Enquête qualitative
p. 39-65
Texte intégral
Choix des catégories d’analyse
Choix des sujets
1Parmi les sujets qui ont affirmé leur disponibilité pour la suite de notre étude, nous en avons retenu treize qui nous semblaient représentatifs de l’ensemble des sujets et des différentes tendances que nous avons relevées lors de l’enquête quantitative. Le choix des sujets s’est fait sur la base des paramètres suivants :
- Genre : des femmes et des hommes ;
- Canton de travail (un représentant par canton au minimum) ;
- Ancienneté dans la profession (longue, moyenne et courte expérience de travail) ;
- Contexte professionnel (cabinet privé, institution) ;
- Particularité des problématiques traitées.
2Dans les pages qui vont suivre, nous avons fait le choix d’illustrer nos réflexions par de courts extraits des entretiens que nous avons réalisés avec ces personnes.
3Nous rendons attentif le lecteur que ces extraits ont été retranscrits tel qu’ils ont été formulés, c’est-à-dire dans le langage parlé qui, dans sa structure, est bien différent du langage écrit. Nous avons voulu donner une profondeur à la réflexion en l’enracinant dans les propos immédiats des praticiens.
Choix des catégories d’analyse
4La partie quantitative de notre étude nous a permis de retenir une série de catégories représentatives du processus d’évaluation psychomotrice telle qu’elle est pratiquée sur le terrain. Ces catégories ont facilité l’élaboration d’un guide d’entretien ainsi qu’une grille pour l’analyse des contenus de nos entretiens (voir annexe 2). Voici la synthèse des catégories que nous avons retenues pour la partie qualitative du travail :
- Dimension historique : le parcours du praticien qui concerne essentiellement le type d’enseignement que le praticien a reçu pendant sa formation, sa réaction face à la réalité et aux besoins du terrain, l’évolution qui lui a été nécessaire pour pouvoir pratiquer de façon optimale l’investigation dans sa pratique.
- Dimension contextuelle : l’insertion du praticien dans son contexte de travail, les particularités qui le caractérisent, le contexte dans lequel l’investigation se réalise, les acteurs qui interviennent pendant ce processus et la façon dont ils interagissent entre eux.
- Le bilan psychomoteur : l’origine du bilan psychomoteur que le praticien utilise, son évolution au cours du temps, son style de passation.
- Les indications thérapeutiques : la synthèse des observations en termes de réflexion, d’écrits, de retours et la gestion des indications thérapeutiques.
Objectifs
5Ces catégories nous permettent d’avoir un aperçu complet des éléments essentiels qui constituent les fondements du processus d’investigation psychomotrice. Elles nous permettent d’isoler les constantes qui déterminent la pratique des psychomotriciens intervenant dans des secteurs parfois très différents.
Le parcours du praticien
La formation
6En règle générale les personnes interrogées affirment avoir peu ou pas reçu de formation de base spécifique concernant l’investigation psychomotrice en tant que telle. Nous constatons cette situation chez la plupart des psychomotriciens interrogés, quelle que soit l’année de formation et l’origine de la formation. Il faut toutefois relever que les jeunes diplômés (de 0 à 6 ans) que nous avons rencontrés affirment, plus souvent que les autres, avoir eu des occasions d’expérimenter le bilan psychomoteur pendant la formation, mais ils estiment, généralement, que le temps consacré à l’enseignement de cette pratique pourrait être développé. Voici quelques témoignages assez représentatifs des souvenirs de praticiens de leur formation sur le plan de la pratique de l’investigation.
7Témoignage A
« Maintenant, ce qui me reste de la formation, c’est plutôt quelque chose de relativement flou [...]. Je n’ai eu qu’une seule possibilité pratique de passer un bilan psychomoteur, pendant les études. C’était en crèche, pour un enfant de 3 ans et demi. »
8Témoignage B
« Je me souviens que le premier bilan que la formatrice avait fait passer n’était pas adapté à l’enfant concerné. C’était une bonne démonstration que tous les enfants ne peuvent pas entrer dans un bilan où l’on fait passer effectivement un certain nombre d’items mais l’on peut voir aussi des choses avec des enfants qui ne rentrent pas dans un bilan plus classique. Mais il n’était quand même pas enseigné de façon extrêmement stricte. Je me souviens qu’il y avait un certain nombre d’items par rapport à nos grands thèmes : moteur, relationnel, espace, etc., mais on n’avait pas une vue systématique. »
9Témoignage C
« J’ai un vague souvenir qui doit dater de la 3e année dans les cours de méthodologie, je me souviens que l’on avait travaillé le bilan psychomoteur, sur quelques séances, notamment avec des vidéos. On nous avait donné, à la fin, un document avec certaines épreuves du bilan psychomoteur, mais dans mon souvenir, on a peu eu l’occasion de pratiquer dans des stages. Pour moi, c’est resté quelque chose de très théorique, que j’ai très peu pratiqué. »
Le premier contact avec le terrain, évolution d’une pratique
10Pour une bonne partie de nos sujets, le passage de la formation à la pratique a présenté certaines difficultés, particulièrement en ce qui concerne l’investigation. Toutefois, les outils appris pendant la formation, tout en étant souvent considérés comme insuffisants par les praticiens, restent la base sur laquelle ils vont construire leur pratique nouvellement entamée.
11Trois problèmes se posent essentiellement à ces personnes :
a) Que garder des outils reçus pendant la formation et comment les adapter aux besoins du terrain ?
12Témoignage A
« En fait, au moment de la formation, il y a eu peu. Tout de suite après la formation, quand je me suis retrouvée sur le terrain, j’avais besoin de ces outils et j’ai dû me les construire, et maintenant avec les années d’expérience, je me rends compte qu’en fait, je ne les utilise plus vraiment, je les ai dans ma tête, mais je n’ai plus besoin de les avoir écrit quelque part, parce que ça marche tout seul. En fait, quelque part, j’ai dû les traverser pour pouvoir les jeter. »
13Témoignage B
« En sortant de la formation, je ne me suis pas senti sans rien, mais après, il m’a fallu créer mes propres protocoles. A chaque fois, il m’a fallu construire un bilan qui correspondait à la demande de l’équipe, des enseignants concernés. Ici, c’est clair, j’ai un bilan adapté à mon domaine de travail : l’école. »
14Témoignage C
« En arrivant sur le terrain, c’était assez terrible, parce qu’avant j’ai pensé ou j’ai imaginé qu’il y avait une pratique à suivre où on peut faire un bilan en une heure, donc ça comprenait de dire bonjour aux parents, se présenter, dire OK, vous voulez un bilan psychomoteur, donner le retour du bilan et vite faire le contrat de la prise en charge. »
b) Comment trouver de nouveaux outils pouvant compléter les connaissances acquises pendant la formation et pouvant répondre aux besoins du terrain de façon optimale ?
