et lui feront don du savoir vrai. Ils lui indiqueront les moyens de se procurer sa nourriture. Ils mettront sur son chemin le beau gibier. Ils feront que les collines produisent des fruits succulents et que les plaines donnent des blés dorés.
II. Adapa, ou comment fut introduit le poisson dans les temples
II.1. Le récit du héros cuisinier et civilisateur
13Le second récit emprunte à une thématique différente, mais témoigne de valeurs comparables. Après avoir été exposé au chaos, Adapa reçoit du dieu Ea des instructions précises : ablutions, onctions d’huile parfumée et port d’un vêtement neuf, des gestes qui sont autant de marques initiatiques à la condition de prêtre21. Ea lui fait surtout une recommandation, celle de s’abstenir de consommer les substances qui assurent l’existence éternelle, « la nourriture de vie » et « la boisson de vie22 ».
14Dorénavant, Adapa préparera et fera servir au temple les offrandes pures. Mais, lui, Adapa, en tant que simple mortel, devra se contenter d’une cuisine éphémère (litt. une « nourriture de mort » et des « boissons de mort »). Il devra à l’avenir se garder de consommer ce qui ne lui est pas destiné en propre, un peu comme Lugalbanda. Adapa respectera les lois, acceptera l’hospitalité et tous les éléments qui le transforment extérieurement. Toutefois, il refusera toute nourriture et toute boisson qui lui auraient permis de se distancier de sa condition humaine et d’accéder à une vie éternelle. Le statut d’Adapa est arrêté, formulé : dorénavant, il n’est qu’un simple intermédiaire entre les dieux et les humains. Pourrait-il accepter sans restriction les plats qui lui sont offerts sans rompre avec les règles de la convivialité ?
15La réalité culturelle du mythe d’Adapa, l’invité des dieux, organise le repas comme le rite d’incorporation et sa mise en condition de pureté. Le mythe identifie les quatre éléments essentiels que sont le manger, le boire, le vêtir et les soins corporels ; il indique la fonction culturelle de l’aliment convenable qui civilise l’humain, aliment qui transforme celui qui le consomme. Il indique enfin deux catégories de nourritures distinctes : les aliments divins et les aliments des mortels23 qui se trouvent dans le mythe d’Inanna que nous allons rencontrer plus bas.
II.2. Interprétation
16Le poisson occupait une place centrale dans le système des offrandes des cités méridionales24. Deux observations éclairent ce choix. D’abord, sa symbolique claire : le poisson renvoie au monde fantastique, intrigant et pur de l’eau des mers (ABZU). Ensuite, le poisson est en conformité complète avec le régime des prêtres, en opposition à l’alimentation carnée, c’est pourquoi il revenait à des confréries de pêcheurs25 d’approvisionner les grands sanctuaires, ceux d’Uruk, d’Eridu, de Sippar ou de Babylone26. En échange de privilèges, les pêcheurs s’engageaient à ce qu’il n’y ait aucune interruption des livraisons, que l’approvisionnement soit régulier et que la qualité soit au rendez-vous. Les textes économiques rapportent que les pêcheurs apportaient du poisson de toute sorte, des gros comme des très petits, surtout des anguilles (girîtu), des carpes (purâdu), des espèces qui se conservaient aussi bien en vivier, comme les barbeaux provenant des marais, des poissons pris de fraîche date, mais également du poisson qui pouvait être conservé salé, séché sur une cordelette ou encore mis en morceaux et appertisé dans de la saumure27.
17À travers ce mythe s’installe le paradigme de l’existence exemplaire du prêtre qui doit agir d’une façon intelligente et modérée28, sans provoquer jamais le courroux divin ni faire usage de la magie29. Le mythe renvoie à la façon de traiter la nourriture et de la servir. Dorénavant, le service des dieux sera assuré par une prêtrise dévouée et fondée sur la considération de la pureté, de la sagesse et de la loyauté.
II.3. Adapa, sans lequel la « table » n’était pas servie
18Le récit mythologique résume ce que représente dans la société le rapport avec les dieux, c’est-à-dire qu’on retrouve en creux tout le parcours de la fonction sacerdotale, enveloppé qu’il est de symbolisme et d’étapes initiatrices depuis le rôle de simple pécheur tenu par Adapa jusqu’à sa charge de grand cuisinier céleste.
19Adapa est exempt de fautes, et ses mains sont immaculées30 :
Il était celui qui avait les mains pures, et, parce qu’il se souciait en permanence des rites (à accomplir), il faisait la cuisine avec les cuisiniers du sanctuaire d’Eridu. Chaque jour, il préparait nourriture et boisson. De ses mains pures, il dressait la table, et sans lui la table n’était pas servie31.
20Le personnage jouit ultimement d’un haut prestige. Il n’est en aucune façon un cuisinier solitaire, isolé ou cloîtré en son office ; c’est un véritable chef qui dispose de moyens importants autant que d’assistants nombreux pour alimenter les fours et porter les marmites. On ne saurait ici se tromper, Adapa intervient dans le cours de l’histoire comme un maître officier, pourvoyeur de la maison céleste. À ce titre, Adapa rallie le monde des prêtres, mais il en délimite aussi les fonctions liées à la pureté. Sa fonction d’ailleurs est estimée au point de lui vouer un culte héroïque dans la cité de Nippur. Sans entrer dans tous les détails du mythe, qui a pour fonction de rappeler l’antique commensalité entre les dieux et la relégation des humains au rang de fournisseurs et de cuisiniers, il faut néanmoins signaler l’insistance concernant la régularité et la pureté dans les opérations culinaires sacrées.
