Introduction
p. 11-14
Texte intégral
1Pourquoi proposer ce petit livre sur la façon de gérer les questions de diversité et de genre dans les Hautes écoles, alors que la littérature sur ces concepts est abondante ? Nous partons du constat que l’homogénéité des vies, des trajectoires, des ressources – et des chances – est une illusion, mais que la majorité des fonctionnements institutionnels ne prennent pas, ou seulement peu en compte ces diversités et ces différences. Nous pensons aussi qu’il est temps de prendre conscience de ces différences et ces diversités, afin d’introduire des mesures concrètes en conséquence. Il s’agit en effet de la mise en œuvre de politiques et de mesures garantissant à toutes et à tous un accès égal aux droits et aux ressources dans une perspective de non-discrimination.
2Vouloir entamer ce travail de mise en œuvre dans les Hautes écoles spécialisées en général, et les Hautes écoles de travail social en particulier, soulève une série de questions : comment ces écoles peuvent-elles aborder la question de la diversité dans l’organisation et la mise en œuvre de leurs formations ? Qu’entendent-elles par diversité, s’agit-il de diversité culturelle, ethnique, linguistique ou religieuse ? Y aborde-t-on la question du handicap ou de l’orientation sexuelle ? Et qu’en est-il des inégalités sociales, des classes sociales ? Quelles mesures existent ou lesquelles sont en gestation, s’agit-il de mesures proactives ou réactives ? Et comment cette question est-elle posée et résolue dans des Hautes écoles à l’étranger ?
3En outre, comment articuler la question de la diversité avec l’enjeu de l’égalité entre femmes et hommes ?
4Ces interrogations ne soulèvent pas seulement l’intérêt théorique de définir ce qu’est la diversité et comment la prendre en compte, mais elles relèvent aussi d’une actualité tout à fait pragmatique. Le contexte actuel à ce propos est en pleine mutation et une clarification s’impose, non seulement en lien avec la mise en œuvre des dispositions légales à cet égard, mais aussi pour correspondre aux exigences de l’internationalisation croissante des formations supérieures.
5Si la question de l’égalité entre femmes et hommes et – dans un sens plus large – les questions de genre bénéficient depuis une vingtaine d’années d’une attention publique et de législations qui ont permis l’institutionnalisation de postes de responsables et certaines mesures – qui n’ont certes pas encore réussi à atteindre leurs objectifs, mais ont au moins le mérite d’exister –, il n’en va pas de même pour la question de la diversité. Or, lorsqu’on parle de diversité, on pense souvent à la diversité des langues, des nationalités et des religions, mais on omet d’autres paramètres de discrimination ou d’inégalité. Si bien qu’en fin de compte, la question de la diversité nous renvoie aux diverses inégalités et aux principes d’égalité, ainsi qu’au besoin d’une loi générale contre la discrimination, qui n’existe toujours pas en Suisse. Mais cette absence de base légale générale contre la discrimination ne signifie pas qu’il n’existe aucune base pour combattre les différentes formes de discrimination et l’espace existe pour promouvoir et instituer des mesures pour plus d’égalité. C’est cet espace que ce livre vise à explorer.
ORIGINE DE LA DÉMARCHE
6Cet ouvrage s’appuie sur une recherche dont les motivations initiales étaient à la fois théoriques et pratiques : la Commission Egalité des chances (CE-GCh) de la Conférence Suisse des hautes écoles spécialisées (CSHES) souhaitait clarifier des concepts et des modèles pour développer à la fois le dossier diversité et le dossier genre dans les Hautes écoles spécialisées. Se posait ainsi la nécessité de définir quelles seraient les catégories incluses dans ces démarches. Les matériaux récoltés au cours d’une recherche menée sous l’égide de la Fachhochschule Nordwestschweiz1, et financée par l’Office fédéral de la formation et de la technologie et par les Hautes écoles spécialisées qui y participaient, forment la base du présent ouvrage. Il vise à rapporter brièvement l’état du débat sur la diversité et son articulation possible avec le genre et à présenter des initiatives et des mesures qui pourraient inspirer des actions à mettre en place dans nos écoles.
7Le point de départ de cette recherche est lié aux développements récents, où l’on assiste à la création de postes ou de services ou encore à la modification de mandats confiés à ces services : depuis 2009, dans certaines Hautes écoles suisses, les responsables « égalité » (entre femmes et hommes) se voient confier un mandat supplémentaire de « diversité », qui dès lors, concerne un éventail beaucoup plus large de catégories. De même, certaines collectivités publiques, telles que la Ville ou le Canton de Genève, ont créé des services consacrés à la question de l’égalité hommes-femmes et à la question de la diversité, respectivement un service de promotion de l’égalité entre femmes et hommes et un bureau d’intégration des étrangers. Ces organismes interrogent actuellement leur coopération et leur convergence, mais aussi les différences entre leurs activités respectives. Nous avons abordé ensemble ces thèmes dans un atelier commun à l’automne 2011 et les résultats de nos discussions ont partiellement inspiré ce texte.
