6. Les projets : points de cristallisation de l’animation socioculturelle
p. 161-184
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Mots-clés : anthropologie conjonctive/disjonctive, migrants, transition
Texte intégral
6.1 L’importance de la méthodologie de projet
1« Les pieds dans la boue, la tête dans les étoiles » : pour Gillet, cette image forte que l’on doit à un étudiant en animation pointe parfaitement la notion de projet.
2Les métaphores simplifient les choses, elles les schématisent tout en ouvrant un espace à l’interprétation. L’image proposée offre indéniablement plusieurs lectures : elle peut signaler que la notion de projet est propice aux visions et aux rêves et que la réalité se charge de ramener les animateurs sur terre. Elle met aussi le doigt sur le caractère incertain des tâches du professionnel depuis la formulation d’un projet jusqu’à sa réalisation, sur le fossé entre l’idéal et le faisable, entre l’idéalité et la réalité. Enfin, elle sous-entend peut-être que la charge de travail, la pression du temps et toute l’énergie nécessaire à un projet ne sont supportables que si le jeu en vaut vraiment la chandelle.
3Si chaque professionnel rompu aux projets lui attribue un sens distinct selon son vécu, l’image n’en souligne pas moins le caractère d’exception que revêt le projet dans l’activité courante. N’en déplaise à cet étudiant en cours d’emploi pour qui la formule illustre tout bonnement le quotidien de l’animation socioculturelle, les projets tiennent bel et bien une place à part entière dans le travail d’animation et sollicitent le spécialiste de mille façons. Toutes les positions d’intervention décrites au chapitre précédent se rassemblent et se concentrent à l’intérieur d’un projet, alors qu’elles se déploient isolément dans l’action quotidienne.
4Les professionnels disposent d’un vaste arsenal de méthodes et de techniques de travail. Certaines sont dérivées d’autres disciplines et ont été adaptées aux spécificités de l’animation, d’autres ont été spécialement développées pour la pratique socioculturelle. Mais rappelons une fois encore que le présent chapitre s’attache plus particulièrement à la méthodologie de projet, en raison de la place privilégiée qu’elle a occupée depuis la naissance de la profession.
5En Suisse, les filières de formation en animation socioculturelle ont toujours accordé grand crédit à la pratique du projet. C’est que l’on prête à cette expérience une puissante valeur formatrice : elle favoriserait l’intégration de la théorie et de la pratique et participerait de la professionalité. Les projets organisés dans le cadre de la formation bénéficient aussi à la praxis socioculturelle, pour les voies nouvelles qu’ils explorent et les stratégies novatrices qu’ils développent.
6Outre l’étendue des domaines d’application, divers éléments expliquent la place particulière du projet dans l’action socioculturelle :
Le projet est un instrument idéal pour réagir promptement aux problèmes et enjeux nouveaux entraînés par les grandes mutations sociales qui n’épargnent pas le champ socioculturel.
Le projet se prête à des applications diverses et variées, indépendamment du champ d’intervention.
Il permet de mobiliser des ressources en jachère dans un but déterminé.
Il offre l’avantage de ne pas attacher trop longtemps les professionnels à un thème ou un problème donné, puisque ceux-ci sont libérés aussitôt le projet terminé pour revenir aux tâches courantes de l’institution ou pour mettre en route des projets nouveaux. Malgré son caractère limité dans le temps, le projet, s’il repose sur une base participative, ouvre la possibilité d’une action de longue durée, au-delà du terme du projet.
7Aujourd’hui, plusieurs villes doivent faire face à une puissante dynamique sociale qui se conjugue à un recul des recettes fiscales, si bien qu’il n’est plus possible de répondre à chaque nouveau problème social par de nouveaux équipements durables financés par les pouvoirs publics. Pour Monika Alisch et Jens Dangschat (1998), la politique sociale des quartiers doit cesser de miser sur des prestations et des équipements toujours plus pointus. Plutôt que de proposer un encadrement sur la durée, il faut concevoir une offre à la mesure des besoins des habitants et proportionnelle aux moyens de chaque quartier, il faut des structures souples capables de s’adapter à la demande, des structures qui parient sur l’entraide et la responsabilité individuelle. C’est dans cette optique que la Municipalité de Zurich a cherché, dans le cadre de son projet « Soziokultur », à engager des professionnels capables d’imprimer dans divers quartiers une dynamique d’auto-organisation.
8Ces revendications s’inscrivent dans le droit fil du discours qui veut repenser le cadre de l’action sociale, tourner le dos à l’approche individuelle pour privilégier une démarche par quartier en fonction des ressources. On renoue semble-t-il avec des éléments de la méthode du travail communautaire, mais avec des accents différents. Hejo Manderscheid (1997) parle ici d’un concept de « coévolution de processus d’auto-organisation », impossible à ranger dans les concepts du travail communautaire. Il se situerait plutôt à mi-chemin entre le travail ou la coordination de quartier et la Community Organization. Néanmoins, au regard de la méthodologie propre aux régions francophones, les principes de participation citoyenne et d’auto-organisation s’intègrent sans peine dans les concepts de l’animation socioculturelle puisque celle-ci englobe déjà ces positions. En définitive, quel que soit le cadre que l’on se propose de tracer autour des exigences nouvelles, les implications sont pour l’essentiel identiques au niveau méthodologique.
9La nouvelle donne sociale et les nouveaux besoins appellent donc des méthodes favorisant des processus de participation et de responsabilisation des individus pour amener des changements sur la durée. La méthodologie du projet, justement, répond à ces exigences moyennant certaines conditions. Dans le projet, la méthode ne se réduit pas à une simple technique ou à une panoplie d’outils de planification, de pilotage et d’organisation. Si le recours à des instruments techniques est capital pour la préparation et la mise en œuvre d’un projet, il n’est jamais qu’un élément parmi d’autres du répertoire d’intervention. Dès lors, l’accent ne sera pas mis ici sur les compétences spécialisées des intéressés, quand bien même elles participent du succès de chaque projet. Pour une étude plus détaillée des outils techniques, le lecteur se référera à l’abondante littérature consacrée à la question.
