Prémices
p. 1-18
Texte intégral
1 Religion et alimentation ne font pas qu’interagir, elles sont interdépendantes. Comme l’écrit Jack Goody, parce que les aliments sont si souvent présents dans le rituel réalisé en faveur des dieux, « religion requires alimentation1 ». Pivot de la pratique rituelle, la nourriture est à la fois un don divin et le fruit du travail des hommes – le joug imposé par Enlil » selon l’épopée sumérienne d’Atraḫasīs : elle est un pont entre les deux mondes. Dans les cultures où la religion est présente dans tous les domaines de la vie sociale, pour lesquelles une opposition entre ce qui relève du religieux et ce qui n’en relève pas n’a pas de sens, elle règle et organise naturellement les pratiques alimentaires qui sont alors fondées sur un faisceau de croyances. Les rapports intrinsèques qui lient religion et alimentation s’expliquent aussi par le fait que la notion de norme est au cœur de l’une comme de l’autre2, et ce, même si les religions antiques ne sont pas révélées et que la norme n’y a donc pas nécessairement valeur d’obligation, correspondant plutôt à la « bonne façon de faire ».
2L’ethnologie et l’anthropologie – en particulier les travaux de Claude Lévi-Strauss3, d’Yvonne Verdier4 et de Mary Douglas5 – ont très tôt mis en lumière le lien profond qui unit pratiques alimentaires, cultures et croyances. Les sociologues se sont aussi emparés du sujet : on pense bien sûr à Pierre Bourdieu, qui s’est attaché à démontrer que les modes alimentaires dépendent de l’appartenance sociale, c’est-à-dire de l’habitus propre à chaque classe6. Plus récemment, les actes du colloque À croire et à manger, édités par Aïda Kanafani-Zahar, Séverine Mathieu et Sophie Nizard, ont permis d’interroger ces liens dans différentes sociétés contemporaines, en termes de « rapport aux choses sacrées » et « au collectif », deux éléments au fondement même de la définition de religion7.
3Les travaux sur la religion dans l’Égypte et l’Orient anciens sont légion ; ceux sur l’alimentation ne sont pas en reste, de manière plus récente il est vrai8. Toutefois, les liens fondamentaux qu’entretiennent religion et alimentation ont longtemps échappé à l’attention des chercheurs travaillant sur ces aires culturelles, à l’exception notable des thèmes spécifiques du sacrifice et du tabou alimentaire – le monde classique ayant, quant à lui, été largement exploré en la matière9. Très récemment néanmoins, des rencontres et des travaux collectifs sont venus poser les bases de l’étude de l’aire orientale, et en ont démontré l’intérêt. Je pense en particulier à l’ouvrage de Luciano Milano, Mangiare divinamente, publié en 201210. Traitant de l’Orient ancien, de la période protodynastique à la fin de la période hellénistique, il a pour point d’ancrage la nourriture des dieux, et porte tout particulièrement sur le banquet, la commensalité étant un thème lui aussi très en vogue ces dernières années11. Toutefois, l’Égypte en est absente, et beaucoup de points de rencontre méritent encore d’être explorés tant le sujet est vaste. La place occupée par le sacré dans la chaîne de préparation alimentaire, du champ à la cuisine, en est un ; son influence sur les manières de table, un autre ; les moyens de distinguer ce qui est tenu pour pur, donc consommable – à moins que le processus ne se fasse en sens inverse –, de ce qui est impur, impropre à la consommation, encore un autre.
