Introduction
p. 9-18
Texte intégral
La notion de modèle
1La question centrale de la recherche ayant donné naissance à cet ouvrage est de savoir comment sont modélisées les pratiques de soins aux migrants telles qu’elles ont été mises en place et telles qu’elles sont effectivement actives au sein de la consultation pour migrants de l’association Appartenances à Lausanne. Une pratique modélisée présente l’avantage de devenir reconnaissable et intelligible, tant pour les praticiens eux-mêmes que pour les destinataires et le public plus large. Cette intelligibilité est gagnée en rendant visibles des régularités et des formes typiques qui s’expriment dans les multiples activités constituant une pratique comme celle du soin aux migrants.
2L’objet de la recherche est donc constitué des pratiques concrètes des professionnels et du ou des modèles auxquels elles se réfèrent plus ou moins explicitement. L’intérêt pour les pratiques développées à Appartenances réside dans leur particularité, consistant à prendre en compte la dimension culturelle des individus que la consultation reçoit, et la diversité des significations que les troubles, maladies ou souffrances que ceuxci manifestent, ont dans les diverses cultures dont ils sont issus. Dès lors, les interventions « culturellement éclairées » et faisant largement appel à des « interprètes communautaires » développées à Appartenances en font une institution de soins pas tout à fait comme les autres et il ne fait nul doute que la manière dont sont modélisées ses pratiques peut intéresser toutes les institutions proposant des interventions auprès de migrants. Plus largement encore, la nécessité imposée par les troubles des migrants de s’adresser à eux en tant qu’êtres singuliers constitués corporellement et psychiquement par leur culture dépasse la question de la culture. Nous présupposons que les pratiques développées à Appartenances interrogent toutes les manières de s’adresser à autrui et de comprendre son expérience, quelle que soit sa proximité culturelle ou son « exotisme », dans des domaines aussi variés que la thérapie, le travail social, l’enseignement et également la politique.
3L’approche privilégiée développée à Appartenances se fonde sur deux principes. Premièrement, « les immigrants, de par la nature même de leur situation sont des êtres vulnérables. Dans la plupart des cas, la migration représente une crise dans la vie d’un individu, et la souffrance qu’elle engendre ne devrait pas être considérée comme une pathologie ou être pathologisée ». Deuxièmement, « toute crise peut avoir une issue favorable ou défavorable, mais c’est une occasion donnée aux individus de découvrir en eux-mêmes de nouvelles possibilités d’évolution, jusqu’alors insoupçonnées. Lorsque l’issue de la crise est défavorable, les symptômes se cristallisent et des troubles plus graves peuvent apparaître » (Métraux et Fleury, 1996, p. 263). Ces principes énoncés il y a quelques années dans des textes fondateurs semblent, à première vue, toujours préfigurer les pratiques actuelles et servir de modèle général.
4Un modèle tel qu’il peut être construit dans une institution de soins est un composé théorico-pratique. Il est constitué d’un système conceptuel explicatif des troubles de migrants, de leurs causes, de leurs possibilités d’évolution et d’un ensemble d’activités concrètes visant la résolution ou tout au moins la réduction de ces troubles. Le modèle est donc un ensemble de concepts théoriques empruntés notamment à divers courants de la psychologie et à l’ethnologie et constitue aussi un ensemble de manières concrètes d’agir se référant à des intentions ou des visées, des règles d’action ou des prescriptions. Dès lors, un modèle, tel que nous l’entendons, comprend des énoncés explicatifs se référant à des théories, des énoncés prescriptifs prenant la forme de visées et de règles d’action et des actions concrètes effectuées par les intervenants, psychothérapeutes et également interprètes communautaires.
5Les énoncés explicatifs, les visées, les règles et les actions elles-mêmes sont produits dans un champ de contraintes qui sont des contraintes à penser et des contraintes à agir. Les contraintes à penser renvoient aux théories en cours dans le champ de la psychothérapie et particulièrement de l’aide aux migrants, à des valeurs comme, notamment, le respect de l’altérité et à des idéologies qualifiant la place du migrant dans la société suisse. Les contraintes à agir relèvent des normes fédérales et cantonales en matière d’accueil des migrants, des normes des assurances en matière de soins et des règles mises en place au sein de l’institution Appartenances et ayant évolué au cours de son histoire. Il existe aussi des règles d’action, écrites ou non, formalisées ou non, que chaque thérapeute se donne à lui-même et que l’équipe des thérapeutes se donne à elle-même, et que les professionnels sont censés suivre. Le modèle, tel que nous l’entendons, est donc une création qui se développe et évolue dans un champ de contraintes et dont les acteurs ont une conscience plus ou moins claire. Dans une précédente recherche portant déjà sur les pratiques d’Appartenances (Jonckheere de, Bercher, 2003), nous avions esquissé un repérage de quelques-unes de ces contraintes à penser et à agir qui affectent les pratiques de soins aux migrants. Dès lors, il importe de poursuivre et de comprendre de quelle manière elles sont plus ou moins délibérément reprises pour « faire modèle ».
