2. Méthodologie de la recherche
p. 51-87
Texte intégral
2.1 Questions de recherche et hypothèses
1La recherche a porté sur les représentations de la maltraitance dans le but de prévenir les violences pouvant survenir dans les interactions éducatives en milieu institutionnel. Quatre questions ont été approfondies en particulier :
2Première question de recherche : sur la base de quels critères les personnes adultes en situation de handicap, les professionnels et les responsables légaux (parents, tuteurs) jugent-ils de la dimension maltraitante d’un comportement ?
Hypothèse 1 : un comportement est jugé maltraitant sur la base de ses caractéristiques (forme, intensité, dimension répétitive), de ses conséquences sur la victime, de son intention et du contexte (contexte juridique) qui prévaut.
3Deuxième question de recherche : comment les personnes adultes en situation de handicap, les professionnels et les responsables légaux (parents, tuteurs) se représentent-ils les facteurs de risque qui rendent possible la maltraitance entre acteurs à l’intérieur d’une institution ?
Hypothèse 2 : les facteurs de risque qui rendent possible la maltraitance entre acteurs à l’intérieur d’une institution sont perçus de façon multifactorielle.
4Troisième question de recherche : comment les personnes adultes en situation de handicap, les professionnels, les responsables légaux (parents, tuteurs) se représentent-ils les facteurs de protection qui réduisent la probabilité de maltraitance entre acteurs à l’intérieur d’une institution ?
Hypothèse 3 : les participants connaissent les facteurs de protection susceptibles de limiter l’exposition au risque de maltraitance entre acteurs à l’intérieur d’une institution.
5Quatrième question de recherche : quelles sont les pistes d’actions et les moyens d’accompagnement à mettre en place pour prévenir la maltraitance ou pour réagir plus efficacement lorsque la frontière des abus a été franchie ? Ces moyens sont-ils connus des personnes en situation de handicap, des professionnels et des responsables légaux (parents, tuteurs) ? Un des groupes est-il mieux informé que les autres des ressources en matière de prévention développées par l’institution ?
Hypothèse 4 : les participants connaissent la manière d’activer l’aide proposée dans le cadre institutionnel et, le cas échéant, la démarche de signalement prévue.
2.2 Paradigmes théoriques sous-tendant la recherche
6La procédure retenue pour cette recherche est celle d’une recherche-action qui tend à rendre l’acteur chercheur et amène l’action vers des considérations de recherche (Lamoureux et al., 1996, p. 159). Cette orientation inscrit les partenaires impliqués dans un processus cyclique, sans orientation prédéfinie, traversé par des phases alternant l’action, la recherche et la formation (Dolbec & Clément, 2004). Au terme de la procédure, une extension des connaissances, une transformation des pratiques et un empowerment des participants sont visés.
7Pour que la discussion puisse plus facilement s’engager, un dispositif constitué de courtes vignettes fictives a été élaboré (Masse & Petitpierre, 2006). Ce dispositif, disponible sous format de clips vidéo, a comme objectif de faciliter l’évocation des représentations. Il propose des situations à analyser qui peuvent faire écho aux pratiques réelles et susciter la réflexion des acteurs sur leurs propres actions ou attitudes sans menacer directement leur identité professionnelle.
8Le travail d’analyse des vignettes a été mené de façon collective, par groupe de pairs dans chaque institution. L’échange en groupe a été privilégié afin, d’une part de favoriser le partage des représentations individuelles et collectives, d’autre part de stimuler les propositions d’actions préventives. Ces conditions ont permis que, sur le plan individuel, la parole [soit] à la fois donnée dans le sens où chacun rend explicite le sens qu’il construit de sa propre expérience et reçue dans le sens où chacun entend le point de vue de l’autre (Bourassa, Philion & Chevalier, 2007, p. 88) et que, au niveau collectif, les questions posées et les controverses provoquées [fassent] émerger des situations qui favorisent une déconstruction/reconstruction des représentations existantes (ib.).
9Il était attendu que, dans un premier temps, la mise en commun des représentations contribue à la coconstruction des concepts (voir figure 1) et que, dans un deuxième temps, elle favorise les propositions des participants en ce qui concerne les actions à déployer pour prévenir la maltraitance dans le contexte socio-éducatif. La démarche a ainsi eu pour objectif d’accompagner les acteurs dans un processus conjoint de réflexion sur le concept d’abus, en analysant les actions éducatives et les suites à donner aux conduites ou attitudes potentiellement abusives. Ce travail d’analyse s’est inscrit dans un processus de pratique réflexive, au sens de Schön (1994), où la personne est invitée à réfléchir aux actions de sa pratique, puis, se soumettant au regard d’autrui et par un jeu de rétroactions, est amenée à remettre celle-ci en question afin de recréer ou de développer un nouveau modèle de pratique.
10Un autre paradigme sous-tendant cette démarche est celui du socioconstructivisme. Il avance l’idée selon laquelle le savoir résulte d’une co-construction dans un contexte donné. Chercheuses et participants se sont donc engagés dans un processus de réflexion visant à coconstruire ensemble une définition de la maltraitance et à analyser les facteurs de risque et de protection, la mise en commun des savoirs respectifs devant simultanément favoriser l’émergence de nouveaux savoirs et l’amélioration des pratiques (Desgagné & Bednarz, 2005).
2.3 Le dispositif choisi pour aborder les représentations
11Le dispositif privilégié pour faciliter l’expression des représentations était composé de vignettes représentant des scènes fictives, mais néanmoins susceptibles de refléter certaines réalités présentes dans le milieu institutionnel (Masse & Petitpierre, 2006). Le matériel répondait à la nécessité de donner un support commun et accessible à l’ensemble des participants, notamment aux personnes en situation de handicap. Il avait pour but de stimuler les interactions entre pairs à propos d’une réalité partagée (le contenu des vignettes) sans recueillir un discours trop général sur la maltraitance. Ce matériel devait aussi pouvoir se prêter à l’approfondissement et à l’analyse multidimensionnelle requise par la thématique. Finalement, il avait comme fonction de faire ressortir ce qui, dans la thématique, pouvait apparaître comme représentatif, typique ou emblématique de la maltraitance.
2.3.1 Les vignettes préstructurées
12Une vignette est un compte rendu miniature, plus clair que la vie (…) qui ne représente pas l’événement original en tant que tel, (…) c’est une abstraction, une caricature analytique (Erickson cité par Miles & Huberman, 2003, p. 160). La dimension fictive des situations présentées dans les vignettes a été jugée décisive pour limiter les risques d’identification émotionnelle des participants. L’image, plus aisément accessible aux personnes handicapées que le récit oral ou écrit, conserve cependant le caractère vivant de la narration. L’ambiguïté des scénarios a été recherchée, de façon à provoquer un conflit cognitif activant la représentation étudiée et ayant pour but d’impliquer activement les participants de l’étude dans la production de données, la réflexion et l’apprentissage tiré des données (Miles & Huberman, 2003, p. 157).
2.3.2 Le contenu des vignettes
13Les contenus des scénarios s’inspirent de situations réelles, parvenues à la connaissance des chercheuses par l’intermédiaire d’échanges avec des professionnels, par le biais de la littérature ou encore à travers leur propre expérience de terrain. Le matériel est composé de deux scénarios de base qui, l’un et l’autre, traitent d’une situation d’abus potentiel de la part d’un professionnel à l’encontre d’une personne en situation de handicap.
Scénario principal n° 1 : le premier scénario, intitulé « Au moment de la douche… », aborde le thème du respect de l’intimité de la psh. Cette thématique est cruciale dans la vie en institution. Trop souvent, le mode de fonctionnement institutionnel tend à mettre en place des solutions généralisantes et systématiques qui compromettent la considération des besoins individuels de la personne institutionnalisée, notamment le respect de sa sphère personnelle (Goffman, 1968). Pour certaines personnes handicapées, l’espace identitaire se réduit (…) au seul espace institutionnel ; pour elles, il n’y a pas de possibilité de repli, pas de protection contre les prises de contrôle, (…) et personne en dessous d’elles sur qui se débarrasser de ce poids (Gaillard, 2001, p. 30).
Scénario principal n° 2 : le deuxième scénario, intitulé « Après le repas, vaisselle et rangement… », soulève la question de la (sur) stimulation de la psh par le personnel d’accompagnement. Dans le domaine du handicap, la question de la stimulation se pose de façon tout à fait spécifique. La lenteur, les particularités développementales, les réponses singulières des personnes handicapées ont généré des pratiques pédagogiques et socio-éducatives spécifiques de stimulation visant à une accélération du développement et caractérisées par une intensification de la fréquence, de la durée, de la force des actions mises en œuvre (Petitpierre, 2002a). Ainsi, l’application de certaines pratiques intensives est-elle qualifiée d’abus par certains auteurs comme Robert-Ouvray (2000) lorsque la stimulation que subit un enfant est inappropriée à son âge, à son niveau de développement psycho-sexuel et contre sa volonté (p. 11). Certaines pratiques ou techniques passives constituent également des terrains favorables aux abus (surstimulation), car elles chosifient la personne handicapée, empêchant celle-ci de se construire d’elle-même l’image de quelqu’un d’efficace (Pêcheux, 1995, p. 45).
