Analyse des protocoles recueillis
p. 67-76
Texte intégral
Considérations générales
1Si un protocole de bilan peut être considéré comme le reflet d’une pratique particulière, il est nécessaire de préciser d’emblée qu’il n’en est pas l’exacte traduction sur le plan clinique. Effectivement, nous avons souvent relevé, soit lors des entretiens qualitatifs, soit encore par des annotations sur les protocoles transmis, que le déroulement d’un bilan ne se réalisait pas forcément de façon linéaire et identique d’une situation à l’autre pour un même praticien ; en fonction de la personne rencontrée, de ses difficultés et terrains d’aisance, de son âge, le psychomotricien privilégie certains items de son bilan, l’organise selon une chronologie particulière ou encore, introduit des situations nouvelles permettant une observation ciblée et non mentionnée dans son protocole. Finalement, chaque praticien définit le degré de standardisation de son outil de travail et de sa méthodologie personnelle. Cette standardisation se situe donc principalement sur le plan individuel ; nous n’avons relevé que très peu de standardisations collectives.
2L’engagement important du psychomotricien dans le but de créer son propre outil de bilan, personnalisé et adapté à ses connaissances, aux populations qu’il est amené à rencontrer et au contexte institutionnel dans lequel il travaille ressort largement de cette étude. Nous reviendrons dans la suite de cette réflexion sur cette question.
3Relevons encore que le protocole du bilan psychomoteur dont il est question ici est un outil de travail interne, à disposition du psychomotricien. Il n’a, à notre connaissance, jamais été conçu pour être « lisible » par d’autres personnes (professionnels ou parents) ; il est en quelque sorte un aide-mémoire qui guidera le praticien dans ses démarches d’explicitation de ce qui se joue dans ce temps de l’investigation.
4C’est probablement pour cette raison que l’ensemble des 20 protocoles récoltés présente une importante hétérogénéité, essentiellement du point de vue de leur forme, de leur facture et de leur présentation. Ceci traduit une démarche créative de la part des professionnels. L’entrée dans l’ère de l’informatique, avec les facilités offertes au niveau du traitement de texte, propulse le psychomotricien vers une intense diversification et personnalisation de la conception d’un protocole. Ce dernier peut être aisément affiné, adapté au fil de la pratique et des découvertes nouvelles qui se font jour. Dans ce sens, il peut représenter une photographie, un arrêt sur image de là où se situe le psychomotricien dans son cheminement. Et c’est bien en ce sens que l’étude de ce matériel présente un intérêt que nous allons tenter de refléter dans cette partie de la recherche.
5Deux aspects ont guidé notre analyse. L’un concerne l’origine des sources qui peuvent être identifiées dans la démarche de constitution d’un protocole. L’autre concerne un rapport de filiation de nature historique qui a trait tant à l’évolution de l’enseignement du bilan dans les lieux de formation qu’à l’évolution de la pratique psychomotrice sur le terrain.
Matériel à disposition
6Nous avons recueilli au total vingt protocoles de bilan psychomoteur. Les psychomotriciens nous ayant transmis ces documents se répartissent de la façon suivante en fonction du canton d’insertion professionnelle :
Vaud | 7 |
Fribourg | 5 |
Valais | 4 |
Genève | 2 |
Neuchâtel | 1 |
Tessin | 1 |
7Ces vingt protocoles sont tous issus d’une pratique avec des enfants principalement d’âge scolaire. Précisons que sur ces vingt bilans psychomoteurs, nous avons trouvé à trois reprises deux documents identiques. Il s’est agi ainsi d’appréhender dix-sept mises en forme différentes présentant cependant, et ceci doit être souligné, une forte convergence sur le plan du contenu. Nous avons également recueilli deux protocoles d’anamnèse et un article traitant du bilan psychomoteur en sexologie ainsi qu’une grille d’évaluation sexologique de Cl. Roux.
Analyse
8La première approche a consisté à catégoriser ces protocoles en tentant d’identifier à la fois leur convergence de contenu et leur filiation méthodologique. C’est ainsi que nous avons dégagé deux catégories aisément repérables : seize protocoles utilisés par des praticiens formés à Genève et quatre protocoles utilisés par des psychomotriciens de formation française. L’analyse qui suit mettra en évidence les caractéristiques de chacune de ces catégories.
