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1. Qui s’occupe de la protection des mineurs ?

p. 61-74


Texte intégral

1Le soutien professionnel proposé aux enfants dont le développement est mis en danger ainsi qu’à leur famille est multiple. Pour les mesures protectrices qui relèvent du droit civil, on constate à la lecture des dossiers des services de tutelle et des services sociaux qu’une quinzaine de professionnels en moyenne s’occupent, à des degrés divers, de l’enfant et de son entourage immédiat pendant la durée de la mesure. Ce nombre augmente avec la complexité des problèmes familiaux et avec le degré de restriction des droits parentaux. Il varie de même considérablement selon la région examinée. La corrélation observée entre le nombre de professionnels et la sévérité des mesures peut s’expliquer en partie par la charge de travail liée à la mesure, mais également par le besoin de légitimer l’intervention. Parmi les régions examinées, ce sont surtout les régions urbaines et les structures plus centralisées qui se distinguent par un nombre de professionnels très important. Le présent chapitre s’intéressera aussi de plus près au groupe des mandataires tutélaires, lesquels sont souvent amenés à se succéder dans l’exercice d’un même mandat.

2Lorsqu’il faut envisager une aide qualifiée pour un enfant en danger ou maltraité, une des questions immédiates consiste à savoir où l’obtenir. C’est à partir de là que nous sommes amenés à considérer l’ampleur, le type et la fonction de la participation des professionnels dans les dossiers de protection des mineurs en droit civil. Les données correspondantes proviennent de l’analyse des dossiers portant sur 164 cas de protection des mineurs dans quatre régions de Suisse1.

3Par professionnels impliqués, on entend toute personne qui, de par sa profession ou sa fonction, a affaire avec l’un des enfants concernés ou avec sa famille. Pour répondre à la question posée en introduction, nous allons éclairer divers paramètres, parmi lesquels les difficultés qui se manifestent dans l’entourage de l’enfant ou la durée de la mesure protectrice, en fonction desquelles varient la nature et l’étendue de la participation des professionnels. Dans l’analyse des fonctions occupées par les différents professionnels, nous nous arrêterons plus particulièrement sur le rôle du mandataire et sur celui de l’avocat. L’institution d’une mesure en tant que mandat confie un rôle central au mandataire. Les avocats, en tant que représentants des parents, exercent parfois une grande influence sur les intérêts de tous les acteurs et poussent les autres professionnels à mieux étayer leur action sous l’angle juridique. L’étude s’intéresse à la fréquence d’intervention des deux groupes retenus, ainsi qu’à leur impact sur le cas en particulier et sur les autres professionnels.

4L’examen des facteurs influant sur la participation des professionnels dans le cadre de la protection de l’enfant soulève immanquablement la question de l’utilité de ces derniers. Car là où plusieurs groupes de professionnels sont amenés à s’occuper de divers aspects, il faut forcément s’interroger sur la manière dont ces derniers collaborent dans l’intérêt de la cause. Travaillent-ils de manière coordonnée les uns avec les autres, s’affairent-ils parallèlement les uns aux autres ou avancent-ils en quelque sorte en ordre dispersé ? La partie conclusive de ce chapitre est une première tentative d’approche de la question de l’utilité.

1.1. Nombre de professionnels

5Dans les 164 dossiers de protection des mineurs examinés dans quatre régions de Suisse, il a été recensé au total 3089 professionnels. Les chiffres ne disent pas si certains d’entre eux apparaissent à plusieurs reprises, ce qui paraît tout à fait plausible pour les représentants de l’autorité mais aussi pour d’autres professionnels. L’ensemble des 3089 professionnels correspond à une médiane pondérée de 15 intervenants par cas, avec un minimum de deux – le membre de l’autorité et le mandataire – et un maximum de 68 professionnels, issus de domaines divers et exerçant des fonctions distinctes. Les extrêmes mis à part, on note que la moitié des cas totalisent entre 6 et 26 intervenants. Les professionnels recensés se répartissent quasiment à parts égales entre femmes (1318 personnes) et hommes (1336 personnes). Il est permis de supposer que l’on retrouve une même proportion parmi les 435 professionnels dont on ne connaît pas le sexe parce que le dossier n’indiquait que leur nom de famille.

