Chapitre 7. L’impensé de la politique d’asile : les obstacles au retour
p. 213-243
Texte intégral
1La question du retour dans le pays d’origine que nous abordons dans ce chapitre est complexe et il s’agit plutôt de parler d’obstacles au retour tels qu’ils ont été identifiés par les personnes concernées, bien que l’on puisse aussi dégager, à partir des informations récoltées, les conditions qui favoriseraient un retour dans des bonnes conditions. Comme nous le verrons, les personnes NEM qui retournent de manière volontaire dans leur pays sont très peu nombreuses, et les départs pour d’autres pays n’empêchent nullement un retour ultérieur en Suisse, y compris dans le système d’aide d’urgence. Il s’agit, sur la base des résultats de notre enquête, de mieux comprendre pourquoi.
2Tout d’abord, nous rapporterons les indications fournies par nos répondant-e-s, suggérant que l’exclusion de l’asile par la décision de NEM peut effectivement comporter le risque de ne pas reconnaître la qualité de réfugié-e à des personnes qui remplissent les conditions pour l’obtenir, ou du moins dont le retour au pays d’origine les exposerait à de réels dangers. Cette possibilité a été pointée lors de certaines critiques émises à l’encontre de l’évolution de la politique suisse d’asile1. Il est certain que les obstacles au retour doivent être rapportés, en partie du moins, aux motifs de la migration. Toutefois, comme nous l’avons souligné, les raisons du départ sont multiples, intriquées dans des raisons politiques et économiques qu’il est souvent difficile de démêler, de sorte que si les personnes concernées ne reçoivent pas l’asile ou ne peuvent ouvrir une procédure, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de problème dans leur pays d’origine et qu’il faille les considérer purement et simplement comme des « faux réfugiés ». Les motifs de départ ont fait l’objet de plusieurs publications illustrant la manière dont ils sont imbriqués et la difficulté de les dissocier (Effionayi, 2005). Nous nous limiterons donc ici à rapporter les propos de nos répondant-e-s faisant état de leur perception des risques encourus en cas de retour au pays d’origine et qui illustrent le fait que certaines personnes ayant reçu une décision de NEM semblent bien se trouver dans des situations inextricables du point de vue de leur propre sécurité ou de celle de leur proches.
3Nous accorderons en revanche une place plus importante à des obstacles d’un autre ordre, en quelque sorte générés dans le pays d’accueil, et qui ont reçu moins d’attention de la part des observateur-e-s et des chercheur-euse-s dans les domaines de la migration et de l’asile. Ces empêchements de nature psychosociale concernent d’abord les enjeux de reconnaissance ou de maintien de l’intégrité personnelle issus du rapport que le/la migrant-e entretient avec sa communauté d’origine et que nous retrouverons dans les propos de nos interlocuteur-trice-s. Ensuite, il apparaît que la logique de dissuasion comporte des effets pervers que la politique d’asile n’a pas été en mesure de prévoir. Il arrive en particulier que les pressions subies par les personnes aient pour (contre-) effet de les amener à tout mettre en œuvre pour « résister » ou que la dureté des conditions de vie et de santé les empêche de formuler un projet et les bloque sur place. Ce chapitre s’emploie alors à analyser les propos de migrant-e-s à la lumière de ces mécanismes psychosociaux qui constituent des obstacles au retour rarement envisagés comme tels dans les réflexions sur l’asile et la migration.
1. Obstacles inhérents aux contextes d’origine
4Malgré une tendance à la catégorisation des personnes NEM en tant que « faux réfugiés » ou « réfugiés économiques », plusieurs témoignages font état d’obstacles liés à l’impossibilité de retour dans le pays d’origine pour des raisons qui pourraient relever de l’asile ou de l’admission provisoire (conflits dans le pays d’origine, persécutions, traumatismes liés à des vexations subies, problèmes avec les autorités politiques du pays d’origine). Autrement dit, pour quelques-unes des personnes interrogées, les raisons politiques empêchant le retour semblent prévaloir. Cet aspect est aussi souligné par l’un-e des spécialistes rencontré-e-s, qui considère que la « rhétorique des abus » induit des manquements graves à la protection des personnes au travers de l’asile2. Largement sous-estimés, ces obstacles au retour existent bel et bien et rendent pour nombre de personnes concernées le retour dans le pays d’origine impossible.
5Quelques-un-e-s de nos répondant-e-s déclarent en effet clairement être parti-e-s du pays d’origine pour des raisons politiques liées à leur engagement ou à celui des membres de leur famille, dans des mouvements de protestation ou dans des groupes d’opposition au gouvernement du pays d’origine. Souvent, c’est l’instabilité politique de leur pays, influençant l’économie, qui les a amené-e-s à migrer en vue d’améliorer leur situation ainsi que celle de leur famille. Dans un nombre limité de cas, les personnes déclarent avoir caché leur véritable origine aux autorités.
La diversité des menaces
6Les quelques données que nous avons pu recueillir au sujet des parcours migratoires avant la décision de NEM indiquent une diversité des motifs de demande d’asile, sans qu’il soit toujours possible d’établir la réalité d’une répression étatique. Il est donc très difficile de démêler le faisceau de facteurs pouvant être à l’origine de l’exil et, de ce fait, de préciser la nature des obstacles au retour. Comment faire la part des choses entre la répression étatique et la menace directe sur la vie de la personne, le traumatisme vécu en raison d’événements politiques, ou le fait d’avoir tout perdu en raison d’une situation conflictuelle et économiquement instable ? Il est de ce fait très délicat de dresser simplement une liste de pays sûrs comme le font la Suisse et les pays européens. Pour différentes personnes frappées de NEM, les obstacles sont liés à l’impossibilité de retourner dans leur pays sans mettre leur vie en danger, même si elles déclarent en général qu’elles aimeraient rentrer chez elles si la situation sur place s’améliorait. Quelques personnes ont d’ailleurs précisé qu’elles n’avaient plus de contacts directs avec les membres de leur famille restés au pays pour ne pas mettre leur vie en danger, comme en témoigne notamment ce migrant :
Ma famille est en Kabylie, je n’ai pas de contacts avec eux, je ne peux pas en avoir, c’est suite à des circonstances difficiles que je ne peux pas vous raconter. […] Je donnerais ma vie pour écouter leur voix. Je ne peux pas les contacter en mon nom, cela poserait des problèmes pour eux, c’est lié à ma situation là-bas (GE_NEM01_JMA).
7La coupure des liens avec la famille pour éviter des problèmes à ses membres se retrouve avec une certaine régularité. Les propos de ce ressortissant du Sri Lanka font ainsi écho au témoignage précédent :
Ce n’est pas possible d’envoyer de l’argent, je ne sais pas maintenant… […] Si j’envoie de l’argent, ce serait un problème pour ma famille aussi. Le LTTE3 saurait que je suis encore en contact avec eux. Ils ont fait beaucoup pour moi, je ne veux pas leur causer des problèmes (ZH_NEM07).
8Dans un contexte différent, alors même que le conflit armé a trouvé officiellement un terme4, une personne fait état de troubles et de dangers ayant des conséquences sur la sécurité ou la vie de membres de sa famille restés au pays :
Quand je suis sorti de prison [au Congo], j’ai fui en Suisse. J’appelais chez moi pour demander comment ils allaient. Ils ont compris, la police a envoyé une convocation chez moi. Et ils ont aussi envoyé un mandat d’arrêt. Et ils venaient chez ma femme, chaque nuit. Pas toujours, mais ils frappaient à la porte et tout. J’ai pensé lui dire de quitter ma maison, mais c’était moi qui avais des problèmes, pas elle. En août-septembre 2006, les militaires sont venus à la maison, ils l’ont prise pour la mettre en prison, puisque peut-être elle savait où j’étais. Ils l’ont emmenée dans la même prison où j’avais été. Je ne savais pas, mais en septembre ma sœur m’a appelé, elle pleurait. Elle m’a dit que ma femme était morte, qu’elle avait eu des problèmes (ZH_NEM10).
9Pour une autre personne, ce sont les traumatismes vécus dans son pays qui font obstacle au retour. Même si elle ne risque pas directement sa vie en cas de retour, cette personne n’a plus confiance en son pays en raison des attentats dont elle a été témoin et qui lui ont causé d’importants troubles psychiques :
J’ai vécu des choses difficiles là-bas, j’ai même été voir un psychiatre qui m’a donné des médicaments, je n’étais pas bien, je vois les images devant, j’ai des cauchemars. Des fois, j’avais envie de me suicider là-bas. Ici aussi, je prends des médicaments, mais avant de venir ici, j’en avais plus, de cauchemars. Ici aussi, je me réveille la nuit avec des cauchemars mais après je me dis que je suis en Suisse et que ça va. […] Il y a parfois des Algériens qui disent qu’ils veulent acheter une maison là-bas, mais moi non, je ne veux plus retourner là-bas. Je deviens fou là-bas (GE_NEM03_JMA).
10Enfin, le fait d’avoir tout perdu pendant la guerre peut constituer en soi un obstacle au retour, y compris lorsque le conflit a trouvé un dénouement :
Je ne peux pas retourner en Algérie, je n’ai rien là-bas. Je ne peux pas y retourner. Je sais qu’ici, je n’ai pas beaucoup, mais c’est toujours mieux que là-bas. Je suis fatigué de la vie d’ici, mais je n’ai vraiment rien là-bas. Ce n’est pas pour rien que je mène une vie de requérant depuis treize ans. C’est impossible de retourner (BE_NEM01_FST).
J’ai un problème chez moi, si je n’avais pas de problèmes, je serais rentré. Je n’ai plus de maison chez moi, mon père a été tué, ma famille n’est pas là. Ma mère est morte au Canada, quand elle est entrée là-bas, elle est tombée malade. […] Si tu dis ça au SPOP, ils ne te croient pas. Ils ne croient même pas d’où je viens, le Sierra Leone. J’ai un certificat de naissance du Sierra Leone, mais ils pensent que c’est un faux (LA_NEM01).
