Chapitre 3. L’élève d’origine étrangère au cœur des nouvelles réflexions pédagogiques
p. 93-150
Texte intégral
1Outre les acteurs militants et politiques, les pédagogues ont leur part dans l’avènement de l’intérêt porté à l’élève d’origine étrangère. Ils participent activement à légitimer scientifiquement ce nouveau regard par la manière dont ils défendent l’école, analysent ses problématiques ainsi que les solutions à développer.
2Pour montrer comment les nouvelles réflexions pédagogiques ont commencé à se polariser au-tours de l’élève d’origine étrangère, nous avons choisi d’analyser et de comparer des articles d’une même revue pédagogique à deux moments distincts. Ainsi, nous analyserons des articles d’une revue, appelée l’Éducateur, des années 1970 à 1975 et les comparerons avec ceux des années 2000 à 2005166.
3Cette revue, destinée aux enseignants romands existe depuis 1865. Beaucoup d’enseignants de l’école enfantine et primaire, certains enseignants du secondaire, ainsi que les autorités scolaires et un certain nombre de parents sont aujourd’hui abonnés à l’Éducateur. En 1970, cette revue s’appelait Éducateur et bulletin corporatif et paraissait de manière hebdomadaire ; les numéros pairs dévolus aux questions corporatives, tandis que les numéros impairs étaient ciblés sur les questions pédagogiques167. L’Éducateur et bulletin corporatif a changé de nom et s’appelle aujourd’hui l’Éducateur. Actuellement, cette revue est généralement constituée d’une partie magazine, d’un dossier et d’une partie syndicale où chaque canton a la possibilité de s’exprimer. C’est sous forme de mensuel que les enseignants romands syndiqués le reçoivent aujourd’hui. Dans un souci de simplification, nous nommerons toujours ce journal l’Éducateur168.
4Les auteurs des articles de l’Éducateur des années 2000 à 2005 sont principalement des universitaires, des chercheurs, des formateurs ou quelques enseignants occupant une fonction particulière dans le syndicat ou dans la rédaction de l’Éducateur, ainsi que de « nouvelles recrues » entrant dans la profession et écrivant un article sur leur mémoire de licence169. Les auteurs de ces articles semblent ainsi représenter un groupe d’acteurs que l’on pourrait appeler « pédagogues-intellectuels » qui se différencierait des « pédagogues-praticiens » que sont les enseignants sur le terrain170. Pour simplifier et alléger l’expression, nous nommerons ces « pédagogues-intellectuels » dans ce travail simplement par le terme de « pédagogues ».
5Les articles de l’Éducateur nous paraissent intéressants à analyser pour le statut « scientifique » de leur auteur, soit leur position d’intellectuel dans le champ pédagogique. Leur statut donne en quelque sorte une caution à ce qu’avancent les auteurs dans leurs articles, d’autant que nombreux d’entre eux sont connus des enseignants de l’école primaire abonnés à l’Éducateur, notamment des jeunes qui entrent dans la profession et qui ont eu une formation universitaire où certains auteurs étaient leurs professeurs. Ainsi, les valeurs mobilisées par ces auteurs paraissent légitimes et dignes socialement ainsi que scientifiquement, tout comme est digne leur statut social et professionnel. Dès lors, et d’autant que l’Éducateur est quasiment la seule revue s’adressant directement aux enseignants de l’école primaire171, les auteurs occupent en quelque sorte une position d’élite.
6Par leur positionnement et par la dimension syndicaliste de cette revue, les acteurs qui écrivent dans l’Éducateur ne se veulent pas passifs mais « acteurs de changement ». Ils cherchent à influencer le champ pédagogique et tiennent des discours de type performatifs172. Ainsi, des termes comme « il faut », « nous avons à… », ainsi que d’autres termes amenant cette idée de changement sont très présents dans les articles. Par exemple : « Nous avons à inventer pour que les parents et les enseignants puissent débattre de préoccupations communes, discuter de ce qu’est une école de qualité »173. Pour Charles Heimberg, formateur en didactique de l’histoire à Genève, la citoyenneté devrait permettre d’aborder des domaines comme la lutte contre le racisme et la xénophobie ou comme l’égalité entre les sexes. Pour lui, la notion de citoyenneté relève de différentes échelles, de la classe à la planète entière, et personne ne devrait en être exclu de par son statut ou sa nationalité174. Ce groupe d’acteurs contribue ainsi à délimiter un « ordre social » pédagogique en faisant passer des mots, des mots d’ordre, des théories, en « instituant une morale »175.
7Aussi, les thèmes abordés dans les articles, ainsi que leur fréquence, sont révélateurs des préoccupations pédagogiques, idéologiques et économiques du moment. L’analyse de ces thèmes devrait ainsi nous permettre de « sentir » l’état d’esprit ambiant vis-à-vis de l’école lors de deux périodes particulières. Ainsi, l’Éducateur nous paraît être, d’une part, un miroir d’une époque quant aux préoccupations liées au monde scolaire, ainsi qu’à ses enjeux, de même qu’un lieu où se légitime un certain regard porté sur l’élève et ses problèmes.
8Pour ces différentes raisons, l’analyse de l’Éducateur peut constituer une source riche d’informations pour mieux comprendre comment et pourquoi l’élève d’origine étrangère est devenu une catégorie-cible dans le champ pédagogique, ainsi que pour tenter de saisir l’influence (désirée ou induite, consciente ou inconsciente) de ce groupe d’acteurs sur cette vision de l’élève d’origine étrangère.
9Tout en sachant que dans une démarche qualitative, l’échantillon ne peut être considéré comme représentatif au sens statistique du terme, nous pensons que les données que nous avons récoltées au travers des articles de l’Éducateur, rassemblent une variété de thématiques liées au champ éducatif. Les « luttes », les croyances des auteurs qui se reflètent dans les articles tournent autour de propriétés communes. Elles se fondent sur l’importance de l’éducation, de l’enseignement, de la lutte contre les inégalités des chances, etc. Ces acteurs, du fait qu’ils appartiennent au même champ, sont liés par les mêmes enjeux, et les mêmes intérêts génériques, ils sont en quelque sorte « comparables »176.
10La méthode de sélection des articles (en dehors du choix des périodes explicité ci-dessus) consistait, tout d’abord, à dépouiller tous les Éducateurs des années 1970 à 1975 et 2000 à 2005 dans l’optique de sélectionner tous les articles nous paraissant liés (de près ou de loin) à notre objet d’étude. Ensuite, nous avons rassemblés – pour chaque période – ces articles en des thématiques telles que par exemple celle de l’accueil de l’élève d’origine étrangère. C’est tout au long de la récolte des articles et des données des autres supports discursifs que ces thématiques se sont construites dans notre esprit, nous paraissant pertinentes, réalistes, représentatives de notre problématique et comparables entre les deux périodes sélectionnées.
11Les mots utilisés par les auteurs dans leurs articles s’ancrent dans un contexte politique, social et économique. Nous avons pu observer dans les articles en même temps qu’un changement de contexte, l’arrivée de nouveaux termes se référant à l’élève d’origine étrangère et avons ressenti fortement dans les articles des années 2000-2005 qu’il s’était opéré sémantiquement une « ethnicisation » de la question pédagogique. Il s’agissait alors de faire la différence entre ce « ressenti » et l’effectivité de cette évidence. Nous avons ainsi pensé qu’il était nécessaire de récolter de manière précise les termes utilisés lors de chaque période relevant de notre population et de retourner à chaque article afin de mieux cerner la place réelle accordée à l’élève d’origine étrangère dans chacun d’entre eux. Ce travail fastidieux n’était pas évident. Il nous a toutefois permis de mieux cerner la complexité de notre analyse et la manière dont le contexte, les représentations, les termes utilisés pour chaque période mettent le lecteur dans un « bain » de perception du monde où il lui est difficile de déterminer la part d’explicite et d’implicite. Nous avons pu ainsi relever l’utilisation dans les années 1970-1975 de termes comme : « travailleurs migrants, langue étrangère, langues d’autres nationalités, parents étrangers, etc. » et de termes comme : « racisme, multiculturalisme, interculturel, multilinguisme, xénophobie, fête multiculturelles, etc. » dans les articles des années 2000-2005. La comparaison témoigne de l’existence explicite d’un changement sémantique. De même, nous avons relevé un certain nombre de termes très présents dans l’Éducateur des années 2000-2005 qui nous ont permis de mieux cerner les raisons pour lesquelles nous ressentions très fortement une « ethnicisation » de la question pédagogique. Ces termes : « élèves différents, l’Autre, l’altérité, hétérogénéité, la gestion de la diversité, etc. » très fréquemment utilisés actuellement par les pédagogues participaient implicitement à confirmer la pertinence de notre hypothèse concernant la construction sociale de l’élève d’origine étrangère comme objet de préoccupations. Pourtant ces termes en eux-mêmes ne concernent pas forcément l’élève d’origine étrangère ; ils peuvent se référer à cette population ou ne pas le faire directement.
12Encore dans l’optique de mieux saisir ce qui est de l’ordre de l’explicite ou de l’implicite, nous avons cherché à comparer quantitativement, entre chaque période, le nombre d’articles où apparaissent l’un de ces termes et avons constaté une augmentation conséquente177.
13La sélection des articles s’est effectuée comme nous l’avons dit tout au long du dépouillement des Éducateur, en même temps que se conceptualisaient nos thématiques. Le lecteur trouvera en annexe la liste de tous les articles sélectionnés pour les deux périodes, classés selon nos thématiques dans un ordre chronologique178. Il trouvera aussi un tableau où figure le nombre d’articles sélectionnés s’inscrivant dans chacune de nos thématiques, le nombre d’articles cités pour chaque thématique, ainsi que le nombre d’articles où les auteurs font référence à l’élève d’origine étrangère de manière explicite ; en utilisant ainsi un ou des termes clairement lié (s) à cette population179.
14Les articles peuvent être des articles de deux ou trois pages relatifs au dossier (thème général de l’hebdomadaire pour les années 1970-1975 ou de l’Éducateur du mois pour les années 2000-2005) ou des petits articles d’une ou d’une demi page tels que l’Édito, des articles de la partie syndicale, des communiqués, des annonces, ainsi que des petits articles de la partie « magazine » avec des thèmes récurrents qui proposent des activités pour les maîtresses enfantines, des lectures, qui abordent les thèmes de l’environnement, de l’éducation et développement, d’internet etc. Il va sans dire que cette variété d’articles et de messages rend difficile le calcul du nombre réel d’articles. Pour nous faciliter la tâche, nous aurions pu ne choisir que les véritables articles des dossiers. Nous pensons que nous serions cependant passé à côté de beaucoup de données intéressantes. Pour simplifier les véritables articles, les annonces comme les communiqués, etc. seront appelés articles dans ce travail. En moyenne, les hebdomadaires de l’Éducateur des années 1970-1975 contiennent 9 articles. Ainsi, sur une année on trouvera environ 430 articles et sur 6 ans, environ 2500 articles. Les mensuels de l’Éducateur des années 2000-2005 contiennent 38 articles. Ainsi, sur une année, on trouvera environ 500 articles et sur 6 ans un peu moins de 3000 articles.
15Nous ferons référence durant notre analyse à ces données quantitatives afin qu’elles puissent donner quelques éclairages d’un point de vu quantitatif et proportionnel, mais nous souhaitons préciser clairement que notre véritable analyse est qualitative. De même, nous souhaitons préciser que notre objet n’était pas tant de nous intéresser au nombre de mots ou d’articles en lien avec notre objet d’autant qu’ils sont difficilement comptabilisables comme nous l’avons souligné mais de nous intéresser plutôt aux valeurs d’intégration véhiculées dans les articles, aux principes considérés comme importants par les pédagogues, à leur manière de légitimer la « bonne pédagogie », la « bonne morale » etc. Ainsi, même si certaines thématiques se basent sur un très petit nombre d’articles comme c’est le cas pour la thématique de l’accueil de l’élève d’origine étrangère, la prise en compte, la mise en avant et l’analyse de cette thématique nous semblent cependant importante, car elle représente d’un point de vue qualitatif, un aspect singulier de notre problématique, une sorte de pièce de puzzle pouvant amener un éclairage nouveau.
16Ci-dessous se trouve un tableau où figurent les différentes thématiques que nous avons relevées lors de notre récolte de données180. Les intitulés que nous avons donnés dans chaque thématique en fonction de chaque période et que nous avons nommés les « sous-thèmes » tentent de témoigner des changements de représentations que nous avons observés au niveau de la transformation de certaines logiques et de celle du champ sémantique.
17Comme pour l’analyse des Mémoriaux du Grand Conseil genevois, nous nous sommes intéressés aux articles relatifs à l’économie, société et rôle de l’école. L’analyse des articles de cette thématique nous paraît fort utile pour cerner le contexte économique, politique et pédagogique de ces deux périodes, ces articles mettant en lumière les réflexions, débats et enjeux de ces deux périodes. Nous chercherons à voir quelle place l’élève d’origine étrangère occupe dans les articles s’inscrivant dans cette thématique.
18Les autres thématiques que nous avons relevées comme traversant le temps sont : l’accueil de l’élève d’origine étrangère, l’apprentissage des langues, les parents, les valeurs et idéaux, l’échec scolaire et les pédagogies, les présupposés culturalistes, les problèmes de comportement et la violence. Il sera ainsi de notre propos de montrer dans ce travail en quoi les articles de ces thématiques reflètent une « ethnicisation » de la question pédagogique.
19Les différentes thématiques que nous avons relevées se sont révélées être traversantes aux deux périodes étudiées. Dans cette partie, nous suivrons l’ordre de ces thématiques, analyserons les articles de chacune de ces deux périodes et les comparerons.
Tableau : Les thématiques et sous-thèmes
Thématiques observées concernant notre objet | Sous-thèmes Éducateur années 1970 - 1975 | Sous-thèmes Éducateur Années 2000 - 2005 |
Contexte Économie, société et rôle de l’école | Main-d’œuvre étrangère, économie de la Suisse | Critiques de la société, rôle de l’école et des enseignants |
Accueil de l’élève d’origine étrangère | Les enfants de travailleurs migrants | Accueil des élèves non-francophones |
Apprentissage des langues | L’apprentissage des langues (espéranto-allemand) | Bilinguisme, trilinguisme ou « multilinguisme » |
Les parents | Les parents à l’école | Le « métier » de parents |
Valeurs et idéaux | Respect, droits de l’homme et droits de l’enfant | Éducation interculturelle, développement durable et éducation à la citoyenneté |
Échec scolaire et pédagogies | Échecs scolaires et inadaptés; comment y remédier ? | Échec scolaire, milieux hétérogènes au service des élèves « différents », et pédagogies différenciées |
Réformes et pédagogies nouvelles | ||
Présupposés culturalistes | QI et préjugés raciaux | Racisme et débats sur le racisme |
Problèmes de comportement, violence | La discipline | Augmentation de la violence et des problèmes de comportement |
Des articles qui se réfèrent au contexte économique, sociétal et au rôle de l’école
20Dans le cadre de cette thématique relative au contexte structurel et conjoncturel, les articles des années 1970-1975 s’inquiètent, d’une part, de la politique suisse vis-à-vis de la main-d’œuvre étrangère et s’inscrivent, d’autre part, dans une vision de démocratisation des études et de réflexion sur l’école à venir. Dans les années 2000-2005, nous verrons qu’ils s’inscrivent plutôt dans une critique de la société, ainsi que dans un questionnement du rôle de l’école et de celui des enseignants.
21Voici, un tableau indiquant au lecteur le nombre d’articles qui ont été trouvés concernant cette thématique, le nombre d’articles cités et le nombre d’articles qui se réfèrent explicitement aux élèves d’origine étrangère181. Ces nombres sont là pour permettre au lecteur de se forger une idée en termes de proportions et peuvent être lus de manière comparative, mais comme nous l’avons souligné dans la partie méthodologique, ils ne constituent pas la base de l’analyse qui se veut essentiellement qualitative. Le lecteur trouvera ce tableau récapitulatif des nombres pour chaque thématique et pourra le visualiser aussi dans sa totalité en annexe.
Années 1970-1975
a) Main-d’œuvre étrangère et économie de la Suisse
22Le chômage et les difficultés économiques de la moitié des années 1970, dus notamment au choc pétrolier, se ressentent à la lecture des articles. Des articles témoignent effectivement d’une inquiétude quant à la politique migratoire du moment visant à stabiliser les effectifs des travailleurs étrangers et la crainte de voir bon nombre d’entreprises fermer leurs portes. On y trouve l’intention de valoriser la main-d’œuvre étrangère au vu de sa participation à l’essor économique de la Suisse.
23Ainsi, un article paru dans l’Éducateur n. 8 de 1970 s’intitulant « Nous et les étrangers… ou les étrangers et nous… » montre les questions posées sur le thème lors des examens pédagogiques des recrues. Les questions y portent principalement sur les avantages ou les inconvénients de la présence des étrangers en Suisse. Concernant le souhait de certains milieux de ramener la proportion des étrangers au 10 % de la population suisse, la réponse attendue devait se faire par la négative : « Non, interdépendance des activités économiques. Textiles, alimentation, bâtiment, hôtellerie, hôpitaux : tous les secteurs seraient touchés. Notre entreprise ne peut se faire hara-kiri » (p. 148).
24Un autre article parle aussi de l’importance de la main-d’œuvre étrangère en Suisse182. Pour l’auteur, l’essor économique de ces dernières années aurait été irréalisable sans le recours à des forces de travail extérieures. D’après l’auteur, en décidant, en 1964, de stabiliser les effectifs de travailleurs étrangers, le Conseil fédéral a fermé le marché du travail laissant la seule offre indigène l’alimenter dans la faible mesure de ses moyens. Il écrit que cette situation entraînera à brève échéance une crise dans l’économie suisse avec une menace de chômage et de dépression générale. Dans ce même état d’esprit, on s’inquiète encore dans un article des conséquences pour l’économie suisse au cas où la 3e initiative contre l’emprise étrangère serait acceptée183. Selon l’auteur de l’article, si, en l’espace de trois ans, environ 350’000 travailleurs étrangers devaient quitter la Suisse, il en résulterait une pénurie de main-d’œuvre qui engendrerait simultanément un important chômage structurel pour nombre de travailleurs suisses. Des entreprises devraient fermer leurs portes et l’ensemble de l’économie suisse en souffrirait : « Qui irait travailler dans les fonderies ou sur les chantiers ? » (p. 663).
25Suite à l’inflation et à l’inquiétude qui se fait sentir sur le plan économique, l’Éducateur propose en 1973 une nouvelle rubrique intitulée « Points de vue »184. Cette rubrique concerne les questions économiques ; les problématiques économiques y sont liées aux problématiques éducatives. L’Éducateur des années 1970-1975 ne semble pas indifférent à la situation économique de la Suisse. L’on pourrait relever aujourd’hui que les quelques articles parlant de la main-d’œuvre étrangère témoignaient plus d’une crainte vis-à-vis de problèmes économiques risquant d’intervenir suite à la diminution du nombre de travailleurs migrants que d’une critique vis-à-vis du traitement fait à cette population de travailleurs étrangers au nom d’un humanisme ou d’un droit à l’intégration. Ainsi, il semble que les pédagogues écrivant sur cette thématique ne raisonnaient pas en ces termes dans les années 1970-1975.
b) Démocratisation des études et perspectives de l’école
26La lutte pour la démocratisation des études se fait clairement percevoir dans l’Éducateur des années septante. De nombreux articles prônent l’égalité des chances et vont à l’encontre de la sélection scolaire.