a. Facteur déterminant : le setting

6Le choix des quatre régions ou settings, qui présentent une configuration institutionnelle distincte dans le domaine de la protection des mineurs en droit civil, s’est opéré selon deux axes : dans la partie germanophone comme dans la partie francophone de la Suisse, nous avons sélectionné une région urbaine et une région rurale. L’analyse fait ressortir des disparités significatives dans le nombre d’intervenants, à la fois selon le critère linguistique et le critère ville-campagne. Avec une médiane de 21 professionnels par cas, les régions romandes font état d’un nombre d’intervenants nettement plus élevé que les régions alémaniques, qui affichent une médiane de 9 professionnels par cas (p<0.01). De même, les deux villes de part et d’autre de la Sarine présentent-elles, avec une médiane de 18 professionnels par cas, un nombre nettement supérieur que les deux régions rurales avec 11 professionnels en valeur médiane (p<0.001). Les villes se distinguent en outre par une distribution plus importante que les régions rurales, ce qui signifie que l’on y observe d’un cas à l’autre de plus grandes variations dans le nombre de professionnels par dossier. Si l’on considère les différences relevées au niveau des settings en particulier, on notera surtout la médiane élevée de 21 professionnels par cas dans la ville romande (« ville »), de laquelle tous les autres settings s’écartent de manière significative vers le bas (p<0.05) (voir graphique 7).

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Graphique 7 : nombre de professionnels impliqués, dans les quatre settings

b. Facteur déterminant : le type de mesure

7Echelonnées selon le degré de restriction des droits parentaux, les mesures protectrices des mineurs en droit civil posent des exigences diverses envers les professionnels, ce qui ne manque pas de se traduire dans les chiffres. A partir des données disponibles, on observe ainsi des différences notables entre les trois mesures protectrices examinées (p<0.001). La plus incisive des mesures, le retrait du droit de garde, est aussi celle qui engage le plus grand nombre de professionnels avec une médiane de 33 acteurs (voir graphique 8). Pour les curatelles, la valeur médiane est déjà nettement inférieure avec 21 intervenants. Les curatelles de recherche en paternité au sens de l’art. 309 CC, mandats étroitement circonscrits, sont celles qui impliquent le moins d’acteurs professionnels avec une valeur médiane de 5 intervenants par cas. On s’aperçoit que plus la mesure est incisive, plus sa durée s’allonge. Or, dans les constatations de paternité, le mandat est limité à la fois dans le temps et dans sa teneur. Sa durée médiane est de 1,2 an, alors qu’elle est de 3,1 ans pour les autres curatelles, valeur qui est à son tour nettement plus basse que la médiane de 5,3 ans pour les retraits du droit de garde. Les différences observées dans le nombre d’intervenants impliqués s’expliquent en partie par la durée des mesures, mais l’ampleur des écarts laisse supposer que la nature des tâches afférentes à une mesure participe aussi de cette différence.

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Graphique 8 : nombre de professionnels par cas selon les mesures (art. CC)

1.2. Formation et statut

8Les acteurs professionnels impliqués dans un cas de protection des mineurs se rattachent à diverses institutions, exercent des fonctions multiples et ont des parcours professionnels distincts. Les dossiers examinés n’ayant pas livré à proprement parler d’indications sur la formation des intervenants, nous avons analysé leur statut ou leur fonction principalement d’après leur appartenance aux institutions en question. Parmi les nombreux intervenants recensés certains sont membres des autorités et tribunaux, d’autres enseignent ou assurent des fonctions de prise en charge ou d’assistance au sein de services sociaux, de services de consultation générale ou spécialisée, dans des foyers ou institutions, dans des cliniques médicales, dans des services de psychiatrie infantile ou services psychiatriques pour adolescents, ou encore dans des cabinets médicaux ou psychologiques privés. D’autres encore travaillent dans la police, au sein de divers services administratifs, dans des institutions et fondations sociales de droit privé ou en tant qu’avocats.