11Les membres de la famille ayant parfois également fui, souvent dans d’autres pays du continent africain, les personnes n’ont pas gardé de contacts avec leur pays d’origine. Certains communiquent avec des membres de la diaspora à propos des possibilités existant en matière d’asile, comme en témoigne encore cette même personne :
Je n’ai plus ma mère et mon père. Mon jumeau est aux USA, ma sœur aussi, mon cousin est au Mozambique, ma tante en Afrique du Sud, mais elle a des problèmes là-bas, il y a des problèmes dans ce pays. Elle connaît la situation dans tous les pays, avant elle me disait : « Ce n’est pas bien la Suisse maintenant, il faut venir en Afrique du Sud », mais maintenant, ce n’est pas bon là-bas (LA_NEM01).
12L’absence de membres de la famille dans le pays d’origine a parfois des implications directes sur la possibilité d’envisager un retour, ne serait-ce que du point de vue de l’obtention de papiers d’identité. Il est intéressant de noter ce point au regard de l’exigence que posent les autorités aux requérant-e-s en termes de possession de papiers d’identité. Un de nos répondants, privé de famille dans son pays d’origine, cherche ainsi à entrer en contact avec des personnes plus éloignées pour obtenir des papiers :
Ces temps-ci, au Sri Lanka, c’est très, très mauvais. J’ai un ami à qui j’ai demandé de m’envoyer ma carte d’identité, mais je n’ai pas encore reçu de ses nouvelles. J’ai entendu qu’il avait été kidnappé par ces gens. Ils continuent de kidnapper des gens dans ma région. C’est très dur d’entendre ces choses-là. Quand je téléphone, j’entends chaque fois ces choses. [A qui téléphonez-vous ?] J’avais un numéro, mais maintenant j’en ai un autre, je peux contacter un ami. Mais je ne le connais pas tellement. J’ai acheté une carte à prépaiement, je demande comment va la situation. [Est-ce que l’ami à qui vous avez demandé votre carte d’identité a des ennuis ?] Oui, à cause de ces gens. Ils le veulent (ZH_NEM07b).
13Dans d’autres cas, les personnes évoquent des difficultés liées à la faiblesse de l’Etat de droit, l’arbitraire, l’absence de lois, qui ne rendent pas le retour au pays d’origine envisageable dans l’immédiat. Malgré les difficultés pesant sur leurs conditions d’existence en Suisse, les personnes frappées de NEM estiment en général que cela vaut toujours mieux de rester que de retourner dans leur pays d’origine, que cela soit pour des questions de sécurité ou d’absence totale de perspectives d’avenir dans leur pays :
Mais je ne peux pas rentrer en Inde, par exemple. En Inde, ils te forcent à faire des choses, il n’y a pas de loi là-bas. Ici, je suis dans une mauvaise situation, mais au moins il y a une loi. Je ne vais pas retourner en Inde. J’aimerais rentrer au Bhoutan, mais je ne peux pas (BE_NEM02_FST).
14Si, parmi les migrant-e-s interrogé-e-s, le retour au pays n’est dans l’immense majorité des cas pas considéré comme une option envisageable dans l’immédiat, il est néanmoins évoqué parfois dans une perspective lointaine, toujours liée à une amélioration de la situation dans le pays d’origine :
Je veux bien rentrer, mais j’ai eu de gros problèmes. Ce n’est pas le moment. […] Si je pouvais, je rentrerais chez moi pour travailler, j’ai fait l’école. […] Je suis en train de prier seulement que Dieu change quelque chose chez moi, dans mon pays. Comme disent les Anglais, Home, Sweet Home. […] Je pourrais aussi être à l’aise ici, mais à une condition, que je sois accepté. Je ne peux pas rester comme ça, les Suisses ne veulent pas de moi. Je veux rentrer chez moi, quand les choses s’amélioreront (ZH_NEM10).
15En ce qui concerne le choix de la Suisse, seules quelques personnes déclarent avoir clairement songé à ce pays comme terre d’accueil, comme c’est le cas pour ce répondant :
J’ai rencontré des gens en Algérie qui avaient demandé l’asile ici, ils m’ont dit qu’en Suisse il y avait les droits de l’homme et que je pouvais déposer une demande d’asile et trouver un travail ici. C’est pour ça que je suis venu ici. Je suis parti d’Algérie pour venir en Suisse (GE_NEM03_JMA).
16La plupart des personnes interrogées déclare en effet ne pas avoir pensé venir en Suisse au moment du voyage. Nous avons ainsi rencontré des personnes affirmant que le choix de la Suisse a été induit par des passeurs au pays d’origine ou des conseils d’autres personnes au cours du voyage. De nombreuses personnes déclarent en outre qu’elles avaient initialement l’intention de se rendre dans d’autres pays pour demander l’asile, notamment en Allemagne, en Angleterre, mais qu’elles se sont retrouvées bloquées en Suisse car elles ont été, par exemple, laissées par des passeurs à l’aéroport de Genève, ou bloquées à la douane (pour une personne qui transitait en voiture vers l’Allemagne) et contraintes par les douaniers à demander l’asile en Suisse. La plupart des personnes interrogées sont passées par d’autres pays avant d’arriver en Suisse, soit par avion (avec un visa pour un pays d’Europe), soit par bateau jusqu’aux côtes de la Méditerranée, et ensuite en voiture. Parmi les pays de transit figurent en particulier l’Italie, le Maroc, la Hollande et la France. Les personnes qui déclarent être parties de leur pays pour des raisons d’interaction entre facteurs politiques et économiques n’avaient pas l’intention de demander l’asile en Suisse, mais c’est une décision qui leur a été conseillée une fois sur place, comme dans ce cas :
Non, je ne pensais pas demander l’asile en Suisse, je ne m’attendais pas à cela. Quand je suis arrivé ici, on m’a présenté la chose comme cela, j’étais obligé de demander l’asile car il n’y avait pas d’alternative. Je voulais juste travailler en Europe une année pour avoir de l’argent et faire quelque chose chez moi. A l’asile, c’est dur, c’est la procédure, et quand on n’a pas les critères de l’asile, c’est difficile, nous ne rentrons pas dans les critères fixés, on n’est pas en guerre, mais on a d’autres problèmes, on n’a pas de ressources, on a envie de chercher notre vie ailleurs, ça, ils le savent, mais ils ne l’acceptent pas (GE_NEM02_JMA).
17Ces témoignages relatifs au parcours migratoire avant la décision de NEM montrent que ce qui amène les personnes en Suisse peut être à la fois sa renommée humanitaire et ses possibilités d’emploi (Efionayi-Mäder et al., 2005). Le motif lié à l’asile n’exclut nullement la perspective de trouver un travail. Il est difficile dans ce type de situations de déterminer la mesure dans laquelle les personnes connaissent des obstacles au retour en termes de risques pour leur vie. Dès lors, si les personnes ne partent pas alors qu’elles ne risquent pas leur vie ou n’ont pas de problèmes de persécution tangibles dans leur pays d’origine, c’est que d’autres obstacles au retour, qu’il faut tenter d’identifier, se présentent.
Perdre la face
18Nous allons aborder la question des difficultés non prévues auxquelles se heurte une partie des migrant-e-s et qui sont susceptibles de les bloquer en Suisse. Au nombre de ces raisons, nous avons identifié la crainte pour certaines personnes, en cas de retour au pays, d’une atteinte à leur intégrité morale, ainsi qu’à leur estime sociale et personnelle. Il y a en effet une problématique qui contribue à faire du retour une option impensable : celle du risque de « perdre la face » dans le pays d’origine. Un-e des spécialistes rencontré-e-s mentionne le cas d’une personne frappée de NEM, très amaigrie par sa vie en Suisse, qui avait accepté de rentrer dans son pays dans le cadre d’un programme d’aide au retour. Quand on lui a annoncé que le départ aurait lieu quinze jours plus tard, la personne a renoncé, invoquant le fait qu’il lui était parfaitement impossible de rentrer chez elle dans son état (elle avait perdu 20 kg), et le projet a dû être abandonné.
19Certaines personnes ne risquant pas leur vie en cas de retour dans leur pays d’origine déclarent ne pas pouvoir retourner dans leur pays en cas d’échec. Souvent, la famille et la personne ont dû faire des sacrifices importants pour payer le voyage. Le fait de retourner dans le pays d’origine sans avoir pu économiser suffisamment d’argent pour un projet (l’aide au retour n’étant souvent pas considérée comme suffisante), sans compter la difficulté d’envisager un projet dans les conditions vécues, est un obstacle important.
20Parmi les obstacles au retour d’ordre psychologique, le désir de ne pas perdre la face auprès de sa famille, lorsque celle-ci a investi de l’argent, de l’énergie et de l’espoir dans le projet migratoire de la personne, transparaît de ce témoignage d’une personne NEM qui est sortie de l’aide d’urgence :
Toute la famille s’est cotisée pour me permettre de partir, les attentes sont grandes, les espoirs sont sur moi. Le retour, c’est difficile car c’est un échec, et si on avait la possibilité de gagner sa propre vie et on n’avait pas réussi, O.K. Mais là, on est face à un mur, on n’arrive pas à comprendre pourquoi on ne nous veut pas, on se pose des questions, on n’arrive pas à se convaincre de rentrer. On préfère souffrir dans l’ombre que vivre l’échec devant la famille. La famille, peut-être, après un moment, accepterait le retour, mais c’est difficile pour toi, pour le regard des autres. Pour nous, les Africains, c’est difficile de rentrer (GE_NEM02_JMA).