27La référence aux classes sociales est très souvent utilisée pour dénoncer la reproduction sociale des inégalités de chance de réussite et la sélection scolaire en fonction des milieux. L’idée de lutte à ce niveau est bien présente : « La proportion d’enfants d’ouvriers dans nos universités est effrayante et profondément injuste. L’instituteur saura distinguer les vrais intelligents des faux. Les crétins riches et les génies pauvres »185.
28L’Éducateur a publié en 1970 un numéro spécial consacré à la thématique « L’éducation, un investissement rentable ? » abordée lors de la 17e Semaine pédagogique internationale186. Le compte rendu des conférences montre que la réponse à la question précitée est affirmative : « Depuis quelques années, on a compris que mettre de l’argent dans l’éducation, ce n’était pas faire un sacrifice mais bien réaliser un investissement à long terme » (p. 685). L’éducation est présentée comme le fondement même de toute civilisation et indispensable pour le développement économique de la Suisse : « La matière grise reste notre bien le plus précieux et, pour nous Suisses, la seule matière première dont nous puissions faire la prospection et l’exportation. Les pouvoirs publics sont conscients de cette réalité et s’emploient activement à sa promotion. Le branle-bas est général : il s’étend de l’école primaire à l’université » (p. 685). On y relève l’évidence des coûts indissociables de cette réforme, notamment les différents investissements qu’il faudrait effectuer pour les élèves étrangers, les effectifs de classes, l’école enfantine qui devrait être généralisée, les coûts qui résulteront des besoins liés à la technique, la construction et l’implantation de bâtiments scolaires, etc.
29Les articles de l’Éducateur montrent que l’importance de ces dépenses n’amenait pas de fortes oppositions, ceci étant certainement dû au contexte économique favorable et au besoin en personnel qualifié. Le mouvement semble ainsi plus fort que la problématique des coûts : « Parce que tout ce que nous avons vu n’a pas coûté plus cher que le traditionnel et parce que, de toute manière, l’absence d’argent ne justifie pas le refus de progresser, il n’est pas permis aujourd’hui de rester en dehors de ce grand mouvement d’innovation »187. On peut lire encore dans un autre article : « (…) l’éducation doit être considérée non seulement comme un droit de l’homme, mais encore comme un facteur essentiel du développement ; l’investissement dans l’éducation est donc un investissement pour la croissance » (p. 438)188.
30L’éducation est donc considérée comme un investissement rentable autant pour l’individu que pour la société. Dans l’optique de mettre encore en évidence cette vision de l’éducation, nous citons ci-dessous le passage d’un article qui met en avant la manière dont la FIAI (Fédération internationale des associations d’instituteurs) définit les buts de l’éducation189 :
« (…) l’éducation est finalement l’investissement le plus rentable à terme en matière de développement économique, mais aussi et surtout elle permet à l’homme de se réaliser pleinement, de devenir non seulement le producteur dont toute société a besoin, mais aussi le citoyen conscient d’une société libre et fraternelle à la réalisation de laquelle veulent travailler passionnément les enseignants du monde entier » (p. 943, n. 40, 1971).
31L’Éducateur n. 23 de 1971 met en avant un document présenté par un syndicat d’enseignants français concernant la question pédagogique : « Pour une conception nouvelle de l’école ». Il est proposé de proclamer solennellement que l’école moyenne soit une école obligatoire, gratuite et laïque et que l’on adjoigne à cette déclaration des mesures législatives garantissant ces traits (p. 532). Il est aussi écrit : « Nous devons nous défaire de l’habitude selon laquelle seuls les « bons » peuvent continuer » (p. 532).
32Cependant, assez rapidement et notamment suite aux travaux de Bourdieu et Passeron190, le constat se fait que la lutte pour la démocratisation des études ne semble pas effective malgré une élévation du niveau général de formation. L’Éducateur du 21.2.1975 publie les résultats d’une analyse statistique qui a mis en évidence les carrières scolaires inégales des enfants et les positions sociales inégales des pères191. Cette analyse avance que l’école stratifie par le mécanisme des orientations scolaires et par la sélection sociale qui lui est attachée : « L’école semble bien être, qu’elle le veuille ou non, un instrument participant étroitement à l’action de stratification qui pourrait même être, en dehors de la famille, l’instrument originel le plus efficace de la stratification sociale […] »192. Gonvers s’insurge cependant contre les constats de « certains sociologues » en écrivant : « Parce que la démocratisation effective de l’enseignement n’existe pas encore, faut-il la tenir pour impossible, comme nous inviteraient à le comprendre d’éminents sociologues ? » (p. 131, Éducateur p. 124). L’Éducateur a publié à la suite de cette analyse les réactions de personnalités de différents partis politiques. Pour un professeur au gymnase économique par exemple, l’élargissement de la formation n’est pas à réaliser par l’ouverture de l’université au plus grand nombre. L’encombrement de l’université provoque selon lui l’accroissement du coût de l’enseignement, l’abaissement des exigences, sans contribuer à combler la pénurie des cadres moyens (p. 129). On peut lire aussi : « L’enfant, dans la majorité des cas a une famille. Son milieu l’aura forcément conditionné. Non seulement son milieu, mais aussi ses chromosomes que personne ne pourra démocratiser » (p. 131). L’évidence d’une démocratisation ne semble plus être aussi logique pour tous. Pour certains le problème des coûts intervient, d’autres relèvent des causes personnelles relatives aux élèves, à leur « inaptitude » à faire des études longues pour causes innées (les chromosomes) ou acquises (le milieu).
33On commence à parler dans l’Éducateur des effets de la crise économique sur l’école ; suppression de postes, augmentation des effectifs, numerus clausus à l’Université, etc. Le 14e séminaire « Jeunesse et économie » a pour titre « La dépendance du système scolaire par rapport à l’économie ». Le problème des fonctions dévolues à l’école est en discussion : « cette dernière doit-elle préparer les jeunes au monde du travail sous la forme d’un certain bagage de connaissances ou doit-elle essentiellement contribuer à épanouir la personnalité des élèves, à éveiller leur lucidité et leur sens critique ? » (p. 759)193. Un certain malaise apparaît donc par rapport au rôle de l’école. On peut lire ainsi dans l’Éducateur (18.1.1974) des « slogans chocs » comme « L’école en question ! », « transformer l’école ou la supprimer ? », « mort de l’école ». Ces « slogans » annoncent un congrès qui aura lieu dans l’année dans l’optique justement de réfléchir sur les perspectives nouvelles à donner à l’école.
34La désillusion face aux difficultés à lutter efficacement contre la reproduction sociale et pour une égalité des chances entre tous les élèves se fait sentir. Selon Barblan194, l’ouverture du collège et de l’université aggrave les tares du système scolaire en durcissant la sélection et en justifiant jusqu’au numerus clausus. L’auteur de l’article écrit que, plus la base de recrutement s’élargit, plus l’élimination doit s’intensifier et l’accès aux études supérieures qu’on a voulu faciliter s’en trouve au contraire plus difficile (p. 338). De même, on peut lire : « Partout l’école à la fièvre, partout elle cherche sa voie. Rien qu’en France, en quelques années, trois grandes réformes ont passé sur l’école (Faure, Fontanet, Haby) sans que finalement elle s’en trouve ni réformée ni heureuse »195.
35Le compte-rendu des articles des années 1970-1975 concernant le contexte économique, sociétal et le rôle de l’école nous semble permettre d’avancer qu’ici la question de l’étranger n’est présente qu’au niveau professionnel et économique du travailleur (sans références à un quelconque statut de parent d’élève). Concernant l’école, son rôle et la volonté de démocratisation des études, les articles s’inscrivent à ce sujet autour de questions relatives aux classes sociales, celles de l’élève d’origine étrangère n’étant pas sources de préoccupations.
36Nous allons tenter à présent de comprendre comment les articles de l’Éducateur des années 2000-2005 approchent les questions contextuelles économiques, sociétales et relatives au monde scolaire et de voir s’ils reflètent l’existence d’une transformation par rapport aux années 1970-1975.
Années 2000-2005 : Critiques de la société, rôle de l’école et des enseignants
37Les articles de l’Éducateur des années 2000-2005 expriment de manière très explicite certaines critiques et réflexions qui se lisent à la fois comme :
un ressenti des pédagogues de l’Éducateur sous le poids des critiques et des attaques faites à l’école et aux enseignants ;
une critique de la part des pédagogues de l’Éducateur vis-à-vis d’une société de compétition, dont les principes relatifs au capitalisme visent à évacuer totalement les valeurs démocratiques de l’école de la « République ».
38Dans cette thématique, nous trouverons aussi un nombre conséquent d’articles débattant ou questionnant :
le rôle de l’école ;
le rôle des enseignants.
Critiques de l’école et de la société
39L’Éducateur des années 2000-2005 s’offusque des attaques constantes faites à l’école. Les articles témoignent ainsi de ce ressenti partagé par beaucoup d’enseignants ; celui d’une école constamment critiquée et attaquée : Un article d’Olivier Maulini paru dans l’Éducateur du 5/2005196, veut mettre en évidence la manière dont l’école est attaquée en citant Jacques Neirynck, député vaudois :
« (L’) école est dans le chaos. Pour arriver à ce résultat, il a fallu la collaboration de nombreux complices. (…) Il s’agit d’une secte dont le but était de mettre l’enseignement à la portée de toutes les intelligences, afin de lutter contre les privilèges des élites… » (p. 6)197.
40Plusieurs articles de l’Éducateur du 7/2005198 montrent à quel point l’école est attaquée. Ici, une diatribe contre les enseignants de Charles Poncet (avocat genevois) et publiée dans L’Hebdo, a suscité des réactions de la part d’enseignants qui ont écrit comme réponse « Les turlupinades de Me Poncet » et « Trop c’est trop ! » en signe de réaction. Les propos de Charles Poncet vis-à-vis des enseignants sont cités dans le premier article : « soixante-huitards », « laxistes », « paresseux », « cuistres », « renégats », « ronds-de-cuir » (p. 16).
41Comme un certain nombre d’articles en attestent, ces critiques et les exigences toujours plus fortes vis-à-vis du métier, affectent les enseignants qui seraient sujets à une grande fatigue, au stress ou au désir de quitter le métier199.
42Le résultat des élèves genevois aux évaluations internationales de PISA s’inscrit comme objet de critique et de remise en cause de l’école et contribue à cette tendance critique200. Pour défendre les « collègues genevois » par rapport aux résultats PISA 2003 et aux critiques faites sur l’école genevoise, Vuillaume, du canton de Neuchâtel félicite Genève pour ces performances scolaires tout à fait honorables vu le contexte difficile auquel les enseignants doivent faire face201 :
« (…) des classes bourrées d’enfants étrangers202, une école publique flinguée jour et nuit, même le dimanche, par un parti trop radical sur ce coup-là, avec un prof de philo barbu passéiste, et par un parti trop libéral ici aussi, avec un avocaillon désespérant et malhonnête ; des conditions de travail de plus en plus difficiles ; une école primaire en mutation permanente mais qui ne fait que s’améliorer ; un cycle à renforcer et parfois réaménager ; des enseignants en première ligne dans le canton qui connaît le taux de chômage le plus élevé de Suisse ; des violences scolaires de plus en plus fréquentes ; des réformes qui s’enchaînent et qui déchaînent des passions quelquefois régressives » (p. 52).
43Des articles de l’Éducateur se rebiffent contre ces attaques faites à l’école et s’investissent – à leur tour – d’une mission de critique ; critique envers une société où l’économie et la compétition priment sur les valeurs démocratiques.
44Dans un article de l’Éducateur du 12/2002, nous pouvons lire une première analyse des résultats de l’étude OCDE-PISA effectuée par Hutmacher. D’après le sociologue, cette étude s’inscrit dans cet esprit de compétition. Le sociologue remarque que les gouvernements de nombreux pays ont rapidement trouvé une légitimité pour agir de concert à cette entreprise d’évaluation internationale et qu’ils ont consenti d’y investir les ressources nécessaires. Il y voit un signe de plus du changement des politiques éducatives qui est en cours. Ces politiques s’inscrivent, d’après lui, assez réalistement dans la perspective de la compétition internationale en matière de connaissances et de compétences socialement et économiquement utiles (p. 7). Même si, pour Hutmacher, le but de PISA n’est pas de mettre l’école en procès, ce pourrait bien être un de ses effets (p. 8)203.
45La crainte qui est souvent affichée dans les articles concerne particulièrement l’influence d’une politique néo-libérale sur l’école ; la forçant à devenir productive au même titre que les entreprises. Dans un article de l’Éducateur, Rouiller craint une prolétarisation de l’enseignement, vu ce contexte204 :
« Pour notre économie capitaliste, ancrée dans une société habitée d’une politique néolibérale, l’école doit être productive au même titre que les entreprises. Une utilisation autoritaire et normative d’évaluations externes de la qualité de l’enseignement risque fort de conduire à une prolétarisation de l’enseignement, donc des enseignants » (p. 29).
46Ainsi, les partisans de l’école démocratique craignent de voir un remplacement progressif et irréfléchi de la dimension humaniste et civique de l’école par la seule dimension économique. On peut lire ainsi dans un article un propos ironique qui reflète bien cette crainte : « Et pour cela n’ayons pas peur de parier sur l’idéal des Lumières pour qu’homo sapiens ne devienne pas uniquement “homo economicus” » (p. 11)205.
47Dans le « billet de la présidente du SER (syndicat des enseignants romands) », Tabin s’inquiète de l’intérêt croissant pour les écoles privées et des demandes de ces écoles d’être financées par l’État. Cette tendance ne correspond pas, d’après elle, à un esprit de solidarité, les riches pouvant se permettre d’investir dans les écoles privées, ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui devront « se saigner aux quatre veines » (p. 17). Un dessin de Giroud montre, dans cet article, l’école privée comme étant uniquement à portée du « porte-monnaie » des Suisses. Le dessin montre une école avec un portail fermé et un écriteau sur lequel est écrit «Swiss only». Un jeune homme de peau noire est à l’extérieur et lit l’écriteau206.
48Eigenmann-Franc relève un paradoxe au niveau de la politique d’intégration des élèves d’origine étrangère207. Le paradoxe décrit est celui de promouvoir l’intégration pendant la période de l’école obligatoire pour lâcher ensuite les élèves dans une société élitaire et ségrégationniste. Pour l’auteur de cet article, alors que le milieu scolaire prend de plus en plus conscience du droit à la différence et de la place de l’altérité dans l’école primaire, ces élèves « intégrés ou en difficulté chronique », ont souvent un avenir limité à des ateliers protégés ou au chômage et à la marginalisation faute d’avoir pu trouver une place d’apprentissage ou une formation pratique dans un centre spécialisé. Pour lui, il est important de trouver des solutions aux niveaux professionnel, associatif et politique pour améliorer la situation actuelle de ces élèves et celle qui les attend à l’issue de leur scolarité. On peut lire dans un autre article : « Un non catégorique au prêt-à-penser dénigrant pour notre société » où l’auteur se refuse à ce que « […] 20 % de jeunes Suisses quittent l’école obligatoire sans avoir acquis les savoirs et les compétences qui leur permettent d’accéder à la citoyenneté et de leur ouvrir les portes d’emplois qualifiés »208. Pour contrer cet état de fait et cette tendance à la marginalisation, une nouvelle association « Former sans exclure » a été créée le 24 mai 2005. L’Éducateur du 7/2005209, fait part de la création de cette association, qui s’est constituée sur la base d’un manifeste dont le texte affirme l’importance de se donner les moyens de garantir une culture de base pour tous les élèves, d’affirmer l’éducabilité de tous et d’exclure l’exclusion sous toutes ses formes.
Rôle de l’école et des enseignants
49Les critiques d’une société élitaire et ségrégationniste, s’accompagnent de nombreux articles où les pédagogues écrivent sur le rôle de l’école.
50Meirieu établit trois principes qu’il souhaite inscrire dans la construction d’un « pacte éducatif » entre les différents partenaires. Il parle d’une conception commune du « bien commun éducatif » d’une véritable institution capable d’articuler intérêts particuliers et intérêt général210. Les trois principes proposés sont : 1) « L’École doit être publique », 2) « L’École doit être un service public » et 3) « L’École est une institution dont la définition des missions et des moyens doit être du ressort de la représentation nationale ». Pour Meirieu, l’éducation est un enjeu de société, l’enjeu citoyen par excellence. Dans « Éloge du « pédagogisme » », ce chercheur veut rappeler que l’égalité n’est pas l’uniformité, mais que l’égalité devant l’instruction et l’accès de tous aux fondamentaux de la citoyenneté sont consubstantiels au projet démocratique et que l’égalité d’accès à ce que « nul ne doit ignorer » n’interdit nullement, bien au contraire, l’accès de chacun à l’excellence dans un domaine qu’on lui aura fait découvrir et qu’il aurait choisi211.
51Des Assises romandes de l’éducation sur les questions de justice, d’équité, de démocratie et d’égalité à l’école ont eu lieu en septembre 2004. Les discours des intervenants ont fait l’objet du dossier du numéro 12 de l’Éducateur (2004). De plus, L’Éducateur du 5/2005 a publié un dossier sur l’éthique. Un article de ce dossier a pour titre : « Quelle justice dans la classe ? ». Il veut montrer que la question de justice à l’école connaît un regain d’actualité vu l’importance donnée aux formations proposées par les cursus scolaires, formations qui « doivent offrir des garanties élevées de rentabilité ». Il s’interroge sur les manières de combattre les inégalités face à la réussite quand les inégalités sont de plus en plus marquées. L’école doit aussi éduquer les jeunes et leur apprendre à refuser le prêt à penser de certaines catégories de groupements ou de personnages. Enfin, l’école doit dire non aux ghettos des élèves de la migration212.
52Dans le dossier « La Terre ne tourne pas rond… Au secours l’école ! », Meyer-Bisch définit la mission de l’école213. Cette dernière serait pour lui d’une part l’enseignement et d’autre part la promotion de l’éthique de la démocratie. L’enseignement se trouverait pour lui entre l’instruction (simple transmission d’un savoir) et l’éducation (dont l’objectif serait la modification des perceptions de la conscience et des comportements) et l’école aurait pour mission de promouvoir l’éthique de la démocratie en contribuant à une « démocratisation » de la société par un enseignement des libertés et des responsabilités214 : « S’il n’est pas question d’imposer une morale particulière, il est essentiel d’enseigner l’universel de la morale : le respect des droits fondamentaux » (p. 21). Dans l’article « Quelle école demain ? », c’est l’apprentissage de la démocratie qui devrait être l’objectif principal de l’école, et les savoirs transversaux devraient servir à l’apprentissage des valeurs démocratiques215. De même, Perrenoud216, cité par Rouiller217, définit deux enjeux majeurs de l’école. Le premier serait le développement de la solidarité et du respect d’autrui, et le second la construction d’outils pour rendre le monde intelligible et aider à la compréhension des causes et conséquences de l’action, tant individuelle que collective.
53L’enseignement, selon les concepts du développement durable et de l’éducation à la citoyenneté, semble bien éloigné des représentations habituelles de l’enseignement par disciplines et des types d’évaluations généralement crédités. D’après Theytaz, les enseignants se trouveraient aujourd’hui entre des demandes contradictoires : former des jeunes pour un monde plus harmonieux ou sélectionner les meilleurs pour répondre aux besoins de l’économie218.
54L’Éducateur du 11/2003 fait part du fait qu’en 1997 tous les abonnés de la revue avaient reçu un code de déontologie des enseignantes et des enseignants (modifié en 2003)219. Ce code de déontologie se justifie à leurs yeux par le fait que la présence d’un code éthique est devenue indispensable, l’école éprouvant aujourd’hui de la difficulté à se situer dans une société se préoccupant plus des succès économiques que du bien-être du genre humain.