10Nous entendons ici éclairer la vision particulière de la méthodologie de projet d’animation telle qu’elle a été et est encore développée aujourd’hui sur le terrain et dans les écoles (cf. Hanspeter Hongler/Alex Willener 1998), en nous centrant sur les grands principes qui régissent le travail dans les projets d’animation socioculturelle.
11Commençons par cerner de plus près l’objet de notre étude et répondons à une question récurrente : à partir de quand peut-on qualifier de projet une entreprise de l’action socioculturelle ? Une activité théâtrale réalisée avec des chômeurs, des semaines créatives avec des enfants ou des journées de rencontres interculturelles remplissent-elles les critères qui valent l’estampille projet ? Difficile d’y répondre tant la ligne de partage entre le projet et d’autres tonnes de travail reste flottante, parce que c’est d’abord une affaire de contexte et que les critères auxquels il est habituellement recouru ne sont pas suffisamment parlants, ni sur le plan quantitatif ni sur le plan qualitatif.
12Les caractéristiques retenues pour distinguer le projet des autres formes d’activité sont celles que retient communément la littérature spécialisée dans des contextes d’intervention les plus variés :
Le projet est défini comme une entreprise complexe limitée dans le temps et qui déborde le cadre du travail quotidien et l’organisation habituelle.
Sa mission est hautement complexe et implique une approche globale, interdisciplinaire ou interinstitutionnelle.
Les tâches à accomplir présentent, en partie du moins, un caractère foncièrement nouveau dans le contexte défini, et promettent de ce fait des solutions novatrices.
Enfin, le projet requiert des ressources extraordinaires, en termes de personnel et de finances notamment, mais aussi sur le plan de l’organisation.
13L’ensemble de ces critères autorisent une première distinction d’avec toutes les autres activités organisationnelles habituelles, qui elles aussi peuvent être d’envergure variable et menées par des acteurs divers, qui ont parfois aussi valeur d’événements ponctuels, planifiés et menés à bien par une seule personne ou dans le cadre d’une structure.
14Les caractéristiques énoncées ci-avant n’apportent pas encore tous les éléments nécessaires à une démarcation précise. Ainsi, un festival proposant d’innombrables spectacles à un large public exigera, pour sa première édition, la participation de nombreuses personnes et une organisation propre. Pourra-t-on le qualifier pour autant de projet ? Oui si l’on se fonde sur la définition classique, mais la conception même de l’animation socioculturelle impose une clarification supplémentaire.
15Référons-nous ici aux travaux de Gillet (1995) sur la distinction qualitative établie entre un projet et d’autres activités qu’il classe sous la notion de « programme ». Il n’est pas inutile de rappeler les multiples usages de cette notion, dans l’univers de l’animation socioculturelle, le programme correspond généralement à l’offre qu’une institution planifie et organise dans un laps de temps défini (programme mensuel ou annuel par exemple).
16Spierts (1998) souligne cette idée en accordant au programme une place à part entière. Dans ce sens, le programme est la plaquette au travers de laquelle se présente une institution socioculturelle, au travers de laquelle elle s’affiche et affirme son identité, ses motifs, ses objectifs et ses potentialités. Il permet en outre d’intégrer les demandes et souhaits des destinataires. Son articulation enfin, témoigne des intentions, de l’inventivité et de l’engagement des animateurs. Spierts préconise une approche systématique et rigoureuse, ainsi qu’un travail par objectifs, fondé sur une analyse de la situation de départ. Cet usage est courant dans la praxis germanophone. Programme et projet forment au fond un doublet fondamental, le premier terme se rapportant à la dimension régulière ou routinière, le second à la dimension exceptionnelle et unique.
17Pour Gillet en revanche, le programme désigne plutôt des manifestations ciblant un public et se rattache aux activités centrées sur l’acquisition de savoirs, d’aptitudes ou de nouveaux comportements. La situation des sujets, précise Gillet, s’apparente plus à celle d’un public, voire de clients que de membres actifs : « Cette animation programme des tâches à accomplir et des techniques à mettre en œuvre, pratique la diffusion culturelle, l’animateur devenant agent de distribution d’un univers culturel, qui [...] n’a rien à voir avec l’expression d’une création culturelle venue du public auquel il est censé s’adresser » (Gillet 1995, p. 114).
18A l’opposé, la notion de projet peut se définir comme « un processus planifié d’interactions entre des partenaires fonctionnant selon des logiques différentes. Au cours de ce processus, des partenaires vont devoir s’organiser dans des espaces de négociations pour élaborer une analyse de situation, puis un projet d’intervention commun. » (p. 1 15). En conséquence, la tâche de l’animateur consiste pour Gillet à aider l’individu à s’orienter et à trouver ses marques, à œuvrer à son propre changement et à l’élimination des obstacles qui entravent sa vie. Les projets d’animation visent donc à vivifier la vie sociale, culturelle et politique locale.
19Pour illustrer cette vision élargie du projet, nous avons retenu le projet interculturel « GloBâle »
20« GloBâle » est le nom donné à un projet interculturel conduit par des animateurs dans le cadre de leur formation dans le quartier de St. Johann à Bâle qui compte une forte proportion d’étrangers (cf. Gabi Hangartner et al. 1998). L’objectif premier de « GloBâle » consistait à mobiliser les ressources de la population, suisse et étrangère, et à les rendre visibles. Les animateurs avaient à cœur d’intégrer les communautés d’immigrés dans les phases de planification et de décision. Une première étape axée sur l’analyse du quartier a débouché sur une première manifestation organisée sous forme d’un atelier de l’avenir. Les éléments qui en ont sont ressortis ont été classés en quatre domaines d’action :
formation : les femmes d’origine étrangère vivent isolées, en particulier parce qu’elles ne parlent pas l’allemand ou n’en ont pas une connaissance suffisante.
Rencontre : il manque dans le quartier des lieux et des occasions de rencontres.
Espace : le parc public du quartier a besoin de meilleures infrastructures.
Information : il importe que la culture du pays d’accueil connaisse mieux les autres communautés culturelles qui composent le quartier.
