Chapitre III. Prise en charge et encadrement des bénéficiaires
p. 43-55
Texte intégral
Evolution du profil des bénéficiaires
1Les premières entreprises d’insertion, créées avant la crise économique des années 1990, s’adressaient en priorité à des personnes exclues du marché de l’emploi depuis plusieurs années et au bénéfice de l’aide sociale. Cette mise à l’écart était principalement liée à des problèmes sociosanitaires (toxicomanies, problèmes familiaux, santé physique et mentale, problèmes de logement, endettement, etc.). La plupart de ces personnes étaient sans qualifi cations. Certaines avaient une formation devenue obsolète avec l’évolution de l’économie (Weyer et Dunand, 2004).
2Avec le développement du chômage au début des années 1990, une nouvelle catégorie de personnes exclues du marché de l’emploi est apparue. Il s’agit de femmes et d’hommes peu ou pas qualifiés, souvent illettrés, qui ont eu une carrière professionnelle, peut-être modeste dans les responsabilités assumées mais sans rupture. Ils se sont retrouvés démunis face à cette situation totalement nouvelle. La méconnaissance de leurs droits et devoirs et des rouages administratifs complexes du dispositif d’aide au retour à l’emploi conduit les plus fragiles à un processus de marginalisation. Paugam (2000) parle de « travailleurs précaires » pour qualifier les personnes fragiles encore en emploi, mais qui risquent de perdre leur travail bientôt et de ne plus en retrouver facilement un autre.
3Cette fragilité, ou cette précarité, peut découler de facteurs très divers, qui agissent parfois de manière cumulative. Les principaux facteurs rencontrés sur le terrain sont, dans un ordre non hiérarchique : une santé déficiente, un corps usé par des années de labeur pénible, une hygiène de vie déficiente, des niveaux limites de consommation de produits addictifs (alcool, drogues, médicaments principalement), un réseau social faible, un manque de qualifications, une diminution de revenu (entre le salaire et les indemnités du chômage), un logement précaire, des dettes, des problèmes juridiques ou administratifs ou une situation familiale difficile.
Evolution des handicaps économiques
4Au début des années 1990, ces « nouveaux exclus », du fait de leur éloignement récent du marché de l’emploi, avaient en général des compétences professionnelles supérieures à ceux exclus de longue date (première catégorie).
5Aujourd’hui, ces deux catégories, définies schématiquement, se confondent et forment, par leur besoin d’aide pour retrouver un emploi et prévenir tout processus de marginalisation, les principaux bénéficiaires des entreprises d’insertion.
6Cependant, les entreprises d’insertion s’adressent aussi à des personnes qualifiées ou sans problèmes sociosanitaires particuliers. Comme nous l’avons mentionné préalablement, plusieurs réflexions et projets en cours pourraient contribuer à développer dans certaines entreprises d’insertion des postes pour demandeurs d’emploi qualifiés. La croissance du nombre de jeunes diplômés sans emploi, dont nombre d’universitaires, ainsi que d’anciens cadres très expérimentés, ouvre la voie vers des entreprises d’insertion dont l’organisation et les activités pourront procurer une première expérience professionnelle utile aux universitaires et un cadre pertinent où les cadres expérimentés pourront exercer leurs compétences.
7Il faut donc relever que si une proportion significative des demandeurs d’emploi bénéficiant d’un placement en entreprises d’insertion ont des difficultés multiples, il serait faux de croire que les entreprises d’insertion ne sont que des ghettos de personnes non plaçables. Plusieurs entreprises d’insertion s’adressent d’ailleurs à des personnes dont le seul problème est le manque de formation, ou un besoin de reconversion professionnelle.
8Bien qu’il manque aussi en Suisse des études systématiques sur l’évolution des profils et des besoins des personnes qui s’adressent aux entreprises d’insertion (voir par exemple : Lewerer et Dunand, 2001 ; Clerc et al., 2001 ; Pittet, 2003), les professionnels s’entendent pour dire que les problématiques se sont complexifiées durant les années 1990. Le marché de l’emploi, à l’opposé, est devenu de plus en plus exigeant et rien ne laisse penser que cette évolution va se modifier. La croissance des problèmes de santé, en particulier mentale, de violence, d’accès à un logement, et d’endettement risque encore d’augmenter les difficultés d’adéquation avec le marché du travail.