55Suite à une enquête portant sur les rôles des enseignants220, ces derniers ont défini un certain nombre de rôles qui ont été catégorisés ainsi : sur 41 enseignants interrogés, 41 disent que leur rôle est tout d’abord d’» Accueillir et de respecter l’élève », viennent ensuite comme rôles (dans l’ordre décroissant) : « Faire preuve d’autorité ; discipline » (pour 28 enseignants : N = 28), « Instruire, transmettre un savoir » (N = 28), « Collaborer, travailler en équipe » (N = 25), « Etre médiateur entre famille et école » (N = 22), « Socialiser » (N = 20), « Éduquer » (N = 20), « Motiver les élèves, s’adapter, différencier » (N = 17), « Évaluer, observer » (N = 16), « Organiser, gérer la classe » (N = 14), « Faire des travaux administratifs » (N = 14), « Responsabiliser, rendre autonome » (N = 10), « Animer, guider » (N = 8), « Être psychologue ou parent » (N = 6), « Travailler sur soi, se former » (N = 5), « Autres » (N = 19). Nous pouvons voir ici la diversité des rôles que les enseignants s’attribuent.
56Entre les difficultés des enseignants à aider les élèves en difficulté et à les transformer en « bons élèves » et les exigences très fortes aujourd’hui, notamment en raison de la concurrence face à l’emploi et devant les classements internationaux effectués par l’étude OCDE-PISA, le dossier de l’Éducateur du 7/2002 est intitulé « Enseignant… mission impossible ? ».
Comparaison 1970-1975/2000-2005 sur le thème « Économie, société et rôle de l’école »
57Les articles des années 2000-2005 concernant le contexte économique, social ainsi que le rôle de l’école s’inscrivent ainsi, comme nous avons pu le voir, dans une atmosphère de critiques et de remises en question. Ces articles montrent un changement radical de contexte entre les deux périodes étudiées. On ne se trouve plus aujourd’hui dans un contexte de lutte optimiste pour un idéal d’égalité des chances comme au début des années 1970 mais on ressent fortement au travers des articles une désillusion par rapport à un monde où l’économie domine, nuisant à cette volonté de démocratisation. Alors qu’elle était au cœur des réflexions sur la démocratisation des études des années 1970-1975, la lutte contre les inégalités sociales n’est plus centrale aujourd’hui, elle est même quasiment évacuée des articles des années 2000-2005. Au contraire, comme nous avons pu le percevoir à la lecture du contexte des années 2000-2005, certains articles font référence à l’élève d’origine étrangère, notamment en s’insurgeant contre le fait qu’il se trouve souvent être le laissé-pour-compte de la société, cette dernière ayant tendance à l’exclure de plus en plus.
58Après avoir mis en lumière le contexte de ces deux périodes vu au travers des réflexions de pédagogues, nous allons étudier les discours concernant l’accueil des élèves d’origine étrangère et tenter d’en relever les transformations.
La question de l’accueil de l’élève d’origine étrangère
Années 1970-1975 : Les enfants de travailleurs migrants
59Les enfants que nous appelons aujourd’hui enfants d’origine étrangère sont souvent appelés durant les années 1970-1975 ; les « enfants de travailleurs migrants ». Nous avons trouvé peu d’articles traitant directement de ces enfants. Ils concernent la mise en place d’appui pour ces élèves, ainsi que la présentation des recommandations adoptées par la CDIP (Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique) relatives à la scolarisation des enfants de travailleurs migrants.
60Une commission d’inspecteurs a été créée pour réfléchir à la demande de la Société pédagogique genevoise d’organiser deux classes d’accueil pour la rentrée de septembre 1970221. L’article explique que cette commission s’est montrée plutôt défavorable à la proposition, au vu du fait que les enfants incorporés dans une classe ordinaire semblent apprendre plus vite que dans une classe d’accueil. S’appuyant sur une expérience faite au Lignon, ils proposent néanmoins une autre formule : laisser les enfants dans les classes ordinaires et leur donner un appui pendant les heures scolaires222. Cet article fait part aussi d’une enquête qui a permis de constater que les élèves de l’école enfantine s’assimilent très vite : « les notes de lecture pour le passage en deuxième année primaire montrent bien qu’il y a très peu de différence entre les étrangers et les enfants de langue française » (p. 303). L’auteur de l’article précise cependant que la situation serait moins favorable au niveau de l’école primaire. Les délégués de la commission soulignent encore qu’il ne faut pas qu’il y ait cumul de cours du Département et du consulat d’Italie sur l’horaire scolaire, qu’un matériel audio-visuel serait souhaitable. Ils demandent que soient revues l’évaluation du niveau scolaire des élèves nouveaux, ainsi que les modalités de l’accueil par le maître principal. (p. 304).
61On fait part, dans l’Éducateur n. 38 de 1971, de l’optique du Conseil de l’Europe de trouver les moyens d’» assurer des chances égales d’éducation à tous les enfants européens, quelle que soit leur origine sociale ou culturelle » (p. 905). On y lit que les experts étudieront en particulier l’éducation des enfants de travailleurs migrants, celle des enfants handicapés – et entre autres la question de savoir si l’enfant inadapté doit être intégré dans le milieu préscolaire ou scolaire normal, ou s’il y a lieu de le confier à des institutions spécialisées (p. 905).
62L’Éducateur n. 3 de 1973, comporte un article sur des principes relatifs à la scolarisation des enfants de travailleurs migrants établis lors de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique de 1972. Elle recommande notamment de faciliter l’entrée dans les écoles publiques par des mesures appropriées (classes d’accueil, cours de langue, etc.) et de favoriser des études surveillées et des activités extrascolaires223. De même, dans l’Éducateur du 24.1.1975 se trouve encore un article mettant en avant les trois recommandations adoptées par la CDIP (Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique) concernant la scolarisation des enfants de travailleurs migrants qui complètent les principes adoptés le 2 novembre 1972.
Années 2000-2005 : Accueil des élèves non-francophones
63Nous avons trouvé très peu d’articles dans l’Éducateur des années 2000 concernant l’accueil des élèves non-francophones « fraîchement » arrivés en Suisse. De même, les structures d’accueil (STACCS) ne sont pas directement l’objet d’articles dans les années étudiées.
64Nous allons ci-dessous faire succinctement part des trois articles que nous avons trouvés sur la question de l’accueil des élèves non francophones primo-arrivants.
65Le premier article relatif à cette question est celui, présenté dans l’Éducateur du 11/2002 à l’occasion de la journée romande sur l’intégration de l’année 2002224, concernant l’intégration des enfants nouvellement arrivés. Leur intégration est présentée comme étant une valse à trois temps ; à savoir les antécédents, l’accueil et l’intégration des élèves. Pour l’auteur de cet article, la classe d’accueil est la classe d’un temps, elle ne doit pas devenir le ghetto des venus d’ailleurs (p. 37). D’après lui, l’intégration est riche car : « (…) chaque nouvel arrivant débarque de sa planète avec sa caractéristique de " rose unique au monde " que nous apprivoisons lentement avec nos propres couleurs » (p. 37).
66Le second article s’interroge sur le devenir d’anciens élèves de classes d’accueil qui sont retournés dans leur pays d’origine225. L’auteur a cherché à savoir ce que certains d’entre eux sont devenus.
67Deprez observe dans un troisième article que l’école doit composer avec l’arrivée d’un nombre toujours plus grand d ‘ enfants d’origine étrangère de provenance de plus en plus variées et de langues parlées différentes de plus en plus nombreuses226 :
« Les enfants étrangers ou d’origine étrangère arrivent de plus en plus nombreux dans nos classes. Et la mobilité professionnelle et familiale, qui accompagne la fameuse « mondialisation », développera probablement ce phénomène dans les années à venir »227.
68Pour l’auteure de cet article, l’altérité culturelle, religieuse et linguistique transforme profondément la classe et les pratiques pédagogiques des maîtres, ainsi que les relations entre l’école et les parents. L’auteure relève le fait que de nos jours l’enseignant ne connaît plus les familles comme autrefois lorsqu’il vivait dans le même village que ses élèves. L’auteure de l’article considère qu’aujourd’hui en raison notamment de la diversité culturelle, l’enseignant devrait apprendre à mieux connaître ses élèves ; s’interroger sur qui ils sont, d’où ils viennent, qu’elles langues ils parlent etc. (p. 31)
Comparaison 1970-1975/2000-2005 sur le thème accueil de l’élève d’origine étrangère
69Si l’on compare les articles des deux périodes concernant l’accueil de l’élève d’origine étrangère, on observe que le nombre d’articles est quasiment identique. Cependant, au niveau « qualitatif », on peut relever une transformation entre ces deux périodes : alors que dans les années 1970-1975 on se trouvait dans une optique de mise en place de structures et de recommandations vis-à-vis des enfants de travailleurs migrants, dans les années 2000-2005, les articles observent plutôt l’avènement d’une nouvelle réalité ; le nombre d’enfants étrangers dans les classes, ainsi que les transformations induites par cette dernière au niveau de la classe, du travail du maître et des relations entre l’école et les parents. Il semble ainsi que l’élève d’origine étrangère ne soit plus un cas nouveau dont l’école doit commencer à tenir compte, mais qu’il est devenu omniprésent au point de transformer toute la question pédagogique.
L’apprentissage des langues
Années 1970-1975 : L’apprentissage des langues (espéranto-allemand)
70La grande capacité d’apprentissage des jeunes enfants étant constatée, des pédagogues proposent d’introduire à l’école primaire l’étude d’une langue étrangère. Bien qu’il semble « évident » pour un grand nombre que cette langue devrait être l’allemand, certains prônent l’espéranto.
71Ainsi, nous pouvons lire dans l’Éducateur n. 40 de 1970 que l’apprentissage d’une deuxième langue dès les premières années d’école est proposé en raison de la bonne mémoire des jeunes enfants et de leur pouvoir d’acquisition étonnant. L’auteur montre comment l’introduction d’une deuxième langue fait l’objet de réflexions dans plusieurs cantons depuis passablement de temps. Il souhaite que l’on se mette vite d’accord sur une méthode à employer et se réjouit qu’un enseignement des langues puisse améliorer la compréhension nécessaire entre tous les citoyens de notre pays228. Dans le plan de travail pour l’année 1972, les directeurs cantonaux de l’instruction publique établissent une recommandation visant à fixer le début de l’enseignement d’une première langue étrangère au même degré scolaire pour chacune des régions linguistiques (p. 18, n. 1, 1972).
72L’Éducateur publie parfois des articles présentant l’espéranto. L’un d’entre eux s’intitule « Et pourquoi pas l’espéranto ? » (n. 11, 1973). L’auteur de l’article229 propose l’apprentissage à l’école de l’espéranto. Il considère que cette langue internationale devrait être enseignée dans les écoles suisses comme elle l’est dans une douzaine de pays. Il craint que la Suisse ne doive un jour payer cher son désintérêt pour la question et qu’elle doive regretter l’absence de personnes aptes à enseigner cette langue lorsque cela sera nécessaire :
« Si l’école cherchait l’efficacité, il y a longtemps que l’espéranto aurait sa place dans les programmes scolaires. Bien mieux que la symbolique Galichet230, il aiderait les élèves à voir clair. Puis tout en enseignant la rédaction, il apporterait un second parler que l’on peut pratiquer à l’échelle du monde. Ensuite il faciliterait l’enseignement des autres langues »231.
73À part l’introduction d’une seconde langue à l’école primaire et les articles concernant l’espéranto, l’Éducateur des années 1970-1975 publie une information concernant les cours d’italien232 et fait part de résultats d’études récentes qui insistent sur l’intérêt de donner le plus tôt possible aux enfants, soit ici à la crèche, la possibilité d’acquérir les langues étrangères :
« Cette initiation est confiée à des jardinières d’enfants allemandes, anglaises ou d’une autre nationalité, qui proposent aux enfants, dans leur langue, les activités classiques de l’école maternelle, de la façon la plus naturelle qui soit, sans aucune traduction et sans effort d’explication systématique. Ce contact est d’environ deux heures par jour, à l’école maternelle (un tiers de l’horaire scolaire) » (p. 39, n. 2, 1972).
Années 2000-2005 : Bilinguisme, trilinguisme ou « multilinguisme » ?
74Les articles de l’Éducateur des années 2000-2005 traitant de la question des langues à l’école témoignent de l’existence d’un désaccord entre les tenants du bilinguisme, voire du trilinguisme et les tenants du « multilinguisme ». Les articles repérés dans la revue ne proviennent cependant pas de la plume des tenants du bilinguisme ou du trilinguisme. En effet, ils s’opposent à l’apprentissage de langues étrangères (l’allemand et/ou l’anglais) à l’école primaire et/ou défendent une approche multilinguiste. Cette approche amène les élèves à observer les diverses langues parlées dans la classe et à faire des activités sur ces dernières sans pour autant apprendre une langue particulière.
75Dans un article intitulé « Le multilinguisme suisse, victime de superstitions mercantiles », Polli s’insurge contre la proposition de la CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique) à savoir l’introduction de l’anglais et de l’allemand à l’école primaire233. Cette solution n’est d’après lui ni satisfaisante au plan politique ni réaliste pédagogiquement. Avec 75 000 anglophones, il n’y a pas en Suisse de terreau pour une pratique courante de l’anglais, alors qu’il y en aurait une pour une sensibilisation à l’italien parlé par 471’000 habitants répandus dans toute la Suisse : « Si le multilinguisme helvétique est une priorité stratégique, il faudra bien que la Confédération l’assume clairement, et rappelle à l’ordre ceux qui ne voient notre avenir qu’au Texas et qui oublient un peu trop facilement que l’italien est non seulement une langue nationale, mais une langue importante de la culture européenne » (p. 4). Pour l’auteur de cet article, l’enseignement de l’anglais a sa place, mais ni avant, ni au détriment des langues nationales, ni comme langue identitaire des Suisses.
76Dans le dossier « Les langues à l’école : une question politique »234, on s’intéresse au débat controversé sur l’enseignement des langues en Suisse qui a mené à l’institution d’une nouvelle loi sur les langues. On y parle de soutenir les cantons plurilingues dans leurs tâches particulières, on réfléchit sur les langues nationales et la compréhension entre communautés linguistiques et on prévoit un soutien linguistique dans leur propre langue aux enfants de langue étrangère. Forster, auteure de ce dossier de l’Éducateur, interrogea à ce sujet Andreas Iten (président du Groupe de travail paritaire de la Confédération et des cantons pour la préparation de la loi sur les langues (PAS)). Elle voulait savoir si la Confédération allait pouvoir financer la mise en œuvre par les cantons de cette disposition et si des hiérarchies ne risquaient pas d’être instaurées entre les langues des élèves dans la mesure où certaines d’entre elles ne pourraient pas être enseignées comme les langues africaines ou l’arabe dialectal. Andreas Iten répondit que c’était un défi à relever, qu’il y a des liens entre les capacités des enfants dans leur propre langue et la maîtrise d’une nouvelle langue. C’est pour cela qu’il considère qu’il serait souhaitable d’approfondir l’acquisition de la langue d’origine. Il fait référence à l’étude PISA qui établit que les familles immigrées éprouvent de nombreuses difficultés et que leurs enfants n’ont pas les bonnes clés pour leur scolarité. Pour combattre cela, l’interviewé préconise l’inscription de cette question dans la loi.
77Perrenoud s’oppose, dans un article intitulé « Trois pour deux : langues étrangères, scolarisation et pensée magique »235, à l’ajout d’un apprentissage de l’anglais à l’école. Pour lui, les classes moyennes attendent cela des écoles publiques car elles veulent donner le maximum de chances à leurs enfants dans un contexte de « mondialisation ». Cependant, cette nouvelle exigence pénaliserait encore plus les enfants des classes populaires. Perrenoud s’interroge donc sur les raisons d’une suprématie de l’anglais sur d’autres domaines qui pourraient avoir leur place dans l’horaire scolaire tels que la pédagogie différenciée, l’égalité des sexes, l’éducation à la citoyenneté, au pluralisme, etc.
78L’Éducateur a édité en mars 2005 un numéro spécial nommé « Apprendre les langues ». Cette question et le choix de la (ou des) langue (s) à enseigner soulève toujours des débats passionnés. L’allemand ou l’anglais ? L’anglais ou l’italien ? Combien de langues apprendre ? Comment les enseigner ? Pour Georges Pasquier, rédacteur en chef de l’Éducateur, l’école doit revoir sérieusement ses ambitions face à l’enseignement des langues, l’étude d’une langue au travers d’une branche scolaire ayant montré ses limites : « On n’apprend pas une langue à l’école, mais on y forge les individus, pour qu’ils se développent harmonieusement, deviennent maîtres de leurs apprentissages, se forment à communiquer, à réfléchir, quelles que soient leurs langues » (p. 1).
79Pour Perregaux, la question n’est pas de savoir quelle langue enseigner mais de tenir compte de la grande diversité des langues parlées par les élèves en Suisse. Elle soulève l’importance de mieux comprendre comment se passe l’apprentissage de la lecture/écriture chez les élèves allophones afin d’enseigner plus efficacement et d’être moins démuni face à des élèves bilingues ou apprentis bilingues montrant une certaine résistance236. L’auteure de l’article précise que cette problématique concerne aujourd’hui suffisamment d’élèves pour que l’institution scolaire s’en préoccupe plus sérieusement qu’auparavant (p. 35). Elle pose plusieurs questions sur la façon dont se construit l’apprentissage d’une nouvelle langue par les élèves allophones. Elle se demande par exemple si la proximité linguistique de la langue familiale des élèves avec le français joue un rôle dans l’apprentissage. Elle précise en outre que l’apprentissage ne se fait pas de manière égale pour tous les élèves allophones, le projet migratoire de la famille, la séparation due à ce projet, le milieu socioculturel, l’âge d’entrée à l’école, le type de permis obtenu par la famille, le manque de permis, la valeur donnée par l’école et la famille aux langues de l’élève, ayant tous une influence sur la réussite scolaire de ces élèves (p. 36). Dans ce même article, Perregaux défend l’idée d’une école plurilingue qui permette aux élèves d’utiliser leurs ressources langagières et d’opérer un passage d’une langue à l’autre en s’appuyant sur leur-s langue-s de référence, sur leur biographie linguistique. Elle cite à ce propos les approches didactiques « Éducation et ouverture aux langues à l’école » (EOLE) pour proposer une perspective plurilingue dans le curriculum et définit l’objectif de ces approches comme étant de favoriser l’ouverture de tous les élèves au plurilinguisme pour qu’ils s’approprient une culture langagière indispensable à notre époque (p. 37).
80De même, sous ce titre provocateur « Le dehors est arrivé chez nous »237, Pasquier critique les limites d’un débat concernant l’enseignement bilingue. Il le considère comme dépassé ; le multiculturalisme, l’immigration, les brassages et métissages étant devenus selon lui la réalité quotidienne et définitive. Pour lui, il faudrait maintenant parler de multilinguisme, et en cela il fait référence aux programmes européen « Evlang » (Eveil aux langues à l’école primaire) et annonce la décision de la commission romande des moyens d’enseignement (COROME) de prévoir des moyens d’enseignement dans cette optique. Pasquier fait référence aux limites d’un apprentissage très scolaire de la langue, à la dimension universelle que ces moyens d’enseignement pourraient apporter au français, à la possibilité de permettre à chaque enfant de construire une culture langagière importante et multiple, et à la nécessité de légitimer tous les élèves qui composent l’école en orientant les activités de classe sur ce qui fait la réalité de tous : le métissage culturel et linguistique. Pour ce même auteur, le français ne peut plus être défini comme langue maternelle, mais comme langue locale : « Un enfant qui est reconnu comme tel avec ses particularités culturelles et langagières est plus à l’aise dans ses apprentissages et plus enclin à engager avec les enseignants ou avec ses pairs des relations constructives »238.