21Tous les acteurs se sont réunis chaque semaine au Stammtisch pour discuter du contenu concret à donner à ces thèmes et ont constitué pour ce faire des groupes de travail. Le Stammtisch hebdomadaire se tenait dans un point de rencontre du quartier. Il servait de lieu d’échanges, de base et de quartier général et — avantage indéniable — permettait à d’autres personnes intéressées d’écouter les discussions et d’y participer sans engagement aucun.
22Dans la phase suivante de concrétisation, le groupe porteur du projet a élaboré pour chacun des quatre thèmes trois stratégies de mise en œuvre sous la forme de projets partiels. C’est précisément l’un d’eux — intitulé « Apprendre au parc » que nous allons examiner de plus près. Il s’agit d’un cours d’allemand que les animateurs, forts de leur analyse préalable, ont conçu et organisé à l’intention des femmes immigrées. Leur étude de la situation avait montré que c’est parce qu’elles n’exercent pas d’activité professionnelle et que les structures familiales les maintiennent en permanence liées à leur foyer et leurs enfants que ces femmes ne suivent pas les cours de langue ordinaires. Bien souvent, elles sont incapables d’accomplir certains actes de la vie quotidienne, visite chez le médecin ou démarches administratives par exemple, sans l’aide de leurs enfants qui officient comme traducteurs. Il fallait donc trouver un moyen pour briser le cercle vicieux des barrières linguistiques, de l’isolement, de la désintégration et de l’incapacité à agir dans la vie publique. Et les animateurs de conclure : si les femmes ne vont pas aux cours, les cours iront à elles. Et voilà comment la prof d’allemand, le mobilier et le matériel pédagogique ont pris le chemin du parc public St. Johann, où de nombreuses femmes immigrées aiment à se rendre avec leurs enfants. Les cours d’allemand étaient gratuits et assortis d’un service de baby-sitting. Les femmes immigrées n’ont pas tardé à venir et le succès fut tel qu’il a fallu apporter des sièges supplémentaires. Vers la fin du projet — qui coïncidait avec la fin de l’été — les cours réunissaient par moments jusqu’à trente personnes, dont une femme qui habitait Bâle depuis dix ans sans parler l’allemand. La réussite du projet tient pour beaucoup au soutien d’une Turque polyglotte dont le rôle de trait d’union, d’interprète et de personne de confiance a été capital.
23Vers la fin du projet, les femmes se sont constituées en une association nommée « Johanna » qui se propose de poursuivre et de développer cette activité de formation et qui bénéficie pour ce faire d’un soutien financier et de locaux mis à sa disposition par des associations et des fondations. Ajoutons encore que le projet partiel a remporté le « Prix de l’égalité des chances » décerné par les cantons de Bâle-Campagne et Bâle-Ville.
24Les responsables du projet disposaient dans le cadre de leur formation de quarante journées réparties sur huit mois et il est rare qu’un projet de si courte durée ait des effets d’une telle portée. C’est qu’il faut généralement beaucoup de temps pour construire un travail interculturel, en particulier lorsqu’il faut établir des relations de confiance et qu’il est difficile de l’orienter vers une animation de la vie sociale, culturelle et politique et la construction de liens sociaux comme le préconise Gillet.
25L’exemple illustre un aspect typique de nombreux projets socioculturels, à savoir des effets à plusieurs niveaux. Le projet, en effet, a mis en contact des femmes d’origines et de cultures très diverses. Les cours d’allemand, bien que constituant une activité prétexte et forcément limités du fait de leur brève durée, n’en ont pas moins représenté une formidable étape d’intégration. Enfin, le projet a eu le mérite de révéler les difficultés que partagent ses femmes et leurs limites communes.
26A l’occasion d’une présentation du projet, la femme turque a brièvement résumé la situation des participantes : « Ces femmes, qui viennent de Turquie, d’ex-Yougoslavie, du Kosovo ou d’Iran, vivent dans une immense solitude. Elles sont pour la plupart opprimées, timides et complexées parce qu’elles ne maîtrisent pas la langue. Elles vivent en quelque sorte dans une prison ouverte et en tombent souvent malades. Cette situation se répercute aussi sur leurs enfants, pour la plupart timides ou agressifs. L’école ne les aide guère à s’intégrer sur le plan scolaire. Combien de parents étrangers ne se rendent jamais aux soirées-parents organisées par l’école, parce que le père n’y est pas intéressé et que la mère ne comprend rien. Les mères perdent peu à peu le contact avec leurs propres enfants. Or, lorsqu’elles sont intégrées et en bonne santé, elles peuvent mieux aider leurs enfants. »
27A la fin du projet, on a pu constater des changements sensibles. L’association Johanna — qui compte parmi ses membres des femmes suisses et étrangères — a maintenant repris les rênes et se propose de poursuivre les cours, à la fois pour les premières participantes et pour les femmes d’autres quartiers. Ainsi les femmes ont-elles non seulement élargi leur horizon, elles ont aussi entrepris de changer les conditions de leur existence.
28Cet exemple met en lumière une autre caractéristique du projet, à savoir son rattachement à un espace déterminé, ce qui le distingue d’autres activités qui peuvent se mener indépendamment du lieu. Le projet se situe donc dans une dimension spatiale et sociologique particulière (cf. Gillet 1995, p. 118). Dès lors, il n’est pas exclu qu’une quelconque institution reprenne à son compte le principe des cours qui vont là où les femmes se trouvent pour en faire un programme. L’objectif de formation sera peut-être identique, mais les autres aspects, à savoir la perspective à plus long terme, les changements, la valeur émancipatrice, ne peuvent intervenir qu’à l’intérieur du projet, tout simplement parce que celui-ci a pris corps dans une démarche collective d’analyse des besoins, de définition des buts et des priorités, de mobilisation des ressources et de planification commune.
29Reste à relever que Gillet inscrit la différence entre les notions de programme de projet dans deux modèles distincts de l’animation. Il attribue en effet le premier au modèle consommatoire et le second au modèle de transfert (Gillet 1995, p. 80. Du coup, le programme a une connotation négative, que Gillet accentue encore en critiquant le caractère marchand de la culture, la recherche de coup d’éclats publicitaires et d’effets ponctuels, le recours aux pratiques de management et la survalorisation des compétences techniques dans nombre d’institutions (socio)culturelles.