Augmentation du nombre de jeunes et de personnes âgées de plus de 55 ans
9Une autre tendance relevée par plusieurs professionnels des entreprises d’insertion est la croissance du nombre de jeunes adultes et des personnes âgées de plus de 55 ans qui s’adressent à eux. Dans le cas des jeunes adultes, le décalage entre leurs aspirations et les exigences du marché de l’emploi débouchent sur de fréquentes ruptures. Historiquement les entreprises d’insertion ont accueilli des personnes qui avaient eu une expérience professionnelle préalable à une rupture et pour qui il s’agissait de retrouver, voire de renforcer des compétences professionnelles, mais pas de les constituer. Ces dernières années, le chômage et l’exclusion des jeunes adultes sont devenus un problème central de nos sociétés. Des mesures spécifiques telles que les semestres de motivation (SEMO) ou des prestations d’appui, de conseil et de placement avec suivi (Job Service à Neuchâtel, par exemple) ont été mises en place. Au-delà des compétences techniques, il s’agit souvent de transmettre aux jeunes une réalité du monde du travail, avec ses règles, et développer leurs compétences sociales trop souvent lacunaires. Ces enjeux impliquent une organisation du travail au sein des entreprises d’insertion, un encadrement étroit et des formations spécifiques. L’expérience montre qu’il n’est pas possible d’intégrer des jeunes dans une entreprise d’insertion destinée à des personnes plus expérimentées, sans adapter la prise en charge.
10Pour les personnes âgées de plus de 55 ans, les chances de retour à l’emploi sont souvent faibles. Les stages de réinsertion, d’une durée de quelques mois en général (la période de 18 mois semble être la plus longue constatée), ne sont pas prévus pour les mener jusqu’à la retraite. Pour rappel, seuls les bénéficiaires de l’AI peuvent accéder à un emploi durable au sein d’ateliers adaptés (protégés). Un programme d’études a été initié, fin 2004, entre des entreprises d’insertion des cantons romands pour aborder les rapports entre l’état de santé et l’activité professionnelle des demandeurs d’emploi âgés (www.50plussante.ch). Une des hypothèses de ce projet intercantonal novateur est que, dans une perspective de santé publique et de cohésion sociale, il est pertinent de permettre à ces personnes d’effectuer un stage de réinsertion non limité dans le temps, leur permettant d’arriver à l’âge de la retraite sans nouvelle rupture, s’ils n’ont pas eu la chance de trouver un emploi avant. La rédaction du rapport final est en cours. Cependant, les différents projets menés sur le terrain confirment cette hypothèse et montrent, en plus, que les fins de stage ont des effets négatifs sur les seniors, alors qu’ils peuvent être mobilisateurs pour les plus jeunes. La perspective de se retrouver inactif après un stage en entreprise d’insertion est très mal vécue et les bénéfices du stage rapidement perdus. Ceci milite pour des stages non limités dans le temps. Enfin, ce programme a montré que le fait d’aborder les questions de santé est un important facteur de motivation à se réinsérer.
Les multiples statuts administratifs : un frein à l’intervention
11Cette synthèse sur les grandes catégories de bénéficiaires des entreprises d’insertion ne doit pas cacher que jusqu’à présent le statut administratif reste le principal déterminant de l’accès d’une personne à une entreprise d’insertion. La complexité des bases légales cantonales, fédérales et des dispositions communales ainsi que le cloisonnement des administrations rejaillissent sur les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi.
12Les bénéficiaires du chômage accèdent plutôt facilement à des formations les plus diverses et à des programmes d’emploi temporaire, mais de durée limitée. Cette réalité est toutefois en train de changer en raison des limitations budgétaires. Les bénéficiaires de l’AI peuvent travailler sans limite de temps dans un atelier protégé ou bénéficier d’une formation pour leur reconversion professionnelle. Certains statuts ne donnent droit à aucune prestation. Ces écarts entre droits et besoins de prestations représentent un problème central du dispositif de réinsertion en Suisse. Les réformes légales et institutionnelles nécessaires sont toutefois tellement importantes qu’un dispositif cohérent et articulé, tant entre les lois qu’entre les niveaux communaux, cantonaux et fédéraux, reste très hypothétique. Au-delà des effets négatifs sur l’efficacité du dispositif en matière de réinsertion, ces problèmes entraînent des coûts colossaux. Démarches administratives parallèles et multiples, erreurs d’aiguillage, lenteur de décisions, etc. ne sont que quelques exemples. Seul un pays riche comme la Suisse peut assumer un pareil gaspillage de ressources humaines et financières.