Comparaison 1970-1975/2000-2005 sur le thème apprentissage des langues
81L’analyse des articles de ces deux périodes montre une double transformation vis-à-vis des préoccupations des pédagogues par rapport à la question de l’apprentissage des langues.
82Tout d’abord, dans les années 1970-1975, on était dans les articles assez favorable à l’introduction de l’allemand à l’école primaire. En 2000-2005, l’allemand fait partie du programme scolaire de l’école primaire, mais il est alors en discussion (au niveau politique et pédagogique) d’introduire une troisième langue à l’école ; à savoir l’anglais. La différence par rapport aux articles de 1970-1975, se situe dans le fait que ceux des années 2000-2005 ne soutiennent pas du tout l’idée d’introduire une langue supplémentaire, ils s’insurgent clairement contre cette volonté de promouvoir l’apprentissage de l’anglais. L’espéranto qui tenait une place régulière dans les articles de 1970-1975 a complètement disparu aujourd’hui. On dirait que l’espéranto a été remplacé par l’anglais celui-ci jouant le rôle attribué à l’espéranto auparavant ; à savoir l’idée de développer un parler à l’échelle du monde afin de répondre à un intérêt d’ordre économique.
83La nouveauté dans cette thématique est l’avènement de la question du multilinguisme, question très présente dans les articles des années 2000-2005. On considère que l’enseignement bilingue ou trilingue est dépassé au vu du multiculturalisme des classes et l’on propose plutôt de mettre en avant les nombreuses langues des élèves au moyen de nouveaux programmes tels que Evlang (Eveil aux langues à l’école primaire) ou Éole (École ouverte aux langues), programmes visant entre autre à découvrir différents systèmes langagiers et non à apprendre une langue particulière.
84La comparaison des articles de ces deux périodes témoigne, comme nous venons de le voir, d’une transformation radicale des préoccupations des auteurs de l’Éducateur par rapport à l’apprentissage des langues, préoccupations liées explicitement à la nouvelle prise en compte des élèves d’origine étrangère.
Le rôle des parents
Années 1970-1975 : Les parents à l’école
85La lecture des articles de l’Éducateur, montre que les années 1970 voient l’école « ouvrir ses portes » aux parents ; les relations parents/école deviennent « indispensables » (8.3.1974), les associations de parents sont de plus en plus nombreuses239, et l’on parle d’école ouverte aux parents240.
86L’Éducateur salue la naissance d’associations de parents d’élèves. Cette naissance s’inscrit dans une période où l’école intéresse beaucoup : « Aujourd’hui que le branle des réformes est donné, que les autorités proclament leur volonté de rénovation, que les mass média font recette en mettant l’école en vedette, les parents failliraient à leur tâche en restant confinés à leurs problèmes personnels »241. L’organisation des parents est donc considérée comme indispensable afin de dégager une « opinion nette et suffisamment représentative » de la famille. L’auteur de l’article précise que la représentativité des familles ne sera vraiment effective que lorsqu’elle s’étendra aussi aux parents des enfants étrangers, qui constitueront bientôt le quart de la population enfantine.
87L’école des parents s’organise aussi à cette même époque ; elle dit avoir pour but notamment d’aider, d’informer, de conseiller les parents pour leur permettre de mieux assumer leur tâche éducative242, de regrouper les organismes locaux ou régionaux, parents et éducateurs, intéressés aux notions de psychologie et de pédagogie familiales243.
88Ainsi, les articles des années 1970-1975 témoignent de la nouvelle importance que les pédagogues attribuent aux relations parents, école et de l’ouverture des portes de l’école aux parents, qui se traduit notamment par la naissance d’associations de parents d’élèves. À part une référence aux parents migrants dans un article, aucune autre référence n’est faite concernant des liens à mettre en place entre l’école et les parents d’origine étrangère. Ces derniers ne semblaient pas représenter pour les pédagogues une population particulière pour laquelle il faudrait développer spécifiquement des relations.
Années 2000-2005 : Le « métier » de parents
89Un article parle d’une expérience faite à Lausanne où les femmes immigrées vont suivre un cours de français une fois par semaine dans l’école de leur enfant et sur le temps des classes244. Les objectifs sont présentés comme étant avant tout « l’alphabétisation de la population vaudoise d’origine étrangère » qui vit dans une situation de précarité, souvent dans des « quartiers de migrants » où le climat social n’est guère favorable à l’intégration. Ce choix d’» aller vers elles » et de leur permettre de faire un apprentissage dans l’école de leur enfant part de l’observation que ces personnes ne fréquentent que rarement les salles de cours mises à disposition par l’association. Après les cours d’alphabétisation de base, ces femmes apprennent à lire et à remplir des formulaires, à téléphoner à un enseignant pour demander un renseignement, à écrire une excuse simple, à connaître les règles de la classe, de l’école etc. De même, l’organisation scolaire, les filières etc. leur seront expliquées.
90À part cet article que nous venons de résumer, nous n’avons pas trouvé d’autres articles concernant directement l’accueil des parents non francophones. Par contre, ce sont les questions plus générales de la participation à la vie scolaire de leur (s) enfant (s) et des parents migrants dans leur ensemble qui semble retenir l’attention.
91Dans ce sens, Montoya Romani, psychopédagogue et sociologue, propose dans un article de promouvoir par une formation les compétences des parents migrants afin de potentialiser, de relancer et de revaloriser le rôle qu’ils devraient jouer dans le soutien scolaire de leurs enfants à la maison245. Il raconte une expérience où parents migrants et enseignants ont participé à une formation en « éducation cognitive interculturelle pour des parents migrants en quête de leurs propres compétences ». L’objectif présenté est d’aider ces parents – perdus dans un système social et scolaire complexe – souvent issus d’une classe socioculturelle plutôt défavorisée et démunis sur le plan linguistique à devenir compétents et impliqués dans leur métier de parents. Cet article veut montrer l’importance de prendre le temps d’expliquer aux parents le fonctionnement de l’école et d’expliciter les attentes de l’institution. Dans cet article, certaines phrases montrent toutefois l’existence de certains préjugés implicites : « Ces parents ont également prouvé, au moyen d’exemples tirés de leur expérience personnelle, qu’ils maîtrisaient et employaient quotidiennement des fonctions cognitives complexes » (p. 16) et " apprivoisés ", les parents s’avèrent être des partenaires efficaces, prêts à assumer les responsabilités qui sont les leurs » (p. 17). L’auteur cherche à montrer que « malgré tout » ces parents peuvent aussi apprendre leur « métier de parents d’élèves », plus qu’il n’émet des critiques directes de certains stéréotypes.
92Ainsi, la « collaboration » des parents est perçue comme nécessaire pour le bon déroulement de la scolarité des enfants. Les différents articles de l’Éducateur des années 2000 nous montrent quelles sont les attentes de l’institution scolaire vis-à-vis des parents aujourd’hui.
93La question des relations avec les parents a pris une nouvelle tournure, et l’on parle aujourd’hui de partenariat. L’Éducateur, dans le dossier du 5/2004 intitulé : « Les parents et l’école : en guerre ou partenaire ? », s’intéresse aux formes de relations existantes entre les familles et l’école et réfléchit sur les relations à promouvoir.
94On parle, dans ce dossier, des expériences du Danemark qui octroie aux parents des compétences de gestion des écoles obligatoires (Folkeskole) par le biais des conseils scolaires où les parents définissent avec des enseignants et des élèves les objectifs de l’école, émettent des recommandations et font des propositions de programmes et de réformes au Conseil municipal (p. 12-13). De même en Suède, en Finlande et en Autriche on trouve ces conseils où l’on traite de tout ce qui a trait à la vie scolaire (finances, budget, horaires, plans d’études, moyens d’enseignement) (p. 13). D’après Simone Foster246, on s’achemine vers un véritable partage des pouvoirs. Cependant, l’auteure de cet article précise qu’il faut mettre un bémol car en dépit d’une volonté d’inclure les parents des classes défavorisées, ce sont surtout ceux des classes moyennes et aisées qui donnent le ton (p. 13).
95Voici des extraits de la Charte de l’Association européenne des parents (1992) publiés dans l’Éducateur du 5/2004 (p. 13). D’une part, les parents ont le droit :
de se voir reconnaître une primauté en matière d’éducation de leurs enfants ;
à un accès à la totalité de l’information scolaire concernant leurs enfants ;
de faire en matière d’éducation les choix correspondant le mieux à leurs convictions et aux valeurs dont ils s’inspirent pour élever leurs enfants ;
d’influencer les choix stratégiques de l’établissement d’affectation de leurs enfants ;
d’être consultés activement sur la politique éducative menée par les autorités publiques à tous les niveaux. D’autre part, les parents ont le devoir :
d’élever leurs enfants de manière responsable ;
de s’engager à être des partenaires de l’école dans l’éducation de leurs enfants ;
de communiquer à l’établissement la totalité de l’information nécessaire pour que soient atteints les objectifs éducatifs ;
de s’engager aux côtés de l’école en tant que composante essentielle de la collectivité locale.
96Cette Charte de droits et de devoirs témoigne clairement des attentes actuelles vis-à-vis des parents.
97Pour Maulini et Wandfluh, l’important, est que les parents puissent comprendre ce qui se fait, se joue et s’apprend à l’école247. Ils écrivent que lorsque l’on essaie d’expliquer le programme dans une réunion de parents, on leur reproche tantôt de bêtifier, tantôt de jargonner (p. 8). Ainsi, ils proposent par exemple d’intégrer les parents dans une activité, mais de faire attention à ce que l’activité ne soit pas trop simple, ce qui pourrait infantiliser les parents, ni trop difficile, ce qui pourrait les mettre en échec. Il n’est pas facile de communiquer vraiment, il faut réfléchir sur les meilleures manières de s’y prendre.
98Selon Langer, les parents exigent plus aujourd’hui que des fêtes multiculturelles et des entretiens248 : « Nous avons à inventer pour que les parents et les enseignants puissent débattre de préoccupations communes, discuter de ce qu’est une école de qualité ».
99Dans un article de mai 2004249, l’on peut lire que certaines évolutions sociales engendrent des difficultés problématisant la mise en place d’un véritable partenariat. Une des difficultés avancées est celle des migrations qui amène une population moins homogène.
Comparaison 1970-1975/2000-2005 sur le thème des parents
100L’analyse comparative des articles de ces deux périodes concernant la thématique liée aux parents montre une véritable transformation du rôle attendu du parent par l’école. On passe d’une période où l’on commence à souhaiter l’établissement d’un lien entre l’école et les familles à une période où l’on parle de « partenariat » ; terme qui amène un concept d’égalité au niveau des relations de pouvoir. Les articles des années 2000-2005 témoignent aussi de la constitution d’un « métier » de parents ; ces derniers ayant en outre « des droits et des devoirs » par rapport à l’école et à l’éducation de leur enfant. En même temps que l’on parle du rôle attendu des parents, on observe qu’un certain nombre d’articles font le lien avec les parents d’origine étrangère ; ils deviennent un objet préoccupant en vue de la mise en place d’une bonne relation famille-école et sont proportionnellement plus nombreux et qualitativement différents que dans les années 1970-1975.
Les valeurs et idéaux véhiculés
101La thématique valeur et idéaux est ici liée aux idéaux sociaux prônés dans les articles de l’Éducateur. Les articles des années 1970-1975 prônent comme valeurs et idéaux les questions de respect, de droits de l’homme et de l’enfant. Dans les années 2000-2005, s’ajoutent à ces valeurs de respect et de droits de l’individu, les valeurs et idéaux prônés autour de l’éducation interculturelle, du développement durable et de l’éducation à la citoyenneté.
Années 1970-1975 : Respect, droits de l’homme et droits de l’enfant
102Dans les années 1970, le respect des différences, les droits de l’homme, et en particulier les droits de l’enfant étaient des éléments très importants de réflexion sur l’école à construire.
103Nous avons tenté de mettre en évidence la manière dont ces questions de droits étaient soutenues dans l’Éducateur par les pédagogues et si les élèves d’origine étrangère étaient alors une « population-cible » par rapport à ces questions de respect et de droits de l’enfant.
104En 1971, dans un éditorial de la revue, Edgar Faure, qui était alors ministre de l’Éducation nationale française, résumait ainsi les trois aspects de l’éducation qui lui paraissaient être primordiaux : l’aspect démocratique, l’aspect fonctionnel et l’aspect humaniste (p. 687, n. 29, 1971). On voit qu’ici l’aspect de la transmission des connaissances n’est pas mis au premier plan. Il se trouve « entouré » par les aspects liés à la solidarité et au respect qui semblent avoir énormément d’importance dans la conception des pédagogues de l’éducation de cette époque.
105Les articles montrent que les auteurs des articles s’inspirent beaucoup de la pédagogie Freinet dans leur réflexion sur l’école nouvelle à construire250. Ainsi, par exemple, un article du 20 septembre 1974, fait part de la place particulière qu’occupe Freinet dans le mouvement pédagogique contemporain de l’époque, s’agissant du respect et du droit de l’enfant :
« La base fondamentale de sa pédagogie est axée sur le respect dû à l’enfant, sur la reconnaissance des virtualités qui sont en lui et que l’école doit révéler, développer et non étouffer. Une éducation digne de ce nom doit libérer et non contraindre » (p. 626)251.
106L’auteur de l’article, Ribolzi, montre à quel point les Nations Unies, par la Déclaration des droits de l’homme de 1948 s’inscrivent dans le même axe que les principes de Célestin Freinet. Il en donne les termes de la Déclaration des droits de l’homme :
« L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 26) » (in 20.9, 1974, p. 626).
107Dans cette mouvance de droits de l’enfant, on parle dans l’Éducateur252 de l’organisation non gouvernementale « Association mondiale pour l’École Instrument de Paix » (EIP) qui propose aux enseignants des actions éducatives dans le cadre de leur classe pour développer chez l’enfant la tolérance, la compréhension mutuelle, le respect et la connaissance de ses droits :
Mais à la base, seule l’éducation, à la maison, puis à l’école dès le niveau primaire, réussira à former les enfants à une attitude d’amour et de compréhension, sans aucun préjugé. Les enfants ne font pas de différence fondamentale entre un Jaune et un Blanc, un Russe ou un Américain. Ce sont avant tout des hommes comme lui (p. 810).
108Un article, nommé « Dubrovnik… un espoir », fait part d’une rencontre entre des enseignants d’Europe qui aura lieu à Dubrovnik253. L’objectif de cette rencontre est de regrouper des enseignants de différents pays européens afin de partager sur les problèmes de l’éducation dans le but de promouvoir un développement harmonieux de l’enfant dans un climat de paix, de compréhension et de tolérance (p. 80). Selon les auteurs de cet article, cette rencontre suscite l’espoir d’une entente meilleure entre les peuples du continent, quel que soit le régime politique, ainsi qu’une richesse sur le plan pédagogique par un échange de pratiques et de matériel, ainsi que sur le plan personnel grâce aux contacts qui seront générés entre des instituteurs de langues et d’ethnies différentes.
109L’Éducateur des années 1970-1975 fait référence de temps en temps à l’UNESCO. Dans l’Éducateur n. 33 de 1971, un article fait l’inventaire de ses objectifs. La vocation principale de l’UNESCO y est présentée comme étant d’ordre éthique, avec comme objectif prioritaire celui de la paix fondée sur le respect des droits de l’homme254 :
« Dans cette perspective, il faut avant tout rapprocher les peuples, abattre les préjugés qui les dressent les uns contre les autres, donner à tous les hommes des raisons et des possibilités de mieux se comprendre. Il ne suffit pas de permettre à tous de recevoir une éducation. Encore faut-il que celle-ci inculque le sens de la justice et de la solidarité humaine » (p. 791).
110La question du respect de la vie des hommes et notamment de l’enfant est abordée dans l’Éducateur n. 38 de 1970 (p. 732). L’idée véhiculée dans cet article, est celle que l’enfant particulièrement, mais aussi l’homme, les plantes, les animaux, ont le droit au respect, à la solidarité, à vivre de manière pacifique et à ne pas être blessé… De même dans l’Éducateur n. 40 de la même année, l’auteur parle du respect de la vie de l’enfant qui devra commencer par le respect de sa personnalité : « l’institution scolaire et les éducateurs ont à observer ces deux impératifs complémentaires : le respect des individualités et le devoir de les diriger ; dans “l’éthique du respect de la vie” (p. 773). Dans cette idée, on peut aussi lire255 : « Du point de vue scolaire, pour que l’élève ait “la pleine disposition de soi-même”, cela requiert le respect du développement particulier de chaque individu ». De là, découle la volonté d’instaurer des structures permettant d’individualiser l’enseignement dont les « classes à option » et celles dites « à niveaux ».
111Le « bon maître » est défini dans un article comme celui ayant une attitude de compréhension vis-à-vis de ses élèves256. L’auteur fait part des techniques de relation empruntées à Rogers, psychothérapeute américain qui pose trois conditions à l’établissement d’une relation positive avec autrui257 ; l’acceptation inconditionnelle de l’autre, une attention positive portée à toutes les manifestations de sa personnalité, la compréhension empathique de l’autre et la congruence. Ce n’est pas ici l’élève qui doit s’adapter au maître, mais bien le contraire. Dans cet article, un des obstacles à cette relation positive est celui de l’effet « Pygmalion » de Rosenthal258.
112Dans l’Éducateur n. 3 de 1973, le Groupe de réflexion sur les objectifs et les structures de l’école (GROS) relève que parmi ses objectifs, il y en a un qui concerne les croyances religieuses et les idéologies. L’objectif est de favoriser le développement du respect de chacun vis-à-vis des diverses croyances religieuses et idéologies. On peut lire : « Face au pluralisme des croyances religieuses et des idéologies, l’école adopte une attitude de respect et d’ouverture. Elle développe chez l’élève la lucidité intellectuelle et morale, condition essentielle de son engagement personnel » (p. 60).
113Le respect, les droits de l’homme et des enfants semblent être l’objet des valeurs et des idéaux des pédagogues de l’Éducateur des années 1970-1975. Seuls, deux articles de cette thématique valeurs et idéaux font référence aux élèves ou aux enfants d’origine étrangère. Les autres termes se référant à « l’étranger » dans cette thématique sont « les peuples du continent », « les enseignants d’Europe », « les contacts d’instituteurs à des professeurs de langues et d’ethnies différentes », « rapprocher les peuples », « la compréhension des peuples », « le tiers monde » et « la vie des pays en voie de développement ».
Années 2000-2005 : Éducation interculturelle, développement durable et éducation à la citoyenneté
114Nous allons voir ci-dessous comment les discours idéologiques se sont développés autour de l’élève d’origine étrangère et du multiculturalisme en nous intéressant aux articles traitant de l’éducation interculturelle, du développement durable et de l’éducation à la citoyenneté étant donné que ces formes d’éducation prônées s’inscrivent dans la thématique des valeurs et idéaux et apparaissent de manière nouvelle par rapport aux années 1970-1975.
115Comme nous l’avons vu, de nombreux articles des années 2000-2005 se sont inscrits dans une réflexion sur le rôle de l’école dans notre société. Les principes de l’école « démocratique-solidaire » sont mis en avant et défendus dans l’Éducateur contre l’école « compétition-individualisation ». Comme on peut le voir dans les années 2000-2005, l’éducation interculturelle, l’éducation à la citoyenneté et plus globalement le développement durable deviennent sujets de mobilisation dans l’Éducateur et s’inscrivent dans cette lutte pour une école « démocratique-solidaire », ce au travers de nombreux articles.