9A la lecture des dossiers des services sociaux – office des tutelles, protection de la jeunesse, services sociaux généraux ou spécialisés – et des autorités tutélaires, on note sans surprise que les professionnels des institutions considérées forment le gros des intervenants, avec respectivement 931 personnes du côté des services sociaux et 551 du côté des autorités tutélaires. Viennent ensuite 355 professionnels issus des autorités administratives et judiciaires, 342 rattachés à des institutions médicales ou psychiatriques, 215 avocats, 201 professionnels d’institutions éducatives et enfin 181 collaborateurs de divers établissements scolaires. Quelques autres institutions, notamment la police ou certains établissements sociaux privés faisant état d’un nombre de professionnels inférieurs parmi les cas examinés, ont été regroupées dans une autre entité qui totalise 313 intervenants. C’est principalement la nature des problèmes qui affectent l’enfant et sa famille qui détermine le degré d’implication de tel ou tel autre groupe professionnel. En outre, on peut supposer que les professionnels tendent à être plus nombreux lorsque l’environnement familial cumule des problèmes multiples.

10En règle générale, les groupes de professionnels considérés plus haut sont spécialisés dans certains types de situations, de problèmes-troubles médicaux et psychologiques ou contextes de pauvreté ou de violence. Les cas de protection des mineurs ont ceci de particulier qu’ils conjuguent souvent plusieurs problématiques. Les nombreuses combinaisons possibles entravent l’évaluation statistique, d’autant que le nombre de cas étudiés est limité et que la taille des sous-groupes s’en trouve donc vite réduite. Cependant, la comparaison du nombre de professionnels intervenant dans les situations où l’enfant et sa famille sont confrontés à un nombre restreint de problèmes au nombre d’intervenants impliqués dans des cas d’enfants issus de famille à problèmes multiples livre des éléments intéressants. Lorsque les problèmes familiaux se multiplient ou s’aggravent, les intervenants sont en toute logique plus nombreux (voir graphique 9). Quand la situation de mise en danger proprement dite ne s’accompagne pas d’autres problèmes (ou que ceux-ci n’apparaissent pas dans le dossier), elle occupe en moyenne 12 professionnels. Le nombre d’intervenants reste plutôt modéré jusqu’à trois problématiques cumulées (25 professionnels), mais il double dès que l’on passe à quatre problématiques ou plus. Les professionnels qui pèsent le plus lourd dans cette fulgurante progression sont ceux des groupes « autorités tutélaires », « services sociaux » et « groupe restant ». Le nombre d’intervenants qui y ont été recensés augmente de manière significative à partir de quatre problématiques dans l’environnement familial. On peut imaginer que c’est à partir de ce seuil critique qu’entrent en scène divers services pointus ou des institutions très spécialisées, ce qui décuple du coup les efforts de coordination des services sociaux et des autorités tutélaires. Les zones de friction entre les professionnels se font alors plus importantes, avec le risque d’accélérer la rotation des personnes assurant la prise en charge. Cela reste toutefois impossible à prouver, hormis pour les mandataires2, puisque les dossiers ne précisent que rarement quand un intervenant passe le témoin à un autre. En tout état de cause, on distingue ici un potentiel d’exploitation des synergies.

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Graphique 9 : nombre de professionnels rattachés aux organisations, selon le nombre de problèmes dans l’environnement familial

11Les différences de configuration institutionnelle des quatre settings se reflètent dans la proportion des intervenants issus des services sociaux et des autorités tutélaires (voir tableau 1). Dans les villes, qui disposent d’une autorité professionnelle, 17% des intervenants se rattachent à l’autorité tutélaire, 30% resp. 32% aux services sociaux, avec cette précision que la ville romande dispose d’un plus grand nombre de professionnels au total. C’est la région « Campagne » qui affiche, avec 35%, la plus forte proportion de professionnels dans les services sociaux. Cette région s’est dotée d’un service social cantonal centralisé, responsable à la fois de l’enquête sociale entourant les mesures protectrices et de leur exécution. Comparativement, les intervenants des autorités tutélaires ne représentent dans cette région que 13%3. A cet égard, le setting « Land » sort complètement du lot, les autorités tutélaires y représentant 28% des intervenants contre 21% pour les membres des services sociaux. Cet état de fait tient sans doute au rôle majeur qui revient dans cette région aux directeurs des affaires sociales et aux secrétaires de tutelle.

12La part des professionnels rattachés aux foyers et aux écoles varie aussi sensiblement d’une région à l’autre, mais ces disparités ne feront ici l’objet d’aucune interprétation. On ne note pas d’écarts notables pour ce qui est des autres groupes professionnels, hormis pour ce qui est de la part accrue des institutions administratives et judiciaires dans le setting « Ville ».

