Postface
p. 211-213
Texte intégral
1Les universités sont une invention du Moyen Age européen, si on les distingue des hautes écoles qui sont simplement des institutions de transmission du savoir dans un domaine restreint. Le terme « université » est issu des civilisations occidentales, qui le créèrent à partir du XIe siècle pour désigner une organisation regroupant l’universalité des collèges d’étudiants. Les académies grecques telle l’académie de Platon ou d’autres organisations d’enseignements supérieurs en Asie ont précédé l’apparition des universités occidentales de parfois près d’un millénaire. Cependant, ces différentes organisations ne revendiquaient pas l’élaboration de l’ensemble des savoirs, mais seulement leur enseignement.
2Une véritable université se caractérise par une autonomie totale, qui n’est possible que par le respect des pouvoirs publics et le détachement par rapport aux fermetures nationales. Un juriste issu de Bologne ou un médecin de Montpellier pouvait par définition exercer son métier dans tout l’Occident chrétien. Il n’y avait pas davantage de passeports à l’époque ni de restriction à l’inscription des étudiants étrangers, sauf en temps de guerre. Les étudiants anglais chassés de Paris en 1166 à cause de la guerre de Cent Ans fondèrent l’université d’Oxford, pour le grand bénéfice de l’Angleterre et la sanction de la France. En Allemagne, au siècle dernier, l’arrivée de pouvoirs autoritaires provoqua une crise grave. Dans la mise au pas de l’enseignement supérieur par le régime nazi, un tiers du corps enseignant, souvent juif, à commencer par Albert Einstein, fut touché par l’épuration, qui renforcera notamment les universités américaines ; et beaucoup de ceux qui restèrent perdirent honneur et probité, par exemple, Martin Heidegger.
3L’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté à New York le 16 décembre 1966 par l’Assemblée générale des Nations Unies, stipule que : « L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité. » Tel est le cadre dans lequel le signataire de ces lignes a inscrit son action au sein du Parlement fédéral suisse : recruter dans le vaste monde les meilleurs éléments sans les discriminer par le passeport ou la fortune. Sa conviction repose sur un lien étroit et amplement démontré entre l’acquisition du savoir et le développement économique, qui conditionne l’exercice d’une authentique démocratie et d’une réaliste solidarité sociale.
4Avant 2010, la loi sur les étrangers pratiquait une discrimination à l’égard des étudiants provenant des pays hors UE et AELE. Ils devaient prouver qu’ils disposaient de 20 000 CHF avant d’obtenir un visa et s’engager à quitter la Suisse dès leur diplôme obtenu. La Suisse sélectionnait ainsi les étudiants étrangers sur la base de la fortune familiale plutôt que sur leurs capacités propres et, ensuite, se privait de leurs services comme s’ils étaient une menace pour l’emploi des citoyens suisses, sans tenir aucun compte et de l’argent public qui avait été dépensé pour les former et de l’intérêt que les meilleurs d’entre eux présentaient pour l’économie suisse.
5L’initiative parlementaire 08.407 a finalement réussi à obtenir une majorité dans les deux chambres et à supprimer ces barrières insensées. Le diplômé d’une haute école suisse dispose maintenant de six mois pour trouver un emploi et obtenir de ce fait un permis de séjour. Bien entendu, certains cantons appliquent cette modification législative avec la plus grande répugnance. Ils arguent que le permis de séjour doit être accordé si le travailleur étranger représente un intérêt « prépondérant » pour l’économie suisse, comme s’il était possible de le déterminer au seul vu d’un diplôme.
6En fait, la Suisse, en acceptant un diplômé étranger issu de ses écoles, bénéficie des frais engagés dans le pays d’origine pour amener ce jeune jusqu’au niveau d’entrée à l’université. C’est d’une certaine façon un détournement de fonds, souvent au détriment d’un pays en voie de développement. Néanmoins, du point de vue de l’intéressé, il y a le droit à poursuivre une carrière stimulante : un doctorat ne sert à rien dans un pays démuni de ressources ; du point de vue de la science globale, les meilleurs chercheurs doivent être placés dans le meilleur environnement. En fin de compte, tout dépend des retombées mondiales du progrès de la science. Un vaccin contre la malaria, un traitement bon marché contre le sida, une céréale résistante à la sécheresse ne peuvent-être découvert que dans un laboratoire de pointe, mais ils servent au centuple les pays qui luttent contre la maladie, la désertification, la famine.
7Les universités du Moyen Age européen ont mené ce continent vers le développement, la démocratie et la paix. Les universités du monde entier ont la même mission au niveau de la planète. Ce n’est possible que par la libre circulation et la libre installation des étudiants, chercheurs et enseignants : un universitaire n’a qu’un seul passeport, citoyen du monde.
8septembre 2013
Auteur
Conseiller national
Professeur honoraire EPFL
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