116D’après la Fondation Éducation et Développement259, l’éducation à la citoyenneté fait appel au dialogue, à l’argumentation de son point de vue, au respect des options et des opinions différentes. Pour elle, les défis économiques, scientifiques, politiques, religieux, sociaux et écologiques sont nombreux et complexes. Il est donc de plus en plus difficile de se fixer des repères et de trouver des impulsions pour agir de manière responsable. Ainsi :
« Partager, approfondir ses savoirs et ses savoir-faire dans diverses questions concernant l’éthique et les valeurs, discuter de leur implication dans le cadre de l’école et de la société, tels sont les besoins de beaucoup d’enseignants confrontés aujourd’hui à des enfants et des jeunes en manque ou en recherche de valeurs ».
117Dans l’Éducateur du 3/2002260, nous pouvons lire que l’école doit apprendre aux élèves à devenir des citoyens responsables, qu’il faudrait promouvoir un citoyen acteur de son propre destin et du destin de la société à laquelle il appartient et qui ne s’arrête pas aux frontières de leurs pays. D’après Pellaud, l’emblème de cette nouvelle logique serait le concept de développement durable, élaboré en 1987 par la Commission Brundtland et adopté par les Nations Unies en 1992 lors de la Conférence de Rio. Ce concept est défini par l’auteure de l’article comme un modèle de développement adaptable aux différentes cultures, qui garde en même temps un but universel de protection de l’homme et de son environnement (p. 27).
118Le « Manifeste 2000 pour une culture de la paix et de la non-violence »261, commençant par « Conscient de ma part de responsabilité face à l’avenir de l’humanité, et en particulier des enfants d’aujourd’hui et de demain, je prends l’engagement dans ma vie quotidienne, ma famille, mon travail, ma communauté, mon pays et ma région, de :… », met en avant différents engagements tels que, par exemple, « le respect de la vie et de la dignité de chaque être humain sans discrimination ni préjugés » et « la défense de la liberté d’expression en privilégiant toujours l’écoute et le dialogue sans céder au fanatisme, à la médisance et au rejet d’autrui ». L’importance de la responsabilité individuelle est établie au premier plan.
119En 2002, l’Éducateur propose un dossier sur le développement durable, dossier réalisé par la Fondation Éducation et Développement262 :
« Parlez de multiculturalisme, d’environnement, de relations Sud-Nord-Sud, d’incivilités, des droits de l’enfant, de l’alimentation, de communication, de solidarité… et vous êtes en plein développement durable ! […] Chaque école est un creuset de différences et travailler sur ce matériau, apprendre à se connaître, se comprendre pour s’accepter sans se rejeter, conduira à l’apprentissage de valeurs de solidarité, respect, tolérance et finalement de responsabilité. L’école doit travailler sur ces valeurs afin de développer « la solidarité dans le temps et l’espace, ainsi qu’une éthique individuelle et sociale à l’égard du vivant » (S. Bonnevault) ».
120Ainsi, le multiculturalisme semble très présent dans le fondement du développement durable et de l’éducation citoyenne. Nous allons voir, dans les différents articles ci-dessous traitant de ce thème, comment le multiculturalisme est régulièrement mis en avant et s’attache à notre objet de recherche. Pour exemple, on y trouve des références à l’intégration des élèves migrants, aux relations Nord-Sud, à l’interculturel, à la question de l’identité plurielle.
121De la sorte, Guidetti écrit dans un article du dossier sur le développement durable que la différence est, par excellence, source d’enrichissement et de diversité, mais qu’elle est aussi la première cause de conflit263. Il faut, d’après lui, apprendre à connaître l’autre avant de le rejeter, essayer de le comprendre et de l’accepter (p. 30). D’après Heimberg264, formateur en didactique de l’histoire à Genève, la citoyenneté devrait permettre d’aborder des domaines comme la lutte contre le racisme et la xénophobie ou comme l’égalité entre les sexes. Pour lui, la notion de citoyenneté relève de différentes échelles, de la classe à la planète entière, et personne ne devrait en être exclu de par son statut ou sa nationalité. L’éducation à la citoyenneté devrait occuper une place centrale dans le projet éducatif et dans la formation des maîtres265. Richon propose la médiation scolaire comme un outil contribuant à l’apprentissage de la citoyenneté, ce dernier ayant pour finalité de promouvoir les valeurs de justice, de solidarité et de respect des différences266. Ainsi, il s’agit de former des citoyens lucides, responsables, solidaires et entreprenants qui relèvent les défis d’un développement durable, c’est-à-dire qui, selon l’Appel des Prix Nobel de la paix (1997), arrivent à vivre ensemble dans le respect de soi-même, des autres et de l’environnement267. Dans le dossier « La Terre ne tourne pas rond… Au secours l’école ! »268, il est important de donner plus de poids à l’éducation, et plus seulement aux disciplines.
122Le dossier présente PECARO (Plan cadre romand, actuellement en consultation) et la formation des enseignants à ce plan cadre comme devant promouvoir une éducation qui répondrait davantage à des logiques de l’altérité, de démocratie, de participation, de solidarité, de respect de soi, de l’autre, du vivant, de la Terre (p. 5). Ce sont des compétences transversales qui y sont valorisées (telles que se connaître et s’affirmer, analyser et mettre en relation, changer de lunettes, communiquer, sortir du cadre, participer à des actions, construire ensemble, choisir les outils, et se positionner) (p. 5). Le but y serait de donner aux élèves une éducation interculturelle, une éducation à la citoyenneté, à l’économie, aux médias, aux droits de l’homme, au développement durable, une éducation pour la santé. Ainsi, sur le plan romand, le PECARO est présenté comme une opportunité de nommer l’éducation vers le développement durable comme objectif de base, et de définir et diffuser les compétences qui devraient permettre d’y tendre269.
123L’éducation interculturelle, selon Ogay270, mettrait fin à un mythe : celui de l’école de village d’antan, où le « régent » formait de bons citoyens, fidèles à leur patrie et à leur coin de pays. On partageait alors les mêmes valeurs. Cette école n’existe plus pour l’auteure de cet article, et n’aurait peut-être même jamais existé, l’histoire de l’humanité étant faite d’échanges interculturels :
« (…) pendant longtemps, le système scolaire a pu faire comme si la société était monoculturelle, les élèves « normaux » venant de familles « normales ». Aujourd’hui, l’hétérogénéité des sociétés est devenue si évidente que l’école est obligée de s’adapter, sous peine de se retrouver en décalage total avec la société. C’est à ce besoin que répond l’éducation interculturelle ».
124Selon cet auteur, l’éducation interculturelle n’aurait pas pour seul objectif de mettre en valeur les cultures des élèves d’origine immigrée – qui pourraient s’avérer pernicieuses lorsqu’elles ne font qu’assigner l’Autre à « sa » culture, dans une pédagogie folklorisante et stigmatisante – mais viserait à « apprendre à vivre ensemble », à préparer tous les élèves à vivre la différence culturelle au quotidien, dans la classe comme en dehors de l’école et dans leur vie future (p. 12). L’éducation interculturelle participerait aussi à un processus de décentration par rapport à sa propre réalité pour pouvoir concevoir celle de l’Autre :
« (…) le processus de décentration passe par une réflexion sur soi, sur sa propre culture : réaliser que l’on n’est pas « juste normal » et que ce sont les Autres qui seraient différents, mais que l’on est soi-même enculturé, porteur et acteur d’une culture qui n’est pas universelle. Et très souvent aussi, redécouvrir son histoire familiale faite de migrations et d’échanges culturels ».
125Dans cet article, il ne s’agirait pas non plus de remplacer le déni de la culture par la tyrannie de la culture ; « c’est leur culture », sous-entendu « il n’y a rien à faire », mais de contribuer au vivre-ensemble en favorisant une compréhension des rapports complexes entre l’individuel et le collectif, entre le Même et l’Autre (p. 12). De même, pour Ben-Hamida, « faire » de l’éducation interculturelle ne consiste pas seulement à introduire des activités spécifiques, comme l’exploration d’un conte populaire en plusieurs langues, mais également à gérer le quotidien, fait de moments plus modestes et subtils271.
126Selon Theytaz272, docteur en éducation, le défi actuel de l’école serait donc d’apprendre aux jeunes à vivre ensemble. Il dépasserait même celui visant la réussite scolaire du plus grand nombre d’élèves :
« Le grand défi de l’école aujourd’hui n’est pas d’envoyer 80 % des élèves au bac, même s’il s’agit d’un objectif louable, mais d’apprendre aux jeunes à vivre et à vivre ensemble, de les aider à comprendre le monde et à se comprendre, quelles que soient les différences de culture, de statut économique, de compétences scolaires ».
Comparaison 1970-1975/2000-2005 sur le thème valeurs et idéaux
127Les articles de ces deux périodes attribuent à l’école un rôle très important au niveau de la transmission des valeurs et des idéaux. Dans les articles des années 1970-1975, ce domaine s’ajoutait à celui de la transmission des connaissances et se présentait comme nouvelle. Aujourd’hui, les articles continuent à mettre en avant le rôle de la transmission de valeurs et d’idéaux par l’école. Ces derniers amplifient cependant cette conception du rôle de l’école et l’élargissent273. Ils abordent les valeurs et les idéaux en amenant des concepts d’éducation interculturelle, de multiculturalisme, en faisant beaucoup de références à l’intégration des migrants, aux relations Nord-Sud, à l’identité plurielle, au racisme etc. Les articles des années 2000-2005 font donc régulièrement des liens explicites (ainsi qu’implicites) avec les questions d’ordre culturel. Ainsi, dans ce domaine relatif aux valeurs et idéaux, nous observons aussi l’avènement de réflexions se préoccupant de l’élève d’origine étrangère.
Le problème de l’échec scolaire et les options pédagogiques
Années 1970-1975
a) Échecs scolaires et inadaptés : comment y remédier ?
128Nous allons voir comment la lutte contre l’échec scolaire s’est dessinée durant les années 1970-1975.
129Un article de l’Éducateur fait référence à une importante enquête touchant les neuf degrés de la scolarité obligatoire et concernant le retard scolaire274. Cette enquête débuta à Genève en 1960. Cette recherche attestait d’une ampleur inquiétante du retard scolaire, problématique observée aussi en France, en Belgique et au Québec… L’enquête observait l’échec massif des enfants issus des couches défavorisées. On s’inquiétait alors du manque d’adaptation de l’école par rapport aux impératifs à la fois socio-économiques et humains. Dans un autre article, on regrette que l’échelle des valeurs de l’école soit constituée par la classe dominante et qu’elle soit si différente et si éloignée de celle vécue par les enfants appartenant à la zone dite « grise » (p. 914-915, n. 39, 1971).
130Ainsi, au niveau des aides à aménager au sein des écoles, des articles proposent l’introduction d’heures d’appui pour permettre aux élèves qui rencontrent des difficultés passagères de les surmonter rapidement afin qu’elles ne compromettent pas la poursuite de leur apprentissage (p. 155, n. 7, 1972). Dans l’Éducateur n. 8 de 1972, dans la partie concernant le canton du Jura, sous le titre « Changer l’école », l’école idéale propose diverses remédiations : « assister les élèves en difficulté par des « études surveillées », des cours de rattrapage et des consultations médico-psychologiques systématiques ; accorder aux élèves lents ou en état de conflits psychologiques des « chances » supplémentaires et des échéances échelonnées, etc. (p. 193-194).
131Pour venir en aide aux élèves en difficulté devant leurs devoirs scolaires, on commence à parler dans l’Éducateur de l’introduction de devoirs surveillés. Selon l’auteur de l’article du 17 octobre 1975275, la question des devoirs surveillés se pose dans toute son acuité sitôt qu’il s’agit de la scolarisation des enfants de langue maternelle étrangère car selon lui c’est pour eux que l’enseignement présente le plus de difficultés ; leurs résultats scolaires s’en ressentent en proportion et sont par conséquent en moyenne insatisfaisants :
« (…) ils ont souvent des difficultés à suivre normalement le programme scolaire en raison de leur connaissance insuffisante de la langue et du fait qu’ils sont issus de milieux culturels différents du nôtre. Ces difficultés constituent un handicap non seulement pour les enfants en cause : elles ont aussi une influence négative sur le déroulement de l’enseignement. La Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers (CFE) estime dès lors que l’organisation de devoirs surveillés dans tout la Suisse répond à une nécessité générale » (p. 662).
132Les enfants défavorisés suisses devraient également, selon l’article, pouvoir bénéficier de ces études surveillées.
133On lit aussi que les experts du Conseil de l’Europe, dans l’optique d’une égalité des chances indépendante de l’origine sociale ou culturelle des enfants, étudieront principalement la question de l’éducation des enfants de travailleurs migrants, celle des enfants handicapés – et entre autres la question de savoir si l’enfant inadapté doit être intégré dans le milieu préscolaire ou scolaire normal, ou s’il y a lieu de le confier à des institutions spécialisées (p. 905)276.
134Le dépistage des élèves « inadaptés » revient de manière récurrente dans le journal pédagogique. On parle de l’importance du rôle des maîtres dans le dépistage précoce des « enfants perturbés », pour lesquels on crée des structures spécialisées277. L’idée est que plus vite ces enfants seront pris en charge et bénéficieront d’une éducation particulière, meilleur sera leur développement :
« Il faudrait en outre que les enseignants, qu’ils se destinent à l’enseignement ordinaire ou à l’éducation spéciale, apprennent à connaître chaque type de facteurs handicapant, afin d’éviter qu’ils ne soient chargés pendant plusieurs années d’instruire plusieurs types d’enfants handicapés sans vraiment comprendre leurs besoins, sans avoir reçu une formation appropriée et, dans de nombreux cas, sans même savoir que des enfants souffrant de ces handicaps se trouvent dans leur classe. Cette nécessité d’apprendre aux enseignants à reconnaître des handicaps « légers » est devenue indispensable ».
135Worpe écrit un article prônant l’introduction d’un examen de sélection qui devrait, d’après lui, être un moyen de dépister des élèves manifestement atteints d’inaptitudes intellectuelles qui ne sont pas susceptibles de s’amender malgré les années et quelles que soient les méthodes utilisées278. Il propose un examen des qualités de caractère qui permettrait de prédire la réussite à long terme de l’élève (stabilité psycho-motrice, énergie mentale, contrôle des pulsions, ténacité, etc.), de dresser les bilans de ses conditions affectives et de ses conditions familiales et sociales. Il faudrait aussi, d’après cet auteur, rechercher des facteurs pédagogiques qui ont permis à des élèves, même réputés peu intelligents, de faire des progrès et de compenser leur handicap. Cet article est écrit selon l’auteur dans le but de défendre une école d’orientation (et non de sélection des élèves).
136Dans cette optique, on peut lire dans un article qu’il faudrait « prévenir, dépister, rééduquer pour parvenir à l’épanouissement de toute la personnalité, à l’intégration sociale du défavorisé » (Éducateur du 27 juin 1975, p. 484). La pédagogie compensatoire se propose de dépister le plus rapidement possible les handicaps des élèves afin de leur offrir une intervention compensatoire et afin que les difficultés rencontrées n’aient pas le temps de devenir irréversibles. Les déficiences sont attribuées dans cet article, soit à des déficiences constitutionnelles et héréditaires, soit à un manque de stimulation par le milieu, soit à un manque de continuité entre le milieu familial et le milieu scolaire etc. Les logements surpeuplés, les déficiences physiques, les troubles du caractère et du comportement, la fatigue due aux trajets, le sommeil insuffisant, etc. sont autant de causes mises en avant pour expliquer l’origine de l’inadaptation des élèves de l’enseignement primaire279.
137Ainsi, dans l’Éducateur n. 11 de 1971 (pp. 246-247), les explications apportées pour expliquer l’échec scolaire sont de deux ordres ; soit les causes endogènes qui sont, d’après l’auteur, à imputer aux dispositions natives (parmi lesquelles les problèmes d’ordre physique ou psychologique (mental, affectif) sont fortement mis en avant et les causes exogènes, provenant des conditions plus ou moins défavorables du milieu familial, scolaire et social où évolue l’enfant.
138Les handicapés sont définis comme suit280 : « ceux qui éprouvent des difficultés en classe, par suite de leur état physique ou mental ou par suite du milieu281 » (p. 549). Ainsi, tant l’état physique ou mental de l’enfant que son environnement sont ici considérés comme handicaps potentiels.
139Pour tenter de corriger tout handicap inhérent au milieu familial et toujours pour dépister les éventuelles déficiences de l’enfant le plus tôt possible, la FIA (Fédération internationale des associations d’instituteurs) considérait qu’il était très important de créer et de développer une éducation de la petite enfance à la disposition des parents qui le souhaitent282.
140Dans l’Éducateur n. 28 de 1973, un article — montrant à quel point « dépister » est devenu le mot d’ordre — informe sur le Service médico-pédagogique (SMP) de Genève. On y lit que le nombre de cas signalés par les parents ou sur l’initiative de l’institutrice augmente chaque année : « Les 89 classes spécialisées de 1967 sont devenues 128 en 1971 » (p. 690). L’augmentation des cas signalés d’enfants inadaptés commencent ainsi à inquiéter. Le DIP genevois souhaite alors mettre sur pied des cours de soutien et de rattrapage durant l’horaire scolaire vu le nombre élevé de ces cas et le caractère « relativement bénin » de certains troubles, notamment des troubles liés à des difficultés scolaires. Il est toutefois intéressant de relever que ces appuis proposés s’adressent aux élèves de langue étrangère en particulier : ces cours « […] s’adressent aux élèves de langue étrangère surtout et aux élèves ayant éprouvé des difficultés persistantes à surmonter l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe » (p. 690).
b) Réformes et pédagogies nouvelles
141Les divers articles, concernant les réformes et pédagogies nouvelles, présents dans l’Éducateur des années 1970-1975 semblent s’inscrire dans la tendance, relevée dans la thématique « économie, société et rôle de l’école », de vouloir changer et démocratiser l’école.
142Palandella écrit, en 1975, qu’il est évident qu’une société d’adultes fondée sur l’individualisme, la compétitivité, le rendement et le profit ne peut facilement engendrer une école fraternelle, accueillante à tous, désintéressée et non sélective.283 Pour l’auteur de cet article, il semble essentiel que les enseignants ne « baissent pas les bras » face à la complexité et aux difficultés ; de la position des enseignants dépendra l’évolution de l’école.
143Dans les articles de l’Éducateur de ces années 1970 à 1975, des propositions de réformes et de pédagogies nouvelles sont faites dans le but de dépasser la sélection et de permettre à tous les élèves de réussir scolairement. Ainsi, dans l’Éducateur des années 1970, il est régulièrement question d’innovation. Les pédagogues visent à construire un questionnement autour de l’école et souhaitent le changement des pratiques :
« Des structures sont mises en place, des programmes sont élaborés, un institut romand de recherche et de documentation pédagogique est créé. Tout paraît donc aller pour le mieux. Cependant, une nouvelle étape doit être franchie. Il s’agit, pour chaque maître dans sa classe, pour chaque responsable, d’accepter une remise en question, de reprendre sa tâche avec des yeux neufs, d’admettre l’abandon de certaines habitudes »284.
144L’auteur exhorte les enseignants à collaborer pour améliorer les programmes, l’individualisme est critiqué.
