Chapitre 3. Regard sur les mesures institutionnelles
p. 49-62
Texte intégral
1Ce chapitre s’attache à présenter en premier lieu les domaines d’application dans lesquels les mesures et politiques de diversité peuvent se concrétiser. Ensuite, les politiques et mesures spécifiques que l’équipe de recherche a examinées dans quatre universités visitées au cours de la recherche seront abordées. Puisque l’étude portait sur divers pays – la Norvège, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis –, nous aborderons deux niveaux de mise en œuvre de ces politiques pour caractériser ces pays : premièrement et de manière brève, celui de la vie citoyenne en général dans ces pays, puis celui du domaine de la formation supérieure, en particulier le cas des Hautes écoles13.
DOMAINES D’APPLICATION
2Il faut un principe organisateur pour penser l’éventail des mesures possibles et pour en cibler les plus utiles, sans pour autant perdre de vue l’ensemble des possibilités d’intervention dans un domaine donné. Il nous a semblé que la systématique élaborée par l’organe responsable de la promotion de l’égalité et de la gestion de la diversité des universités du Royaume-Uni, l’Equality Challenge Unit (ECU), répondait à ce principe d’organisation présenté sous la forme du schéma qui suit14 et qui définit les fonctions dans les institutions de l’éducation supérieure (HEI, Higher Education Institutions).
3Ces cinq champs d’action, Gouvernance et gestion, Services aux étudiant.e.s, Services au personnel, Recherche & formation, Equipement & Bâtiment, nous paraissent en effet fort utiles pour penser les différents domaines de mise en œuvre des politiques de diversité et de genre dans la formation supérieure en Suisse, et en particulier dans les HES. Considérons donc de plus près ces cinq domaines :
Gouvernance et gestion
4Ce domaine est responsable du développement et de l’ajustement des projets stratégiques, concernant notamment la sensibilisation, la formation et le monitoring. Il comprend également l’établissement et la publication des statistiques qui permettent de suivre l’évolution de la composition des équipes du personnel pédagogiques et administratif, et celle des cohortes d’étudiant.e.s.
Services aux étudiant.e.s
5Ce domaine comprend l’accès aux études, l’accès aux stages, mais peut aussi concerner des mesures de soutien au passage vers le marché de l’emploi. Plus particulièrement, il facilite l’accès aux études des personnes vivant avec un handicap, cherche à éliminer les discriminations à l’égard des personnes LGBT et s’intéresse également à la question de la diversité au sein des associations d’étudiant.e.s.
Services au personnel
6Ce domaine est concerné par le recrutement et la promotion du personnel pédagogique et administratif. Une attention particulière est accordée à la politique salariale et à la non-discrimination lors de l’embauche et de la promotion, en fonction d’une série de catégories (à définir par les institutions concernées : âge ; handicap ; orientation sexuelle ; croyance religieuse, etc.).
Recherche & formation
7Ce domaine comprend à la fois la recherche et la formation des étudiant.e.s. La recherche permet de nourrir la réflexion, d’établir les besoins ou encore de servir de base pour l’enseignement. La formation implique une série d’enjeux d’ordre organisationnel, dont notamment le calendrier des cours et des examens (en fonction du calendrier interreligieux, par exemple). De même, les contenus des cours (notamment les bibliographies fournies par les enseignant.e.s) peuvent être autant d’outils pour mettre fin à un ethnocentrisme, et donc remettre en question « nos » évidences.
Equipement & Bâtiment
8Ce domaine s’occupe de l’accès aux bâtiments, de l’adaptation des salles, des équipements et des signalétiques, des équipements, mais aussi d’autres aspects pratiques comme l’offre de la cafétéria (menu halal, etc.).
ÉTUDES DE CAS
9Au cours de cette recherche, les visites de cinq pays nous ont permis de cerner quelques politiques universitaires et de les situer dans le cadre des politiques nationales de diversité et/ou de genre, dont nous présenterons ci-dessous quelques exemples.
10Il ne s’agit pas de nous prononcer sur les politiques de ces pays en général, car cela dépasserait – et de loin – le cadre de cet ouvrage, ni d’en faire une étude comparative, notamment parce que les pays examinés sont bien trop différents quant à leur taille, leur histoire et leur population. Notre but est de donner à voir différentes politiques et pratiques de gestion de la diversité, en mettant un accent particulier sur les Hautes écoles tout en accordant de l’attention aux politiques générales relatives à la vie citoyenne.
