Précédent Suivant

3. Regard de la pratique : gestion des dossiers et controlling – le rapport périodique en tant qu’instrument de travail

p. 149-154


Texte intégral

1Le rapport périodique élevé au rang d’outil de travail, c’est sur cette conclusion des auteurs de l’étude que je souhaite rebondir pour livrer mon regard de la pratique.

2Il y a quelques années, je débarquai tout frais émoulu de l’Ecole de travail social, au service de la jeunesse et des familles. Aussitôt, un collègue a entrepris de m’expliquer qu’il tenait la rédaction du rapport périodique pour un mal nécessaire. Et d’ajouter qu’en la matière, il fallait rester bref et concis et surtout, s’en tenir aux faits. A ses yeux, mieux valait consacrer son temps, déjà fort limité, à la gestion première du dossier, c’est-à-dire aux contacts directs avec le client, plutôt que se perdre en longs commentaires à l’attention de l’autorité. Ses propos, bien sûr, ne me semblaient pas dénués de bon sens, mais j’étais contrarié à l’idée que les rapports en question n’aient pratiquement aucune importance.

3J’ai fait une seconde constatation au moment de reprendre des mandats : les mesures ordonnées concernaient pour l’essentiel des curatelles selon l’art. 308 CC et, le plus souvent, elles n’étaient point spécifiées selon les alinéas 1 à 3 de ce même article. On pouvait tout juste deviner la mission du curateur entre les lignes des considérants. Les instructions ou directives au sens de l’art. 307 al. 3 CC y étaient quasiment inexistantes. Elles n’apparaissaient jamais dans les dossiers dont j’avais la charge, ni dans ceux de mes collègues de travail.

4Je constate d’expérience que le rôle du rapport périodique a été mieux compris ces dernières années, de même que l’on a mieux saisi la pertinence de la mesure légale en question. A la faveur d’un travail de persuasion mené auprès des autorités, l’art. 307 CC a retrouvé la place qu’il mérite, les autorités optant désormais plus volontiers pour cette mesure à la fois utile et proportionnée. On observe aussi une application plus ciblée des pouvoirs prévus à l’art. 308 al. 2 CC et, lorsque les circonstances l’exigent, de la restriction ponctuelle de l’autorité parentale prévue à l’art. 308 al. 3 CC. La mesure légale offre un cadre essentiel à l’action du travailleur social, mais j’estime qu’aujourd’hui encore la formulation de la mission et de l’objectif que celui-ci se voit assigner laisse souvent à désirer. Il est certes des cas où la mission peut se concrétiser dès les premiers contacts entre le mandataire et le système client puis lors des entretiens ultérieurs, mais d’autres situations exigent que l’autorité précise dans sa décision, la mission et les pouvoirs qu’elle entend conférer au mandataire, afin d’assurer une protection effective de l’enfant. Les autorités tutélaires comme les travailleurs sociaux doivent comprendre que certaines situations appellent un mandat de formulation très générale, alors que d’autres exigent un mandat des plus détaillés. Il s’agit de prononcer au cas par cas pour choisir la variante idoine en se tenant à la règle élémentaire qui veut que plus une situation est conflictuelle, plus la mission doit être précise.

5Un autre problème tient selon moi à ce que la plupart des décisions sont encore et toujours libellées à la seule adresse du curateur : « Il appartient au curateur de… », et c’est là bien sûr son rôle. Il est rare que le mandat précise en quoi doit consister la participation des parents. Leur apport, capital s’il en est, n’est pas davantage mentionné dans les auditions auxquelles procède l’autorité, ce qui entrave l’exercice du mandat.

6Dans un exposé consacré au droit de visite, Diana Wider, professeure à la HES en travail social de Lucerne, a plaidé pour l’introduction d’une formule-type dans les décisions de curatelle de droit de visite. Elle propose de faire figurer en premier point : « Les parents règlent l’organisation du droit de visite » et d’introduire ensuite une phrase réglant la procédure en cas de conflit. Quant aux tâches et attributions du mandataire, elles devraient figurer en troisième place seulement.