4 Pour traiter de ces questions, le choix de l’interdisciplinarité s’imposait pour plusieurs raisons. D’une part, les aires culturelles considérées forment, dans une certaine mesure évidemment, une communauté alimentaire. C’est ce que souligne Brigitte Lion, qui recense, à propos des sociétés de l’Égypte ancienne comme de Mésopotamie, les points suivants : « Prédominance du pain et de la bière, qui sont à la base de l’alimentation humaine, usage du grain (à côté de l’argent pesé, en Mésopotamie) comme étalon des valeurs, systèmes de distribution de nourriture en guise de rations alimentaires et de salaires12. » Il existe aussi, entre l’Égypte et l’Orient, une communauté dans la célébration du divin, qui accorde une importance cruciale à la notion de pureté (dont la définition est évidemment tributaire de l’aire et de l’époque considérées), et cela se vérifie tout particulièrement dans le rapport aux aliments qui sont au cœur de l’offrande faite aux dieux. D’autre part, les différentes disciplines considérées se rejoignent par leur méthode, c’est-à-dire par la nécessité de réunir différents types de sources pour mener une recherche à bien : vestiges archéologiques, textes de différentes natures, iconographie et objets, qu’il faut croiser et analyser ensemble13. Enfin, bien sûr, ces aires culturelles sont en contact, direct ou indirect, de façon plus ou moins étroite en fonction des périodes, et s’influencent donc les unes les autres. C’est clairement ce que montre la contribution d’Hélène Bouillon, avec le glissement, depuis l’Orient vers l’Égypte du Nouvel Empire, de l’iconographie du roi tenant sa coupe, qui incarne en une image synthétique – pars pro toto – l’ensemble du banquet et témoigne du goût égyptien pour un certain exotisme. C’est aussi ce que Sophie Laribi-Glaudel met en lumière en répertoriant différences et points communs entre les mondes mésopotamien et grec, à propos des pratiques et croyances alimentaires qui entourent la naissance. Le lecteur attentif trouvera bien d’autres rapprochements à effectuer au fil de ces pages.
5Aussi, avec cet ouvrage, les auteurs et moi-même souhaitons préciser la place de la nourriture dans les mythes et les pratiques rituelles de l’Égypte et de l’Orient anciens, comme définir la nature et l’importance de la marque religieuse dans les pratiques alimentaires, en dépassant les cloisonnements disciplinaires traditionnels. Dans cette optique, religion et alimentation seront un moyen privilégié d’interroger les sociétés, de les comparer et de souligner les spécificités de chacune. Ainsi, l’ouvrage rassemble aussi bien des études de cas que des travaux de synthèse, qui portent sur l’Égypte, la Mésopotamie, l’Anatolie et le Levant, du IIIe millénaire à l’Antiquité tardive.
I. De la religion dans l’alimentation
Identité
6La plupart des religions imposent des règles quant aux usages alimentaires. Or, l’alimentation est l’un des éléments fondateurs de l’identité d’un groupe : définition de soi, d’abord – à l’image d’Enkidu qui, dans l’Épopée de Gilgamesh, apprend à boire de la bière parce que là est « l’usage du pays14 » –, mais aussi distinction de l’autre. La caractéristique est bien connue pour la Grèce antique, où le régime alimentaire des Perses, par exemple, était l’objet des railleries de nombreux auteurs15. Elle se retrouve aussi en Égypte ancienne. Par exemple, le sorcier nubien venu défier le roi d’Égypte, dans le Conte démotique de Setné I, est moqué à cause – ou par le biais – de ses nourritures faites de « saletés à la mode éthiopienne », pour reprendre la savoureuse traduction de Gaston Maspero16 ; dans ce même texte, la Nubie est qualifiée, de manière fort péjorative, de « terre des mangeurs de gomme17 ». Dans un hymne du temple d’Hibis, un passage traitant des différences entre les peuples indique bien que les Égyptiens se nourrissent de kȝw, de « nourritures », alors que les étrangers vivent de ẖrt, de « choses »18. À leur tour, les Égyptiens eux-mêmes et leurs nombreux interdits seront largement raillés par les auteurs classiques – notamment par Origène –, comme l’explique Charlène Cassier.
7Ainsi, les règles alimentaires imposées par la religion semblent être affaire d’identité. Elles permettent en effet de manifester l’appartenance au groupe des fidèles parce qu’elles matérialisent une adhésion concrète et potentiellement visible à une doctrine, à travers ce qui est mangé ou ce qui n’est pas mangé, et la manière de le faire ou de ne pas le faire. Toutefois, la question identitaire n’est pas nécessairement, ou pas toujours, un enjeu pour les sociétés antiques, ce que la contribution de Youri Volokhine permet de nuancer largement, en montrant que ce qui fonde les prescriptions alimentaires réside ailleurs.
