Chapitre 11. Arcade 84
p. 239-262
Texte intégral
Historique et cadre
1Arcade 84 est d’abord un centre d’ergothérapie indépendant créé en 198467. Travaillant sur indication médicale et ses prestations étant remboursées par les assurances maladie, cette structure offre un travail thérapeutique pour les personnes adultes qui souffrent de troubles psychiques. Son objectif est d’améliorer leur état au moyen d’activités artisanales et créatives. Les prestations sont associées à la prise en charge médicale des patients, dans le but de déboucher sur un projet (réadaptation AI, emploi protégé, etc.), de leur redonner une certaine autonomie ou, plus simplement, d’améliorer leur quotidien ou leur vie à moyen terme. Comme le dit un ergothérapeute68, « aider les gens à retrouver une activité, un rythme régulier, le goût du contact social, grâce à un lieu ouvert sur l’extérieur », c’est « favoriser la parole », le tout dans un espace où « il n’y a pas la distance d’un bureau » ; « on est là ensemble, à travailler sur un objet, et les gens sortent leurs histoires beaucoup plus naturellement ».
2Arcade 84 est ensuite, et simultanément, un centre de jour créé en 1986 sous forme d’association ; l’entrée et la sortie de ce centre sont complètement libres et aucune prescription médicale n’est nécessaire ; l’idée est de permettre aux personnes souffrant là encore de troubles psychiques et à l’AI de venir dans un lieu présentant peu de contraintes institutionnelles. Le « coût d’entrée » (Hirschman, 1995), s’il n’est pas nul et si les encadrants parlent d’un « engagement »69, est largement limité ; les conditions d’accès se limitent en effet à la demande des nom, prénom, numéro AVS, et au fait d’être à l’AI pour raison psychique. Lorsqu’une personne s’inscrit (ou « s’engage ») dans le cadre de ce centre de jour, elle peut utiliser l’espace comme elle l’entend, pour autant qu’il y ait une place et sachant que la priorité est donnée aux patients inscrits dans le cadre du centre d’ergothérapie ; elle peut aller dans les différents ateliers (ébénisterie, cuisine, etc.). Pour décrire la structure, un ergothérapeute parle de « limiter l’isolement social généré par les difficultés psychiques » et le rapport d’activité 2003 de « solidarité, de convivialité, de reconnaissance, d’espoirs les plus enfouis, de souhaits les plus ténus » (2004 : 6). En 2004, soixante-six personnes sont inscrites dans ce « centre de jour » qui est financé par l’Office fédéral des affaires sociales (OFAS), des subventions du canton et de la ville de Genève, mais aussi par le produit des activités du centre (repas de midi et réparation de meubles).
3Arcade 84 fournit enfin la possibilité d’un accès à seuil « nul » en proposant aux visiteurs une « crémerie » ou un « café », c’est-à-dire un petit café-restaurant que chacun peut fréquenter comme bon lui semble en tant que client ; c’est, comme le dit un ergothérapeute, « le bouche à oreille, qui permet d’accueillir des personnes qui ne passent pas par des structures ».
4Le suivi ergothérapeutique dure entre six mois et un an et demi (quelques suivis exceptionnels se sont déroulés sur quatre ans), tandis que le centre de jour peut être fréquenté à vie : des personnes, présentes lors de la fondation du centre, seraient toujours là, précisent les responsables. Pour encadrer les activités et pour faire fonctionner la crémerie, Arcade 84 compte six encadrant-e-s70, mais personne ne travaille à plein temps. Tous s’occupent simultanément de l’ergothérapie et du centre de jour, tandis que les publics se mélangent au sein des différentes activités71. C’est que le lieu en lui-même ne connaît pas de coupure entre ce qui relève de l’ergothérapie et du centre de jour. On notera, enfin, que très peu d’usagers se rendent en centre de jour sans être préalablement passés par l’ergothérapie.
5Arcade 84 semble enfin se caractériser simultanément par une forte hétérogénéité des usagers (en termes de parcours scolaires et professionnels, comptant autant de patients dépourvus de capital scolaire que de patients ayant fait des études universitaires) et par une forte homogénéité (quant aux problèmes qui les caractérisent, tous souffrant de troubles psychiques). L’atmosphère oscille alors sans cesse entre tristesse et gaîté. Il y a, d’une part, comme l’explique un ergothérapeute, « le poids des deuils à effectuer » pour des usagers diminués mais forts d’une réflexivité étonnante. Mais d’autre part, il y a aussi une importante convivialité faite de rires échangés et d’activités partagées.
Description des lieux
6Les locaux d’Arcade 84, proches du centre de Genève et de sa gare, se trouvent dans une rue commerçante, proche d’une boulangerie et d’un coiffeur. De l’extérieur, la structure apparaît comme une succession de trois vitrines ; les deux premières laissent voir différentes pièces d’artisanat (des meubles en cours de réparation ou prêts à être vendus), la troisième, la plus grande, est réservée au café nommé et décrit de la façon suivante : « Crémerie du Petit-Bois, boissons/plat du jour » ; quelques livres sont aussi exposés et proposés à la vente (voir illustration).
7Mais au-delà des apparences, les objets qui décorent ce lieu relèvent bien plus du travail thérapeutique et créatif que de l’ameublement d’un café de quartier : une « ouverture visuelle » créée dans un des murs de l’établissement permet en effet aux clients du café d’apercevoir l’activité en cours à l’Atelier bois et aux patients de cet atelier d’observer les clients attablés à la crémerie ; sur un autre mur se trouve un grand miroir dont la bordure a été peinte par un usager ; sur le bar, un vase en céramique, lui aussi réalisé par un usager.
8Ces liens entre café et ateliers se retrouvent aussi dans les divers éléments d’information offerts aux clients potentiels. Outre les journaux et des annonces proposant, comme dans tout autre établissement, diverses activités culturelles, des affichettes informent sur d’autres structures à disposition des personnes souffrant de troubles psychiques. Le plus grand panneau d’affichage ne se trouve pas dans le café, mais dans l’arrière-salle, au croisement des différents locaux (plus vraiment dans le café, mais encore à l’intention de sa clientèle puisque sur le chemin des WC). Le panachage des informations est vaste :
Publicité pour « Ecarts » : espace contemporain d’art singulier ; Atelier de création artistique ;
Réponse au questionnaire de satisfaction des usagers de l’Arcade 84 ;
Une information sur les directives anticipées (soit la possibilité de spécifier le type de soins qu’on accepte ou non de recevoir au cas où l’on n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté) ;
Publicité pour un cours de taî-chi (dont une des ergothérapeutes est monitrice) ;
Psytel : conseil juridique gratuit ;
Permanence de défense des patients et des assurés ;
Forum d’expression : graaps. ch ;
Biceps : « c’est difficile de faire face à un adulte très déprimé qui a des comportements bizarres ou des idées fixes. Toute la famille peut en souffrir » ;
Pro Mente sana ; conseil juridique, conseil psychosocial, information et sensibilisation, travaux spécifiques à l’intention des collectivités, soutien aux mouvements d’entraide ;
Programme ATB (association des personnes atteintes de troubles bipolaires) ;
Plaquette du « Centre de jour et d’expression de Plainpalais » qui dépend de l’association Parole et s’adresse « aux personnes traversant des difficultés psychologiques ».
9On voit alors l’importance du café comme créateur potentiel de liens (avec une ouverture aux activités culturelles, la présence de journaux, la valorisation des activités de chacun) et l’importance donnée, sur le panneau d’affichage situé en retrait, aux structures de paroles et de défense (juridiques ou autres). Autant de structures qui semblent moins rappeler aux usagers qu’ils ont des handicaps que le fait qu’ils ont des droits et peuvent les défendre.