Seize protocoles utilisés par des psychomotriciens formés à Genève
9Deux influences majeures nous sont apparues à la lecture de ces protocoles de bilan. D’une part, l’apport méthodologique de Sylvia Roth (psychologue) au début des années 70 et, d’autre part, l’important travail de conceptualisation d’un outil protocole par Rose-Marie Schnydrig (psychologue et psychomotricienne) dès 1973 et enseigné entre 1983 et 1995 à l’école de psychomotricité de Genève (voir protocole annexé). Comme ce dernier intègre largement les items développés et analysés par S. Roth dans le cadre d’une recherche menée au SMP de Genève, nous avons choisi, pour notre analyse, de partir du protocole de R.-M. Schnydrig que nous avons identifié comme une matrice marquante et significative de tout un courant de mise en forme, de conceptualisation permettant de tisser des liens de « filiation ».
10A noter qu’entre 1964 et 1970, Suzanne Naville, fondatrice de l’école de psychomotricité de Genève et formatrice, avait déjà élaboré un protocole d’observation (« leçon type ») dont les traces sont plus difficilement identifiables dans les documents reçus.
11Nous avons départagé ces seize documents en trois groupes :
Deux protocoles qui sont une copie du document élaboré par R.-M. Schnydrig (voir annexe 1) et dont la trame est représentée ci-dessous.
Dix protocoles découlant directement du modèle de R.-M. Schnydrig et présentant un remaniement structurel et graphique ainsi que quelques ajouts d’items.
Quatre protocoles présentant une structure originale non systématisable et des éléments de test complémentaires.
a) Deux protocoles qui sont une copie du document élaboré par R.-M. Schnydrig (cf. annexe 1) et dont voici la trame :
0. INFORMATIONS GÉNÉRALES
Relation à soi, autrui, environnement
Attitude durant la passation
Renseignements fournis par les parents
1. MOUVEMENT
Coordinations globales simples
Coordinations globales structurées
Dissociation
Coordination oculomotrice
Habileté manuelle
Régulation tonique
2. CORPS
Schéma corporel
Latéralité
3. ESPACE-TEMPS
Espace
Temps
4. SYNCINÉSIES
5. IMAGINATION/RÊVES
b) Dix protocoles découlant directement du modèle de R.-M. Schnydrig et présentant un remaniement structurel et graphique ainsi que quelques ajouts d’items
12Les grands axes mis en évidence dans le groupe précédent restent les repères principaux. Ces protocoles émanent de psychomotriciens ayant pour la plupart reçu l’enseignement méthodologique de R.-M. Schnydrig : l’outil de notation a été retravaillé en fonction de la réalité professionnelle de chacun.
13Nous observons donc à la fois une réorganisation structurelle mineure du protocole ainsi que l’apport de nouveaux items venant étoffer certains axes d’observation. L’analyse des protocoles nous permet de mettre en évidence les points suivants :
Remaniement structurel
Les grands axes décrits sous a) dans une structure à caractère relationnel, à savoir la relation à soi, la relation à l’environnement et la relation à autrui. Ce dernier point reprend en partie certains aspects des informations générales (axe 0).
La question des syncinésies (axe D) est intégrée dans les axes concernant le mouvement et le corps dans sept protocoles. Ainsi il n’est plus identifié comme un axe particulier.
Une nouvelle rubrique intitulée « contrôle postural » ou « contrôle corporel » est insérée soit dans l’axe « mouvement », soit dans l’axe « corps » (4)3 Nous verrons ultérieurement les items s’y rapportant.
L’axe « imagination/rêves » est complété dans plusieurs documents par :
la capacité à jouer (1)
la capacité de symbolisation (4)
la capacité de verbalisation (1)
Des rubriques indépendantes apparaissent en fin de protocole :
le jeu libre (1)
le dessin libre (1)
la construction de la maison/cabane (4)
Concernant l’axe « espace/temps », la relation aux objets (2) ou l’énergie (2) y ont été associées.
Deux protocoles semblables ont été complètement restructurés en fonction de la chronologie des items telle qu’elle est prévue et vécue dans la rencontre avec l’enfant. La dénomination des chapitres qui structurent ces protocoles nous permet d’identifier l’activité proposée et regroupe les items professionnels qu’il est possible d’y réaliser.