14Trois à quatre personnages interviennent dans chaque vignette. Ils correspondent aux acteurs potentiellement impliqués dans une situation d’abus (victime potentielle d’un acte de maltraitance, auteur potentiel de l’abus, témoins directs ou indirects). La présence du témoin a été jugée importante, car celui-ci joue souvent un rôle déterminant dans la suite qui est donnée à une situation d’abus. En milieu institutionnel, certaines personnes handicapées, certains professionnels et même certains parents peuvent parfois se trouver placés dans un tel rôle. On dit d’une personne qu’elle est un témoin direct lorsqu’elle assiste à la scène abusive, comme dans le scénario n° 2 qui montre un éducateur témoin du comportement de sa collègueo. La plupart du temps cependant, le témoin n’a qu’une connaissance partielle ou indirecte des faits. C’est le cas lorsqu’il est le dépositaire d’une violence confiée par un tiers ou lorsqu’il se trouve en présence de signes plus ou moins tangibles qui lui font pressentir l’existence de maltraitance. Une des variantes du scénario, présentée dans le point suivant, permet aussi d’aborder le rôle du témoin indirect. Elle met en scène une mère à qui sa fille handicapée adulte raconte les brimades que lui fait subir une éducatrice.
15Une analyse des vignettes par un juriste a été réalisée au cours de cette recherche. Cette analyse sera présentée au point 4. Ainsi les représentations des participants vis-à-vis du contenu du matériel pourront-elles être confrontées à l’analyse juridique de ce même matériel.
2.3.3 Les variantes
16Le choix de proposer des alternatives au scénario de base s’inspire de la technique théâtrale dite « théâtre forum », mise au point par Augusto Boal, qui invite le public à modifier le contenu d’une scène de base. Cette technique consiste à jouer une histoire dans une version initiale, puis à envisager avec les spectateurs des alternatives visant à solutionner le problème soulevé dans la première scène. Le principe de théâtre forum rompt avec l’état de passivité dans lequel est souvent placé le spectateur traditionnel. Dans le matériel destiné à cette recherche, l’idée d’introduire des variantes infléchissant la scène de base a été reprise. Les variantes ou alternatives invitent le spectateur à rester flexible au niveau de ses interprétations en observant une scène sous divers angles (rôle, attitude et intention des personnages – victime, agresseur ou témoin – ; contexte ; caractéristiques de la conduite ; conséquence(s) pour la personne victime ; etc.). Sur le plan de l’action, les variantes permettent au spectateur de se rendre compte du caractère non définitif de la situation initiale et mettent l’accent sur les opportunités de changement qui peuvent exister.
2.3.4 Test du dispositif
17Afin de s’assurer de la cohérence, de la validité et de la faisabilité du dispositif prévu, ce dernier a été testé avant le démarrage de la recherche. Dans un premier temps, il s’est agi de confirmer l’ambiguïté des vignettes dans une institution tierce. Les scénarios de base et leurs variantes ont été présentés à un groupe de professionnels, à deux petits groupes de personnes handicapées (composés de quatre et six personnes), ainsi qu’à une personne handicapée adulte en entretien individuel. Ils ont également été soumis à un groupe de parents, ainsi qu’à deux groupes de dix étudiants dans un cursus de formation en éducation. Cette étape préalable a permis de confirmer le fait que les vignettes n’étaient pas univoques et qu’elles véhiculaient une ambiguïté suffisante pour engager un débat autour du concept de maltraitance, soulevant notamment la question des critères utilisés pour juger de l’existence d’une maltraitance.
18Cette phase préliminaire a aussi permis de vérifier l’adéquation de la démarche d’animation de groupe dans les trois groupes pressentis. Il s’agissait de vérifier que les questions prévues pour animer le débat suite à la projection des vignettes permettaient d’avoir accès aux représentations des interlocuteurs en rapport avec le phénomène étudié. Cette étape a donné lieu à quelques adaptations. Des pictogrammes ont été introduits pour soutenir l’expression des psh et afin que celles-ci puissent disposer des traces de leurs interventions en vue d’une restitution aux autres participants. Finalement, cette étape a également permis de tester les questionnaires élaborés pour le recueil des représentations individuelles des parents et des professionnels à deux moments de la procédure (voir annexes A.9 et B.3 sur Internet).
2.4 Précautions éthiques concernant la procédure de recherche
19Plusieurs précautions ont été prises afin de respecter les principes éthiques indispensables à la démarche de recherche. Certaines mesures concernent l’utilisation des vignettes, d’autres le risque de révélation d’abus qui se trouve accru du fait de la tenue d’une recherche sur ce thème, d’autres encore portent sur l’intitulé de la recherche, qui devait être suffisamment informatif pour les participants sans pour autant être susceptible de les influencer.
2.4.1 Cadre fixé pour l’utilisation des vignettes
20Un certain nombre de précautions ont été prises pour limiter la nocivité éventuelle des vignettes à partir desquelles il était prévu de discuter des critères permettant de juger de la valeur bien-ou mal-traitante des comportements. Même si les scénarios avaient été construits de façon ambiguë, nul ne pouvait exclure le fait que certains d’entre eux véhiculent un risque de nocivité1. On pouvait craindre en effet que ces supports génèrent une insécurité pour celui qui devait en prendre connaissance ou qu’ils induisent des phénomènes d’imitation ou d’habituation à court ou à long terme (Bandura, 1980 ; OMS, 2002a ; von Feilitzen & Bucht, 2001). S’est donc posée la question de savoir s’il était déontologiquement acceptable de confronter un public au matériel concerné, notamment lorsque ce public est constitué de « majeurs protégés », dont on peut raisonnablement penser qu’ils nécessitent une protection et non une provocation (OMS, 2002a, p. 2). Cinq principes de précaution ont été fixés afin de prévenir la nocivité éventuelle du dispositif. Ces principes ont réglementé l’utilisation du matériel par des conditions d’utilisation strictes, sans lesquelles celle-ci aurait pu devenir contre-productive et éthiquement contestable (Petitpierre 2006, 2009).
Nécessité de médiation pédagogique
21Ce principe est en accord avec les recherches qui ont montré que lorsque la médiation pédagogique précède et suit la confrontation à des images potentiellement violentes, elle permet d’atténuer les retombées émotionnelles et le caractère incitatif du contenu visionné (Frydman, 1994 ; Nathanson, 2004 ; Nathanson & Mong-Shan, 2003). La médiation diminue le risque de nocivité du dispositif grâce au débat critique et évaluatif sur lequel débouche la projection. Elle a pour rôle de favoriser l’activité réflexive du participant. L’animateur doit, à tout moment du processus, rester attentif aux éventuels signes de détresse des participants (Cantor, 2000 ; Johnson, 2000). Il doit aussi être en mesure de débriefer et de réagir à l’évocation, par ceux-ci, de stratégies de protection potentiellement dangereuses pour eux (par exemple, taire la présence d’un abus, garder le secret).
Nécessité de fixer des limites de participation
22Ce principe est en accord avec les données développementales qui montrent que l’impact de la violence, sous sa forme télévisuelle, s’atténue avec l’âge, le niveau de développement et de représentation. Par mesure de précaution, l’utilisation du dispositif a été restreinte aux personnes disposant de représentations suffisantes pour saisir le principe de la fiction (Cantor, 2000).
Nécessité de respecter une cohérence didactique
23Les scènes potentiellement nuisibles n’ont pas été présentées sans que les participants n’aient été appelés à visualiser une ou plusieurs vignettes de suite offrant l’image d’un dénouement jugé favorable en termes de prévention (par exemple, une personne avec une DI qui, après avoir été victime de violence verbale de la part de l’éducatrice, s’affirme en invoquant ses droits, se confie à sa mère, etc.). Ce principe de précaution se fonde sur l’effet du mécanisme de récence, connu dans le fonctionnement mnésique comme la tendance à privilégier les souvenirs les plus actuels. Il s’agit d’utiliser l’existence de ce mécanisme pour favoriser la mémorisation de stratégies de protection qui signalent aux participants les ressources personnelles et les possibilités d’aide et d’assistance disponibles dans leur environnement.
Nécessité de veiller au contenu de la médiation pédagogique
24Le processus de médiation étant central par le rôle qu’il joue dans le processus de régulation des émotions, une attention particulière a été portée à certains biais tels que blâmer les victimes, respectivement les auteurs, chercher des responsables, donner des raisons simplistes, etc. (Petitpierre 2002a).