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Tableau 1 : parts en pour cent des groupes de professionnels dans les différents settings

1.3. Fonctions spécifiques

13Parmi les multiples fonctions occupées par les professionnels en charge de la protection de l’enfant nous en retiendrons deux, celle de mandataire et celle d’avocat.

14Chargés par les autorités tutélaires d’exécuter les mesures de droit civil, les mandataires assument, sur le plan formel, le rôle principal à l’égard de la mesure et c’est pourquoi la présente étude leur accordera une attention particulière. La place tenue par les avocats est certes bien moins importante, mais ils nous intéressent surtout par leur fonction qui consiste à aider les personnes concernées par des mesures protectrices à mieux faire entendre leur voix.

a. Les mandataires tutélaires

15Sur les 3089 intervenants impliqués dans les 164 cas examinés, 248 sont chargés de l’exercice du mandat. Les curateurs et curatrices travaillent en règle générale dans des services sociaux polyvalents ou des services sociaux qui se consacrent exclusivement aux mesures de protection des mineurs ou des adultes. Seuls cinq d’entre eux ne peuvent être véritablement qualifiés de professionnels du domaine de la protection des mineurs, dans la mesure où, en qualité de mandataires privés, ils n’assument pas leur mandat dans le cadre de leur emploi ou de leur fonction. Les dossiers livrent des indications sur la formation pour 60% des mandataires qui exercent leur mandat à titre professionnel. On s’aperçoit que seuls 2% ont une formation sans rapport direct avec la fonction qu’ils exercent ; 46% ont suivi une formation dans un champ du travail social et 12% ont fait des études de droit. Il n’est pas exclu toutefois que l’absence de données précises pour les 40% de mandataires restants tienne justement à la nature de leur formation ; on peut imaginer que les dossiers feraient moins volontiers mention de leur bagage si celui-ci ne cadre pas avec la fonction.

16Les enfants placés sous curatelle ou dont les parents sont privés du droit de garde changent souvent de mandataire en cours de la mesure. Au bout de 5 ans, 56% d’entre eux ont vécu déjà un ou plusieurs changements, pour ne pas citer le cas de cet enfant qui a connu sept mandataires. Quand bien même le retrait du droit de garde est une mesure à la fois plus restrictive et de durée plus longue que la « simple » curatelle, on n’observe aucune différence notable entre ces deux mesures pour ce qui est du nombre de mandataires. Par ailleurs, l’examen selon le type de tâches dévolues à la curatelle n’indique pas une rotation plus rapide là où il s’agit d’assurer une médiation dans des conflits parentaux autour de l’enfant. On note en revanche des différences régionales en ce qui concerne la rotation des mandataires. En effet, abstraction faite des curatelles instituées pour établir la paternité, lesquelles prennent généralement fin avec la constatation de la paternité dans les deux années qui suivent la naissance de l’enfant, le premier mandataire reste nettement plus longtemps en place dans le setting « Campagne » que dans les autres régions. La rotation la plus forte est enregistrée dans le setting « Ville » (voir graphique 10) où le mandataire change dans deux tiers des cas après un plus de deux ans déjà. Que la durée du premier mandataire soit plus longue dans le setting « Campagne » s’explique sans doute par la position de quasi-monopole qu’y détient le service social cantonal en tant qu’employeur du travail social.

17Le chapitre 4 présentera d’autres résultats en rapport avec le groupe des mandataires et avec les différents contacts qu’ils établissent tout au long de la mesure.

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Graphique 10 : durée du cas et durée de fonction, selon le setting

