1. Définitions, fonctions et position
p. 13-41
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Mots-clés : anthropologie conjonctive/disjonctive, migrants, transition
Texte intégral
1.1 Introduction
1En 1975, Henry Ingeberg intitulait un chapitre d’une brochure de l’Unesco « L’animation socioculturelle omniprésente et introuvable ». Le titre en dit long puisqu’il annonce d’entrée de jeu que l’animation est un phénomène qui n’entre dans aucun champ traditionnel clairement circonscrit (la science, les institutions, la politique) et qui se manifeste sous les formes les plus diverses.
2L’absence de contours précis tient à de multiples facteurs et nous en examinerons ici quatre d’entre eux.
3D’abord, nous retiendrons que l’animation socioculturelle s’inscrit toujours dans l’évolution sociale. Qu’une société progresse à toute allure ou à pas mesurés, que son développement privilégie la dimension matérielle ou immatérielle, que ses membres vivent dans la misère ou dans l’abondance, qu’elle soit très homogène et normalisée ou présente au contraire des modes de vie, d’habitat, d’entraide et de mobilité éclatés ou hautement différenciés, tout cela détermine très largement la forme que prendra l’animation socioculturelle. Notre époque et son lot quotidien d’innovations, de bouleversements et d’interrogations nouvelles dans le domaine économique, social et culturel, contraint les individus à s’adapter en continu à de nouvelles règles du jeu et transforme en profondeur les fondements de l’animation socioculturelle.
4N’oublions pas par ailleurs que l’animation socioculturelle est un phénomène récent. Elle n’a pas d’histoire officielle, mais se caractérise plutôt par une histoire plurielle. Il y a d’abord l’histoire de son appellation, puis celle de ses institutions, de ses acteurs et de ses activités, mais aussi celle de toutes les initiatives qui, sans jamais se réclamer explicitement de l’animation socioculturelle, font et visent la même chose. L’histoire de l’appellation et des institutions dépend d’un contexte culturel que nous examinerons au chapitre suivant. Quant à la troisième histoire, elle se confond pour ainsi dire avec l’histoire universelle ; nous ne nous y arrêterons que lorsque cela sera utile à la compréhension du sujet.
5L’animation socioculturelle existe sans doute partout dans le monde, sous des formes propres à chaque culture. Les définitions rigides font sans doute obstacle à la compréhension au-delà des frontières culturelles, et c’est pourquoi l’animation se veut de conception ouverte ; elle entend faire une place aux courants dont elle partage les mêmes repères, même si ces derniers s’affichent sous un autre nom et sont issus de traditions distinctes. L’animation socioculturelle n’est pas née autour d’un tapis vert, ni dans un cabinet de travail, elle procède directement de l’action. Peu soucieuse des catégorisations théoriques, elle a fait son chemin en prenant ses marques autour de postures et d’actions. Elle s’est trouvé incarnée par diverses personnes et des institutions qui, pour certaines, lui ont ensuite tourné le dos.
6Il semble donc évident que la description des fonctions et définitions présente quelques aspérités si l’on escompte un ensemble rigoureux et cohérent. Cette description rend compte de la diversité des contextes et des nombreux contrastes. Elle se concentre avant tout sur les régions francophones et germanophones, d’abord parce ce que c’est là que s’est forgé le concept et ensuite, parce que cela correspond à notre propre géographie linguistique. Nous toucherons rapidement les autres régions linguistiques dans le chapitre suivant, qui nous livrera un aperçu historique.
1.2 Fonctions et définitions
7En consultant la littérature, on s’aperçoit que germanophones et francophones ne se rejoignent guère dans l’art de la définition. Alors que les auteurs de langue allemande proposent, à différents niveaux, des définitions tenant en quelques phrases, les francophones privilégient l’approche descriptive ou de type essayiste. Les premières tentatives pour cerner le phénomène datent toutefois dans les deux cas de la même période, si bien que nous avons opté pour une présentation croisée.
8La France a adopté le terme d’animation à la fin des années 60 pour désigner une série de fonctions déjà présentes dans le domaine socioculturel. C’est dans les années 70 que l’on a entrepris de cerner le phénomène de plus près et les premières définitions se rapportent le plus souvent à la pratique. Pierre Besnard (1986) en conclut que la plupart des auteurs d’études ou de recherches portant sur l’animation socioculturelle s’accordent sur le fait qu’il est plus commode de produire un certain nombre de caractéristiques plutôt que de livrer une définition générale, quand bien même il s’agit d’une entreprise laborieuse.
9Voici sa description :
10« L’animation socioculturelle se définit comme un ensemble de pratiques, d’activités et de relations.
- Ces pratiques et activités concernent les intérêts manifestés par les individus dans leur vie culturelle et plus particulièrement dans le temps libre, dont les intérêts peuvent se classer ainsi (selon J. Dumazédier) : artistiques, intellectuels, sociaux, pratiques, physiques.
- Ces pratiques répondent à des besoins d’initiation, de formation, d’action, non satisfaits par les institutions existantes. Elles satisfont aux fonctions de délassement, divertissement, développement.
- Ces pratiques sont volontaires (à la différence de certaines obligations culturelles de l’école), qu’il s’agisse de l’exercice d’une activité ou de la participation à une organisation (club, association, groupe).
- Ces pratiques et activités sont en principe ouvertes à toutes les catégories d’individus, quels que soient leur âge, sexe, origine, profession, etc.
- Ces pratiques et activités ne requièrent en principe pas de niveau préalable.
- Ces pratiques sont désintéressées. Elles ne visent pas, en principe, à l’obtention d’un diplôme, d’une qualification.
- Ces pratiques s’exercent généralement en groupe, dans des institutions et équipements socioculturels multiples.
- Elles se déroulent en général avec l’aide d’un animateur, professionnel ou bénévole, ayant en principe reçu une formation particulière et utilisant, en dominante, des méthodes pédagogiques actives. »
(Besnard 1986, p. 59 ss.).
11C’est là une définition étonnamment apolitique pour la France et, même si elle a souvent fait autorité, elle ne correspond en rien aux desseins qui étaient ceux de l’animation socioculturelle dans ces années-là. L’approche peu politisée apparaît aussi clairement chez Geneviève Poujol, ancienne directrice de l’Institut national d’éducation populaire (INEP), qui se borne à citer d’autres auteurs (Besnard, Dumazédier) et conclut par ces propos plutôt laconiques : « Pour nous l’animation est avant tout un projet idéologique qui a recueilli durant une quinzaine d’années un important consensus (dans l’intention d’opérer un changement social. H. W.) [...]. En un sens, on pourrait situer le champ de l’animation comme un champ résiduel. [...] Aujourd’hui, le projet d’animation a quasiment disparu comme référent idéologique » (Poujol 1989, p. 63).
12L’absence de définition satisfaisante a conduit Jean-Claude Gillet (1995) à intituler son premier chapitre « La définition introuvable ». Il y expose les différents essais de définition et tente aussi une typologie de l’animation en passant en revue les divers qualificatifs (socioculturelle, sociale, culturelle, éducative, etc.) et les multiples identités de ces appellations non contrôlées. A relever tout de même que Gillet renoue, de manière contradictoire il est vrai, avec le référent sociopolitique.
13Au cœur de cette entreprise, il y a surtout la volonté de dégager, d’isoler les fonctions de l’animateur : il en résultera, entre autres, la triade concepteur — médiateur — organisateur qui s’est aussi imposée en Suisse.