21On pourrait synthétiser l’interprétation ainsi : les cuisiniers de la cité sainte d’Eridu avaient, depuis des temps immémoriaux, pour responsabilité de préparer une cuisine irréprochable pour les dieux. Afin de les libérer des contraintes physiques liées à la faim et à la soif, afin de sustenter leur corps matériel par des mets d’une qualité irréprochable (une nourriture de vie et des boissons de vie), il fallait leur administrer, rituellement ou tout au moins symboliquement, une nourriture parfaite. Le principe était énoncé : les offrandes devaient être servies pures, mais aussi avec une parfaite régularité.
22Les offrandes que les dieux souhaitaient recevoir sur la table pure, dans la salle sacrée du banquet, devaient suivre des prescriptions vénérables établies depuis des temps immémoriaux. Selon les principes religieux établis, le culte était encadré par des précautions infinies qui garantissaient l’ordre universel, et assurait le mécanisme sacral. Les rites de la table et la cuisine correspondaient à ces gestes sacrés et inchangés que les prêtres accomplissaient sans modification aucune depuis l’origine du monde. L’implacable exactitude de la transformation des aliments n’avait donc pas grand-chose de profane, pas plus d’ailleurs que les officiants astreints à des règles de pureté. Depuis le travail de l’officiant, celui du boucher ou celui du meunier qui, inlassablement, répétait ses prières, jusqu’au cuisinier qui plaçait le plat dans le four en invoquant la déesse du grain, les différentes opérations relevaient d’un art traditionnel et mystérieux (niṣirti ummâni)32, préexistant aux hommes. Il s’agissait de connaissances circulant dans un cercle restreint d’individus.
III. Inanna et le repas d’enfer
III.1. La tournée de la déesse de l’amour en pays macabre
23Le troisième mythe, celui de La descente d’Inanna aux Enfers33, décrit le voyage de la déesse du ciel (NIN AN) au royaume des morts (KUR KI GAL). En suivant la trame narrative, on découvre par étapes le caractère antithétique des deux reines. L’arrière-plan de ce voyage est toutefois plus complexe, puisqu’il implique l’impossible réciprocité et la question de l’hospitalité matérialisée par la réception, le logement, le don de vêtements neufs, de nourriture et de boissons fraîches. Dans la réalité du Proche-Orient ancien, il est habituel que le palais et les temples se trouvent sous le contrôle de la reine qui les gère34. Or, entre la reine du ciel, dame des plaisirs, et la ténébreuse reine des morts, ces choses ne vont pas de soi. En effet, comment Ereškigal, « dame de la Grande Terre », d’une complexion bilieuse, pourrait-elle accueillir Inanna la Joyeuse ? En principe, cette rencontre ne peut se dérouler autrement qu’autour de la table. Or, le banquet est impossible dans un pays de soif, dans le séjour lugubre des morts où l’alimentation est plus qu’insipide, faite « de pain d’argile et d’eau boueuse ». Tout le ressort dramatique tient dans cette contradiction. Des aspects secondaires apparaissent plus nettement : ainsi note-t-on que la magie permet parfois de transgresser les interdits. Les productions miraculeuses, dont on ignore la nature exacte, ont la capacité de ramener les morts à la vie.
III.2. Une opposition radicale dans les usages de table
24Le récit, dans ses formes sumérienne et akkadienne, présente une opposition fondamentale dans le système de représentation, mais aussi dans le domaine alimentaire, qui est rendue par la reine des Enfers et Inanna. La reine des Enfers est celle qui mange seule (on sait combien la consommation en solitaire est décriée35), celle qui ne prend ses « repas » qu’avec les tristes Anunnaki36, celle qui n’accepte aucune visite ni ne respecte les simples règles de l’hospitalité. Car, si la nourriture partagée symbolise l’amitié entre l’hôte et l’invité, l’absence d’hospitalité est caractérisée par l’absence de comestibles. L’environnement parle de lui-même : le palais de la reine des Enfers est décrit dans la version assyrienne comme « une demeure privée de lumière, un lieu où l’on ne mange que la poussière, où l’argile est le [seul] pain37 ».