Une organisation à temps multiples
Le café
10La vie d’Arcade 84 est largement structurée autour de son café ; c’est là que commence la journée et qu’elle se termine et c’est là aussi que se croisent les encadrants, les patients, les usagers et le public. Le café est le lieu de la sociabilité, des liens avec l’extérieur, d’une succession d’entrées et de sorties. Les usagers y passent un moment de leur journée ; un artisan du quartier, qui a aidé à la création de l’Atelier bois et qui propose des livres d’occasion dans la vitrine, y prend tous les jours son café et son dîner ; un patient venu pour s’excuser et annoncer son absence, ces prochains jours, d’un atelier, en profite pour discuter de choses et d’autres ; les deux facteurs du quartier s’y rendent encore tous les jours à dix heures au moment de leur pause. Le café fait aussi salle d’attente pour les usagers et les patients qui attendent un entretien ou pour une place en atelier. Il est enfin le lieu d’une activité culinaire mise en place pour faire travailler les patients et contribuer au financement de l’association. A midi, les tables étant souvent toutes occupées par des clients du quartier, il n’est pas rare de voir usagers et clients assis aux mêmes tables. Ainsi une personne extérieure aurait quelque difficulté à deviner qui est client et qui est patient.
Les activités
11Il existe, aujourd’hui, à Arcade 84, six activités différentes : l’Atelier cuisine effectué tous les matins et encadrée par trois animatrices différentes. Une de ses animatrices encadre aussi l’Atelier création (trois demi-journées) et l’Atelier d’écriture (une demi-journée). L’Atelier bois (cinq demi-journées) est donné par le même ergothérapeute qui assure le suivi de l’Atelier photo, même si celui-ci est géré par une photographe professionnelle. Enfin, un troisième ergothérapeute s’occupe de l’Atelier informatique trois demijournées par semaine.
Atelier cuisine
12Cet atelier est quotidien, il permet de préparer tous les jours le repas qui sera servi aux clients entre midi et 14 h 00. Selon les jours, le menu et le nombre de patients et d’usagers présents (entre trois et cinq), la quantité de travail peut être très différente, mais l’ordre des choses reste similaire : l’encadrante, après avoir choisi un menu et avoir fait les courses, retrouve certains patients au café, les autres arrivant au cours de la matinée. Le début de l’activité commence ainsi par les salutations, mais surtout par la mise d’un tablier blanc, par la présentation du menu et par la répartition des rôles. Aujourd’hui, ce sera « soupe, crudités, tarte aux poireaux, carottes, et mousse au citron » et hier « soupe de céleri ou petite crudité, poulet pruneau-épices, semoule de blé et légumes mijotés, gâteau aux fruits des bois ». Un ergothérapeute rappelle ce que laissait aussi entendre Goffman dans Asiles (1968) : « Les études faites en institution montrent comme tous les usagers se plaignent de l’alimentation. Donc, ici, nous faisons un gros effort sur ce point. Parce que les gens avec problèmes psychiques ont tous des troubles alimentaires. »
13A l’Atelier cuisine, l’encadrante est toujours présente ; c’est elle qui accueille les clients, c’est elle qui sert les cafés et autres boissons ; c’est encore elle qui assure une grande part de l’activité, qui n’est pas fondée sur la vitesse d’exécution et laisse, au contraire, « chacun prendre son rythme ». L’animatrice prend aussi en compte les envies et les goûts des uns et des autres ; comme une usagère dit ne pas connaître un certain type de saucisse, l’ergothérapeute promet de l’inscrire au menu de la semaine suivante.
14L’activité culinaire proposée permet de développer des liens importants entre usagers parce qu’ils suivent cet atelier sur de nombreux mois, parce qu’ils se voient chaque semaine et qu’ils prennent la pause et le dîner ensemble. L’étroitesse de la cuisine renforce le sentiment d’appartenance commune et la promiscuité : les cuisiniers partagent les mêmes plans de travail et les mêmes ustensiles, ou vont s’asseoir à une table du café pour couper quelques légumes.
15Deux autres patients lavent la vaisselle et nettoient la cuisine l’après-midi, contre rémunération. Ils arrivent à 14 h 00, à la fin du service en salle, et ont deux heures et demi pour achever la tâche, avant que le lieu ne ferme. De l’avis des ergothérapeutes, c’est l’activité la plus difficile, parce qu’elle est soumise à la pression du temps72.
Atelier bois
16L’Atelier bois a lieu dans des espaces séparés du café, dans les deux autres arcades donnant sur la rue. Ici, les usagers portent des tabliers verts (mais l’un d’eux apportera son propre bleu de travail). Il se déroule sur cinq demi-journées, mais compte des taux de fréquentation très variés, de une à cinq personnes. Surtout, au contraire de l’activité cuisine qui n’aurait pas de sens à être menée l’après-midi, l’Atelier bois, comme les autres ateliers, peut être utilisé de manière libre et autonome par des usagers du centre de jour. Chaque patient s’étant trouvé une place dans l’une des deux arcades, avance dans son activité, supervisé par un ergothérapeute. Les activités proposées posent peu de difficulté en elles-mêmes (beaucoup de ponçage) et semblent s’adresser à un public parmi les plus précarisés et les plus isolés, dont le repli se remarque bien lors des pauses, toujours très silencieuses. D’ailleurs, aucun de ces participants ne reste pour le dîner en commun.
17Au contraire de la cuisine dans laquelle l’encadrante est omniprésente et encourage tous les patients à collaborer autour de la confection d’un même plat, l’Atelier bois se caractérise par une absence d’interactions entre patients et par la présence très ponctuelle de l’ergothérapeute, qui ne passera en effet que quatre ou cinq fois voir le déroulement de la tâche choisie par un usager, le laissant le plus souvent travailler seul. D’ailleurs, cet usager, encombré d’un gros meuble sous le bras, se rend à plusieurs reprises au café pour montrer à l’ergothérapeute, en discussion avec une autre personne, l’avancement de ses travaux et lui demander conseil.
Atelier informatique
18L’Atelier informatique s’étale sur trois demi-journées par semaine et met à disposition deux ordinateurs à la fois ; il concerne six personnes qui viennent chacune une demi-journée. Il a pour but de favoriser une certaine autonomie avec le programme Word : allumer l’ordinateur, écrire un courrier, l’enregistrer, l’imprimer, puis éteindre le tout. Cet atelier a lieu « entre deux portes », dans le secrétariat où se trouvent un des bureaux des encadrants, les agendas, le téléphone, les numéros pratiques, le fax, la photocopieuse et l’imprimante. Sur cette pièce débouchent l’Atelier création et l’Atelier bois ; il y a ainsi sans cesse du passage et du va-et-vient d’encadrants ou d’autres usagers.
19Dans ce lieu de transit, l’ergothérapeute lui-même ne reste pas statique non plus ; il ne fait souvent que passer. Seuls les patients restent assis, immobiles, de bout en bout de la séance, à se concentrer sur ce qu’ils font. L’informatique demande beaucoup de concentration mais, paradoxalement, son apprentissage s’effectue dans un espace qui n’y est guère propice. D’ailleurs l’apprentissage de l’informatique se limite généralement à une heure, alors que les autres activités durent la demi-journée (soit deux heures ou plus).