14En Allemagne, Horst W. Opaschowski a été le premier à adopter sur une large base la notion d’animation qui s’était implantée en France. Il la rangeait et la range encore dans les sciences récréatives et la pédagogie des loisirs. Il admet que les loisirs constituent sinon l’unique, du moins le principal point d’ancrage de l’animation et que le volontariat en est un élément constitutif. Ce postulat le conduit aussi à préférer le terme d’animation récréative et culturelle à celui d’animation socioculturelle. Voici la définition générale qu’il en donne :
15« Notion clé de l’univers des loisirs, de la culture et de la formation, l’animation désigne une action visant à motiver à encourager et à stimuler par des méthodes non directives dans des situations ouvertes. L’animation favorise la communication, libère la créativité, stimule la formation de groupes et facilite la participation à la vie culturelle. Elle a ceci de particulier qu’elle se sert de moyens autres que la parole et le langage et qu’elle s’adresse non seulement à la sphère intellectuelle, mais intervient aussi sur le plan émotionnel et celui des relations sociales. » (1979, p. 47, trad.)
16Il est plus proche de la pratique dans sa définition de l’animation récréative et culturelle :
17« L’animation récréative et culturelle désigne
- l’objectif d’encourager, de stimuler des individus ou des groupes et d’éveiller leur envie d’exploiter leurs potentialités et leurs capacités latentes et de les développer pleinement ;
- une méthode permettant de conduire et de favoriser des processus d’apprentissage, des activités ou encore des actions sociales, avec des individus ou des groupes ;
- un processus consistant à conseiller, accompagner et dynamiser des personnes, des groupes ou des communautés ;
- l’effet de la mise en contact, de l’activation et de la coordination de différentes offres, activités et actions » (p. 55, trad.).
18En 1990, il déclarait de manière péremptoire :
19« L’animation est une méthode non directive visant à favoriser la communication, l’activité créatrice et culturelle proprement dite et l’action sociale » (Opaschowski 1990). Et il rattache aussitôt sa définition aux objectifs que le Conseil de coopération culturelle du Conseil de l’Europe a formulés en 1973, en qualifiant d’activités animatoires toutes celles qui aident l’individu
- à prendre conscience de ses propres besoins, talents et aptitudes ;
- à communiquer avec d’autres pour prendre une part plus active à la vie de la communauté ;
- à s’adapter aux mutations de son environnement social, urbain et technique ;
- à explorer sa propre culture, à développer en particulier ses aptitudes intellectuelles et physiques, ses forces d’expression et sa créativité.
20Harald Michels, qui retrace l’évolution du terme animation en Allemagne, aboutit à la définition suivante :
21« L’animation, au sens large, recouvre un ensemble d’activités, de mesures et d’interventions,
- dont les finalités sont liées au temps libre (émancipation, autonomie d’action, accomplissement personnel, plaisir et découverte, communication et création, etc.),
- qui définissent l’activité et la compétence dans le champ professionnel des loisirs exercées à des niveaux d’intervention multiples (du microsociétal au macrosociétal),
- qui s’exercent dans des sous-systèmes divers (politiques, économiques, sociaux, culturels, pédagogiques). »
22Et de préciser : « L’animation stricto sensu se définit comme une intervention délibérée visant à organiser et à modifier l’impact de l’environnement social et matériel sur le vécu et le comportement des individus, surtout dans des situations de groupe » (Michels, 1995, pp. 24, 25).
23Tandis que la première définition présente une approche originale, la seconde met surtout l’accent sur la méthode, ce qui montre bien que ces définitions se comprennent toujours dans des perspectives distinctes, sans pour autant autoriser une classification nette des différents points de vue. Candinas (1990) souligne lui aussi que les pays germanophones ont privilégié le niveau de la méthode.
24Ces définitions témoignent d’une orientation autre que celle qui caractérise le débat en France où l’animation n’a jamais pris place dans les sciences récréatives (ou dans la « récréologie »). D’ailleurs, les auteurs français n’ont de cesse de rappeler que l’animation est inclassable (Gillet 1995). En Allemagne en revanche, dans le courant des définitions qui relèvent des sciences récréatives, on inscrit moins volontiers l’animation dans le contexte social et culturel général, ce qui explique le caractère plus apolitique, a priori du moins, des définitions ci-dessus, qui rappellent plus volontiers le Club Méditerranée. Le concept de socioculture, sur lequel nous reviendrons encore, comporte cependant bien aussi une dimension politique et sociale. Plus récemment, l’auteur autrichien Popp s’est singularisé en reliant l’animation au travail communautaire (1990).
25Michels, lui, la range dans une pédagogie des loisirs critique. A l’évidence, les divers classements, nomenclatures, typologies et notions génériques ébauchées par les auteurs allemands restent eux aussi parfaitement discutables. Ainsi, en Allemagne on peinait aussi à créer une classification claire et rigoureuse à laquelle, en France, on avait déjà renoncé.
26Dans ces circonstances, l’interprétation de Hubert Kirchgässner, où la critique sociale l’emporte sur la dimension pédagogique, n’a donc pas réussi à s’imposer. En 1979, cet auteur avait mis le doigt sur deux traits essentiels de l’animation : « On ne saurait simplement assimiler l’animation à des modes d’apprentissage extra-scolaires fondés sur une participation volontaire. Gardons-nous d’ailleurs de lui substituer le terme de pédagogie sociale, quand bien même ces deux domaines se recoupent. La notion même de pédagogie s’oppose par trop à l’essence de l’animation et est incapable de rendre compte de l’étendue réelle de cette activité qui s’exerce dans un spectre plus large ». Plus loin, il affirme « L’animation socioculturelle est aujourd’hui une réponse à l’aliénation croissante et à l’élargissement des champs de loisirs. L’aliénation s’entend comme l’asservissement de l’individu à des contraintes et des superstructures, l’absence d’identification au travail et, plus généralement, la difficulté croissante à trouver des repères et à se situer dans l’existence. »
27Ces caractéristiques, encore présentes dans le débat français, ont en partie disparu en Allemagne sous l’effet du rattachement de l’animation à la pédagogie des loisirs. Le courant de pensée française n’apparaîtra plus tard que chez Popp. Celui-ci place certes son travail dans le cadre des sciences récréatives, mais il rappelle avec insistance que la pédagogie des loisirs n’est en aucune manière le berceau de l’animation. Il est au nombre des rares auteurs à adhérer au débat suisse (Popp 1995). S’inspirant largement des formulations du Conseil de la coopération culturelle du Conseil de l’Europe, il se réclame de sa déclaration complémentaire.
28« Le succès de la méthode réside dans le principe animation – participation – démocratie et suppose un travail d’organisation d’excellence. Le succès ne peut que résulter de la conjugaison des forces sociales avec un lien effectif entre une animation « intentionnelle » et une animation fonctionnelle. Fin clair, l’animation résulte directement de la vie sociale telle qu’elle est en train d’évoluer » (CCC 1973). Dans les régions de langue allemande, les définitions de l’animation demeurent mouvantes, tout au moins pour ce qui touche à la dimension sociopolitique. Néanmoins, on peut en dégager les caractéristiques suivantes :
- L’animation est une compétence d’action nouvelle centrée sur la motivation, la stimulation et la dynamisation à caractère non directif.
- Cette compétence doit se servir de canaux d’expression non verbaux pour toucher aussi ce qui relève de la dimension socio-affective.
- Un bon travail d’animation requiert une organisation de premier ordre.
- Cette compétence d’agir s’exerce et se déploie dans des situations ouvertes et ou des champs de situations ouverts.
- Animation, participation et démocratie forment une triade.