Nécessité d’obtenir le consentement éclairé des participants et de leurs responsables légaux
25Ce dernier principe s’inspire d’une étude menée par Johnson (2000), destinée à évaluer les connaissances d’enfants tout-venant, relatives à leur sécurité et à leurs ressources face à la maltraitance. Dans cette recherche australienne, la projection de vignettes a été mise en cause en raison des exigences légales concernant le consentement lorsque l’étude prévoit la participation de mineurs. Un des amendements proposés par les auteurs a consisté à informer non seulement les représentants légaux des jeunes participants, mais également les enfants de façon complète au sujet de l’étude (but, contenu, supports et risques). La recherche présentée dans cet ouvrage a également été soumise à ce principe afin d’obtenir le consentement éclairé de toutes les personnes intéressées. La participation des personnes handicapées, tout comme celle des parents et des professionnels, a requis le consentement2 et l’autorisation écrite de chacun. Les vignettes ont été présentées aux cadres des établissements concernés avant le démarrage de la recherche. Finalement, il a été convenu que tout participant pouvait, s’il le désirait, se retirer de la démarche à tout moment et en toute liberté, et que les trois groupes (psh, responsables légaux, professionnels) seraient uniquement constitués de personnes volontaires.
2.4.2 Précautions concernant la probabilité de révélation d’abus en cours de recherche
26Une probabilité accrue de révélation d’abus se manifeste dans la plupart des recherches abordant le thème de la maltraitance3. C’est la raison pour laquelle l’équipe de recherche a défini, au préalable et avec les partenaires de terrain, les mesures d’accompagnement à prendre si de tels événements devaient survenir. Compte tenu de cette précaution, l’engagement de confidentialité pris par les chercheuses à l’égard des participants n’a pu être inconditionnel. Les participants ont été informés, en début de recherche, que si une révélation d’abus intervenait au cours de l’étude, les chercheuses étaient tenues d’activer les procédures institutionnelles prévues pour le signalement, les aides à l’intention de la victime et des témoins et, finalement, les mesures prévues à l’intention de la personne ayant commis l’abus.
27Afin de répondre à divers questionnements pouvant survenir en cours de démarche, un groupe d’experts a été sollicité tout au long du processus de recherche. Ce groupe d’accompagnement était constitué d’un juriste, d’une psychopédagogue, également chercheuse expérimentée, d’un parent, président d’une association romande de parents, et d’une seconde psychopédagogue au bénéfice de trente années d’expérience de terrain avec la population concernée. Ce groupe a été sollicité trois fois pour résoudre des questions spécifiques au processus de recherche (voir point 2.4.3). Par contre, il n’a pas eu à se prononcer concernant les suites à donner à des révélations, puisqu’aucune situation de ce genre n’est apparue en cours de démarche.
2.4.3 Présentation du thème de la recherche aux participants
28Il est apparu nécessaire d’éviter que la force évocatrice de la notion de maltraitance ne vienne modifier la perception et l’interprétation, par les participants, des comportements des protagonistes dans les scènes présentées. En effet, interpeller explicitement les participants à propos de la maltraitance aurait probablement influencé les participants dans la lecture qu’ils auraient faite des vignettes. Leur perception des scènes aurait pu être influencée par les termes trop précis employés dans l’intitulé de la recherche. Après consultation du groupe des experts, il a été décidé de jouer sur la dénomination de la recherche. Celle-ci n’a donc initialement pas été présentée aux participants comme une recherche sur la prévention de la maltraitance, mais a été introduite comme une « recherche-action sur les pratiques éducatives à privilégier ou à éviter dans des situations de vie quotidienne en institution ». Le fait de parler des conduites à privilégier ou à éviter a permis de laisser un espace entre les faits montrés dans les vignettes et les objectifs de la recherche. L’intitulé choisi avait comme objectif de ne pas orienter d’entrée les participants vers la thématique de la maltraitance et leur laissait une certaine indépendance dans l’interprétation de la scène ambiguë présentée. C’est uniquement à un moment précis de la démarche, correspondant approximativement à fin de la deuxième séance, que la notion de la maltraitance a été systématiquement introduite par le biais du questionnaire écrit.
29Dans toute démarche de recherche-action, la description précise du contexte demeure essentielle. C’est bien dans une situation particulière, à une période donnée, que les participants avec l’équipe de recherche analyseront une problématique qui les concerne pour en faire émerger des actions possibles. Les paragraphes suivants présentent les trois institutions partenaires et les personnes s’étant engagées dans cette démarche.
2.5 Les établissements partenaires
30Le déroulement pratique de la recherche a pu compter sur la collaboration de trois grandes institutions. La première a permis de tester le dispositif en amont de la recherche. Deux autres établissements, spécialisés dans l’hébergement et l’accompagnement en atelier d’adultes ayant une déficience intellectuelle, ont collaboré à la démarche de recherche proprement dite. L’un d’entre eux a eu un rôle catalyseur dans la réalisation de l’étude, comme en témoigne l’annexe A.1. Le second a été approché pour étendre la recherche et étoffer l’effectif de participants. Cet établissement a été pressenti en raison des similitudes qu’il présente avec la deuxième institution partenaire. Chacune des deux structures accueille et accompagne des personnes, enfants et adultes, avec une DI. Les services qu’offrent l’une et l’autre se ressemblent et se déclinent notamment en prestations d’hébergement et d’atelier. Les deux établissements sont de grande taille. L’un est localisé sur sol genevois, l’autre dans le canton de Vaud. Le fait que les deux établissements soient situés dans deux cantons différents a été considéré comme un avantage, par le fait que cette différence permet de comparer les influences de niveau macrosystémique (juridiction cantonale, etc.).
31La démarche de recherche-action suppose que l’équipe de recherche n’impose pas son objet d’étude ni ne se positionne comme un expert incontesté à l’égard de celui-ci, mais qu’il intègre et invite les partenaires à coélaborer le projet. Les deux établissements ont joué un rôle important dans le bon déroulement de la recherche. Les annexes A.2 et A.3 présentent le démarrage de la recherche tel qu’il s’est déroulé dans chaque établissement. Les institutions partenaires sont par ailleurs intervenues sur plusieurs points concernant l’organisation pratique de la recherche sur le terrain.
2.5.1 Portrait des établissements partenaires
32Une bonne connaissance des établissements partenaires, de leur organisation et de leurs ressources, constitue une base importante pour comprendre le contexte dans lequel évoluent les participants. Le point suivant vise à présenter différentes dimensions de l’organisation institutionnelle, de la gestion des ressources et des prestations offertes aux personnes accueillies dans ces établissements. Un deuxième paragraphe sera consacré à la présentation des mesures de prévention de la maltraitance telles qu’elles ont été développées dans chaque structure.
Les Etablissements Publics Socio-Educatifs (EPSE)
33Au moment de la recherche, les EPSE accueillaient deux cent vingt-quatre personnes, réparties dans des structures d’atelier et de résidence. Le nombre total de postes de travail en 2006 était de deux cent trente-six collaborateurs, parmi lesquels cent quarante-quatre socio-éducateurs, trente assistants socio-éducatifs, dix-sept aides-soignants, dix cadres éducatifs et trente-cinq autres postes. A cette époque, l’établissement dépendait de la loi sur les établissements publics socio-éducatifs pour personnes handicapées mentales (loi genevoise K1 40 du 7 juin 1985)4. Les EPSE sont gérés par une Commission administrative nommée pour quatre ans et composée de huit membres ; aucune psh n’est représentée dans ce comité, qui compte cependant au moins un parent ou responsable légal d’une personne accueillie par les établissements.
34Les EPSE sont certifiés ISO 9000 depuis l’an 2000 ; ils répondent donc aux conditions émises par l’OFAS pour recevoir leur financement. En 2006, ces établissements ont aussi été certifiés IiP (Investor in People), ce qui accrédite l’existence d’un système de management de la qualité plus exigeant encore. Ils se soumettent à un audit annuel réalisé par un organisme externe reconnu. Leurs mission, valeurs, objectifs et organigramme sont intégrés à un Manuel qualité régulièrement réactualisé et remis au personnel. Ce Manuel qualité est accessible sur demande aux familles, aux résidants et aux partenaires concernés. Une procédure spécifique de gestion de l’information associée à une procédure d’élaboration des objectifs opérationnels permet à chaque collaborateur de connaître les objectifs prioritaires de l’année. Concernant les espaces et l’aménagement des locaux des institutions, les EPSE respectent les conditions du programme cadre de l’OFAS, de l’assurance invalidité et les conditions des établissements pour personnes handicapées.
35Représentation des personnes handicapées : si les usagers ne sont pas représentés dans la Commission administrative, leur représentation est prévue à d’autres niveaux, par exemple dans la Commission de formation de travailleurs et des résidants. Cette commission, mandatée par le Conseil de direction, compte deux psh qui peuvent se prononcer sur le choix des formations internes proposées aux résidants et travailleurs de l’institution. L’institution offre ainsi un programme de formation aux résidants et aux personnes extérieures intéressées. Ce programme comporte divers cours, dont certains sont liés de près ou de loin à la prévention de la maltraitance5.