13Sans attendre ces grandes réformes, certaines entreprises d’insertion, comme Caritas dans le Jura, Emploi et Solidarité à Fribourg ainsi que Réalise à Genève, offrent des prestations à l’ensemble des demandeurs d’emploi, quel que soit leur statut administratif. Pour ce faire, elles ont développé des places de stage de réinsertion financées conjointement par les différents bailleurs, qui sont le plus souvent le canton (aide sociale), le Seco (chômage) et l’OFAS (invalidité).
14Ces entreprises utilisent donc la marge de manœuvre que leur statut privé leur confère pour tenter de modérer les effets des incohérences des lois sociales sur les bénéficiaires. Elles évitent, ou limitent, toute sélection en accueillant, pour un stage de réinsertion, les personnes pour qui les activités de production sont adaptées au projet de réinsertion, indépendamment de leur statut administratif. Cette volonté de ne pas exclure certains bénéficiaires compte tenu de ce statut se retrouve aussi dans le choix des activités abordées plus haut dans ce document. Ces organisations ont développé des activités de production diversifiées, à même de répondre aux intérêts et aux qualifications professionnelles variées des bénéficiaires.
15Comme il s’agit d’éviter d’avoir à refuser un candidat à un stage d’insertion en raison de son statut administratif, il s’agit aussi d’éviter un refus motivé par le fait que les activités proposées sont éloignées du projet de réinsertion du candidat. Toutefois, certains bailleurs limitent ou refusent la prise en charge de différents statuts administratifs dans la même organisation. D’un autre côté, les entreprises d’insertion doivent avoir une certaine taille pour pouvoir mener de front des productions diversifiées, et des bailleurs multiples, ce qui implique un système de gestion sophistiqué.
Principes et méthodes de la prise en charge des bénéficiaires
16En Suisse romande, comme à l’étranger, dans l’ensemble des organisations qui ont pour but l’insertion et comme méthode des activités économiques, on retrouve les quatre prestations suivantes :
une place de travail (le terme stage est souvent employé) attachée à de vrais mandats de production de biens et de services ;
un suivi socioprofessionnel individuel ;
une offre de formation ;
une rémunération.
17Il y a par contre des différences considérables dans les priorités données à ces éléments, ainsi que dans les modes et le niveau de rémunération. Il faut relever que les entreprises d’insertion, dans leur grande majorité, font un travail « sur mesure » en ce qui concerne la prise en charge. Face à la singularité de chaque situation, des objectifs spécifiques sont définis et un appui individuel est proposé. Ainsi les « programmes d’emploi temporaire collectifs » sont collectifs au niveau de la gestion administrative et de l’organisation du travail et non au niveau des méthodes d’accompagnement.
Une place de travail
18L’essence même de la démarche particulière qu’est l’insertion par l’économique est de mettre les bénéficiaires (appelés aussi stagiaires, travailleurs, voire collaborateurs) dans une situation de production engagée vers un marché. Les biens et services produits sont vendus à de vrais clients, ce qui implique des normes de qualité équivalentes à celles des entreprises à but lucratif. Par contre, le temps de travail varie et les temps partiels sont courants. Les personnes en insertion ont souvent une résistance physique moindre en début de parcours, puis doivent consacrer du temps à chercher un emploi dès qu’ils ont retrouvé une capacité de travail équivalente aux attentes du marché de l’emploi. Les pratiques sont très différentes d’une entreprise d’insertion à l’autre, sauf quand les temps de travail sont définis légalement. Les bénéficiaires des « mesures actives » fédérales doivent travailler au minimum 32 heures par semaine et allouer jusqu’à 8 heures par semaine pour leurs recherches d’emploi. Selon leur statut administratif, les personnes ont un contrat de travail ou seulement une « convention d’objectifs » (emplois temporaires fédéraux).