25Inanna expose le motif de sa visite. Elle est venue dans cette terre sans lumière en raison d’un terrible malheur : l’époux de sa sœur aînée est mort. Il lui faut procéder aux funérailles. La raison du voyage est énoncée, les modalités d’exécution des funérailles restent sous-entendues. Ces rites, Inanna les voudrait moins austères38. Pour influencer la reine des Enfers, il faudrait réunir les conditions d’un échange courtois. Or, rien ne s’y prête. Tandis qu’Inanna est aux portes du palais, la reine des Enfers, indignée, s’interroge, dans un monologue révélateur, sur les raisons qui poussent Inanna à venir la rencontrer. « Certainement pas parce que je bois de l’eau avec les (mornes) Anunnaki, se dit-elle, ni parce que je mange l’argile en guise de pain ni l’eau trouble et boueuse à la place de bière39. »
26À l’opposé, Inanna démontre une personnalité construite autour du plaisir des sens40. Parmi les épithètes qui la désignent communément, nous relevons celui de « bouche de miel » (KA LÀL). Ce n’est, répétons-le, qu’en raison d’un deuil qu’elle doit respecter qu’elle est descendue chez les morts, mais sa nature profonde s’y oppose. C’est ainsi que, sûre d’elle (car elle est la grande déesse guerrière), elle va s’aventurer dans l’au-delà. Elle ne craint pas l’adversité41, mais c’est privée de ses talismans et de ses attributs qu’elle se présente devant les Anunnaki42, les sept juges infernaux qui statuent sur le sort des défunts43. L’affaire se présente mal pour Inanna. Elle ne porte aucune des marques des personnes endeuillées. Bien au contraire, elle transporte avec elle l’allégresse provocatrice face au protocole établi44. Devant tant d’insolence, la souveraine Ereškigal reste intraitable au chapitre de l’austérité45 : « Les lois (ME) des Enfers (KUR KI GAL) sont des lois qui ne sauraient être défiées46. »
27Les sept Anunnaki, installés devant la Grande Porte, demeurent insensibles au charme de la déesse47. Avec des mots de colère, ils la condamnent à une sorte de mort que l’on applique aux divinités48. Tandis que le corps d’Inanna moisit dans les geôles du royaume infernal, sa fidèle servante exécute la succession de gestes stricts qui assurent l’ordre religieux. Elle bat le tambour des lamentations dans le temple et récite les prières plaintives49. La servante invoque Ea/Enki. Touché par tant de ferveur, « Enki, le dieu de la sagesse, celui qui connaît les plantes de la vie, le pourvoyeur d’eau50 », entend les pieuses intercessions et met en place un stratagème magique. Pour contourner l’ordre établi et réaliser l’évasion d’Inanna/Ištar, il crée à partir de la crasse de ses ongles51 deux personnages (GALA-TURA et KUR-JARA)52. Les deux entités fantomatiques, aptes à brouiller les frontières et ainsi mieux tromper la reine53, jouent un rôle actif dans la transformation et le sauvetage d’Inanna. Ea/Enki met en garde les deux créatures : elles ne doivent rien manger ni boire54, ce qui fait encore offense aux règles de l’hospitalité, mais seulement récupérer le cadavre d’Inanna sur lequel il leur faudra verser nourriture de vie et boisson de vie. En nourrissant la disparue d’aliments de vie, son corps pourra ressusciter et rejoindre le monde des vivants.
28Au passage, les bonnes manières et le régime alimentaire des personnages accessoires sont évoqués d’une autre façon. Sur le chemin du retour est mentionnée, dans la version assyrienne, la façon de se nourrir de ceux « qui ne savent rien de la boisson, ceux qui ne mangent aucun pain d’offrande, ni ne boivent de libation, ni n’acceptent de présent, ceux qui ne savent rien des plaisirs de la vie. […] Ceux qui ne mangent pas d’ail ni de poisson, mais se sustentent d’un pain récupéré dans les égouts (litt. “jarres de drainage” [habannat āli])55 ». C’est ici la réprobation d’un mode de vie qui s’oppose fondamentalement à celle d’un clergé assurément très attaché à ses usages et à son régime alimentaire ordinaire (ail, poireau, poisson).
III.3. Interprétation
29On aura compris que les raisons qui conduisirent la déesse à descendre dans le royaume des morts importent peu, elles ne sont que prétexte56. Le mythe d’Inanna est fondé sur le thème cardinal du respect des rites funéraires matérialisés par les offrandes aux défunts57. Souiller les rites sacrés, les troubler par des innovations incongrues, voilà qui constitue les véritables offenses à l’ordre, comme le montre la tentative avortée de modifier les rites ayant entraîné l’incarcération brutale de la fautive, l’abolition de ses privilèges et une punition capitale.
30Toutes ces épreuves infligées reflètent un registre de valeurs qui mérite d’être pris en compte. L’enseignement que véhicule le mythe est clair : le sort réservé à ceux qui ne respectent pas les cultes sacrés est impitoyable. À l’inverse, l’accomplissement scrupuleux des gestes sacrificiels et une très grande piété apportent une possible rédemption. La preuve en est que ce n’est qu’à son officiante, et aux élixirs ou composés magiques58, qu’Inanna doit sa renaissance59.
IV. Analyse structurale et conclusion
31Voici, en guise de conclusion, quelques remarques qui mériteraient d’être approfondies dans un travail ultérieur. Les trois récits étiologiques que nous venons de présenter éclairent les rapports entre le mythe et le culte, mais ils documentent aussi la nourriture cultuelle : ce qui est pensé comme bon à manger et bon à boire. Ils délimitent en ce sens les frontières d’un monde sacré, ce qui est obligation et ce qui relève de la transgression. Les récits donnent à observer des figures centrales appelées à prendre part au repas, d’une façon ou d’une autre. Ils dévoilent des scènes de préparation au partage alimentaire, mais surtout ils obéissent à un déroulement schématiquement identique, comme le montrent les caractéristiques suivantes :
- La ruse en mouvement. Les protagonistes sont des favoris chantés par les mythologies. Ils sont tous trois remarquablement intelligents et rusés. Si Lugalbanda s’est formé, et enseigné lui-même, Adapa est un sage par nature. Il est le sage parmi les sages. Il passe son temps à suivre et à piéger les poissons, à poser des nasses et à jeter ses filets, gestes qui sont autant d’images de la ruse en mouvement. Quant à Inanna, son intelligence s’illustre dans sa marche vers les ténèbres. À la fois merveilleuse et indécente, elle se place au-dessus des lois les plus sacrées. Championne des artifices, elle se situe en dehors de toute contingence. Car ce qui séduit chez elle, ce n’est pas elle, ce sont ses attributs. Elle est légère, mais elle n’est en aucun cas une écervelée. En déléguant les rites sacrés à sa servante, elle peut infléchir la décision du dieu Ea/Enki. Sa prévoyance la sauve. Elle triomphe de la mort. En somme, les trois personnages ne sont pas simplement intelligents et rusés, sous la diversité des formes, ils sont aussi audacieux et libres.