36Dans plusieurs unités de vie, la participation des usagers est possible lors des séances hebdomadaires, les psh et les professionnels pouvant aborder à cette occasion les éléments importants du vécu de la semaine (satisfaction, insatisfaction) et formuler éventuellement des demandes. Ces rencontres formelles ne sont toutefois ni systématiques ni obligatoires, elles relèvent du bon vouloir des équipes ou du contenu du projet pédagogique. Un procès-verbal n’est qu’exceptionnellement rédigé, ; cependant, un résumé de la séance apparaît généralement dans les observations quotidiennes. Il existe aussi des colloques pour les travailleurs en atelier. Mais là aussi, la participation reste libre.
37Gestion du personnel : depuis le 28 février 1990, le personnel des EPSE est régi par les statuts du personnel des Etablissements publics médicaux. Le personnel est rémunéré sur la base de l’échelle de traitement de l’Etat de Genève. L’engagement du personnel est soumis à une procédure stricte. Le collaborateur devra être accepté sur trois plans. Le premier est l’analyse de son dossier, dont un extrait de casier judiciaire et un certificat de bonnes mœurs. La deuxième étape consiste en un stage pratique où le candidat devra obtenir un avis favorable de l’équipe avec laquelle il a travaillé. Finalement, la procédure prévoit un entretien avec le chef de secteur socio-éducatif. Aux trois étapes, les préavis doivent être positifs pour que l’engagement puisse être effectif. Chaque personne engagée reçoit une description de fonction et un cahier des charges. Les collaborateurs sont évalués une fois par année les premières années, puis une fois tous les deux ans après leur nomination ; celle-ci intervient en règle générale après trois ans de service. Lors d’une rencontre annuelle avec la direction, les collaborateurs sont invités à exprimer un degré de satisfaction en lien avec leur fonction aux EPSE. Seize domaines sont évalués, notamment le management global, les conditions et le cadre de travail, l’information et la communication, les outils et moyens à disposition, les horaires, les moyens informatiques, les repas, les nettoyages, la sécurité, etc. Une synthèse des évaluations est ensuite présentée par la direction à l’ensemble des collaborateurs. Ceux-ci sont également informés du rapport annuel et des objectifs annuels institutionnels atteints ou non atteints. Les EPSE offrent des formations internes pour le personnel. Certaines formations sont obligatoires ; elles peuvent être exigées par la hiérarchie. Des demandes peuvent aussi être formulées par les professionnels pour des formations externes.
38Prestations aux usagers : la population admise aux EPSE est définie dans la loi K 1 40. Les procédures d’admission et de sortie sont décrites dans le Manuel de gestion de la qualité. Au moment de l’admission, les droits et devoirs des psh leur sont présentés oralement ainsi que les valeurs sur lesquelles l’institution s’appuie dans la mise en place de ses actions. Ces documents de référence sont accessibles dans la documentation qualité et peuvent leur être remis sur demande. Tant au niveau du travail en atelier qu’en résidence, un contrat est établi entre la personne en situation de handicap ou son représentant légal et l’institution. Pour les résidences, ce contrat décrit les diverses prestations offertes (accompagnement socioéducatif, prestations hôtelières, soins, prestations possibles avec supplément financier, conditions financières et règlement concernant la communication de données personnelles, assurances, inventaires des biens, absences, etc.). Une procédure spécifie la manière d’informer les personnes handicapées. De plus, pour son accompagnement socio-éducatif, le résidant bénéficie d’un projet composé d’objectifs personnalisés. Les personnes en situation de handicap participent à toutes les réunions concernant leur projet et, dans la mesure du possible, elles sont consultées lors de l’élaboration de celui-ci, comme l’est aussi leur représentant légal. Un bilan est réalisé annuellement. Ce projet vise à répondre et à s’adapter au mieux aux besoins des résidants. Il inclut les visées socio-éducatives, l’aide au développement personnel, les vacances, les loisirs, les sports et la formation. Plusieurs procédures existent concernant la prévention et les soins : Aide à la mobilité ; Confort ; Administration des médicaments ; Confirmation de nouveau traitement médicamenteux ; Instructions à suivre lors de maladie d’un résidant ; Urgences médicales et erreurs de médication. De même, un document énonce les principes alimentaires pour les repas. Un autre document tient compte des régimes spécifiques, un autre encore décrit la gestion de l’hygiène.
39Chaque résidant des EPSE occupe une chambre individuelle qu’il peut aménager. Les biens du résidant sont répertoriés. Le résidant peut demander une clé pour sa chambre et en apprendre l’utilisation si nécessaire. Il a accès à un téléphone qu’il peut gérer seul avec une carte d’appel. Un accès internet collectif est disponible dans chaque résidence. Si une personne le demande, elle peut l’utiliser.
40Il existe une procédure de recours pour les différentes prestations offertes aux personnes (admission, sortie, activité d’hébergement et d’atelier, accompagnement, etc.). Mentionnons que plusieurs dispositifs exigent une capacité de lecture, d’écriture ou de communication (expression et compréhension) que ne possèdent pas tous les usagers. Ainsi, même si ces dispositifs sont mis en place, ils présentent des limites importantes. La satisfaction des personnes en situation de handicap est évaluée chaque année par un outil créé à cet effet. Cette évaluation, bien qu’administrée par un membre du personnel ne faisant pas partie du cercle des professionnels du résidant, peut cependant se trouver influencée par le fait qu’elle est recueillie par un professionnel travaillant aux EPSE. La satisfaction est mesurée par des smiles, ce qui limite aussi les nuances ; finalement, les dimensions évaluées (repas, ambiance) sont souvent très globales et ne permettent pas de connaître le motif d’insatisfaction. Ces différents aspects rendent les résultats obtenus avec cet outil simplifié plus ou moins valides et les indices obtenus doivent être interprétés avec prudence. Dans l’attente d’un outil plus satisfaisant, l’Inventaire de la qualité de vie en milieu résidentiel (Tremblay & Martin-Laval, 1997) est administré tous les deux ans aux psh qui fréquentent la résidence.
La Fondation L’Espérance
41La Fondation L’Espérance est un établissement socio-éducatif qui accueille, en divers lieux de vie et de travail, environ deux cent septante personnes adultes présentant une déficience intellectuelle. L’établissement propose également des prestations d’accueil, en externat et en internat scolaire, qui s’adressent aux enfants et adolescents. Situé dans un petit village de la Côte vaudoise, l’établissement bénéficie d’un très beau site, qui se révèle malheureusement moins favorable lorsqu’on l’envisage sous l’angle de l’intégration, du fait de son éloignement du réseau de transports publics. Pour mieux répondre aux besoins de la population la plus autonome, l’établissement a aussi développé depuis plusieurs années des prestations d’hébergement en appartement en ville.
42Les organes de l’institution sont constitués d’un Comité de fondation comprenant sept membres et d’une équipe de direction composée d’un directeur général, d’un directeur adjoint et de chefs de secteur. Les personnes avec une DI ne sont pas représentées dans ces organes. Les familles, quant à elles, le sont dans le Conseil de fondation élargi, un parent siégeant dans le comité. L’établissement dispose d’un système de gestion destiné à préciser la nature des prestations qu’il offre et à en contrôler la qualité, comme le prévoient les exigences imposées par l’OFAS en la matière. Ce dispositif comprend notamment une description des prestations d’accompagnement socio-pédagogique, dont les lignes directrices sont en partie définies dans la charte institutionnelle et dans un document qui fixe les orientations conceptuelles de l’institution. L’opérationnalisation des prestations est quant à elle précisée dans le document écrit suivant : Le contrat d’admission, qui est signé à la fois par le représentant légal, la direction et le résidant. Cependant, ainsi que le constate avec regret un des cadres de l’établissement, la portée contractuelle de ce document est actuellement très relative, du fait que la majorité des familles n’ont pas de réel choix. Le nombre de places dans les structures d’accueil de la région étant limité, le manque d’alternative confère à la situation d’admission à l’âge adulte un aspect parfois difficile pour le résidant et sa famille. Les droits de recours du résidant et de sa famille sont en principe présentés au moment de l’admission. En cas de difficulté, le résidant ou sa famille peuvent en référer successivement à M. et Mme SOS (voir point 2.5.2.), au chef de secteur, à la direction, au président du Comité, au Service de prévoyance et d’aide sociales ou, en dernier recours, au conseiller d’Etat. Les prestations socio-éducatives offertes à la personne accueillie sont également précisées dans un document qui présente les dispositions relatives au projet d’accompagnement personnalisé. Ce document impose la tenue d’une évaluation initiale du résidant à partir de laquelle sera développé son projet de vie. Ce document précise également le rythme auquel ce projet doit être réactualisé, celui des évaluations ultérieures ainsi que la fréquence des réunions de synthèse consacrées au partage des observations à propos du résidant. Un minimum d’une rencontre tous les deux ans est défini. Il est prévu que le résidant puisse participer et s’exprimer à l’occasion de la réunion de synthèse le concernant. Les membres de sa famille sont également conviés à cette réunion. Le participant peut inviter d’autres personnes s’il le souhaite. Le contrat de travail entre le résidant et les responsables des ateliers est un accord formel qui a pour but de fixer les bases du travail en commun. Y figure notamment une annexe intitulée : « J’ai un problème dans le cadre de mon travail : comment puis-je le régler ? », laquelle informe la psh des étapes qu’elle peut suivre et lui indique quelles personnes sont susceptibles d’être contactées si elle rencontre un problème dans le cadre de son activité aux ateliers. Il lui est ainsi suggéré d’envisager une discussion : 1) avec son maître d’atelier, 2) avec le chef de secteur des ateliers, 3) avec la commission des travailleurs, 4) est finalement indiquée la possibilité d’interpeller le directeur éducatif. L’organe qui a pour fonction de permettre aux travailleurs de s’exprimer sur ce qu’ils vivent au travail (points forts, difficultés rencontrées) est la commission des travailleurs. Cette commission se réunit cinq fois par an ou plus selon les besoins. Elle est composée de cinq travailleurs handicapés, de trois professionnels des ateliers (dont le chef de secteur) et d’une ou deux personnes extérieures aux ateliers.