Obligations et prescriptions alimentaires
8Parmi les règles alimentaires imposées par la religion, le croyant se voit souvent interdire de consommer tel ou tel aliment – l’inverse, à savoir la consommation contrainte, étant plus rare –, le corollaire de cette interdiction étant l’observance d’une attitude pondérée face à la nourriture, par préférence à toute forme d’excès. La littérature sapientiale égyptienne s’en fait l’écho. Ainsi, la sixième maxime de l’Enseignement de Ptahhotep, composé à la XIIe dynastie19, est dédiée aux manières de table ; de la même façon que dans les Instructions de Kagemni, qui ne comportent toutefois pas d’allusion directe à la religion, une attitude modeste est de mise à l’occasion d’un repas pris en compagnie d’un personnage de rang supérieur, comme une certaine retenue vis-à-vis des mets présentés. Si le respect de la norme sociale paraît ici primer, c’est aussi, comme le dit le texte, que « s’alimenter dépend de l’avis du dieu » qui semble en fixer les usages.
9En apparence, les motivations qui soutiennent ces prescriptions et ces interdits relèveraient de considérations pratiques et spirituelles. Pour Frederick J. Simoons20, il s’agirait principalement de maintenir pureté rituelle et bonne santé, mais d’autres facteurs entrent indiscutablement en ligne de compte et se superposent en réalité les uns aux autres. C’est ce que détaille Youri Volokhine, en présentant les catégories d’aliments sujettes à proscription. Le plus souvent, et bien qu’ils n’en portent pas l’exclusivité21, ce sont les aliments carnés qui sont soumis à des interdits, en partie parce qu’ils supposent une mise à mort22. Charlène Cassier, à propos de l’interdit de la viande de vache dans certaines régions d’Égypte, montre qu’il trouve non seulement un ancrage dans les mythes des nomes concernés, mais également dans la place que l’animal tient au sein de l’économie locale ; l’auteure souligne aussi la distance que l’on peut observer entre l’édiction de ces règles alimentaires et leur mise en œuvre effective par ceux à qui elles s’adressent. Interdits et prescriptions sont rarement absolus, mais dépendent généralement de circonstances particulières qui peuvent concerner le croyant lui-même, d’un point de vue soit structurel – notamment en fonction de sa position sociale –, soit conjoncturel – par exemple, la femme qui vient d’accoucher et se trouve en situation de liminarité, potentiellement impure, un thème discuté par Sophie Laribi-Glaudel.
Sacré et préparation des aliments
10L’intrusion du sacré dans le processus de la préparation alimentaire – s’entend par là tout ce qui précède sa consommation – peut être divisée en deux temps distincts, chacun étant à explorer séparément : celui de l’abattage des animaux (ou, moins souvent, de la cueillette des végétaux) et celui du stockage et de la cuisine.
11Fanny Hamonic soulève la question de l’abattage des animaux de boucherie dans l’Égypte de l’Ancien Empire : si les pièces de viande qui sont présentées aux dieux et aux morts sont issues de bêtes abattues dans un cadre ritualisé, en présence d’un personnel religieux, tel n’est pas forcément le cas des viandes consommées quotidiennement. À l’inverse, le non-respect des règles d’abattage et de préparation peut déterminer la prohibition de certains aliments quotidiennement consommés, principe essentiel des lois de la casherout – qui s’ajoute à une sélection précise des espèces jugées consommables. Il est bien connu que les mélanges de produits carnés et de produits lactés sont, dans ce cadre sacré, formellement proscrits : « Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère23 », une interdiction qui serait peut-être à rapprocher de celle de l’inceste, également énoncée dans la Bible24. Comme Maureen Attali le souligne, les juifs de l’Égypte hellénistique ne consomment pas de viande préparée par des non-juifs, puisque les bêtes doivent être abattues dans le cadre du zevakh shelamim, « le sacrifice de paix », et qu’ils s’interdisent aussi le vin des non-juifs, de crainte qu’il n’ait été utilisé pour des libations faites à des idoles.
12Les espaces de stockage et de préparation des aliments peuvent eux aussi être sacralisés, ou, à tout le moins, le sacré peut s’y inviter. Même en contexte domestique, ils ne sont donc pas nécessairement des « espaces serviles », pour reprendre la formulation de Lynn Meskell25 à propos des cuisines égyptiennes. Ainsi, au village de Deir el-Médina par exemple, où vivent les travailleurs œuvrant, au Nouvel Empire, au creusement et à la décoration des tombes de la toute proche Vallée des rois, les cuisines accueillent parfois un autel dédié à la déesse Rénénoutet, « maîtresse des aliments », et, plus surprenant peut-être, à Meretseger, « celle qui aime le silence », déesse de la cime26. C’est cette même Rénénoutet « maîtresse des greniers », qui protège ceux de certains temples, non seulement en Haute-Égypte, mais aussi dans le Delta. Frédéric Mougenot propose un examen de ses cultes à travers les représentations, dans les tombes thébaines, de leurs structures dédiées, du clergé de Rénénoutet – qui montre si bien l’interpénétration des sphères économique et religieuse – et de la dévotion personnelle dont font preuve certains groupes professionnels liés aux domaines d’expertise de la déesse.