- Le sens du devoir. Il est manifeste dans les trois récits. Lugalbanda, modèle du héros visionnaire et fécond, va, malgré tous les obstacles rencontrés, rester fidèle aux divinités qui le protègent. Adapa, devant l’adversité et malgré ses déboires, continue à servir pieusement les temples. Quant à Inanna, foncièrement opposée à toute morosité, elle reste fidèle au clan familial (nullement à son époux Dumuzi). Elle demeure solidaire de ses proches et foncièrement attachée à son rôle de séductrice60. Bien plus, reine des cieux et reine des Enfers ne peuvent se soustraire à leurs obligations. Au-delà de la seule dimension mythologique, on peut voir ici une intention morale destinée à dépeindre l’opposition entre les deux reines (reine des cieux/reine des ténèbres). Il se dessine en effet à l’intérieur du récit des sphères d’influence distinctes, répondant à des vertus différentes. L’expressivité est cependant celle de la narration, non celle dérivée d’une lecture silencieuse. Or, les portraits psychologiques qui sont présentés ici par écrit dans une langue et un style laconiques n’étaient pas, évidemment, destinés à une lecture personnelle. Dans ces sociétés encore largement dominées par l’oralité, les textes étaient lus à haute voix, narrés, peut-être même chantés et mimés. Les récits présentaient oralement, de façon satirique et binaire, des oppositions commodes dans les caractères : d’un côté le portrait d’un personnage à l’esprit libéral, généreux, de l’autre, un personnage inverse : délibérément ténébreux. Ainsi, voyait-on d’un côté la joie naïve, de l’autre la morbidité procédurale et méchante ; d’un côté le vif appétit pour la vie, de l’autre la renonciation et son cortège de mesquineries. Surtout, comme il n’y a pas de reconnaissance mutuelle, il n’y a pas de vecteur de convivialité ni la proximité qui convient : il ne peut y avoir de banquet.
- L’imprudence, la défaillance, l’effronterie. Sans constituer à proprement parler des fautes graves (pas de transgressions), les protagonistes ont tous trois commis des négligences, ou plutôt des étourderies qui sont, dans le contexte religieux d’alors, ressenties comme des entorses au règlement : Lugalbanda a suivi ses frères malgré sa faible constitution, Adapa a pris la mer imprudemment et, sous l’effet de la colère, s’est vengé du Vent du Sud. Inanna a défié les règles61, perdu patience et s’est mise en colère. Un tribunal (voire, dans la version akkadienne, un corps de représentants de l’ordre) s’est chargé de rendre la sentence, à savoir une mise à l’écart de la société.
- L’épreuve. Dans les trois cas, le corps du protagoniste est mis à l’épreuve dans une expérience mystique. Lugalbanda doit passer par la faim, la fatigue, la maladie ou les blessures ; Adapa subit l’ordalie de la noyade ; et Inanna doit passer par le tourment du supplicié et par une sorte de trépas. L’épreuve n’est pas une punition, c’est une mise à l’écart physique et temporaire, un rite de passage. Dans les trois cas, l’épreuve se caractérise par la perte du goût et celle des plaisirs qui lui sont attachés. Lugalbanda, par un jeûne volontaire, par sa résistance à la famine, montre qu’il renonce aux repas qui lui étaient réservés ; Adapa, qui connaissait les fins poissons, découvre dans l’eau salée un univers inhospitalier et trouble, la clairvoyance, celle des secrets non communiqués. Inanna quitte ses palais magnifiques pour descendre dans le monde des ténèbres et de la poussière argileuse. Elle renonce, elle aussi, au goût du boire et du manger. Tous trois connaissent une mort symbolique, une mise à l’écart suivie d’une résurrection miraculeuse.
- Le voyage initiatique. Les trois récits mettent en place les conditions contraignantes d’un déplacement vers une destination obscure62 : dans le périple de Lugalbanda apparaît sous la voûte céleste, à travers les montagnes, un espace dangereux et présenté dans la littérature comme l’antichambre de la mort ; Adapa, qui règle sa navigation sur le vent et les étoiles, pénètre dans les profondeurs sous-marines ; enfin, Inanna franchit une succession de portes allant de la lumière du jour vers les ténèbres du monde souterrain, un territoire de la mort, privé de toute sensation. Ce sont trois voyages qui tournent mal, trois destinations extraordinaires, trois mondes réservés qui établissent, respectivement, et chacun à leur façon, une hiérarchie entre le ciel, la mer et la terre.
- Les lieux de transformation. Ils sont constitutifs du sacré. Leur fréquentation fortuite – toujours involontaire et presque accidentelle – va, dans le cours du récit, permettre au héros de prendre conscience de l’ordre des choses. Elle établit dans l’espace-temps la primauté du sacré sur le profane. L’environnement naturel dans lequel se déroule le mythe n’est aucunement passif. S’ils proposent des ressources dignes d’intérêt (c’est un espace opposé à l’au-delà) – des animaux bons à manger, des poissons, des plantes et des grains bons à cuisiner –, les lieux de métamorphose restent dangereux et redoutables. De toute évidence, la transformation identitaire de nos personnages ne se réalise pas dans le territoire paisible et maîtrisé de la cité, mais sur les marges du pays, dans ses zones extérieures hostiles à l’homme (autant qu’aux divinités), des paysages emplis de forces obscures. Pour Lugalbanda, c’est une caverne située dans les hauts sommets, sorte de grotte au caractère chtonien prononcé. Le lieu des fonds sous-marins dans le récit d’Adapa est propre à délivrer un message aux initiés. Le déplacement d’Adapa le fait successivement nocher, marin-pêcheur et cuisinier-prêtre. Dans le récit d’Inanna, c’est à l’intérieur de la nécropole, une crypte labyrinthique (fermée par sept portes), un espace exposé aux manifestations extraordinaires. Ces matrices, on le sait, favorisent les naissances miraculeuses, les renaissances. Ce sont des mondes mystérieux, des réalités chtoniennes, à l’écart du monde habité, à la fois sanctuaires et ateliers de transformation. L’attitude de l’intercesseur, par la prière et l’action rituelle en faveur des entités sacrées, et elle seule, permet d’arracher la guérison, la survie, la vie.
