Préface
p. 7-9
Texte intégral
1Que ce soit dans l’exercice de mon activité de directeur du service officiel de protection de la jeunesse ou, plus tard, dans celle de l’enseignement et de la recherche universitaires, j’ai très souvent déploré l’absence quasi totale de données fiables quant au processus de la mise en œuvre et de l’exécution des diverses mesures de protection, au profil et au rôle des divers acteurs concernés ou encore à l’interprétation du texte légal selon l’ancrage socio-culturel des autorités compétentes ou des mandataires tutélaires. La décision de m’associer à la recherche, dont le présent ouvrage est le fruit, se plaçait donc dans la continuité de mes préoccupations tout au long de ma trajectoire. Au vu de mon parcours personnel, la parution de la version française aux éditions ies me réjouit donc tout particulièrement, non seulement pour l’actualité de son sujet, mais aussi parce qu’elle me donne l’occasion d’un retour aux sources alliant la dimension intellectuelle à une composante émotionnelle !
2C’est en effet, dans les années soixante que j’ai suivi avec une solide motivation la formation d’assistant social en cours d’emploi à l’Institut d’études sociales à Genève (IES devenu HETS). La diversité et la complémentarité des disciplines enseignées et couplées avec le souci permanent de répondre le mieux possible aux besoins de la pratique n’ont fait que développer mon envie d’approfondissement de l’acquis. « Vous avez l’esprit juridique », telle fut l’annotation qui figurait au bas de la feuille d’examen de droit de la famille. Cette observation, somme toute assez banale, semble pourtant avoir servi de déclic pour une orientation professionnelle dans laquelle le droit (de la famille surtout) a fini par occuper une place dominante, même si l’intérêt pour le travail social est resté très marqué.
3C’est ainsi qu’après l’obtention d’une licence en droit à l’Université de Genève, j’ai assumé, sept ans durant, la direction du service officiel de protection de la jeunesse (PDJ) de l’Etat de Genève, poste alors régulièrement occupé par une personne disposant d’une formation juridique. L’exercice de cette fonction m’a confronté presque quotidiennement à la mission fort délicate qui consiste à définir de cas en cas le seuil à partir duquel la protection d’un enfant exige impérativement la mise en application des mesures prévues à cet effet par le code civil. Jusqu’au début des années septante, il était encore beaucoup question de surveillance, en particulier des enfants nés hors mariage qualifiés d’illégitimes. Suite à la révision du droit de la filiation, c’est l’évaluation des besoins et des risques encourus par l’enfant dit en danger qui dictera fréquemment le choix entre une curatelle d’assistance éducative, mesure qui permet le maintien de l’enfant dans son cadre familial et le retrait du droit de garde qui conduit à son placement familial ou institutionnel. La prévision de l’impact réel d’une mesure déterminée de protection conserve toutefois aujourd’hui encore trop souvent un caractère relativement aléatoire.
4C’est donc sans grande hésitation et trop peu conscient de l’ampleur du projet que j’ai accepté de m’associer à la présente recherche cofinancée par le FNRS, pari scientifique qui offrait, pour la première fois semble-t-il, la perspective d’une approche interdisciplinaire impliquant la sociologie, le travail social, la psychologie et le droit. L’intérêt d’une telle étude m’était d’autant plus évident, que j’avais réalisé très tôt que la doctrine juridique et la jurisprudence ne pouvaient à elles seules refléter les réalités du terrain façonnées par de nombreuses variables liées à l’organisation et aux structures locales ou régionales. A dire vrai, j’avais largement sous-estimé l’ampleur et la complexité de la tâche, en particulier celle du dépouillement des dossiers au contenu parfois sommaire et de l’exploitation scientifique des données réunies ; aussi je tiens ici à saluer spécialement les efforts considérables et la persévérance sans faille du chef de projet, Peter Voll, engagement qui a permis l’aboutissement de la recherche aussi bien en Suisse alémanique qu’en Suisse romande, malgré les nombreux obstacles techniques qui se sont dressés tout au long du chemin.
5La concentration de l’étude sur les deux mesures de protection de la curatelle au sens de l’art. 308 CC et du retrait du droit de garde au sens de l’art. 310 CC, avec une prise en compte secondaire de la curatelle de recherche de paternité de l’art. 309 CC, s’est révélée d’autant plus pertinente que selon les données statistiques les plus récentes, les mesures de retrait de l’autorité parentale au sens des art. 311 et 312 CC sont devenues exceptionnelles. Mais comment ne pas s’étonner que dans la très grande majorité des cas de curatelles d’assistance éducative la source du danger encouru par l’enfant réside prioritairement dans le conflit parental, qu’un même dossier a pu occuper plusieurs dizaines d’acteurs avec une rotation des mandataires tutélaires qui va parfois jusqu’à donner le tournis, que dans un pourcentage élevé de cas le mandat se prolonge jusqu’à la majorité de l’enfant sans que le dossier ne contienne de justification particulière, ou encore que l’âge moyen de l’enfant lors de l’application d’une première mesure varie considérablement selon qu’il se trouve en Suisse alémanique ou en Suisse romande, cela pour ne citer que quelques-uns des résultats les plus frappants. Le regard de la pratique porté par plusieurs professionnels sur des mises en évidence sectorielles constitue un précieux enrichissement qui contribue à l’ouverture de nouvelles pistes de réflexion.
6La publication de cet ouvrage a lieu au lendemain de la décision du législateur d’exiger que dans l’ensemble du pays l’autorité de protection de l’enfant, tout comme celle de l’adulte, revête dorénavant une composition interdisciplinaire. Si la révision du code civil n’est pas allée jusqu’à imposer à tous les cantons l’option en faveur d’un organe régional de caractère judiciaire, conformément à ce que proposait la commission d’experts, l’enquête effectuée dans le cadre de la présente recherche auprès des autorités existantes confirme que cette forme d’organisation garante du respect des droits fondamentaux est déjà et restera la plus répandue en Suisse romande. Quant à savoir quels seront finalement les profils professionnels les plus représentés dans la composition des autorités de protection, les données actuellement disponibles ne permettent guère de formuler un pronostic crédible. Au vu des tâches à assumer, il est très vraisemblable que les personnes formées en travail social et/ou en droit figurent parmi « les favoris » !
7Mars 2010
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