2. Regard de la pratique : la pratique d’une autorité tutélaire judiciaire
p. 112-116
Texte intégral
2.1. Préambule
1Les présents commentaires sont inspirés de la pratique de l’autorité tutélaire du canton de Genève, qui est une autorité judiciaire, composée de juges professionnels de formation juridique. Il est par ailleurs utile de signaler que le canton de Genève a connu récemment une réforme institutionnelle importante dans le domaine de la protection des mineurs. A partir du 1er juillet 2006 en effet, les deux services qui coexistaient jusque là (Service de Protection de la Jeunesse – SPJ chargé des évaluations sociales et de la protection des mineurs, hors mandat tutélaire, et Service du Tuteur Général-STG chargé notamment de l’exécution des mandats tutélaires) ont fusionné, par décision du Conseil d’Etat, en un seul Service (sous la dénomination de Service de Protection des Mineurs – SPMi), qui réunit donc désormais en son sein les fonctions précédemment assumées par le SPJ et le STG, s’agissant des enfants.
2Un des premiers effets visibles de cette modification institutionnelle a été la nette diminution des cas signalés à l’autorité tutélaire en vue de l’instauration d’une mesure tutélaire, et par voie de conséquence une nette diminution des mesures instaurées. Cela confirme, empiriquement, une des hypothèses de la présente recherche, quant à l’existence d’une corrélation entre le mode d’organisation des institutions chargées de la protection de l’enfance et les mesures tutélaires instaurées. La fusion des deux services a par ailleurs entraîné un processus de réflexion important, qui n’est sans doute pas achevé, au sein du nouveau Service, au sujet des différences entre le travail socio-éducatif « sans mandat » et « avec mandat », et des critères justifiant et rendant nécessaire le passage de l’un à l’autre. Passons maintenant à quelques brefs commentaires que nous a inspirés le chapitre de la recherche consacré à l’instauration des mesures tutélaires en faveur des mineurs.
2.2. Les signalements
3La loi de procédure civile genevoise (art. 369 al. 2) stipule que « Toute personne qui estime qu’il y a lieu à intervention de l’autorité pour la protection d’un enfant mineur ou interdit en informe le Tribunal tutélaire ». Dans la pratique toutefois, à Genève seule une minorité de situations sont signalées directement à l’autorité tutélaire, la majorité des signalements étant adressés au Service administratif chargé de la protection de l’enfance. Cette situation peut s’expliquer par le fait que, même si elle est peu formaliste, la procédure devant le Tribunal tutélaire suppose néanmoins le respect de la forme écrite (une simple lettre manuscrite suffit), alors qu’une démarche auprès du Service de protection des mineurs peut se faire oralement, lors d’un entretien. On peut donc comprendre que, s’agissant des particuliers, bon nombre d’entre eux privilégient une démarche orale plutôt qu’écrite. D’autre part, en ce qui concerne les signalements émanant d’institutions ou de professionnels, des protocoles de collaboration entre les différents Services de l’Etat prévoient comme première démarche le contact avec le Service de protection des mineurs. Seule une catégorie de professionnels s’adresse en principe directement à l’autorité tutélaire : il s’agit des médecins et des autres professions liées par le secret médical qui, en vertu de l’art. 364 CPS, peuvent « aviser l’autorité tutélaire » des infractions commises à l’encontre de mineurs.
4La Recherche met en évidence une donnée intéressante : le fait qu’en moyenne (entre les cantons étudiés) 37% des « signalements » émanent des parents eux-mêmes. On peut supposer que dans cette catégorie entrent en réalité deux types de situations bien distincts :
- d’une part, les situations de conflits entre les parents qui amènent l’un des deux à signaler des manquements éducatifs (réels ou supposés) de la part de l’autre parent ;
- d’autre part, les situations où un / les parent / s s’adresse / nt spontanément au Service de protection de l’enfance pour solliciter une aide éducative. Ce second cas de figure ne nous semble pas répondre stricto sensu à la notion de « signalement »17, puisque le but de la démarche consiste à obtenir une aide et non pas, a priori, d’obtenir l’instauration d’une mesure tutélaire. Cette ambiguïté est d’ailleurs source de « conflits de conscience » chez les travailleuses / eurs sociales / aux lorsque la question se pose de solliciter ou non une mesure tutélaire de protection, démarche qui peut être perçue par les parents comme une « trahison » et une rupture du lien de confiance.
2.3. La durée de la procédure
5La recherche révèle que près d’un tiers des mesures de retrait de garde sont prononcées aussi rapidement, voire légèrement plus rapidement, que les mesures de curatelle de l’art. 308 CC. Ce résultat peut apparaître paradoxal si l’on ne tient pas compte du fait que le retrait de garde peut intervenir soit « contre » l’avis des parents, soit à la demande de ceux-ci (dans le cas de l’art. 310 al. 2 CC), ou en tout cas avec leur consentement. Dans ces hypothèses (qui ne sont pas rares en pratique), il n’y a aucune raison pour que la durée de la procédure soit supérieure que pour l’instauration d’une mesure de curatelle.
6La durée des procédures est naturellement à mettre en relation avec la procédure suivie : dans le cas de Genève, par exemple, tout signalement à l’autorité tutélaire fait préalablement l’objet d’une demande d’évaluation sociale confiée au SPMi (précédemment au SPJ). La durée pour la transmission du rapport d’évaluation, compte tenu de la charge de travail et des autres missions assumées par ce Service, est en règle générale, à l’heure actuelle, de 8 semaines, cette durée pouvant être prolongée pour des motifs justifiés. A réception du rapport d’évaluation, celui-ci est communiqué aux parties (parents) qui sont alors en principe convoquées pour être entendues en audience, le délai de convocation pouvant aller de 2 à 4 semaines. A la suite de l’audition des parties, le Tribunal tutélaire peut rendre rapidement une décision si celles-ci acceptent la mesure préconisée. Dans le cas contraire, des mesures d’instruction complémentaires (enquête par témoins, voire expertise) doivent avoir lieu avant que la décision finale puisse être rendue. (Dans les cas d’urgence, une décision provisoire peut naturellement être prise).