- L’expérience régénératrice et la célérité. Au terme d’un voyage initiatique, la vitesse d’exécution joue un rôle certain. Lugalbanda, grâce aux plantes et à l’eau pure, se trouve régénéré, il peut dorénavant courir « aussi vite qu’un cheval63 ». L’embarcation d’Adapa coule brusquement sous l’effet de Vent du Sud. Les deux agents mandatés par Ea, eux aussi, se pressent tel « le vent » pour secourir Inanna. Par l’effet de la vélocité de l’action, les protagonistes sont transformés et renouvelés, un peu comme si la vitesse (ḫamuttu), le fait de courir vite (lasāmu) ou la rapidité d’exécution révélaient des qualités divines. De toute évidence, le profil du héros apparaît comme celui d’un personnage vif et rapide. Inanna est emplie de vitalité, c’est une belle et une rebelle, une déesse qui traverse des phases de splendeur et s’éclipse. Elle émerge de la captivité rayonnante, accompagnée de « démons » qui lui sont dévoués64, tout comme Vénus, la planète la plus brillante du ciel, astre d’une blancheur spectaculaire qui présente des phases variées, un astre qui disparaît et renaît transformé.
- Des héros emplis de vitalité mystérieuse. Lugalbanda, aux origines mystérieuses, est appelé à la postérité. Il est d’abord un élu des dieux, puis un héros et, enfin, un roi divinisé. Adapa possède, au-delà de ses emportements, un don de clairvoyance. C’est un personnage respectable, pur et sans reproche, un modèle qui préfigure le grand prêtre. Inanna déploie une énergie indomptable qui détonne dans les circonstances d’un deuil. Divinité trônant dans le ciel, elle ne peut s’affadir qu’épisodiquement. La séduction du mystère opère dans les trois mythes par étapes successives, comme pour mieux renforcer l’effet dramatique.
- L’art du cuisinier. Les trois mythes révèlent un savoir d’avant le Déluge. Les grands pourvoyeurs de breuvages et de mets savoureux savent ce qui est « bon à penser » : le bétail à domestiquer, le poisson à pêcher et les nourritures de vie. Ils savent nourrir et abreuver dieux, princes, prêtres et disparus. Adapa s’est appliqué à servir des repas purs et simples, convenables à la société des prêtres. Lugalbanda régénère le service aux puissances avec des préparations exceptionnelles. Avec Inanna s’opère un glissement. Liée au principe général de la fertilité sur terre, elle délègue à son assistante du sanctuaire Eanna les rites à accomplir, tandis qu’Ea confie à des agents secondaires le soin de manipuler les nourritures d’immortalité. Paradoxalement, l’échec d’Inanna va permettre le rétablissement du service aux morts qui menaçait d’être suspendu – l’occasion du festival de Dumuzi en est peut-être un indice.
- Le protocole d’accueil rompu. Dans les trois cas, les règles de l’hospitalité sont absentes. Aucune agrégation à l’espace de l’autre n’a été réussie. Aucun des signes de convivialité associés au banquet, en tant qu’espace d’expression des rapports sociaux, n’est perceptible. Les trois cas présentés ne sont en réalité que des banquets manqués. Lugalbanda, est seul en pleine nature, séparé des siens, et ne peut banqueter, comme il sied à un prince. Ses premiers convives sont les dieux bien éloignés. Adapa, serviteur dévoué, a échoué dans son entreprise, mais il devra pareillement sélectionner les mets qui conviennent au temple et ceux qui en sont interdits. Quant à Inanna, en rendant visite à la reine des Enfers, elle se déplace les mains vides, sans aucun présent à offrir. Endeuillée ou non, elle enfreint les mêmes règles que son hôte qui n’a d’ailleurs que « du pain d’argile et de l’eau boueuse » à proposer.
32Dans les trois cas, les mythes forment, presque symétriquement, un système d’encadrement des croyances et des rites à perpétuer, l’un destiné aux dieux, l’autre aux morts, les humains devant se contenter d’une nourriture de mortels. Alors que les mythes de Lugalbanda et Adapa montrent qu’il existait une nourriture proprement divine et que celui qui en consommait était souillé, le mythe d’Inanna rappelle qu’il existait une nourriture et des rites proprement funéraires, et qu’il était vain de vouloir en modifier la procédure.
33Les rapprochements de situation et de personnages ont permis de mettre en évidence des modèles à suivre. Les puissances sacrées ayant communiqué leurs instructions depuis des temps vénérables, le contrôle doit rester dans les mains des maîtres cuisiniers, fiers d’appartenir à un groupe détenteur de savoirs et de prérogatives.
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Ressources électroniques
ETCSL Project = Electronic Text Corpus of Sumerian Literature, base de données en ligne, http://etcsl.orinst.ox.ac.uk, consultée le 26 février 2016.