30Le risque est bel et bien réel de voir les institutions socioculturelles rivaliser sur le marché culturel en organisant des events spectaculaires pour s’attirer les faveurs des clients consommateurs. Il importe donc de différencier les activités orientées vers la consommation de celles qui sont axées sur le transfert. En mettant l’accent sur l’animation socioculturelle (qui se distingue des modèles de l’animation culturelle et sportive que Gillet a aussi traité), nous privilégions aussi clairement le modèle de transfert.
31Pourtant, en raison des emplois multiples du terme programme, nous ne partageons pas son attribution exclusive au modèle consommatoire. A notre sens, les activités programmatiques répondent à des besoins de loisirs légitimes que le secteur commercial néglige ou propose au prix fort et elles offrent en outre des lieux de contacts entre les participants et poursuivent parfois des buts pédagogiques ou sociaux. Qui plus est, les participants y trouvent toujours un lieu où partager leurs problèmes et tracas quotidiens avec des professionnels, lesquels peuvent leur proposer une aide informelle ou les aiguiller vers des institutions ou services compétents. A la faveur des nombreux contacts qui se nouent lors des manifestations d’un programme, les animateurs peuvent y rattacher d’autres activités orientées vers le transfert.
32Si nous n’adhérons pas complètement à une attribution exclusive du programme au modèle consommatoire, il nous semble en revanche tout à fait pertinent de rattacher le projet au modèle de transfert, pour le distinguer des autres activités.
33Pour terminer, nous entendons ajouter quelques caractéristiques à la liste des critères généraux des projets :
les projets s’adaptent exactement à leur contexte respectif,
ils visent à modifier la situation des intéressés et les conditions générales,
ils s’orientent vers un transfert des contenus ou des résultats.
34Après ces quelques précisions, revenons à la fonction unique qui revient au projet dans l’animation socioculturelle.
6.2 Les composantes de la cristallisation
35La cristallisation désigne la réunion ou l’interpénétration d’éléments épars et issus de systèmes distincts en une unité, en un ensemble nouveau. Par analogie à la chimie, on peut distinguer trois composantes de l’animation socioculturelle qui se combinent et se concentrent à l’intérieur du projet :
Les fonctions et activités
Les compétences d’intervention
Les méthodes et procédés
1. Fonction et activités
36Si nous nous référons aux fonctions de l’animation, telles qu’elles sont décrites dans le volet théorique du cinquième chapitre, nous constatons que les projets d’animation remplissent souvent de multiples fonctions. Voici celle que l’on peut retenir pour le projet « GloBâle » :
une fonction d’intégration, par la création de lieux de rencontre et de possibilités de communication entre les habitants, les bénévoles et les acteurs aux origines culturelles multiples ;
une fonction de participation, au stade de la planification (autour des Stammtische) et dans la mise en œuvre, par le rôle actif que de nombreux intéressés ont joué dans de multiples manifestations ;
une fonction de mise en réseau : un vaste réseau de relations s’est tissé au fil du projet entre les différents acteurs et institutions. Ce réseau relativement souple a débouché sur une structure fixe avec la création de l’association Johanna en prolongement du projet.
une fonction d’éducation : chaque projet à valeur participative permet aux participants d’acquérir de nouveaux savoirs de manière informelle, d’expérimenter des rôles nouveaux et d’assumer des responsabilités. Dans le projet GloBâle, articulé autour d’un cours d’allemand, la fonction éducative s’est conjuguée à une fonction de formation au sens étroit du terme.
une fonction d’enculturation : l’enjeu principal du projet résidait dans les échanges interculturels et l’intégration des immigrantes dans la société d’accueil.
une fonction de critique et de solidarité : les femmes ont pris conscience qu’elles partagent toutes les mêmes difficultés ce qui a créé une solidarité entre elles. C’est sans doute l’effet le plus puissant de ce projet, dont le mérite est aussi d’avoir montré la situation des femmes étrangères.
37Tous les projets d’animation ne recouvrent pas un éventail de fonctions aussi large, mais de par leur nature et les principes auxquels ils obéissent, les projets ont toujours plusieurs fonctions.
38Pour les activités de l’animation socioculturelle, nous pouvons nous référer à la systématique de Spierts (1998, p. 77 ss.) qui distingue deux modèles d’activités :
Les activités consistant à accompagner des participants et des volontaires et essentiellement orientés sur la mise en route, l’organisation et la réalisation des activités. Ce modèle assigne à l’animateur socioculturel trois tâches importantes :
nouer des contacts,
organiser et programmer des activités,
guider les participants et les bénévoles.
Le deuxième modèle comprend des activités en lien avec la réalisation des éléments cités sous le point a), plus particulièrement des tâches administratives et d’organisation nécessaires au bon fonctionnement de l’institution.
des travaux en lien avec l’institution : administration et organisation
politique et développement socioculturels.
39En règle générale, les projets demandent au moins la résolution des quatre premières tâches clés :
La création de contacts est capitale dans la phase initiale, lorsqu’il s’agit d’établir le dialogue avec les intéressés et de trouver des participants ou des partenaires potentiels pour le projet.
Organiser et programmer, c’est selon Spierts savoir concevoir, élaborer, mettre au point et évaluer des activités. Il y voit un savoir-faire indispensable à la réussite des projets.
Dans l’accompagnement, l’accent est placé sur l’encouragement de l’initiative propre et sur la prise de responsabilités, mais aussi sur la stimulation de processus évolutifs. Ces tâches constituent, nous le verrons, des composantes essentielles des projets socioculturels.
L’administration et l’organisation englobent entre autres la planification des finances et du personnel, ainsi que la gestion des moyens nécessaires aux activités (locaux, matériel, finances, administration, etc.). Ces tâches font partie de chaque projet et il peut arriver que le budget et l’infrastructure d’un projet dépassent ceux de l’institution proprement dite.
40Seule la cinquième tâche clé peut être qualifiée de tâche générale ou générique ; elle n’apparaît pas directement à l’intérieur du projet, mais peut donner naissance à d’autres projets. Spierts conçoit la politique et le développement socioculturels comme une recherche permanente, comme un traitement continu de données significatives en rapport avec un champ de travail défini. A partir de là, on pourra concevoir et mettre en place des offres et des activités adéquates dans l’institution.