15Témoignage A
« La systémique m’a été plus utile ; ça m’a donné une meilleure approche globale qui pouvait mieux se repérer sur le bilan, sur comment présenter le bilan, le proposer ; ça m’a été plus utile et ça m’aide toujours dans mes références actuelles. »
16Témoignage B
« ...D’ailleurs quand je suis arrivée en psychiatrie adulte, une des premières tâches a été de rencontrer les personnes qui travaillaient depuis un certain temps, pour voir comment elles travaillaient, mais surtout comment elles évaluaient, afin de pouvoir constituer un bilan pour l’adulte. »
17Témoignage C
« Si on nous avait indiqué à l’école ce qui se passerait dans la pratique, ce dont nous aurions besoin comme outils de formation continue, cela aurait été différent. Je suis sortie de l’école en croyant que j’étais une psychomotricienne accomplie et je n’avais pas en perspective qu’en réalité, dans la pratique, il y aurait plein de choses à affiner. »
c) Comment affirmer sa propre identité professionnelle dans des contextes où la psychomotricité n’a ou n’avait pas toujours une place reconnue ?
18Témoignage A
« ... Ça m’a pris un temps pour me sentir responsable et capable dans une situation et gérer cette étape d’investigation depuis le moment de la demande jusqu’à la proposition du traitement. C’est quelque chose qui n’est pas complet dans les trois ans d’études ; il faut beaucoup d’apports, il faut beaucoup d’aide de collègues de différentes spécialités. Il m’a fallu – c’est peut-être quelque chose de personnel, je mets beaucoup de temps pour être sûre de moi – un certain nombre d’années, mais grâce aussi au bilan systématique que j’ai élaboré, j’ai plus d’assurance, par rapport aux collègues aussi, un discours qui est davantage clair. »
19Témoignage B
« Au début, pour la psychologue, j’avais l’impression de ne pas exister et je ne sais pas quelle image et quelle représentation elle se faisait de la psychomotricité. C’est clair que jamais je n’étais sollicitée pour un traitement, jamais je n’étais sollicitée pour une question, jamais je n’étais sollicitée pour une intervention, pour une demande, une pose d’indications, etc. Mais actuellement elle ne fait rien sans demander mon avis. »
20Témoignage C
« En fait, en travaillant en contact avec l’école, je me suis rendu compte que les enseignants attendaient de moi une réponse au fond très scientifique par rapport à ce qu’ils me demandaient d’observer. Je me suis donc tournée vers les textes de base de la psychomotricité pour me construire un savoir qui me permettait un peu de répondre à ces demandes. Je me sentais très peu sûre pour situer l’enfant dans le cadre de paramètres plus techniques d’observation, donc j’ai dû me reconstruire tout un savoir par rapport au développement normal de l’enfant. »
21Les exemples utilisés dans ce chapitre montrent bien à quels types de problèmes les psychomotriciens sont confrontés à la sortie de leurs études, et la façon dont ils cherchent des solutions pour répondre aux besoins du terrain. Pour faire face à cette situation, la réponse a été généralement dans le sens de compléter les connaissances acquises par d’autres formations. Plusieurs sont ceux qui ont suivi une formation complète en systémique, notamment à travers les cours de Patricia Mc Culloch. D’autres ont suivi des séminaires ponctuels, comme par exemple ceux donnés par les professeurs Christiane Robert-Tissot ou André Bullinger dans le cadre de la Faculté de psychologie et des Sciences de l’éducation de Genève (FAPSE).
22Une autre pratique généralisée chez les psychomotriciens est celle d’élaborer des grilles de bilan psychomoteur personnalisées. Nous analyserons la pratique du bilan psychomoteur plus loin dans ce travail.
23Dans tous les cas cependant, nous relevons que la référence au bilan psychomoteur est très importante pour affirmer, notamment dans un cadre institutionnel, face à des collègues d’autres spécialités, l’identité du psychomotricien. De manière plus générale, nous observons que chez le psychomotricien, l’affirmation de son identité professionnelle se développe essentiellement avec le temps, grâce aux acquis de l’expérience et aux formations complémentaires suivies.
Contexte et pratique de l’investigation
Le lieu de travail
24Nous avons rencontré quatre cas de figure quant au contexte de pratique de la psychomotricité :
- les psychomotriciens travaillant dans des services ou des institutions enfants ;
- les psychomotriciens travaillant avec des adultes ;
- les psychomotriciens travaillant dans le cadre scolaire ;
- les psychomotriciens travaillant dans un cabinet privé.
25Cette hétérogénéité des pratiques met en évidence que la psychomotricité est un moyen d’intervention auquel il est possible de recourir dans des cadres de travail variés pouvant répondre à des problématiques très diversifiées.
a) Les psychomotriciens travaillant dans des services ou des institutions pour enfants
26Dans le cadre de services ou d’institutions pour enfants, le travail du psychomotricien s’inscrit généralement dans une pratique d’équipes pluridisciplinaires. Fréquents sont les cas où le psychomotricien collabore avec un psychologue et un logopédiste. Dans ce cas de figure, le psychomotricien développe son indépendance dans la conception et la réalisation de son travail alors que, lors de la phase de synthèse, la situation des patients ainsi que les indications thérapeutiques qui découlent de la phase d’investigation sont le plus fréquemment discutées en équipe.