Notes de bas de page
1 Voir en premier lieu Bottéro 1980 ; Bottéro 1995 ; Bottéro 2006 ; Milano (éd.) 2012 dans lequel on trouvera une bibliographie récente sur le sujet. Sur les représentations du banquet mésopotamien, voir Bouillon, dans ce volume. Sur le partage avec les hommes des nourritures présentées aux dieux chez les Néo-Assyriens, voir Ermidoro, dans ce volume.
2 Notamment Thureau-Dangin 1975.
3 ETCSL Project, Lugalbanda in the Mountain Cave, segment A. Le texte, qui remonte au moins à l’époque d’Ur III (2110-2004 av. J.-C.), a des accents familiers en ce qu’il établit une parenté troublante avec les origines de la royauté divine, avec le mythe de Prométhée, mais aussi avec des personnages connus et familiers bien plus tardifs, comme le Joseph biblique ou encore Robinson Crusoé ; voir Wilcke 1987. Sur l’influence exercée sur la culture grecque par le mythe de Lugalbanda, voir Larson 2005.
4 Le mythe d’Adapa, établi avec des fragments épars (le manuscrit le mieux conservé est celui des archives d’Amarna, en Égypte), apparaît plus complexe que le précédent dans sa symbolique générale. Son objectif souligne la frontière entre monde profane et monde sacré, entre consommation d’aliments sacrés et consommation d’aliments profanes. Le récit fut initialement publié par G. Smith en 1876. Pour les éditions récentes, voir Talon 1990 ; Vogelzang, Vanstiphout 1992 ; Izre’el 2001 ; Liverani 2004 ; Foster 2005 ; Milstein 2015, p. 30-41.
5 Sur les créatures que sont les Apkallu, voir Masetti-Rouault 2002.
6 De l’akkadien « adapu » désignant le sage (sur le modèle du grec « sophos »). Le récit du prêtre Bérose (ive s. av. J.-C.) rapporte qu’Adapa est un être mi-homme mi-poisson venu apporter la civilisation en Mésopotamie. Voir Lehmann-Haupt 1978.
7 Jacobsen 1930 ; Izre’el 2001, p. 95, l. 28’-32’ ; Ermidoro 2012, p. 162.
8 Le texte d’Inanna descendant aux Enfers est connu grâce aux documents sumériens et akkadiens paléo-babyloniens, médio-assyriens et néo-assyriens. Pour la commodité de l’exposé, j’ai recouru à différentes sources, notamment celles du corpus ETCSL Project, en suivant et résumant l’excellente traduction de Bottéro, Kramer 1989. Il est évident qu’au-delà des suppressions et additions de détails qui suggèrent des préoccupations différentes, ce sont les similarités qui retiennent notre attention. Pour une analyse détaillée des parallèles entre le mythe sumérien de la descente d’Inanna et la version akkadienne, La Descente d’Ištar, voir Katz 1996 ; Katz 2015.
9 Selon une représentation cosmique, elle est comparable à un astre amené à disparaître à l’horizon, pour recouvrer la vie après un cycle ténébreux. Par-delà la légende, on comprend que sa disparition temporaire dans le firmament soit l’objet de questionnements. Voir Bruschweiler 1987, p. 65-76, 251-287 ; Cooley 2008.
10 Le comportement de la déesse est clair : Inanna est bouleversée. Elle est en deuil, mais très irritée pour des raisons obvies. Elle, dont l’existence n’est que plaisir et joie de vivre, doit brusquement rompre ses activités, et se joindre aux funérailles, se plier aux rites funèbres, s’épandre en lamentations et en chants plaintifs, verser des larmes devant la dépouille mortelle de son beau-frère. Elle ne peut de toute évidence s’y résoudre.
11 Je pense qu’Inanna souhaite modifier les rites funéraires, afin de les rendre moins austères et moins contraignants. Il n’y a rien ici de nouveau. On sait l’importance des lois somptuaires dans l’Antiquité qui limitent, lors des rites funèbres, l’usage de vêtements, d’objets de luxe et de réjouissances par l’aristocratie ; or ces règlements constituaient des obstacles majeurs pour une partie de la population.
12 ETCSL Project, Lugalbanda in the Mountain Cave : Translation, 59-70.
13 Le texte (ici lacunaire, voir Black et al. 2006, p. 13, l. 71 sqq.) semble indiquer un allaitement différent. Lugalbanda, contrairement à ses frères, n’a pas bénéficié du lait de la mère nourricière et protectrice, la Vache sauvage Ninsun.
14 Black 1998 ; Black et al. 2006, p. 14, l. 87-122. On connaît l’existence d’un mobilier composé de tables, d’autels, de trépieds et autres supports, pouvant recevoir les offrandes et des prières. Castel, Joannès 2001. Ces tables et autres objets divinisés bénéficiaient d’un culte et d’une dévotion semblable à celle que l’on observe chez les Mandéens, les Arméniens, les Coptes, les Grecs orthodoxes ou encore avec « le culte de la table dressée », dans le judaïsme et dans le rite catholique. Voir Drower 1956.
15 ETCSL Project, Lugalbanda in the Mountain Cave, t. 1.8.2.1, l. 87 sqq.
16 Malgré toute cette prévenance, le jeune homme demeurait inquiet et s’en remettait aux puissances célestes. Il avait passé la nuit entière dans la caverne à faire des prières aux astres.
17 Jacobsen 1987, p. 324-325, l. 50-55 ; Black 1998, p. 122-123. Les quatre divinités (le ciel, l’air, l’eau et la terre) du panthéon sumérien sont honorées à part égale : Larson 2005, p. 11.