21Le retour définitif dans le pays d’origine, sans avoir « réussi » ou sans avoir un permis de séjour qui permet une liberté de circulation, est une sorte de « mort sociale ». Celle-ci revêt une importance considérable aux yeux des personnes concernées et de leurs familles, en particulier vis-àvis de leur communauté d’origine. Si l’on prend le cas emblématique des migrations qui proviennent d’Afrique de l’Ouest, les migrant-e-s, comme l’illustre le témoignage ci-dessus, sont investi-e-s d’attentes et d’espoirs de la part de la famille et de la communauté d’origine qui, dans nombre de cas, ont consenti des efforts collectifs considérables pour permettre leur départ et qui attendent leur aide en retour.
22Or, dans leur grande majorité, les migrant-e-s rencontré-e-s ne sont pas en mesure d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine. Un homme explique qu’il a pu le faire précédemment, mais ajoute qu’il a dû y renoncer par manque de ressources financières. Les autres évoquent le fait qu’ils/elles n’ont nullement les moyens d’apporter un soutien financier à leur famille, étant donné que le peu d’argent éventuellement gagné au travers d’un travail au noir leur sert à vivre en Suisse. Il se dégage à ce propos des témoignages recueillis que les contacts sont souvent devenus moins fréquents depuis que les personnes ont été frappées de non-entrée en matière, en particulier du fait qu’elles ne peuvent plus apporter le soutien financier qu’elles pouvaient offrir auparavant, lorsqu’elles jouissaient d’un permis de travail ou recevaient les prestations d’aide sociale.
23Deux exceptions notables concernent un père qui envoie de l’argent tous les mois à ses enfants restés au pays et une femme qui a un emploi de collaboratrice domestique, et qui parvient à envoyer à sa mère seule environ CHF 200.- tous les deux mois. Cette aide financière, même minime, peut représenter dans nombre de cas une ressource importante qui assure la survie de la famille ou une amélioration de ses conditions de vie, et même si les personnes concernées ne sont pas (ou plus) en mesure de l’aider, subsiste toujours l’espoir d’une amélioration ou d’un changement de la situation (cf. aussi Efionayi-Mäder et al., 2005).
24Dès lors, le retour dans le pays d’origine ne constitue pas seulement un échec pour le/la migrante concerné-e, mais aussi pour toute sa famille. Il implique d’une part un fort sentiment d’échec, de honte et la sensation de « perdre la face », mais aussi le fait de voir brisé l’espoir de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la famille, de pouvoir contribuer de manière concrète au développement local de son lieu d’origine, comme le font d’autres migrant-e-s parti-e-s en Europe et qui ont « réussi », faisant ainsi figure de modèles (Maggi, Sarr et Amadei, 2008). Comme le soulignent certaines des personnes concernées, les liens entre migration et développement devraient être davantage pris en considération dans les politiques actuelles en la matière, particulièrement en termes d’obstacle à un retour définitif dans le pays d’origine.
25Toutefois, il arrive aussi que la pression à la réussite soit si forte que le risque encouru en cas de retour les mains vides soit celui de n’être tout simplement pas cru ou de passer pour déloyal. Le fait d’être placé-e-s par leur société dans un statut qu’ils/elles n’ont pas atteint peut ainsi amener certain-e-s migrant-e-s à appréhender un retour, voire même un simple voyage de visite, après tout séjour à l’étranger. Le récit de l’auteur Gaston-Paul Effa (2008), relatant le désarroi et les difficultés d’un immigré camerounais en France face aux demandes incessantes et impératives de sa communauté d’origine, révèle le degré de ces pressions et le tabou qui les entoure. La prise en compte de la vigueur de ces loyautés, ainsi que de la force des représentations sociales entretenues dans les communautés autour de la richesse et de la facilité de gains dans les pays occidentaux, est incontournable pour une estimation des effets escomptés d’une politique vis-à-vis des migrant-e-s.
26Cette importante responsabilité et le devoir de solidarité familial dont sont investis les migrant-e-s « économiques » sont largement sous-estimés (Konaté, 2010). Leur prise en compte requiert un élargissement du cadre de référence strictement utilitariste qui prévaut dans la réflexion sur les causes de la migration et qui sous-tend l’ensemble de la thématique autour des motivations économiques du/de la migrant-e. Les aspects symboliques liés à la migration, le statut social qu’elle confère à une famille comptant un-e migrant-e parmi ses membres, renvoient à des dimensions imaginaires induites en grande partie par les pays de destination des migrant-e-s et, plus largement, par l’attraction exercée par un « Occident » se posant comme modèle.
27Les problèmes que posent les attentes matérielles et symboliques pesant sur les migrant-e-s de la part de leur entourage ou de leur communauté doivent d’ailleurs être envisagés à deux niveaux : celui des obstacles au retour, qui bloquent les migrant-e-s dans le pays d’accueil, et celui de l’occultation, dans les communications avec la famille, de l’expérience négative de la migration. Ce second processus, dont nous allons donner quelques illustrations, est un élément clé pour estimer l’impact d’une politique dissuasive. Celle-ci ne se révèle telle que si les candidat-e-s potentiel-le-s sont clairement au fait des impasses que connaissent les migrant-e-s sous le régime de la dissuasion. Or, une tendance humaine très générale consiste à minimiser les inconvénients surgissant au terme d’une épreuve particulièrement coûteuse. Ce mécanisme psychosocial par lequel les individus réduisent psychologiquement la distance entre deux éléments discordants de leur expérience peut mener à des distorsions de la réalité, à des occultations de ses aspects les plus dérangeants, et, dans le cas d’une expérience de l’exil négative, au déni des aspects délétères de celle-ci.
Mécanismes de déni
28Le phénomène de déni ou d’atténuation des conséquences néfastes de la migration peut ainsi avoir son origine dans un mécanisme psychosocial qui tend à réduire mentalement les effets négatifs d’une décision prise « librement ». Lorsque la décision de migrer a été investie de significations positives et que l’expérience dans la migration s’avère décevante ou négative, il y a discordance. Selon Festinger ([1957], 2001) et, à sa suite, de nombreux psychologues sociaux, il y a dissonance cognitive entre deux cognitions (éléments représentés ou vécus) : ici, la décision de migrer (positive) et la vie dans la migration (négative). Cette situation psychologiquement inconfortable peut être résolue mentalement en changeant la signification de la cognition négative, en atténuant ou en niant ces aspects négatifs. Ce mécanisme est d’autant plus probable qu’une révision de la décision première (migrer) signifierait un retour au pays qui n’est pas envisageable. Le cercle vicieux est ici que la situation dissuasive empêche de regarder en face les effets de celle-ci. On préfère se convaincre que la situation n’est pas si désastreuse et préserver ainsi l’idée que l’entreprise coûteuse de migrer valait bien la peine. Le mécanisme de réduction de la dissonance cognitive peut ainsi amener la personne à revaloriser un objet convoité se révélant décevant ou à persister dans un comportement coûteux pour le justifier après-coup. Face à la dissonance entre le coût élevé de l’entreprise migratoire et la situation d’indignité dans le pays d’arrivée, le/la migrant-e chercherait par là à occulter aux yeux des siens, voire à ses propres yeux, les conditions de son existence dans la migration.
29Ainsi, au-delà des aspects matériels relevés pour établir des communications, des motifs liés à l’incompréhension de la part des familles de la situation des personnes NEM, et du souci de ces dernières de ne pas inquiéter leurs proches, le silence au sujet de leur vie en Suisse permet de préserver à leurs propres yeux et à ceux de leur famille l’idée que l’entreprise migratoire n’a pas été tentée pour rien. Dès lors, on se tait ou on préfère affirmer que tout va bien :
[Est-ce que votre famille en Algérie est au courant de votre situation ?] Non, ils ne connaissent pas ma situation. Je préfère ne pas raconter, que ça reste avec moi… (BE_NEM01_FST).
Ils ne connaissent pas ma situation… Ils savent que je suis en Europe, mais rien de plus (BE_NEM02_CAC).
30Si, parfois, les personnes frappées de NEM racontent à la famille la situation vécue en Suisse, les aspects les plus difficiles sont souvent cachés (comme les vols et les séjours en prison pour la personne concernée), et le dialogue est souvent problématique. Elles tentent, dans quelques cas, d’expliquer pourquoi elles ne peuvent plus les aider en termes financiers. Cependant, les personnes rencontrent des difficultés pour faire comprendre leur situation, car les membres de la famille peuvent difficilement imaginer les conditions vécues en Suisse :
J’ai beau leur expliquer, mais ils ne peuvent pas comprendre, on n’arrive pas à expliquer les lois d’ici, c’est déjà difficile de les comprendre pour nous qui sommes ici, alors là-bas… Je ne me sens pas bien compris par eux, mais je me mets à leur place, quand j’étais là-bas, je n’aurais pas pu comprendre non plus (GE_NEM02_JMA).
31En Suisse alémanique, dans quelques cas, les migrant-e-s rencontrée-s disent avoir informé leur famille restée au pays. L’un a clairement fait connaître la gravité de sa situation à sa sœur alors qu’il lui demandait de lui faire parvenir des documents d’identité. Mais il faut souligner que dans la majorité des cas, les migrant-e-s ne racontent visiblement pas ou peu la situation telle qu’elle se présente réellement :
Je téléphone de temps en temps à ma famille. De toute façon, je ne sais pas écrire. Les cartes téléphoniques internationales, ça coûte cher, mais il y a une cabine près de la gare. [A quelle fréquence téléphonez-vous ?] Ça dépend, des fois je téléphone, des fois pas. Si je leur dis des choses, ils vont être inquiets, donc, je ne leur dis rien. Je dis que tout va bien (ZH_NEM09).