7Les conditions ci-avant jouent un rôle primordial pour l’exécution mais aussi pour la levée des mesures. Nous avons mis en place dans notre institution un controlling qui nous incite à reconsidérer régulièrement l’indication, l’évolution et la levée des mesures. Dans ce qu’il est convenu d’appeler des entretiens de gestion des dossiers, le mandataire passe en revue tous ses dossiers avec le chef de service pour en évaluer le bien-fondé, le mode d’intervention et la réalisation des objectifs. Les interlocuteurs cherchent ensemble à dégager des mesures pour le trimestre suivant et en rediscutent lors de l’entretien suivant. Cet instrument de pilotage permet d’identifier des situations à risque, de mener une réflexion sur les dossiers et enfin d’asseoir les responsabilités sur une base plus large.

Contrôle

Controlling

orienté vers le passé

orienté vers l’avenir

constater des erreurs

planifier

chercher les coupables

gérer, surveiller

accuser

aider

punir

conduire

Tableau 3 : Le concept du « controlling »

8L’entretien de gestion des dossiers constitue un outil de pilotage dans l’exercice des mandats et constitue avec d’autres formes de discussion et d’autres instruments un réel dispositif de controlling (voir tableaux 3 et 4). L’intervision se révèle notamment une méthode hautement utile, au même titre que le coaching assuré par le chef de service, la supervision d’un dossier par l’équipe en son entier ou encore le suivi en tandem. L’intervision sert à clarifier des éléments ponctuels dans la gestion du dossier, par des brèves discussions, afin de mettre en œuvre une réflexion. Ce partage d’informations et de connaissances débouche sur des solutions qui tiennent vraiment la route et dont certaines sont retenues comme modèles de fonctionnement.

Teneur/but

Forme/intervalle

Intervision

Clarification de questions concernant le dossier en vue d’établir de nouvelles stratégies d’action

A l’interne, en règle générale tous les 15 jours

Coaching

Réflexion sur la gestion du dossier, clarification de problèmes, élaboration de nouvelles stratégies d’action

A l’interne, réunion entre le collaborateur et le chef de service, au gré des besoins

Supervision

Réflexion sur la gestion du dossier, élaboration de nouvelles stratégies d’action, apport de nouvelles connaissances à mettre en pratique sur le terrain

Externe, dans le cadre des réunions de supervision de l’équipe, 6-8 fois par an

Gestion en tandem

Appui d’un second collaborateur du service dans la gestion des dossiers
Renforcement des compétences professionnelles

Dans les dossiers volontaires ou relevant de la loi, au gré des besoins et d’entente avec le chef de service
Généralement appliquée pour l’activité d’expertise
Modèle pour les expertises en matière d’attribution de la garde des enfants

Tableau 4 : Structures d’assurance qualité (support)

Teneur/but

Forme/intervalle

Contrôle croisé (principe des quatre yeux)

Regard croisé sur certaines tâches ou activités importantes de la gestion des dossiers afin de :
• garantir et développer la qualité de la gestion du dossier et des rapports
• accroître la sécurité juridique
• asseoir la responsabilité sur une base plus large

A l’interne, toujours en lien avec des tâches ou activités précises dans certains dossiers, notamment rapports périodiques ou rapports d’enquête sociale, rapports d’expertise destinés aux autorités et aux tribunaux, demandes d’instauration ou de levée de mesures limitant les droits parentaux

Pondération des dossiers

Classement subjectif des dossiers selon leur « lourdeur » pour faciliter la vue d’ensemble et servir de critère dans la répartition des dossiers

A l’interne, entre les collaborateurs, rythme trimestriel

Colloque de répartition de la charge de travail (caseload-management)

Examen des résultats de la pondération des dossiers pour en organiser la répartition

A l’interne, collaborateurs et chef de service, rythme trimestriel

Tableau 5 : Instrument d’assurance qualité (controlling)

9L’utilisation de ces outils de feed-back ou de controlling imprime au sein du service une dynamique d’apprentissage d’approche systémique11, alors que la simple exécution des tâches, contrôlée par des tiers et suivie de correctifs, est source d’inertie et freine un réel apprentissage.

10Le controlling est un instrument qui contribue dans une large mesure à développer une approche professionnelle dans la gestion des dossiers. Appliqué avec rigueur, il nous a surtout permis de ne pas laisser dormir des dossiers dans les tiroirs et d’éviter ainsi de maintenir des mesures sans raison jusqu’à la majorité des enfants.