20L’observation des rapports entre l’ergothérapeute et les patients laisse apparaître la large indépendance accordée aux patients. Celle-ci ne confine cependant pas à de l’indifférence, elle est contrôlée, mais… de loin, ainsi que nous le montre l’exemple suivant :
21Alors qu’une patiente dit qu’elle n’a pas eu le temps de s’entraîner à la maison, l’ergothérapeute lui propose de lancer l’ordinateur, d’ouvrir un nouveau document de traitement de texte et de l’enregistrer. Ensuite, il lui donne une lettre à copier. Pendant tout ce temps, il n’est pas là ; il va à gauche, à droite, rencontre la comptable, passe envoyer un fax, puis revient voir si la tâche est terminée en contrôlant quelques dimensions de l’exercice, notamment l’usage ou non de l’aide-mémoire résumant les diverses manipulations à effectuer. La patiente dit avoir regardé, mais sans en éprouver réellement le besoin. « Alors on peut dire que c’est pour vérification », conclut l’ergothérapeute et il note l’évaluation sur un carnet. La patiente, avant de lui rendre le texte qu’elle a imprimé, dit vouloir encore le vérifier (elle a fait une erreur, a oublié de souligner un mot). Après avoir corrigé son texte et l’avoir réimprimé, elle remet le nouveau document à l’ergothérapeute qui commente : « donc exercice réussi, un oubli de souligner, c’est tout, bravo, en dix, quinze minutes ; vous pouvez le mettre dans votre dossier ». Il lui propose d’arrêter là pour aujourd’hui, parce qu’une heure de concentration, dit-il, c’est déjà bien. Elle acquiesce et s’arrête.
22Le travail sur la concentration semble donc primordial dans cette activité ; mais la question du « sens » de l’activité, de l’usage de l’informatique n’en est pas moins bien présente. Comme le dira l’ergothérapeute par la suite, la première usagère décrite ici, proche de l’autonomie avec Word, a le projet de faire un petit livre en anglais et a déjà beaucoup de matériau. Pour une autre, qui cherche des sites Internet proposant des agendas de conférences, l’ergothérapeute y lit aussi « une dynamique d’ouverture vers l’extérieur ».
Atelier de création
23L’Atelier création, enfin, se caractérise par le flou de ses horaires de début et d’arrêt des activités. S’il y a d’ordinaire trois patients à la fois (mais il peut y en avoir de un à cinq selon les jours), tous ne débutent pas l’activité en même temps, mais au gré de leurs arrivées. Ainsi, très souvent, quelques personnes sont déjà là en train de travailler quand l’ergothérapeute arrive. Chacun s’adonne, comme bon lui semble, à la technique créatrice de son choix (dessin, peinture, broderie) et avance à son rythme. L’ergothérapeute confirme cette liberté de choix : « Je ne fais pas d’animation globale, chacun vient avec ses idées personnelles. Souvent, les gens s’inscrivent parce qu’ils ont un bon souvenir des cours de dessin à l’école, ou juste l’envie d’essayer. Ou bien, pour des gens qui ont vécu un gros stress, l’enjeu peut être simplement de faire quelque chose à son rythme propre, sans pression. Une simple envie de s’exprimer. Chacun s’approprie une technique. Pour l’une c’est la broderie ; ses affaires sont là, mais je ne m’en occupe pas (à part pour l’organisation d’une exposition), pour d’autres c’est la peinture. Mon rôle, c’est être là sans être là, c’est assez délicat. Je n’ai pas envie de donner un cours ; je suis plutôt comme sur un chemin parallèle, j’accompagne les personnes, je témoigne du chemin parcouru, mais j’influence le moins possible… je donne des tuyaux, des conseils techniques, mais j’accompagne aussi les ratures, les échecs. Et je ne suis pas présente à 100 %, j’en profite pour faire d’autres choses. Mon rôle est de faire en sorte que chacun se sente bien, et ce n’est pas forcément facile. » On retrouve ici cette double dimension, déjà présentée et sur laquelle nous reviendrons encore, de valorisation de la sociabilité et de l’autonomie, sans nécessairement les relier à un respect de règles et de contraintes ainsi que nous l’avons vu pour les autres lieux de réinsertion.
24A Arcade 84, le sentiment de confort personnel et les rapports de sociabilité semblent passer bien avant l’exécution d’une tâche. A l’exception des activités culinaires qui, elles, sont soumises à un horaire précis, chacun a, de manière non formelle, « sa » place et l’occupe comme il le souhaite. Comme l’analyse un patient : « Il y en a qui parlent beaucoup et d’autres qui sont plus silencieux. Il y a deux semaines, une personne m’a parlé pendant deux heures : son énergie n’était pas centrée, elle partait dans tous les sens. Cela me dérangeait car je dois, moi, faire attention à rester centré, sinon, autrement, cela peut parfois tourner dans ma tête… Dans ce cas, le soir, chez moi, je m’assieds, j’essaie de bien manger et de tout reposer. Mais si cela ne devait pas aller, s’il me fallait absolument du silence, je le dirais. » Il rajoutera plus tard qu’ici il se sent respecté, qu’il y a une bonne énergie, qu’il se sent bien.
Le rapport à soi et aux autres
25La question du rapport à soi et du rapport aux autres comme structurant les activités apparaît vite comme plus importante que l’exécution des tâches elles-mêmes. Si le choix des activités est totalement libre, l’encouragement à la sociabilité est activement pratiqué. En témoigne cet entretien de l’ergothérapeute avec une patiente qui suit l’Atelier informatique et qui ne s’arrête jamais au café : « Peut-être pourriez-vous, après l’atelier, essayer de rester un moment, pour boire un café ?
— J’ai toujours le sentiment de m’imposer.
— Mais on peut l’intégrer au programme : vous resteriez simplement un moment dans l’espace café, cinq ou dix minutes, pour lire un article dans un journal.
— Cela va être difficile.
— Je ne veux pas vous pousser dans des situations qui vous tendent ; néanmoins parfois, le bénéfice ne se voit pas tout de suite, mais avec le temps.
— Je ne me sens pas prête.
— Alors peut-être plus tard, on en rediscutera.
— Dans cette ambiance épanouie, je me sens comme un poisson hors de l’eau. »
26Plus largement, les activités proposées et les postures adoptées, tant par les usagers et les patients que par les ergothérapeutes, semblent s’inscrire sur un continuum, allant de celles qui exposent le plus au regard et à la communication avec autrui à celles qui permettent d’éviter une trop forte sociabilité. Les activités sont aussi tantôt conçues comme très peu normées (l’Atelier création par exemple), tantôt comme relativement contraignantes (il s’agit, par exemple, de terminer le repas ou la vaisselle dans un temps limité, d’acquérir des connaissances de base en informatique ou de ne pas prendre des risques inconsidérés avec les outils de menuiserie ou d’ébénisterie). Il y a, nous semble-t-il, une double gradation : d’abord dans le degré de difficulté lié à la sociabilité développée dans les différents ateliers (l’Atelier informatique permet un certain isolement que l’Atelier écriture n’autorise pas puisque tous les participants se font part de leur production ou sont appelés à travailler ensemble), ensuite dans les difficultés techniques liées à la tâche elle-même. La participation aux différents ateliers semble ainsi pouvoir se lire comme l’expression de différents « paliers d’autonomie » et comme l’expression du degré de facilité/difficulté des usagers dans leur rapport à eux-mêmes et à autrui. Cette autonomie et la qualité du rapport à autrui sont d’ailleurs évaluées dans la présence ou non des usagers au café et dans les entretiens que nous analyserons ci-dessous.
27Par comparaison avec d’autres lieux de réinsertion, on précisera aussi que l’activité n’est pas d’abord pensée comme vecteur de réinsertion professionnelle (les patients – il convient de le rappeler – sont très souvent rentiers AI et ne seront plus jamais confrontés au marché de l’emploi, à moins de bénéficier d’une rente partielle ou d’être pris dans un processus de réadaptation). Même si les usagers du centre de jour sont relativement libres – au contraire des patients en ergothérapie, ils ne sont, par exemple, pas obligés d’avertir de leurs absences – les activités proposées à Arcade 84 sont considérées comme des vecteurs d’intégration (prise de confiance, d’autonomie, développement cadré du rapport aux autres, autoréflexivité et travail sur l’identité de personnes handicapées psychiquement) au sens fort du terme, mais sans que la notion implique d’emblée, comme dans tous les autres lieux (ou presque, le Bilan portfolio de compétences faisant un peu figure d’exception) un lien avec la réinsertion dite professionnelle.