29Il nous semble ici particulièrement intéressant de nous arrêter un instant sur le chemin emprunté par le débat en Suisse, un débat qui a été traversé par les différents courants et a servi en quelque sorte de point de jonction entre eux.
30Lorsque le concept d’animation s’est propagé dans les années 60 (voir chapitre suivant) en Suisse romande, le débat était fortement imprégné de ce qui se passait en France. Puis au début des années 70, alors que le concept gagnait la Suisse alémanique, les diverses influences ont commencé à s’entrecroiser. On a pu l’observer notamment au Congrès Unesco-ELRA en 1978 à Zurich, avec la confrontation de deux courants, la pédagogie des loisirs allemande et le mouvement de l’animation francophone. La rivalité entre ces deux concepts trouvera une forme institutionnalisée dans la Coordination des écoles suisses d’animation socioculturelle (CESASC – organisation faîtière des formations suisses en animation socioculturelle, soit : les formations offertes à Lausanne et à Genève avec un tronc commun en travail social, et à Zurich et Lucerne par des écoles supérieures en animation. L’implantation de ces formations dans le cadre des écoles supérieures de travail social était, en soi, une contribution à sa définition.
31Une première base commune est créée avec la plate-forme commune des écoles suisses d’animation socioculturelle (1989) qui énonce ceci :
- « L’animation est donc une action sociale qui se propose d’influer sur l’évolution sociale, sur les activités, les représentations et la communication des individus.
- L’animation s’adresse à divers groupes de la population (groupes d’initiative, habitants d’un quartier, etc.) Elle ne devient effective qu’au travers des activités des groupes concernés.
- L’animation encourage ces groupes à réaliser des projets communs et à participer activement aux décisions qui les concernent. Elle part des déficits sociaux pour inciter les personnes concernées à agir et à prendre des décisions.
- L’animation repose donc sur des interventions sociopédagogiques qui visent une dynamisation des individus et des groupes.
32Et il est dit en conclusion :
33« L’animation socioculturelle est une action sociale qui s’exprime à travers différentes activités. Elle dépend du contexte économique, culturel, social et politique, ainsi que des potentialités propres de la population concernée. Cette action vise à structurer les groupes et à mobiliser leurs ressources en vue de réaliser les changements sociaux auxquels ils aspirent. La participation repose sur une base volontaire et se structure selon des principes démocratiques. Elle se donne pour moyens des méthodes propres à une pédagogie de l’action qui stimule la participation. »
34La référence sociale, qui va au-delà de l’idée de science des loisirs et de pédagogie des loisirs, transparaît clairement dans cette définition. L’animation ne s’y conçoit qu’associée à l’objectif d’une société où la démocratie serait pleinement réalisée, et, en soi, comme une mise en acte de la démocratie sociale et culturelle selon la formulation du Conseil de la coopération culturelle (CCC). Nous examinerons plus loin sa parenté avec d’autres approches (la culture pour tous, la socioculture, le travail communautaire). Cette définition prend donc en compte l’individu inséré dans son contexte social ; la mission de l’animation consiste précisément à faire de lui un acteur des changements sociaux et non plus simplement une victime.
35A partir de là, le débat s’est surtout articulé autour des grandes questions suivantes : quelle est la fonction sociale de l’animation socioculturelle ? Se place-t-elle du côté des défavorisés et cherche-t-elle à défendre leurs intérêts (animation militante) ou au contraire se refuse-t-elle à prendre parti et cherche-t-elle plutôt à favoriser la communication et à assurer la médiation et les règlements équitables des conflits (la médiaction, voir chapitre 5) ? A-t-elle pour point de départ les déficits de certains groupes sociaux particulièrement défavorisés, ou part-elle au contraire du principe que tous les groupes sociaux sont également concernés par les avancées technologiques, économiques, politiques, sociales et culturelles, que leurs possibilités de participation se font ainsi plus rares et qu’ils ont donc tous besoin d’un soutien en la matière ?
36Dans le débat resurgit souvent aussi la question du développement de l’individu et de la société, puisque nous nous trouvons dans une situation où la plupart des animateurs sont au service d’institutions politiques qui ont tout intérêt à conserver leur pouvoir. Les intérêts antagoniques des mandants et des destinataires, dont on se propose de faire les acteurs des changements sociaux – en règle générale dans une optique de résistance – est, en Suisse comme en France, une question clé du débat sur l’animation depuis les années 60 au moins. Gillet (1995) parle ici de syndrome de Janus pour qualifier ce champ bipolaire dont l’animation socioculturelle doit s’accommoder.
37Cette situation a bien sûr donné lieu à des débats nourris sur les objectifs, les fonctions et les rôles. Voici ce qu’en dit Emanuel Müller dans un document de travail : « L’action socioculturelle, qui vise à amener l’individu à modeler son quotidien, à se l’approprier et réapproprier comprend plusieurs objectifs partiels :
- L’animation socioculturelle développe la communication et la participation des individus, des groupes et de communautés en les mettant en relation les uns avec les autres et en construisant des réseaux. Elle concourt ainsi à l’intégration sociale, dynamise la participation, l’initiative et l’auto-organisation.
- Elle aide les intéressés à formuler leurs demandes et à identifier leurs intérêts. Elle développe leur capacité à trouver des réponses à leurs besoins et à induire des changements.
- Elle crée des conditions propices à l’expression sociale, culturelle et politique fondée sur la liberté de pensée, au niveau de l’individu, du voisinage, de la commune, de la région ou encore de l’institution.
- Elle concourt à traiter, à régler et à aller jusqu’au bout des conflits sociaux et interculturels en prenant en compte les différences, et en facilitant les décisions.
- Elle crée des conditions propices à des formes d’expression culturelle indépendantes à divers échelons : personnel, réseau de proximité, commune, région et institutions. Elle recourt à des techniques diverses dans son action auprès des destinataires.
- Elle offre appui et conseils pour l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de projets et d’initiatives dans le domaine socioculturel.
- Elle mobilise des qualifications et des ressources socioculturelles non exploitées.
38En même temps qu’elle tend vers ces objectifs, elle est appelée à remplir une série de fonctions (qui sont arrêtées dans les grandes lignes des formations en animation de Suisse alémanique) :
- Fonction d’intégration : faciliter et stimuler la communication et les échanges entre les individus, les groupes et les cultures.
- Fonction de participation : renouer avec d’anciens modes de participation sociale et culturelle, créer et mettre en œuvre de nouvelles formes de participation avec les bénéficiaires.
- Fonction de mise en réseau : encourager et accompagner la création d’un tissu de relations sociales et de réseaux culturels.
- Fonction de gestion du temps : développer des lieux et des espaces de loisirs favorisant un engagement social et culturel et contribuer ainsi à une meilleure gestion du temps libre.
- Fonction éducative : créer et offrir, essentiellement dans le domaine para et périscolaire (en marge du système éducatif institutionnel) des possibilités de formation et d’apprentissage.
- Fonction d’enculturation : développer la conscience et la représentation de soi et les échanges culturels pour faciliter et favoriser l’intégration de personnes ou de groupes dans la culture de la société environnante.
- Fonction de mobilisation des ressources et de balance socioculturelle : libérer et exploiter toutes les ressources en les mettant en commun afin d’assurer les synergies.
- Fonction de critique et de solidarité : aider à formuler des critiques envers les dysfonctionnements de la société et jeter les bases à la mise en place de liens de solidarité.
- Fonction de prévention : identifier très tôt les problématiques sociales, agir par l’information, par un soutien et des correctifs pour prévenir leur chronicité.