6Pour modéliser les pratiques développées à Appartenances, il s’agit non seulement d’identifier les théories servant à définir ou à construire ce que sont les troubles des migrants, les énoncés prescriptifs réclamant des actions, mais aussi de décrire les actions concrètes effectuées par les intervenants auprès des migrants. Selon les théories de l’activité auxquelles nous nous référons, les actions prescrites en fonction de visées ou de règles ne sont pas celles qui sont réalisées. L’agir se caractérise par un décalage plus ou moins important entre ce qui est préfiguré par visée se référant plus ou moins à des théories ou à des valeurs et prescrit par des règles, et ce qui est effectivement réalisé. Le décalage se retrouve également entre ce que l’intervenant se demande à lui-même de faire, c’est-à-dire des autoprescriptions, et ce qu’il fait en situation. Cet écart n’est pas compris comme un échec ou la manifestation de l’impuissance de l’agent, mais bien comme l’expression de sa créativité, lui permettant de réaliser au mieux sa tâche alors que le « réel » résiste à son intention de le transformer.
7Cette créativité développée par l’intervenant en situation n’est pas prévisible et, en ce sens, ne peut être modélisable. Cependant, les thérapeutes et les interprètes communautaires travaillant à Appartenances manifestent certaines « régularités » dans leurs manières de penser les problèmes des migrants et d’agir en vue de les résoudre. Ils ne réinventent pas de nouvelles manières de penser et de nouvelles manières d’agir dans chaque situation, même si ces dernières restent toujours singulières. Ils se donnent, individuellement et collectivement, des repères stables et fiables qui ont pour effets que leurs modes de pensée et leurs modes d’action manifestent des ressemblances tout en gardant des différences. Ces modes de pensée et d’action se ressemblent tout en différant, et c’est bien parce que nous présupposons des ressemblances que nous pouvons parler de modèle, c’està-dire d’un composé théorico-pratique relativement stable et fiable. Les éléments constituant ce composé « font modèle » lorsqu’ils sont intégrés à l’activité thérapeutique de telle manière que cette activité se déploie comme si une règle la prescrivait dans ses deux dimensions cognitive et pratique.
8Les modèles sont des créations collectives. Ils se construisent au sein d’un collectif ou d’une institution. Ils permettent aux membres du collectif de développer des manières plus ou moins communes de penser, de parler et d’agir, ce qui leur donne un sentiment d’appartenance et la possibilité de communiquer leurs visées et leurs expériences. Ces manières propres au collectif ont aussi pour effet que ce dernier est reconnaissable par l’extérieur, c’est-à-dire par les partenaires avec lesquels il collabore, les institutions accomplissant un travail proche, les instances de subventionnement, les autorités politiques. En d’autres termes, le modèle définit en partie le « genre » de l’institution ou du collectif, de telle manière que les individus ont un « horizon » commun et que les instances extérieures savent à qui elles ont à faire. Synthétiquement, un modèle, tel qu’il est construit à Appartenances, est un agencement de concepts, théories et idées provenant notamment de la psychologie, de la psychanalyse, des théories systémiques, de l’ethnologie et de l’anthropologie. Il contient aussi des énoncés prescriptifs et d’habitudes d’action individuelles et collectives. Il a pour fonction d’expliquer ou de construire les troubles des migrants de telle manière qu’il soit possible d’agir pour les réduire ou les « guérir », d’orienter l’action en produisant des repères stables et fiables pour ainsi la stabiliser. Un modèle oriente donc la pensée au détriment d’autres formes de pensée et l’agir au détriment d’autres manières d’agir. Un modèle intègre aussi des règles d’action provenant du milieu dans lequel il est construit, comme des normes et valeurs sociales, la déontologie professionnelle, la mission sociale de l’institution, les règles institutionnelles, les injonctions des prescripteurs.