Les entretiens
28Nous avons pu assister à douze entretiens. Les deux ergothérapeutes responsables ont des entretiens à rythme régulier avec les usagers. Le rythme est rarement mensuel et souvent interrompu par des usagers qui ne viennent pas aux rendez-vous. Ainsi, y a-t-il de nombreuses journées sans aucun entretien. Pour les patients, les « bons d’ergothérapie », c’est-à-dire les ordonnances délivrées par les médecins, couvrent le plus souvent neuf séances, renouvelables, ce qui signifie un entretien d’évaluation tous les deux ou trois mois ; pour les usagers en centre de jour, les entretiens sont annualisés. La plupart des entretiens observés furent donc des rendez-vous de présentation de la structure à des patients potentiels qui, de leur propre chef, sur conseil de leur médecin ou encouragés par leur AS de l’Hospice général ou de la Consultation psychiatrique73, viennent pour trouver une occupation dans cette structure.
29Seuls les deux ergothérapeutes fondateurs effectuent les entretiens ; ils transmettent ensuite les informations recueillies aux autres membres de l’équipe durant leurs réunions d’équipe (nous y reviendrons plus loin).
30A la différence d’autres structures qui privilégient des lieux clos pour effectuer les entretiens, à Arcade 84, la rencontre débute au bar, qui fait office de réception. Un responsable « propose »74 une boisson aux usagers qui attendent que l’ergothérapeute vienne les chercher pour les conduire au « petit salon ». Récemment aménagé, ce salon dégage une ambiance très singulière : petite chambre carrée aux murs blancs, au sol recouvert d’une moquette rouge orangé et meublée de deux fauteuils et d’un canapé vert clair ; les coussins sur le canapé reprennent ces deux couleurs (vert clair et rouge orangé) donnant à l’ensemble une unité et une douceur, que complètent encore une peinture à l’huile (nature morte florale), un massif de branches, une lampe à pied en papier chinois et une bibliothèque (presque vide) derrière les fauteuils. Au centre de la pièce, une table de salon réalisée par un usager qui met en valeur, comme au café, le travail effectué dans la structure de réinsertion. Ce lieu semble « hors du monde », comme protégé ou isolé, probablement parce que, ne donnant pas directement sur la rue, il ne bénéficie d’aucune fenêtre et qu’il faut aussi traverser un dépôt de meubles pour y accéder. Une fois à l’intérieur et la porte fermée, c’est un lieu très silencieux, chaleureux et harmonieux du fait de l’homogénéité des meubles aux couleurs assorties. Ce n’est donc pas un bureau, mais un salon qui accueille les entretiens ; d’ailleurs aucun signe ou symbole ne vient rappeler le travail et le contrôle administratifs : point de table de travail, de téléphone ou d’ordinateur pour venir troubler la quiétude des lieux ou signifier une hiérarchie spatiale entre les protagonistes (les ergothérapeutes et les usagers s’assoient indifféremment sur les fauteuils ou le canapé). Les ergothérapeutes prennent parfois des notes, mais toujours avec la plus grande discrétion.
Les premiers entretiens
31Les premiers (et seconds) entretiens servent à la prise de contact, à une présentation réciproque de l’usager et de la structure75. L’ergothérapeute, dans ces entretiens, tente de comprendre la demande de l’usager, de comprendre la manière dont est structurée la semaine de la personne, afin d’« évaluer si la structure est le lieu adéquat pour la personne ». L’entretien s’oriente en premier lieu sur la « demande » de l’aspirant-patient (« quelle est votre demande, qu’est-ce que vous voudriez faire ? ») et laisse les questions administratives pour plus tard (le demandeur est-il bien « en attente AI » ou « rentier AI » ? son assurance délivre-t-elle des bons d’ergothérapie ? son numéro d’assuré ? le nom de son médecin ? son diagnostic ?). Ainsi, y a-t-il clairement inversion avec le type d’accueil qui est effectué à l’Hospice général, les AS étant forcés de contrôler les demandes avant de se « montrer à l’écoute » de leurs visiteurs. A Arcade 84, l’entretien semble essentiellement orienté vers la compréhension, non seulement du parcours scolaire et professionnel, mais surtout des dimensions sociales de la vie de l’aspirant-patient, à travers un questionnement sur ses occupations, demi-journée par demi-journée, et ses sociabilités (médecin, AS, amis, famille, structures de jour, etc.). Et ce n’est qu’en fin d’entretien que l’ergothérapeute présente les différentes activités, les différents ateliers et la structure du dispositif, notamment la division entre centre d’ergothérapie et centre de jour.
32Toutefois, au-delà de ces éléments d’interconnaissance et de présentation, cet instant opère aussi comme occasion de tri ; si ce lieu connaît peu de contraintes, il en a néanmoins un certain nombre, telles que l’affiliation concrète ou potentielle à l’AI et le fait de se déterminer librement (et non sous la pression de son AS, par exemple76), mais surtout de n’être ni en crise, ni en période de toxicodépendance.
33Un ergothérapeute à un aspirant-patient : « Nous, ce que nous faisons ici, c’est les problématiques psys ; les limites que nous avons, c’est par rapport aux personnes qui consomment ; pour nous, on ne prend que ceux qui ont au moins six mois sans consommation, parce que nous n’arrivons pas à maîtriser les dynamiques des personnes en consommation. Cela pour deux raisons : d’abord, nous sommes un lieu ouvert et on ne peut donc pas maîtriser la circulation du produit. J’ai travaillé dix ans avec des personnes en toxicodépendance, donc je connais la problématique. La deuxième raison, c’est que des personnes viennent ici pour sortir du réseau, pour avoir des liens avec d’autres personnes (…). Ce n’est pas lié à une personne, mais à une dynamique. Si on est compétent ou non. Je sais par expérience que dans un lieu ouvert comme celui-ci, on ne maîtrise pas les liens, les relations. » Il faut donc, conclut-il, n’avoir affaire qu’à des personnes abstinentes. Pour celles qui n’ont pas encore réussi à arrêter leur consommation de psychotropes, « la porte reste ouverte » et ils sont encouragés à revenir.
34La structure peut aussi se révéler trop exigeante pour certains. Ainsi, à propos d’une dame visiblement très angoissée que l’entretien semble perturber de manière excessive, l’ergothérapeute dira, « ici, c’est trop dur pour elle, c’est peut-être déjà trop contraignant ». Mais dans tous les cas, aucune réponse n’est rendue immédiatement, le processus voulant que l’ergothérapeute en discute toujours en séance d’équipe et que la décision soit prise de manière collective. L’ergothérapeute : « Alors voilà, j’ai les éléments qui me permettent d’expliquer votre demande à l’équipe. Je ne vous donne pas de réponse immédiatement ce soir, on se laissera du temps de réflexion ; de votre côté, vous en discutez avec les personnes qui vous entourent, vous réfléchissez si c’est un lieu qui peut vous faire du bien, vous être utile. Nous aurons un contact téléphonique la semaine prochaine. Nous, en équipe, nous allons voir si nous sommes compétents pour vous accompagner, si nous sommes prêts, et vous, si vous pensez que c’est le bon endroit. Et si nos avis concordent, alors il nous faudra accomplir quelques petites démarches administratives, notamment pour les bons d’ergothérapie. Vous m’appelez mercredi matin ? », conclut l’ergothérapeute, soucieux de signifier à son interlocuteur qu’il lui appartient de reprendre contact de sa propre initiative.