Un suivi socioprofessionnel individuel
19Dans toute entreprise d’insertion, les bénéficiaires sont régulièrement suivis par des professionnels qui évaluent au fur et à mesure la progression dans le stage et abordent les problèmes – divers et nombreux – auxquels ils sont confrontés. La description de ces prestations dépasse l’ambition de cette synthèse et une littérature spécifique traite de ces pratiques (par exemple Castra, 2003). Nous nous contenterons ici de mettre en évidence les grandes lignes de leur travail de soutien et d’accompagnement.
20Dans certains pays, la dénomination « suivi psychosocial » est utilisée pour parler de ces prestations, dans d’autres celui de « suivi socioprofessionnel ».
21Ce travail est le plus souvent mené par des personnes qui se sont spécialisées dans cette fonction. La place donnée à la dimension sociale, psychologique ou professionnelle (notamment la formation des adultes) varie notablement d’une entreprise d’insertion à l’autre. Schématiquement, ce que l’on observe sur le terrain varie d’une fonction de service social, dans les organisations de tradition sociale, à une fonction de service du personnel « renforcé » dans les organisations de tradition plus managériale.
22Depuis le début des années 2000, nous observons une progression notable du niveau de qualification des professionnels attachés à ces fonctions (psychologues et de formateurs d’adultes, notamment). A ce sujet, l’Association des organisateurs de mesures du marché du travail en Suisse (AOMAS) a consulté ses membres dans le cadre du projet d’une éventuelle formation de spécialistes en insertion (www.aomas.ch). Toutefois, actuellement et en l’absence de formation spécialisée, la formation de base de ces professionnels influence l’importance donnée à l’un ou l’autre aspect.
23La nature concrète des appuis dans ce domaine varie aussi en fonction de la mission de l’organisation, le contexte local et la présence d’autres prestataires spécialisés, ainsi que de l’ampleur des problèmes. On retrouvera des organisations qui offrent une aide sociale complète (avec, par exemple, un appui pour la recherche de logement, une aide au désendettement, un appui administratif) et d’autres qui travaillent en réseau et guident et orientent les personnes vers les services spécialisés.
24Dans l’ensemble des entreprises d’insertion qui offrent un travail pour la réinsertion limité dans le temps, un appui à la recherche d’emploi est proposé. Outre un appui personnalisé pour identifier une cible professionnelle et mettre en œuvre toutes les démarches nécessaires à son atteinte (CV, réseau, etc.), plusieurs entreprises d’insertion proposent des formations à la recherche d’emploi (module recherche d’emploi). De plus, ces formations intègrent, ou sont en liaison avec des formations à l’utilisation d’Internet, devenu incontournable dans les recherches d’emploi. Certaines entreprises d’insertion ont mis sur pied des prestations de stage et de placement en entreprise pour faciliter l’accès de leurs bénéficiaires à un emploi sur le marché. D’autres entreprises d’insertion s’appuient sur les services d’organisations qui ont pour objectif spécifique le conseil en placement pour des personnes en difficulté face au marché de l’emploi, comme la fondation Intégration Pour Tous (www.fondation-ip.ch) active dans plusieurs cantons romands, et Job Service à Neuchâtel (www.job-service.ch).
Une offre de formation
25En ce qui concerne la formation, certaines organisations, en particulier celles qui ont des programmes subventionnés par la Confédération dans le cadre de l’assurance-chômage, ont mis en place des prestations de formation importantes. Des cours de français, de calcul, des ateliers de raisonnement logique, et des modules de formation technique en lien avec les activités de production proposées, viennent enrichir le stage de réinsertion. Dans certains cas, la place donnée à la formation peut prendre jusqu’à 39 % du temps, selon la proposition définie dans la directive d’application de la loi sur le chômage. Compte tenu du temps réservé à la recherche d’emploi (souvent 20 %), le temps de production est parfois réduit à 40 % du temps de travail hebdomadaire, ce qui n’est pas sans poser de problème. Au-delà de l’aspect quantitatif, l’organisation des modules de formation rend ainsi la gestion de la production complexe.