b. Les avocats

18S’ils ne figurent pas à proprement parler au centre de la mesure protectrice de droit civil, les avocats sont néanmoins bien représentés avec 215 intervenants impliqués. Ils tiennent dans les dossiers une place en tous les cas plus importante que les enseignants ou les éducateurs par exemple. Sur les 215 avocats recensés, seuls 15 représentent l’enfant concerné et 10 défendent les intérêts des deux parents. La majeure partie d’entre eux sont là pour représenter soit les intérêts de la mère (106 intervenants) soit ceux du père (94 intervenants). La prédominance des interventions en faveur de l’un des deux parents laisse à penser qu’ils sont fréquemment impliqués dans des procédures de séparation et/ou de divorce et qu’ils ne participent pas à égale mesure dans tous les types d’interventions. Ainsi n’interviennent-ils que dans un cas de constatation de paternité sur deux (0,6 par cas), mais sont déjà deux fois plus nombreux dans les cas de retrait du droit de garde (1,2 par cas) et leur chiffre double encore une fois pour les curatelles (2,4 par cas). Un résultat peu surprenant quand on sait que cette dernière catégorie englobe aussi les curatelles en matière de droit de visite au sens de l’art. 308 al. 2 CC. Cette mesure est le plus souvent ordonnée pendant ou à la suite d’une procédure de divorce ou dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale où les avocats sont logiquement légion. Si nous comparons les cas où une curatelle est instaurée à partir d’un conflit parental à toutes les autres situations, les écarts sont frappants (p<0.001) avec une moyenne de 2,9 avocats dans le premier cas contre 0,9 avocat dans les seconds. Voilà qui confirme donc l’hypothèse selon laquelle les avocats interviennent essentiellement dans les cas de protection consécutifs à une procédure de divorce ou de séparation.

19La fréquence des avocats varie non seulement selon le type d’intervention, mais aussi selon les settings ou les régions linguistiques. En Suisse romande, la moyenne s’établit à deux avocats par cas et est ainsi deux fois plus élevée qu’en Suisse alémanique où elle atteint à peine un avocat par cas (p<0.01). Dans le setting « Ville » l’autorité tutélaire est de type judiciaire et il est permis de penser que de ce fait, les intéressés se sentent plus volontiers obligés de recourir aux services d’un avocat. Cette hypothèse n’explique cependant pas encore la valeur moyenne presque aussi élevée dans le setting « Campagne ».

20Si les avocats forment une catégorie si bien représentée, cela tient peutêtre aussi à ce que leurs actions sont systématiquement documentées. Le rapport privilégié à l’écrit se reflète aussi dans le travail des autorités tutélaires et des services sociaux qui – mesuré au volume de documents qu’ils rédigent – double pratiquement dès qu’un avocat entre en scène. Abstraction faite des actions en constatation de paternité qui mobilisent peu d’avocats et dont la mission est clairement définie, on passe ainsi de 84 documents en moyenne dans les cas sans participation d’un avocat à 162 documents pour les cas avec participation d’un ou de plusieurs avocats (p<0.01), sans que la mesure ne soit forcément de plus longue durée (cf. graphique 11).

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Graphique 11 : nombre moyen de documents et de pages enregistrées pour les curatelles et les retraits de garde, avec ou sans participation d’un ou de plusieurs avocats

1.4. Conclusion

21Nous avons considéré la participation de professionnels dans les cas de protection des mineurs surtout sous l’angle de leur fréquence et selon leur répartition entre les différents types d’organisation, en portant une attention particulière aux disparités régionales, aux types d’intervention et à la formation des professionnels. Nous avons aussi étudié de près deux groupes selon leur fonction. Voici un résumé des principaux résultats du présent chapitre assorti de quelques commentaires.

22Les résultats concernant les intervenants professionnels dans les différents settings semblent indiquer que le nombre de professionnels impliqués dans les cas de protection varie selon la manière dont sont organisées les institutions de la protection des mineurs. Dans les configurations plus centralisées de Suisse romande on trouve plus de professionnels que dans les configurations alémaniques. De même constate-t-on que les villes recourent plus volontiers à des professionnels que les régions rurales, ce qui tient sans doute à une plus forte densité en services spécialisés, l’offre créant, on le sait, la demande4.

23Selon les moyens d’intervention de la protection des mineurs, on constate que le nombre d’intervenants augmente avec le degré de restriction des droits parentaux. Or cette corrélation ne peut résulter du simple fait que les mesures plus sévères sont aussi de plus longue durée. Il est probable que l’impératif de justification qui se fait plus pressant avec des mesures plus sévères amène les organes à mieux assurer leurs arrières et à recourir pour ce faire, à d’autres professionnels. Les cas de retrait du droit de garde mobilisant plus d’intervenants comparativement aux curatelles, il est nécessaire de multiplier les contacts entre les mandataires et les autres professionnels. La limitation des droits parentaux, on le voit, va de pair avec des relations moins étroites entre mandataires et parents, sans doute parce que les mandataires sont plus tributaires d’une bonne collaboration dans les curatelles que lorsque les parents sont privés de leur droit de garde.