Je ne téléphone pas trop. De toute façon, je traîne. Si j’avais un travail, ça serait bien. Elle aimerait bien entendre les choses positives, mais je n’ai rien. Je ne dis pas ce qui se passe. Si je disais, tout le monde serait soucieux (ZH_NEM09).
32Les raisons liées à l’image du/de la migrant-e qui réussit – et qu’il est très difficile de démentir aux yeux de la communauté, voire à ses propres yeux – semblent bien être à l’origine du silence dont les personnes entourent leur expérience en tant que NEM. Simultanément, nombre de demandeur-euse-s débouté-e-s tentent d’expliquer leur situation, mais ne sont pas entendus par des proches, qui se font une idée forcément idéalisée car ils n’ont jamais eu l’occasion de voyager en Europe et de se rendre compte des difficultés auxquelles leurs compatriotes font face. Les relations peuvent devenir tendues et amener, dans certains cas, à couper les liens :
J’ai même coupé les contacts avec mes frères et sœurs là-bas, car les gens pensent que lorsque tu es en Europe, tu as la vie facile, et veulent que tu leur envoies toujours de l’argent (GE_NEM05_CDS).
33Ce silence quant aux conditions de vie dans la migration ne fait qu’entretenir l’imaginaire positif et maintenir l’attrait de la migration pour les candidat-e-s suivant-e-s. Ainsi, la dissuasion ne réussira pas à contredire l’idéal ou le fantasme en vigueur dans les contextes d’origine et à agir par le biais d’exemples négatifs. Le paradoxe est ici que la dégradation des conditions de vie, plutôt que de dissuader de rester, est atténuée, voire déniée, ce qui n’est pas de nature à questionner le modèle que représente le/la migrant-e, mais au contraire à perpétuer des comportements et des attitudes qui ne font que l’alimenter. L’idée que la situation s’améliorera et que la personne réussira à atteindre le statut dans lequel la société d’origine la place est sans doute un facteur permettant de mieux supporter son sort. Cet espoir, qui est aussi une manière de réduire la dissonance cognitive, transparaît dans plusieurs récits. Il semble constituer une ressource mentale pour les personnes, laquelle n’est pas de nature à les orienter vers un retour, du moins pour un certain temps. Plusieurs témoignages, directs et indirects, suggèrent l’idée que certaines personnes semblent ne pas avoir conscience de la situation qui est la leur. Ces personnes disent, au contraire, garder l’espoir de la voir changer et s’améliorer, un peu comme par miracle :
La seule solution est si une solution tombe du ciel. Ou peut-être que la situation s’améliore tout d’un coup. Oui, j’ai quand même un peu d’espoir (ZH_NEM02_FST).
Actuellement, j’ai la ferme conviction qu’il y aura un changement. Je sais que ma situation va changer, je ne sais pas comment, mais je le sais (GE_NEM02_JMA).
34D’autres personnes gardant l’espoir de voir leur situation s’améliorer ont parfois une idée plus précise de la manière dont ce changement pourrait se produire, sans avoir pour autant de stratégie concrète à cet égard. Comme le titre d’un livre consacré au rôle de la religion dans les migrations irrégulières – Migration miracle – le laisse entendre, la possibilité qu’un miracle se produise est souvent entretenue dans les cultes et les prières collectives (Hagan, 2008) :
J’ai l’espoir que la situation puisse changer, quand on n’a plus l’espoir, ça ne vaut plus la peine de vivre, la vie est faite d’espoir, non ? J’ai l’espoir que la situation politique change, ou alors ma situation personnelle, trouver une femme, peut-être (GE_NEM04_JMA).
35Une autre stratégie de réduction de la dissonance cognitive est de revaloriser l’existence en Suisse en ajoutant des « cognitions positives ». En dépit des problèmes liés à la précarité du statut, aux conditions de vie – à l’aide d’urgence ou non –, ou aux tracasseries administratives, plusieurs personnes rencontrées à Genève et Lausanne déclarent se sentir bien en Suisse, en raison notamment de la multiculturalité de la population. Bien entendu, ces affirmations peuvent provenir d’un sentiment authentique et, d’une manière ou d’une autre, elles aident les personnes à tenir bon. Pour certain-e-s migrant-e-s exposé-e-s à des risques dans leur pays, le sentiment de sécurité éprouvé en Suisse est particulièrement appréciable. Ce sont surtout des personnes qui ont fui leur pays suite à des problèmes graves, comme c’est le cas de plusieurs des personnes rencontrées, et qui n’envisagent absolument pas un retour dans leur pays à court terme.
36Les stratégies de réduction de la dissonance cognitive, que nous avons passées en revue et que viennent étayer certains des propos de nos répondant-e-s, renvoient à une interaction de facteurs, liés d’une part au rapport des migrant-e-s à leur société d’origine – image de la migration, enjeux de maintien de la face, etc. – et à l’expérience vécue dans le pays d’accueil. D’autres stratégies, tout aussi paralysantes du point de vue d’un éventuel retour, tiendraient de manière plus étroite aux conditions d’existence et au traitement des personnes frappées de non-entrée en matière, tout particulièrement lorsqu’elles font appel à l’aide d’urgence. C’est vers ces facteurs, inhérents au système dissuasif et qui, comme nous allons le voir, entraînent des effets contraires à ceux qui étaient recherchés, que nous nous tournons à présent.
2. Obstacles inhérents à la politique dissuasive
37Certains migrants affirment leur volonté d’indépendance pour ce qui est des décisions à prendre quant à leur situation dans la migration, comme cela ressort de ce témoignange :
Ma famille vit au Cameroun, ils connaissent ma situation, je leur explique, ils m’écoutent, mais ils n’ont rien à me dire, c’est moi qui décide, c’est moi qui est sur le terrain, c’est moi la personne qui est mieux positionnée pour décider si je rentre ou pas, en fonction des informations que j’ai sur mon pays et de la situation que je vis ici (LA_NEM04).
38Si nous rapportons ces propos, c’est pour introduire le lecteur et la lectrice à une des problématiques intrinsèques à la politique dissuasive, celle de la mise en péril de l’autonomie de la personne frappée de NEM et de son sentiment de liberté.
Réactance psychologique et impuissance acquise
39Tout comme le migrant cité ci-dessus, qui refuse les conseils de sa famille au sujet du retour, les personnes disent souvent que ce sont elles qui doivent décider de partir, et non pas être obligées de le faire. Elles en viennent même parfois à rester en Suisse, malgré leur idée initiale de passer seulement une courte période en Europe pour économiser suffisamment d’argent et repartir ensuite. Cette volonté d’exercer son libre choix relève d’un second mécanisme psychosocial, qui semble trouver un terrain chez les migrant-e-s concerné-e-s. Il est connu des psychologues sociaux sous le nom de réactance psychologique (Brehm, 1966 ; Brehm et Brehm, 1981). Il s’agit d’un état de tension éprouvé lorsque la liberté individuelle est menacée et qui motive le sujet à recouvrer cette liberté. En vertu de ce mécanisme, les pressions au départ, plutôt que de dissuader, contribuent de manière paradoxale à ce que les personnes concernées ne quittent pas la Suisse, ce que traduisent encore les propos de ce migrant :
Plus les gens ont le dos au mur, et plus ça pousse les gens au sacrifice suprême, rester là quoi qu’il arrive. Avec un système plus libéral, il y aurait plus de retours volontaires (LA_NEM04).
40La perte d’autonomie des personnes à l’aide d’urgence aurait aussi des effets paradoxaux sur l’incitation au retour. Nous avons examiné au chapitre 3 la dépendance qui s’instaure par rapport à l’autorité administrative, en raison du dispositif même de délivrance de l’aide et des tentatives de convaincre les personnes d’organiser leur départ par des pressions, voire des humiliations ou des menaces –, surtout dans les premières phases du régime d’aide d’urgence. Dans des situations de ce type, les effets paradoxaux de la réactance sont particulièrement à l’œuvre. Dès lors, le recouvrement de sa propre liberté ne peut s’exercer que dans le « refus réitéré » de la principale injonction dont il est question dans ce rapport asymétrique entre l’individu et l’autorité : celle de quitter la Suisse.
41Si le mécanisme de réactance a comme effet une tentative de restaurer une liberté de choix – dans ce cas, la volonté de rester malgré, ou plutôt à cause des pressions et des limitations de l’autonomie personnelle –, un autre mécanisme produit lui aussi des effets paradoxaux au regard de la dissuasion, mais dans un sens inverse à celui de la réactance. En effet, ce mécanisme, que désigne l’expression d’impuissance acquise (Hiroto et Seligman, 1975 ; Kuhl, 1981 ; Peterson, Maier et Seligman, 1995 ; Seligman, 1975), met en jeu non pas tant la volonté de retour que la capacité à l’organiser, voire même à l’envisager. Il serait à rattacher aux diverses conséquences sur la santé (au sens large) induites par des conditions de vie hautement problématiques. Celles-ci font que les personnes restent en Suisse dans une situation dans laquelle elles sont devenues – ou rendues – incapables de se projeter dans le futur et d’envisager un nouveau départ. Mais comment comprendre qu’une même situation engendre des conséquences aussi contradictoires que celles que décrivent les phénomènes de réactance et d’impuissance acquise ? Nous commencerons par étayer par quelques citations l’intervention de ce second mécanisme et tracerons ensuite des pistes permettant de mieux comprendre l’existence d’effets aussi contrastés dans l’expérience des migrant-e-s.