11Pour chaque étude de cas, on trouvera :
- Un bref rappel du contexte du pays et de son système politique, ainsi que les raisons qui ont motivé cette visite ;
- La philosophie, les principes et, le cas échéant, les bases légales de la gestion de la diversité et du genre ;
- Les avancées marquantes ;
- Les principales catégories retenues et les mesures prises dans les universités visitées ;
- Un bilan avec d’éventuels points forts.
La Norvège15
121) Le choix de la Norvège a été motivé par les nombreux points communs que ce pays possède avec la Suisse : de petite taille, prospère seulement depuis le XXe siècle, elle n’est pas membre de l’UE et pratique par ailleurs une collaboration diplomatique étroite avec la Confédération helvétique. Le système politique norvégien est caractérisé par une démocratie parlementaire et une monarchie constitutionnelle. Du point de vue historique, on peut relever que le pays n’a pas de passé colonial et était un pays d’émigration. L’immigration représente un défi important, mais relativement récent, à partir des années 1960 uniquement. Le PIB per capita est élevé et la richesse est répartie de manière – relativement – homogène au sein de la population.
13On note par ailleurs une vieille tradition – solide et institutionnalisée – d’une politique d’égalité entre femmes et hommes (Storvik & Teigen 2010) et une sensibilité sociale générale de la population norvégienne. Dans un certain sens, cette tradition exacerbe (chez certain.e.s) la critique vis-à-vis des politiques de la diversité, motivée par la crainte d’une « dissolution » des acquis – et des défis – de l’égalité entre femmes et hommes dans un concept plus large (Bygnes 2010).
142) La gestion de la diversité est un enjeu d’actualité, abordée dans une perspective d’égalité des chances et d’antidiscrimination. Parmi les catégories prises en considération, le genre est implanté de manière historique, tandis que les autres catégories ont été ajoutées plus récemment (depuis les années 2000). En ce qui concerne l’égalité entre femmes et hommes, le pays est en avance, il se situe en tête des classements internationaux. Ces acquis peuvent par ailleurs servir d’exemple ou de catalyseur pour d’autres types de revendications.
15Le cadre légal des politiques de la diversité est défini par le Gender Equality Act de 1978 et l’Anti-Discrimination Act (Act on prohibition of discrimination based on ethnicity, religion, etc.) de 2005. Depuis 2008, l’Anti-discrimination and Accessibility Act assure l’égalité des chances pour les personnes vivant avec un handicap et vise à éliminer la discrimination basée sur le handicap. Cependant, l’ouverture des catégories prises en considération au-delà du genre s’est faite sans une recherche de nouveaux paradigmes qui permettraient de tenir compte notamment des inégalités à l’intersection des différentes catégories.
163) Parmi des avancées importantes, citons :
- L’établissement en 2006, d’un Ombud pour l’antidiscrimination (Likestillings-og diskrimineringsombudet, LDO), né de la fusion entre les services de l’égalité entre femmes et hommes et les services de lutte contre le racisme.
- La volonté de donner un cadre légal conséquent et universel au combat des discriminations, sur la base de l’ensemble des catégories abordées jusqu’ici dans différentes lois. En 2012, le gouvernement norvégien prépare un projet de loi allant dans ce sens.
- Depuis 2009, les institutions du secteur public (y compris les institutions de formation tertiaire), ainsi que tous les employeurs privés ayant plus de cinquante employés doivent rendre compte dans leurs rapports annuels de mesures réactives et proactives concernant trois catégories : genre, ethnicité et handicap. Toutefois, les experts interrogés considèrent ce monitorage des mesures de diversité comme un défi considérable, qui s’avère très chronophage comparé à l’utilité perçue de l’évaluation.
17De plus, la tradition norvégienne relevant d’une logique égalitaire et solidaire axée sur la conception d’une société dans laquelle tous se ressembleraient16 rend les démarches des minorités – qui revendiquent autant l’égalité et la non-discrimination que leur droit à la différence – plus complexe.