27Témoignage A
« Je travaille uniquement en équipe. C’est extrêmement précieux pour moi. Au début, quand je sortais de l’école, je me révoltais pas mal sur le fait que les psychomotriciens ne faisaient pas de consultations directes et que tout devait passer par les psychologues ou les psychiatres ou les pédopsychiatres ; j’avais envie de faire tout, tout seul. Néanmoins, je trouve que maintenant, même si j’ai l’enfant en traitement, même si les rencontres avec les parents je les fais seul, même si je fais de A à Z ce que je pense – mes indications pour commencer comme pour terminer la séance-je sais que j’ai en permanence une personne qui connaît la situation. Comme je me rends compte qu’à tout moment, dans des processus thérapeutiques, il peut y avoir des passages à vide, il peut y avoir des moments difficiles, je sais que c’est une très grande aide de pouvoir échanger mes idées avec un collègue qui connaît ce même enfant. »
28Témoignage B
« On a une réunion d’équipe une fois par semaine où l’on discute de toutes les nouvelles demandes. [...]. Ça peut nous arriver que l’on voie un enfant directement, que l’on ait directement la demande. C’est le premier cas, autrement ce sera plutôt un collègue, soit le médecin, soit le psychologue, soit le logopédiste, qui a déjà vu l’enfant, qui a déjà rencontré les parents et qui nous dit qu’il aimerait bien que l’on fasse un bilan psychomoteur, car il a l’impression que ça pourrait nous aider pour approcher cet enfant. »
b) Les psychomotriciens travaillant avec des adultes
29Dans le cadre des institutions pour adultes, le travail du psychomotricien s’inscrit souvent dans une stratégie globale d’intervention auprès d’un patient, généralement en situation de crise. Dans ce cas, le psychomotricien évolue dans le cadre psychiatrique et intervient, avec d’autres professionnels, dans ce que les spécialistes appellent la « gestion de la crise ». Le travail d’évaluation psychomotrice est alors conçu comme faisant partie de la prise en charge. Dans ces moments, le patient peut être vu par le psychomotricien tous les jours et le traitement se déroule généralement sur des périodes relativement brèves. Le praticien qui travaille en psychiatrie adulte peut également intervenir en ambulatoire, le traitement se déroulant sur une plus longue période.
30Globalement, les indications et les décisions du psychomotricien concernant un patient adulte ne sont pas toujours discutées avec l’ensemble de l’équipe dans des moments formalisés, mais, par exemple, avec des collègues lors de moments informels, ou alors uniquement avec le médecin ou le référent infirmier du patient.
31Témoignage A
« J’utilise le résultat du bilan pour traduire au médecin ce que j’ai vu et pour expliquer le pourquoi des projets que je fais, en parlant dans des termes techniques. [...] Non, il n’y a pas de réunion d’équipe formalisée parce que l’on a très peu de temps. On se réunit parfois, quand on fait des réunions de synthèse, mais souvent c’est autour des patients à problèmes. »
32Témoignage B
« Pour moi, le travail d’équipe et l’échange avec l’équipe fait partie du travail du psychomotricien. »
c) Les psychomotriciens travaillant dans le cadre scolaire
33La situation des psychomotriciens qui sont directement rattachés à un cadre scolaire est assez différente de celles analysées précédemment. Dans le contexte scolaire, le psychomotricien est généralement le seul thérapeute et il est le plus souvent uniquement en relation avec les enseignants. Il arrive parfois que dans la même école on trouve aussi un(e) psychologue ou un(e) logopédiste ; dans ce cas, selon le type de rapports personnels qui ont été construits, il peut y avoir des échanges entre les différents praticiens, mais ceci n’est pas une règle. Une bonne collaboration avec les enseignants a alors une importance primordiale.
34Dans ce contexte, le travail du psychomotricien est la plupart du temps partagé entre des moments d’observation et des moments de bilan et de prise en charge. Son autonomie de décision est, dans ce cas, très importante. C’est souvent uniquement son intérêt ou ses possibilités d’organisation qui lui permettent de rencontrer des confrères pour analyser des situations particulières ou pour échanger à propos des outils que chacun emploie dans son travail quotidien.
35Le témoignage qui suit met également en évidence la possibilité d’inclure, dans le temps de l’investigation, une activité de conseil auprès des parents et des enseignants concernés.
36Témoignage A
« ...A travers ce bilan, ce qui va être décidé, c’est, si l’enfant ales pré-requis nécessaires pour aborder des apprentissages scolaires. S’il ne les a pas, est-ce massivement ou par secteurs ? Cela va définir le mode de prise en charge. [... ] Dans une des communes où j’interviens, je fais de l’observation systématique dans les classes enfantines ; pas de bilan, mais de l’observation. Donc l’idée c’est de repérer les enfants avec leurs difficultés et dire aux maîtresses « voilà, pour tel enfant, il y a cette chose-là ou cette chose-là qui n’est pas évidente » et donner des outils à la maîtresse ou éventuellement rencontrer la maîtresse et les parents pour qu’il y ait aussi une possibilité de travail à la maison, mais sans qu’il y ait de suivi en psychomotricité, parce que ce ne sont pas des cas lourds, mais en même temps, ça vaut la peine de se pencher sur la question. Parfois ça suffit ! »
d) Les psychomotriciens travaillant dans un cabinet privé
37Une des caractéristiques principales de ce groupe professionnel est la grande indépendance qui concerne l’organisation et la conception du travail. Nous observons toutefois que, dans ce cas, les praticiens développent une importante collaboration avec les professionnels qui leurs envoient les patients (pédiatres, psychologues) et tendent à s’entourer d’un réseau – psychomotriciens ou autres praticiens – qui leur permet de ne pas se sentir isolés et de pouvoir discuter, le cas échéant, des indications et des décisions de prise en charge qui découlent de l’investigation psychomotrice.
38Nous avons aussi relevé chez ces psychomotriciens un investissement important en temps pour la réflexion et l’écriture, ceci à la fin d’une phase d’investigation psychomotrice.
