Chapitre premier. Problématique de départ
p. 27-31
Texte intégral
1C’est en entendant les plaintes informelles de certains enseignants par rapport à leur travail pédagogique avec les étudiants d’origine d’Afrique subsaharienne, en se demandant pourquoi cela se passait autrement qu’avec les autres étudiants que cette recherche a vu le jour. Dans les écoles de soins infirmiers nous avions remarqué, d’une part, que les étudiants africains subsahariens rencontraient régulièrement des problèmes d’apprentissage auxquels les enseignants avaient des difficultés à répondre et, d’autre part, que tous les moyens habituels mis en place pour les étudiants autochtones, efficaces la plupart du temps, ne fonctionnaient pas avec eux. Difficultés mises en évidence selon notre cadre de lecture, nos observations et attentes de ce qu’est un processus d’apprentissage adéquat.
2Ces remarques se sont vues confirmées par un mini sondage auprès des différentes responsables locales de filière des infirmiers et des infirmières. Les explications données par les enseignants telles que « c’est culturel, ils n’ont pas la même formation dans leur pays, ils ne s’adaptent pas » et par les étudiants « l’enseignant ne me comprend pas, il n’entre pas dans ma façon de m’exprimer, de présenter les choses, il est raciste, il me dévalorise » ne permettaient pas de comprendre et d’analyser les obstacles réels à l’apprentissage afin de mettre d’autres moyens en place et de dépasser ces difficultés.
3Le projet de recherche est donc né de ces constats et il s’est proposé d’étudier ces difficultés/facilités d’apprentissage particulières dans une formation professionnelle, de trouver des moyens afin qu’une rencontre soit possible entre les différents acteurs de la relation pédagogique et d’envisager conjointement des solutions.
4Il s’agit donc de comprendre les difficultés/facilités des étudiants d’Afrique subsaharienne dans le but de cerner en quoi l’apprentissage pour un étudiant africain serait plus complexe en lien avec ses représentations de la santé, de la maladie, de l’éducation scolaire, de ses valeurs culturelles et religieuses, de ses représentations de la formation, de l’apprentissage. Mais aussi de découvrir et nommer tout ce qui peut faire obstacle à l’apprentissage.
5Nous avons retenu les critères suivants pour caractériser les étudiants africains subsahariens : étudiants adultes (18 ans et plus) qui ont suivi le cursus de l’école obligatoire, ou une partie, dans leur pays et qui sont arrivés en Suisse par la suite.
6Dans des situations d’échecs répétés la motivation des étudiants tout comme celle des enseignants est alors mise à contribution et s’épuise très vite. Nous postulons que ces étudiants bénéficient aussi de ressources sur lesquelles nous pourrions nous appuyer si nous les reconnaissions, si nous y étions attentifs. Qu’est-ce qui est facteur de motivation à se former pour un étudiant venant d’un pays étranger ? Qu’est-ce qui pourrait être mis en place afin de diminuer l’écart entre les représentations de l’apprentissage, de la formation de l’étudiant, lorsqu’il arrive dans un pays d’accueil – la Suisse, dans le but de s’y former – et la réalité parfois tout autre qu’il découvre petit à petit ?
7Ainsi, il paraît essentiel de comprendre de quoi sont vraiment constitués ces obstacles à l’apprentissage : du rapport au savoir, de la tradition éducative, de l’appartenance culturelle, de la situation d’acculturation, du contexte du pays d’accueil, d’autres facteurs ?
8L’observation des difficultés/facilités d’apprentissage de ces étudiants africains favorisera une meilleure compréhension de ce qui se passe dans tout apprentissage « ordinaire » ou avec des personnes d’autres régions du monde. Le choix de la population retenue pour cette recherche, c’est-à-dire les étudiants africains subsahariens, s’est fait, non pas dans le but de stigmatiser cette population mais bien au contraire, dans le but de fournir des outils, des instruments permettant de surmonter un problème, désigné comme tel aussi bien par les enseignants que par les étudiants africains. Il est certain que ces difficultés sont également rencontrées par d’autres catégories d’étudiants migrants. Elles sont pourtant moins souvent explicitées par les enseignants. C’est comme s’il y avait une focalisation sur les difficultés rencontrées par les étudiants africains, particulièrement dans les écoles de la santé.