184) Lors de notre voyage d’étude, nous avons visité l’Ombud pour l’antidiscrimination (LDO) et trois institutions d’éducation tertiaire : l’Université d’Oslo (leurs politiques d’égalité se concentrent sur le genre, notamment par la promotion à l’interne d’une relève féminine), l’University College of Oslo (se concentrant sur la catégorie de la migration, notamment auprès des familles des étudiant.e.s potentiel.le.s) et l’Université de Bergen (ayant mis en place depuis 2009, un comité « mixte » s’occupant à la fois du genre et de la diversité). S’agissant de la définition des politiques d’une école donnée, il ressort des entretiens que la sensibilité personnelle des dirigeant.e.s de ces institutions est très significative. Toutefois, une forme d’homogénéisation et de cohérence des démarches est assurée notamment par la rencontre régulière (semestrielle) des responsables d’égalité des chances de l’ensemble des universités du pays, qui discutent des politiques et des pratiques dans les écoles.
195) Pour l’heure, nous n’avons pu observer la mise en place de véritables solutions intersectionnelles. L’Université de Bergen constitue néanmoins une exception, car elle possède une commission réunissant les responsables de différents domaines. Ce groupe a été créé sur la base de revendications bottom-up formulées notamment par l’association des étudiant.e.s qui estimaient que le plan d’action « genre » n’allait pas suffisamment loin pour remédier aux inégalités. Ils tireront le bilan de leur premier cycle Diversity 2009-2011 dès 2012.
L’Allemagne17
201) Le choix de visiter des universités en Allemagne était motivé par la présence dans les institutions d’éducation supérieure d’unités « mixtes » s’occupant à la fois du genre et de la diversité. Dans ce pays, les politiques de diversité dans les institutions d’enseignement tertiaire sont notamment motivées par l’influence du cadre juridique national et européen. D’autres facteurs de promotion de diversité sont le manque grandissant en personnel qualifié ainsi que l’évolution démographique en général, allant vers une diversification ethnique de la population.
21L’Allemagne est le pays le plus peuplé de l’Union européenne. Le système politique est caractérisé par un système fédéraliste, composé de seize Länder. La réunification des deux Allemagne en 1990 est l’événement politique récent le plus marquant, qui génère notamment des répercussions notables au plan démographique. A l’heure actuelle, la population allemande augmente grâce à un solde migratoire positif. Il faut toutefois noter d’importantes disparités entre les régions : contrairement aux provinces de l’ancienne Allemagne de l’Ouest, le solde migratoire est négatif dans les Länder de l’Est, avec un taux de chômage très élevé.
22Malgré ces contrastes, l’Allemagne est économiquement le pays le plus puissant d’Europe et figure depuis 2008 au quatrième rang mondial.
232) Les politiques concernant l’égalité entre femmes et hommes sont garanties par un cadre juridique au niveau fédéral et par un financement qui n’ont pas leur équivalent pour le concept de « diversité ». Quant à la gestion de la diversité, on peut noter l’importante tradition, depuis les années 1990, d’une sensibilité pour la diversité dans le contexte de la gestion des ressources humaines au sein des entreprises. Dans le cas des Hautes écoles, il s’agirait en quelque sorte d’une transposition de ces politiques.
24Concernant les catégories prises en considération, les observations de notre étude permettent de formuler l’hypothèse suivante : les catégories auparavant abordées de manière isolée (genre, handicap ou encore migration) sont reprises – ensemble – sous le postulat moderne et stratégiquement efficace de la diversité.
253) Diversité et genre ne semblent pas se concurrencer dans les politiques et les mesures. La volonté déclarée d’instaurer des politiques contre la discrimination, pour chaque individu ou groupe, constitue la base des avancées. Les trois cas étudiés sont la Rheinisch-Westfälische Technische Hochschule Aachen (RWTH), qui met l’accent sur le genre et l’internationalisation de la formation en attirant des étudiantes et des chercheuses de l’étranger ; l’Universität Duisburg-Essen, où les enjeux principaux sont l’interculturalité et l’intégration des personnes issues de la migration ; et la Fachhochschule Gelsenkirchen, qui porte également une attention explicite aux personnes issues de la migration. Dans deux des écoles examinées, la gestion de la diversité est ancrée au niveau des directions. Un effort particulier est fait notamment en termes de conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, tant pour le personnel que pour les étudiant.e.s.