39Témoignage A
« Il me semble que plus j’avance dans ma pratique, moins j’ai de certitudes et que si j’ai eu des certitudes au début en me disant que j’étais sûre que c’est la psychomotricité qu’il lui faut, je suis sûre que je n’ai jamais fait du mal en prenant l’enfant en psychomotricité. Je ne crois pas, à moins d’être complètement à côté de la plaque, que l’on peut faire des dégâts en prenant un enfant en psychomotricité. Par contre, oui, on peut perdre du temps et aussi l’impression de toute-puissance – l’isolement surtout – est un risque dans notre profession et un risque important, un risque grave par rapport au respect que l’on doit aux autres intervenants, aux autres aspects d’un enfant. La psychomotricienne et la psychomotricité n’ont pas la toute-puissance ni la possibilité de tout résoudre. Si elle ne va pas faire de dégât, elle peut quand même au minimum faire perdre du temps [...]. Ça ne signifie pas que, parce qu’on se réfère à d’autres intervenants dans une équipe, on perd nos compétences ou notre savoir-faire, au contraire (...). Il me semble que l’on peut travailler en équipe et prendre en compte le regard d’un autre. C’est comme dans un couple, s’il n’y a qu’un personnage du couple qui élève l’enfant et qui voit l’enfant, il ne voit l’enfant qu’à travers sa subjectivité. S’il peut y avoir deux filtres – même subjectifs – c’est de toute façon plus riche. Ce n’est pas un appauvrissement que de se relier à d’autres regards, parfois contradictoires, ou à d’autres professions. »
40Témoignage B
« En fait, ce qu’il y a de précieux dans le privé, c’est que tu définis toi-même le travail, selon tes désirs et ta conception de la psychomotricité, contrairement au cadre institutionnel où tu es obligé, quelque part, de toujours répondre aux exigences de l’institution. Dans ce cadre, je peux définir moi-même avec quelle population j’ai envie de travailler, quel âge je veux toucher etc. (...) Je prends beaucoup de notes après, quand je les travaille, quand je les réécris, je rajoute d’autres observations que j’ai pu faire, mais en général, j’ai toujours un dossier pour chaque enfant. Un aspect précieux du travail en cabinet privé, c’est justement le respect de mes propres temps, donc c’est moi qui décide si je peux prendre un nouveau cas selon le temps que j’ai à disposition et ce temps est aussi celui d’écrire et de prendre le temps de retravailler les notes. Je prends chaque nouveau cas avec un temps entre un enfant et un autre qui est vraiment important, c’est-à-dire que je vais prendre le temps d’écrire, de revoir complètement ce que j’ai fait avec l’enfant et après, ce travail me permet ensuite de fermer le cas au moment où j’ai tout écrit, au moment où j’ai l’impression d’avoir tout dit sur les dernières observations de l’enfant. »
La phase d’investigation
41Dans le cadre de la partie quantitative de cette étude, lorsque nous avons parlé de l’investigation en psychomotricité et des étapes qui la caractérisent (voir graphique 7), nous avons relevé quatre grandes étapes communes à l’ensemble des psychomotriciens touchés par l’enquête :
- le premier entretien ;
- le bilan psychomoteur ;
- la synthèse ;
- l’indication thérapeutique.
42Ce type d’organisation du processus d’investigation est totalement confirmé dans l’analyse approfondie des entretiens que nous avons réalisés avec les praticiens, quel que soit leur secteur d’intervention. Nous n’allons donc pas revenir sur les détails des étapes de l’investigation ; toutefois nous souhaitons souligner un élément qui ressort fortement : le premier entretien et le bilan psychomoteur sont des moments fondamentaux, non seulement pour des raisons diagnostiques, mais aussi parce que c’est à ce moment précis que la relation thérapeutique avec le patient va se nouer et se construire. De cette relation initiale dépendra en grande partie tout le processus de prise en charge.
43A noter qu’à plusieurs reprises, il nous a été signalé que, dans certains cas, le processus d’investigation peut déjà avoir un aspect thérapeutique. Effectivement, le fait d’aborder les difficultés psychomotrices du patient lors de la phase d’investigation permet, au patient et/ou à son entourage, de réactiver un processus évolutif vers une résorption de certaines des difficultés énoncées. Parfois, il peut ne plus être nécessaire d’envisager une prise en charge en psychomotricité.
44Les quatre étapes qui caractérisent la phase d’investigation ont une importance fondamentale pour tous les psychomotriciens que nous avons rencontrés. Chaque étape peut demander, selon le cas, un temps plus ou moins important, mais, dans tous les cas de figure que nous avons analysés, elles existent et représentent une valeur particulière dans le travail du psychomotricien.
Les acteurs
45Nous pouvons partager en trois groupes les différents acteurs qui, avec le psychomotricien, et selon le contexte de travail, peuvent intervenir pendant le processus d’investigation : la famille, l’équipe et les enseignants.
a) la famille
46La présence de la famille, surtout lors des premiers entretiens, est une constante pour la quasi-totalité des psychomotriciens qui travaillent avec des enfants. Dans les services ou institutions où la famille n’est pas forcément toujours présente (adultes, enfants psychotiques, enfants autistes ou fortement perturbés) c’est souvent l’infirmier répondant ou l’éducateur de référence qui peut être présent à un moment ou à un autre de la phase d’investigation.
47Quand la famille de l’enfant est présente, elle l’est, généralement, lors du premier entretien et parfois aussi dans la première partie du bilan psychomoteur. Pour les psychomotriciens à orientation systémique, la famille peut être présente pendant toutes les étapes du processus d’investigation. Dans tous les cas, la présence de la famille, si possible des deux parents, est généralement demandée pour la restitution des observations à la fin du bilan psychomoteur.
48Témoignage A
« Je demande à la famille d’être là – si c’est possible les deux parents – pas nécessairement avec l’enfant. Selon la disponibilité de la famille, ça peut être la mère ou les deux parents ensemble. Si par exemple, le père ne vient pas, je considère cela comme une information en plus sur la situation globale de l’enfant. Ce qui est important pour moi en fait, ce n’est pas tellement les données d’anamnèse que je peux recueillir, mais c’est vraiment que cette famille me décrive l’enfant. Je suis dans la situation où je ne connais pas l’enfant, donc il faut que la famille me le décrive, me dise comment il se situe à l’intérieur du cadre familial, comment elle le perçoit et comment elle vit cet enfant. »
49Témoignage B
« Oui, le contact avec la famille est important pour qu’il puisse y avoir une relation de confiance. Ça va dépendre vraiment de chaque personne que l’on a en face de nous. Parfois, ça met du temps. Les gens viennent parfois poussés par l’école, ils viennent parce que ça fait plusieurs fois qu’on le leur dit, que les enseignants insistent ; mais eux ne sont peut-être pas très convaincus. Alors, si on peut leur montrer tout le respect que l’on peut avoir de leurs besoins à eux en leur disant que tout ce qui se fera se fera seulement avec leur accord. Si on présente aussi comment on va faire les choses ensemble et que l’on a besoin d’eux ou comment on va les impliquer dans ce travail ; on ne va pas faire des choses contre leur gré. Cette phase, dans certaines situations, est très importante. »
50Témoignage C
« La première séance, je demande à la famille de rester. Les deux séances suivantes, je les fais seul avec l’enfant. Je fais mes trois séances, quatre, si la première séance je n’ai fait que discuter avec la famille. Ensuite, je fais une séance de restitution. Là, j’aborde la famille et je discute avec elle comment on va aller de l’avant. Je restitue les éléments du bilan, ma compréhension de l’enfant : on décide ensuite comment on va de l’avant. »
51Dans le cadre psychiatrique, et ceci chez les enfants comme chez les adultes, les thérapeutes qui sont en contact avec le patient, pour une question d’organisation ou pour éviter des réactions non appropriées (par exemple dans des cas de relations familiales gravement perturbées), préfèrent s’organiser de manière à répartir les rôles des différents intervenants ; ainsi le thérapeute qui s’occupe du patient ne s’occupe pas de la famille et vice versa.