42Une certaine convergence se dégage à ce niveau entre les divers cantons examinés, ainsi que des témoignages de responsables et de migrant-e-s sur le fait que le séjour prolongé dans des situations de grande précarité réduit à néant la capacité à formuler un projet, voire à maintenir le contrôle sur sa propre destinée, selon le processus psychosocial identifié sous le concept d’impuissance acquise. Ainsi, dépossédés de leur volonté ou de leur capacité à décider, les personnes restent bloquées en Suisse en raison même d’une politique destinée à les faire partir, mais dont les effets les rendent paradoxalement incapables de se projeter dans le futur. L’effet d’impuissance lié à la perte d’estime de soi se reflète dans les propos de cette personne, consciente également des incidences de cet état mental sur la formation d’un projet de retour :
On s’automéprise car on nous méprise. C’est ça, le système qui est mis en place pour que les gens s’autodétruisent, la politique mise en place c’est ça, que les gens s’autodétruisent. Ce n’est pas un fait nouveau de la Suisse. En plus, c’est contre-productif, comme ça on n’arrive plus à rentrer (GE_NEM02_JMA).
43Par ailleurs, le fait de dépendre de démarches faites par les autorités en vue d’établir un laissez-passer (pour les personnes qui sont à l’aide d’urgence), ou de solutions au jour le jour, leur fait perdre en quelque sorte le contrôle sur leur destinée et la capacité à élaborer des projets de vie. Les personnes passent souvent leur temps à penser à ce qu’elles vont faire, mais sans pouvoir y apporter de réponses tangibles, notamment du fait qu’elles n’ont dans certains cas pas d’activité. Le système d’aide d’urgence, selon un témoignage, induirait les personnes à perdre leurs ressources personnelles, à être dépossédées de la volonté nécessaire leur permettant de prendre des décisions quant à leur avenir :
Bon, le principe est que les gens partent, mais la réalité de terrain fait que les gens sont dépossédés de leur volonté, de leur capacité à décider. Les gens sont amorphes, il y en a qui disent à d’autres : « Il faut bouger, toi, un homme n’est pas comme ça. » Il y en a qui restent à rien faire, ils sont cloués (LA_NEM03).
44L’expression d’impuissance acquise semble bien refléter ce que vivent certaines personnes, qui sentent qu’elles sont « rendues » impuissantes par la situation :
Nous avons tous une conscience, un homme a besoin de vivre, mais on t’oblige à dormir du matin au soir. C’est très mauvais et ça me fait mal quand je pense à ça, c’est une manière de détruire quelqu’un, à petit feu (GE_NEM02_JMA).
45Un sentiment d’absence totale de perspective d’avenir chez la majorité de ces personnes ressort notamment lorsqu’on leur pose la question de leur éventuelle mobilisation en vue de la formulation de revendications qui, pour les migrant-e-s rencontré-e-s en Suisse alémanique, ne semble pas représenter une option envisageable pour améliorer leur situation :
J’ai le sentiment qu’on ne peut pas vraiment faire quelque chose, je ne peux pas influencer ma situation. […] Je discute la situation avec les autres [personnes qui visitent l’Eglise catholique tous les jeudis]. Mais on ne peut rien faire. C’est vous qui pouvez faire quelque chose ! (BE_NEM03_FST)
46Le manque de marge de manœuvre pour influencer leur situation semble particulièrement lourd à gérer et plusieurs personnes font état de pessimisme, si ce n’est de désespoir :
On ne sait qu’une chose, c’est que le futur ne sera pas mieux que maintenant. On se pose toujours des questions sur le futur, sur notre situation. Dans la tête… mais il n’y a pas de réponses. […] Je n’ai pas d’avenir en Suisse, mais pas en Algérie non plus. C’est ça qui me fait tourner la tête. Ça me rend malade. C’est une vie dure, mais je n’ai pas de futur. Nulle part. Je ne vois pas de solution à ma situation. Je ne sais pas quoi faire (BE_NEM01_FST).
Je réfléchis beaucoup à mon avenir. C’est une question difficile. Des fois, à cause de ces pensées, j’ai aussi une dépression. Parce que, quand je pense à mon avenir, je ne peux résoudre par moi-même comment je vais faire mon avenir. Et cela me déprime. Je pense aussi beaucoup au passé. Au présent et à l’avenir en même temps, c’est une sacrée pression pour moi. Peut-être, c’est ce qui me donne cette douleur dans la tête. Mais au final, je ne sais pas, c’est difficile de trouver une solution pour le futur. C’est vraiment difficile parce que beaucoup de choses ne dépendent pas de moi. Bien sûr, j’essaye, mais… par exemple, la musique et l’étude de la musique, c’est quelque chose que je peux faire et qui dépend de moi. C’est très triste pour moi. Et c’est très dur de vivre avec ça. Parfois, pour ça… en général je ne bois pas d’alcool et ne fume pas, mais des fois je bois un peu et fume de la marijuana, pour me relaxer, pour mon esprit (BE_NEM02_CAC).
Je ne peux pas aller dans mon pays et je ne peux pas non plus partir. Par exemple, si je vais dans un autre pays en Europe, ils m’attrapent aussi et me mettent en prison. La même histoire (BE_NEM02_CAC).
47Dans le même sens, d’autres personnes font état de confusion, ne voyant pas clairement leur avenir, comme cela transparaît du témoignage suivant :
Maintenant, je me dis que je n’ai plus d’avenir. Je faisais des études au pays, et maintenant je ne fais rien. Je suis là à rester avec les bras croisés. Mais qu’est-ce que je vais devenir, c’est la question que je me pose chaque fois. C’est mon seul souci. Mon avenir est sombre, je ne vois rien. C’est ça, mon problème. Je ne suis jamais resté comme ça sans rien faire. […] L’ami de mon oncle m’avait dit que le gouvernement allait me protéger, et m’aider le temps que mon problème se règle. Et puis, lorsque je viens ici, on me dit que je dois rentrer chez moi ! Je n’avais pas du tout pensé à ça (GE_NEM01_CDS).
48L’ensemble de ces témoignages exprime un manque de motivation et un découragement qui contrastent avec la mobilisation des ressources nécessaires à la mise en mouvement de la réactance. Une clé pour comprendre la présence de ces deux réactions antinomiques peut être fournie par des lignes de recherche qui ont étudié de près les effets du « contrôle » et de la « privation de contrôle » dans le comportement humain. Par « contrôle », il faut entendre la capacité de l’individu à avoir une influence sur son environnement pour produire des événements désirés ou éviter les événements indésirables. Par opposition, un individu est « privé de contrôle » lorsqu’il se trouve dans l’incapacité effective ou pense qu’il est incapable de maîtriser l’environnement (Ric, 2001). Il apprend qu’il existe une relation d’indépendance entre son comportement et les événements qui surviennent, et continue à penser de la sorte lorsqu’il est placé dans une nouvelle situation. La perception de privation de contrôle, comme le pose le modèle impuissance-désespoir (Abramson, Seligman et Teasdale, 1978 ; Alloy, Kelly, Mineka et Clements, 1990), constitue un élément central du développement de la dépression.
49La théorie de la réactance psychologique semble s’opposer à celle de l’impuissance acquise puisqu’elle avance que l’individu privé de contrôle s’emploie à restaurer celui-ci. Or, une intégration des prédictions dérivées des deux théories permet de rattacher celles-ci à deux moments distincts de la réaction provoquée par la privation de contrôle : dans le court terme, celleci accroîtrait chez l’individu son besoin de contrôle, tandis qu’une exposition de plus longue durée produirait une démotivation en vue du contrôle (Wortman et Brehm, 1975). L’état de réactance ou l’état d’impuissance pourraient ainsi correspondre à des phases successives de la situation de privation de contrôle expérimentée par les migrant-e-s, une hypothèse plausible dans la problématique qui nous concerne, mais qu’il ne nous est pas possible de vérifier systématiquement avec les données dont nous disposons. Si elle s’avérait juste, cette interprétation des effets de la privation de contrôle devrait être intégrée dans la discussion sur les effets délétères de la longue durée à l’aide d’urgence.
50Compte tenu de la difficulté évoquée à pouvoir se projeter dans l’avenir de manière proactive, aucune des personnes rencontrées n’est concrètement en train d’organiser son retour vers son pays d’origine au moment des entretiens ni ne déclare être en train de faire des démarches spécifiques en ce sens, si ce n’est de récolter des informations auprès du réseau international ou de leurs contacts en Suisse pour se renseigner sur les possibilités de trouver un travail dans un autre pays. Les départs « volontaires » de la Suisse n’ont donc pas pour destination principale le pays d’origine et ne signifient nullement, sauf exception, un abandon de la destinée de migrant-e. De surcroît, nombre de déplacements vers d’autres pays se soldent, en définitive, par un retour en Suisse, comme nous allons le voir dans la section suivante.
3. Départ de Suisse et retour… en Suisse
51Les témoignages des spécialistes que nous avons rencontré-e-s font clairement état de l’échec de l’incitation au départ et de fréquents retours en Suisse :
Le fait est qu’ils ne partent pas de leur plein gré et qu’il n’est pas possible de les renvoyer. Ils restent. […] Il se peut que certains passent illégalement en Italie ou en France. Ils ont des contacts avec les résidents qui sont là depuis deux-trois ans et qui savent comment ça marche. Ceux qui ont disparu reviennent aussi pour rendre visite aux autres résidents. On parle des uns et des autres : il n’y a pas de réel départ. L’aide au retour prétend qu’il y a des départs organisés de NEM, mais cette année, nous n’en avons eu qu’un seul. Les autres restent en Suisse, pour moi c’est clair (ZH_SPEC05).
52En outre, deux des personnes frappées de NEM interviewées nous ont dit être déjà retournées dans leur pays avant de revenir tenter leur chance en Suisse une seconde fois :
Je suis venu pour la première fois en Suisse en 2002. J’ai demandé l’asile aussi, mais pas obtenu un statut et je ne voyais pas pourquoi rester, alors j’ai quitté la Suisse et je suis reparti dans mon pays. En 2004, je suis revenu et j’ai demandé l’asile de nouveau. J’avais eu de gros problèmes politiques dans mon pays (BE_NEM03_FST).