35Il y a assurément, dans cette manière de faire, dans ce délai donné à la réponse, dans la demande faite à l’aspirant-patient de reprendre contact, dans la suggestion de discuter avec d’autres personnes de son intérêt pour Arcade 84, une « mise à l’épreuve » du futur patient, de son intérêt pour la structure ou de sa capacité à se rendre à deux rendez-vous distincts avant de se voir réserver une place. Mais il y a aussi, plus largement, cette tentative toujours présente (et malgré une inégalité de fait dans la relation, en raison non seulement de l’inégalité de pouvoir qu’il y a entre un « demandeur » et un « pourvoyeur », mais plus encore de par la maladie de l’aspirant) d’établir une relation horizontale et égalitaire qui laisse aux deux parties en présence le temps de réfléchir.
Les entretiens d’évaluation
36Les entretiens d’évaluation, comme les premiers entretiens, fonctionnent sur le modèle de questions très ouvertes qui doivent permettre au patient ou à l’usager de se dire et de s’exprimer sur les activités qu’il poursuit. Surtout, dans les quatre entretiens que nous avons pu observer, on l’enjoint à faire part du sens qu’il y trouve. Tous ces entretiens se reproduisent sur le même canevas, dans l’absence totale (du moins dans les entretiens observés) de propos normatifs. Point donc d’injonction de la part des ergothérapeutes, mais des questions ouvertes et des interrogations sur l’autonomie du patient dans les activités développées, au sein de la structure comme en dehors de celle-ci. Des questions aussi sur sa satisfaction ou sur sa déception quant aux activités exercées. Et enfin, une interrogation sur le suivi médical ou administratif. Très clairement, les responsables d’Arcade 84 cherchent moins à contrôler le comportement ou les « progrès » de leurs consultants qu’à prendre globalement en considération la vie des patients et la place qu’occupe Arcade 84 dans leur quotidien, bref, de comprendre le sens (ou la signification) que leur présence dans cette structure prend dans leur existence actuelle. Cela dit, les entretiens, quand ils concernent des patients (et non des usagers), se concentrent plus largement sur les apprentissages effectués, ainsi que le montre cet entretien de l’ergothérapeute avec une patiente de l’Atelier informatique accompagnée de son AS de la Consultation psychiatrique : « Dites-moi ce que vous avez appris ?
— Entrer dans l’ordinateur, aller dans Word, écrire une lettre.
— Vous avez bien appris, vous réussissez toutes ces choses ; il faudrait encore une pratique d’entraînement, s’exercer pour maintenir ; vous avez réussi à ouvrir un dossier, à engager un travail sans avoir recours aux notes. » Après avoir énoncé à nouveau toutes les manipulations apprises, l’ergothérapeute explique : « Juste de temps en temps, il vous manque un automatisme.
— [L’AS] Déjà cela, cela donne un sentiment de satisfaction, d’avoir appris quelque chose, de pouvoir avoir une autonomie ; moi aussi, quand j’ai appris quelque chose, je me sens déjà bien.
— [La patiente] Et l’ambiance aussi. J’apprécie bien.
— [L’ergothérapeute] Et malgré vos difficultés, vous avez appris, vous avez la capacité de vous adapter à un espace nouveau. La question qui pourrait se poser, ce serait d’entrer en relation plus directe avec des personnes, dans un groupe. Comment appréhendez-vous l’idée d’être davantage en contact avec des gens ? »
37L’évaluation est ainsi faite de manière conjointe, tout en gardant la plus étroite proximité entre ce qui est demandé aux patients, ce dont ils ont envie et ce dont ils se sentent capables.
Les séances d’équipe
38Les séances d’équipe sont hebdomadaires et se déroulent sur une fin d’après-midi. Elles servent notamment à se prononcer sur ceux qui ont postulé pour être pris en charge dans la structure. Les ergothérapeutes y présentent aux autres encadrants les dossiers des aspirants-patients, prennent les décisions de les accepter ou non, échangent des informations sur ce qui s’est passé dans les différents ateliers, les problèmes ou les progrès survenus. S’il y a lieu, ces après-midi laisseront place à des moments d’intervision, c’est-à-dire d’échanges de conseils sur les pratiques des uns et des autres. Largement ritualisées, ces séances commencent par l’échange d’informations diverses (carte postale reçue, salutations diverses, nouvelles d’un ancien usager, etc.), puis sont passés en revue des rendez-vous effectués et des téléphones reçus dans la semaine. Un ergothérapeute note les informations échangées et apprises sur les patients et les usagers. Il peut être conduit à relire ce qui fut noté lors d’autres séances antérieures. Certaines informations sur certains patients sont très courtes (attente des bons d’ergothérapie, absence au rendez-vous, hospitalisation, etc.). Pour d’autres, il s’agit de rendre compte plus largement du vécu au sein d’Arcade 84, comme le montre le rapport suivant : « Il a arrêté l’ergothérapie en août, puis a commencé en centre de jour. Mais en fait, il est juste venu faire quelques meubles pour lui, emprunter des outils sans fréquenter le café. Cet espace-là, c’est clair, cela ne l’intéresse pas. Je suis sûr qu’il peut gérer une journée correcte ; il n’a plus de psychologue, plus de médicaments, il peut avoir des journées agréables. » En raison des postes de travail à temps partiel des uns et des autres, le croisement des observations permet de rendre plus riche la perception de chaque patient.
39Par rapport aux interactions observées dans les CASS, à l’Hospice général, les ergothérapeutes catégorisent peu d’emblée leurs patients. Si, en commentaire à des entretiens, et afin de préciser la situation d’un patient, un ergothérapeute peut parler de « cas classique de dépression » ou de « maniaco-dépressif », ces catégories ne ressortent pas ou peu dans les discussions. Les encadrants parlent en effet toujours des différents usagers en mentionnant leurs noms ou prénoms. Le diagnostic des médecins précède l’entrée à Arcade 84. Dès lors, les encadrants de la structure se donnent surtout pour tâche d’observer des individus en action, ils font peu référence à des pathologies spécifiques et semblent se concentrer sur l’ensemble des interactions se développant à Arcade 84.
Le rapport à l’activité
40L’activité joue ici le rôle d’un soutien (c’est « soutenir par l’activité » disait un ergothérapeute) au traitement offert par ailleurs par le médecin responsable du patient. Elle doit permettre une stabilisation ou un mieux-être face aux troubles psychiques, mais n’a pas pour mission première d’œuvrer à la réinsertion professionnelle.
41Contrairement aux autres structures observées (surtout Réalise), la question du sens de l’activité apparaît ici comme primordiale. L’adéquation entre les aspirations des patients et l’activité qui leur est proposée est un souci toujours présent dans les propos des encadrants et la découverte de l’absence de sens de l’activité pour un usager, comme lorsqu’un patient à la cuisine se dit peu intéressé à cuisiner végétarien parce qu’il ne l’est pas, amène l’encadrante en charge de l’activité à lui proposer de changer de jour. A l’Atelier informatique, de la même manière, nous avons vu comment les deux patientes avaient chacune un objectif à travers leur apprentissage de l’utilisation d’un ordinateur. Ainsi, au contraire du public rencontré dans d’autres lieux de réinsertion, aucun usager d’Arcade 84, dans le cadre de notre observation, ne questionne le statut de ce qu’il fait dans ce lieu. Il y a adhésion complète ou alors défection, du moins temporairement (nous y reviendrons dans la conclusion). Plus largement, si les « entreprises de réinsertion » travaillent à mettre en conformité des individus avec les demandes du marché de l’emploi non qualifié, Arcade 84 travaille à ce que des personnes désinsérées (ici au sens d’isolées et d’insécures) renouent des liens sociaux et retrouvent leur place dans certaines formes de sociabilité.