52Témoignage A
« ... Je ne vois pratiquement pas les familles, parce que le postulat qui a été posé, c’est que les personnes qui s’occupent des enfants ne sont pas les mêmes personnes qui s’occupent des familles pour la simple raison qu’il y a des situations très lourdes d’un point de vue familial. Pour limiter les contre-affects que peuvent susciter les familles, les thérapeutes ne les voient pratiquement pas. »
53Témoignage B
« Je ne rencontre jamais les familles. Il m’arrive pour certains patients, quand il y a un rendez-vous de famille prévu, selon comment il est organisé, que j’assiste, mais derrière la vitre – et le patient est au courant-à l’entretien de famille : donc je vais comme une personne qui regarde, mais jamais je ne participe à un entretien familial. »
b) L’équipe
54Lorsque le psychomotricien travaille dans un service (par exemple un Service médico-pédagogioque/SMP), ou dans une institution spécialisée, il est toujours inséré dans une équipe d’intervenants, qui peut être, selon le contexte, plus au moins hiérarchisée.
55Témoignage A
« Il y a un chef de clinique médecin, il y a plusieurs médecins assistants, il y a une équipe d’infirmiers avec une responsable infirmière, il y a une assistante sociale, il y a une psychologue et moi. »
56Témoignage B
« Dans le processus de présentation de l’enfant à l’institution, l’enfant est vu d’abord au service de consultation par un(e) psychologue ou un médecin assistant pédopsychiatre qui pose, lui, la première indication d’intégration dans un centre ou l’autre suivant la gravité de l’état de l’enfant. Mais à un moment donné, il estime qu’un traitement ambulatoire ne va pas suffire à faire évoluer cet enfant qui a besoin d’une prise en charge institutionnelle ; cette personne qui a vu en première ligne l’enfant vient le présenter à toute l’équipe, donc il nous présente l’anamnèse, il nous présente l’enfant et l’examen qu’il a fait de l’enfant... »
c) Les enseignants
57Lorsque le psychomotricien travaille dans le cadre scolaire, il est d’abord en relation avec les enseignants et seulement dans un deuxième temps, avec les familles. Selon les cas, le psychomotricien demande une participation plus au moins importante à l’enseignant. Parfois, par manque de temps ou parce qu’il pense qu’une prise en charge psychomotrice n’est pas forcément nécessaire au moment où le bilan est demandé – mais également dans la mesure où une intervention de l’enseignant ou des parents peut être suffisante pour résoudre le problème de l’enfant – le praticien donne des indications quant à certaines mesures que l’enseignant peut facilement adopter en classe et qui permettent une évolution de la situation de l’enfant. Dans ce cas, généralement, le psychomotricien propose un nouveau bilan de contrôle après quelques mois, pour évaluer l’évolution de l’enfant.
58Témoignage A
« A partir du moment où la maîtresse a transmis aux parents que j’étais passé en classe, que nous avions observé des difficultés chez l’enfant, je vais lui donner aussi le résultat de mes observations, donc elle aura aussi des arguments un peu plus concrets pour parler aux parents. Eventuellement, je rencontre les parents avec la maîtresse, quand elle ne se sent pas armée, avec des parents plus délicats, pour leur donner mon point de vue de spécialiste. »
59Témoignage B
« Très souvent, c’est l’enseignant qui constate une difficulté qui est plus ou moins reconnue par la famille et la règle est que la famille appelle et demande [...]. L’école fait office de révélateur pour les difficultés d’un enfant ; souvent c’est le premier lieu où un enfant parle de sa famille, le premier lieu où il fait les apprentissages de base, comme la lecture, l’écriture, les mathématiques. Donc, il révèle un certain nombre de difficultés que peut avoir un enfant, et qui, avant l’école, fonctionnait un peu en huis clos dans sa famille. »
60Témoignage C
« C’est souvent des situations où l’enfant a une motricité en retard pour son âge. Là, je leur donne des pistes d’activités de jeux. Quand un enfant se tient mal pour écrire, je leur dis comment il devrait se tenir, qu’est-ce qu’ils peuvent surveiller, etc. »
Intervision et supervision
61De l’avis de nos sujets, les possibilités de se rencontrer entre praticiens de la psychomotricité existent mais pourraient être encore développées. Dans le cadre des services et institutions thérapeutiques, on observe souvent la présence d’un seul psychomotricien par équipe. Dans certains cas, comme par exemple dans le cadre de la prise en charge des adultes, les psychomotriciens intervenant dans des secteurs analogues se réunissent assez régulièrement pour discuter de leur pratique. Dans le cadre d’une consultation privée et de la pratique en milieu scolaire, rencontrer des confrères demande un effort d’organisation et un intérêt personnel certains.
62La supervision est une pratique très répandue chez les psychomotriciens. Il s’agit généralement d’une ou de plusieurs supervisions organisées en même temps et qui sont axées sur la pratique même ou sur les intérêts personnels du psychomotricien comme, par exemple, des supervisions centrées sur l’entretien familial ou sur le suivi de situations problématiques. Dans le cadre des services et institutions thérapeutiques, il arrive que la supervision soit directement inscrite dans le cahier des charges du praticien et financée par l’institution. Alors que dans le secteur privé ou scolaire, la supervision dépend davantage d’un effort individuel d’organisation.
Le bilan psychomoteur
Types de bilan
63Comme nous l’avons plusieurs fois relevé tout au long de l’étude, le rôle du bilan psychomoteur dans le cadre du processus d’investigation est extrêmement important. Pour la majorité des psychomotriciens interrogés, le bilan psychomoteur a un double rôle : d’une part, c’est l’outil de référence pour garantir un diagnostic psychomoteur ; d’autre part, il permet au praticien d’affirmer son identité professionnelle, surtout lorsque celui-ci travaille en collaboration avec d’autres thérapeutes qui utilisent aussi des bilans standardisés pour évaluer certaines problématiques, comme par exemple les psychologues ou les logopédistes.