145Parmi les propositions de réformes, la question des notes est souvent mise sur le tapis de manière critique dans l’Éducateur des années 1970-1975, les notes étant vues comme humiliantes et subjectives285. Dans le même mouvement, Worpe défend une école d’orientation et non de sélection des élèves en critiquant la pédagogie traditionnelle en raison de sa fonction de sélection286 : « Tant que la pédagogie traditionnelle, suisse ou européenne, sera celle de l’échec, on continuera de sélectionner, de créer des barrages, en un mot d’éliminer les élèves en fonction de critères souvent douteux » (p. 355). La lutte contre une école qui sélectionne se retrouve aussi dans une réflexion concernant les cours à niveaux, pratique expérimentée en Suède, Allemagne, France, etc. Un article fait part des divers avantages liés à l’organisation des cours à niveaux ; à savoir l’apport d’un correctif nécessaire à la rigidité des classes hétérogènes, l’apport d’une meilleure observation et, partant d’une meilleure orientation des élèves, le soutien et l’encouragement des élèves dans les disciplines où ils sont les plus doués287. En Belgique, la réforme de l’enseignement est aussi active, notamment au niveau de la modification des devoirs à domicile et de la suppression des notes. On lit à propos des notes : « l’établissement d’une moyenne déforme la réalité vivante de l’enfant et empêche de mesurer l’évolution de l’élève qui est, par définition, un être en devenir » (p. 140)288. L’Angleterre aussi se trouve dans ce mouvement de réformes289.
146Dans un article où il argumente pour le dépassement de la sélection scolaire, Bain propose de ne plus imposer à tous un savoir uniforme, de mettre l’élève en situation de choisir les objectifs d’apprentissage qu’il peut et veut atteindre, selon le temps qu’il est prêt à y consacrer290. Il souhaite un enseignement individualisé.
147Nous pouvons souvent voir mentionné dans l’Éducateur des années 1970-1975, l’importance « d’apprendre à apprendre » comme mission de l’école. Selon Rogers, comme les faits historiques sont question de culture et d’époque, comme nous nous trouvons dans une situation évolutive qui met en question tout l’acquis de notre culture, aucune connaissance n’est plus certaine, il faut donc enseigner actuellement « l’apprentissage de l’apprentissage » (p. 702, n. 29, 1971). En outre, on parle d’autogestion291 et d’auto-évaluation292.
148Ainsi, l’analyse comparée des visions de l’éducation dans différents pays montre qu’il y a des ressemblances entre les nouvelles perceptions pédagogiques ; on cherche à valoriser l’esprit d’initiative, l’individualisation, la pédagogie de groupe, la motivation, la créativité, etc. « L’élève est considéré de plus en plus comme une personne dont il faut respecter les intérêts intellectuels », (p. 746, n. 31, 1971).
Années 2000-2005 : Échec scolaire, milieux hétérogènes au service des élèves « différents » et pédagogies différenciées
149Dans un article intitulé « La non-exclusion des enfants différents, ultime étape vers une école démocratique »293, Moulin, formateur à l’Université de Fribourg, relève que l’école se trouve aujourd’hui dans une équation quasi impossible à résoudre : celle qui consiste à viser à la fois l’efficacité et la prise en compte des plus démunis. Il propose pour éviter de développer une société à deux vitesses de promouvoir une formation qui permettrait aux enseignants de devenir plus compétents dans la gestion de groupes hétérogènes, de l’évaluation formative, du partenariat et de la pédagogie différenciée. Il considère que la formation devrait surtout développer une réflexion philosophique et éthique sur les finalités et les valeurs de l’école, ainsi que sur les notions d’égalité des chances et de droit à la différence.
150Joshua observe dans l’Éducateur d’août 2002 que les exigences scolaires ont beaucoup augmenté depuis trente ans et, surtout, qu’elles ont évolué294 : « On est passé d’une école de la restitution à une école de la compréhension. La restitution ne comprend pas d’ambiguïté, il faut apprendre par cœur et redire » (p. 33). Ainsi, les exigences scolaires étant de plus en plus nombreuses et complexes, les risques de s’éloigner de la norme deviennent de plus en plus grands.
151Dans l’optique de s’adapter au rythme de chaque enfant, la question des cycles d’apprentissage est souvent amenée dans l’Éducateur des années 2000-2005.
152Perrenoud écrit à ce sujet un article sur l’intérêt des « cycles d’apprentissage pluriannuels » pour diversifier les parcours de formation295. Pour ce chercheur, l’instauration de ces cycles pluriannuels est une stratégie crédible de démocratisation si elle s’accompagne d’une révision circulaire qui place la barre des exigences scolaires moins haut. Pour Perrenoud, cela serait possible si un gouvernement parvenait à développer une politique de démocratisation sans faire d’excessives concessions à ceux qui dénoncent la « baisse du niveau » et la « fin des élites ». D’après ce sociologue, pour cela il faut comprendre, entre autre que l’enjeu est la formation de tous, dans une perspective de citoyenneté, mais aussi parce que l’avenir des sociétés ne passe pas seulement par des élites capables de faire bonne figure dans la concurrence internationale. Il demande jusqu’à quand les grandes puissances militaro-industrielles pourront se permettre de faire coexister une recherche de pointe et près de 20 % d’illettrés (p. 29)296. Dans un autre article, Perrenoud propose de redimensionner les objectifs d’apprentissage afin qu’ils soient atteignables par tous dans le même temps au prix d’une pédagogie différenciée297.
153Ainsi, la différenciation semble être au cœur des questions pédagogiques actuelles. Elle s’inscrit dans un contexte d’hétérogénéité souvent relevé pour définir les établissements : « Aucune classe n’est homogène, parce que les individus qui la composent sont forcément différents »298. Pour Vité, il est d’autant plus complexe de gérer l’hétérogénéité lorsque la diversité se rencontre dans plusieurs domaines où se mélangent à la fois des différences culturelles, religieuses, socio-économiques et scolaires. Selon l’auteur de cet article, la diversité peut toutefois être une richesse qui demande cependant un travail pédagogique approprié et qui relève d’un bricolage de génie. Ce bricolage serait d’adapter aux différences individuelles le travail sur les objectifs, le temps d’apprentissage et le type d’enseignement.
154Dans un autre article, Vité fait part à ce sujet d’une différence entre l’école d’hier qui était composée de groupes homogènes issus de l’élite et l’école d’aujourd’hui qui est composée de groupes de plus en plus hétérogènes dont les différences individuelles sont de plus en plus marquées. Il défend les divers moyens, tels que l’instauration de cycles d’apprentissage, l’évaluation formative, ainsi que les relations renforcées avec les familles, sur lesquels les réformes travaillent afin de mieux gérer les différences individuelles299.
155Il fait référence à trois manières de vivre l’égalité ; à savoir par l’idéologie de l’égalité des chances, par l’égalité de traitement ou par l’égalité des acquis300. Il critique la première théorie pour être basée sur les principes d’une justice méritocratique, ainsi que la seconde qui en se référant à Bourdieu dit que l’école se voulant neutre et impartiale ne fait que reproduire la stratification sociale inégalitaire qu’elle prétend transformer. Il défend par contre l’égalité des acquis qui viserait une réduction des différences individuelles, en tentant de répondre au postulat d’éducabilité. Les tenants de cette idéologie postulent que chaque individu a son propre rythme d’apprentissage et des potentialités de l’accroître. L’idéal-type de l’égalité des acquis serait selon Vité la pédagogie de la maîtrise développée par Bloom il y a une trentaine d’années. Pour réduire les différences de chances de réussite, il s’agirait entre autre de donner plus de moyens aux écoles accueillant des élèves défavorisés par le milieu familial ou par d’autres facteurs301.
156Le mélange des populations du point de vue culturel et économique est amené comme solution dans l’article « Quelle école demain ? » pour que les classes soient plus équilibrées et laissent plus de chance à la réussite tout en barrant le chemin de la violence302.
157Maulini relève, en s’appuyant sur les conclusions de certaines recherches, que « les écoles les plus équitables sont les plus hétérogènes… »303 et écrit à propos de la compétition et de son aspect sélectif : « Mais si l’on est de bonne foi, on ne peut plus dire que la compétition et les classements sont les moteurs de la démocratisation » (p. 23)304.
158Dans cette optique, Hutmacher relève dans l’Éducateur du 12/2002 concernant une première analyse de l’étude OCDE-PISA305, que la leçon à tirer de l’observation des méthodes des pays est que l’hétérogénéité des écoles et des classes profite aux plus faibles sans nuire aux plus forts. Un niveau de performance élevé est compatible avec une plus grande égalité et qu’en assurant de meilleures chances aux plus défavorisés, on élève en même temps le niveau moyen : « Pour cela, il faudra sans doute (ici comme dans d’autres pays), sortir toute l’école obligatoire de l’alternative entre réussite et échec » (p. 9-10).
159Hutmacher montre qu’un des objectifs de cette étude internationale (PISA) est de comparer les répartitions entre collectivités socio-politiques et aussi entre divers groupes et catégories de jeunes caractérisés par des situations différentes306. L’analyse comparative des différences de résultats entre immigrés et autochtones fait partie de ces catégories. On voit qu’au niveau de l’étude PISA, le référent national-étranger est légitimé comme une donnée de différences au niveau de la réussite et de l’échec scolaire qu’il faut analyser. L’existence d’un lien « pensé » entre l’origine étrangère des élèves et l’échec scolaire peut être aussi relevé dans deux articles de l’Éducateur des années 2000-2005 où l’on parle de l’étude PISA. Ainsi, dans l’article « PISA 2003 : coup de chapeau à nos collègues genevois ! »307, on peut lire : « Avec un peu de recul, nos collègues genevois ont de quoi pavoiser : des classes bourrées d’enfants étrangers, une école publique flinguée jour et nuit, même le dimanche, par un parti trop radical sur ce coup-là, […] » (p. 52). Bien que la liste « excusant » les résultats à l’étude PISA du canton de Genève soit longue, elle commence toutefois par une explication liée au taux d’étrangers dans les classes. De même, un autre article fait apparaître que l’existence d’un lien effectif entre l’origine étrangère et l’échec scolaire est évidente pour l’auteur puisque l’on peut lire308 : « L’étude PISA montre que les familles immigrées éprouvent de nombreuses difficultés et que leurs enfants n’ont pas les bonnes clés pour leur scolarité » (p. 11).
Comparaison 1970-1975/2000-2005 au sujet du thème « Échec scolaire et pédagogies »
160Nous avons pu voir comment l’école se trouvait déjà dans les années 1970-1975 face à la problématique de l’échec scolaire. Dans l’optique de démocratisation des études, il fallait lutter contre l’échec scolaire. La tentative de dépistage partait d’un principe d’aide, ainsi il faut dépister le plus rapidement possible et mettre ces élèves « inadaptés » dans des structures particulières pour les aider « avant qu’il ne soit trop tard ». On dépistait donc les élèves « inadaptés » ou « handicapés ». Les handicaps et inadaptations semblaient attribués principalement à des handicaps physiques (psychologiques ou intellectuels) ainsi qu’au milieu familial et social de l’enfant. Certains liens étaient faits par rapport à l’élève d’origine étrangère. On parlait du « problème des étrangers » par rapport aux devoirs, on montrait que les enfants de travailleurs migrants étaient souvent déclarés au SMP (Service médicopédagogique). Toutefois, l’échec ou l’inadaptation semblaient pensés principalement sous l’angle des inégalités sociales de classes. Ainsi on observait l’échec massif des enfants issus des couches défavorisées et on utilisait beaucoup de termes comme « conditions sociales », « défavorisé », « manque de stimulation par le milieu », « logements surpeuplés », etc. qui témoignaient de causalités attribuées à l’échec scolaire principalement dans une réflexion liée aux classes sociales. Les divers articles, concernant les réformes et pédagogies publiés dans l’Éducateur des années 1970-1975 semblent s’inscrire dans cette tendance à vouloir changer l’école dans une optique de démocratisation des études. Autant l’échec massif des enfants issus des couches défavorisées était constaté, autant les réformes et pédagogies nouvelles dont parlait l’Éducateur des années 1970-1975 semblaient être pensées pour cette population d’enfants de couches défavorisées.
161Les articles des années 2000-2005 concernant l’échec scolaire et les pédagogies s’inscrivent d’une part dans l’observation de la dualité dans laquelle se trouvent les enseignants qui doivent répondre aux exigences d’excellence attendues par l’institution et la société et continuer de défendre des valeurs d’égalité des chances et de démocratisation des études à défendre. D’autre part, des articles des années 2000-2005 font référence à une hétérogénéité toujours plus grande au sein des classes dont la gestion n’est pas évidente et proposent des pédagogies différenciées.
162Des articles des années 2000-2005 établissent des liens explicites entre l’échec scolaire et l’origine étrangère des élèves. De même, on y lit régulièrement des termes comme « hétérogénéité », « élèves différents », « pédagogies différenciées ». Alors que ces termes étaient parfois utilisés dans les articles de l’Éducateur des années 1970-1975, il nous semble toutefois que l’intensité de leur utilisation s’est amplifié aujourd’hui et qu’ils s’adressent à une population d’élèves différente de celle d’alors. Ainsi, il nous est apparu que cette terminologie et les liens entre l’échec scolaire et l’origine culturelle des élèves se sont, aujourd’hui quantitativement et qualitativement étendus, évacuant en grande partie la catégorie sociale. Cette observation trouve son reflet dans l’analyse de Hutmacher (1994) qui met en évidence le fait que la plupart des gens pensent que les élèves étrangers ont plus souvent des difficultés à l’école que les autochtones et que les enseignants donnent aussi régulièrement pour « cause » l’origine étrangère des élèves (p. 129).
Les présupposés culturalistes critiqués dans les articles
Années 1970-1975 : QI et préjugés raciaux
163Des articles de l’Éducateur des années 1970-1975 font référence à l’étude des tests d’intelligence (QI) qui commencent à être utilisés pour le dépistage d’inadaptations et font l’objet de nombreuses recherches spécialement aux États-Unis, notamment en ce qui concerne la « supériorité » ethnique de certaines cultures sur d’autres ou du moins leur comparaison. Des articles de l’Éducateur appellent à interroger la scientificité de ces tests, critiquant par là-même le caractère statique, déterminant, voire dans un article, la tendance « nazie » de ces tests.
164Ainsi, dans un article parlant de ces tests d’intelligence309, Sery écrit que le débat nazi sur les « déficiences » héréditaires n’est toujours pas clos. Il montre que des questionnements basés sur le QI tels que : « les enfants d’ouvriers naissent-ils moins intelligents que les enfants de riches ? » ou « les Noirs ont-ils une cervelle plus petite que les Blancs ? » s’inscrivent dans ce type de réflexions. L’auteur s’inquiète de l’influence de ces tests qui étiquettent les enfants et qui sont qualifiés par certain de « terrorisme méthodologique pseudo-scientifique ». Il craint donc l’élaboration de théorie des races supérieures et cite le Dr Jensen qui, en 1969, dirigeait un laboratoire de psychologie à l’Université de Californie et qui a publié un article dans lequel il affirme que, même en tenant compte des différences culturelles, l’intelligence des enfants noirs mesurée par des tests demeurait nettement inférieure à celle des enfants blancs américains. Il constatait notamment que la bourgeoisie noire engendrait treize fois plus d’imbéciles que la bourgeoisie blanche (p. 514). Le même article mentionne également Tor310 qui a écrit que les principales victimes de ces tests d’intelligence sont les enfants des classes populaires et que c’est parmi eux que les tests « étiquettent le plus grand nombre de débiles, de crétins, d’arriérés et d’idiots » (p. 514).
165L’auteur de l’article « Peut-on mesurer l’intelligence ? »311 relève que dans toutes les écoles et même dans les entreprises, le QI est devenu en moins de quinze ans l’étalon principal d’une société qui pèse, mesure, sélectionne (p. 513). Il remet en question la scientificité des tests mesurant l’intelligence (QI) en faisant référence aux enfants qui ont été définis à tort comme débiles mentaux, ainsi qu’à l’effet Pygmalion de Rosenthal et Jacobson qui montre l’influence des attentes (croyance à l’échec ou à la réussite) des enseignants sur les « résultats » des élèves. De même, Fonvielle fait part des expériences de Rosenthal qui montrent que les résultats des élèves sont influencés par le niveau d’attente des enseignants pour chaque élève en fonction des pronostics de réussite ou d’échec selon que les élèves sont de milieu favorisé ou non312. Dans une école de la banlieue de San Francisco, qu’il décrit ainsi : « quartier pauvre, de nombreux étrangers, donc des enfants défavorisés dont les résultats sont faibles » (p. 351), il a fait croire à l’enseignant que tel élève aux faibles résultats avait en fait un grand potentiel. De là, il a vu les résultats de cet élève augmenter : « Tel petit Mexicain voit son QI passer de 61 à 106 du simple fait qu’il est devenu un cas intéressant dont l’éclosion est attendue, est espérée » (p. 352). Ainsi, l’auteur de l’article craint que les maîtres qui travaillent dans une école avec un important sous-prolétariat soient inconsciemment persuadés qu’ils ont affaire à des enfants très peu doués et que leur attente en soit diminuée d’autant.
166Pour le psychologue canadien Hebbe, l’intelligence A déterminée par des facteurs génétiques se distingue de l’intelligence B qui découle des expériences de la petite enfance313. L’article montre que le milieu a une importance dans le développement de l’intelligence B et les conclusions sont qu’il est du devoir de l’école de développer au maximum les talents que peuvent posséder les enfants afin de développer au plus l’intelligence B. Aux États-Unis, on s’est donc intéressé à l’influence des parents et de la culture sur le développement des capacités314. On s’est intéressé à la structure des aptitudes (verbales, raisonnement, maniement des chiffres, perception des relations spatiales) chez des enfants de 6 à 7 ans appartenant à quatre groupes ethniques différents (Chinois, Juifs, Noirs et Portoricains). Les conclusions de la recherche sont que le milieu culturel de chaque groupe encourage et favorise l’acquisition de certaines de ces compétences mentales et donne moins d’importance aux autres.
167Dans un article, un enseignant cherche à « convaincre » les lecteurs que les Africains ne sont pas inférieures aux « Blancs »315 :
« Il faut le dire : leur civilisation n’est pas d’une essence inférieure à la nôtre. Elle est différente, parce que fondée sur une autre échelle de valeurs. Quoi qu’il en coûte à son complexe de supériorité, le Blanc doit le savoir : s’il a l’intelligence (une certaine intelligence), il n’est pas seul à détenir la sagesse ».
168Un autre article porte un titre « provocateur » : « Êtes-vous xénophobe ? ». Il propose un moyen pédagogique visant à aider les enseignants à accueillir des enfants étrangers. Il met en avant le fait que leur tâche n’est pas aisée :
« Non que la maîtresse nourrisse envers ces élèves en particulier des sentiments différents (c’est bien souvent le contraire), mais la compréhension est malaisée lorsqu’on ne parle pas la même langue, et l’intérêt des enfants bien mince s’ils ne comprennent que peu ce qui se dit autour d’eux. De leur côté, les parents sont souvent désemparés devant la nature et les exigences des programmes scolaires » (p. 581, 6.9.1974).
Années 2000-2005 : Racisme et débats sur le racisme
169Dans le dossier « En dire ou pas… des gros mots »316, les articles indiquent l’existence de racisme entre les élèves qui s’exprime au travers d’insultes. Ainsi, les insultes peuvent tourner autour de la sexualité : « enculé » ; elles peuvent attaquer la mère : « fils de pute », mais aussi contenir des propos racistes : « négro », « sale arabe » ou « ta race ». D’après une directrice d’une institution vaudoise, le travail sur le respect est nécessaire, bien qu’il ne suffise pas à lui seul. Les jeunes inventent des stratégies pour ne pas être directement accusables de propos racistes. Ainsi, les jeunes de l’institution en question ont transformé des insultes avec subtilité afin de ne pas être sanctionnés et l’expression « sale arabe » est devenue « pyramide » : « Par la suite, il suffisait que l’un dise “pyr” à l’autre et la cour de récréation était sens dessus dessous » (p. 10).