2.4. Le droit d’être entendu
7Une donnée surprenante qui ressort de la recherche est que seuls 66% des dossiers étudiés présentent une trace écrite d’une audition des parents. Il convient à ce sujet de rappeler que le respect du droit d’être entendu n’implique pas obligatoirement qu’il soit procédé à l’audition orale des parties. La jurisprudence admet en effet que le droit d’être entendu peut également être respecté si les parties ont eu la possibilité de s’exprimer par écrit. Dans la pratique, si le Tribunal tutélaire procède toujours à une audition orale dans les cas où une mesure de retrait de garde est envisagée, il peut se contenter, s’agissant d’instaurer une mesure de droit de regard et d’information (art. 307 al. 3 CC) ou de curatelle (308 al. 1 ou 2 CC), d’interpeller les parents par écrit en leur fixant un délai pour leurs observations. Ce n’est alors qu’en cas d’opposition des parents qu’une audience de comparution personnelle sera ordonnée.
8De même, les mesures de curatelle qui sont ordonnées par le juge civil (dans une procédure de divorce ou de mesures protectrices de l’union conjugale) ne font pas l’objet d’une audition des parties par le Tribunal tutélaire, le rôle de celui-ci se limitant à prendre acte du jugement civil et à désigner la personne du curateur.
9Enfin, on relèvera également que lorsqu’une mesure tutélaire est prononcée à la requête d’un / des parent / s, une audition peut s’avérer superflue.
Audition de l’enfant
10Une mention spéciale doit être réservée à l’audition de l’enfant. La recherche révèle un taux global assez bas d’audition de l’enfant (22%), ce taux étant logiquement un peu plus élevé s’agissant des mesures de retrait de garde que des mesures de curatelle sans retrait de garde. De même, il n’est pas surprenant que, selon les résultats de la recherche, l’audition des enfants de plus de 12 ans soit plus fréquente que pour les enfants plus jeunes.
11La pratique de l’autorité tutélaire genevoise consiste à entendre systématiquement les adolescent-e-s qui s’opposent à leur placement. Dans ce cas, sont appliquées par analogie les règles de procédure applicables aux cas de privation de liberté à des fins d’assistance (art. 397a et ss CC, par renvoi de l’art. 314a al. 1 CC), c’est-à-dire que non seulement le mineur doit être entendu, mais qu’il doit également être assisté d’un-e avocat-e nommé-e d’office.
12En revanche, l’audition par le juge n’est pas systématique lorsque le mineur a été entendu préalablement par le SPMi et a accepté son placement, voire s’il l’a lui-même sollicité.
13Pour les jeunes enfants, il est usuel de déléguer, sauf exception, l’audition au SPMI ; comme le permet la loi, dès lors qu’un-e professionnel-le de l’enfance apparaît en règle générale plus apte à entendre un jeune enfant qu’un-e juge de formation juridique.
14Dans les cas où le Tribunal tutélaire est amené à ordonner une expertise psychiatrique de l’enfant et / ou de la famille, l’audition de l’enfant sera effectuée par l’expert, en principe sans qu’il soit procédé à une ré-audition par le juge.
2.5. Retrait de garde ou curatelle d’assistance éducative ?
15A Genève, le nombre de mesures de retrait de garde prononcées par l’autorité tutélaire reste relativement bas et stable (il varie entre 52 et 77 mesures par an sur les 5 dernières années).
16La recherche fournit une donnée intéressante dans la comparaison entre Suisse romande et Suisse allemande, s’agissant de l’âge des enfants pour lesquels un retrait de garde est prononcé. Il apparaît en effet que l’âge médian est beaucoup plus bas dans les cantons francophones étudiés (1,5 an) que dans les cantons alémaniques étudiés (13,5 ans). Les raisons (certainement multiples) de cette différence mériteraient un examen plus approfondi, prenant en compte non seulement les facteurs « culturels » ou « idéologiques » (tenant notamment aux conceptions prédominantes en matière de lien mère / enfant), mais également les facteurs structurels ou institutionnels tels que l’offre en matière de structures d’accueil adaptées à telle ou telle tranche d’âge. Pour Genève, il est par exemple notoire qu’il manque cruellement de places dans des structures adaptées à l’accueil d’adolescents (et surtout d’adolescentes) en grande difficulté, notamment souffrant de troubles psychiques. Il faut rappeler à ce sujet que la mesure de l’art. 310 CC se compose de deux éléments : d’une part le retrait de garde proprement dit, et d’autre part le placement « approprié ». Il n’est malheureusement pas rare, en pratique, que le premier élément (retrait de garde) apparaisse entièrement justifié voire indispensable pour la protection d’un mineur, mais qu’à défaut d’un lieu de placement approprié, la mesure ne puisse être prononcée.
17Enfin, il est rassurant que la recherche ait permis d’établir que, contrairement à certains préjugés qui circulent dans l’opinion, la nationalité des parents ne joue aucun rôle significatif dans le choix entre une mesure de curatelle et une mesure de retrait de garde.
Notes de bas de page
17 A noter que le terme allemand de « Meldung » est plus neutre et n’a pas la connotation péjorative voire stigmatisante du terme français « signalement ».
Auteur
Présidente du Tribunal Tutélaire, Genève
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