64Chez nos sujets, les protocoles de bilan ont généralement deux origines :
- Pour les psychomotriciens formés à Genève, le protocole de bilan élaboré par Rose-Marie Schnydrig (psychologue et psychomotricienne) reste une référence importante (voir annexe 2). R.-M. Schnydrig a commencé à élaborer ce protocole en 1973 sur la base des travaux de Sylvia Roth (psychologue). Ce protocole représente donc une importante référence de base pour beaucoup de psychomotriciens même si, par la suite, ceux-ci le modifient selon leurs besoins. Suite aux témoignages que nous avons recueillis, nous pouvons affirmer que son enseignement méthodologique a été une étape importante dans l’histoire de l’évolution du bilan psychomoteur à Genève.
- Les psychomotriciens issus d’écoles françaises sortent généralement de formation avec un important bagage constitué de différents protocoles de bilan. Ils ne se trouvent cependant pas moins confrontés au fait de devoir adapter ces outils aux besoins du terrain lorsqu’ils se trouvent aux prises avec la pratique.
65Si l’on considère les items contenus dans le bilan de R.-M. Schnydrig comme référence, nous pouvons observer qu’il y a généralement une forte homogénéité de base en ce qui concerne la passation du bilan psychomoteur : par exemple, tous les psychomotriciens qui travaillent avec des enfants en âge scolaire observent la coordination des mouvements ou le schéma corporel lorsqu’ils font passer un bilan. Il y a des items qui semblent incontournables dans le cadre de la passation d’un bilan psychomoteur ou d’une première observation de l’enfant.
66Nous avons aussi rencontré des psychomotriciens qui nous disent peu ou pas utiliser le bilan psychomoteur dans la phase d’investigation. Par exemple, certains psychomotriciens se référant complètement à une approche systémique ne fixent pas systématiquement un temps de bilan. Toutefois, nous avons observé que, même dans ces cas, lorsqu’il s’agit d’évaluer une situation nouvelle, les observations des praticiens convergent vers les items d’un bilan psychomoteur standard ; ces observations sont alors menées dans des temps de rencontre familiale, par exemple.
67Dans les faits, nous observons que le modèle standard du bilan psychomoteur n’est pratiquement jamais utilisé tel quel par les praticiens, mais qu’il est régulièrement modifié, complété et enrichi tout au long de l’évolution de la pratique.
68Témoignage A
« Avec le temps, j’ai beaucoup bricolé, j’ai créé des petits bilans, j’ai pris des bilans en provenance d’autres pays, j’ai rajouté des items, mais c’est vrai que jamais, je n’utilise totalement le bilan que j’ai. J’utilise certains items, mais c’est très rare que je les utilise tous, pratiquement jamais. »
69Témoignage B
« Je ne fais absolument pas passer tous les items, je fais vraiment un tri. [...] C’est aussi en fonction de l’enfant que je vais voir que je vais choisir tel ou tel autre item, soit pour confirmer, soit pour infirmer les idées que je pourrais avoir pour la compréhension de sa difficulté. »
Evolution du bilan au fil de l’expérience du praticien
70Le bilan psychomoteur standard (par exemple, le bilan enseigné dans la formation de base) subit généralement une adaptation de la procédure d’investigation par la création de ses propres épreuves. Cette évolution et cette adaptation de l’outil se réalisent essentiellement en rapport à la population avec laquelle le praticien travaille. Par exemple, les psychomotriciens qui travaillent avec des adultes vont élaborer un bilan qui tient compte de la réalité objective de ce type de population, comme les difficultés de mouvement, l’importante médicalisation, les difficultés de communication, etc. dans les états de dépression grave par exemple.
71Le deuxième élément qui va influencer la pratique à proprement parler du bilan est l’intégration des items dans un « réflexe » d’observation actif, présent implicitement durant toutes les étapes de l’investigation. En effet, nous observons que, si au début de sa carrière, le psychomotricien privilégie davantage une standardisation de sa pratique du bilan en situation dirigée et spécialement organisée dans ce but, avec l’expérience certains psychomotriciens ont de moins en moins besoin de délimiter un temps spécifique de bilan. En effet, lorsque les items du bilan de base sont intégrés, le praticien peut se permettre de proposer des activités plus ludiques à ses patients (nous parlons ici d’enfants). Nous constatons ainsi que, plus l’expérience du praticien augmente, plus le temps consacré au jeu augmente. Les psychomotriciens arrivent en effet à observer tout ce qui les intéresse, en terme de bilan, à travers des activités ludiques plus au moins dirigées. Néanmoins, certains praticiens privilégient durant toute leur carrière la délimitation d’un temps de bilan standardisé.
Style de passation du bilan
72Nous avons constaté que, selon les cas, la passation du bilan est construite autour d’activités dirigées, partiellement dirigées et d’activités « libres ». Le praticien peut, selon sa pratique et selon les objectifs qu’il s’est fixés, observer l’ensemble des items d’un bilan standard ou en privilégier seulement quelques-uns.
73Parmi les constantes qui ressortent quant au style de passation du bilan, nous avons observé que « le jeu de balle » a une importance particulière. C’est en effet une pratique qui est généralement utilisée par l’ensemble des psychomotriciens travaillant avec les enfants, mais aussi chez certains praticiens qui travaillent avec les adultes. Les thérapeutes affirment en effet que « le jeu de balle » facilite particulièrement l’établissement d’une relation de confiance avec l’enfant et permet déjà de faire toute une série d’observations sur le rapport de l’enfant au mouvement et à son corps.
74Dans le cas des adultes, la balle est utilisée par exemple, comme moyen pour observer la conscience des limites du corps, chez des patients qui ne désirent pas être touchés.