18 Les spécialistes de la littérature sumérienne voient avec raison dans le parcours de Lugalbanda une série de rites de passage où le héros, affaibli et isolé (phase de séparation), parvient au prix de sacrifices (phase de transition) à passer du monde sauvage au monde des institutions primordiales que sont les rites (phase d’intégration). Voir Vanstiphout 2002 ; Talon 1990 ; Glassner 2009 ; Glassner 2014.
19 Lugalbanda offre à l’Oiseau mystérieux des pâtisseries aux dattes qu’il a lui-même confectionnées. On peut relever ici une thématique présente dans la mythologie grecque mettant en rapport l’oiseau phœnix rythmant la vie et la mort et le palmier-dattier qui renaît de lui-même.
20 Pour se procurer ces nourritures célestes (miel et glace), il faut nécessairement traverser de redoutables obstacles, notamment le grand froid ; voir Bonneterre 2013.
21 Jacobsen 1930 ; Michałowski 1980 ; Talon 2004 ; Foster 2005, p. 526-530. Le protocole d’accueil prévoit normalement de servir un bon repas et des boissons fraîches ; voir Glassner 1990.
22 Voir Bottéro 2006, p. 189-192.
23 Je ne pense pas qu’il faille traduire littéralement « aliments de mort » sous peine de laisser entendre que ces nourritures seraient dangereuses.
24 Scheil 1918 ; Van Buren 1948.
25 L’activité est exclusivement masculine ; jamais en effet les femmes ne vont pêcher en mer. Les pêcheurs de haute mer organisés en corporations pratiquement religieuses, comme au Moyen Âge, se trouvaient en relation contractuelle avec les grandes institutions ; voir Fagan 2006. Les dotations de prébendes de poisson au cours du règne de Nabuchodonosor sont bien connues par les archives des temples (É.SAGILA) ; voir Kleber 2004.
26 Englund 1990 ; Kleber 2004.
27 Scheil 1918 ; Lion, Michel 2000 ; Kleber 2004.
28 Voir plus bas, dans le mythe d’Inanna, la réprobation des groupes sociaux qui ne consomment ni ail, ni poireau, ni poisson.
29 On comprend pourquoi le mythe d’Adapa évoque la magie et la réprobation qui l’entoure. En principe, l’univers trouble et terrifiant de la magie ne doit aucunement coexister avec celui, clair et systématique, du culte régulier des offrandes faites aux dieux. Voir Michałowski 1980 ; Liverani 2004, p. 3-23.
30 Adapa ne pratique pas les sacrifices et n’a donc pas de sang sur les mains.
31 Bottéro, Kramer 1989, p. 198-202 (trad.) ; Izre’el 2001 p. 93, l. 11-14. J’utilise ici la traduction de Foster 2005, p. 526, qui se distancie de Talon 1990.
32 La formation du personnel du temple, notamment des cuisiniers, tenait d’un savoir ésotérique, c’est-à-dire ce que « le non-initié ne doit pas voir » (lā mūdû lā immar), comme d’ailleurs tous les maîtres artisans investis d’une connaissance valorisée (DUMU MEŠ ummânūti). Beaulieu 1992 ; Bottéro 2006, p. 175 sqq. Sur le principe d’une cuisine sacrée restrictive, voir Bottéro 1980 ; Glassner 2009.
33 Le récit est construit à partir de versions sumériennes : Sladek 1974 ; Bottéro, Kramer 1989, p. 276-300 ; Katz 2003 ; Black et al. 2006 ; Ferrara 2006. Pour les versions akkadiennes : Talon 1990 ; Dalley 2003 ; Lapinkivi 2010. Voir aussi les versions composites, par exemple Foster 2005, p. 498-505.
34 Il n’existe pas, à ma connaissance, d’étude générale couvrant, depuis la période archaïque jusqu’à la période achéménide, le rôle essentiel des reines dans le domaine de la gestion des palais. Il existe certes un grand nombre d’études sectorielles et des actes de colloques sur le statut des femmes, mais aucune synthèse sur cette institution économique laissée aux mains des femmes de roi. Pour un aperçu et une bibliographie récente du sujet, voir Michel 2015.
35 Voir Glassner 1990.
36 Sur l’incompatibilité et l’impossibilité de « prendre part au festin des dieux », voir Bottéro, Kramer 1989, p. 437-464.
37 Foster 2005, p. 499, l. 8.
38 On sait par les textes rituels du temple d’Uruk qu’aucun repas n’était servi au cours des lamentations ; voir Linssen 2004, p. 131.
39 Foster 2005, p. 500, l. 33 ; Lapinkivi 2010, p. 30, l. 31-33.
40 Les déesses sont diamétralement opposées. Alors qu’Inanna vit dans les hauteurs qu’est ce monde visible, brillant et lumineux, Ereškigal vit à l’inverse dans l’ombre, dans l’austérité et dans ce qu’il convient d’appeler la cachotterie. Leurs valeurs morales s’opposent. Tandis qu’Inanna se montre solidaire de sa sœur, Ereškigal s’affiche comme acariâtre et impitoyable ; elle s’interroge sur les raisons qui la pousseraient à éprouver de la compassion.
41 ETCSL Project, Inanna’s Descent, 73-77. Dans la version assyrienne, plus de mille ans plus tard, Inanna/Ištar apparaît plus agressive, une grande colère s’empare d’elle. Elle cogne à la porte, interpelle le gardien, le somme d’ouvrir, sinon « elle défoncera le portail, fera sauter les verrous, abattra les cloisons, puis fera lever les morts afin qu’ils dévorent les vivants ». Dalley 2003 ; Lapinkivi 2010.