26Aucun système de suivi et d’évaluation, pourtant perçu comme un potentiel instrument de gestion de la diversité, n’a encore été établi dans les écoles visitées.
274) L’exemple des Hautes écoles visitées montre qu’elles se trouvent au début de la mise en place de leurs politiques de diversité. L’orientation des politiques dans les différentes écoles est influencée par leur situation et le contexte : elles doivent s’adapter chacune à un cadre légal spécifique, à des réalités régionales diverses (notamment une présence plus ou moins importante de personnes issues de la migration), ou encore aux spécificités selon les filières (p. ex. filière technique versus filière sociale). Une mesure intéressante est l’établissement d’une table ronde « antidiscrimination » au sein d’une des Hautes écoles, permettant de réunir et de faire dialoguer les acteurs/trices concerné.e.s : représentants du personnel et des étudiant.e.s, qu’ils appartiennent ou non aux groupes potentiellement discriminés.
285) Lorsqu’il est question de migration, il s’agit tant de migration transfrontalière que de migration entre différentes régions allemandes. Dans les trois Hautes écoles, les étudiant.e.s sont au centre des efforts ; le cas du personnel passe (pour l’heure) au second plan. Il est à noter que les catégories comme la religion, l’orientation sexuelle ou encore l’âge ne font pas l’objet de discussions dans ces écoles.
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne18
291) Ce pays a été choisi en raison de son activité importante dans le domaine de l’anti-discrimination. Ses politiques antidiscriminatoires s’enracinent à la fois dans les mouvements pour les droits civiques et dans une histoire (post) coloniale. La perspective de la diversité est influencée par un courant de pensée libérale, s’articulant autour de l’enjeu des libertés individuelles. Cet aspect « individualiste » est notamment mis en évidence par une attention particulière accordée à la protection de l’individu de la discrimination (notamment raciale).
30Le Royaume-Uni est composé de la Grande-Bretagne (Angleterre, Ecosse et Pays de Galles) et de l’Irlande du Nord, ainsi que de quatorze territoires d’outre-mer (territoire britannique d’outre-mer), vestiges de l’Empire britannique. Son système politique est basé sur l’une des plus vieilles monarchies constitutionnelles et, en même temps, le Royaume-Uni est aussi la première démocratie parlementaire. La toile de fond historique et politique du pays est marquée par la décolonisation des années 1960-1970 et par l’immigration des populations anciennement colonisées qui a suivi. Plus récemment, le passage d’un gouvernement Labour (au pouvoir entre 1997 et 2010) à un gouvernement conservateur fait craindre à certains observateurs que la mise en œuvre des lois façonnées par le Labour ne soit pas autant prise à cœur par les nouveaux responsables politiques. Concernant les transformations sociétales par la migration, il faut noter que l’évolution démographique est actuellement radicalement différente selon l’origine des populations considérées. Ainsi, on observe une diminution de la population d’origine anglaise et une progression des populations d’origine africaine et asiatique. Le groupe des personnes issues de couples « mixtes » augmente le plus rapidement.
31La base économique du pays semble solide : par le PIB nominal, le Royaume-Uni se situe à la sixième place de l’économie mondiale.
322) Le cadre légal constitue un moteur important des politiques de diversité. Ainsi, l’Equality Act 201019 vise à renforcer et à harmoniser la législation antidiscrimination existante afin de promouvoir l’égalité de tous. Depuis son entrée en vigueur le 1er octobre 2010, cette loi remplace la législation précédente en ce qui concerne l’égalité.
33Les traits marquants de cette nouvelle loi sont les suivants :
34 Protected Categories : huit catégories ont été déterminées comme étant à protéger. Elles sont placées au même niveau et n’entrent pas en concurrence les unes avec les autres. Les catégories prises en considération par la loi sont les suivantes : l’âge ; le handicap ; le changement de sexe ; le statut marital (y compris le partenariat civil) ; la grossesse et la maternité ; la race (y compris origine ethnique, couleur de peau, nationalité, etc.) ; la religion ou la croyance ; le sexe ; l’orientation sexuelle.