170L’année 2001 étant l’année internationale de la mobilisation contre le racisme et la discrimination raciale, l’Éducateur du mois de septembre propose un dossier ayant pour thème le racisme317. On y trouve la définition du nouveau racisme, le néo-racisme, qui était déjà utilisée par certains spécialistes dans les années quatre-vingt, et qui se porte plus sur les différences culturelles que physiques pour considérer certaines personnes comme inférieures.
171La Fondation éducation et développement (FED) propose dans ce dossier des activités visant à prévenir le racisme en utilisant l’angle du « Vivre ensemble ». La pédagogie interculturelle doit pour la FED déboucher sur un respect des différences et sur une connaissance des points communs, en favorisant un partage des besoins, des intérêts et des valeurs de chacun. Ce dossier relève, entre autre, les limites des grandes déclarations et des bons sentiments anti racistes : « Racisme et antiracisme partagent une similitude de structure, une homologie, qui doit être interrogée et travaillée afin de comprendre comment, en croyant être antiraciste, il se peut que l’on soit un raciste à l’envers »318. Un article critique la confrontation qui a souvent lieu entre les racistes et les antiracistes. Pour Maurer ceci est un non-débat319. Pour lui, il faut susciter les débats. Il prêche entre autre pour la pédagogie interculturelle qui souligne l’importance des acquis culturels en mettant en garde contre le déterminisme culturel. Il cite à ce sujet Maalouf qui rappelle l’importance de reconnaître à chacun une identité multiple : « C’est le et, non le ou qui traduit la complexité et la richesse des appartenances culturelles »320. Dans ce sens, la Fondation éducation et développement propose d’ouvrir le débat sur le racisme en recommandant un site Internet qui propose un espace de dialogue modéré pour « ceux qui sont racistes et ceux qui ne le sont pas »321.
172Les promoteurs de la paix lient régulièrement la non-violence au domaine du respect de « l’Autre », du respect envers les différentes cultures. Ces thèmes, ainsi que celui de l’égalité des chances sont souvent regroupés pour définir les valeurs éducatives essentielles. Selon Danthe322, l’école doit être le creuset civique d’une société pacifiée, multiculturelle et démocratique. On retrouve aussi ces thèmes dans l’Éducateur du 1/2000, en une liste des valeurs essentielles adoptée par la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP)323.
173L’Éducateur du 7/2005324, fait référence à la discussion qui a eu lieu le 2 mai 2005 entre le président de la Société pédagogique vaudoise (SPV), Jacques Daniélou, et Jean Romain (du mouvement ARLE), tous deux invités au journal de 19h30 de la télévision suisse romande pour commenter les résultats de l’étude internationale PISA 2003 (p. 41). On y critique Jean Romain d’avoir cherché à faire passer le président de la SPV pour raciste en l’accusant d’avoir désigné les élèves « étrangers » comme « responsables » des mauvais résultats du canton à l’étude PISA.
Comparaison 1970-1975/2000-2005 au sujet du thème présupposés culturalistes
174Les articles des années 2000-2005 sur la problématique du « racisme », témoignent d’une transformation par rapport aux années 1970-1975. Les articles d’aujourd’hui ne font jamais référence au QI comme c’était le cas alors. Ainsi, autant dans les années 1970-1975 on s’inquiétait et critiquait les préjugés sociaux (QI des enfants de riches, versus QI des enfants de pauvres) ainsi que les préjugés raciaux, autant les articles des années 2000-2005 ne font plus référence aux préjugés sociaux mais montrent par contre une inquiétude très forte vis-à-vis des préjugés raciaux et du racisme.
175Les articles des années 2000-2005 parlent d’insultes racistes entre élèves, mais surtout ils témoignent d’une volonté de mieux comprendre les limites entre le racisme et l’antiracisme, et tendent à montrer qu’il ne faut pas accuser quelqu’un d’être raciste mais au contraire lui proposer des espaces de discussion à ce sujet. L’objectif est de prévenir le racisme en utilisant le concept du « vivre ensemble » et de la reconnaissance de la « complexité et de la richesse des appartenances culturelles ».
176Le vocabulaire traitant du « racisme » est plus fourni dans les années 2000-2005 que dans les années 1970-1975 ; on trouve des nouveaux termes comme « pédagogie antiraciste », « antiracisme », « néo-racisme », « société multiculturelle », etc. Cet « enrichissement » terminologique témoigne de l’existence d’une forte réflexion ou préoccupation par rapport à cette problématique.
177Contrairement aux années septante, où l’on ne trouve pas d’observations concernant des problèmes de violence et où l’on ne parle de civisme qu’au nom d’un apprentissage nécessaire quant à la connaissance des institutions politiques, l’Éducateur des années 2000 publie de nombreux articles se référant notamment aux questions de violence, de respect et à l’origine ethnique ainsi qu’à l’éducation à la citoyenneté325.
L’inquiétude face aux problèmes de comportement et à la violence
Années 1970-1975
178Des articles de l’Éducateur font référence à l’importance de la discipline dans les classes. Ils traduisent comme une volonté de dire que – malgré les mouvements plus libertaires réclamés au travers des revendications de mai 68 – la discipline reste « un mal combien nécessaire »326. Ainsi, propose-t-on des moyens tel que l’occupation constante des enfants ou tel que l’acte de récompenser au lieu de punir327. On propose ainsi d’obtenir la discipline tout en évitant l’autorité. Cette crainte d’imposer de la discipline est aussi critiquée par Zweiacker, président du comité central de la Société pédagogique neuchâteloise qui regrette le « nouveau » comportement des parents cet égard. Ainsi, cet auteur s’offusque que pour avoir voulu faire de la discipline sur un groupe d’élèves un enseignant a été « houspillé » à ce sujet par les parents et n’a été que peu soutenu par l’institution328.
179L’UNESCO329 fait un communiqué concernant « les jeunes et la drogue ». Si les jeunes se droguent, c’est en général parce qu’ils ont des problèmes familiaux, des ennuis professionnels ou des difficultés d’ordre social (p. 733). Il est fait ici référence aux problèmes des classes défavorisées.
Années 2000-2005 : Augmentation de la violence et des problèmes de comportement
180Dans le dossier « Agressivité, violence, quelques mots encore… »330, les auteurs veulent offrir aux lecteurs quelques pistes de réflexion, quelques clés pour lire les comportements dits violents des enfants et suggèrent quelques axes de prévention. Sur les différents textes, un texte seulement fait référence au lien entre l’éthnicité et la violence. Plus précisément, il l’interroge : « Violence et culture, y a-t-il un rapport ? Est-on autorisé à faire un rapprochement ? »331. Les propos y sont prudents et montrent la complexité de la question. On parle de différences entre les cultures quant à la notion de « violence ». D’après l’auteure de l’article, toutes les cultures ne définissent pas de la même manière le mauvais, mais dans toutes les cultures il y a une prescription. On relève les contradictions dans notre société où la violence est théoriquement interdite, mais où le service militaire est une institution, où les jeux vidéos, les films violents et la publicité — avec les messages de toute-puissance qui y sont associés — sont encouragés et prescrits. Les propos montrent une diversité de cas qui peuvent amener les enfants migrants à montrer de la violence, de l’agressivité. Ils parlent de traumatismes vécus tels que des génocides où plus aucune norme n’est pensable. Ils disent la différence entre notre conception de la violence, avec notre grande sensibilité à la douleur physique et notre vision des mauvais traitements, et celle d’autres cultures pour lesquelles la souffrance physique représente une forme initiatique nécessaire pour acquérir une nouvelle identité. Les différences de normes et de valeurs sont mises ici en avant pour expliquer certaines émergences de « violence ». Elles questionnent par exemple le projet explicite et implicite de l’école visant à former des individus autonomes, capables de penser par eux-mêmes, alors que ces attentes de l’école peuvent entrer en contradiction frontale avec les attentes du milieu d’origine du jeune. De même, le texte interroge le concept d’individualisation. Enfin, la violence ou l’agressivité serait toujours le signe de quelque chose qui ne fonctionne pas au niveau des affiliations, et elle peut émerger de ces types de situation pour n’importe quel être humain, qu’il vienne d’ici ou d’ailleurs.
181Cilette Cretton, alors rédactrice en chef de l’Éducateur, s’inquiète — quant à elle — des mesures énergiques que certains cantons prennent pour prévenir des actes de violence de la part d’élèves ou de parents d’élèves332. Elle fait référence à une nouvelle loi scolaire du canton de St-Gall, soumise le 8 mai 2001 au Parlement cantonal, qui prévoit la création d’un « internat punitif pour élèves agressifs ». Cette même loi demande que les parents aient un devoir de soutien vis-à-vis de l’école comme l’obligation d’assistance aux devoirs et la participation aux soirées scolaires. La loi prévoit de sanctionner toute violation grave de cette obligation par une amende pouvant aller jusqu’à Fr. 1000. -.
182Ce qu’il faut relever, c’est que cette loi — qui cherche à prévenir des actes de violence de la part d’élèves ou de parents d’élèves — prévoit que le canton introduise un cours d’intégration obligatoire pour les élèves étrangers nouvellement arrivés en Suisse, liant par-là les élèves agressifs à la qualité d’étranger. Ainsi, comme pour prévenir l’agressivité, la loi propose d’obliger le canton à introduire un cours d’intégration obligatoire pour les élèves étrangers nouvellement arrivés en Suisse, où pendant une année, ils apprendront l’allemand, les us et coutumes européennes, l’économie familiale et les travaux manuels.
183Dans son article « Violence des jeunes : ne plus se voiler la face ! », Savoy s’inquiète des problèmes de violence qui deviennent d’après lui de plus en plus fréquents et qu’il dénonce comme étant « gratuits » ou de nature nouvelle telle que la violence des filles333. Il dit qu’il faut effectivement reconnaître l’augmentation de la violence, mais qu’il faut investir les moyens dans l’école pour lutter contre ce phénomène et accepter le fait que l’école puisse avoir un rôle éducatif. La violence qu’il décrit est la violence des jeunes, la violence des bandes avec les trafics de drogue, les rackets, les injures et les menaces.
184L’enquête de l’École des sciences criminelles (UNIL), mandatée par le Département fédéral de justice et police (DFJ), a voulu mettre en lumière les questions de « victimisation » et de délinquance chez les adolescents de 14 à 16 ans334. D’après les résultats de la recherche, la population concernée commettrait beaucoup plus d’infractions que celle des années nonante et en serait bien plus souvent victime. Ce problème serait présent dans l’ensemble des sociétés occidentales. Le taux de délinquance serait directement lié à la filière fréquentée par ces jeunes. D’après les résultats de ce rapport, il y a des différences entre les délits des étrangers et ceux des Suisses. On peut lire, même si les résultats sont présentés comme modestes : « les étrangers fuguent moins, mais sont plus enclins à l’absentéisme, au vol, au vol de et sur un véhicule, à commettre des lésions corporelles et à la vente de drogues dures. » (p. 43). Ainsi que : « (…) les élèves suisses restant les champions dans la consommation de substances interdites (haschisch, alcool fort, bière, vin et alcools) » (p. 43).
Comparaison 1970-1975/2000-2005 au sujet du thème « Problèmes de comportement, violence »
185Les quelques rares articles de l’Éducateur des années 1970-1975 concernant les questions de violence et de problèmes de comportement font apparaître le fait que l’on parlait alors plutôt de problèmes de discipline, alors qu’aujourd’hui on s’exprime plutôt en termes de violence et d’agression. Les causalités alléguées pendant les années 1970-1975 aux raisons poussant les jeunes à se droguer étaient principalement liées à des causes professionnelles ou sociales. Cela s’inscrit dans les représentations du monde fortes à l’époque qui pensaient les problématiques en fonction des rapports sociaux de classe. L’Éducateur des années 2000-2005 s’inquiète plus régulièrement et plus fortement de ces problématiques. Alors que dans l’Éducateur des années 1970-1975, nous n’avons pas trouvé de liens entre les élèves d’origine étrangère et les problèmes de discipline, la question se pose dans des articles de l’Éducateur des années 2000-2005, même si les réponses à ce sujet se veulent prudentes et nuancées.
Commentaires
186La lecture des articles de l’Éducateur des années 1970-1975 et des années 2000-2005 nous a confirmé le fait que cette source discursive était d’une grande valeur, notamment par la « mine » d’articles qu’elle nous offrait, source riche d’un point de vue analytique.
187Il s’est avéré que notre objet d’étude trouvait ses racines ou se révélait dans de nombreux articles de l’Éducateur touchant à divers domaines que nous avons appelés « thématiques ». Cette démarche a eu comme richesse de nous aider à saisir – dans un large éventail – les préoccupations pédagogiques partagées par un groupe d’acteurs et autour desquelles s’articulent la question ethnique, ainsi qu’un champ sémantique.
188Les comparaisons que nous avons effectuées au sein des différentes thématiques témoignent toutes d’une transformation des discours. Nous allons tenter de mettre en évidence les continuités et les changements concernant certains espaces du champ pédagogique.
189Nous pouvons relever tout d’abord le fait que les articles, pour chaque période, s’inscrivent généralement dans une même catégorie de pensée et défendent un même ordre d’idées pédagogiques et syndicales. Les acteurs du même « champ »335 tiennent globalement des discours qui partagent un certain air de famille, se comprennent et ne s’opposent généralement pas. Ces discours évoluent cependant d’une période à l’autre.
190Dans les articles de l’Éducateur de ces deux périodes éloignées de trente ans, on se réfère à la démocratisation des études. Dans les années 1970-1975, on prône la démocratisation des études, on demande à lutter contre les habitudes de sélection et on croit au changement, notamment au droit à l’éducation pour tous. La lutte contre la reproduction sociale est fortement présente dans les articles des années 1970-1975. L’espoir de lutte contre la reproduction sociale tend cependant déjà à diminuer vers la fin de la première moitié des années septante au moment des premières difficultés économiques et du constat de la résistance de l’échec scolaire336. Une désillusion commence un peu à se faire sentir par rapport à l’aboutissement de cette lutte. Cette tendance au « pessimisme » semble s’être cristallisée et amplifiée aujourd’hui. On le voit dans les articles de l’Éducateur 2000-2005 où les pédagogues constatent le nombre important d’élèves en difficultés, critiquent et regrettent les idées de sélection et de compétition promues dans certains discours politiques, ainsi que la volonté d’» orienter » plus tôt les élèves dans des filières peu valorisées. Les articles de l’Éducateur des années 1970-1975 ne reflètent pas ce climat de critiques et de tensions, ce qui peut paraître étonnant lorsque l’on connaît l’existence des luttes sociales qui ont eu lieu dans les années 1960-1970 (mai 68, etc.). Peut-être, pouvons-nous expliquer ce relatif calme par le fait que le processus de changement était déjà lancé, soutenu, comme nous avons pu le voir, par le monde économique ; on pouvait réfléchir à une nouvelle école et proposer de nouvelles pédagogies.
191Dans les articles des années 1970-1975, les politiques, les économistes et les pédagogues avaient donc l’air de marcher dans la même direction, alors qu’aujourd’hui ces divers acteurs ne semblent pas d’accord sur le type d’école désiré. Les pédagogues défendent une école ne se pliant pas aux règles de l’économie et critiquent ceux qui prônent une école de la compétition, de l’excellence, ainsi que ceux qui veulent diminuer les budgets. Ainsi, autant les articles des années 1970-1975 faisaient transparaître l’image de professionnels « heureux » et « optimistes » dans cette lutte pour la démocratisation des études, autant dans les articles des années 2000-2005 il est plutôt question de fatigue des enseignants, de leur stress, des critiques faites à leur encontre.
192L’analyse des articles des années 1970-1975 a montré que l’on cherchait alors à expliquer les phénomènes scolaires avec une paire de lunettes relevant surtout la question de l’origine sociale, alors qu’aujourd’hui, on s’intéresserait principalement à l’origine culturelle des élèves. Ainsi, parmi toutes les thématiques que nous avons mises en évidence, nous avons pu montrer de manière verticale, par une comparaison longitudinale, qu’il s’est opéré une « ethnicisation ». De même, nous avons pu montrer de manière horizontale, par les différentes thématiques, qu’il y a eu « diffusion » de l’» ethnicité » dans différents domaines touchant à l’école. Le regard — véhiculé par cette revue destinée aux enseignants et censée exprimer leurs préoccupations pédagogiques — s’est donc globalement déplacé et a amplifié la question ethnique. Cette revue, dotée d’une certaine crédibilité professionnelle sensibilise certainement ses lecteurs — à savoir principalement les enseignants — à certaines habitudes de pensée. Nous pouvons nous demander ainsi quels ont été les effets de ce changement de regard sur celui des enseignants, tout en sachant qu’ils connaissent bien entendu d’autres influences, telles que celles des médias ou, des discours politiques.
Notes de bas de page
166 Bien que l’Éducateur des années 1980 et 1990 recèle bien entendu d’articles très intéressants ayant trait à notre objet, le choix de cibler ici notre analyse sur les articles des années 1970 à 1975 et sur ceux des années 2000 à 2005 découle aussi du fait que nous avons préféré approfondir l’analyse sur un temps délimité et restreint de deux fois six ans, plutôt que de survoler le tout sur trente ans d’une façon beaucoup moins exhaustive. La quantité d’articles susceptibles de nous intéresser est très importante et notre souci était d’ouvrir le plus possible l’» éventail » des articles touchant de près et de loin à la question de l’élève d’origine étrangère.
167 Palandella L., Thévoz J. « Des moments charnières dans la vie de l’Éducateur », Éducateur, 1/2005, p. 30.
168 Au sujet des références des numéros de l’Éducateur : comme les « Éducateur et bulletin corporatif », selon les périodes, n’ont pas toujours un numéro de parution, nous avons noté la date (jour et mois) lorsque le numéro manquait.
169 Les explications concernant le choix des articles se trouvent dans la section méthodologie de cette partie.
170 Concernant les années 1970-1975, nous n’avons pas réussi à trouver des informations sur les auteurs des articles, à part lorsque l’information était donnée. Dans ces cas-là, les auteurs étaient aussi des chercheurs ou des enseignants occupant une place particulière dans le syndicat ou dans la rédaction de la revue.
171 À l’exception de L’école qui est un magazine d’information du Département de l’instruction publique de Genève.
172 Terme emprunté à Bourdieu (1982, p. 150-151).
173 Langer E., « Quelle école demain ? », Éducateur, 3/2005, p. 20.
174 Heimberg Ch., « La formation des maîtres en matière d’éducation à la citoyenneté », Éducateur, 13/2002, p. 12-13.
175 Cf. Bourdieu (1982, p. 150-151) par rapport au politique.
176 Selon le concept de « champ » défini par Bourdieu (1984).
177 Cf. Tableau : Nombre d’articles par thème (Éducateur).
178 Cf. Liste des articles sélectionnés de l’Éducateur (1970-1975) et (2000-2005).
179 Cf. Tableau : Nombre d’articles par thème (Éducateur).
180 « Les thématiques et sous-thèmes ».
181 Cf. partie méthodologique.
182 Worpe L., « Le marché suisse du travail », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 19, 1970, p. 354-355.
183 « Économie suisse : le temps des pénuries », Éducateur et bulletin corporatif, 27.9.1974, pp. 661-665.
184 « Une nouvelle rubrique : « Points de vue ». Jeunesse et économie », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 2. 1973, pp. 49-52.
185 Rudin R., « L’élite et la masse », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 22, 1970, p. 414.
186 « L’éducation, un investissement rentable ? », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 36, 1970, pp. 684-696.
187 Tiré d’Éducation et Développement, n ° 63, « Renouveau de l’école en Angleterre », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 15, 1971, p. 348-350.