42 Edzard 1971, p. 37-38.
43 Katz 2003, p. 259.
44 Sur le respect du protocole d’entrée aux Enfers, voir Gadotti 2014.
45 Inanna/Ištar n’a droit à aucun égard, elle doit être traitée « selon les rites antiques » (kīma parṣī labīrūti).
46 Bottéro, Kramer 1989, p. 291-292.
47 ETCSL Project, Inanna’s Descent, 164-176.
48 Ici, la version akkadienne ne diverge pas fondamentalement. Elle souligne cependant une évolution dans la pensée sociale et religieuse. La sanction imposée à Inanna/Ištar, non plus par un tribunal, mais par un ministre, n’est pas comme au temps sumérien le résultat d’un jugement, mais (au viie s. av. J.-C.) celui d’une punition magique dont on devine la réprobation.
49 ETCSL Project, Inanna’s Descent, 176-182.
50 ETCSL Project, Inanna’s Descent, 65-67.
51 ETCSL Project, Inanna’s Descent, 226-235. La version assyrienne n’est guère explicite : Ea/Enki crée « dans la sagesse de son cœur un homme-femme » (assinnu). Voir Lapinkivi 2010.
52 Ces derniers jouent un rôle certain dans la procédure magique en devenir : elles/ils transgressent les normes et barrières existant à l’intérieur de l’univers. Sur leurs activités comme dévots du culte d’Ištar, voir Maul 1992 ; Glassner 2014.
53 Pour cela, il leur faudra « courir aussi vite qu’un courant d’air » (Bottéro, Kramer 1989, p. 284, l. 226) et amadouer la reine des morts, elle qui n’aime que l’insipide, et lui faire prêter à son insu un serment, peut-être par l’ingestion alimentaire de formules mélangées (sur ces prises de serment appuyées par l’absorption de produits spécifiques, voir Bonneterre 2017).
54 Bottéro, Kramer 1989, p. 285, l. 242-244. ETCSL Project, Inanna’s Descent, 242. On peut noter que l’avertissement est le même que dans le mythe d’Adapa.
55 Selon la version assyrienne, les deux créatures ne s’alimentent que du « pain des charrues de la ville » et ne « s’abreuvent que des égouts de la ville » ; voir Bottéro, Kramer 1989, p. 293. « Ce ne sont que gens […] qui ne mangent ni ail, ni poireau, ni poisson ». Pour cet ajout, voir le corpus en ligne ETCSL Project et Lapinkivi 2010, p. 30, l. 104-108.
56 Est-ce seulement à propos du défunt ? Sans doute pas, puisque son destin est scellé : un mort ne revient pas à la vie.
57 Le mythe a été interprété de façons diverses : renaissance du pouvoir royal assyrien (Talon 2004) ; tentative manquée de prise du pouvoir de l’au-delà par Inanna ; pour Dina Katz (2015), c’est le désir de pouvoir parcourir librement la terre – comme un astre répond à ses impératifs cosmiques –, et ce jusque dans ses entrailles.
58 Les ingrédients relèvent du secret. Plusieurs indices laissent penser que les mets sont en lien avec la cosmologie. On les voit justement apparaître à la tombée de la nuit, lors des soupers rituels sous les étoiles. Voir Sallaberger 1993, p. 72 ; Bonneterre 2017.
59 Une lourde responsabilité qui pèse sur ses épaules est ici évoquée, car les rites funéraires (kispum) sont scrupuleusement respectés, même par les rois les moins zélés en matière de religion.
60 La fidélité d’Inanna/Ištar est celle d’une guerrière, et non celle d’une épouse. Liée à la fois à la guerre, à la sensualité et à l’érotisme, elle est également responsable de la croissance des végétaux et de la fécondité des humains. Sur le plan affectif, son existence n’est pas régie par la raison, mais par la passion enflammée. C’est une femme hardie, délurée, effrontée, et tout ce qu’elle entreprend, elle le fait sous le signe du plaisir.
61 Inanna part de bonne humeur, joyeuse et bien disposée, mais devant les portes qui ne s’ouvrent pas, elle devient furieuse. Inanna obéit, en effet, à un devoir sacré, qu’elle accomplit sincèrement. S’oppose à elle la maîtresse du royaume des morts, celle qui craint la lumière, Ereškigal, dont la laideur est à l’image de la piètre moralité (de la tromperie et de la méchanceté).
62 Les lieux sont tout chargés de sens. L’intérieur d’une grotte sert de refuge à l’initiation. La grotte joue non seulement un rôle de sanctuaire, mais participe aussi à la transformation que connaît la personne du jeune homme. Pareillement, le recours à une nourriture merveilleuse et sauvage, originelle et, pour ainsi dire, pure de toute contamination, accompagne la transformation du corps et permet ultimement la guérison du malade. Tout cela n’est rendu possible que grâce au respect des rites cultuels. Le respect du culte, autant que l’hospitalité publique, voilà ce qui constitue une chaîne vertueuse, et c’est ainsi que le roi pieux, bénéficiant de récoltes abondantes, parviendra à terme à faire manger les hommes valeureux, ceux-là mêmes qui lui avaient autrefois montré, dans les temps difficiles, de la bienveillance.
63 ETCSL Project, Lugalbanda in the Mountain Cave, t. 1.8.2.1, l. 273.
64 Leick 2013, p. 226.
Auteur
Chercheur associé, université du Québec
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