24Faute de données suffisantes et complètes, une analyse d’après la formation des intervenants ne pouvait faire de sens. Facile à établir, le rattachement des professionnels impliqués à leurs institutions respectives a livré des indications utiles sur leur fonction dans les différentes mesures protectrices. Les intervenants rattachés aux services sociaux ou aux autorités tutélaires forment logiquement, avec respectivement 931 et 551 professionnels, le groupe le plus important des professionnels recensés. La part des professionnels des institutions juridiques et services administratifs est également importante. Rappelons ici que les prestations fournies dans le cadre de la mission protectrice des mineurs doivent passer par l’approbation, le contrôle ou la médiation d’un service administratif communal, cantonal, voire fédéral et qu’elles peuvent être contestées auprès de certains organes juridiques.

25On relève par ailleurs la présence de 313 intervenants évoluant autour des mesures protectrices de l’enfant mais ne se rattachant, sur le plan organisationnel, à aucune institution de la protection des mineurs en droit civil, ni à aucune instance administrative ou institution médico-pédagogique, psychologique, ou socio-pédagogique. Entrent notamment dans cette catégorie, des membres de fondations privées à but social, des personnes affiliées à des fédérations nationales ou internationales spécialisées ou encore des membres d’instituts universitaires qui officient en qualité d’experts (à l’exclusion des expertises médicales ou psychologiques).

26Nous savons qu’à la mise en danger proprement dite du développement de l’enfant viennent souvent s’ajouter d’autres problèmes qui affectent la famille. Or, plus ceux-ci sont nombreux, plus le nombre de professionnels impliqués augmente. Il double carrément ou presque lorsque l’on passe de trois à quatre problématiques familiales. Il est supposé que l’accroissement fulgurant du nombre d’intervenants dans le cas des familles à problèmes multiples résulte du cumul d’institutions et de services hautement spécialisés. On peut penser aussi que dans ce type de familles, l’entrée dans le système de prise en charge s’opère en divers lieux. Les aidants professionnels appelés à évaluer la situation concluent sans doute à la nécessité d’apporter à la famille d’autres types de soutien et font alors appel à d’autres professionnels, bien souvent sans savoir qu’un autre acteur a mobilisé d’autres spécialistes pour le même problème. En cours de procédure, les personnes chargées de la tenue des dossiers prendront sans doute acte de ces multiples intervenants et ne manqueront pas de les mentionner. On a cependant le sentiment que chacun se contente d’enregistrer ces acteurs multiples, sans se donner ou sans avoir les moyens de coordonner les efforts au nom du bien de l’enfant. Plutôt que d’avancer dans une action collective concertée au sens du case management, les acteurs agissent chacun de leur côté.

27A chaque présentation des résultats de la présente étude, l’auditoire a été surpris d’apprendre l’existence de 5 à 33 intervenants en moyenne par cas selon les catégories, sans parler du dossier qui a réuni 68 personnes autour du même enfant. Précisons ici que le nombre d’intervenants soucieux d’agir pour le bien de l’enfant en danger est sans doute légèrement en dessous de la réalité, dans la mesure où on peut supposer que tous les professionnels qui interviennent dans un cas donné ne figurent pas dans les dossiers et que certains sont carrément inconnus des services sociaux ou des autorités tutélaires. Ajoutons encore que ces très nombreux professionnels n’ont pas tous des contacts réguliers avec l’enfant concerné, loin s’en faut. Certains acteurs, en particulier les collaborateurs des services de placement familial ou en institution, ne rencontrent jamais l’enfant et n’entrent en scène que pour un très court laps de temps. L’étude des dossiers tendrait même à montrer que la plupart des contacts, notamment ceux qui sont rapportés par écrit – ne concernent pas directement l’enfant ou ses parents. La plupart des pièces versées au dossier ont trait à des contacts entre les différents professionnels. Si les contacts entre professionnels sont nécessaires et souhaitables et bien que la présente étude n’a pu qu’effleurer la question de leur utilité, il semble malgré tout que l’on peut faire mieux dans ce domaine.

Notes de bas de page

1 Voir annexes.

2 Cf. 1.3. a, infra

3 Le fait que les dossiers de l’autorité tutélaire n’aient été relevés dans le setting « campagne » pourrait avoir contribué en partie à la plus faible proportion de professionnels dans les autorités tutélaires.

4 Hupfeld 1993.

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