41En conclusion, on retiendra surtout que les fonctions et les activités de l’animation se combinent dans les projets sous une forme condensée.
2. Compétences d’intervention
42Dès lors que la méthodologie du projet englobe une grande partie des fonctions et des activités professionnelles propres à l’animation socioculturelle, elle requiert des professionnels des connaissances solides et un grand savoir-faire. Ils doivent faire preuve de capacités de communication, de mobilité et de polyvalence. La méthodologie du projet suppose aussi d’énormes compétences d’intervention, des compétences à la fois techniques, sociales, méthodologiques et personnelles.
43Gillet (1995, p. 168) qualifie la somme de ces aptitudes sous le terme de compétence stratégique de l’animateur, c’est-à-dire la capacité
d’analyser les situations locales dans leurs dimensions sociales, économiques, culturelles, démographiques et politiques,
d’établir des diagnostics issus de cette analyse,
de construire des propositions de traitement décrites en termes d’objectifs, de moyens, de calendrier pour qu’elles soient soumises à la réflexion et au débat de tous les partenaires concernés,
de recenser les partenaires associables, de les mobiliser pour l’essor des actions proposées, en premier celles initiées ou demandées par les groupes de personnes ou de populations,
d’élaborer des moyens de mesure des résultats et de les mettre en œuvre,
de conduire techniquement les actions décidées et d’en rendre compte ».
44Les capacités stratégiques que réclame Gillet correspondent à un certain schéma ou déroulement du projet. Ce schéma se justifie d’abord au niveau macro du travail conceptuel mené au sein d’une institution socioculturelle ou communautaire. On retrouve un schéma similaire au niveau meso, à la différence près que le projet est alors un élément parmi plusieurs actions ou projets proposés. L’analyse de la situation ne revêt alors plus un caractère général ou global, elle est axée ou centrée sur le thème retenu pour le projet. Toutes les étapes suivantes valent de la même manière pour la méthodologie du projet et constituent, avec des accents ou des enchaînements quelque peu différents, un modèle idéal sur lequel nous reviendrons. La compétence stratégique conditionne le recours à la méthodologie du projet. Elle permet aussi d’appliquer les quatre principales méthodes d’intervention (animer, soutenir, faire le lien et explorer, présentés au chapitre 5) à l’intérieur d’un projet.
3. Méthodes et démarche
45La méthodologie de projet peut se concevoir comme un cadre général dans lequel peuvent prendre place d’innombrables autres méthodes, instruments ou techniques diverses. Pour mieux saisir ce cadre, reportons nous aux étapes que Hanspeter Hongler et Alex Willener distinguent dans le déroulement d’un projet :
impulsion, demande,
analyse de la situation,
détermination et association des participants au projet,
définition et fixation des objectifs,
examens des variantes de réalisation et choix,
planification,
réalisation,
évaluation.
46(cf. Hongler et Willener, 1998, p. 36 ss.)
47Dans la réalité, les différentes étapes ou phases ne se démarquent pas toujours clairement. Elles se confondent, se chevauchent ou s’interpénétrent parfois et présentent un caractère circulaire. Ainsi, la planification d’un projet, considérée ici comme une étape à part entière, commence dès la première impulsion et joue un rôle pendant toute la durée du projet. Indépendamment de leur enchaînement, chaque étape appelle des modes d’intervention et des approches méthodologiques distinctes.
48Pour illustrer les corrélations entre le cadre général de la méthodologie de projet et les différentes méthodes auxquelles il est recouru, il n’est pas inutile de passer en revue les approches et procédés qui conviennent à chaque étape.
49Pour réaliser l’analyse de la situation :
Observations, techniques d’interviews, visualisations, analyse des ressources, études de documents, socio-analyse, analyse de l’espace public, hearing, tables rondes, etc.
50Pour associer les participants au projet :
Les procédés utilisés dans l’analyse permettent souvent d’éveiller l’intérêt des participants. On songera ici aux entretiens individuels ou de groupe, mais aussi aux multiples outils du travail de relations publiques.
51Pour rechercher des possibilités de mise en œuvre :
Techniques créatives, études de documents, ateliers de l’avenir, etc.
52Pour assurer la planification :
Analyse des ressources, planification des capacités et autres méthodes.
53Pour la réalisation :
L’éventail des méthodes applicables est ici extrêmement large. Il y a bien sûr les procédés courants, à quoi s’ajoutent ceux que les acteurs mettent spécialement au point pour une situation donnée. Bien souvent, on associe et combine diverses techniques et méthodes : travail de mise en réseau, différents types de travail de groupe, de travail culturel, formation des adultes, médiation, conduite de négociation, relations publiques et campagnes.
54Pour l’évaluation :
Observations, interviews, discussions de groupes, méthodes de visualisation (voir chapitre 7).
55Par ailleurs, on recourt tout au long du projet à diverses méthodes de communication, animation de séances, conduite de négociations ou relations publiques entre autres. Dès le départ, l’animateur doit faire preuve d’un sens aigu de la communication pour entrer en contact avec des groupes avec qui il n’avait jusque-là aucune relation ou que l’on dit difficiles d’accès. Dans ce domaine précis, les nombreuses expériences réunies n’ont pas réellement donné naissance à une méthode en particulier. Spierts (1998) renvoie à ce propos à l’ouvrage néerlandais « Hoezo <moeilijk bereikbaar> » (van Putten 1991), intitulé que l’on pourrait rendre par « Pourquoi difficilement accessibles> ? », qui présente onze cas concrets d’entrée en contact avec des groupes divers.
56Enfin, n’oublions pas la documentation, les rapports, le budget, la recherche de fonds et la comptabilité qui sont autant d’instruments essentiels d’un projet.
57Cette liste non exhaustive montre que la méthodologie de projet n’est autre qu’un cadre impliquant le recours à de nombreuses autres méthodes ou techniques. Le terme de collage, que Hiltrud von Spiegel (1993) postule de façon générale pour le travail social, souligne la nécessité d’agencer et de combiner des approches diverses en fonction du contexte.