26Il faut relever que les formations dispensées dans les programmes d’insertion (de courte durée) ne sont en majorité pas « certifiantes ». Une attestation de formation est délivrée par l’organisation et des projets prometteurs de validation des acquis sont en cours. Les stages en entreprise d’insertion sont reconnus, depuis 2006, comme des expériences professionnelles à part entière par l’Office pour la formation professionnelle et continue à Genève. La loi sur le chômage suisse n’a pas à ce jour pour ambition de développer les qualifications des chômeurs. Les « mesures actives » de formation sont plutôt vues comme des formations courtes complémentaires, qui visent à faciliter une réinsertion rapide. La formation informelle acquise sur le terrain, particulièrement appropriée pour les personnes peu ou pas qualifiées, souffre particulièrement d’un manque de reconnaissance. D’autre part, les bénéficiaires de l’aide sociale en stage de réinsertion n’ont, en général, pas droit à des formations.
27Compte tenu de l’enjeu que représente l’élévation des qualifications des travailleurs et demandeurs d’emploi en Suisse, pour s’adapter à l’évolution de l’économie, le rôle formateur des entreprises d’insertion est appelé à recevoir une attention particulière. On sait en effet que les personnes peu ou pas qualifiées ont des difficultés pour accéder au dispositif de formation continue. Les entreprises d’insertion jouent un rôle de « première marche » utile à beaucoup. Le qualificatif de « passerelle formatrice » vers l’emploi et la formation peut leur être attribué.
Une rémunération
28Dans la majorité des cas, les personnes en stage au sein d’une entreprise d’insertion en Suisse ne touchent pas un salaire leur permettant de couvrir leurs besoins. Ainsi, en entrant dans un stage de réinsertion, les personnes ne sortent pas de leur statut de chômeur ou de bénéficiaire de l’aide sociale. Cette « sortie » des systèmes d’aide n’intervient qu’à l’obtention d’un emploi. Dans d’autres pays, les stagiaires acquièrent le statut de travailleur salarié à leur entrée dans une entreprise d’insertion. En France, par exemple, ils touchent le SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti).
29En Suisse, selon le statut administratif du demandeur d’emploi, ce dernier reçoit :
une indemnité de chômage, équivalente d’ailleurs à celle touchée sans travailler,
ou une indemnité de l’entreprise d’insertion complétée par l’aide sociale ou l’AI,
ou cette indemnité seulement, si la personne est encore à la charge de parents au revenu suffisant.
30Seules certaines entreprises d’insertion, comme Caritas Jura, ont réussi à négocier que les aides sociales auxquelles les personnes ont droit, soient versées à l’organisation qui leur paie ensuite un salaire. Ce modèle, qui devrait s’imposer à l’avenir, simplifie beaucoup les choses et permet au bénéficiaire de retrouver des droits au chômage décents en cas de rupture du stage.
31Les « jobs à 1 000 francs » qui ont fait grand bruit ces derniers temps, ne sont autres que des emplois durables avec un salaire partiel (complété par l’aide sociale) au sein d’entreprises sociales. C’est un principe pratiqué de longue date par différentes entreprises d’insertion de Suisse romande.
32En ce qui concerne les modes et les niveaux de rémunération, il y a en Suisse des différences très importantes d’une entreprise d’insertion à l’autre. Les personnes qui bénéficient des « mesures actives » prévues dans le cadre de la LACI reçoivent leurs indemnités directement de l’Etat. Le montant de ces indemnités n’est pas lié à l’activité dans l’entreprise d’insertion, mais au salaire assuré. Ainsi des personnes menant la même activité peuvent avoir des indemnités différentes. Plusieurs cantons ont mis en place des mesures pour éviter que les chômeurs arrivés à la fin du délai cadre (période d’indemnisation) ne doivent avoir recours à l’assistance publique. Ils ont la possibilité de travailler dans une entreprise d’insertion avec un salaire versé par la collectivité. Toutefois la politique cantonale est de plus en plus restreinte par les directives et les décisions fédérales. Certaines entreprises d’insertion engagent les personnes avec un contrat de travail, mais ne versent qu’une indemnité horaire modeste, qui doit alors être complétée par l’aide sociale pour permettre à la personne de vivre.