39De là sont issus les trois missions ou rôles essentiels de l’animateur, a savoir le rôle de concepteur, de médiateur et d’organisateur. Voici comment la CESASC (1990) les a définis :
40« Le concepteur doit être capable :
- de procéder aux études de milieux que nécessite sa fonction :
- Comment appréhender les besoins d’une population ?
- Comment déceler la vraie demande derrière une situation d’insatisfaction ou conflictuelle ?
- Comment définir les divers aspects d’une problématique sociale ainsi que les partenaires concernés qui favoriseraient sa résolution ?
- de concevoir un projet d’action qui réponde à des objectifs et un mandat dûment établis en vue d’un changement à apporter dans la situation de départ ;
- d’imaginer les moyens techniques (personnel spécialisé, matériel, bâtiment, etc.) et financiers nécessaires au projet.
41Le médiateur doit être capable :
- de favoriser l’information, la créativité et la communication à tous les niveaux : interindividuel, au sein d’un groupe, entre les partenaires sociaux d’une collectivité ;
- de rendre le projet d’action accessible à tous les partenaires concernés, afin de mobiliser leurs ressources et de favoriser la participation ;
- de favoriser les processus de négociation.
42L’organisateur doit être capable :
- de programmer une action sur des périodes de durées variées ;
- de trouver les ressources financièrement nécessaires ;
- de mettre sur pied des équipes de collaborateurs spécialisés ou bénévoles et de coordonner le travail d’équipe ;
- de concevoir la publicité nécessaire à la promotion du projet ;
- de gérer le personnel, le matériel et l’équipement mis en œuvre par le projet ;
- de rendre des comptes aux différents partenaires. »
43L’animation socioculturelle est donc issue de diverses sources et traversée par des courants multiples. Loin d’être une entité abstraite, elle est le miroir de la réalité sociale. Par conséquent il est vain de chercher à l’emmurer dans une définition abstraite de portée générale. Néanmoins, elle présente une série de caractères ou traits généraux (Besnard 1986), omniprésents, du moins comme thème de discussion, tout au long de la vaste entreprise de définition.
44Toutes les définitions ont, sans conteste, trait à la mobilisation des individus et de groupes. Il est admis que l’animation apporte quelque chose à l’individu ou au groupe ou leur facilite les choses. L’analyse sociale qui sous-tend cette hypothèse n’est pas toujours éclatante dans toutes les définitions, sa présence se reconnaît surtout aux réponses apportées aux questions du où, quoi et comment.
45De manière générale on distingue deux visions dominantes, la première privilégie la dimension sociopolitique, la seconde privilégie l’individu.
461. Dans le premier cas, il y a le postulat d’un changement de société. L’individu est considéré dans une situation qui le dépasse, où il n’est plus maître de son destin et a de la difficulté à trouver des repères, simplement parce qu’au-delà d’un espace donné, il n’a plus la possibilité d’organiser sa vie, qu’il n’a plus prise sur les événements. On se réfère ici surtout aux grands problèmes complexes devant lesquels l’individu se sent démuni. C’est ici précisément qu’intervient l’animation socioculturelle, en aidant les individus à mieux se situer et à prendre leur vie en main ; en cela elle s’inspire de la définition large de la culture proclamée par l’Unesco et le Conseil de l’Europe. Elle part du principe que cette appropriation ne passe pas par des actions individuelles, mais appelle une action collective ou communautaire.
47Vu sous cet angle, l’animation socioculturelle est une méthode qui encourage la démocratie, une méthode qui se propose de dépasser la participation formelle pour se diriger vers une participation concrète, qui n’est pas coincée dans un carcan politique. L’animation entend tenir lieu de modèle démocratique en menant une action transparente qui part des besoins des intéressés, favorise une communication authentique et un règlement équitable des différends, le tout pour une vie collective de meilleure qualité.
48Reste à savoir jusqu’à quel point cette action de soutien bénéficie à tous les citoyens et citoyennes d’une communauté, dans quelle mesure l’animation s’adresse surtout aux plus démunis, dans quelle mesure elle offre à tous de réelles chances de participation et jusqu’où elle exerce aussi une fonction de normalisation. Ces questions n’ont cessé d’alimenter le débat et restent entières (voir à ce propos aussi Gillet, 1995).
492. La seconde perspective part du développement des loisirs, des possibilités mais aussi des dangers qu’il recèle. L’objectif consiste à faire un usage judicieux du temps libre avec à la clé un bénéfice surtout individuel ; on aspire à une meilleure qualité de vie grâce à la réalisation de projets et d’activités qui répondent aux besoins et permettent à chacun de donner toute la mesure de ses capacités. Cette perspective comporte aussi une dimension sociale, culturelle et politique. L’analyse sociétale commence cependant au niveau de l’individu dont on relève la difficulté à faire un usage intelligent de son temps libre, pour son bien et pour celui de la société en général. Elle désigne ensuite les forces sociétales qui concourent aux problèmes, notamment le caractère économique et marchand des loisirs (voir les thèses de Opaschowki 1990 et Nahrstedt 1990 plus orientées vers la pédagogie des loisirs).
50Ce courant fait donc aussi une large place à la communauté et à la communication, en y voyant d’abord un atout individuel, puis une chance pour la société. L’animation empiète ici en partie le terrain de la pédagogie qui mise davantage sur l’instruction et l’accompagnement. Relevons pour terminer que ce courant se réclame toujours des principes de la participation et du volontariat.
51Les deux courants présentés sont répandus dans la pratique et n’entrent pas en compétition au niveau théorique, si bien que nous continuerons à les considérer en parallèle.
1.3 Dans quel contexte s’inscrit l’animation ?
52L’animation socioculturelle est un phénomène nouveau et ouvert qui ne connaît que depuis peu une forme institutionnalisée. Elle représente pour le travail social et la pédagogie en général à la fois un appui et un défi. Examinons donc son positionnement dans ces deux domaines.
53L’animation a suscité l’intérêt de la pédagogie sociale, du travail social, de la pédagogie des loisirs, du travail communautaire, du travail socioculturel, du travail culturel et en partie du travail politique. Tous ces domaines y reconnaissent des similitudes dans les objectifs, les modes d’intervention ou les approches. Est-ce à dire que l’animation socioculturelle est un vaste patchwork composé de l’ensemble de ces domaines ? Quel lien entretient-elle alors avec chacun d’entre eux ?
54Nous devons ici tenter un premier positionnement en n’oubliant pas que l’animation, au même titre que tous les autres domaines d’ailleurs, est en constante évolution. Ce positionnement cherchera à faire ressortir les zones de chevauchement et les délimitations.
A) Pédagogie sociale/travail social
55C’est une entreprise périlleuse que de vouloir embrasser ces deux notions sous le même titre. Dans un article de « Padagogik, Handbuch für Studium und Praxis » (Roth 1991) la sociopédagogie est pratiquement assimilée à l’éducation spécialisée (Heuum/Wiesenfeldt-Heun 1991, p. 612 ss.) alors que dans d’autres ouvrages (Pfaffenberger 1991, p. 989) il est dit : « La pédagogie sociale et le travail social constituent des champs partiels d’une pratique sociale aux origines historiques distinctes, mais dont les champs d’intervention se sont pratiquement fondus l’un dans l’autre ou tout au moins, sont en train d’évoluer dans ce sens, pour former un champ général impossible à scinder en deux en raison des multiples zones de recoupements et de l’absence d’un principe de distinction logique et systématique ; c’est désormais un champ multidimensionnel ». Dans sa contribution à l’ouvrage « Werziehen als Profession » (Dewe 1992), Schütze classe sans autre le travail social sous la pédagogie. Par ailleurs, le « Manuel de l’action sociale en Suisse » considère le travail social comme un terme générique englobant le travail social, la pédagogie sociale, l’animation) et oppose le travail social et la pédagogie sociale (p. 497).