42Toutefois, même si l’activité n’est pas à proprement parler professionnalisante et que la rémunération ne devrait pas constituer un critère pour le choix des activités, la question de l’argent n’est pas absente des motivations à fréquenter la structure. Les boissons lors des pauses en atelier sont gratuites ; le repas est offert aux participants ayant œuvré en cuisine ; dix francs la demi-journée sont payés à ceux qui travaillent à l’Atelier cuisine et de trente francs à ceux qui, en plus, font la vaisselle. Les participants de l’Atelier bois touchent également une modeste rétribution, financée par des clients extérieurs pour la restauration de meubles. Les repas sont à moitié prix pour tous les patients et coûtent dix francs, avec une boisson, pour les usagers. Les activités ne sont pas toutes rémunérées : « Les ateliers création, écriture ou photo ne permettent aucune rétribution, on y vient pour se faire du bien ; seules sont rémunérées les activités qui sont en rapport avec le public », explique un ergothérapeute à un patient. Le bien-être et la sociabilité sont mises en évidence, mais ne doivent pas cacher que les préoccupations financières sont aussi bien présentes. D’ailleurs, lors des premiers entretiens, les patients posent souvent la question de savoir ce qui est rémunéré et ce qui ne l’est pas, leurs moyens étant parfois limités. C’est, par exemple, le cas d’un jeune homme qui, comme le raconte une ergothérapeute, est déjà venu six fois, parce qu’il veut gagner de l’argent : « Avant, il restait chez lui, payait ses factures, bénéficiait de l’AI et de l’OCPA, et pouvait conserver environ trois cents francs par semaine pour vivre. Maintenant qu’il habite dans un Centre, le loyer est très coûteux et il ne lui reste plus que septante francs par mois d’argent de poche. Il cherche donc quelque chose ici, mais il faut savoir qu’à Arcade, on ne s’enrichit pas. »
La confrontation aux encadrants
Entre relation thérapeutique et compassionnelle
43Chronologiquement et de manière générale, les relations « encadrants-bénéficiaires » débutent sous la forme d’une relation médicale « ergothérapeute-patients », puis se poursuivent, dans le cadre du centre de jour, dans une relation « encadrants-bénéficiaires ». Il y a alors une interconnaissance qui se développe au fil du temps, souvent traduite, dans les faits, par un passage du vouvoiement au tutoiement.
44Quelques patients (un seul lorsque l’ethnologue était présent) bénéficient, à leur demande, d’un soutien plus important de la part d’un ergothérapeute, qui peut alors occuper une place centrale dans le « réseau » du patient. Les entretiens d’évaluation sont alors complétés, très régulièrement, par d’autres entretiens où sont discutés les projets du patient, où sont posés d’autres objectifs, durant lesquels se discutent les liens avec les autres acteurs du réseau. L’ergothérapeute devient alors un confident privilégié et un médiateur de la relation par ailleurs entretenue avec l’AS ou le médecin. Ce rôle de médiation des encadrants dans des structures de réinsertion (il n’est pas rare, nous avons pu l’observer également aux Fringantes et au Bilan portfolio de compétences) nous semble signifier la prise en compte d’une dimension peu abordée dans le cadre de l’Hospice général, à savoir la difficulté des relations qu’il peut y avoir entre des usagers et des intervenants de l’action sociale. Au sein même d’Arcade 84, il semble, par exemple, tout à fait admis que des patients ou des usagers puissent mieux s’entendre avec un encadrant qu’avec un autre. Ainsi, avoir des ergothérapeutes différent(e)s selon les jours, c’est aussi laisser la possibilité aux patients et usagers de privilégier l’un plutôt que l’autre, un privilège qui n’est guère possible dans les autres structures, et en particulier à l’Hospice général où les bénéficiaires ne peuvent pas changer d’AS de leur propre gré. Un ergothérapeute note à propos d’un patient : « Il a eu, au début, des difficultés à venir, il voyait dans une encadrante la figure de sa mère et l’évitait donc ; mais il a fait aujourd’hui du chemin et, après n’avoir fréquenté Arcade 84 que les jours où elle n’était pas là, il n’y fait plus trop attention : cela va aujourd’hui mieux. »
45A Arcade 84, il ne semble ainsi pas y avoir de tension entre la logique compassionnelle (ou d’accompagnement) et la logique thérapeutique (comprise, dans d’autres lieux, comme pouvant aller outre la volonté du patient), les deux, dans cette structure, se confondant. Les émotions sont fort présentes ici et apparaissent dans de très nombreux propos des encadrants ; elles ne sont pas tues mais semblent au contraire fonctionner comme un outil de travail. Les encadrants disent ne pas se positionner « contre » leurs usagers, dans un rapport à la fois frontal et contractuel, mais comme « en retrait » ; ils semblent s’effacer tout en étant très présents. Il y a là le refus d’une relation « adulte-enfant » ou « enseignant-élève » qui semble guider l’action des encadrants. Ainsi comprend-on pourquoi l’ethnologue s’entendit répondre, alors qu’il s’étonnait qu’on ne demandât pas aux patients cuisiniers de se laver les mains avant de manipuler les aliments : « je me vois mal leur dire à chaque fois de le faire, ce sont des adultes et ici on n’est pas à la maternelle ! »
Entre vie professionnelle et vie privée
46Tous les locaux de cette structure sont ouverts aux usagers. Les ordinateurs à leur disposition se trouvant dans le secrétariat même, tous les documents leur sont accessibles (la démarche qualité, les rapports d’activités, etc.), à l’exception bien sûr des dossiers rédigés sur chaque consultant et du classeur blanc (contenant les informations orales échangées lors des séances d’équipe) qui se trouvent sous clef dans une armoire. Cette absence de frontières se retrouve dans le style d’encadrement. Ainsi cette ergothérapeute qui, étant par ailleurs aussi monitrice de taî-chi et danseuse, ne fait pas secret de ses activités mais profite, bien au contraire, d’en faire publicité sur les panneaux d’affichage d’Arcade 84. Ainsi également cet ergothérapeute parlant de sa famille avec des clients et des usagers et dont la fille et le petit-fils viennent même dans les lieux quelques jours plus tard. Ces « passages » de la sphère privée à la sphère publique de l’association ne sont pas rares, tant de la part des encadrants que de celle de la famille des patients, comme lorsque des parents d’un patient l’accompagnent à Arcade 84 ou lorsque la mère d’une patiente de l’Atelier cuisine vient manger à midi un des jours où sa fille a participé aux activités culinaires. Cette posture, même si elle se combine avec des moments pour soi (les ergothérapeutes et les encadrants ne mangent, par exemple, que rarement au café, ils préfèrent « changer d’air ») est très différente de celle qu’adoptent la plupart des AS qui défendent assez précautionneusement, comme nous l’avons vu, leur sphère privée (pour se réserver, comme les encadrants d’Arcade, des moments de répit, mais pour éviter aussi, probablement en raison des prestations financières dont ils sont responsables, tout éventuel comportement de corruption ou d’agression).
La confrontation aux autres usagers
47L’observation des activités permet encore de voir ou d’entendre parler de l’existence de liens parfois importants entre différents usagers : un usager va boire des cafés, en dehors des heures d’ouverture d’Arcade 84, avec une usagère ; un patient demande à une patiente, pendant la pause de l’Atelier cuisine, si elle fait toujours du fitness ; d’autres se retrouvent dans d’autres structures ; un usager propose encore à ses pairs d’aller l’après-midi au cinéma, et certaines personnes disent s’être connues en hôpital psychiatrique ; enfin (mais la liste n’est pas exhaustive), une usagère et un usager vont jouer au badminton ensemble le mercredi. Arcade 84 fonctionne donc autant comme un espace d’activités que comme un lieu de mise en contact, dans la durée, de personnes parfois isolées.