43Les contacts que les résidants peuvent développer et entretenir à l’extérieur de l’institution sont en partie tributaires de leur niveau d’autonomie et de compétences. L’institution, quant à elle, veille à ce que les résidants puissent avoir accès au téléphone (chaque groupe dispose d’un appareil et, depuis 2008, les communications ne sont plus facturées aux résidants). Quelques résidants des appartements ont une adresse courriel, mais cela reste exceptionnel du fait que « la plupart ne savent quasiment pas écrire ou très peu » ; toutefois, la possibilité existe pour la minorité concernée. Les visites ne font pas l’objet de restrictions. Par respect pour les autres résidants, il est cependant demandé qu’elles soient annoncées et les visiteurs sont invités à frapper à la porte des résidences. Comme l’exprime le cadre interrogé, malgré ces précautions, l’isolement des résidants reste effectif ; ceux-ci « adorent les visites parce qu’ils en ont très peu, toute personne qui vient de l’extérieur est happée, ils ont soif de rencontres » (propos recueillis lors de l’entretien avec les cadres, novembre 2006).
2.5.2 Les mesures de prévention développées par les établissements partenaires
44Si les lois fédérales régissent leur fonctionnement de manière identique, la législation cantonale octroie toutefois un cadre différent à chacun des établissements, notamment en ce qui concerne les directives en matière de prévention de la maltraitance.
45Mesures développées par les EPSE : les EPSE sont situés dans le canton de Genève, un canton qui ne dispose actuellement pas de législation spécifique concernant les abus ou les mesures de contrainte exercées envers des psh qui vivent ou travaillent en institution. Ce contexte légal conduit les institutions du canton accueillant ces personnes à définir leurs propres critères, à trouver leurs propres moyens de prévention et à développer de façon indépendante les aides à apporter aux victimes et aux personnes ayant commis des abus, lorsque ceux-ci ne tombent pas sous le coup des lois fédérales.
46Le contenu des entretiens et les documents remis par les membres de la direction confirment le fait que les situations présumées ou réelles d’abus ou de maltraitance se règlent actuellement à l’interne, sauf lors de faits exceptionnels avérés (vols à répétition). Pour traiter ces situations, l’établissement a développé des procédures écrites qui font partie de son système de gestion de la qualité. Quatre formulaires concernent le traitement de dysfonctionnements. Le premier traite des atteintes aux biens des collaborateurs, des personnes handicapées ou des visiteurs. Un deuxième formulaire vise à traiter des incidents ou faits graves impliquant des psh, des collaborateurs ou des visiteurs (par exemple, erreur dans la transmission d’une information, etc.). Un troisième est spécifique aux violences commises envers les collaborateurs (« Instructions concernant la prévention, le soutien et le suivi des situations de violence exercées par des personnes handicapées envers des collaborateurs »).
47Ces trois formulaires se présentent sous forme écrite, ils sont simples à compléter et faciles d’accès pour une personne maîtrisant l’écriture et connaissant leur existence. Une personne handicapée ne sachant écrire doit demander l’aide d’un tiers, un professionnel du social, un parent, un tuteur en mesure de l’aider à compléter les formulaires ou de le faire pour elle. Par le passé, le premier formulaire a été utilisé à une seule reprise par une personne handicapée suite à des vols à répétition commis par un autre résidant ; celui-ci a été jugé sur le plan pénal. Le deuxième formulaire n’a jamais été utilisé par une personne handicapée. Le troisième formulaire a été mis en place en février 2006 ; depuis sa création et jusqu’au moment de l’entretien, en décembre 2006, il a été complété une trentaine de fois pour annoncer qu’un professionnel avait été agressé par une personne handicapée et exceptionnellement pour des violences d’un résidant à l’égard d’un autre résidant.
48Le quatrième formulaire est un document permettant d’exprimer des plaintes ou des félicitations face à des actions respectivement jugées négatives ou positives. Il peut être complété par la personne en situation de handicap ou son représentant légal. Tout collaborateur qui reçoit par lettre, par téléphone ou oralement une plainte ou des félicitations concernant un professionnel est censé la transcrire sur le formulaire ad hoc. De l’avis de la direction, ce formulaire demeure mal connu et insuffisamment utilisé, malgré les informations reçues par le personnel à l’occasion de formations obligatoires. L’existence de ces procédures est en principe expliquée, à la demande, à la personne handicapée et à son répondant légal lors de son admission, mais cela n’est pas systématique.
49A ce jour, une seule plainte a été déposée par une personne handicapée contre une autre personne handicapée externe à l’institution et aucune n’a encore été portée à l’encontre des professionnels. Par contre, plusieurs réclamations ont été traitées. En 2006, il a été ajouté à ces quatre formulaires une instruction interne précisant la ligne de conduite à adopter lorsque s’impose une mesure de contrainte envers un résidant : « Instruction concernant l’application des mesures de contrainte pour état de nécessité ». L’usage de telles mesures doit être désormais systématiquement documenté. La traçabilité est obligatoire quelle que soit la mesure utilisée (isolement, médication, contention). Les informations concernant la mesure appliquée doivent figurer dans le dossier de la personne et être communiquées au supérieur hiérarchique, ainsi qu’au responsable légal.
50Les dispositifs actuellement disponibles dans cet établissement paraissent davantage correspondre aux moyens des professionnels qu’à ceux des personnes en situation de handicap du fait qu’ils présupposent l’écriture. Ils sont plus efficaces pour signaler les actes de violence dont sont victimes les professionnels que ceux dont seraient victimes les personnes en situation de handicap. En cas de besoin, les professionnels sont orientés vers une aide extérieure ; cette aide est financée par l’institution si cela est nécessaire.
51Mesures développées par l’Espérance : l’Espérance, située dans le canton de Vaud, est soumise à une législation cantonale bien définie en ce qui concerne l’obligation de signaler toutes les mesures de contrainte qui surviennent dans le cadre institutionnel. Celle-ci fixe des critères stricts en dehors desquels l’usage de la contrainte à l’égard d’une personne dépendante ne saurait être toléré. Ces dispositions réglementent la durée de toute mesure qui suppose une restriction de mouvement et imposent la traçabilité de la mesure prise. L’usage de mesures de contrainte doit désormais figurer dans le dossier de la personne et être communiqué au supérieur hiérarchique. Toute mesure de contrainte doit également être signalée à une commission extérieure à l’institution mandatée par l’Etat, chaque fois qu’elle déroge aux critères fixés (durée, motif, etc.). Cette commission, qui relève d’un niveau de prévention exosystémique, a le droit de vérifier, à tout moment et sans s’annoncer au préalable, la conformité de ce qui se passe au sein des institutions, ce qui permet un regard extérieur sur les pratiques institutionnelles. En plus de ces dispositions qui relèvent du macrosystème, l’institution s’est dotée d’un dispositif interne pour traiter les éventuels faits de maltraitance ou d’abus envers les psh. Ce dispositif compte trois mesures principales : ce sont les protocoles d’intervention des situations violentes et de gestion de la violence, la Commission bientraitance-maltraitance et le dispositif de médiation incarné par M. et Mme SOS.
52Le protocole d’intervention des situations violentes et le protocole de gestion de la violence s’appliquent aux situations de violence survenant entre résidants ou perpétrées par des résidants sur des membres du personnel ou des tiers. Ces protocoles définissent le suivi à donner lorsque survient une telle situation (analyse de la situation, débriefing, rétablissement de la communication avec et entre les personnes concernées, procédure de sanction et de réparation, etc.). Ils précisent, le cas échéant, la nature et les conditions d’octroi des soutiens qui peuvent être proposés aux collaborateurs impliqués (évaluation des répercussions, appel à des ressources internes et externes).
53La Commission bientraitance-maltraitance est un organe institutionnel dont la tâche est de promouvoir la prévention de la maltraitance au sein de l’établissement. Son rôle consiste aussi, dans les situations concrètes qui viendraient à se présenter, à déterminer et à se prononcer sur ce qui relève de la maltraitance ou non. La commission est composée de neuf à douze membres comprenant au moins trois résidants, deux membres du personnel, deux représentants légaux des résidants, un membre de la direction ainsi qu’une personne extérieure défendant les intérêts des personnes présentant une déficience intellectuelle. Les deux intervenants en matière de bientraitance-maltraitance, M. et Mme SOS, assistent aux séances de la commission, qui se réunit au minimum deux fois par an.