56L’animation socioculturelle se situe ainsi au cœur d’un débat sans fin sur la classification en disciplines scientifiques (le travail social comme science) et sur le statut professionnel (politique). Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans le détail du débat, vu les nombreux points de vue en présence (voir la discussion dans la revue allemande « Sozialmagazin » 1996/1997 : 11 contributions différentes). On retiendra toutefois que la pédagogie sociale se comprend elle-même toujours comme une discipline appartenant à la pédagogie, tandis que le travail social n’a jamais connu de discipline mère, et ne s’est que partiellement imposé à ce jour en tant que branche scientifique à part entière. Pour Dewe et al. (1996) il s’agit ici de savoir si l’on met au centre les aspects pédagogiques (les déficits du sujet) ou au contraire les déficits matériels, culturels ou sociaux, ou encore les difficultés de l’existence. C’est peut-être là que passe la ligne de partage, mais cela reste une frontière perméable avec, de fait, un tracé en pointillé. Candinas (1990) et d’autres auteurs utilisent toujours le couple pédagogie sociale/travail social, pour bien souligner l’absurdité des querelles de définitions et de classification.
57Il nous semble ici judicieux de partir du double objectif de la pédagogie sociale telle qu’elle est définie par Böhnisch (1992) : l’objectif c’est à la fois la maîtrise de la vie quotidienne et l’intégration sociale ; l’action sociopédagogique y est qualifiée d’aide éducative à la maîtrise de la vie. (p. 11). Ce faisant, Böhnisch rend aussi compte de l’évolution de la pédagogie sociale qui n’est désormais plus confinée à certains groupes d’âge (enfants et adolescents, qui restent cependant le groupe cible principal) et est sortie des frontières institutionnelles très étroites (foyers et autres institutions fixes).
58Par ailleurs, les contributions de la revue Sozialmagazin de Puhl et al. (N° 2 mars 1997) affirment que l’objet du travail social stricto sensu se rapporte à des déficits individuels ou structurels qui font que les individus perdent pied. On parle à ce propos de prévention, d’intervention, de réhabilitation (resocialisation), voire de prise en charge formative. Sans doute pense-t-on ici aussi bien à des actions éducatives efficaces, qu’au soutien financier ou au changement des conditions cadres.
59En quoi l’animation socioculturelle se différencie-t-elle de ces autres domaines ?
60On peut affirmer tout d’abord qu’elle vise surtout la maîtrise des situations de vie. Quant à l’intégration sociale, elle ne peut servir de critère de délimitation, quand bien même l’animation devrait la comprendre comme une intégration sociale active. A nos yeux, la distinction serait plutôt à rechercher du côté du soutien éducatif.
61L’autodétermination des intéressés, leur capacité à prendre leur destin en main, est l’un des éléments clés de l’animation. Elle suppose que les intéressés décident librement de l’aide qui leur sera donnée et qu’ils restent libres de contrôler cette aide. Le principe de la participation volontaire exclut toute contrainte intentionnelle, de même que les principes de participation, de démocratie et de transparence excluent la manipulation. Or, ces conditions sont rarement réunies dans la pédagogie sociale, où les intéressés sont tenus d’accepter l’aide qui leur est apportée, une aide qui est définie pour eux, et à laquelle ils ne participent que dans des limites clairement définies, puisque les objectifs sont imposés de l’extérieur.
62Même tracée à gros traits, cette ligne de partage demeure éminemment pertinente et reflète parfaitement le débat qui a lieu dans la pratique de la pédagogie sociale. Elle est révélatrice de fortes divergences dans la représentation du monde et de l’homme. Dans certains cas, la délimitation tient peut-être simplement au fait que certaines personnes ne sont plus capables de faire des choix et se trouvent donc dépassées, tout au moins temporairement, par les offres de l’animation. Cette perte de maîtrise peut aussi tenir en partie au fait que le champ institutionnel n’offre de manière générale pas les conditions pour un travail d’animation, si bien que cette dernière, isolée, est plutôt source de confusion chez les intéressés. En fin de compte, on note que l’animation comporte des facettes éducatives quand elle offre un lieu où vivre la participation, où apprendre l’autodétermination, où améliorer la communication, où développer la capacité à surmonter les difficultés, etc. Pourtant, ces aspects pédagogiques ne forment qu’une partie des effets que l’on escompte de l’animation ; il s’agit en somme d’instruments permettant à l’individu et aux groupes de développer leur autonomie.
63D’autre part, la référence aux problèmes sociaux et aux déficits qui en résultent dans le travail social (même s’il est précisé que le travail social entend privilégier la mobilisation des ressources plutôt que de se figer sur les déficits) n’est pas le fondement de l’animation. Celle-ci a des points d’ancrage multiples et variés et ne se limite pas aux seuls déficits (à moins de définir toute aspiration à un épanouissement personnel comme une compensation de déficits). Qui plus est, l’animation ne bénéficie de loin pas des mêmes possibilités d’intervention que le travail social, d’abord parce qu’elle est dépourvue des moyens matériels liés à l’aide sociale, mais aussi de moyens de sanctions. D’ordinaire, l’animation commence là où il y a critique implicite de la répartition des ressources et une volonté de négocier un nouveau partage. On peut affirmer ici que l’animation présente de nombreux points communs avec la pédagogie sociale et le travail social et qu’elle se réclame de ce lien ; néanmoins son rattachement exclusif à ces deux domaines ne saurait satisfaire.
B) Pédagogie des loisirs
64Opaschowski (1996) tient l’animation pour la matrice conceptuelle de la pédagogie des loisirs, de même Wolfgang Nahrstedt (1990) utilise la notion d’animation des loisirs pour désigner une des méthodes de la pédagogie des loisirs et Hermann Gieseck (1987) va encore plus loin en définissant l’animation comme l’une des cinq formes élémentaires de l’action pédagogique.
65L’animation socioculturelle ne serait-elle donc rien de plus qu’une méthode du domaine de la pédagogie des loisirs aux contours mal définis, ou encore de la pédagogie tout court ? La question reste ouverte puisque l’animation se dérobe à toute classification. On trouve malgré tout chez les auteurs français de nombreux éléments laissant deviner un lien étroit avec la pédagogie, depuis les origines de l’éducation populaire jusqu’aux indications de Gillet, qui présente son travail dans le cadre des sciences de l’éducation (1995, p. 15).
66Apportons ici encore quelques éléments en faveur d’une différenciation plutôt qu’une classification. Le lien qu’établit Giesecke dans sa systématique générale montre une fois encore que le débat autour de l’animation a suivi en Allemagne un cours autre qu’en France et qu’elle n’en a repris que quelques éléments : « Le terme vient du vocable français animateur qui désigne dans ce contexte les organisateurs et moniteurs de colonies de vacances » (1987, p. 91). Du coup, les données sociales sont éclipsées et le terme vient s’enraciner dans le domaine de la pédagogie. Il renferme assurément quelques éléments constitutifs de l’animation socioculturelle — notamment les principes de la participation volontaire et de la motivation.
67Ce qui compte ici c’est la place centrale qui est faite à l’apprentissage de l’individu et c’est sur ce point précisément que la conception allemande de l’animation diffère de la conception française où il ne s’agit que d’un point de vue parmi d’autres.