9Une action précise réalisée par un thérapeute ou par un interprète communautaire à l’égard d’un patient est affectée ou orientée par le modèle, mais n’est pas la stricte mise en œuvre de théories ou d’idées, de prescriptions ou d’habitudes d’action. Ce n’est qu’en examinant et en décrivant ce qu’il a effectivement fait que l’agent peut découvrir ses « raisons d’agir ». Ces raisons ne sont pas la mise en action de règles ou des intentions que l’agent avait avant d’agir, mais de la reconstruction de raisons satisfaisantes pour l’agent lui-même. Elles sont construites sur la base des significations que les professionnels donnent aux troubles des consultants, de leur conception de la santé et de la maladie, de la normalité et de l’anormalité, des buts qu’ils se fixent pour chaque consultant en particulier, de la conception plus générale de leur mission ou de leur rôle, des valeurs et des règles qu’ils se donnent.
10Il y a deux types de raisons d’agir. Premièrement, celles qui sont cons - truites délibérément et précèdent l’agir. Il s’agit de l’agir téléologique. Deuxièmement, celles qui ne sont pas délibérées, mais qui se développent en situation par rapport aux résistances et aux ressources impliquées dans la situation, notamment les résistances et les ressources du consultant. Il s’agit de l’agir créatif (Joas, 1999). Dans notre recherche, par la vertu de notre méthodologie inspirée de l’analyse de l’activité, ces raisons d’agir sont reconstruites intersubjectivement dans une relation dialogique réunissant les thérapeutes, les interprètes et les chercheurs.
Le rôle et la place des interprètes
11Une des particularités des interventions réalisées à Appartenances est qu’elles font appel à des interprètes nommés « médiateurs culturels » ou « interprètes communautaires ». Ceux-ci sont des tierces personnes présentes dans les entretiens thérapeutiques et dont le rôle est de traduire ce qui est dit afin que les partenaires de la relation thérapeutique puissent comprendre la signification des propos tenus. Pourtant, leur rôle ne se borne pas à une simple traduction mot à mot. Généralement, ils sont, ou devraient être, de la même culture que le patient concerné et, ainsi, ils peuvent apporter des informations sur la culture du patient et notamment sur la signification que ses troubles peuvent avoir dans sa culture d’origine. Le récit du migrant à propos de son existence, de ses difficultés et de ses souffrances peut alors être situé dans sa culture d’origine et les références culturelles narrées peuvent alors être saisies par le thérapeute. L’interprète aide ainsi à construire une « réalité thérapeutique » en se présentant comme un « pont culturel » entre la culture d’origine du migrant et la culture d’accueil, une sorte de « diplomate » représentant l’univers du migrant dans l’univers de l’institution. « Le dispositif thérapeutique incluant un patient, un thérapeute et un interprète apparaît comme un cadre d’action imposant une gestion particulière des relations interpersonnelles et des échanges verbaux » (Elghezouani et al., 2007).
12La médiation des interprètes communautaires ne s’effectue pas uniquement dans le sens allant de la langue et de la culture du migrant vers la langue et la culture d’accueil. Les interprètes exerçant leur fonction dans d’autres institutions suisses romandes telles que des services sociaux, des consultations psychothérapeutiques, des hôpitaux ont une grande connaissance de ces établissements et, dès lors, peuvent informer les migrants et parfois même les thérapeutes sur leurs caractéristiques et leur fonctionnement.
13L’activité « diplomatique » des interprètes s’agence à l’activité également « diplomatique » des thérapeutes et, comme nous le montrerons, toutes deux donnent aux pratiques développées à Appartenances une dimension que nous appelons « politique ».
La méthodologie
14La méthodologie adoptée permet de comprendre, d’une part, le modèle d’intervention explicite développé à Appartenances, à savoir, ce qui est dit de ce qui est fait ou de ce qui devrait être fait et, d’autre part, le modèle d’intervention effectivement actif dans le travail thérapeutique, à savoir, ce qui est effectivement fait. Elle prend en compte le décalage entre ce qui est explicite et s’exprime sous la forme de prescriptions et d’intentions, et ce qui est effectivement et concrètement mis en œuvre par les intervenants et interprètes.