14A relever encore un protocole de bilan constitué en deux parties qui regroupe ces deux aspects ; liste chronologique du déroulement du bilan et grille de notation.
15Notons, pour conclure cette analyse structurelle, que si les apports mentionnés ci-dessus n’apparaissent pas dans la majorité des protocoles, cela n’exclut aucunement la pratique et l’observation dans ces directions. Il est probable qu’ils n’ont peut-être pas été identifiés comme une étabpe particulière de l’investigation du bilan.
16L’analyse qualitative nous a amené des précisions à ce sujet.
17Les trois aspects qui concernent la capacité à jouer, le jeu libre et la construction de la maison-cabane peuvent représenter un temps particulier de l’investigation et pourraient être distingués, à proprement parler, du bilan psychomoteur. Cependant, nous avons convenu d’inclure ces apports dans la partie identifiée comme « bilan psychomoteur ».
18A noter encore qu’un de ces protocoles a été conçu pour la passation d’un bilan avec des enfants gravement perturbés sur le plan de leur personnalité.
19Et relever pour finir que nous avons retrouvé des protocoles identiques ou semblables chez des psychomotriciens travaillant dans un même canton ou dans un même service (2 x 2).
Apport de nouveaux items
20Si l’on pousse l’analyse de ces protocoles jusqu’au niveau des items particulières qui constituent le bilan, nous pouvons relever les apports suivants4.
Mouvement :
Coordinations simples : ramper (2)
Habileté manuelle : écarter les doigts de la main (2), pianotage (2)
Régulation tonique : tonus de base, poussée (7), tiré de corde (2), équilibre sur divers objets (banc, corde, ballon) (3)
Corps :
latéralité : série d’actes à réaliser pour déterminer et préciser la latéralité manuelle, pédestre et oculaire (2)
contrôle postural : 5 postures à reproduire yeux ouverts et fermés (2)
Espace- temps :
Structures rythmiques de M. Stambak (2)
c) Quatre protocoles présentant une structure originale non systématisable et des éléments de test complémentaires
21Si ce groupe ne présente pas d’unité sur le plan de la structuration du protocole, chaque document étant organisé selon une logique qui lui est propre, nous pouvons cependant relever que les thématiques appréhendées couvrent le champ tel que nous l’avons développé précédemment (cf. point a).
22Les quatre protocoles retenus sont constitués à la fois par des items d’observation qui s’apparentent largement à ceux issus des protocoles analysés jusque-là, et également, par des apports méthodologiques dans le domaine de l’observation et des examens psychomoteurs venant d’autres horizons. Relevons ces éléments de test complémentaires :
coordinations structurées + dissociations : motricité faciale ;
schéma corporel : grille de notation concernant la connaissance de son corps ;
image du corps : conte de la fourmi (Le Royer)5 ;
motricité manuelle : grille de notation concernant la reproduction de postures manuelles ; gestes complexes (France) ;
graphomotricité : Dame de Fey, pointillage, découpage, graphisme :
espace : constructions standard avec des plots, parcours prédéfinis (Italie) ;
jeu libre : jeu libre avec matériel et procédure standard (France).
Quatre protocoles utilisés par des psychomotriciens formés en F rance
23Notons au préalable que trois de ces protocoles sont utilisés par des psychomotriciens pratiquant dans le canton de Fribourg et un dans le canton de Vaud.
24Une première analyse très globale nous amène à relever que ces documents ne se différencient pas fondamentalement de ceux du groupe c) précédent. Effectivement, ils présentent une forte convergence autour des axes dégagés jusque-là. La terminologie est sensiblement plus « technique » (neuromotricité).
25Dans ces protocoles, nous pouvons à nouveau reconnaître des apports méthodologiques ciblés et précis, issus de batteries de tests conçues notamment par des personnalités médicales.
26L’analyse de ce groupe de protocoles vient confirmer la nature mouvante, évolutive et constructive d’un tel document qui est conçu en fonction d’un lieu de travail, d’une population et d’une expérience professionnelle, ceci sur la base d’une variété d’outils d’évaluation psychomotrice dispensés durant la formation de base ou rencontrés tout au long du parcours professionnel.