68On retrouve une différenciation similaire lorsqu’on relie l’animation et la pédagogie des loisirs. Cette dernière se comprend comme partie de la pédagogie générale ou comme partie de la pédagogie sociale (Opaschowski 1990, p. 116). Selon le point de vue des auteurs, la pédagogie des loisirs en fait tantôt partie et tantôt en constitue une discipline spécifique. De l’avis de Opaschowski, la pédagogie des loisirs se démarque de la pédagogie sociale en postulant une orientation distincte et une autre relation entre les intéressés. L’auteur prête à la pédagogie sociale une action plus orientée vers la résolution de problèmes et de conflits, avec une approche calquée sur le modèle thérapeutique médical, alors que la pédagogie des loisirs partirait des besoins et d’un état des lieux, et ferait grand cas de la relation entre les animateurs et les participants qui sont censés développer des initiatives propres et une activité de groupe (1 990, p. 17). Pour Opaschowski, la pédagogie des loisirs est fondée sur ces deux disciplines que sont les sciences récréatives et les sciences éducatives et c’est pourquoi une classification dans une autre discipline pédagogique partielle ne peut entrer en ligne de compte (Opaschowski, in Roth 1991, p. 942).
69Nahrstedt (1990) souligne que la pédagogie des loisirs a pour principal point de départ l’augmentation du temps libre, un temps que les individus et la société n’ont pas appris à gérer. Sa mission consisterait donc à développer chez les individus des compétences dans la gestion du temps, afin que les loisirs ne perdent pas leur dimension émancipatrice et libératrice et ne tombent pas entièrement sous le joug de la société de consommation. Si l’idée d’émancipation et l’orientation vers la liberté se marient très bien avec les desseins de l’animation, le lien avec le débat sociétal, le processus politique et social est pratiquement absent chez Nahrstedt. Et pourtant, il qualifie l’animation de méthode allant vers cet objectif.
70La question de l’apprentissage occupe aussi une place de choix chez les pédagogues de loisirs. Le temps libre y est défini comme un espace d’action et de socialisation de première importance dans la société actuelle. Se pose alors la question de la justification d’une intervention pédagogique. Yvonne Herzog-Rachle (1991, p. 146) exprime son scepticisme : « Le plus souvent, on considère que l’action pédagogique va de soi dans le domaine des loisirs ; on voit dans l’influence des médias et des institutions commerciales un motif suffisant pour intervenir sur ce plan. » Cela revient à dire que les gens n’apprennent pas à faire un usage intelligent de leurs loisirs (p. 147) ou que ces loisirs les placent devant des problèmes et des exigences qui les dépassent. L’auteur impute ce phénomène aux mutations sociales générales et à l’incapacité de l’école à suivre le mouvement et aux lacunes éducatives qu’elles laissent ainsi s’installer (p. 148). Cette forte orientation pédagogique qui va au-delà de la satisfaction des besoins des participants transparaît dans les objectifs de formation assignés à la pédagogie des loisirs, à savoir l’autonomie (Opaschowski ; in Roth, 1991, p. 940) et l’émancipation (Nahrstedt 1974, p. 92) ; 1990).
71Ces quelques éclairages de la pédagogie des loisirs révèlent les multiples recoupements : orientation vers les besoins et les situations, participation volontaire, participation aux activités récréatives concrètes (voir la planification participative chez Opaschowski 1996, p. 197 ss.), relation de partenariat entre les animateurs et les participants. Dans la pédagogie des loisirs cependant, cette relation est dictée en dernière analyse par le fait que l’animateur sait dans quelle direction les participants sont appelés à évoluer. La composante du développement sociétal est pratiquement absente dans la pédagogie des loisirs, laquelle privilégie avant tout le développement personnel et se propose d’aider l’individu à se sentir à l’aise dans ses loisirs et son environnement. Cette conception se révèle aussi dans les aptitudes et qualifications que Nahrstedt exige des professionnels de la pédagogie des loisirs : « L’animation est citée en exemple pour illustrer une série de stratégies et de compétences qui visent à organiser le contenu des situations de loisirs pour des groupes. L’animation en soi signifie activer, animer, inciter à l’action autonome et l’auto-organisation. L’animation et toutes les stratégies qui lui sont apparentées s’organisent toujours par rapport à des contenus, des thèmes, des problèmes et des objectifs [...]. Les tâches assignées aux pédagogues des loisirs dans l’action concrète portent sur l’élaboration et l’organisation de programmes de loisirs ou de vacances, la transmission de connaissances aux enfants/adolescents/adultes. » (1990, p. 177 ss.). Le récapitulatif que dresse Opaschowski de l’animation dans le cadre de la pédagogie des loisirs va dans le même sens (1996, p. 196).
72Si le terme « animation » n’existait pas... ou l’animation, qu’est-ce au juste ?
- Action d’accompagnement
- Maîtrise des situations de vie
- Animation, nouveau souffle, « renaissance »
- Enrichissement, joie de vivre
- Création d’un tissu d’échanges
- Expériences d’échange, communication socioculturelle
- Stimulation des interactions
- Action communautaire
- Dynamisation et mobilisation
- Motivation, encouragement, stimulation, libération
- Inspiration, développement de la créativité
- Impulsion, instruction, pratique et entraînement
- Vie créative
- Encouragement à des activités créatrices, ludiques et culturelles
- Stimulation de la convivialité, humanisation
- Aide à l’épanouissement, recherche personnelle
73Alors que nombre d’auteurs tiennent les activités de quartier pour un pivot de l’animation (cf. Gillet 1995/1998), Opaschowski, lui, n’y voit qu’un champ partiel de la pédagogie des loisirs. Aussi, ces activités n’occupent-elles pas une place centrale dans la définition de la pédagogie du temps libre qu’il nous livre dans ses plus récents développements (1996, p. 235 ss.). Ce domaine n’a donc pas pour visée première un changement de société, elle tend plutôt à la maîtrise individuelle des situations de vie et au développement personnel, toutes choses qui ont bien sûr une incidence sociale certaine. Mais les prémisses de la pédagogie des loisirs sont autres que ceux qui fondent le concept d’animation (voir Gillet 1998, p. 16) et ce point de départ influe précisément sur la conscience et la pratique de la pédagogie des loisirs.
C) Travail communautaire
74Le Manuel de l’action sociale en Suisse décrit comme suit le travail communautaire : « Le travail communautaire concerne les communautés territoriales (parfois seulement les communautés défavorisées : voisinage, quartier, région, etc.), les groupes marginaux, et les organisations. Cette forme de travail offre et utilise des méthodes et des moyens pour résoudre les problèmes suivants : articulation et sélection des besoins par et avec la population concernée, collaboration explicite avec les populations touchées par des problèmes déterminés, auto-organisation et entraide, formation de différents groupes d’intérêts, coopération, coordination, maîtrise des situations de crise, conscientisation, renouvellement des organisations, travail de réseau dans le voisinage et le quartier, travail culturel, etc. » (1989, p. 496). On considère souvent le travail communautaire comme l’une des trois méthodes américaines classiques (Silvia Staub-Bernasconi) 1987, pp. 250-253) ; mais depuis les années 80, cette classification est sérieusement remise en question et elle a cédé entre-temps la place à une vision plus différenciée et plurielle qui intègre les principes du travail communautaire (Staub-Bernasconi 1987, pp. 250-253). Du coup, le travail communautaire se trouve pratiquement relégué en marge du travail social, à la jonction d’autres champs de l’action sociale comme le relève Lüssi : « A bonne distance du cœur du travail social et de l’éducation spécialisée, se trouvent les activités socioculturelles, sociostructurelles et sociopolitiques, notamment l’animation de loisirs, l’éducation des adultes, le travail communautaire, les groupements de citoyens. [...]. il s’agit donc de champs périphériques du travail social, nullement configurés selon les seules caractéristiques du travail social et de l’éducation spécialisée. Ce point de vue assez radical est certes sujet à controverse, mais il souligne une différenciation que Candinas (1990, p. 102) met aussi en évidence ; selon lui, le principe même de l’action communautaire (qui n’est plus considérée ici comme la troisième méthode du travail social ; cf. Boulet 1980), s’est fondu à d’autres principes, perdant ainsi de son importance en tant que champ d’action aux contours bien délimités. Ce même principe sera aussi retenu dans d’autres domaines, notamment dans le cadre de l’action culturelle en Allemagne (Schulze 1993, p. 267) ou encore dans le développement communautaire lié au travail socioculturel tel qu’il est compris aux Pays-Bas (Spierts 1998, p. 211 ss.)