13Enfin, certains aliments issus du quotidien peuvent porter une charge symbolique particulière, que sous-tend un arrière-fond mythologique. C’est le cas du lait qui se trouve au centre de tant de discours mythiques, au sein de cultures très diverses : la giclée de lait de la déesse Héra à l’origine de notre galaxie, la Voie lactée ; la naissance de l’univers lors de l’amrita manthana, « le barattage de la Mer de lait », dans la mythologie hindoue ; le monde créé à partir d’une goutte de lait dans les mythes peuls, etc. Les histoires d’allaitements extraordinaires déterminant un destin non moins prodigieux pour ceux qui en bénéficient ne manquent pas : ainsi, bien sûr, les jumeaux Rémus et Romulus, fils de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars, qui furent abandonnés au fleuve et allaités par une louve27. Le processus de sacralisation du lait est étudié par Jean-Pierre Pätznick dans le cadre particulier de l’Égypte de l’Ancien Empire, à travers une approche principalement lexicographique et la mise en relation de ce produit avec la déesse bovine Hathor.
14Le pain, lui aussi, tient une place à part, notamment parce qu’il incarne la base même de l’alimentation humaine dans les cultures qui nous concernent – en Égypte ancienne, l’expression « pain-bière » résume la totalité de l’offrande funéraire. Il prend une autre dimension quand il est offert aux dieux, comme le montre Sylvie Marchand dans son étude des pains marqués, sans doute d’un signe solaire, lors du processus de cuisson, et tels qu’on en trouve au domaine d’Amon de Qasr Allam, dans l’oasis de Bahariya. Alexa Rickert étudie la bouillie levurée, désignée sous le nom « hésa », qui permet à la pâte de lever : cette bouillie est non seulement personnifiée, mais aussi divinisée sous la forme d’un génie économique apparaissant dans les processions géographiques de plusieurs temples tardifs égyptiens. Là, ce génie désigné par le nom de la bouillie qu’il incarne, Hésa, est certes responsable de la levée du pain, mais prend aussi part, semble-t-il, à la pousse des végétaux et, peut-être, par la relation qu’il entretient avec Osiris, à la résurrection des morts.
Sacré et consommation des aliments
15Lorsque l’aliment est sacralisé, le repas entre membres de communautés religieuses différentes est un défi. À travers l’exemple des usages des juifs dans les banquets de l’Égypte hellénistique, Maureen Attali montre qu’il peut être relevé : les auteurs juifs de cette époque semblent considérer la commensalité entre juifs et non-juifs comme non seulement possible, à condition de ne partager ni vin ni viande, mais aussi souhaitable, participant de la place prise par les juifs au sein de la société. Ils organisent des stratégies dans cette optique : par exemple, contrairement à une opinion largement répandue, fondée notamment sur quelques commentaires de Flavius Josèphe, l’auteure montre que l’huile et le pain ne tombent pas sous le coup des interdits de la casherout et peuvent donc être partagés. L’analyse rejoint ici celle de Jean-Pierre Vernant, pour qui la commensalité est, presque toujours, au fondement de la communauté sociale.
II. De l’alimentation dans la religion
Nourritures divines, offrandes faites aux dieux
16Il est bien connu que les dieux grecs se nourrissent de nectar et d’ambroisie, comme l’évoque notamment l’Odyssée28. Il en va de même dans les récits mythologiques sumériens, puis akkadiens, où les dieux aiment se rassembler autour d’un festin, par exemple dans l’Enūma eliš, composé de nourritures célestes29. Dans un même esprit, les dieux égyptiens peuvent se nourrir de maât30, l’équilibre et l’ordre du monde mis en place lors de la Création. Ainsi, les dieux se sustentent d’aliments – certains à tout le moins – qui reflètent leur nature, par opposition aux nourritures des hommes et à leur condition. Dans cette optique, Daniel Bonneterre interroge la place des aliments dans trois mythes mésopotamiens (Lugalbanda, Adapa, Inanna aux Enfers) qui partagent des épisodes communs, c’est-à-dire une structure qui semble se répéter ; à travers les étapes franchies par les héros de chacun des mythes se dessine une nourriture d’une part proprement divine, d’autre part proprement funéraire, qui ne sied pas aux hommes. Les mythes considérés fixent un cadre précis pour chaque étape, tout en instaurant des rapports d’interdépendance entre les dieux, les vivants et les morts, par l’établissement des règles du rituel, où l’offrande alimentaire tient une place de choix.