35 Proof of Non-Discrimination : le devoir d’apporter les preuves de non-discrimination incombe à l’accusé.
36 Public Sector Equality Duty : le secteur public est tenu de promouvoir l’égalité, de manière proactive.
37Les financements consacrés à la gestion de la diversité proviennent des fonds dédiés à des projets particuliers et à des initiatives stratégiques déterminées. Dès lors, une coordination des politiques et des mesures, qui concernent différentes catégories, s’avère fort complexe.
383) Les avancées importantes obtenues sont l’intégration des groupes d’intérêt (stakeholders) dans le processus d’élaboration des mesures, qui permet d’assurer une dynamique bottom-up.
39Concernant le monitorage et l’évaluation de l’impact des mesures, selon les experts interrogés, ces démarches s’avèrent coûteuses et chronophages. De même, l’identification des données pertinentes demande un effort particulier.
404) Dans le cadre de notre étude, sur l’ensemble des cent quinze universités du pays, deux ont été sélectionnées pour une visite : Oxford Brookees University (autrefois école polytechnique, devenue université en 1992) et l’University of East Anglia.
41Une mesure intéressante à retenir est l’instauration d’un soutien financier (Allowance) pour les étudiant.e.s. et les membres du personnel vivant avec un handicap. Dans ce contexte, la définition même du handicap est large, incluant notamment la dyslexie. Par ailleurs, les institutions sont amenées à anticiper les besoins des personnes vivant avec un handicap (étudiant.e.s comme personnel).
425) Un aspect remarquable est la transparence des démarches entreprises par les Hautes écoles. Ainsi, les supports aux mesures et les rapports de réflexion des différentes institutions sont mis à disposition de la communauté académique, en ligne, via notamment le site de l’Equality Challenge Unit20, le comité responsable de la promotion de l’égalité et de la diversité dans l’éducation supérieure.
Les Etats-Unis d’Amérique : New Jersey21
431) L’Etat du New Jersey, qui se situe sur la côte Est des USA, est un petit Etat ; de taille semblable à la Suisse, il compte environ 8,5 millions d’habitants ; c’est aussi un des Etats les plus divers du pays du point de vue ethnique, connaissant une longue tradition d’immigration puisqu’il est situé à proximité de ports majeurs d’entrée aux Etats-Unis. Kean University, qui a été visitée entre 2009 et 2010, se trouve dans la région métropolitaine de New York, et est de taille semblable à la HES-SO, comptant plus de 16’000 étudiant.e.s.
442) Au niveau fédéral états-unien, la politique de gestion de la diversité relève du Civil Rights Act, loi majeure de 1964 qui met fin à toute forme de ségrégation légale dans l’espace public et qui prohibe toute discrimination, en particulier dans le monde du travail. Cinq catégories y sont nommées : la race, la couleur, l’origine nationale, la religion et le sexe.
45Une loi de 1990 pour la protection des droits des personnes vivant avec un handicap, l’Americans with Disabilities Act (ADA) complète ce dispositif. Au niveau de l’Etat du New Jersey, la New Jersey Policy Prohibiting Discrimination in the Workplace (1999) combat la discrimination – y compris le harcèlement –, tout particulièrement dans l’administration et dans le domaine de l’emploi. Cette loi précise une liste de vingt catégories protégées, dont certaines peuvent étonner hors du contexte états-unien. Nous traduirons et reviendrons en détail sur cette liste dans le chapitre 4, dont voici les termes d’origine : race, creed, color, national origin, nationality, ancestry, age, sex/gender (including pregnancy), marital status, civil union status, domestic partnership status, familial status, religion, affectional or sexual orientation, gender identity or expression, atypical hereditary cellular or blood trait, genetic information, liability for service in the Armed Forces of the United States, or disability22.
463) La législation antidiscriminatoire aux Etats-Unis fut instaurée en 1964 au moment de l’abolition des lois de ségrégation raciale, après des années de Civil Rights Movement – mouvement des droits civiques. Le contexte historique du racisme et de la longue lutte contre la discrimination et la ségrégation raciales peut expliquer que les questions de discrimination raciste sont plus présentes et notamment davantage codées dans la société états-unienne que les questions de genre et de sexisme. Toutefois, la question du racisme est loin d’être réglée.
474) Kean University : université publique, elle fait partie des cinq universités qui connaissent le plus fort taux de diversité des Etats-Unis, à la fois en ce qui concerne l’origine ethnique et l’origine sociale : en effet, 47 % des étudiant.e.s sont des non-Blanc. he.s et 50 % font partie de la « première génération à l’université », issu.e.s de couches sociales modestes.