Quand je suis arrivé, j’ai demandé l’asile. Je suis arrivé en 2002, je crois, je ne suis pas sûr. J’ai reçu une réponse négative. Depuis lors, je suis allé une fois dans mon pays. Mais j’ai de nouveau eu des problèmes. J’ai dû partir de Géorgie. Je suis revenu par moi-même. Je ne peux pas vivre là-bas. C’était en 2003 je crois. Cette deuxième fois, j’ai aussi été à l’asile, mais c’était de nouveau négatif (BE_NEM02_CAC).
53Cette dernière citation émane d’une personne dont nous avons appris par la suite qu’elle était à nouveau retournée dans son pays, quelque six mois après notre entretien, visiblement très affaiblie et amaigrie et ne supportant plus les conditions de vie en Suisse. Une connaissance l’a aidée à quitter la Suisse pour se rendre en France, puis en Hollande d’où elle a ensuite pu rejoindre son pays. Les dernières nouvelles qui nous ont été communiquées à son propos laissent entendre son intention de revenir pourtant en Suisse, jugeant apparemment que la vie ici vaut toujours mieux que dans son pays.
54Ce cas illustre bien que c’est sous l’effet de la lassitude et de l’usure que certaines personnes semblent finalement se décider à repartir dans leur pays, mais les effets dissuasifs des mesures prises dans cette optique semblent pourtant être d’une durée limitée puisqu’ils ne les découragent pas de revenir ultérieurement.
55Bien qu’un certain nombre des personnes rencontrées ait envisagé – et tenté – à un moment ou à un autre un départ vers d’autres pays européens, aucune personne interrogée n’est en train d’agir concrètement en ce sens. Soit les informations récoltées font état d’une situation encore plus difficile qu’en Suisse, soit l’on ne se décide pas à partir malgré les possibilités perçues ou communiquées par le réseau international de connaissances d’un travail au noir, soit l’on dépend de l’aide de tierces personnes pour organiser et financer le voyage. Le départ vers un autre pays européen demande en effet des ressources financières qui font généralement défaut. Et les rares personnes qui ont de l’argent provenant d’une occupation illégale ne sont pas prêtes à renoncer à une telle source de revenus pour partir ailleurs. Il s’agit là d’un effet hautement paradoxal du système.
56Dans le cas de la personne d’origine algérienne qui vient de sortir de prison (au moment de l’entretien), son propos étant celui de trouver un travail, elle envisage la possibilité de se rendre dans d’autres pays européens comme la France, l’Italie ou l’Espagne, là où ses connaissances lui ont dit qu’on peut trouver un emploi au noir, mais n’a pas encore pris une décision claire à ce propos. Une autre personne qui est sortie de l’aide d’urgence mentionne aussi l’éventuelle possibilité de retourner en Italie, là où elle avait déjà vécu avant d’arriver en Suisse, mais pour l’instant elle est décidée à rester en Suisse, où elle espère trouver une solution. Un autre migrant envisageait la possibilité de se rendre au Canada, là où il a des connaissances, mais il a actuellement une compagne en Suisse qui est enceinte et qu’il ne peut pas épouser car elle est encore liée par un ancien mariage. Il envisage dès lors de rester en Suisse et de se battre pour que sa paternité soit reconnue.
57Au niveau du réseau international, plusieurs personnes sont en contact avec des ami-e-s, des compatriotes ou des membres de la famille qui sont dans d’autres pays que celui d’origine. Dans ce cas, ceux-ci communiquent des informations sur les conditions de vie et les situations législatives d’autres pays – considérées parfois comme moins dures en matière d’asile –, ce qui peut aussi augmenter le sentiment de frustration et d’injustice :
Au niveau des droits de l’homme, c’est plus dur que ce que j’avais pensé, comparé à ce que j’entends des autres pays d’Europe, au niveau des procédures, ici c’est plus strict, ferme ; le plus dur, il y a le moins d’opportunités possibles. Dans le thème de l’établissement social, dans d’autres pays, au bout d’un certain nombre d’années, on arrive à accepter les gens, en disant : « Vous êtes quand même restés là. » On leur donne même des opportunités de s’épanouir, de s’intégrer. Alors qu’ici, à la base on vous bloque avec leurs arguments, on a beau collaborer, sortir la tête de l’eau, mais cela ne les émeut pas, c’est strict, il n’y a pas de manière de contourner, pas de mode d’emploi (LA_NEM04).
58Dans d’autres cas, la comparaison avec d’autres pays, comme l’Italie dans le témoignage suivant, fait apparaître les conditions en Suisse comme moins inhumaines mais avec des possibilités de trouver du travail et de s’intégrer moins favorables :
Il y a des gens de ma famille élargie qui vivent en Italie, il y a une grande communauté là-bas, ils sont au Sud, où il y a des cultures. C’est des conditions inhumaines. Malgré la situation difficile ici, ce n’est pas la même réalité. Mais en Italie, si tu arrives à avoir des connaissances, à t’intégrer, tu peux gagner ta vie, malgré les conditions difficiles (GE_NEM02_JMA).
59Il arrive aussi que les informations circulant sur les difficiles conditions de vie et de travail dans des pays où peut exister la possibilité d’un travail au noir n’amènent pas les personnes frappées de NEM à envisager un déplacement vers ces pays, du fait qu’elles gardent l’espoir que la situation se débloque en Suisse :
Ici, tu te dis qu’il peut toujours y avoir un espoir, croiser une dame un jour et pouvoir te marier, ou avoir un travail au noir. Les gens en Italie qui ont réussi à avoir un permis de séjour s’en sortent bien, mais ceux qui n’arrivent pas, c’est encore plus difficile qu’ici, tu te fais exploiter beaucoup, les conditions, c’est encore plus dur qu’ici (GE_NEM02_JMA).
60Les informations récoltées auprès du réseau international peuvent parfois représenter des ressources en vue d’un éventuel départ vers d’autres pays. La question des opportunités en matière d’emploi ailleurs qu’en Suisse est évoquée de manière réitérée, comme cela ressort des propos de cette personne NEM qui a séjourné à deux reprises en prison :
J’ai l’espoir que je vais faire des choses bien, peut-être dans un autre pays. Des fois, je me dis que je vais partir, en France ou en Italie, il y a du travail, en Espagne aussi, j’ai des amis qui me disent qu’il y a du travail (GE_NEM03_JMA).
61Le départ pour une autre destination, européenne le plus souvent, est une option envisagée par quelques-un-e-s et il semble que les restrictions en matière d’aide d’urgence et la manière dont celle-ci est octroyée ont effectivement des effets dissuasifs et poussent une partie des personnes à trouver des solutions alternatives :
En fait, j’ai déjà parlé avec une personne proche de moi de la possibilité de quitter la Suisse. J’en ai déjà discuté avec lui. […] J’ai échoué. Mais le bilan pour moi est : je quitte ce centre ! La première possibilité serait de rester en Suisse, mais d’aller dans une autre ville. La deuxième possibilité serait d’aller dans un autre pays. Mes forces sont presque finies. Mon corps est vide, je n’en peux plus. Je dois changer quelque chose (BE_NEM01_FST).
62Pour certains, l’option de partir tenter sa chance dans un autre pays n’est qu’une idée vague qu’ils ne cherchent pas (encore) à mettre concrètement en œuvre :
C’est de toute façon le gouvernement qui veut que tu t’en ailles, mais sans argent, comment peux-tu trouver une solution. […] Le mieux serait de quitter la Suisse, mais je ne sais pas où aller. Le mieux serait l’Amérique du Sud, le Canada, les Etats-Unis ; des grands pays. Ici, on ne peut pas réussir, où que tu ailles, on te renvoie quelque part (ZH_NEM09).
63D’autres, en revanche, développent de manière beaucoup plus active des stratégies en vue de leur départ vers un autre pays européen. Ils sont alors confrontés aux nombreux obstacles qui jalonnent la mise sur pied de leur projet, comme celui d’accéder à des informations et des contacts fiables, de faire face aux coûts du voyage, de se procurer des papiers d’identité ou encore de passer entre les mailles des contrôles policiers :
J’ai discuté avec ce gars qui pouvait organiser mon départ vers un autre pays. Je pourrais aller n’importe où. Mais il me demande 800 francs. Je ne sais pas exactement ce qu’il va organiser, comment je vais voyager, ni quel genre de papiers. Je sais seulement qu’il va m’amener ailleurs. J’ai encore envie d’aller ailleurs, mais d’abord il faut que je trouve cet argent. Si seulement je trouvais un job, ce serait un peu mieux. J’irais n’importe où, hors de Suisse (ZH_NEM01c_FST).
En mars, j’ai acheté une carte d’identité, en français, même si je ne parle pas bien le français. Grâce à cette carte, je voulais aller en Angleterre. Je ne me suis pas annoncé [dans le canton de Vaud], puisque je devais en principe rester dans le canton [de Zurich]. Je suis resté à Lausanne jusqu’au 18 avril. On m’a alors contrôlé, puis on m’a reconduit ici (ZH_NEM08).
64La stratégie et les choix relatifs au départ de la Suisse sont visiblement souvent remis à des personnes tierces dont les migrant-e-s frappé-e-s de NEM dépendent :
Oui, on avait fait tout le plan. Des rendez-vous. On savait le jour, qui allait nous emmener, etc. On allait partir à trois, on avait contact avec une dame. Il allait nous emmener jusqu’à Hambourg, après on allait prendre le bateau jusqu’en Suède. Mais le frère de la dame même a dit non. Il avait téléphoné et disait que la Suède, c’est comme la Suisse. Un homme de l’Eglise nous a dit que si on allait là-bas, on aurait des problèmes, on nous emmènerait de retour en Suisse. Il nous a dit qu’il fallait rester ici et qu’il allait essayer d’avoir le F pour nous et notre bébé. [Comment avez-vous connu la dame qui allait organiser le voyage ?] C’est une Suissesse. On l’a connue par des contacts, elle est venue chez moi, elle m’a écouté. C’est elle qui a téléphoné pour demander l’aide d’une Eglise là-bas et tout. Nous, on ne sait pas. Mais ça n’a pas marché (ZH_NEM04b).