58On s’aperçoit d’emblée que le projet Glo-Bâle mêle et associe plusieurs méthodes : enquête (dans la phase d’analyse), conduite et animation de groupe, ateliers de l’avenir, travail de relations publiques, communication interculturelle, budgétisation et récolte de fonds, planification, organisation et formation des adultes pour ne citer que celles-ci. On y discerne aussi des méthodes nouvelles ou adaptées aux circonstances, en particulièrement la pratique du Stammtisch (table des habitués) ou encore l’école en plein air au parc. Les animateurs devront examiner de cas en cas s’il est judicieux d’associer un spécialiste au projet. Ce fut le cas pour GloBâle où l’on a engagé une enseignante d’allemand. Pensons aussi aux projets en rapport avec l’aménagement urbain où il faut souvent s’assurer le concours d’experts en planification, ou encore aux projets d’ordre culturel qui font appel à des artistes professionnels.
59En définitive, la maîtrise des méthodes et techniques importe moins que les positions de fond et les principes de travail que nous allons examiner maintenant.
6.3 Principes de travail dans les projets socioculturels
60Les projets d’animation se différencient des autres types de projets par leur manière d’associer les participants ou d’autres personnes ou institutions intéressées ou concernées, en ce sens qu’ils se proposent de faire des participants des acteurs.
61A partir de ce qui a été énoncé au chapitre 5 sur la participation, il est permis d’affirmer que l’animation socioculturelle et la participation se conditionnent mutuellement. Le secteur socioculturel ne peut se concevoir sans la mobilisation de forces volontaires et celle des principaux intéressés. A l’inverse, la participation suppose un système public de stimulation, d’encouragement, de planification et d’organisation de l’activité socioculturelle, d’autant plus que l’on ne peut plus compter aujourd’hui sur un engagement permanent. C’est un fait que de nombreuses associations responsables des institutions socioculturelles se sont dissoutes faute de volontaires prêts à siéger dans leurs comités. Même les premiers bénéficiaires d’une institution — pensons par exemple aux adolescents fréquentant un centre de jeunesse — ne sont guère intéressés à s’engager durablement dans une structure.
62Les activités à thèmes offrent un cadre judicieux pour un engagement ponctuel et de par leur nature, les projets se prêtent parfaitement à une participation échelonnée. Les approches novatrices, la transparence des objectifs communs, la limitation dans le temps, la répartition des tâches entre plusieurs personnes, ainsi que les diverses fonctions et rôles au sein de l’organisation constituent des conditions propices à la participation.
63On peut distinguer ici plusieurs degrés d’implication et degrés de participation qui, du reste, se conditionnent en partie :
Implication du fait de la situation de vie.
Implication du fait du rôle professionnel, institutionnel ou fonctionnel.
Implication par solidarité.
64Illustrons cette échelle d’implication par l’exemple d’un travail interculturel mené dans un quartier :
1.
65Le premier groupe comprend tous les habitants du quartier aux origines diverses, y compris bien sûr les autochtones dont l’implication est encore autre dans l’exemple étudié. Ce groupe englobe donc les principaux intéressés, c’est-à-dire les destinataires de premier rang qui peuvent prétendre au degré de participation le plus élevé. Aussi, si l’on entend faire des intéressés des acteurs, il faudra veiller à s’assurer de leur participation dans l’organisation du projet au sens étroit.
2.
66Le deuxième groupe comprend d’abord les institutions et leurs représentants, dans le cas présent le service social du quartier qui accueille des personnes en situation de détresse ou en manque de perspectives, ou encore une association ou un groupement d’intérêts du quartier. On trouve dans ce groupe aussi des individus, des enseignants par exemple qui ont pour difficile mission d’enseigner dans des classes comprenant une majorité d’enfants étrangers. On peut supposer que les représentants de cette deuxième catégorie considèrent le changement d’un bon oeil, avec des attentes bien sûr variables, et qu’ils constituent de ce fait des partenaires potentiels. En conséquence, il faudra dès le départ identifier les individus ou les groupes de cette catégorie, pour les associer à la définition des objectifs et à l’organisation du projet, ou du moins pour les consulter. Leur participation dans l’équipe de projet n’est pas indispensable, mais on peut imaginer qu’ils adhèrent à l’institution porteuse du projet ou prennent part à un groupe d’accompagnement. Dans tous les cas, ces personnes et institutions seront tenues informées du déroulement du projet. Les exclure, les écarter ou les négliger pourrait, on le sait d’expérience, aller jusqu’à entraver le projet. Ainsi, le travail en réseau, le travail interinstitutionnel et interdisciplinaire conditionnent le succès des projets.
3.
67On trouve dans le troisième groupe des personnes désireuses de s’engager et portant un intérêt particulier aux questions interculturelles. Cette catégorie comprend des étudiants, des personnes actives en quête d’une activité de compensation, mais aussi des retraités. Leur apport est souvent précieux et stimulant, mais malgré leur bonne volonté ils compliquent beaucoup les choses. En conséquence, leur degré de participation dépendra de leurs compétences. En dernière analyse, c’est aux animateurs d’en décider, en fonction de leur connaissance des personnes et de leurs talents de médiateurs. Une participation peut se concevoir à toutes les étapes et unités d’organisation du projet.
68De manière générale, un projet gagne en qualité et en efficacité lorsqu’il intègre de manière judicieuse les trois catégories d’intéressés, mais gagne en complexité et en lourdeur avec chaque nouveau participant. Dans l’absolu, un simple calcul d’efficacité interdirait une participation large.
69Aux différents degrés d’implication correspondent différents modes de participation. Nous renvoyons ici au tableau de Arnstein et Hollihn (1978) présenté au chapitre 5 qui distingue l’information, la consultation, la participation, la codécision et la participation à la réalisation et au contrôle.
6.4 Participation au sein de projets
70Les personnes dont la situation est en lien direct avec le thème principal du projet sont les premières intéressées et le plus souvent aussi les principales destinataires. A ce titre, elles peuvent prétendre à une participation étendue. Dans la pratique, les choses ne sont pas toujours simples, car la participation dépend du potentiel, des disponibilités et des besoins des intéressés. Ces personnes sont d’autant plus enclines à concourir au projet que son contenu suscite chez eux un écho immédiat, que le but poursuivi leur tient à cœur et qu’ils le jugent urgent. En somme, elles doivent se sentir concernées. Ces conditions pourtant, ne sont pas toujours réunies.