48L’Université s’est dotée d’une déclaration de principe, l’Equal Opportunity and Affirmative Action Statement qui reprend les principes et catégories de l’Etat du New Jersey, précisant les procédures de plaintes et la fonction de l’office qui s’en charge. Par ailleurs, toute une série de programmes spécifiques découlent de cette déclaration. On peut distinguer quatre formes de mise en œuvre :
-
Office of Affirmative Action/Fonction d’Ombud :
- reçoit et traite les plaintes aussi bien de la part d’étudiant.e.s que de la part du personnel ;
- développe des programmes de formation du personnel en ce qui concerne les catégories de diversité.
-
Diversity Policy/Programmes s’adressant aux étudiant.e.s
- Spanish speaking Program (pour étudiant.e.s hispanophones) ;
- Exceptional educational opportunities Program (pour étudiant.e.s à faible revenu) ;
- Entry Program into College (pour les étudiant.e.s de 25 ans et plus) ;
- Veterans Program (ex-soldats) ;
- Minorities and women into science and technology (promotion des femmes et des persones issues des minorités dans les filières scientifiques) ;
- Center for academic success (pour étudiant.e.s en difficulté d’apprentissage).
- Equipements, bâtiments, horaires :
- bâtiments entièrement équipés pour l’accès aux personnes vivant avec un handicap, nombreuses tant parmi les étudiant.e.s que parmi le personnel ;
- horaires de cours adaptés aux besoins divers des étudiant.e.s qui travaillent à côté. de leurs études.
- Activités du « Vivre ensemble » sur le campus :
49•Toute une série d’activités sur le campus sont organisées, telles des soirées-débats pour les résident.e.s, des formation de leaders avec une sensibilité particulière à la question de l’homophobie.
BILAN : QUELS ENSEIGNEMENTS TIRER DE CES PRATIQUES ?
Domaines d’intervention : priorités et difficultés
50Dans nos investigations, il apparaît que la volonté d’agir, donc la gouvernance et la gestion, est la clef de voûte des politiques de diversité. Cela présuppose un travail considérable en termes de sensibilisation des décideurs à cette question.
51Dans les Hautes écoles visitées, l’attention est principalement accordée aux étudiant.e.s, en termes d’accès aux études, tandis que la question du parcours, voire même de la sortie des études, passe souvent au second plan.
52Les préoccupations liées au personnel apparaissent peu dans les réflexions, sauf dans les pays anglo-saxons. Ainsi, au Royaume-Uni, l’Equality Challenge Unit aborde les défis posés par et au personnel avec ceux des étudiant.e.s ; aux Etats-Unis, les mesures antidiscriminatoires visent en premier lieu à former les employé.e.s, de sorte que, à Kean University, les mesures de protection concernent autant le personnel administratif ou pédagogique que les étudiant.e.s.
53Concernant l’accessibilité aux bâtiments dans les Hautes écoles (Accessibility), le financement de ces mesures peut constituer un frein majeur. En effet, l’adaptation de certains bâtiments peut s’avérer fort onéreuse. En période d’importantes coupes budgétaires, l’absence de moyens risque d’affecter la suite de la mise en œuvre des mesures.
Points forts et points faibles des expériences dans les diverses Hautes écoles examinées
54De manière générale, il nous semble que les institutions étudiées se situent encore dans une phase expérimentale de la gestion de la diversité. A l’exception du Royaume-Uni, la situation dans les autres pays étudiés est de ce point de vue comparable à celle que l’on trouve en Suisse. Toutefois, leurs expériences nous offrent une série d’instruments concrets qui peuvent inspirer des démarches à entreprendre dans nos propres Hautes écoles.
55Ainsi, en Norvège, afin de faciliter la sensibilisation à la question de la diversité, le manuel développé en 2009 par l’Ombud23 pour l’antidiscrimination constitue une base de travail commune pour l’ensemble des Hautes écoles. Il expose le cadre juridique, recense des liens utiles, et présente aussi des bonnes pratiques.