188 BIT – Information numéro d’avril 1971, Services publics 29-4-71. In « L’UNESCO et l’éducation », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 18, 1971, p. 438.
189 F. B., « FIAI », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 40, 1971, p. 943.
190 Bourdieu P., Passeron J. C. (1970). La reproduction Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Ed. de Minuit.
191 Citations de Gonvers et Petitat. « Tous les enfants de ce pays sur le même pied », Éducateur et bulletin corporatif, 21.2.1975, p. 115-135.
192 Id., p. 32-33.
193 « La dépendance du système scolaire par rapport à l’économie », Éducateur et bulletin corporatif, 25.10.1974, pp. 750-765.
194 « Courrier pédagogique », Éducateur et bulletin corporatif, 16.5.1975, p. 338
195 « Courrier pédagogique », Éducateur et bulletin corporatif, 16.5.1975, p. 338.
196 Maulini, O., « Au trente-septième dessous », Éducateur, 5/2005, p. 6.
197 Cité in Maulini, O., « Au trente-septième dessous », Éducateur, 5/2005, p. 6.
198 « Irresponsables ! » (p. 47), « Il faut pacifier le débat sur l’école publique ! » (p. 51) et « Ca y est ? On a touché le fond ? On peut remonter ? » (p. 3).
199 Différents dossiers tels que « Grosse fatigue chez les enseignants », Éducateur, 11/2001 ou « Enseignant… mission impossible ? », Éducateur, 7/2002, et autres articles témoignent de cette problématique.
200 Différents articles de l’Éducateur font référence à PISA.
201 Vuillaume J., « Pisa 2003 : coup de chapeau à nos collègues genevois ! », Éducateur, 8/2005.
202 Mis en gras par nous-même.
203 D’après Walo Hutmacher, les résultats de ces évaluations dépendent à la fois du rôle des migrations, de la question des ressources engagées, de l’influence du statut socio-économique, des variations entre écoles et dans les écoles. Il constate que la Suisse - pays d’immigration depuis 40 ans - réussit moins bien l’intégration des enfants de migrants que certains pays d’immigration traditionnels (p. 9).
204 Rouiller J., « Le projet d’établissement : une réponse aux enjeux de l’école », Éducateur, 14/2001, p. 29.
205 Grandjean, A. « La tentation du déséquilibre : vers la fin de la formule magique ? », dossier « Construire une culture de la paix », Éducateur, 1/2000, p. 11.
206 Tabin M.-Cl., « École privée : se saigner aux quatre veines ! », Éducateur, 13/2003, p. 17.
207 Eigenmann-Franc H., « Paradoxes… », Éducateur, 6/2004, p. 59.
208 Tabin M.-Cl., « Un non catégorique au prêt-à-penser dénigrant pour notre société », Éducateur, 4/2005, p. 23.
209 Vité L., « Former sans exclure : une nouvelle association », Éducateur, 7/2005, p. 49.
210 Meirieu Ph. (résumé : Forster S.), « Pour un nouveau « pacte éducatif » », Éducateur, 5/2004, p. 14-16.
211 Meirieu Ph., « Éloge du « pédagogisme » », Éducateur, 2/2005, p. 16-17.
212 Tabin M.-Cl., « Un non catégorique au prêt-à-penser dénigrant pour notre société », Éducateur, avril 2005, p. 23.
213 Meyer-Bisch P., « Éducations et droits de l’homme : une base de légitimité », Éducateur, septembre 2004, p. 20-21.
214 L’éthique fait l’objet de deux dossiers dans l’Éducateur : cf. Éducateur, mai 2005 et janvier 2003.
215 Langer E., « Quelle école demain ? », Éducateur, mars 2005, p. 20-21.
216 Perrenoud, Ph. (2001). « L’école ne sert à rien ! », in Tribune de Genève, « L’invité », 27-28 octobre, p. 2.
217 Rouiller J., « Le projet d’établissement : une réponse aux enjeux de l’école », Éducateur, 14/2001 p. 28-29.
218 Theytaz Ph., « La Terre ne tourne pas bien rond… c’est indéniable », Éducateur, 9/2004, p. 3.
219 Tabin M.-Cl., « Impossible de déléguer notre responsabilité éthique ! », Éducateur, 11/2003, p. 37.
220 Recherche effectuée dans le cadre d’une unité de formation des futurs enseignants (LME à Genève) « Profession enseignante : rôles et identité », in Perréard Vité A., « Comment de futurs enseignants voient-ils leur profession ? Qu’ont-ils à nous apprendre ? », Éducateur, 2/2005, p. 18-19.
221 P. D., « Séance des délégations du 20 avril 1970. Genève. Accueil des élèves de langue étrangère », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 17, 1970, p. 303-304.
222 Cf. différence entre les classes d’accueil et les structures d’accueil.
223 Pour plus de détails, cf. partie sur les mémoriaux du Grand Conseil genevois et sur les recommandations de la CDIP.
224 Devaud D., « L’intégration une valse à trois temps », Éducateur, 11/2002, p. 36-37.
225 Devaud D., « Que sont-ils devenus ? », Éducateur, 5/2005, p. 16-17.
226 Deprez Ch., « Quelles langues parle-t-on dans les familles bilingues d’origine étrangère », Éducateur, Éducateur spécial 2005, p. 31-34.
227 Deprez Ch., « Quelles langues parle-t-on dans les familles bilingues d’origine étrangère ? », Éducateur, Éducateur spécial 2005, p. 31.
228 Gonthier A., « Enseignement d’une deuxième langue dès les premières années d’école », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 40, 1970, p. 776-777.
229 Gacond C., « Le coin de l’espéranto », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 20, 1970, p. 373.
230 Aucune référence, ni explication, n’est apportée pour expliquer au lecteur ce qu’est la « symbolique Galichet ».
231 Gacond C., « Le coin de l’espéranto », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 30, 1970, p. 564-565.
232 « Cours d’italien », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 12, 1971, p. 264.
233 Polli M., « Le multilinguisme suisse, victime de superstition mercantiles », Éducateur, Éducateur spécial 2005, p. 2-6.
234 Foster S. (Dossier : « Les langues à l’école : une question politique »), « Le quadrilinguisme de la nouvelle loi sur les langues », Éducateur, 3/2002, p. 10-11
235 Perrenoud Philippe, « Trois pour deux : langues étrangères, scolarisation et pensée magique », Éducateur, 13/2000, p. 31.
236 Perregaux Ch., « Une littératie à deux voix ou comment ne pas perdre sa voix par la reconnaissance des autres », Éducateur, Éducateur spécial 2005, p. 35-38.
237 Pasquier Georges, « Le dehors est arrivé chez nous », Éducateur, 3/2000, p. 30.
238 Pasquier Georges, « Le français, langue locale », Éducateur, 12/2000, p. 35.
239 « Associations de parents d’élèves des écoles primaires et enfantines. Genève », Éducateur et bulletin corporatif, 13.6.1975, p. 431.
240 « École porte ouverte quand l’école n’est plus la consigne », Éducateur et bulletin corporatif, 13.6.1975, p. 439.
241 Rochat J.-P., « Quand les parents s’organisent », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 26, 1970, p. 483.
242 Dubochet H., « Les écoles de parents de Suisse romande », Éducateur et bulletin corporatif, 13.6.1975, p. 442-445.
243 « L’école jurassienne des parents s’organise », Éducateur et bulletin corporatif, n °. 4, 1971, p. 91
244 Forster S., « Lausanne : les femmes immigrées vont à l’école. Interview d’Edith Naegele », Éducateur, 5/2004, p. 10-11.
245 Montoya Romani Jorge, « Mon enfant, nous ne pouvons rien pour toi ! », Éducateur, 9/2001, p. 16-17.
246 Forster S., « En Europe, les parents deviennent de véritables partenaires », Éducateur, 5/2004, p. 12-13.
247 Maulini O., Wanddfluh F., « Travail scolaire et communication avec les familles. Une pratique vaut mille mots », Éducateur, 5/2004, p. 8-9. (Souligné par les auteurs).
248 Langer E., « Quelle école demain ? », Éducateur, 3/2005, p. 20.
249 Foster S., « En Europe, les parents deviennent de véritables partenaires », Éducateur, 5/2004, p. 13.
250 Cf. par exemple « La pédagogie Freinet », Éducateur et bulletin corporatif, 20.9.1974, p. 624-635.
251 Souligné par l’auteur.
252 « École, instrument de paix », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 34, 1971, p. 810, et dans Éducateur et bulletin corporatif, 24.5.1974, p. 397.
253 Bain G., Bolilier G., « Dubrovnik… un espoir », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 4, 1971, pp. 80-81.
254 Mercier C., « La vocation éthique de l’UNESCO », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 33, 1971, p. 791.
255 Cardinaux A., « Corriger la trajectoire… pour le virage imposé… », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 7, 1971, p. 150-151.
256 Fonvielle R., « Lever les obstacles à la communication », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 15, 1971, p. 351-353.
257 L’orientation non directive en psychothérapie et en psychologie sociale, par Max Pagès, Edition Dunod.
258 Pour plus de détails cf. la thématique « Présupposés culturalistes ».
259 Fondation Éducation et Développement, « Aborder l’éthique et les valeurs à l’école », Éducateur, 1/2003, p. 29.
260 Pellaud F. (Éducation et Développement), « Société, école, complexité… malaises ! », Éducateur, 3/2002, p. 26-31.
261 Manifeste 2000 pour une culture de la paix et de la non-violence, dossier « Construire une culture de la paix », Éducateur, 1/2000, p. 9.
262 Éducation et Développement, « Apprendre à faire des liens. Une éducation vers un développement durable », in Dossier « Éduquer vers un développement durable », Éducateur, 5/2002, p. 40-41.
263 Guidetti L., « Multiculturalisme et environnement construit », Éducateur, 5/2002, p. 30-31.
264 Heimberg Ch., « La formation des maîtres en matière d’éducation à la citoyenneté », Éducateur, 13/2002, p. 12-13.
265 Heimberg Ch., « La formation des maîtres en matière d’éducation à la citoyenneté », Éducateur, 13/2002, p. 12-13.
266 Richon F., « La médiation scolaire se met en projet », Éducateur, 5/2003, p. 9-11.
267 Theytaz Ph., « La Terre ne tourne pas rond… c’est indéniable », Éducateur, 9/2004, p. 3.
268 Dossier « La Terre ne tourne pas rond… Au secours l’école ! », Éducateur, 9/2004, p. 2-23.
269 Maurer Ch., Gigon P., « Les Z’éducations, ou l’éducation vers un développement durable », Éducateur, 9/2004, p. 22-23.
270 Ogay T., « Éducation interculturelle. La fin d’un mythe », Éducateur, 9/2004, p. 12.
271 Ben-Hamida H., « Éducation interculturelle. Construire une appartenance commune », Éducateur, 9/2004, p. 13.
272 Theytaz Ph., « La Terre ne tourne pas bien rond… c’est indéniable », Éducateur, 9/2004, p. 2-3.
273 Au niveau des concepts, réflexions, terminologies, etc.
274 S. Roller, A. Haramein, « Enquête sur les retards scolaires » in cahiers de pédagogie expérimentale et de psychologie de l’enfant, nouvelle série, n ° 19, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé.
275 L’auteur de l’article n’est pas présenté ici.
276 « Conseil de l’Europe. Des chances égales d’éducation pour tous les enfants », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 38, 1971, p. 905.
277 « L’éducation des handicapés. Directives pour leur intégration scolaire », Éducateur et bulletin corporatif, 31.5.1974, p. 401-403.
278 Worpe L., « Les notes scolaires à l’heure de l’école romande… », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 19, 1970, p. 355-356.
279 Document IRDP, « La pédagogie compensatoire », Éducateur et bulletin corporatif, 27.6.1975, p. 484-485.
280 Salzer E. M., « Une nouvelle conception de l’éducation des handicapés. L’exemple suédois », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 23, 1972, pp. 549-551.
281 Mis en évidence par nous-mêmes.
282 F. B., « FIAI », Éducateur et bulletin corporatif 1971, n ° 40, p. 943.
283 Palandella L. « Inégalité des adultes contre égalité des enfants ? », Éducateur et bulletin corporatif, 21.3.1975, p. 224-225.
284 Hutin, R. « Le second virage », « Éducateur et bulletin corporatif », n. 16, 1970, p. 4.
285 « Encore les notes ! », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 1, 1972, pp. 4-6.
286 Worpe L., « Les notes scolaires à l’heure de l’école romande… », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 19, 1970, p. 355-356.
287 Repris de la Schweizerische Lehrerzeitung, Les cours à niveaux », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 20, 1970, p. 367-368.
288 Badoux J.-Cl., « La rénovation de l’enseignement en Belgique », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 7, 1971, p. 140-141.
289 Tiré d’« Éducation et Développement », n ° 63, « Renouveau de l’école en Angleterre », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 15, 1971, p. 348-350.
290 Bain D., « Dépasser la sélection scolaire », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 18, 1970, p. 336.
291 « Une autogestion pédagogique est-elle possible ? La réponse de la pédagogie institutionnelle », Éducateur et bulletin corporatif, 8. 3. 1971, p. 175-191.
292 « Amorce d’auto-évaluation à l’école primaire », Éducateur et bulletin corporatif, 18.10.1974, p. 731-739.
293 Moulin J-P. « La non-exclusion des enfants différents, ultime étape vers une école démocratique », Éducateur, 6/2000, p. 6-9.
294 Propos recueillis par Palandella L., « L’échec scolaire, une idée simple », Éducateur, 8/2002, p. 33.
295 Perrenoud Ph., « Objectifs communs et parcours individualisés dans les cycles d’apprentissage pluriannuels », Éducateur, 10/2001.
296 Souligné par Philippe Perrenoud.
297 Perrenoud Ph., « Individualisation des parcours et différenciation des prises en charge », Éducateur, 11/2001, p. 26-31.
298 Vité L., « Gérer l’hétérogénéité », Éducateur, 14/2001, p. 20.
299 Vité L., « Apprentissage et différences individuelles », Éducateur, 2/2000, p. 31.
300 Vité L., « Différences individuelles et égalité », Éducateur, 2/2000, p. 28-29.
301 Vité L., « Apprentissage et différences individuelles », Éducateur, 2/2000, p. 28-29.
302 Langer E., « Quelle école demain ? », Éducateur, 3/2005, p. 21.
303 Maulini O., « Les inégalités. Beaucoup à corriger, une à assumer », Éducateur, 2/2003, p. 23 (tiré de Duru-Bellat M. (2002). Les inégalités sociales à l’école. Genèse et mythes. Paris : PUF).
304 Éducateur du 2/2003.
305 Le PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) est une évaluation internationale mise sur pied par l’OCDE, qui vise à tester les compétences des élèves de 15 ans. Son but (définit sur internet) est de produire, sur la base de tests auprès d’échantillons représentatifs, des indicateurs sur les compétences des élèves. Les indicateurs sont analysés en fonction des caractéristiques des élèves, des écoles et du système éducatif.
306 Hutmacher W., « PISA : le projet, ses premiers résultats et quelques éclairages analytiques », Éducateur, 12/2002, p. 7.
307 Vuillaume J., « Pisa 2003 : coup de chapeau à nos collègues genevois ! », Éducateur, 8/2005, p. 52.
308 Iten A. (Interview de), « Le quadrilinguisme de la nouvelle loi sur les langues », Éducateur, 3/2002, p. 11.
309 Sery P., « Peut-on mesurer l’intelligence ? », Éducateur et bulletin corporatif, 5.7.1974, p. 513-515.
310 Tor, M. (1974). « Le QI », Maspero cité par Sery P., « Peut-on mesurer l’intelligence ? », Éducateur et bulletin corporatif, 5.7.1974, p. 513-515.
311 Sery P., « Peut-on mesurer l’intelligence ? », Éducateur et bulletin corporatif, 5.7.1974, p. 513-515.
312 Fonvielle R., « Lever les obstacles à la communication », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 15, 1971, p. 351-353.
313 « Éducation et Développement », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 29, 1971, pp. 702.
314 Tiré de Éducation et Développement, Éducateur et bulletin corporatif, n ° 29, 1971, pp. 702.
315 « Un autre humanisme », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 4, 1970, p. 63-64.
316 Henchoz A.-M., « Jurons à la mode zéro. Entretien avec Nicole Eichenberger », in Dossier « En dire ou pas des gros mots », Éducateur, 13/2001, p. 10-11.
317 Dossier « Sous le racisme… ma plage », Éducateur, 9/2001.
318 Perrot Marie-Dominique, « Le racisme : ouvrir la critique sur plusieurs fronts », Éducateur, 9/2001, p. 30.
319 Maurer Ch., « De la confrontation au débat », Éducateur, 13/2003, p. 10.
320 Maalouf A. (1988). Les identités meurtrières, Grasset, Paris, p. 29.
321 Bouvera M. (FED), « Parler du racisme sur Internet », Éducateur, 8/2004, p. 14.
322 Miche Danthe, éditorial du 9 novembre 1999, Éducateur.
323 Les valeurs éducatives essentielles, in Dossier « Construire une culture de la paix », Éducateur, 1/2000, p. 15. Le 18 novembre 1999, la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) a adopté une déclaration sur les finalités et les objectifs éducatifs de l’école publique. Elle y définit les valeurs essentielles dont l’École a charge de promotion :
- le développement de la personnalité équilibrée de l’élève : de sa créativité et de son sens esthétique ; le développement du sens de la responsabilité à l’égard de soi-même et d’autrui, ainsi qu’à l’égard de l’environnement ;
- le développement de l’esprit de tolérance et de coopération, le sens de la solidarité ;
- le développement de la faculté de discernement et d’indépendance de jugement ;
- la correction des inégalités de chance et de réussite scolaire ;
- la mission d’intégration dans le respect des autres langues et cultures.
La Conférence « invite les autorités concernées à consacrer les moyens nécessaires à l’accomplissement de la mission de l’école ».
324 SPV (société pédagogique vaudoise), « Pisa 2003 : garder son sang froid (1) », Éducateur, 7/2005, p. 41.
325 Elle est devenue une référence quasi obligatoire depuis dix à vingt ans dans de nombreux Etats et systèmes éducatifs ; Audigier F., « Pourquoi en appeler à la citoyenneté ? », Éducateur, 13/2002, p. 6.
326 R. J.-P., « Un mal combien nécessaire : la discipline », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 8, 1970, p. 143.
327 Thuillard F., « Essai de rapport sur… Moyens d’obtenir une bonne discipline dans nos écoles », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 8, 1970, p. 144.
328 Zweiacker C., « Les leçons d’un conflit », Éducateur et bulletin corporatif, n ° 27, 1970, p. 511.
329 Unesco informations, « Les jeunes et la drogue », Éducateur et bulletin corporatif, 18.10.1974, p. 733-736.
330 Dossier « Agressivité, violence, quelques mots encore… », Éducateur, 10/2000.
331 Propos recueillis par Henchoz A. M., « Violence et culture, y a-t-il un rapport ? Est-on autorisé à faire un rapprochement ? », Éducateur, 10/2000, p. 12-13.
332 Cretton Cilette, « La solution du ghetto », Éducateur, 7/2001, p. 3.
333 Savoy J.-Cl., « Violence des jeunes : ne plus se voiler la face ! », Éducateur, 12/2003., p. 62.
334 Daniélou J., « Enquête sur l’incivilité et l’insécurité chez les ados vaudois », Éducateur, 6/2004, p. 42-43.
335 Cf. Concept de champ de Bourdieu.
336 Les articles des années 1974-1975 montrent que les « choses se gâtent » et commencent à être plus critiques.
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