71Le potentiel de participation se révèle habituellement dès le lancement du projet et à ce stade l’animateur peut prendre toute la mesure du travail de motivation qui l’attend.
1.
72On distingue tout d’abord les situations où l’initiative part des intéressés, lesquels mèneront eux-mêmes le projet à son terme. Cette forme d’auto-organisation pure suppose bien sûr un certain niveau de qualification et d’intégration, de même que du temps libre. L’appui des professionnels n’est généralement pas indispensable.
73L’animation socioculturelle cependant s’adresse principalement à des groupes défavorisés ou à des groupes qui n’ont pas les moyens de participer pleinement à la vie sociale.
2.
74Une deuxième situation est celle où les projets émanent aussi des groupes de la population mais où ceux-ci sollicitent très tôt l’appui d’un animateur. Comme pour la première catégorie, la demande peut venir de personnes qui ne sont pas particulièrement défavorisées, mais qui n’ont pas une connaissance suffisante de la question, des méthodes, des moyens et des structures ou qui manquent tout simplement de temps, ce qui les amène à faire appel à un professionnel. Le projet Culture-mobile de la fondation culturelle suisse Pro Helvetia illustre parfaitement cette forme de collaboration. Il s’agit en l’occurrence d’une institution socioculturelle ambulante capable de répondre aux demandes et d’offrir un accompagnement et un appui d’animation sur mesure.
75Le rôle de l’animateur consiste à écouter les souhaits des promoteurs du projet en ce qui concerne le type d’accompagnement souhaité. Il doit en signifier aux intéressés qu’ils sont et restent maîtres du projet en ce qui concerne son contenu, alors que lui sera le sera l’expert pour ce qui a trait à la forme et à la structure du projet, ainsi qu’au choix des méthodes. En d’autres termes, l’animateur vise à donner au projet un cadre structurant et assume au besoin la conduite des séances. Sa mission est aussi de rendre les initiants attentifs aux points délicats et aux phases critiques, de les encourager, de les aider à bien évaluer la charge de travail et d’assurer une médiation en cas de conflit. L’animateur peut aussi mettre à profit ses compétences en matière de réalisation ou d’évaluation, faire le lien avec les autorités ou encore mettre à la disposition du matériel ou une logistique.
76Cette énumération suffit à mesurer le grand danger qui guette l’animateur : endosser le rôle de leader. Ses connaissances et son expérience lui confèrent une bonne longueur d’avance qui risque de le précipiter dans ce rôle. Nous insistons donc une fois de plus sur la nécessaire réserve qu’il convient d’observer pour ne pas entamer le degré d’autodétermination des intéressés et ne pas les priver d’une occasion d’apprendre par leurs propres expériences.
3.
77La troisième catégorie concerne les projets découlant d’une initiative institutionnelle, d’un mandat d’une commune ou d’institutions sociales ou pédagogiques. Mais un projet aussi peut naître du constat et des observations que les animateurs sont amenés à faire dans un environnement social donné. A l’évidence, la conduite du projet incombera dans un cas comme dans l’autre principalement à l’animateur. Et sa tâche consistera justement à créer le plus tôt possibles des occasions et espaces de participation. Dans l’idéal, déjà au stade de l’analyse de la situation, où il s’agira d’appliquer des méthodes exigeant une participation des intéressés. Cela passe par un intense travail de mobilisation et de motivation auprès des destinataires.
78A défaut d’une participation précoce, on organisera en cours de projet des rencontres ponctuelles avec les intéressés en vue de poser les grands jalons sur un mode participatif, et notamment pour définir ensemble le cap à tenir, pour élaborer des variantes et opérer un choix. Les destinataires seront au centre du projet au plus tard au stade de la mise en œuvre.
79Une fois que l’on a réussi à intégrer les intéressés dans un groupe de projet, tout l’art de l’animation consiste à faire avancer le projet sans prendre l’ascendant sur les participants. Il faut les amener à faire leurs propres expériences, à en tirer des enseignements et à assumer des responsabilités toujours plus conséquentes. En d’autres termes, on passe d’une mission de conduite à une mission d’accompagnement. Au fur et à mesure que les destinataires assument des tâches et des fonctions, l’animateur peut se retirer du poste de pilotage. Il doit cependant se tenir prêt à reprendre de temps à autre le gouvernail en cas de crise, lorsque des participants quittent le navire ou encore quand le projet risque de capoter. Cet équilibrage permanent figure au nombre des tâches les plus délicates de l’animateur de projets socioculturels.
80L’interaction entre la participation et le rôle de l’animateur éclaire le postulat énoncé plus haut qui veut que la méthodologie de projet dans l’animation ne se résume pas à la simple application de techniques. Les animateurs doivent maîtriser les outils de la méthode de projet et enseigner aux intéressés à s’en servir, et donc ajuster leur rôle à l’évolution des participants.
6.5 Méthodes adaptées aux groupes cibles
81Les modalités de la participation sont largement fonction du potentiel des intéressés. Les possibilités ne sont-elles pas les mêmes selon que l’on travaille avec des adultes ou des enfants, auquel cas il faudra trouver des formes spécialement conçues pour les enfants (voir chapitre précédent).
82Penchons-nous sur le cas de cette petite commune suisse qui a décidé d’associer les enfants à l’aménagement du territoire. Une centaine d’enfants se sont réunis une semaine durant sous un chapiteau de cirque pour construire le village de leur rêve, la maquette finale devant figurer leurs rêves et leurs aspirations. Si la préparation du projet était largement le fait des professionnels, les enfants ont ensuite pleinement joué le jeu, faisant preuve d’une grande inventivité. Le village miniature qu’ils ont réalisé a été présenté aux adultes à la fin du projet, à l’occasion d’une visite guidée et commentée par les enfants. Les animateurs se sont volontairement placés en retrait dans cette phase finale (cf. Miriam Rutishauser 1998).