48Si autrui est source de sociabilité, il peut aussi être facteur de trouble ou, plus encore, de frein dans le processus thérapeutique, du fait même de l’homogénéité qui caractérise les usagers. Ainsi, le partage d’un vécu quelque peu analogue peut susciter des liens ou, au contraire, engendrer un sentiment de répulsion, l’impression d’être enfermé dans un ghetto. Une usagère explique son départ de la structure quelques mois plutôt : « Ce que j’aime c’est réaliser des recettes, mais je ne veux pas peler des carottes au milieu de gens qui tirent la gueule (sic). Réaliser une recette du début à la fin, c’est intéressant, mais ces gens qui tirent la gueule me dépriment. Je ne viens pas ici pour me retrouver comme à l’hôpital psychiatrique… » Ou un autre usager, à propos d’un autre lieu destiné au même public : « Je vais à Espace-Parole pour des cours de chant, mais là-bas, je ne m’arrête pas au café, parce qu’il y a une ou deux personnes agressives ou psychotiques, et j’y sens alors l’atmosphère agressive. Une fois, une femme m’a raconté vingt mille choses et comme je suis un peu dépressif, je ne voulais pas les entendre. » On comprend alors l’importance donnée par les encadrants à l’entretien ou la gestion de l’« atmosphère » dans le dispositif, le souci que chacun se sente bien, tout trouble pouvant conduire à l’arrêt de l’activité et à la défection, qui constituent un signe d’échec pour une structure qui tente justement de réinventer une sociabilité adéquate pour des personnes souffrant de troubles psychiques.
Des relations avec l’extérieur
49Les relations à l’extérieur de la structure, de la même manière que les relations avec les autres usagers, peuvent être très différentes quant à leur ampleur et à leur fréquence. Entre les patients qui participent à de nombreuses activités dans différentes structures et ceux dont Arcade 84 est la seule sortie de la semaine, l’écart peut être très important.
Rapport aux autres structures
50Arcade 84 n’est ni un lieu de prise en charge totale ni un lieu d’apprentissage professionnel, mais un lieu « de vie, de soin et d’activité » (Rapport d’activité 2002), inscrit dans un réseau important d’intervenants divers, qui peuvent être aussi bien médicaux, sociaux que familiaux, ces éléments pouvant même être mélangés, comme lorsque la mère d’un patient est elle-même psychiatre, ou comme lorsqu’un patient fait de la peinture dans une consultation psychiatrique.
51La possibilité même que les patients souffrant de troubles psychiques aient connaissance d’Arcade 84 dépend aussi des intervenants de l’action sociale qui s’occupent d’eux. En effet, aussi bien l’ethnologue que les encadrants observent qu’un médecin et une AS des consultations psychiatriques de quartiers différents sont deux vecteurs importants d’orientation de leurs consultants vers Arcade 84. La fréquentation de la structure relève donc non seulement d’une offre, mais aussi de l’action des « aiguilleurs » que sont les AS sélectionnant certaines structures en fonction de leur connaissance du réseau et de leurs affinités.
52Il existe aussi les lieux où les patients sont obligés de se rendre tout en venant à Arcade 84 (on pense ici aux rendez-vous médicaux pour les patients en ergothérapie, puisqu’Arcade 84 offre un soutien thérapeutique) et les lieux où les usagers et patients peuvent se rendre en même temps qu’ils viennent à Arcade 84. Cette participation à d’autres activités et la question des structures déjà croisées, sont, comme nous l’avons vu, sans cesse évoquées lors des entretiens. Il apparaît surtout une hiérarchie des structures, certaines étant des préalables nécessaires à d’autres. Arcade 84 joue souvent ce rôle de « préalable », comme lorsque des médecins encouragent une patiente à venir là, parce qu’« ils veulent voir votre capacité à tenir un rythme, à avoir une stabilité, en vue d’un travail protégé », ou dans la situation suivante commentée par un ergothérapeute : « Donc la patiente va commencer déjà tranquillement avec la cuisine, puis ensuite elle verra pour peut-être faire d’autres activités. Ensuite, elle pourra aller dans des structures comme Réalise, qui est à un niveau un peu supérieur, pour voir combien de jours par semaine elle peut avoir une activité régulière ; après, elle pourra peut-être rechercher un emploi. » Ce « travail en réseau » ou ce « travail en paliers » et, plus encore, les intérêts et les limites de chaque structure semblent bien compris par les différents intervenants. Chaque structure du champ de l’action sociale travaille alors autant par rapport à l’activité produite par les autres structures, par les difficultés qu’elles supposent, que par rapport à sa propre vision de l’aide77.
Rapport avec la clientèle et le quartier
53Toute structure signale, par sa gestion des contraintes liées à l’espace choisi ou imposé, une orientation citoyenne. Le Bilan portfolio de compétences ne dépasse pas le cadre de l’atelier, les Fringantes s’impliquent dans la cité sans toutefois vouloir se mettre trop en scène du fait de la stigmatisation liée à la prostitution (qu’ont exercée bon nombre des stagiaires), Réalise, au contraire s’efforce d’être le plus présent possible pour des raisons à la fois citoyennes et commerciales, Arcade 84 accorde une grande importance à l’ouverture sur le quartier et participe chaque année à une fête de rue.
54Outre les annonces culturelles qui se trouvent affichées au café, ainsi que nous l’avons expliqué au début de ce chapitre, l’extérieur se manifeste principalement par les divers clients qui fréquentent le café et dont la visite est recherchée. On voit ainsi passer nombre d’habitués et, à midi, tout le café est occupé par une majorité de clients non patients, comme ces ouvriers qui refont la maison d’en face ou ces institutrices du collège voisin. On peut d’ailleurs se demander si ce lieu n’a pas un public plus large que celui qu’il prend explicitement en charge : l’atmosphère particulière du lieu – petits prix, ergothérapeutes à l’accueil, chaleur de l’hospitalité – semble en effet attirer un certain nombre d’autres personnes peut-être isolées et se sentant plus à l’aise à Arcade 84 que dans un café de quartier. On notera toutefois que les contacts entre clients venant de l’extérieur et patients ou usagers ne sont pas fréquents, sauf lorsqu’ils partagent une table à midi (vu l’exiguïté des lieux). Ce sont généralement les encadrants qui communiquent avec les clients venus de l’extérieur.
Une vision de l’intégration particulière
55Comme nous l’avons vu dans ce qui précède, Arcade 84 occupe, dans le paysage des intervenants de l’action sociale genevoise et plus particulièrement par rapport aux autres structures que nous avons étudiées dans le cadre de notre recherche, une place particulière par son « seuil bas » d’abord, c’est-à-dire par le nombre minimum de contraintes imposées aux usagers et patients, et ensuite aussi par son ouverture sur l’extérieur grâce au café.
56L’intégration n’est ici pas professionnelle, mais bien reconnue et valorisée comme sociale. « Nous faisons de la socialisation permettant de sortir de la chronicité institutionnelle », insiste un ergothérapeute. Tous les usagers bénéficiant ou devant bénéficier de l’AI, la réinsertion professionnelle n’est très souvent même pas à l’horizon. L’absence d’incitation à la réinsertion sur le marché conventionnel de l’emploi ne signifie pas que toute évaluation des compétences soit négligée. Celle-ci s’élabore comme par pointillisme dans l’espace relativement exigu que nous avons décrit et qui permet, rappelons-le, de voir sans observer formellement. Il y a comme la volonté d’adopter un rapport « doux », lent ou patient aux choses et aux événements, respectueux des rythmes de chacun. Ce rapport aux choses semble se retrouver dans d’autres choix opérés dans la gestion du lieu, comme la forte présence de produits bio dans la cuisine ou l’achat du jus de pommes à un producteur local. Cette posture quasi politique se reflète enfin dans les magazines mis à disposition du public (le journal féministe l’Emilie et le quotidien indépendant Le Courrier).