17De manière générale, par le truchement du culte et des pratiques rituelles, les dieux reçoivent une nourriture terrestre, celle-là même que leurs dévots sont capables de présenter devant eux : comme il a déjà été remarqué plus haut, l’offrande réalisée instaure non seulement une circulation entre les mondes, mais elle manifeste aussi une communauté culturelle entre hommes et dieux31. Pour reprendre les termes d’Émile Durkheim32, l’offrande, comme le sacrifice, n’est pas seulement un acte de renoncement, mais « avant tout, un acte de communion alimentaire ». Ce sont des différences fondamentales de nature, donc, qui expliquent que cette nourriture subit le plus souvent un traitement particulier qui la transforme symboliquement, notamment à travers sa cuisson. Le cru, le cuit et le pourri formeraient les trois états de la nourriture, le « triangle culinaire » de Claude Lévi-Strauss dans sa forme la plus simple33 ; ce qui est défini comme cru serait un état de la nature, comme sa dégradation vers le pourri, alors que ce qui est cuit en serait la transformation culturelle, pratiquement et symboliquement. Ce triangle est avant tout établi, rappelons-le, sur le modèle du « triangle vocalique » afin de mettre en lumière les systèmes d’oppositions qui s’observeraient, selon Cl. Lévi-Strauss, dans tous les mythes et toutes les activités humaines, et reflèteraient la structure même des sociétés. Emily Teeter détermine que les offrandes carnées présentées aux dieux dans les temples égyptiens sont principalement crues – ce n’est qu’aux époques tardives que la viande transformée par le feu devient la règle générale –, et ce alors même que la consommation quotidienne se tourne vers les viandes cuites. Dans ce cas, comme en Orient ancien, où le constat peut être le même, c’est précisément l’absence de cuisson qui distingue les nourritures divines des nourritures terrestres. De plus, ces viandes crues, dont le pourrissement est accéléré par la chaleur, nécessitent une grande rapidité de traitement dans le cycle de l’offrande – depuis la découpe de la bête jusqu’à la redistribution des morceaux aux prêtres – et la mise en place de stratégies particulières pour conduire celui-ci à bien. Ici, donc, l’absence de cuisson ne correspond pas au « non élaboré », ni à un « pôle non marqué34 » : le fait est empreint de culture, et il est résolument construit. Emily Teeter souligne aussi la difficulté qui existe à distinguer les modes de cuisson – cuit, grillé ou rôti – et en montre les enjeux pour l’interprétation du rite, suivant en cela la méthode de Lévi-Strauss : par exemple, il est clair qu’aux époques tardives, les animaux sauvages sont immolés – donc brûlés, et non cuits – devant le dieu, comme autant de symboles du chaos que l’on repousse par l’activation même du rituel divin. En effet, dans la sphère du temple, comme dans celle de la tombe, les aliments ne sont pas que des aliments, ils sont aussi, parfois même avant tout, des symboles. C’est ce que montre Catherine Bouanich-Aquain qui étudie différents types de viandes présentées aux dieux dans les temples ptolémaïques : ces viandes se distinguent non seulement par leur mode de découpe, mais aussi par leur destination, certains morceaux tenus pour purs appartenant à l’offrande alimentaire stricto sensu, tandis que d’autres, différemment nommés, relèvent de rites de substitution. La contribution d’Alice Mouton le prouve aussi clairement, à propos cette fois du poisson qui intervient dans certains rituels de l’Anatolie hittite : dans les rites de purification du Kizzuwatna et de l’aire hourrite, il est à la fois une offrande alimentaire et un objet de substitution, et peut être, à ce titre, immolé entièrement.