75Témoignage A
« ... J’aime bien prendre un ballon et observer tout ce qui est de la régulation tonique et de la latéralité à travers les jeux de ballon. [...] C’est quelque chose avec laquelle je suis à l’aise et j’ai l’impression que ça permet de me mettre en mouvement avec l’enfant et de mettre en mouvement l’enfant. [...] Cette activité permet qu’il soit à l’aise et qu’il entre dans son corps, qu’il entre dans son mouvement et qu’il prenne aussi un peu la température de cet espace, avant d’entrer dans des observations peut-être plus fines mais qui pourraient être plus anxiogènes en début de relation. »
76Témoignage B
« Par exemple, un des simples moments où je lui montre ça sous forme pratique, c’est quand je lui demande de rattraper le ballon. Je lui demande de trouver la place où il le rattrape toujours bien, sans échec, non pas pour qu’il essaie d’aller le plus loin possible pour faire la plus grande performance, mais pour voir, en réponse à ses besoins, s’il sait adapter la distance en fonction de ses compétences. C’est parfois le petit truc qui me permet ensuite de lui expliquer pourquoi il est là, pourquoi je suis là, qu’est-ce que l’on cherche ensemble et quelle est la différence avec l’école, où on lui demande de faire le mieux possible, etc. Ça me permet tout de suite de voir si l’enfant résonne – pas dans le sens de la raison mais dans la résonance – à ce type d’observation de soi ; ou s’il va quand même, malgré cela, le plus loin possible... »
77Témoignage C
« Je commence presque systématiquement avec un ballon relativement gros, assez doux, assez sympa et je propose d’abord à l’enfant un échange avec ce ballon ; ça permet de voir où l’enfant se met par rapport à moi ; s’il est debout, s’il peut me regarder, s’il y a un jeu d’échange ou si le ballon va dans tous les sens, s’il se pose à un endroit et qu’il ne bougera plus si je ne lui dis pas de mettre un pied à gauche ou à droite, ou s’il va regarder passer le ballon sans oser aller le rechercher. Ce jeu me permet généralement d’entrer en relation avec l’enfant. »
78Un item complémentaire au bilan que l’on retrouve assez systématiquement chez les psychomotriciens qui s’occupent d’enfants est le dessin, généralement « le dessin du bonhomme » ; l’enfant réalise son autoportrait ou un bonhomme quelconque. Ce temps de dessin est généralement suivi d’un temps de discussion avec l’enfant à qui on demande de commenter ce qu’il a réalisé.
79Témoignage A
« Pour le dessin il faut compter une bonne dizaine de minutes, un quart d’heure. Souvent, ils le font de manière assez rapide. Ce que je fais à partir du dessin, c’est qu’une fois qu’ils ont dessiné, je leur montre le dessin et je leur demande de me raconter l’histoire. »
80Témoignage B
81(population : enfants avec de graves problèmes psychiques)
« Ça me donne au moins l’indice de la latéralité, éventuellement du tonus mais surtout de la motricité fine de la prise du crayon. [...] En général, les bonshommes sont très morcelés, il y a les jambes d’un côté, les bras de l’autre, les yeux, enfin tout est éparpillé sur la feuille mais ça donne une image de comment ils se vivent à l’intérieur. Ceci est précieux comme information. »
82La construction de la « maison-cabane » est une pratique qui commence à se généraliser de plus en plus et à devenir partie intégrante des étapes de base du processus d’investigation et du bilan psychomoteur.
83Témoignage A
« ...Avec les enfants, je commence toujours par la cabane, je leur donne la possibilité de se construire un espace, en leur proposant mon aide s’ils en ont besoin, mais en leur demandant plutôt d’essayer seul. A partir de la cabane, se crée un espace ludique symbolique que l’enfant investit en jouant le personnage qu’il a envie de jouer et en me faisant jouer le personnage qu’il a envie de rencontrer. »
84Chez les praticiens qui s’occupent des adultes nous avons aussi relevé des constantes dans le processus d’investigation. Notamment « la danse à deux » qui permet de tester toute une série d’éléments indispensables pour la connaissance d’un nouveau patient.
85Témoignage A
« La danse à deux », c’est quand on se met main contre main et la seule consigne que l’on donne est que nos mains vont se suivre. Là, on voit comment le patient a compris la consigne. Il y a des patients qui entendent « Je vais vous suivre ». D’autres, dès qu’il y a le contact, ne peuvent pas le supporter. Après, on essaie de voir comment ils se sont rendu compte des endroits où ils étaient conduits, des moments où c’était eux qui conduisaient. Nous allons aussi réfléchir sur ce qui fait qu’à un moment donné ils ont dû arrêter. Est-ce que c’est parce qu’il s’agissait de mouvements qui ne leur correspondaient pas, trop rapides, trop lents, dans des positions insupportables, etc. »
86Témoignage B
« Au niveau de la tonicité, on peut demander à un patient tout ce qui est déplacement avec l’utilisation, par exemple, de main contre main, ou avec l’utilisation de bâtons, voir comment il arrive à s’adapter à un rythme différent que le sien, comment au niveau de la tonicité, il peut maintenir un certains tonus, etc. »
87Nous avons aussi relevé chez les praticiens qui s’occupent des adultes une pratique d’observation appelée « délimitation et défense du territoire » ou « création de la bulle », que l’on retrouve aussi, sous d’autres formes, chez les praticiens qui s’occupent des enfants. Elle consiste à tester la capacité du patient à protéger son territoire.
88Témoignage A
« ...A ce moment, je vais délimiter avec des cordes l’espace autour de lui que je vais qualifier comme sa bulle, son espace à lui. [...]. La consigne que je donne, c’est que je vais jouer le rôle de quelqu’un qui n’est pas respectueux des autres et qui va entrer dans son espace ; et à lui, je lui dis bien qu’il a une seule consigne : celle de m’en empêcher. Là, on voit de tout : les gens qui, à peine on a avancé vers eux, nous disent stop ; des gens qui n’arrivent jamais à dire stop et que l’on doit pousser, qui nous collent et qui ne vont jamais dire stop. Il y a des gens qui, avant que l’on rentre, sortent déjà de l’espace ou qui n’arrivent pas à être en confrontation ou au contraire qui sont tout de suite en confrontation, parfois un peu violents. [...] C’est souvent de bonnes pistes, la bulle ou la danse à deux, pour voir comment les patients fonctionnent dans la relation aux autres ; il s’agit souvent de gens qui n’arrivent pas à mettre des limites, qui n’arrivent pas à dire non, qui n’arrivent pas à négocier, qui n’arrivent pas à être en conflit. »
89L’utilisation de techniques de relaxation dans le cadre de l’investigation, à travers le contrôle de la respiration par exemple, est aussi une pratique répandue chez les psychomotriciens qui travaillent avec les adultes et que l’on peut retrouver aussi chez certains thérapeutes qui s’occupent seulement d’enfants.
90En conclusion, nous observons que les grands thèmes de référence du bilan psychomoteur, comme par exemple le mouvement, la relation au corps, les aspects espace-temps, l’aspect relationnel, restent toujours des références fondamentales pour la pratique de l’investigation, quelle que soit la spécialité du psychomotricien et les caractéristiques de la population dont il s’occupe. C’est sur cette base commune que chaque psychomotricien construit par la suite son propre outil diagnostique. Une analyse plus fine et détaillée des protocoles de bilan, qui ont été joints au questionnaire par les praticiens, est prévue plus loin (point 4).