75Nous sommes donc amenés à constater une fois de plus l’existence de multiples chevauchements mais aussi de quelques lignes de partage.
76Les frontières résultent essentiellement d’une double opposition : premièrement, le travail communautaire centre clairement son action sur des points chauds dans des quartiers sous-équipés ou auprès de groupes défavorisés (cf. Kummer 1993, p. 9), cependant que l’animation s’attache aussi et plus généralement à la maîtrise individuelle des situations de vie et se propose d’agir sur les conditions sociales pour amener un changement de société. Deuxièmement, l’amélioration des conditions de vie dans le travail communautaire ne suppose pas nécessairement une participation des intéressés (même si les avis divergent à ce propos, voir Kummer 1993), alors que l’animation socioculturelle y voit une condition indispensable. Dans cet ordre d’idée, le travail communautaire présente des caractéristiques structurelles propres au travail social, puisque les rapports aux intéressés ne sont pas horizontaux et que la coopération ne repose pas toujours sur une base volontaire.
77Dans l’ensemble, les points communs l’emportent malgré tout largement sur les différences et il est donc bienvenu que le travail communautaire et l’animation socioculturelle unissent leurs efforts pour faire progresser leurs causes communes.
78On notera que Marcel Spierts va dans le même sens lorsqu’il parle du rapport entre l’action socioculturelle et le travail communautaire aux Pays-Bas et du rapprochement observé entre ces deux domaines. Il serait souhaitable que cette coopération gagne aussi les régions germanophones.
D) Travail socioculturel
79La notion de socioculture (non rattachée à celle d’animation) a connu dans la zone germanophone une dynamique propre qui a débouché sur une forme institutionnalisée, à savoir la Fédération allemande des centres socioculturels (Bundesvereinigung soziokulturellerZentren) qui regroupait en 1993 pas moins de 230 centres (Schulze 1993, p. 39).
80En 1990, le gouvernement de la République fédérale a défini la socioculture comme suit : « Dans son acception courante, la socioculture se distingue par des activités culturelles en tous genres, liées à des problématiques sociales ; des activités traversant les différentes couches sociales et générations, ayant pour mission première de promouvoir le processus de communication. La socioculture est caractérisée par un large éventail d’activités relevant tour à tour de l’action culturelle, de la formation et du travail social ; elle se rattache aussi aux grandes questions de l’actualité politique et sociale et tend vers la critique sociale » (in Schulze 1993, p. 20).
81La Fédération allemande des centres socioculturels, dont l’orientation est plus marquée, livre la définition suivante :
82« Par centres socioculturels il faut entendre des institutions dont les objectifs répondent aux critères suivants :
- action tournée vers les besoins de la base et des usagers,
- intégration de plusieurs groupes d’âge, couches sociales et nationalités,
- ouverture et transparence,
- formes de travail social et politique, culture démocratique,
- initiation d’apprentissages sociaux, politiques et culturels,
- mise en évidence de la dimension démocratique et humaniste de la culture, la résistance aux courants fascisants ou fondés sur le mépris des autres,
- encouragement de mouvements artistiques et culturels émanant de la base,
- autogestion,
- affectation de l’ensemble des moyens et des revenus aux fins précitées,
- structure de décision démocratique,
- orientation non commerciale. »
(Bundesvereinigung 1991, in Schulze 1993, p. 46)
83D’après la présentation de Norbert Sievers et Bernd Wagner (1992, p. 1 ss.), la notion de socioculture est apparue au moment de la mise en place d’une nouvelle politique culturelle en Allemagne au début des années 70, politique qui a inscrit sur son étendard « La culture pour tous » et « La culture de tous ». Elle préconisait l’ouverture de nouveaux accès à une culture déjà existante mais aussi une participation dans le sens d’une production culturelle propre. Cette évolution allait de pair avec une nouvelle compréhension de la culture que les organisations internationales (notamment l’Unesco et le Conseil de l’Europe) s’employaient à diffuser.
84Curieusement, la France a connu un développement similaire, qui a commencé un peu plus tôt et s’est toujours articulé autour du terme d’animation (Gillet 1995, p. 28 ss.). En Allemagne en revanche, l’animation n’est pas rattachée à la socioculture et les personnes qui y sont engagées à titre professionnel ne bénéficient pas d’une dénomination professionnelle spécifique. On peut observer la réunion des multiples influences en Suisse dans la définition que la ville de Zurich (1995) donne de la socioculture où elle parle à la fois d’une culture de la communauté et de l’animation du socioculturel.
85Que faut-il en conclure par rapport à la corrélation entre socioculture et animation socioculturelle ? La première est née d’un contexte de politique culturelle et a fait siens des objectifs relevant de la politique de formation et de la politique sociale, alors que la seconde se loge dans tous les domaines et peut donc se développer dans toutes les directions. La socioculture décrit un champ concret de la pratique sociale, sans se référer à des rôles spécifiques des intéressés, cependant que l’animation socioculturelle thématise toujours aussi le niveau d’intervention des personnes (bénévoles ou professionnelles) qui jouent un rôle particulier dans ce domaine. En toile de fond de la socioculture il y a toujours une représentation de l’homme ou de la société dont il faut tenir compte ; l’animation socioculturelle offre, en plus, des méthodes d’intervention concrètes. En gros, la distinction tient à ce que la socioculture parle de pratique sociétale et l’animation socioculturelle de pratique professionnelle, mais toutes deux se déploient dans le même champ d’action. Siervers et Wagner, en se rapportant aux comparaisons internationales, notent pour leur part : « La notion de socioculture est devenue au fil des ans une notion à large contenant où confluent diverses approches et initiatives du domaine de la culture, de la formation, de l’action sociale et des loisirs, qui sans cela n’auraient peut-être jamais été associées ou réunies » (1992, p. 18).
86La notion est d’usage plus large aux Pays-Bas, où Spierts lui attribue les objectifs suivants :
87« Le travail socioculturel au sens large doit se concevoir comme un service socialagogique destiné à des individus, des groupes et des organisations et qui agit sur leur fonctionnement social et culturel. Le fonctionnement socioculturel s’inscrit principalement mais non exclusivement, dans les loisirs et ses expressions. Si certaines activités peuvent se tourner vers le travail, la formation, l’assistance ou l’éducation, l’action socioculturelle s’adresse en premier lieu aux usagers dans leur temps libre. En règle générale, leur participation repose sur une base volontaire.