65Il ressort des entretiens avec les migrant-e-s que les personnes qui les aident à quitter la Suisse peuvent être animées par des sentiments altruistes et se montrer pleines de bonne volonté ou être, en revanche, plutôt attirées par la question du profit à se faire. Mais se pose de toute façon la question de la validité des informations et des conseils que les migrant-e-s reçoivent des intermédiaires et qui, dans certains cas, peuvent se révéler être « mauvais » en raison d’une méconnaissance plus ou moins importante du système de l’asile en Suisse et en Europe.
66Au-delà de ces tentatives, quelques personnes ont dit avoir effectivement quitté le territoire helvétique pour une destination européenne, mais avoir été renvoyées en Suisse à la suite d’un contrôle :
Vous savez, je suis même déjà parti une fois de la Suisse, mais ils m’ont fait revenir. […] J’en avais marre de la situation. Je suis parti en Allemagne, mais j’ai été arrêté à Hambourg. Je ne veux plus de ça, j’en ai marre de rester sans travail tout le temps. Et si on est contrôlé, on n’a pas toujours des problèmes, mais avec une NEM, si ; avec une NEM, on a toujours des problèmes. J’en avais marre (BE_NEM01_FST).
Fin 2004, j’ai décidé de quitter la Suisse. Je suis d’abord allé à Kreuzlingen pour ensuite aller en Allemagne. La police douanière m’a arrêté et renvoyé (ZH_NEM08).
67Selon les informations récoltées auprès des expert-e-s de terrain qui sont en contact avec les personnes frappées de NEM, mais aussi selon les personnes concernées elles-mêmes, qui sont au courant de la situation d’autres personnes NEM, quelques-unes d’entre elles sont effectivement parties pour d’autres pays européens, mais d’autres reviennent au bout d’un certain temps et restent en Suisse dans les réseaux de connaissances privées. Dans certains cas, elles réintègrent l’aide d’urgence.
68Un expert fait aussi observer qu’un certain nombre de personnes NEM qui partent pour d’autres pays européens sont très mobiles, qu’elles voyagent parfois partout en Europe et reviennent en Suisse pour repartir à nouveau, dans une dynamique transnationale. Certes, ces dynamiques de mobilité, d’aller et retour en Europe, ne sont possibles que pour les personnes célibataires qui n’ont pas d’attaches particulières, qui disposent de réseaux familiaux et de connaissances partout en Europe, et qui se rendraient dans d’autres pays en fonction des opportunités. Mais même parmi les personnes sans attaches particulières, il n’est pas facile de partir :
[…] pour chacun de ces Africains ou autres, quitter chez eux, ce n’est pas du tout facile. On a des amis, quitter et partir, ce n’est pas facile. Il faudrait être un nomade, mais celui qui n’a pas cette culture du nomadisme, ce n’est pas facile. Ce n’est pas parce qu’il y a mieux ailleurs qu’on part (LA_NEM03).
69Il y a des cas d’attaches particulièrement importantes, comme celui d’une famille frappée de NEM qui vit dans le canton de Vaud et qui est sortie de l’aide d’urgence. En raison de l’intégration des enfants à l’école et de la difficulté pour une famille de partir ailleurs, un départ pour d’autres pays est difficilement envisageable. Bien que les parents aient reçu de connaissances le conseil de partir vers d’autres pays européens, ils n’envisagent pas cette possibilité :
C’est trop tard maintenant, nos filles sont bien ici. Elles ne veulent pas partir ailleurs. On ne peut pas bouger facilement avec une famille. Quelqu’un nous a conseillé d’aller en France ou en Allemagne ou en Belgique, mais ce n’est pas possible. Rien que de changer d’endroit pour s’établir ailleurs en Suisse, nos filles pleuraient : « On ne veut pas changer d’école, nos amis… » (LA_NEM02).
70Il ressort des témoignages récoltés et des informations reçues sur des personnes frappées de NEM qui sont parties vers d’autres pays européens que les départs de Suisse concernent principalement des circulations transnationales à l’intérieur de l’Europe en fonction des opportunités (de travail au noir, de réseau de connaissances ou familiales). Ces circulations peuvent déboucher plus ou moins souvent, selon ces mêmes témoignages, sur un retour en Suisse, une fois que les opportunités dans d’autres pays européens viennent à disparaître ou que les situations vécues sont estimées encore plus difficiles qu’en Suisse. Ce retour en Suisse se double parfois d’un recours (ou d’un retour) au régime d’aide d’urgence. Notons encore que sur la base des accords de Dublin, en cas de contrôle dans un pays européen, les personnes concernées sont renvoyées en Suisse (comme cela a été le cas pour l’un de nos répondant-e-s), ce qui augmente les potentialités d’un retour vers la Suisse.
4. Incitations au départ
L’aide au retour
71L’aide au retour5 volontaire est un domaine révélateur de la difficulté de délimiter les champs d’intervention avec une réelle marge de manœuvre et d’établir une relation constructive dans une situation dominée par la menace du renvoi. Citons, par exemple, le canton de Genève, où l’incitation à consulter le Bureau de la Croix-Rouge pour l’aide au retour fait partie intégrante des démarches envers les personnes frappées de NEM. Mais le travail du bureau est devenu plus difficile car il doit constamment faire face à la pression grandissante des autorités, qui souhaitent qu’il exhorte les personnes au départ volontaire avec plus de vigueur, comme nous l’avons vu au chapitre 2. En cédant à ces pressions, le bureau risque de mettre en danger sa relation de confiance avec les migrant-e-s, qui tendent à le percevoir comme un maillon du dispositif officiel de dissuasion et à s’en distancer. Le nombre de consultations à la baisse semble confirmer une telle tendance. Ce défi, qui concerne essentiellement la population des personnes frappées de NEM, dont très peu finissent d’ailleurs par opter pour un départ volontaire avec aide au retour, risque de se répercuter sur la perception du travail d’aide au retour en général. Il est à signaler que dans les cantons alémaniques, les migrant-e-s rencontré-e-s ne font jamais allusion à l’aide au retour, et la seule personne qui s’exprime sur ce point affirme ne pas savoir de quoi il s’agit ni en avoir jamais avoir entendu parler.
72Alors qu’environ la moitié des personnes frappées de NEM finissent par consulter le Bureau d’aide au départ dans le canton de Genève – celles recourant à l’aide d’urgence sont invitées à se rendre au bureau compétent en vue de conseils –, le niveau d’information à ce sujet semble très limité dans les autres cantons parmi les bénéficiaires de l’aide d’urgence et, à plus forte raison, parmi les personnes qui n’ont aucun contact avec les autorités cantonales. Face à la menace d’un renvoi, ces dernières ne sont à l’évidence pas des interlocuteur-trice-s crédibles pour parler sereinement d’un retour volontaire. Dans le canton de Genève, la plupart des personnes concernées affirment s’être rendues dans cet office exclusivement sous la pression de l’OCP, mais sans envisager véritablement la possibilité d’un retour volontaire. Elles jugent dès lors les conseils reçus comme inutiles, et parfois quelque peu déplacés. En effet, selon le témoignage d’un migrant frappé de NEM arrivé en Suisse quelques mois plus tôt, les conseils qu’il a reçus lors d’un entretien avec le Bureau d’aide au départ peuvent sembler tout à fait insolites, venant d’un bureau institutionnel :
Ensuite, quand je suis allé à Genève, je suis allé directement à l’OCP avec l’adresse qu’on m’avait donnée à Vallorbe. Là-bas, ils m’ont dit qu’il fallait que j’organise mon départ, sinon c’était la police qui allait me forcer à rentrer. J’ai dit que non ! Dans ma vie, moi je ne suis pas venu pour ça. Ensuite, ils m’ont dit qu’il fallait que j’aille à la Croix-Rouge pour l’aide au départ. Alors j’y suis allé, et j’ai dit que c’est l’OCP qui m’a envoyé là-bas. Alors, la dame m’a dit qu’on n’avait aucune preuve de mon identité, donc qu’on ne pourrait pas me renvoyer là-bas. Donc, qu’il fallait que je reste calme, mais qu’ils allaient chercher à avoir un laissez-passer auprès de mon ambassade. Mais quand ils auront le laissezpasser, avant que tu quittes, on va t’envoyer une lettre, et c’est toi-même qui devras préparer ton départ et te tenir prêt. Et là, si tu dis que tu ne veux pas partir, ils vont envoyer la police qui va te mettre en prison six mois, un an, jusqu’à deux ans ! Et ils vont te faire rentrer. Elle m’avait dit aussi qu’ils pouvaient me donner seulement 500 francs si je voulais rentrer, mais que, vu que j’étais jeune, je pouvais peut-être trouver un travail au noir en attendant qu’ils cherchent un laissez-passer. Mais je lui ai dit que si je ne connaissais personne, ce serait difficile de trouver du travail au noir, en me présentant comme ça ! (GE_NEM04_CDS).