18Enfin, la circulation de la nourriture rituelle ne se fait pas uniquement des hommes vers les dieux, mais aussi des dieux vers les hommes, à travers le processus de redistribution de l’offrande, qui peut se réaliser par la tenue de banquets. Stefania Ermidoro détaille comment les banquets assyriens du Ier millénaire, où les dieux, le roi et des convives plus ordinaires se rassemblent dans l’espace du temple, parachèvent le rituel divin. L’auteure montre aussi comment l’aliment sacralisé devient le ciment de la cohésion sociale qui se manifeste à travers la commensalité. Toutefois, la redistribution n’implique pas seulement les vivants, elle concerne aussi les morts : dans le Livre des Morts égyptien, par exemple, il est très fréquent que les aliments à destination du défunt soient censés provenir de l’autel d’un ou plusieurs dieux. C’est ce qu’énonce notamment la formule 58, dans laquelle le défunt souhaite recevoir, parmi ses offrandes alimentaires, « une grande portion de viande du temple d’Anubis35 ». Dans la formule 53, le défunt reçoit l’offrande depuis le temple solaire d’Héliopolis, et affirme : « Je mange ce qu’ils mangent, je vis de ce dont ils vivent ; j’ai mangé le pain dans la chambre du maître des offrandes. » Cette nourriture partagée entre les dieux et le mort revient, dans ce cas, à une équivalence de nature : le mort est divinisé et s’agrège à la communauté des dieux en montant à bord de la « barque du ciel » où ils ont pris place.
Nourritures des morts, offrandes funéraires
19Les morts, en Égypte et en Orient anciens, ne mangent habituellement pas de mets impropres à la consommation des vivants, ce que l’on peut en revanche observer dans d’autres cultures. Par exemple, de nos jours, chez les Aztèques de la Sierra de Puebla, des galettes de cendres déposées dans les cercueils sont consommées par les défunts une fois arrivés dans le Mictlan36. On peut alors parler d’une « anti-cuisine » qui révèle une conception inversée de l’au-delà par rapport à l’ici-bas. Tel n’est pas le cas dans l’Antiquité orientale, ce qui contribue à montrer que l’après-vie est bien perçue comme une continuation de l’existence terrestre ; la première vie n’est toutefois pas répétée absolument, mais est au contraire largement adaptée et réinterprétée, car des représentations, des simulacres, ou de simples mentions écrites, peuvent suffire à nourrir les morts. Cette communauté alimentaire entre morts et vivants n’est bien sûr pas la seule à s’exprimer dans les croyances de l’au-delà, puisque, comme cela a été dit plus haut, les morts partagent aussi leurs nourritures avec les dieux, c’est-à-dire qu’ils deviennent comme eux. En Égypte ancienne, les anti-aliments existent dans les textes, mais ils sont réservés aux entités néfastes ou, à tout le moins, terribles : par exemple, dans la formule 17 du Livre des Morts, Seth est décrit comme celui qui « avale la pourriture, qui vit de choses putrides, gardien des ténèbres dans l’obscurité37 ». En de rarissimes circonstances, les morts peuvent exceptionnellement consommer de telles immondices38 : il s’agit alors pour le défunt de se prémunir contre le danger d’être dévoré en devenant lui-même impropre à la consommation par l’ingestion de choses dangereuses et/ou impures qui, par contamination, le rendent impur à son tour.