88Le travailleur socioculturel soutient les gens dans la conception et la gestion intelligentes de leur temps (libre) et dans la mise en place de leur quotidien culturel. D’autre part, le travailleur socioculturel pousse les individus et les groupes à participer activement à la société et mobilise des organisations sociales pour qu’elles empoignent les problèmes sociétaux avec les intéressés » (1998, p. 68).
89Cette définition rejoint en de nombreux points les définitions de l’animation. Sans entrer dans le détail, on peut admettre que le travail socioculturel mené aux Pays-Bas est le pendant de l’animation socioculturelle en France et en Suisse.
E) Conclusion
90L’animation socioculturelle se singularise par son approche spécifique. Néanmoins, elle présente de nombreuses zones communes avec les champs mentionnés plus haut. Les difficultés de systématisation sont nombreuses et on peut les situer dans quatre dimensions.
1. Ancrage culturel dans le pays d’origine
91La naissance de l’animation est étroitement liée à l’histoire économique, politique, culturelle et sociale de la France, à ses institutions et ses modes d’organisation. La France, il faut le relever, s’est elle-même comprise comme un pays agricole jusque très tard dans l’ère industrielle ; sur le plan de l’histoire des idées, elle se veut le berceau du rationalisme et de la citoyenneté reçue en héritage de la Révolution française. Culturellement parlant, elle se rattache aux cultures latines du pourtour méditerranéen et est restée majoritairement catholique (la Révolution française y imprimera aussi une forte tradition laïque, ce qui a fait du domaine culturel et social un lieu de frictions par excellence). Sur le plan institutionnel, la France se caractérise par une diversité et une pluralité qui peut paraître confuse et déconcertante pour les étrangers, une multitude d’institutions qui semblent toutefois foisonner sur une structure apparemment claire et où la vie l’emporte sur les règles. Un concept marqué au sceau de tous ces attributs et conditions spécifiques ne constitue sans doute pas un concept au sens germanique du terme, mais plutôt un agrégat, une superposition de grands courants de pensée et d’action qui n’ont que faire d’une classification systématique. La transposition de ce concept dans une autre culture entraîne nécessairement des développements nouveaux.
2. Le conflit science et praxis
92Ces considérations nous amènent directement à la deuxième dimension qui est le champ de tension entre la science et la praxis. Dans toute l’histoire de l’animation, il y a d’abord l’action concrète, laquelle s’ouvrira peu à peu à la réflexion scientifique. Du reste, le débat autour des définitions et des classifications n’a vraiment commencé que dans les années 60, voire 70, c’est-à-dire à un moment où ce concept d’action était déjà largement répandu en France, qu’il était mis en pratique par des dizaines de milliers de professionnels et avait déjà débordé les frontières du pays. Il existait donc en France de nombreuses pratiques de l’animation qui ont croisé une praxis de travail socioculturel en Allemagne, une pratique d’animation de jeunesse (ouverte) dans toute la zone germanophone, et enfin, une pratique des équipements de loisirs et centres communautaires en Suisse alémanique. Des pratiques analogues ont sans doute été développées dans d’autres pays. La large diffusion de ces pratiques appelait une conceptualisation faisant autorité et une solide assise théorique. Parallèlement, ces pratiques n’entendaient pas se laisser déposséder et ont toujours été rétives aux dénominations et autres classifications, ce qui est bien compréhensible au regard de leurs fondements idéologiques.
3. Rôle passerelle de la Suisse ou dynamique propre dans la région germanophone
93La position de la Suisse au carrefour des cultures la prédestinait à un rôle de pont et le pays a bel et bien assumé cette fonction pour ce qui est de la pratique, la réflexion théorique qui l’entoure est restée cependant si pauvre en substance pour les domaines qui nous intéressent qu’elle n’a jamais pesé d’un réel poids. En Suisse, la théorisation a plus de retard sur la pratique que dans les plus grands pays comme la France ou l’Allemagne.
94Dans ces circonstances, le développement et la diffusion des concepts sont tributaires des institutions. En France, ils dépendaient pour des raisons historiques des institutions privées d’abord, puis des institutions publiques qui ont mis sur pied une profusion de formations maison dont seule une petite partie était rattachée à des centres de recherche ; en Suisse des institutions implantées au niveau national, ainsi que des écoles spécialisées qui, pendant longtemps, ont manqué de ressources pour la recherche fondamentale ; en Allemagne d’une série de chaires universitaires plus que des institutions de la pratique. En Allemagne, l’adoption du terme animation, notamment par la pédagogie des loisirs, a très vite entraîné une dynamique propre tout en gardant la marque de la discipline de base. Alors que l’animation constituait en France un domaine à part entière, elle a été subordonnée en Allemagne au domaine de la pédagogie des loisirs. De fait, on peut aussi voir dans le développement et le débat autour de l’animation le reflet des institutions, des systèmes culturels et sociaux des pays respectifs, mêlé à l’influence des organisations internationales (Unesco, Conseil de l’Europe et l’Association européenne pour les ressources linguistiques (ELRA) qui se sont efforcées d’élargir le débat au-delà des frontières territoriales et de faire ressortir les éléments communs.
4. Des concepts transposables ?
95Au bout du compte, on serait tenté de penser que le concept d’animation est intimement lié à un certain type de société et donc impossible à transposer dans une autre culture sans ajustements ou retouches. C’est là un point de vue qui avait sa justification par le passé, mais à l’heure de l’européanisation et de la mondialisation aussi bien économique que culturelle, à l’heure où les frontières s’estompent, du moins en apparence, la querelle des classifications, subdivisions et catégorisations ne prend-elle pas un autre sens ? Dans un monde chaque jour plus confus, ne cherche-t-on pas à faire peser son point de vue pour ne pas perdre le nord ? S’agit-il d’un problème de statut ou de prestige ou d’autre chose encore ? Ces questions doivent rester ouvertes. Il semble plus important aujourd’hui de rapprocher les différents courants pour développer une compréhension commune par-delà les frontières linguistiques et culturelles.
Un schéma de positionnement
96Si nous osons pour terminer tenter d’esquisser un positionnement de l’animation, c’est en pleine conscience du caractère éminemment provisoire et sans doute controversé de l’entreprise.
97Une chose est déjà certaine : l’animation ne peut se classer parmi les sciences fondamentales (sociologie, psychologie, ethnologie, politologie, etc.), mais elle repose, à des degrés divers, sur l’ensemble de ces disciplines. Si nous comprenons la pédagogie comme une science de l’action ou de la pratique et le travail social comme un de ses parents, il apparaît que l’animation se place dans un rapport de tension avec ces deux domaines. Avec la pédagogie, pour ce qui est de la nature des rapports entre les acteurs et le public cible : rapports verticaux en pédagogie et horizontaux en animation. L’opposition avec le travail social résulte de ce que le travail social intervient clairement dans des situations sociales problématiques, à la différence de l’animation qui va plus loin, se réclamant d’un changement social.
98En conclusion, l’animation ne peut se décrire comme une simple méthode propre à l’une ou l’autre de ces disciplines, elle forme de fait un phénomène sui generis.
Travail social |
Pédagogie sociale |
Animation |
|
Rapport avec le public cible |
Clients |
Eduqués |
Partenaires Citoyens |
Point de départ |
Problèmes sociaux et les déficits qui en résultent |
Problèmes de socialisation et les difficultés qui en résultent |
Mutations sociales et les nouvelles tâches qui en résultent |
Objectif premier |
Compensation des déficits |
Donner les moyens pour mener sa vie |
Participation Auto-organisation |
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