83Ce qui est vrai pour les enfants vaut aussi pour tous les autres destinataires de projets socioculturels. Quand un projet se propose de faire participer les intéressés, il y a lieu de penser des formules permettant à chacun de participer à l’aventure ou de prendre le train en route. C’est ici que les animateurs peuvent donner toute la mesure de leurs talents, de leur imagination et de leur bagage culturel, en engageant des moyens artistiques, ludiques, créatifs ou sportifs multiples et variés.
84Le succès d’un projet de même que son impact sont déterminés bien sûr par la nature du projet, c’est-à-dire le produit et dans une large mesure aussi par son évolution. Le projet et sa dynamique forment un champ d’apprentissage spécifique. Chaque participant apprend par le fait qu’il assume des tâches et découvre des méthodes ou approches nouvelles, qu’il échange et confronte ses idées et points de vue au sein de l’équipe de projet ou qu’il est appelé à présenter publiquement son travail projet. Afin de favoriser au mieux ces apprentissages, l’animateur procède en continu à une pesée des intérêts, juge s’il faut laisser aller les choses à leur rythme ou au contraire pousser un peu pour respecter le planning. En somme, il s’agit de déterminer à quel moment il vaut mieux arrêter un processus pour avancer plus vite vers l’objectif (et peut-être éviter des échecs) et à quel moment on a intérêt à laisser une dynamique s’installer, quitte à reconsidérer le calendrier du projet.
6.6 La durabilité : condition et conséquence de la participation
85Au sens des théories des systèmes les plus récentes, l’animation consiste à inciter un système à devenir moteur de son propre changement (cf. Helmut Willke 1996). Pour Gillet (1995) l’animateur s’apparente à un acupuncteur qui stimule les mécanismes d’auto-guérison de l’organisme plutôt qu’à un médecin (Schul) prescrivant un médicament qu’il est le seul à connaître. Cette distinction est décisive puisque l’utilité d’un projet se mesure surtout aux effets qu’il déploie au-delà de son cadre temporel.
86Dans l’idéal, les intéressés prennent le relais au terme du projet et s’organisent seul. Ce fut précisément le cas dans le projet « GloBâle », mais c’est plutôt une exception. Dans le projet d’aménagement du territoire mené avec les enfants, l’effet durable est réel, bien que moins manifeste. Les enfants de leur côté ont compris que l’on peut façonner et modifier son habitat et son environnement et qu’il est capital de participer aux choix d’aménagement. Les adultes et autorités communales, pour leur part, ont pris conscience que bien guidés et stimulés, les enfants sont capables de prendre part au destin de la commune. L’effet produit se résume donc à une prise de conscience, fragile peut-être, des intéressés et de l’opinion publique. Pour assurer le prolongement du projet, il s’est mis sur pied un groupe réunissant adultes et enfants, appelé à intervenir ultérieurement pour proposer des changements conformes aux désirs et besoins des enfants de la commune.
87On retiendra ici que l’impact durable passe obligatoirement par une organisation de projet participative et adaptée aux destinataires. Imaginons un seul instant qu’au lieu de faire participer les enfants, on ait opté pour un simple questionnaire pour connaître leurs désirs en matière d’aménagement du territoire et que les résultats aient été transmis ensuite aux autorités communales. Il est certain que le projet n’aurait pas eu le même impact.
88La délégation progressive des tâches aux intéressés, leur identification au projet et leur engagement sont autant de facteurs qui déterminent l’efficacité et la durabilité du projet. La nature de l’objectif défini joue aussi un rôle considérable. On distingue d’ordinaire les objectifs à long terme et les objectifs à plus court terme qu’il faut atteindre dans les strictes limites du projet. Dès lors qu’on assigne à un projet un objectif lointain qui aura volontiers un caractère global, on juge que ce projet doit tendre vers l’accomplissement de cet objectif, ce qui suppose parallèlement une réflexion sur la manière d’en cimenter les effets au-delà du terme du projet. Au fond, il s’agit d’ancrer et d’implanter l’esprit du projet dans tout ce qui compose son environnement.
89Cet enracinement ne signifie nullement que le projet, par définition limité dans le temps, doit avoir un prolongement institutionnel. Le projet, nous l’avons vu, a ceci de particulier qu’il ne peut se réaliser avec les moyens institutionnels habituels. Il requiert des ressources extraordinaires, en termes de personnel, de logistique et de finances. En conséquence, le projet ne peut se poursuivre indéfiniment avec des moyens identiques (les projets pilotes font ici exception puisqu’ils sont des ballons d’essai à ce que l’on se propose d’instituer). Quand la communauté ou l’institution socioculturelle libère des moyens exceptionnels et les affecte à une tâche précise, c’est dans l’idée de favoriser l’auto-organisation et par-là même, la participation à la vie sociale, mais aussi dans l’intention de recentrer ensuite les forces sur d’autres domaines où le besoin d’action se fait également sentir.
90La fin d’un projet ne va jamais sans peine. C’est que le projet éveille des attentes et permet à ses acteurs de nouer des liens, très étroits pour certains. Et il n’est pas facile de quitter d’un jour à l’autre cette organisation et le réseau des relations tissées. Le départ d’un acteur professionnel à la fin du projet peut causer bien des déceptions, et on ne signalera jamais assez au départ le caractère temporaire de la collaboration. Malgré toutes les précautions, l’animateur ne sera jamais à l’abri des sollicitations culpabilisantes.
91C’est précisément l’expérience qu’ont vécue les responsables du projet « GloBâle » qui ont eu de la peine à se démarquer des participants étrangers avec qui ils avaient peu à peu établi de cordiales relations. Il faut avoir conscience de cette difficulté dès les premiers contacts et s’en accommoder au mieux. Une participante au projet illustre bien cet embarras : « Lorsque tu lances un galet, tu fais des ronds dans l’eau que tu n’es pas en mesure ensuite d’arrêter. » L’image souligne bien sûr l’effet durable du projet, mais en pointe aussi les effets inattendus. Impossible de prévoir l’amplitude des ondes circulaires, si bien que tout l’art de l’animation consiste à inciter, à stimuler, à anticiper des effets, mais aussi à cadrer les choses et à faire en sorte que les galets n’entraînent pas une trop forte houle.
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