PRÉSENTATION DU CONTENU
8Dans le premier chapitre, nous discuterons des concepts de diversité, d’égalité et de discrimination, ainsi que des enjeux soulevés par la question du choix des catégories à protéger. Nous aborderons également les différentes traditions de mise en œuvre de politiques d’antidiscrimination. Dans le chapitre 2, nous dresserons l’inventaire du cadre légal, tant suisse que romand, et esquisserons les pratiques dans les Hautes écoles spécialisées. Dans le chapitre 3, nous changeons de perspective en nous intéressant aux exemples d’application et aux mesures concrètes telles que pratiquées à l’étranger (soit en Norvège, en Allemagne, aux Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dans le New Jersey). Le chapitre 4 permettra d’inscrire ces expériences dans le quotidien de nos Hautes écoles, à travers une série d’outils et de grilles de réflexion que nous proposons au lecteur. Ces outils s’adressent à tous les acteurs des écoles, à quelque niveau que ce soit : direction, équipes d’enseignant.e.s et de recherche, collaborateurs/trices des ressources humaines, représentant.e.s du personnel ou des étudiant.e.s. La conclusion résume les défis qu’il reste à relever, au niveau tant théorique qu’opérationnel.
9Nous sommes persuadées que les Hautes écoles peuvent constituer le laboratoire d’une nouvelle forme – plus démocratique – de cohabitation entre des acteurs sociaux les plus divers. Motivées par cette conviction, nous souhaitons proposer un dispositif facilitant l’agencement de cette coexistence au bénéfice du plus grand nombre. Nous espérons que les analyses et outils proposés favoriseront l’adoption au quotidien – dans notre rapport aux étudiantes ou entre collègues et en tant qu’institution – de postures d’égalité active et une ouverture à la diversité.
Les enjeux
10Dans ce chapitre, nous rendrons compte de manière synthétique d’un débat vaste, dont la complexité est considérable et dont l’ampleur dépasse le cadre du présent ouvrage. En raison de cette complexité, ce qui suit est une invitation à une réflexion – quelque peu hétéroclite, mais à nos yeux incontournable – sur la diversité.
11Les principes d’égalité et de non-discrimination exigent un traitement équitable de tous. En même temps, l’attention accordée à la non-discrimination renvoie à la prise en compte spécifique des groupes vulnérables exposés aux discriminations. Les obstacles que rencontrent certains groupes ou catégories, leurs difficultés et leurs besoins sont divers et concernent aussi bien l’inégalité d’accès au capital social ou au capital culturel que les obstacles pour accéder aux bâtiments, liés aux attributs physiques. Mais quelles sont les catégories vulnérables et donc à protéger ? Comment les définir et comment les articuler ? Les groupes dont les revendications ont été les plus discutées sur la scène publique ces dernières années sont les femmes, les migrant.e.s, ou encore les personnes vivant avec un handicap, sans toutefois que le terme de diversité leur soit systématiquement appliqué.
12Comment ne pas perdre de vue qu’en examinant les conditions de vie et les contraintes spécifiques rencontrées par certaines catégories, on observe surtout une inégalité d’accès aux ressources et aux droits ? Ce sont des thématiques à la fois très actuelles et pourtant soulevées depuis fort longtemps. Nous pensons en particulier aux travaux de Colette Guillaumin (1992) qui, tout en dénonçant la naturalisation des catégories de sexe et de race, construites socialement et historiquement, montre comment ces catégories deviennent réalité et influencent les rapports de pouvoir. Considérons encore les travaux de Birgit Rommelspacher (1995), qui examinent les effets des rapports de dominance et comment ceux-ci forgent une culture de dominance qui modèle notre mode de vie et nos représentations, où les privilèges des uns et les handicaps des autres semblent évidents aux yeux de tous.
13Dès lors, on doit se demander comment s’assurer que les mesures et les politiques à mettre en œuvre ne servent pas seulement à combattre et à éviter les discriminations envers les groupes minorisés et désavantagés, mais aussi à transformer nos représentations au sujet des uns et des autres ? Et quels sont, plus spécifiquement, ces groupes vulnérables à prendre en compte ?
Notes de bas de page
1 Voir le rapport de recherche de Meyerhofer & Jeive, Gender und Diversity an Hochschulen : Praxisbeispiele aus Deutschland, Grossbritannien und Norwegen und Empfehlungen zur Umsetzung, 2012)
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