20Les aliments découverts dans ou à proximité immédiate des tombes ne se limitent pourtant pas à ce que le mort doit manger dans l’au-delà, quoiqu’ils soient parfois cantonnés à ce rôle par les chercheurs. Au contraire, Salima Ikram définit, à propos de l’Antiquité égyptienne, trois types d’aliments dans la sphère funéraire, qui valent pour l’ensemble de l’Orient ancien39 : ceux dont le défunt est effectivement censé se nourrir, déposés dans la tombe avec lui lors de l’enterrement, et qui reflètent parfois les transformations subies par son corps mort (viandes momifiées dans certaines tombes du Nouvel Empire) ; ceux qui ont servi aux rituels réalisés au moment des funérailles ; ceux, enfin, qui témoignent du culte rendu, après les funérailles, par la famille et par les prêtres, et qui peuvent aussi révéler la tenue de repas, peut-être de banquets, à proximité de la tombe (à l’image du kispu mésopotamien, par exemple). Distinguer ces trois types de traces constitue un enjeu du point de vue de la méthode, d’autant plus que la définition même des aliments peut se révéler délicate. Ainsi, certains ossements d’animaux, qui semblent a priori relever de cette catégorie, sont en réalité d’une tout autre nature : restes d’animaux de compagnie enterrés avec leur maître, astragales pérennisant un jeu ou une pratique oraculaire (par exemple, dans cinq tombes du cimetière anatolien de Yanarlar40), squelettes de bêtes rôdeuses introduites fortuitement dans la tombe, etc. Définir le reste archéologique comme un aliment, de surcroît comme un aliment ayant un rôle à jouer, nécessite, plus qu’ailleurs peut-être, de combiner des sources textuelles et iconographiques à une analyse archéologique fine qui prenne non seulement en considération le contexte de découverte, mais aussi la nature et le traitement des vestiges en question. En la matière, au cours des dernières années, l’étude des restes carnés par l’archéozoologie et celle des végétaux par l’archéobotanique ont permis des avancées considérables ainsi qu’une prise de conscience, sur beaucoup de chantiers de fouilles, de la nécessité de ne pas laisser disparaître des informations cruciales en matière de rites, de croyances, de rapport au vivant. La contribution de Jwanna Chahoud et Emmanuelle Vila comme celle de Salima Ikram illustrent précisément les apports de l’archéozoologie : en s’appuyant sur une grande quantité de données provenant de tombes du Levant, de Syrie et de Mésopotamie de l’âge du bronze, les auteures montrent que l’espèce de l’animal considéré (principalement des moutons et des chèvres, mais aussi des oiseaux et des poissons), comme son âge, sa découpe et son mode de cuisson éventuelle, renseignent, pour chaque aire culturelle, non seulement sur l’identité du propriétaire de la tombe, mais aussi sur la nature du rituel, celui-ci impliquant les morts et les vivants, ainsi que les croyances qui l’entourent.
21Si les pages qui suivent apportent des réponses aux questions qui viennent d’être ici sommairement présentées, elles sont loin d’embrasser l’ensemble de la matière. Celle-ci est extraordinairement riche, à la mesure des cultures de l’Égypte et du Proche-Orient anciens. Le champ d’études couvert par le sujet est, pour ainsi dire, infini, tant les liens qui unissent religion et alimentation sont nombreux, complexes et féconds. Puisse le présent ouvrage, dans le sillage de ceux qui l’ont précédé, contribuer à nourrir la réflexion, comme la recherche pluri et interdisciplinaire, sur le sujet.
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Notes de bas de page
1 Goody 2007, p. 17.
2 Kanafani-Zahar, Mathieu, Nizard 2007, p. 10.
3 Lévi-Strauss 1964-1968 ; Lévi-Strauss 1965.
4 Voir notamment Verdier 1969.
5 Douglas 1984 ; Douglas, Isherwood 1996.
6 Bourdieu 1979. Voir aussi Barthes 1961, sur l’alimentation comme un système de signes comparable au langage.
7 Kanafani-Zahar, Mathieu, Nizard (éd.) 2008, en particulier p. 9.
8 Parmi des exemples très nombreux, voir notamment Michel (éd.) 2009 ; Michel (éd.) 2013. Le lecteur se référera aux bibliographies présentes dans ce volume.
9 Georgoudi, Koch-Piettre, Schmidt (éd.) 2005, suivant le travail fondateur de Detienne, Vernant (éd.) 1979 à propos du monde classique ; voir aussi Schmitt-Pantel 1997. On soulignera aussi la récente publication de Youri Volokhine (2014) sur le porc en Égypte ancienne, où la question de la consommation de l’animal tient une bonne place.
10 Voir aussi Grottanelli, Milano (éd.) 2004 sur le thème croisé de la nourriture et de l’identité dans l’Orient ancien.
11 Par exemple : Ghitta (éd.) 2014 ; Herrmann, Schloen (éd.) 2014.
12 Lion 2012, p. 11.
13 Sur la nécessité de croiser les sources à propos du thème de l’alimentation en Orient ancien, voir Michel 2012, en particulier p. 31-37.
14 Bottéro 1992, p. 224 ; Michel 2012, p. 17.
15 Tels Hérodote, Histoires I, 133, ou Strabon, Géographie XV, 3, 22, qui moque les excès de raffinement des rois perses.