Les indications thérapeutiques
La synthèse
91L’étape de synthèse qui suit le bilan psychomoteur est une constante commune à tous les praticiens que nous avons rencontrés. Elle est généralement construite autour de trois moments :
a) La réflexion
92La réflexion sur les observations effectuées lors des étapes précédentes : c’est en effet à ce moment que le praticien élabore des hypothèses de compréhension en rapport avec ses observations.
93Témoignage A
« Je pars toujours de l’observation du corps et du mouvement, du concret, de l’observable, de ce que je vois et j’essaie de décrire, un peu par étape, ce que l’enfant fait avec son corps concrètement. Après, j’essaie de réfléchir à ce que cela peut signifier. [...] Je pars d’une manière générale en disant : est-ce que le mouvement de l’enfant est plutôt souple ou crispé ? Est-ce qu’il est rapide ou est-ce qu’il est lent ? Est-ce qu’il est stable ou instable ? J’établis les gros contrastes. Est-ce que l’enfant cherche plus volontiers à être en mouvement ou au repos, couché ou debout ? Est-ce qu’il semble à l’aise dans son corps et dans le mouvement ou est-ce qu’il a l’air maladroit ? Est-ce qu’il a du plaisir à bouger ? Est-ce qu’il bouge spontanément ? Après, je me demande quelle fonction représente le mouvement pour lui. Est-ce qu’il a une fonction plutôt dispersante, excitante, une fonction qui favorise la concentration et l’investissement des situations ou une fonction qui tend à l’enfermer. Après je me demande si le mouvement est plutôt une aide ou un empêchement pour l’organisation psychique de l’enfant. Qu’est-ce que son corps et son mouvement me disent de son organisation psychique ? [...] C’est comme ça que je procède, avec l’idée aussi d’une pose d’indications. »
b) L’écriture
94Ce temps est aussi considéré comme indispensable par les praticiens. Généralement ils remplissent des fiches ou des dossiers pour chaque patient. La prise de note est nécessaire à l’élaboration d’une trace, d’un fil conducteur qui se prolongera au-delà de l’investigation.
c) Le retour au patient et à sa famille
95Il s’agit d’un temps d’élaboration des observations en lien avec les difficultés énoncées, de la précision d’une indication et la détermination d’un contrat de travail thérapeutique avec le patient. Ce moment peut, selon le cadre de travail du praticien, se dérouler en présence uniquement du patient (par exemple chez les adultes), de la famille du patient, lorsqu’il s’agit d’enfants, ou, dans un cadre institutionnel, en présence d’autres professionnels.
96Témoignage A
« Au moment où les deux parents sont là et, si possible, l’enfant aussi, on discute de ce que Ton a fait, des résultats, de ma compréhension de ces résultats. Souvent je suis celle qui dit : « J’ai observé ça et ça, j’ai fait quelques hypothèses de compréhension, mais j’ai besoin d’autres observations pour confirmer ou infirmer le pourquoi de la situation de votre enfant. Est-ce qu’il a des autres troubles de base, est-ce qu’il a une peur ? « J’ai des hypothèses, parfois elles se confirment, souvent elles se confirment, mais en même temps je dis aux parents qu’un enfant n’est pas un petit truc simple, chez qui on peut voir tout, tout de suite : il est en mouvement, en devenir, il change. »
97Témoignage B
« Ensuite, je convoque à nouveau les parents pour la synthèse après le bilan. C’est à ce moment que je pose les indications, donc que je dis ce que la psychomotricité peut faire dans le cas de leur enfant. »
Les indications
98Dans le cadre du questionnaire standard, nous avions observé que la majorité des sujets interrogés affirmaient toujours/souvent poser eux-mêmes les indications thérapeutiques à la fin de la phase d’investigation. La réalité de cette pratique est beaucoup plus nuancée. Dans les faits, la formulation des indications est une question assez complexe, qui mérite que l’on s’y arrête un moment. Dans le cadre de l’analyse des entretiens que nous avons réalisés auprès des praticiens, nous avons relevé que la démarche qui mène à poser les indications thérapeutiques dépend de plusieurs facteurs parmi lesquels nous allons en retenir trois principaux :
- le contexte de travail (travail individuel ou en équipe) ;
- les possibilités concrètes en tenues de temps, d’organisation logistique, etc. pour le praticien, de se constituer un réseau de professionnels de référence (intervision/supervision) ;
- le besoin ou la volonté individuelle du praticien de se confronter ou de discuter avec des collègues de sa propre pratique.
99Cette autonomie de travail, relevée lors de l’enquête quantitative, est effectivement présente dans l’exercice journalier du travail du psychomotricien, mais elle est interprétée et réalisée de manière personnelle par chaque praticien. Elle dépend, en effet, de tous les facteurs que nous avons décrits précédemment et en conséquence elle peut être très variable.
100Témoignage A
« Je dirais que mon opinion, si l’indication est un traitement psychomoteur que je vais faire, a un poids. Si c’est complètement en contradiction avec ma collègue qui connaît la famille depuis 5 ans, bien sûr que là, je vais me dire : « L’enfant pourrait bénéficier d’un traitement psychomoteur, mais voilà que, dans la situation actuelle, ce n’est pas possible d’imaginer que ça puisse se mettre en place, on va donc essayer d’autres solutions. » Jamais personne d’autre ne va me dire : « Tu prends cet enfant en psychomotricité », si moi je ne pense pas que ce soit une bonne indication. [...] La décision est généralement prise à plusieurs, mais dans le cas où je suis seule impliquée dans la situation, il y a une réflexion uniquement avec ma responsable d’équipe ; on prendra alors la décision ensemble. [...]. En général, elle va approuver mon projet [...], je pense que je joue un rôle important dans la prise de décision. »
101Témoignage B
« ...Tous les enfants qui entrent dans l’institution sont soumis à un bilan psychologique, bilan logo et bilan psychomoteur au départ, comme si on faisait une photo de départ de l’enfant. A partir de là, on fait une première réunion de synthèse où on met toutes nos observations ensemble et on pose, ensemble, le plan de traitement pour l’enfant, les indications. Généralement nous avons déjà toutes une petite idée [...], je trouve que ce type de fonctionnement est bon, on s’écoute vraiment et on prend les décisions vraiment ensemble. »
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