15Cette méthodologie est inspirée tant par l’ethnométhodologie que par l’analyse de l’activité, elle-même inspirée par le courant de l’ergonomie de tradition francophone. Cette méthodologie composite et notamment le concept d’« indexicalité » (Garfinkel, 1967, Formel de, Quéré, 1999) nous amènent à considérer les entretiens ou séances d’aide ou de soins en tant que pratiques ayant des significations et suivant des règles renvoyant à la « situation » dans laquelle ils se déroulent. La situation est constituée d’un ensemble de forces qui font ingression ou s’immiscent dans les pratiques et les orientent. Dans ce sens, les théories, mais aussi les valeurs et les croyances, font ingression dans les manières de penser de telle sorte que parmi toutes les manières de penser possibles, seules certaines s’actualisent. De même, les règles d’action font ingression dans les manières d’agir de telle façon que parmi toutes les actions possibles seules certaines s’effectuent. Ainsi, les modes de penser et les modes d’agir effectivement mis en œuvre dans l’institution sont le résultat de l’action des forces constituant la situation. Cette dernière est également constituée par les individus en présence, patients, thérapeutes et interprètes, qui s’influencent réciproquement, et par des éléments matériels comme l’architecture des lieux et les objets présents.
16L’ethnométhodologie constituant plus une posture qu’une méthode précise, nous nous sommes aussi inspirés de l’analyse de l’activité, et particulièrement de l’autoconfrontation simple et collective. L’analyse de l’activité procède en filmant en vidéo des séquences d’activité et en les présentant, dans des autoconfrontations simple et collective, au professionnel impliqué dans la séquence ou à un collectif de professionnels dont certains sont impliqués dans les séquences et dont les autres connaissent l’activité. Dans les diverses autoconfrontations, ce sont les acteurs euxmêmes, thérapeutes et interprètes communautaires, qui produisent des commentaires à propos de ce qu’ils voient, de ce qu’ils font.
17La méthodologie choisie a la particularité de reposer sur une coanalyse des intervenants et des chercheurs répondant à un protocole rigoureux. Elle repose sur la distinction de la tâche et de l’activité. La tâche relève de la prescription, elle est ce qui doit être fait. A l’inverse, l’activité est ce qui se fait « réellement ». Clot et Faïta parlent donc d’activité prescrite et d’activité réalisée (2000). Les auteurs considèrent que l’activité réalisée n’est jamais que l’actualisation d’une des activités potentiellement réalisables dans la situation où elle voit le jour. L’activité effectivement réalisée s’actualise à l’issu d’un conflit entre activités potentielles concurrentes. Pour cette raison, les auteurs incluent au « réel » de l’activité ce qui ne se fait pas, ce qui tend à se faire sans y parvenir ou encore « ce que l’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire » (Clot et al., 2000, p. 2). L’activité se heurte donc à la résistance du « réel », qui impose aux agents « une épreuve subjective où l’on se mesure à soi-même et aux autres, tout en se mesurant au réel, pour avoir une chance de parvenir à réaliser ce qui est à faire » (p. 2). De ce fait, les activités non réalisées, suspendues, contrariées sont incluses dans l’analyse.
18Selon la méthodologie et l’épistémologie choisies, l’analyse des chercheurs ne peut pas être trop préconstruite puisqu’elle repose sur les commentaires produits par les différents types d’acteurs. Les autoconfrontations simples et collectives constituent une méthode dont la construction dialogique est le principe directeur et la source du dispositif. Il s’agit, pour les divers acteurs, de produire des « textes » ou commentaires sur ce qu’ils se voient faire et s’entendent dire (Faïta, Vieira, 2003). Le dispositif institue un « espace-temps » dans lequel, en différé, sont reconstruites dans des rapports associant professionnels et chercheurs les significations de l’agir suscitées par les séquences vidéo.
19Les pratiques que nous étudions ne répondent pas à des prescriptions extrêmement formalisées. Pour les soins destinés aux migrants, les exigences des assurances ne prescrivent pas directement ce que l’intervenant doit faire, elles réclament surtout des certificats attestant qu’un travail « thérapeutique » a été accompli. Par contre, la politique suisse en matière de migration exerce une certaine pression sur les intervenants puisque les refus de demandes d’asile peuvent être levés ou suspendus en raison de certificats attestant de traitements psychosociaux en cours. L’institution Appartenances donne un cahier des charges très large aux intervenants. Le mode d’intervention généralement adopté par l’équipe, plus ou moins inspiré par l’ethnopsychiatrie, réclame des interventions « culturellement éclairées » (Jonckheere de, Bercher, 2003). Cependant, il ne prescrit pas des actes précis. Dans le langage propre à l’analyse de l’activité, nous pouvons dire qu’il « préfigure » l’action, c’est-à-dire qu’il l’oriente et l’accompagne, donnant des « repères fiables » ou un modèle aux agents leur permettant de disposer à la fois d’éléments pour analyser ce qui est présent dans l’intervention et de pistes indiquant ce qu’il est possible de faire.