73Une seule personne mentionne avoir fait des démarches en vue de son retour : une première fois lorsqu’elle était encore à l’asile, en 2003, et qu’elle n’avait pas encore reçu de NEM, mais elle affirme ne pas avoir obtenu l’appui qu’elle souhaitait, notamment en ce qui concerne le financement d’un projet dans son pays d’origine. Après avoir reçu une NEM et bénéficié pendant un temps de l’aide d’urgence, dont il est sorti en 2004, ce migrant a décidé en 2006 de demander une deuxième fois l’aide au retour car il vivait une situation trop difficile sans aide d’urgence :
J’avais un projet depuis 2003, je voulais de l’aide pour avoir du matériel dans la serrurerie et rentrer. Je travaillais avec le professeur, j’avais bien appris, je pensais de pouvoir apprendre aussi aux jeunes là-bas. Avant, j’étais prêt à retourner, mais après, ils m’ont coupé toute envie. Ils ne m’ont pas accordé l’aide pour mon projet, j’aurais pu retourner déjà en 2003 s’ils avaient accepté mon projet. Maintenant, je n’ai plus de projet, dans cette situation, c’est difficile d’avoir un projet. […] En 2006, j’en avais marre, je voulais rentrer, je voulais une aide au retour, mais ils ne m’ont rien accordé, seulement les 200 francs. Ils ont eu un laissez-passer, mais à la dernière minute j’ai disparu, je leur ai fait savoir que je ne voulais plus partir, je ne pouvais pas rentrer avec ça. Ils m’ont dit de ne plus me présenter (GE_NEM02_JMA).6
74De l’avis d’un représentant de l’aide au retour, le fait d’être contraint au retour par des pressions continuelles induirait les personnes à rester en Suisse malgré les conditions de séjour précaires. Les professionnels qui dispensent cette aide, notamment à Genève, reconnaissent que c’est toute la catégorie des personnes frappées de NEM qui est concernée par l’échec de l’incitation au départ à travers les mesures d’aide au retour. Cela révèle clairement le problème de la nature complexe des obstacles au retour que nous avons soulevé ici.
75Si l’aide au retour n’apparaît pas adéquate ou suffisante à de nombreuxses migrant-e-s, certain-e-s d’entre eux/elles se sont exprimé-e-s au sujet des appuis qui leur sembleraient plus appropriés. Une personne d’origine africaine arrivée depuis peu de temps en Suisse nous a dit pouvoir éventuellement envisager un retour dans un pays proche du sien, le retour dans son pays n’étant pas envisageable en raison des problèmes qu’elle y a vécus. C’est dans cette idée qu’elle suit actuellement une formation en informatique auprès de l’AGORA, devant lui permettre, au cas où elle serait obligée de partir, d’envisager l’ouverture d’un cybercafé dans un pays africain autre que le sien. Un autre migrant déclare que le retour dans son pays serait sa dernière solution, mais que, pour que ce retour se fasse dans de bonnes conditions, il faudrait changer de politique migratoire, en la liant à une politique de développement :
Je peux aussi rentrer dans mon pays, ce serait la dernière solution. Mais rentrer sans rien, c’est l’échec total, et là-bas on a des obligations, à un moment donné on a pu aider, maintenant on ne peut plus. S’ils avaient laissé la possibilité aux gens de s’épanouir un peu, il y aurait plus de retours volontaires. […] Surtout avec une formation, si on planifie une formation sur six mois bien ciblée, vous rentrez chez vous et vous expérimentez. Si on peut travailler pour une période limitée, deuxtrois ans, après, on peut rentrer dans des bonnes conditions. La bonne politique sera celle des gens qui en arriveront là. S’ils avaient aussi le souci d’aider les Africains, ce serait ça qu’ils devraient faire, car l’aide au développement n’arrive jamais à la cible (LA_NEM04).
76Pour certains, il s’agirait d’envisager un véritable accompagnement au retour plutôt qu’un système dissuasif. Celui-ci devrait être mis en œuvre par des organismes qui ne subissent pas de pressions visant à dissuader ou à convaincre de partir les personnes frappées de NEM, mais qui puissent les soutenir dans leurs démarches, comme le relève le porte-parole du centre de Vennes :
La dynamique de la dissuasion je n’y crois pas, mais l’accompagnement au retour, oui. La dynamique d’accompagnement au retour, si elle est faite par des institutions sociales qui ne subissent pas la pression, ça fonctionnerait merveilleusement bien. Si je peux faire le pont entre l’Afrique et l’Europe, je vais évoluer plus vite, tout ce qui, ici, est déjà amorti et peut fonctionner, même comme une école d’arts et métiers, produire des choses qui seraient utiles, ça compenserait l’aide au développement qui rentre dans la poche des chefs. L’accompagnement au retour se ferait bien par d’autres structures, le retour, ce serait l’autre phase de l’intégration. Cette multiculturalité est réciproque, je suis intégré chez vous, je suis intégré chez moi, je suis un citoyen du monde. Je peux être bien chez moi et ici. Celui qui a des idées pour faire des investissements, une entreprise chez lui, mais qui ne peut pas aller contrôler, faire l’évaluation sur place, comment peut-il changer la politique sur place, comment peut-il aider les gens à rester là-bas, parce qu’il y a un intérêt local qui a été construit là-bas. Si un Africain réussit à bâtir chez lui une entreprise, je ne pense pas qu’il restera toute sa vie en Suisse, il partira là-bas car il a des intérêts. L’accompagnement au retour se ferait dans le cadre d’une dynamique d’intégration qui réussit, et ne se ferait pas de manière discriminatoire. C’est un défi nouveau, c’est un cadre qui assurerait la liberté des gens, et qui accompagnerait les gens à rentrer dans le chemin du retour (LA_NEM03).
77Ces quelques témoignages et cette dernière prise de position suggèrent que la question du retour pourrait être envisagée, mais qu’elle est tributaire d’une série de conditions faisant actuellement défaut. Ils montrent que lorsque les personnes ont la possibilité d’avoir une formation, d’acquérir des compétences, ou de travailler et gagner suffisamment d’argent pour économiser et créer un projet de manière autonome, elles peuvent éventuellement envisager un retour.
Conclusion
78Les divers obstacles au retour que nous avons examinés dans ce chapitre n’ont pas, à ce jour, fait l’objet d’une réflexion approfondie de la part des responsables du domaine de l’asile ou des hommes et femmes politiques et il nous est apparu primordial de les exposer. L’accent mis sur les dimensions symboliques et identitaires ne signifie pas que des obstacles d’ordre matériel n’existent pas. Ainsi, le coût des communications internationales et la non-possession d’un téléphone peuvent très concrètement entraver les communications nécessaires à la formation d’un projet de retrour, ce qui est un effet pervers d’un système basé sur la privation d’argent.
79Dans ce chapitre, nous nous sommes toutefois concentrées sur les facteurs motivationnels qui empêchent le retour, ce qui se traduit par la survenue de séjours durables sous le régime d’aide d’urgence ou alors par des disparitions à l’intérieur du territoire, multipliant ainsi les situations de « non-droit » et produisant une catégorie de personnes existant dans le « hors-social ». En fermant les yeux sur les obstacles au retour, les responsables de l’asile s’interdisent de mener une réflexion sur les situations créées par les processus paradoxaux qui incitent les migrant-e-s à rester en Suisse, du fait même de l’action dissuasive de l’Etat. Cela nous amène à poser un problème sociétal d’envergure, ici désigné comme « production sociale et politique de l’invisibilité » qui sera examiné dans le chapitre suivant. Le cas des personnes frappées de NEM pourrait bien s’inscrire dans ce qu’Augé (1992) nomme les « non-lieux », à savoir les diverses modalités d’anonymat, de points de transit, de passage, d’occupations provisoires qui concourent à créer une invisibilité au sens de ne plus exister comme personne faisant partie d’une communauté, d’être exclu de tout statut, tout en vivant dans les marges, dans les interstices, de la société. Les données sur lesquelles nous nous sommes appuyées dans ce chapitre, ainsi que l’analyse que nous proposons dans le chapitre suivant, devraient apporter des éclairages sur l’impasse politique actuelle en matière d’asile et d’immigration, qui pourrait bien résulter, en partie du moins, du fait que la réalité et l’importance des obstacles subjectifs et structurels au retour n’ont pas été pensées en elles-mêmes et que certaines dimensions de l’« attrait » de la Suisse n’ont pas été prises en considération.
Notes de bas de page
1 Cf. notamment les critiques du Rapporteur spécial de l’ONU sur le racisme, Rapport Diène (par. 75, 82), communiqué de presse de la Commission fédérale contre le racisme du 27 mars 2007 ; cf. aussi le 1er Rapport annuel d’observation « Une législation toujours plus stricte, une pratique toujours plus rigide » de l’Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers, 24 septembre 2008.
2 C’est notamment le cas d’une personne qui provient d’un pays en guerre et à laquelle les autorités suisses ont attribué un autre pays d’origine malgré un certificat de naissance (considéré comme faux par les autorités).
3 Liberation Tigers of Tamil Eelam, communément dénommés Tamil Tigers. La guerre civile opposant le gouvernement central et l’organisation des Tamouls LTTE prit de l’ampleur à compter de 1983. Après la trêve de 2002-2005, le conflit s’intensifie à partir d’août 2007, période où se sont déroulés les entretiens, et rentre dans une phase décisive en 2009, marquée par la prise des principaux bastions des LTTE par les troupes gouvernementales. Les LTTE annoncent cesser le combat en mai 2009.
4 Suite à la Deuxième guerre du Congo (1998-2003) qui impliqua neuf pays africains, le Congo a connu un gouvernement de transition puis la proclamation de la Troisième République en février 2006, sans que l’instabilité militaire ne disparaisse, comme en atteste le fait qu’il a abrité la plus importante mission de l’ONU au cours de ces années pour faire face à la dégradation de la situation sécuritaire des populations.
5 Voir aussi Annexe 3.
6 Au moment de la dernière demande de cette personne, les prestations prévues pour l’aide au retour, soit CHF 1000.- pour une personne et CHF 3000.- pour un projet, n’étaient pas encore entrées en vigueur pour les personnes NEM.
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