27Deux protocoles comportent des tests étalonnés avec une échelle de cotation permettant de préciser un âge de développement. Il s’agit des tests suivants :
dessin du bonhomme ;
figure de Rey ;
figure simplifiée de Rey ;
Baby-Bender (Santucci) ;
motricité faciale (Kwint) ;
orientation droite/gauche (Piaget-Zazzo) ;
gestes complexes des mains ;
épreuve de rythme (Stambak et Lavondes).
28Un de ces protocoles est conçu en deux parties ; la première qui permet le recueil de toutes les observations et la seconde qui reprend les axes d’observation sous forme de récapitulation aboutissant à un graphique qui permet de visualiser le niveau de développement dans les différents domaines observés. Cette deuxième partie peut alors être accessible aux parents, voire aux enseignants.
Réflexions
29De l’analyse de ces protocoles a émergé un questionnement plus général qui a trait à l’articulation, à l’interdépendance entre corps et psychisme. Comment ces notions sont-elles appréhendées dans la mise en œuvre d’une passation de bilan ?
30Si corps et psychisme sont intimement reliés, voire indissociables dans la conception que les psychomotriciens ont de l’individu, il apparaît cependant, avec plus ou moins de clarté, une possible polarisation des axes qui constituent le bilan tel que nous l’avons mis en évidence ci-dessus. Effectivement, il est possible de reconnaître tout un ensemble d’items qui tentent de cerner l’individu par un biais anatomique, physiologique et maturatif, items issus en partie de la neuromotricité.
31Concernant le pôle psychique, nous identifions également un ensemble d’items ou d’épreuves qui, sans relâcher l’attention portée sur le corps et son mouvement, mettent l’accent sur l’aspect de la relation à autrui ainsi que sur les capacités créatives et ludiques. Effectivement, la manière et la capacité de s’engager dans une aire ludique ou, de façon générale, dans une démarche de créativité (au sens où D. W. Winnicott l’entend) permettent aux psychomotriciens de recueillir des informations touchant à l’identité psychocorporelle du sujet.
32En revenant à l’analyse de l’ensemble des protocoles, il nous a semblé que cette dernière polarité tendait actuellement à se spécifier davantage dans la structure des protocoles dont nous avons fait état précédemment. Si ces paramètres ne sont pas nouveaux pour l’œil « observateur » du psychomotricien, nous relevons cependant une nette tendance à les inscrire de façon formelle dans la passation d’un bilan psychomoteur et dans son protocole.
33Cette évolution permet d’envisager qu’un travail de formalisation méthodologique de ces items va certainement voir le jour à travers de nouveaux projets de recherche dont l’objectif pourrait tendre à développer une lecture étayée et signifiante de ces observations.
34De plus, dans la perspective d’un prolongement à cette étude, nous pourrions envisager un travail de recherche se centrant plus particulièrement sur des aspects d’articulation, d’interdépendance et de reliance entre corps et psychisme, aspects qui sont au cœur du travail de métabolisation propre à la phase d’investigation (processus se développant du recueil d’observations aux hypothèses de compréhension jusqu’au projet thérapeutique).
Protocoles d’anamnèse
35Deux protocoles d’anamnèse nous ont été transmis, l’un correspondant à une pratique vaudoise, l’autre valaisanne. Ils concernent tous deux une pratique avec des enfants.
36Si des rubriques concernant des éléments d’anamnèse sont présentes dans la plupart des protocoles de bilan que nous avons analysés précédemment – renseignements fournis par les parents – l’apparition de documents à part entière sur ce thème propose un approfondissement conséquent des différents paramètres qui intéressent le psychomotricien.
37Voici les grands axes pouvant structurer une recherche anamnéstique en psychomotricité :
problème actuel :
antécédents familiaux ;
développement depuis la conception (grossesse, accouchement, développement psychomoteur, langage, alimentation, propreté, sommeil, etc.) ;
comportement et relation depuis la naissance (jeux privilégiés, relations familiales, peurs, etc.) ;
événements importants (maladies, accidents, séparations, etc.) ;
cursus scolaire (adaptation, évolution, résultats, etc.) ;
relations sociales (loisirs, paires, etc.) ;
demandes et attentes des parents et de l’enfant.
Notes de bas de page
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