54La nécessité de créer un dispositif de médiation à l’intention des résidants est apparue à la suite d’une journée de formation organisée en collaboration avec une association défendant les droits des personnes présentant une DI (Solidarité-Handicap mental). Le dispositif désormais incarné par M. et Mme SOS a été proposé afin d’aider les psh à surmonter les situations difficiles qu’elles pouvaient être amenées à vivre à l’intérieur de l’établissement. Il s’agissait de proposer aux usagers un espace de parole avec des personnes de confiance. M. et Mme SOS sont deux professionnels qui assurent une permanence d’écoute à l’intention des résidants. Instituée depuis 2002, cette permanence est tenue deux fois par semaine au restaurant de l’institution. En dehors de ces moments, M. et Mme SOS sont disponibles par téléphone ou lors de rencontres fortuites. Mme SOS évoque des sollicitations régulières : « On a régulièrement des gens qui viennent nous trouver et qui, pour une grande majorité, ont besoin d’être rassurés, d’être orientés. On a des situations compliquées, des situations à traiter, mais de moins en moins…, c’était plus [le cas] au départ, maintenant je trouve que c’est de moins en moins des situations de maltraitance » (propos recueillis auprès de Mme SOS en janvier 2007). M. et Mme SOS sont élus par les résidants. La teneur de leur mandat est défini dans un cahier des charges. M. et Mme SOS ont notamment pour tâche de répondre à toutes questions et préoccupations des résidants et du personnel en lien avec la maltraitance, d’écouter, de répondre et de donner suite à toute plainte en provenance d’un résidant qui se sent victime de maltraitance, d’un collaborateur victime de maltraitance de la part d’un résidant, ainsi qu’à tout signalement de cas de maltraitance. Leur rôle consiste à organiser ou faire organiser la réparation de l’acte de maltraitance. M. et Mme SOS consignent toutes leurs interventions par écrit. Les résidants sont régulièrement réinformés de la présence et de la fonction de M. et Mme SOS. « Au début, on a fait une affiche avec nos deux photos qu’on a placardées dans l’institution. On a organisé une rencontre de présentation, chose qu’on va refaire au mois de février pour rappeler aux gens qui on est, ce qu’on fait, pourquoi on est là… On invite les gens dans une grande salle et vient qui veut, du personnel et des résidants » (ib.). Il arrive que, dans leur mandat, ces médiateurs soient interpellés par certains de leurs collègues : « Oui, on a eu des situations de professionnels qui sont venus en nous disant : ‹ On n’en peut plus, l’équipe est en train d’exploser, on a énormément de violence dans notre groupe, on ne sait plus, on est à la limite de passer à l’acte et puis on ne se sent pas entendu. › Du coup, je suis intervenue dans une équipe pour les écouter uniquement. Je leur ai dit : ‹ Dans ce que je vois, voilà ce que je vous propose, je ne vois qu’une solution (…) une super - vision avec quelqu’un qui traite spécifiquement de la maltraitance, la violence, des actes de violence que vous rencontrez parce que, à vous entendre, vous êtes tous confrontés…, vous êtes à la limite de passer à l’acte » (ib.). Le dispositif M. et Mme SOS constitue un lieu de recours et d’expression très adapté à la population en situation de handicap. Elues par la commission des usagers de l’institution, ces personnes disposent de la confiance de la plupart des résidants. Le dispositif de rencontre permet à de nombreuses psh, même celles dont les possibilités d’expression verbale sont plus élémentaires, de s’approcher de M. et Mme SOS pour se confier et être écoutées. Ainsi, une personne victime, ou se percevant comme telle, peut-elle aller chercher l’aide et l’écoute dont elle a besoin auprès de l’un ou l’autre médiateur. L’établissement travaille actuellement sur une des limites de ce dispositif, qui ne convient pas aux personnes qui n’ont pas du tout accès à la parole ni à celles dont la mobilité ou l’éloignement ne permet pas d’aller à la rencontre des médiateurs.
55Pour les professionnels qui seraient eux-mêmes victimes de violence ou d’abus de la part de personnes avec une DI, la voie hiérarchique constitue la voie d’expression et d’aide au personnel prévue par l’organisation institutionnelle. Même si, parfois, quelques professionnels font appel à leurs collègues médiateurs, le dispositif hiérarchique reste la voie la plus fréquemment utilisée par les professionnels, à hauteur d’une vingtaine de fois durant l’année 2006. Cette voie prévoit que le supérieur hiérarchique écoute le professionnel qui demande à être entendu et l’informe des possibilités d’aide extérieure (par exemple, soutien thérapeutique, centre de consultation LAVI6, etc.) lorsque cette aide s’avère nécessaire. Le supérieur hiérarchique ne vérifie pas si le professionnel utilise les aides proposées. Au cours des deux années précédant le début de cette recherche, aucun professionnel de l’établissement n’avait déposé de plainte contre des psh à l’extérieur de l’établissement.
56Après ce regard posé sur les contextes institutionnels et les mesures de prévention de la maltraitance développées par chacun d’eux, le chapitre suivant présente les participants directement concernés par la démarche de recherche.
2.6 Les participants
57La recherche a impliqué trois types d’acteurs, à savoir des personnes avec une déficience intellectuelle, des parents de personnes présentant une déficience intellectuelle et des professionnels de l’éducation accompagnant des personnes avec une DI.
58La participation des personnes avec une déficience intellectuelle : le choix de donner la parole aux personnes avec une DI était motivé par le désir de soutenir la reconnaissance progressive du droit à la participation sociale pour ces personnes. Le principe de participation « met l’accent sur le fait que la personne handicapée est un acteur à part entière qui a le droit de participer aux décisions qui la concernent » (Mercier & Bazier, 2004, p. 128). Il contraste avec la conception linéaire du handicap comme découlant des déficits et des incapacités de la personne et marque l’évolution contemporaine des attitudes vers une prise en considération des interactions entre la personne et son environnement. Les plus récentes classifications du handicap mettent l’accent sur cette interaction, qui est désormais considérée comme centrale (Processus de production du handicap décrit par Fougeyrollas et al., 1998 ; Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, 2001)7. La participation active des personnes en situation de handicap dans le processus de recherche traduit également la volonté de s’inscrire en accord avec l’évolution suivie par les dispositifs éducatifs. Initialement centrés sur la personne et sa déficience, les dispositifs éducatifs spécialisés sont désormais invités à restituer responsabilités et compétences aux autres acteurs (Chatelanat et al., 2003, p. 1). Ainsi, les termes empowering et enabling sont-ils utilisés pour abonder dans le sens de cette mobilisation des ressources de la personne handicapée elle-même et/ou de sa famille (ib.). Pour ces raisons, les personnes avec une DI ont été retenues comme des participants à part entière dans cette démarche de recherche-action.
59La participation des parents et responsables légaux : la nécessité discutée au point 1.5.4. d’élargir la prévention à l’entourage proche de la psh a tout naturellement conduit à considérer les parents et les responsables légaux comme des acteurs essentiels dans cette recherche. Dans le contexte helvétique, la tutelle de la personne avec une DI, lorsqu’elle est nécessaire, est généralement confiée aux parents, qui voient leur autorité parentale prolongée. Etroitement concernés par la prévention de la maltraitance, parents, tuteurs et éducateurs ont chacun un devoir de surveillance relatif au bien-être et à la protection de la personne handicapée. Le parent (ou le responsable légal) a un rôle de protection vis-à-vis de son pupille, qui exige de sa part une surveillance des prestations que l’institution offre à la personne. De plus, la famille (ou le tuteur) est parfois le premier confident de la personne handicapée. La famille accompagne la personne tout au long de sa vie, c’est souvent elle qui soupçonne ou constate la présence d’abus, notamment lorsque ce dernier s’est déroulé dans le milieu institutionnel.
60La participation des professionnels : les professionnels peuvent être concernés par la maltraitance commise en institution à divers titres, soit en tant que victime, soit en tant que témoin direct ou indirect. Comme les parents, les professionnels sont investis d’une autorité à travers la fonction qu’ils exercent (Lagraula-Fabre, 2005, p. 34). Lorsque leur ajustement à la psh est compromis et qu’ils sont amenés à outrepasser leur rôle, leur action peut devenir abusive.
2.6.1 Des groupes non appariés
61Un certain nombre de critères ont présidé à la sélection des participants et à la création des groupes qui ont pris part à la recherche. L’absence d’appariement entre les participants des différents groupes a été privilégiée afin de garantir une plus grande liberté d’expression lorsque, dans une seconde étape, les groupes ont été réunis. Ainsi, la décision de ne pas choisir l’éducateur de référence ou le parent d’une personne avec une DI qui se serait annoncée pour participer à la recherche a-t-elle été prise. Cinq autres critères ont guidé la constitution des groupes :
62Critère appliqué aux participants des trois groupes (psh, professionnels, parents) : limiter la participation aux personnes n’ayant pas été impliquées dans une situation d’abus ou de maltraitance au cours des trois dernières années. Ce critère visait à assurer une distance minimale entre le concept à débattre et des faits éventuellement présents dans l’histoire personnelle.