57Cette pratique exprime certes un idéal particulier de ces acteurs de l’action sociale, mais nous semble surtout liée – en cela la comparaison avec l’Hospice général est édifiante – à un ensemble de contraintes radicalement différentes, aussi bien en ce qui concerne les choix organisationnels et les publics pris en charge, que le type d’aide délivré, les trois étant naturellement liés. Si l’Hospice général est une institution de droit public fonctionnant selon un modèle administratif, avec des centaines d’employés, délivrant une aide financière et proposant des mesures de réinsertion à ses bénéficiaires (l’objectif étant leur retour au plus vite à une indépendance financière), Arcade 84, pour sa part, est une petite association, de sept employés, qui prend en charge des patients le plus souvent financièrement indépendants (rentiers AI ou en attente AI) parce que déclarés invalides. L’approche est donc largement différente, le retour au travail salarié et non protégé n’étant pas directement l’objectif de cette structure ; celle-ci travaille bien plus sur l’« être à soi » et l’« être au monde » des usagers, elle doit servir de passerelle entre un isolement à domicile et la participation à des activités sociales, non protégées ou protégées. La question de l’intégration ne se pose donc non pas en termes de finance, de formation ou d’employabilité, mais plutôt en termes d’isolement ou de non-isolement des personnes. La présence dans la structure s’assimile à la possibilité d’un retour à une sociabilité satisfaisante, non stressante. En conséquence, la structure se caractérise par l’absence de contraintes et de contractualisation, propres aux structures de remise à l’emploi (Hospice général, Réalise) dont l’enjeu est, pour une large part, de conformer les pratiques et les compétences des usagers au marché de l’emploi non qualifié. Si dans les autres structures observées, la réinsertion est largement différée dans un avenir plus ou moins lointain, Arcade 84 privilégie une intégration en train de se faire et de se construire dans le présent.
58En créant Arcade 84, ses fondateurs ont concentré leur attention sur les demandes des usagers plutôt que sur celles de tiers ; la présence d’un questionnaire de satisfaction est à ce titre exemplaire (à notre connaissance, il n’est présent dans aucune autre des structures que nous avons étudiées) : il est significatif de l’importance donnée au bien-être des usagers dans la structure et du souci d’adéquation entre ce que propose la structure et ce qu’en attendent les usagers. Cette adéquation conditionne le succès d’une structure dont le « seuil d’entrée est bas » mais aussi à « sortie aisée » (ces éléments étant, nous l’avons dit, à la base d’une approche se construisant contre un modèle institutionnel coercitif). L’« intégration volontaire à la structure », la volonté d’y venir, fonctionne comme un signe de la resocialisation. Pour reprendre des concepts chers à Hirschman (1995), une entreprise peut jouer sur les entrées et les sorties (sur son turnover), en établissant, ou non, des « droits d’entrée » élevés ou en pénalisant, ou non, fortement la « défection ». Un lieu dans lequel ni les droits d’entrées ni la défection ne sont coûteux, verra, dans une situation de concurrence, un important risque de défection en cas d’insatisfaction (et l’abondance de structures de réinsertion à Genève peut laisser penser à une situation de concurrence). A Arcade 84, c’est l’absence de défection – alors même qu’elle est aisée – qui signifie, pour les encadrants, la réussite de leur approche.
Notes de bas de page
67 Nous ne referons pas ici l’histoire de l’anti-psychiatrie genevoise ; mais on peut noter que les deux fondateurs de ce lieux se sont fortement impliqués dans ces débats (Riesen, 1981 et 1999 ; Riesen et Schuler, 1988) et qu’ils ont fondé Arcade 84 dans l’espoir de sortir des asiles les personnes souffrant de troubles psychiques.
68 Dans un souci d’anonymat relatif, les ergothérapeutes ne seront pas nommés, de même que nous appellerons « encadrant-e-s » les autres membres de l’équipe ou l’ensemble de l’équipe.
69 Dans les documents internes à la structure on peut lire que pour venir à Arcade 84 (centre de jour), il faut « 1) être bénéficiaire d’une rente AI, 2) souffrir d’un handicap psychique invalidant, 2) ne pas être contraint à demander son admission ». « Arcade 84 : les prestations : ‘L’engagement d’un usager dans une activité se fait dans une procédure d’admission-sortie se déroulant sur une journée. L’activité est proposée en réponse à une demande immédiate et se réalise dans l’instant. Il n’y a pas de projet au-delà’. ‘La demande répétée d’un usager induit dans le temps, une présence sur un court ou moyen terme, lui permettent alors une activité. Il y aura dans cette forme de présence la possibilité d’élaborer un ‘programme de continuation’ au sens de l’institution avec des repères d’évaluation formulés par les deux parties ayant une valeur sociopédagogique’. »
70 Si les deux fondateurs sont des hommes, une troisième ergothérapeute, une femme, a depuis été engagée, de même que trois autres encadrantes, deux s’occupant de l’Atelier cuisine et la dernière de l’Atelier photographie.
71 Cela rend la question de la dénomination du « public » ou des « bénéficiaires » de ces deux structures assez difficile, surtout que les encadrants y réfèrent par les prénoms. Nous avons décidé de garder leur terminologie de « patient » pour les personnes en ergothérapie et « usager » pour les personnes en centre de jour, afin de permettre une distinction lorsqu’elle est nécessaire – et même si nous avons quelques réserves vis-à-vis de cette dénomination, comme expliqué dans l’introduction. Le terme d’usager pourra parfois aussi englober l’ensemble du public.
72 On notera d’ailleurs que si la cuisine et la vaisselle sont faites par des usagers, le service est, lui, du ressort d’une employée. Il y a eu un choix des encadrants, dès le départ, de confier cette tâche à une employée, afin d’éviter au service des changements d’humeur ou de qualité (et donc d’ambiance), risque toujours présent avec des usagers dont la stabilité n’est jamais assurée.
73 Présente dans divers quartiers, la Consultation psychiatrique propose des soins ambulatoires visant à maintenir et favoriser l’intégration dans la communauté des patients psychiatriques présentant des troubles sévères.
74 Si, lors d’un premier entretien, le café est offert, il n’en va pas de même dans d’autres occasions. Mais alors, même si toute boisson doit être payée, son paiement est très souvent différé (le café n’étant pas payé à sa réception, mais lorsque la personne quitte les lieux) ; un « cahier du lait » existe aussi, dans lequel les usagers notent ce qu’ils doivent. Le délai de paiement ainsi autorisé semble participer d’un système de confiance et d’une prise en compte informelle des difficultés financières temporaires que peuvent rencontrer les usagers.
75 Six « premiers » et deux « seconds » entretiens ont été suivis.
76 On peut s’interroger sur la forme, rhétorique, de cette liberté, puisque nous avons vu que des AS de l’Hospice général cherchent à « convaincre » certains de leurs consultants de l’intérêt de ce type de structure.
77 Sur ces parcours, nous n’avons que peu de données ; à noter simplement que dans le Rapport d’activité 2003, il est écrit que, sur 87 demandes reçues, ils ont suivi cette année-là 56 personnes. Cette même année, neuf personnes ont quitté Arcade 84, une, pour un travail salarié à temps partiel, deux, pour des activités encadrées, une personne a été hospitalisée, une autre suit une thérapie, une est en pause avant de revenir, deux sont parties en voyage, et la dernière est décédée.
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