9La recherche se propose également de rendre compte du processus de formation en se centrant spécifiquement sur ce qui est ou non mis en place dans le cursus de formation et/ou l’enseignement afin de faciliter l’intégration à l’apprentissage de ces étudiants ainsi que la sensibilisation des enseignants à cette problématique spécifique, c’est-à-dire à l’interculturalisation. Cette meilleure compréhension permettrait une motivation plus grande de la part des enseignants à accompagner ces étudiants dans leur processus d’apprentissage car, au travers d’une élaboration d’approches pédagogiques plus performantes tenant compte de la réalité, des savoirs formels mais aussi des savoirs informels dans les pratiques d’enseignement professionnel et de la dynamique entre des personnes n’appartenant pas à la même culture, les enseignants pourront mettre en place des outils et des actions plus spécifiques.
10Cette réflexion articule des théories de l’interculturalisation, de la communication interculturelle et de l’apprentissage de l’adulte. Ceci constitue la particularité de cette réflexion car ces théories se sont rarement vues confrontées, articulées sur la problématique des adultes en formation, ce qui permet de cerner les questions que cela pose. Une centration sur l’apprentissage en alternance, sur l’articulation entre la théorie et la pratique sont également abordées, pouvant illustrer certaines problématiques de l’apprentissage.
Questions de la recherche
- Les étudiants africains subsahariens ont-ils des difficultés particulières d’apprentissage et quelles sont-elles ?
- Quels sont les moyens pédagogiques, didactiques à mettre en place dans l’espace de formation (structure, cursus, contenus…) afin d’avoir une action efficace leur permettant de dépasser ces difficultés ?
Buts de la recherche
- Développer une nouvelle grille de lecture des difficultés d’apprentissage des étudiants africains subsahariens en contexte pluriculturel grâce à l’articulation des théories de l’interculturalisation, de la communication interculturelle et des théories de l’apprentissage.
- Proposer des moyens pendant la formation des étudiants et examiner s’il est possible de résorber les échecs scolaires, tout en diminuant l’encadrement individuel afin de diminuer les coûts de formation.
- Tenter de clarifier les concepts d’interculturalité et d’interculturalisation de la formation pour pouvoir les rendre plus opérationnels dans l’espace de la formation.
- Diffuser les résultats de la recherche dans les HES, les milieux de la pratique professionnelle voire dans d’autres institutions de formation afin d’adapter si nécessaire, les moyens proposés.
Précautions prises par rapport à la problématique
11La problématique de la recherche concerne une population spécifique que nous ne désirons surtout pas stigmatiser. Il s’agit plutôt de repartir de la réalité vécue par les enseignants et de ce qu’ils en disent, c’est-à-dire repartir de leurs représentations, de leur vécu avec les étudiants d’Afrique subsaharienne. Il ne s’agit pas non plus d’avoir un discours ethnocentré mais d’essayer de faire un pointage au niveau du processus d’apprentissage des étudiants d’Afrique subsaharienne puis de voir en quoi nos conclusions et recommandations peuvent s’ouvrir à d’autres cultures. Interroger les enseignants ne suffit pas, connaître les représentations des étudiants et des praticiens formateurs (PF) s’avère aussi indispensable.
12La réalité de chacun des acteurs de la relation pédagogique nous est donc donnée au travers des représentations de ces trois groupes d’acteurs. Il s’agit dès lors de relater la réalité vécue des trois populations à l’étude dans cette recherche. La formation se déroule sur deux lieux, l’école et les lieux de formation pratique ; il s’agit d’une formation en alternance c’est pourquoi interroger les personnes de référence de l’apprentissage dans les terrains d’actions sociales et sanitaires est aussi indispensable car elles sont également partie prenante dans la relation pédagogique.
13Nous avons, dès le dépôt du projet, décidé de faire appel à un chercheur venant d’un pays de la même origine que notre population estudiantine afin qu’il puisse, en participant à tous les entretiens avec les groupes d’étudiants, être une personne de référence pour ces étudiants. Lors de l’analyse de contenu, il nous permet d’être plus près de la réalité car nous le savons, nous analysons le contenu des entretiens avec nos « lunettes » d’européens. Son rôle est ainsi de mettre plus d’objectivité dans notre subjectivité.
14Dès le début de la recherche, nous avons rapidement remarqué que les cadres de références choisis ne nous permettaient pas de comprendre la complexité des représentations qui nous étaient confiées. Il nous a fallu chercher des références bibliographiques variées nous explicitant mieux l’éducation originelle et scolaire africaine, les systèmes de pensée ; le chercheur africain a alors été une précieuse ressource. D’autres cadres comme la sociologie de la communication, la philosophie du temps, etc., ont été recherchés afin d’affiner nos compréhensions des phénomènes énoncés.
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