63Critère appliqué aux professionnels et aux personnes en situation de handicap : limiter la participation des professionnels et des psh à un maximum de deux personnes par lieu de vie ou de travail. Ce critère vise à assurer une représentativité équilibrée du personnel et des résidants issus des différents lieux d’hébergement et ateliers à l’intérieur des établissements.
64Critères appliqués aux personnes en situation de handicap : limiter la participation aux psh disposant de compétences d’expression verbale suffisantes pour être comprises par une personne non familière et possédant un niveau de représentation mentale suffisant pour distinguer la fiction de la réalité. Le premier critère visait à s’assurer que les chercheuses soient en mesure de comprendre les participants, alors que le second constituait une précaution visant à éviter une identification massive avec les personnages ou les situations des vignettes et contrôlant la nocivité éventuelle du dispositif (voir point 2.4.1).
65Critère appliqué aux professionnels : limiter la participation aux professionnels occupant une fonction les mettant en contact direct avec les personnes handicapées. Ce critère excluait la participation des cadres et des responsables de groupe afin de garantir la liberté d’expression des professionnels de proximité.
66Critère appliqué aux parents : le critère initialement prévu consistait à ne pas retenir les couples afin de garantir une meilleure représentativité des parents. Ce critère a toutefois été écarté en raison du nombre juste suffisant de participants parents. Il a cependant été convenu de considérer les parents venus en couple comme deux participants distincts lorsqu’il s’est agi de traiter les données écrites recueillies individuellement.
2.6.2 Prise de contact avec les participants, conditions de participation et consentement
67Dans chaque institution, les personnes intéressées ont d’abord été invitées à une séance d’information d’une durée d’une heure. Celle-ci a permis d’exposer le déroulement de la recherche et la participation attendue de la part des participants. Elle a également contribué à préciser les mesures de confidentialité relatives à l’utilisation qui allait être faite, par les chercheuses, des données recueillies. Après cette rencontre, les personnes désireuses de s’engager dans le processus de recherche disposaient d’un délai de deux semaines pour signer le formulaire de consentement de participation et le remettre aux chercheuses. Il était convenu que les participants s’engagent de façon libre et éclairée. Afin de s’assurer que ce critère soit respecté, un courrier a été remis à toutes les personnes intéressées par la recherche. Ce courrier rappelait le déroulement de la démarche de recherche ; il était accompagné d’un formulaire de consentement à la participation. Les personnes en situation de handicap ont été encouragées, si elles le souhaitaient, à parler et à demander conseil à une personne de confiance. Elles ont été invitées à informer leur responsable légal de la décision de participation qu’elles avaient prise au sujet de cette recherche. Dans la législation helvétique, la décision de participer à une recherche relève d’un droit strictement personnel ; toute personne dans cette situation est, par rapport à cette question, libre d’en référer ou non à son répondant légal. Un courrier a été diffusé à cet effet (annexe B.4).
2.6.3 Portrait des participants8
68L’échantillon est composé de personnes en situation de handicap, de professionnels socio-éducatifs et de parents ou tuteurs légaux. Dans chaque institution, il a été possible de créer un groupe correspondant à chaque sous-population. Six groupes ont donc été créés pour cette recherche, à savoir deux groupes de psh, deux groupes de professionnels et deux groupes de parents, totalisant cinquante-huit personnes. Chaque groupe compte entre huit et onze personnes. Le groupe composé de personnes avec une DI compte dix-sept personnes (29.3 % des participants), le groupe de parents et tuteurs légaux dix-huit personnes (31 % des participants), et le groupe de professionnels vingt-trois personnes (39.7 % des participants). Le tableau 1 présente la répartition des participants par établissement.
69Les femmes représentent 55.2 % de l’échantillon (N = 32), les hommes 45.8 % (N = 26). Le groupe des professionnels est composé de douze participantes et de onze participants, celui des psh de neuf participantes et huit participants, et celui des parents de onze participantes et sept participants comme présenté dans le tableau 2.
2.6.4 Similarités et différences entre groupes d’une même sous-population
70Les précautions méthodologiques, exposées dans le point 2.4.1, qui ont conduit à privilégier un principe de participation volontaire, ont comme incidence une certaine hétérogénéité entre les groupes d’une même sous-population. Ce paragraphe a pour but de rendre compte des différences majeures qui, au sein d’une même sous-population, caractérisent les groupes de l’une et l’autre institution.
71Les groupes de professionnels diffèrent significativement entre eux en ce qui concerne le sexe (X2 = 9.763 ; p<. 001 ; two-tailed). En effet dans l’un des établissements, le groupe de professionnels constitué était principalement composé d’éducateurs, alors que dans l’autre établissement, le groupe était majoritairement composé d’éducatrices (voir Tableau 2). On n’observe cependant pas de différence significative entre ces groupes en matière d’expérience professionnelle (Mann-Whitney U = 35 ; p>. 05, two-tailed). Celle-ci varie entre quelques mois et plus de onze ans. Les groupes de professionnels ne diffèrent pas non plus en ce qui concerne leur taux d’activité (F = 590 ; p>. 05, one-tailed) qui varie entre 50 et 100 %, ni en fonction de l’âge des professionnels participants (F =. 284 ; p>. 05, one-tailed). Celui-ci varie entre 20 et 58 ans (m = 38 ans ; d = 11 ans).
72En ce qui concerne les groupes de parents, hommes et femmes sont équitablement représentés dans les deux établissements (X2 =. 076 ; p>. 05, two-tailed). Les groupes de parents ne diffèrent pas l’un de l’autre en ce qui concerne l’âge de leur fille/fils/pupille (F = 1.75 ; p>. 05, one-tailed), lequel varie entre 18 et 67 ans ; ni en ce qui concerne les moyens d’expression (Mann-Whitney U = 25.5 ; p>. 05, two-tailed) ; ni encore en ce qui concerne les moyens de compréhension dont dispose leur fille/fils/pupille (Mann-Whitney U = 33.5 ; p>. 05, two-tailed). Par contre, les groupes de parents et tuteurs diffèrent entre eux en ce qui concerne la durée depuis laquelle leur fille/fils/pupille fréquente l’institution actuelle (Mann-Whitney U = 17 ; p<. 05, one-tailed).
73Dans les groupes de résidants, la moyenne d’âge des participants avec une DI se situe autour de 35 ans (± 13 ans) et oscille entre 20 et 62 ans. Elle n’est pas significativement différente entre les deux institutions.
74En dépit du principe de sélection non aléatoire des participants, les sous-populations semblent être en mesure de présenter une diversité satisfaisante. Chez les professionnels, elle se décline au niveau du sexe, de l’âge, des années d’expérience professionnelle et de l’âge des personnes accompagnées. Chez les parents et tuteurs, même si les mères sont plus nombreuses, les pères sont bien représentés. Une certaine diversité s’observe aussi en ce qui concerne les caractéristiques de leurs enfants (notamment en termes d’âge et de niveaux d’expression et de compréhension). Chez les personnes en situation(s) de handicap, la diversité est également présente en termes d’âge. Les comparaisons entre groupes ont cependant mis en évidence des différences significatives de nature à empêcher toute velléité de comparaison entre le groupe d’un établissement et le groupe correspondant de l’autre établissement.
2.6.5 Fluctuation de l’effectif dans le temps
75L’effectif des participants est passé de cinquante-huit participants en début de recherche à quarante-six en fin de recherche. Cette fluctuation a été plus ou moins importante selon les groupes. La cause des absences aux séances était connue et le plus souvent justifiée, les participants absents ayant pris la peine d’en avertir les chercheuses. A titre d’illustration, figurent ci-dessous quelques exemples des motifs qui ont conduit certains participants à s’excuser pour certaines séances ou à devoir interrompre le processus de recherche. Pour les professionnels : obligation de participer à des colloques organisés par l’établissement sur le temps des rencontres, fin des rapports de travail avec l’établissement. Pour les parents : décès de leur enfant accueilli dans l’établissement, compréhension du français insuffisante rendant difficile la participation aux séances. Pour les personnes en situation(s) de handicap : changement de résidence institutionnelle, problème de santé.
2.7 Déroulement de la recherche
76La recherche s’est déroulée sur une période de dix-huit mois, de septembre 2006 à mars 2008. Le travail avec les groupes a suivi la même séquence dans les deux établissements. Il a débuté par quatre séances d’échange en groupe suivies d’une rencontre réunissant les trois groupes de la même institution. Une séance d’échange en groupe a ensuite de nouveau eu lieu. Le processus de recherche a pris fin avec une séance réunissant les groupes des deux établissements (voir Figure 3). Trois rencontres avec un cadre de l’établissement ont également eu lieu en début et en fin de recherche. Ces rencontres avaient comme but d’effectuer un recueil d’informations contextuelles en amont de la recherche et de procéder à un bilan en fin de processus.