16 Sauneron 1959, p. 63-70. De manière moins explicite, moins sévère aussi, le héros exilé en terre étrangère du Conte de Sinouhé est accueilli par des Bédouins avec du lait bouilli ; une fois installé au Levant, il profite des largesses des autochtones qui cuisent toutes leurs nourritures dans du lait (Sin. B 26-27, 91-92). Par ces mentions, le conte cherche peut-être à souligner un trait saillant des habitudes culinaires proche-orientales, différentes des coutumes égyptiennes, ou bien à mettre en avant les bienfaits dont Sinouhé bénéficie après avoir montré ses qualités à tous. Voir Fischer 1976.
17 Pour une traduction de l’ensemble du passage, voir Lichtheim 1980, p. 140.
18 Sauneron 1959, p. 68.
19 Pour la datation, voir Eichler 2001. B. Mathieu (2013) transforme ce qui était autrefois perçu comme la première maxime en un avertissement liminaire chapeautant tout le texte, dans lequel Ptahhotep exhorte son fils – en fait, le lecteur – à une attitude modeste, bien qu’instruit par l’enseignement qu’il s’apprête à lui donner. Le passage qui concerne l’alimentation est donc, dans les publications plus anciennes, considéré comme la septième maxime (par exemple, voir Lichtheim 1973, p. 65), et non comme la sixième.
20 Simoons 1961.
21 Par exemple, pour la Grèce antique, il existe manifestement un interdit concernant la consommation des fèves : cette répulsion engloberait jusqu’à l’idée de seulement entrer en contact avec la plante, comme l’illustre l’épisode bien connu des Pythagoriciens pris en embuscade et massacrés pour ne pas avoir pu traverser un champ de fèves (Jamblique, Vie de Pythagore, 191). Bien que végétale, la fève semble avoir été identifiée à la chair humaine et rattachée à son sang (Porphyre, Vie de Pythagore, 44 ; voir les commentaires de Bras 2001, p. 465). De ce fait, selon Philippe Borgeaud (2009, § 14), « pour les Pythagoriciens, et probablement pour certains Orphiques, l’idée de croquer des fèves suscitait une horreur semblable à celle que susciterait le cannibalisme ».
22 Vialles 2007, p. 209.
23 Exode, XXIII, 18 ; Exode, XXXIV, 26 ; Deutéronome, XIV, 21.
24 Soler 1973.
25 Meskell 2002, p. 125.
26 Bruyère 1939, p. 77, pl. XV-XX, et p. 287.
27 Toutefois, pour Plutarque et Tite-Live, les jumeaux furent certes allaités par une lupa, mais au sens de « prostituée » : Plutarque, Vies, Romulus, 4, 2 ; Tite-Live, Histoire romaine, livre I, 4.
28 Voir Vidal-Naquet 1970.
29 Joannès 2009.
30 Par exemple, le dieu Rê dans la formule 65 du Livre des Morts : Barguet 1967, p. 106 ; Quirke 2013, p. 162-163.
31 Voir Bruit-Zaidman 2005.
32 Durkheim 1912, p. 481.
33 Voir en particulier Levi-Strauss 1965.
34 Lévi-Strauss 1965, p. 20.
35 Barguet 1967, p. 164 ; Quirke 2013, p. 276.
36 Chamoux 1997, p. 97-98.
37 Version de Nebseny, P. BM EA 9900 : Barguet 1967, p. 63. Dans la formule 33, le serpent Rerek « a mangé une souris, la bwt de Rê, a broyé les os d’une chatte en putréfaction » (voir Barguet 1967, p. 78 ; Quirke 2013, p. 106). L’aspect terrible des troisième et cinquième gardiens des portes du monde souterrain, tels que nommés dans les formules 144 et 147, est véhiculé par la seule prise de nourriture infecte : l’un est « celui qui mange les pourritures de ses fesses », l’autre est « celui qui vit des vers », sans doute nécrophages (voir Barguet 1967, p. 190, 204 ; Quirke 2013, p. 325, 351).
38 Dans la formule 153b du Livre des Morts, le défunt qui craint d’être mangé par « le Grand » affirme : « J’ai mangé, j’ai avalé devant lui, le breuvage de la mort est dans mon ventre. » Version de Nou, P. BM EA 10477 : Barguet 1967, p. 222 ; Quirke 2013, p. 381.
39 Voir les remarques de Bachelot 2009.
40 Patrier 2014, p. 321-323.
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