56En Allemagne, en 2006, la RWTH Aachen a instauré le rapport sur l’internationalisation, instrument qui permet notamment d’effectuer un suivi en termes chiffrés de l’évolution des étudiant.e.s et des membres du personnel internationaux. Ces rapports, publiés tous les deux ans, contribuent à une adaptation des politiques internes aux besoins réels.
57A l’University of East Anglia (UK), un centre d’étude, Diversity and Equality in Careers and Employment Research (DECERe), conduit et promeut des recherches autour de la question de la diversité, articulée aux questions de parcours professionnels et de l’emploi. Ce réseau de recherche est à la fois une opportunité pour générer de l’information sur la gestion de la diversité, mais aussi un lieu de rencontre pour des investigations transdisciplinaires.
58Le contexte états-unien est particulier, en ce sens que la question de la discrimination ethnique et raciale y est plus fortement présente que la question de genre tant dans les dispositifs légaux et institutionnels que dans les sensibilités quotidiennes, ce qui se reflète dans les programmes et actions mis en œuvre. Les grilles et instruments utilisés dans ce contexte ne sont bien sûr pas transposables tels quels dans nos contextes de formation. Ils pourraient toutefois nous permettre d’élargir la réflexion, notamment concernant le nombre et la nature des catégories à prendre en compte ainsi que la diversité d’aspects de la vie universitaire qui pourraient être touchés par d’éventuelles mesures.
59Au sujet des obstacles rencontrés, les entretiens menés avec les experts des pays visités confirment la difficulté (opérationnelle) de la catégorisation : en effet, comment distinguer caractéristiques individuelles et effets de structures sociétales ? Sur le terrain, on observe que les catégories peuvent permettre de rendre visibles des discriminations ; en même temps, le risque d’un enfermement catégoriel persiste. Notamment pour les personnes issues de la migration : jusqu’à combien de générations faut-il tenir compte de la migration ? Ces questions – opérationnelles et théoriques à la fois – restent ouvertes.
Leçons à tirer
60Dans deux des pays cités (Norvège et Royaume-Uni), les politiques de diversité bénéficient d’un fort ancrage législatif et institutionnel centralisé, sous la forme de lois, de programmes, d’institutions et de programmes centralisés.
61En Suisse, notons l’absence d’une loi générale contre la discrimination et, en conséquence, l’absence d’une politique générale coordonnée contre les discriminations, ou encore l’absence d’instances (fédérales) de mise en œuvre et de contrôle des politiques de diversité, et ce contrairement à la politique d’égalité entre femmes et hommes, qui bénéficie d’instruments centralisés. Dès lors, un certain écart est manifeste entre la création des services de diversité au sein de certaines HES et une forme de retenue fédérale. Cette retenue empêche de développer de manière proactive ou coordonnée des mesures en faveur des groupes de la population les plus concernés par la discrimination.
Notes de bas de page
13 Nous traitons dans ce chapitre des cas relevant aussi bien des universités que des Hautes écoles spécialisées, car leurs appellations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Nous utiliserons donc de manière synonyme « Hautes écoles » et « Etablissement d’enseignement supérieur » pour désigner ces institutions.
14 Adaptation française du graphique récupéré à l’adresse www.ecu.ac.uk/heifunctions
15 Pour plus d’informations, voir Földhazi (2012).
16 Nous traduisons ici la notion de sameness-centered egalitarian logic (Bygnes 2010).
17 Pour plus d’informations, voir Fröse et al. (2012)
18 Pour plus d’informations, voir Çetinkaya et Jeive (2012).
19 www.legislation.gov.uk/ukpga/2010/15/contents
20 www.ecu.ac.uk/
21 Etude de cas issue d'un séjour académique à Kean University, NJ, voir Eckmann (2012).
22 Ces catégories ne sont pas simples à traduire ; pour plus de précisions, le commentaire officiel des catégories se trouve en annexe p. 89).
23 Nous entendons ici par Ombud le service sous la direction d’un ombudsman responsable. « Le mot Ombudsman vient de l’aire linguistique scandinave et signifie à peu près médiateur. On entend par là une personne de confiance, la plus indépendante possible, qui enquête sur les plaintes de la population envers les services de l’administration publique. » (cf. site de l’AOP – l’Association des ombudsmans parlementaires suisses, www.ombudsmanch.ch/content-fr/index-fr.html).
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