33Enfin, certaines entreprises d’insertion ont tenté de verser des salaires les plus élevés possible, pour permettre aux bénéficiaires de retrouver une vie autonome dès l’arrivée au sein de l’entreprise d’insertion. Mais autant qu’on sache, aucune n’est actuellement en mesure de proposer un salaire suffisant pour vivre de manière autonome et décente. Il faut rappeler ici que si dans d’autres pays des entreprises d’insertion peuvent engager des personnes au salaire minimum, c’est grâce aux subventions publiques par poste de travail qui viennent compléter l’autofinancement.
34Ainsi, en Suisse ce n’est qu’en retrouvant un emploi sur le marché du travail, après un stage de réinsertion au sein d’une entreprise d’insertion, que la personne accède à un revenu autonome et sort de sa dépendance de l’aide sociale. Il est d’ailleurs probable qu’une partie des personnes réinsérées ne sortent pas complètement de l’assistance du fait d’un salaire faible.
35Les stages sont donc la dernière étape de sortie du chômage et non la première étape d’accès à l’emploi. Cette nuance, aux conséquences symboliques profondes, explique certainement largement le peu d’engagement des stagiaires au sein des organisations. On ne s’engage pas dans une institution qui fait partie d’un dispositif lié au chômage que l’on cherche en fait à quitter au plus vite.
La place des bénéficiaires dans les instances de l’entreprise d’insertion
36La participation des bénéficiaires aux instances des entreprises d’insertion (comité, assemblée générale, conseil de fondation, conseil d’administration), nous ne connaissons aucun cas dans lequel elle est significative.
37On peut penser que le débat sur la participation des bénéficiaires est une question théorique. Pourtant au Québec, la participation formelle des bénéficiaires est toujours une priorité et est effective sur le terrain. Dans les cooperative sociale en Italie, les bénéficiaires sont sociétaires. A notre connaissance, en Suisse romande, les entreprises d’insertion ont un statut d’association ou de fondation, mais pas de coopérative. Par exemple : à la création de l’association Réalise à Genève, deux stagiaires en réinsertion avaient été nommés au comité (conseil d’administration), mais la formule n’a pas fait long feu. Dans bien des cas, les bénéficiaires pourraient statutairement devenir membres des entreprises d’insertion associatives, mais rares sont ceux qui font valoir ce droit. Le statut de « stagiaire/bénéficiaire » (client) domine ainsi sur le terrain.
38La fondation Pro à Genève, qui occupe des personnes handicapées bénéficiant de rentes AI et du personnel d’encadrement pour ces personnes, ne fait aucune différence dans sa gestion : un seul service du personnel gère, avec les mêmes outils, l’ensemble des collaborateurs. Les personnes handicapées sont ainsi considérées comme des travailleurs salariés. Mais une fondation n’a pas de membres et ne permet pas la participation démocratique des bénéficiaires.
39Plusieurs entreprises d’insertion sont certifiées ISO 9001 et ont mis en place un système formel d’évaluation de la satisfaction des bénéficiaires. Ceci ne peut toutefois être considéré comme une participation citoyenne à la vie de l’organisation.
40Par contre, la participation des bénéficiaires au fonctionnement quotidien, dans une démarche de management participatif, est courante.
41Cette question de la participation ne manquera pas de surgir en Suisse avec l’extension du débat sur l’économie sociale et solidaire à laquelle l’insertion par l’économique appartient.
Le profil des professionnels des entreprises d’insertion
42Le profil des professionnels engagés est en général cohérent avec les orientations des entreprises d’insertion. Les organisations à orientation économique forte engagent des « techniciens » dotés d’une fibre sociale et des managers pour les postes de cadre. Les organisations à orientation plus sociale engagent des travailleurs sociaux motivés à s’engager dans l’économique (ou des maîtres socioprofessionnels, voire des moniteurs d’atelier).
43Il n’existe pas de formation complète spécifique en Suisse qui permettrait d’assurer la direction des entreprises d’insertion et ses différents aspects, essentiellement la conduite d’une petite entreprise, les connaissances techniques et le suivi des personnes qui les fréquentent y compris leur formation et leur insertion dans le tissu économique. Une telle formation nécessiterait un « mixage » de compétences de diverses disciplines académiques :
formation d’adultes ;
travail social (avec des bases solides de psychologie et de sociologie) ;
économie et marché du travail ;
gestion d’entreprise (finances, personnel, etc.) et marketing ;
économie politique.