2.7.1 Principales étapes de recherche
77Pour le lecteur intéressé, un descriptif détaillé des principales étapes de la recherche et des contenus traités lors de chacune des séances se retrouve en annexe A.4. Dans l’annexe B.5 se retrouve également le calendrier, ainsi que le détail des différentes étapes du processus de recherche.
2.7.2 Adaptation du plan d’animation des séances 2 et 3
78Bien qu’un plan de recherche ait été esquissé par les chercheuses au préalable, de façon à conserver un certain parallélisme entre les deux établissements, celui-ci a été ajusté aux réalités des différents groupes au fur et à mesure de la recherche. La procédure de recherche-action suppose en effet que le plan préétabli demeure souple quant à son actualisation. Le canevas d’animation des séances 2 et 3 prévoyait la projection de deux variantes suite au scénario n° 1, l’une dans laquelle l’éducateur fait un commentaire sur la réaction de pudeur du résidant, l’autre dans laquelle la personne handicapée s’impose face à l’éducateur qui tente d’entrer dans la salle de bains. Trois variantes pouvaient être projetées à la suite du scénario 2 : une première variante dans laquelle la personne handicapée s’impose face à l’éducatrice qui la tire en direction de la cuisine, une deuxième variante dans laquelle la résidante se confie à sa mère, une troisième variante dans laquelle un éducateur, témoin direct de la scène intervient auprès de sa collègue. Le nombre des variantes projetées a varié selon les groupes. Une sélection des variantes a dû être faite en fonction du temps de discussion disponible dans chaque groupe lors des séances 2 et 3. Lorsqu’un choix s’est imposé, les variantes mettant en scène l’affirmation des personnes en situation de handicap ont été privilégiées par rapport aux autres pour la projection dans les groupes de personnes avec une DI.
2.8 Corpus de données
79Cinq corpus de données ont été créés pour cette recherche. Il s’agit : 1) des transcriptions des échanges de groupe ; 2) des données recueillies par le biais du questionnaire ; 3) des tableaux relatifs aux facteurs de risque et de protection complétés en groupe ; 4) de l’inventaire des mesures de prévention constitué dans chaque groupe et 5) des transcriptions des entretiens menés avec les cadres des établissements partenaires. Le lecteur trouvera en annexe A.5 des précisions concernant ces cinq corpus de données.
2.9 Analyse des données
80Les données ont été soumises à des analyses différentes, en fonction de la spécificité du matériel.
2.9.1 Analyse du matériel qualitatif
81Le corpus dit qualitatif a été analysé au moyen d’une analyse de contenu. L’analyse a porté sur le matériel linguistique. Le matériel paralinguistique, malgré son intérêt probable, quant à lui, n’a pas été saisi pour des raisons de manque de ressources et de coût temporel. La procédure de codage catégoriel, visant à rapporter le contenu manifeste d’un discours (et à en inférer les idées) a été retenue. Cette procédure traite de « ce qui est dit » et non pas de « comment cela est dit » (analyse de l’énonciation). Elle consiste à découper le discours en unités thématiques et à en repérer les modalités et les fréquences d’apparition. L’analyse a été facilitée par l’utilisation du logiciel Nvivo, qui permet d’effectuer des regroupements catégoriels en indexant des segments de textes. Les extraits repérés comme traitant d’une thématique en particulier ont été indexés sous le code correspondant. Ce procédé a permis d’extraire la totalité des segments indexés sous un code donné afin de procéder aux analyses. La souplesse du codage, qui permet le cas échéant de modifier les codes, a été considérée comme un avantage même si le traitement du corpus de données relatif aux séances 2 et 3 relevait d’un codage dit fermé, dont les catégories étaient prédéterminées à partir du cadre conceptuel de l’étude et des questions de recherche qu’elle posait (Van der Maren, 1995)9.
82Cinq familles de codes ont été utilisées. Elles ont permis : 1) l’indexation des thématiques à travers le recueil des premières impressions des participants ; 2) le repérage des attributs retenus par ces derniers pour caractériser la maltraitance ; 3) l’identification des facteurs de risque et de protection perçus pouvant aggraver ou atténuer la vulnérabilité et, finalement, 4) l’indexation des mesures de prévention proposées par les participants. Le lecteur trouvera en annexe A.6 un tableau qui présente de façon détaillée la catégorisation et la définition des codes retenus.
83Le codage du matériel verbal est un art difficile. Les catégories de codage présentées en amont visent à générer un processus d’interprétation consensuel, qui puisse être compris et utilisé par d’autres utilisateurs éventuels du corpus. Dans ce travail, le codage a été réalisé sur l’ensemble des échanges, enregistrés puis retranscrits, qui ont pris place durant les séances 2 et 3. Un double codage simultané a été réalisé par les chercheuses 1 et 3 pour le matériel recueilli aux EPSE, par les chercheuses 2 et 3 pour le matériel recueilli à l’Espérance. Les désaccords apparus au cours de cette première étape ont été discutés entre les chercheuses 1 et 2. Pour contrôler une éventuelle évolution dans la manière de coder, les chercheuses 1 et 2 ont, à quatre reprises, recodé quelques passages du corpus ayant déjà donné lieu au codage. Finalement, il a été procédé à un codage inverse sur l’ensemble du corpus. Les passages regroupés sous un code ont été sélectionnés et le contenu du rapport de codage obtenu a été examiné pour vérifier la cohérence interne des citations. Ainsi les passages « mal classés » ont-ils été supprimés ou réattribués à un autre code plus pertinent. Le codage et les analyses ont été conduits à l’aide du logiciel NVivo.
2.9.2 Analyse du matériel quantitatif
84Les réponses aux questions fermées recueillies au moyen du questionnaire (voir annexe A.9 et B.3), ainsi que les données relatives aux caractéristiques des participants ont été saisies dans une seule et même base de données. Les analyses ont été conduites à l’aide du logiciel SPSS. Compte tenu du faible nombre de participants et de l’absence de représentativité de ceux-ci, seules des analyses non paramétriques ont été menées.
Notes de bas de page
1 Ce risque est présent quand bien même le dispositif suggère la violence plus qu’il ne la montre.
2 En Suisse, « en droit civil, le concept de discernement est une notion relative, si bien qu’on ne peut d’emblée exclure qu’un handicapé mental soit dépourvu de la faculté d’agir raisonnablement dans tous les actes de sa vie. Sa capacité civile dépend, dans chaque cas, de l’acte particulier en cause et de la représentation qu’en a la personne concernée, et il suffit d’admettre que le handicapé peut saisir la portée de l’engagement qu’il va souscrire pour admettre que le discernement existe » (Nicod, 1996, p. 12).
3 Dans les procédures de recherche et de prévention menées dans la population ordinaire, on sait que ce risque peut atteindre 3-4 % de la population concernée par l’étude (Briggs, 1991 ; Hazzard et al., 1991).
4 Au moment de la recherche (décembre 2006), les EPSE étaient engagés dans un processus de fusion avec le Centre d’intégration professionnelle, autre grande structure genevoise. Depuis le premier trimestre 2008, une nouvelle loi définit leurs finalités, les moyens mis à disposition, leur organisation, le statut du personnel et les conditions d’admission ; la nouvelle entité se nomme EPI (Etablissements publics pour l’intégration). La démarche de recherche s’est inscrite dans une organisation en grande mutation. Dans ce rapport, seront toutefois retenues la dénomination et les caractéristiques du fonctionnement des EPSE.
5 Par exemple : « Connaître les EPSE », « Contrat de travail : mes droits et devoirs », « Hygiène, sécurité chez moi », « Préserver son dos au travail », « Savoir gérer son stress au travail », « Bien communiquer en toute circonstance, démontrer mon savoir-vivre », « Prévention routière », « Mon corps, ma santé, mes médicaments », « Ma vie affective et sexuelle ». Le programme de l’offre de formations est préparé avec un groupe comprenant des usagers. Les personnes sont libres de s’y inscrire. Seize formations fréquentées par cent quatre participants ont eu lieu en 2005.
6 Centres cantonaux offrant des consultations gratuites et strictement confidentielles aux personnes victimes de violences physiques, sexuelles ou psychiques, telles que prévues dans la LAVI (Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions), entrée en vigueur en 1993.
7 Ces nouveaux paradigmes ont également induit des changements terminologiques. A leur suite, l’expression « personne en situation de handicap » a été privilégiée dans cet ouvrage, quand bien même il est parfois fait usage des termes « personnes handicapées » pour alléger le propos.
8 Les renseignements présentés sont issus d’un bref questionnaire adressé aux participants en début de recherche. Les chercheuses ont aidé individuellement les personnes handicapées à compléter ces informations, lorsque cela était nécessaire.
9 Cet auteur définit deux autres types de codage : le codage ouvert, qui n’est pas préétabli, mais qui émerge du corpus et le codage mixte, qui intègre à la fois une grille préétablie et des codes construits au fur et à mesure de l’analyse.
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