11Qu’en est-il maintenant des rapports périodiques ? Avec la charge de travail qui est celle des travailleurs sociaux aujourd’hui, il n’est pas exclu que certains d’entre eux y voient encore un mal nécessaire. Mais je sais aussi d’expérience que le rapport s’est mué en véritable outil de gestion des dossiers. Il ne se comprend plus comme un simple compte rendu chronologique des activités, le mandataire s’en servant désormais pour effectuer un contrôle périodique et planifier l’exécution de la mesure par écrit. Parallèlement, un tel rapport indique à l’autorité tutélaire que le service conçoit l’exercice du mandat de manière professionnelle, ce qui en fait un outil de légitimation. Sur la base de tels concepts, un groupe de travail des centres de conseil à la jeunesse et aux familles (« Jugend-und Familienberatung ») du canton de Zurich a élaboré une structure unifiée et un canevas pour l’élaboration des rapports périodiques. Sa structure est aussi simple qu’efficace :

Situation de départ, mandat et objectifs

12Indication concernant le type de mesure et son fondement, et le cas échéant, bref aperçu du travail accompli jusque-là et des objectifs atteints.

Contacts

13Indication de la date des entretiens personnels et des visites à domicile.

Situation, évolution

14Eléments explicités en lien avec le mandat et les objectifs :

  • Lieu de séjour et situation de logement, encadrement/soins et éducation (propos sur le lieu de vie et son adéquation, pour les placements extrafamiliaux, pertinence et adéquation)
  • Développement social, intellectuel et physique, santé physique et psychique
  • Contacts/relations avec les parents, les proches et l’entourage social
  • Ecole ou formation professionnelle, activité professionnelle, occupation et loisirs
  • Objectifs atteints, impact.

Finances

15Si cet aspect entre dans la mission attribuée par l’autorité.

Evaluation, prévisions

16Estimation (risques, dangers encourus, etc.) solutions de rechange Orientation vers le bien de l’enfant : Agir pour le bien de l’enfant consiste à choisir la variante la plus favorable à l’enfant, la solution au plus près de ses besoins et de ses droits fondamentaux12.

Conclusion, objectifs

17Conclusion de l’évaluation : définition d’objectifs pour la nouvelle période de rapport ; cette partie, conjuguée à l’évaluation, sert à motiver les propositions suivantes.

Propositions

18Au gré de la situation

19Mes expériences de terrain rejoignent les conclusions du présent chapitre selon lesquelles l’attribution du mandat et le rapport périodique, en tant qu’ils constituent une charnière entre le droit et le travail social, peuvent tenir lieu d’instrument de travail ; d’abord pour l’autorité qui donne le mandat, et ensuite pour le travail social qui peut ainsi contrôler sa propre dynamique et piloter son action.

20Cette conception de la gestion des dossiers ainsi que le dialogue, mené dans le respect de la séparation des pouvoirs, entre les autorités et les services chargés d’exercer le mandat, créent un terrain favorable à une meilleure assurance qualité dans l’exercice des mandats. Nous avons opté pour une démarche concertée dans les situations complexes ou hasardeuses, en organisant des entretiens directs réunissant le mandataire, le service social et un représentant de l’autorité, le cas échéant avec la participation du client. Les expériences prometteuses se multiplient même si les efforts de coordination exigent beaucoup de temps et d’énergie. Le jeu en vaut véritablement la chandelle, car l’investissement consenti assure une bonne gestion des dossiers et apporte, au bout du compte, un réel gain de temps.

21N’oublions pas enfin les procédures standardisées, les directives, les formulaires et autres documents-types, efficaces et bien accueillis parce que répondant aux demandes et exigences de part et d’autre. Pour illustrer l’état d’esprit qui préside aux développements en cours, citons cette formule qui apparaît dans le titre d’un rapport d’activité d’un service social : Nous n’arriverons jamais au bout de notre tâche – mettons-nous donc à l’ouvrage…

Notes de bas de page

11 Schwalbe et Suter 2003.

12 Maywald et Eichholz 2007.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.