20Nous avons filmé quatre couples thérapeute-interprète avec chaque fois deux patients. Pour chaque couple, nous avons obtenu deux séances, avec le même patient, éloignées de quelques mois. La première séance est située au début du processus thérapeutique, au moment où se crée une « alliance » entre le thérapeute et le patient. La deuxième séance est située à une phase du processus dans laquelle le travail thérapeutique est « consolidé ». Nous disposons ainsi de seize séances complètes, qui ont généralement une durée de trois quarts d’heure.
21Nous avons procédé premièrement à des autoconfrontations simples en présentant les séquences vidéo le concernant à chaque thérapeute et en lui demandant de commenter son activité. Nous avons fait de même séparément avec les interprètes. Nous avons séparé les autoconfrontations avec les thérapeutes et les interprètes en partant de l’idée que la position de chacun est asymétrique et que le thérapeute, de par son statut et son type de savoir, occupe une place « dominante » qui pourrait avoir pour effet que l’interprète ne s’exprime pas en toute indépendance. Ensuite, nous avons procédé aux autoconfrontations collectives avec, d’une part, les thérapeutes impliqués dans les séances et, d’autre part, les interprètes communautaires. Dans les autoconfrontations simples et collectives, les thérapeutes et interprètes ont été invités par les chercheurs à produire des commentaires sur les séquences qu’ils visionnent. Ces commentaires sont de plusieurs types : description de ce qu’ils voient, explicitation de leurs raisons d’agir, compréhension de ce qui, dans l’action, est énigmatique. Dans cette phase, le rôle des chercheurs a été de susciter des commentaires, notamment en attirant l’attention des acteurs vers tel ou tel événement et en permettant aux commentateurs de rester centrés sur la séquence vidéo. Les autoconfrontations simples et collectives ont également été filmées en vidéo et intégralement retranscrites. Ce matériau constitue la base sur laquelle repose notre travail d’analyse.
22Dans le cours de la recherche, l’équipe des thérapeutes a mis en place un dispositif expérimental appelé le « groupe ethnopsychiatrique », dans lequel plusieurs thérapeutes, sept à huit, auxquels s’ajoute parfois un interprète communautaire, reçoivent un patient ou une famille. Afin de pouvoir réfléchir et développer ce dispositif, l’équipe nous a demandé de pouvoir inclure cette activité collective dans notre recherche. Nous avons alors procédé en filmant cinq séances de deux heures chacune et en projetant des séquences choisies dans ce matériel au collectif ethnopsychiatrique. Ce matériau nous permet de réfléchir à l’impact de ce nouveau dispositif sur l’ensemble des activités d’Appartenances.
23Pour saisir en quoi le contexte institutionnel affecte ou non l’activité thérapeutique, nous avons étudié les textes produits par l’institution ces dernières années et avons interviewé les responsables de l’institution : directrice, médecin responsable, coordinateur thérapeutique et responsable des interprètes communautaires. Ce matériau permet de saisir les interactions entre la dimension institutionnelle et l’agir des thérapeutes.
24Dans ce texte, nous parlons parfois des migrants en tant qu’« individus ». Ce terme peut parfois paraître péjoratif, pourtant nous en usons dans son acception la plus profonde. Un individu est un être indivisible qui ne peut être ni partagé ni divisé sans perdre les caractéristiques qui lui sont propres. Il ne peut pas être séparé en ce qui pourrait être ses parties constitutives et, en ce sens, il constitue une entité identifiable. Il ne peut, non plus, être séparé de son milieu de vie et de sa culture qui le constituent en tant qu’individu. Un individu peut être compris comme une monade (Tarde, 1999a), c’est-à-dire comme un élément constitutif du réel pourvu d’une force agissante et vivante grâce à ses connexions avec les autres monades. Ainsi, un individu est défini par ses rapports avec les autres individus et par sa puissance ou force active de les affecter et sa puissance réceptive d’être affecté par eux. Dans cette acception, le terme « individu » ne renvoie pas à la doctrine de l’individualisme, il est même son contraire.
25Dans ce texte, les expressions et phrases écrites en caractères italiques relatent les propos de la direction de l’institution, des thérapeutes, des interprètes et des migrants tirés de notre matériel empirique.
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