44Les organisations qui ont mis en place des programmes de formation offrent à leurs collaborateurs des possibilités de suivre des cours de formateurs d’adultes en emploi et/ou engagent des formateurs d’adultes qualifiés.
45Il existe en effet des cursus pour acquérir une formation de base dans les domaines de la formation des adultes, du social et dans tous les domaines techniques. Les formations en gestion d’entreprise sans but lucratif comme cursus de base sont, par contre, inexistantes en Suisse. Ces formations se font généralement sur le tas ou par des formations continues, qui sont en augmentation.
46La double finalité, économique et sociale, d’une entreprise d’insertion implique le pilotage simultané d’objectifs très différents. C’est ce qui rend les entreprises d’insertion plus complexes à gérer qu’une PME de taille équivalente. La formation des maîtres socioprofessionnels, qui correspond le mieux aux exigences multiples mentionnées, est toutefois très centrée sur la personne à accompagner et trop peu sur les aspects économiques, le management et le cadre plus général de l’économie solidaire. Des aspects essentiels pour l’avenir d’une entreprise d’insertion pourraient être intégrés à ces cursus en forte évolution, avec la réorganisation de la formation en cours. On peut néanmoins relever que comparativement à d’autres pays francophones, dans le domaine de la formation des professionnels des entreprises d’insertion, la Suisse n’accuse de loin pas le plus de retard (cf. Premières rencontres de l’insertion par l’économique au Québec en 200 –www.collectif.qc.ca).
47Il manque, pour le moment, une formation continue ou de troisième cycle qui pourrait assurer cette qualification. Plusieurs projets sont à l’étude : Un Certificat fédéral de spécialiste en insertion est à l’étude auprès de l’Association des organisateurs de mesures du marché du travail en Suisse (AOMAS). La Haute école valaisanne Santé Social s’est positionnée comme centre de compétence et de formation sur la réinsertion et la réadaptation. Les filières de formation ne sont cependant que partiellement opérationnelles, et restent dominées par les questions sociales et sanitaires. La mise en place des masters dans les HES (hautes écoles spécialisées) ouvrira certainement à terme la place à des modules ou à des cursus spécialisés dans le domaine de l’insertion par l’économique.
48Des discussions sont aussi en cours pour modifier certains modules de formation existants de formateurs d’adultes et y introduire des éléments spécifiques à la formation des publics peu ou pas qualifiés et en difficulté ; ils n’abordent toutefois pas les questions économiques et de gestion.
49Enfin, la formation des maîtres socioprofessionnels est en pleine restructuration. La place spécifique de la réinsertion dans les nouveaux cursus reste une question ouverte.
50Toutefois, les enjeux de gestion des entreprises d’insertion ne se résument pas à la maîtrise des compétences brièvement esquissées, acquises en formation de base ou en formation continue. L’expérience a montré que seules les personnes capables de s’engager professionnellement dans un double système de valeurs – économiques et sociétales –, qui ont souvent de multiples formations et des expériences professionnelles et de vie très diverses, semblent pouvoir collaborer durablement au sein des entreprises d’insertion. La confrontation quotidienne aux exigences du marché, la satisfaction de clients qui ne tiennent parfois aucun compte de la mission sociale de l’entreprise d’insertion, qu’ils considèrent comme un prestataire de services ou un fournisseur comme un autre, et la confrontation aux difficultés des stagiaires en réinsertion est une source de tensions permanentes.
51En ce qui concerne les conditions de travail du personnel fixe, elles sont très différentes suivant les institutions. Elles dépendent des statuts juridiques de ces dernières, qui peuvent être associatives (associations ou fondations) ou dépendre d’une administration publique.
52Dans le cas des associations ou fondations, statut de la plupart des entreprises d’insertion, les conditions de travail sont soit fixées par des conventions collectives de travail (CCT), soit par l’institution concernée de manière autonome. Dans les deux cas, les conditions de travail, notamment salariales et d’horaire, sont souvent proches de celles des professions sociales, avec une forte référence aux services publics. Compte tenu de la spécificité du travail de réinsertion, la définition de normes spécifiques aux entreprises d’insertion serait toutefois utile.
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