Le moment de l’après
p. 35-58
Texte intégral
Montage
1« Premières prises » ne signifie pas nécessairement absence de montage. Pour optimiser les performances, Corea et l’équipe de Solid State effectuèrent quelques manipulations dites parfois de postproduction. La discographie de Cuscuna et Ruppli en apporte une première preuve. Au regard du tableau 2, on constate ainsi que « Now He Beats The Drum-Now He Stops » assemble la conséquente introduction réalisée en piano solo par Corea le 19 mars avec l’interprétation en trio du 14 mars – en y prêtant attention, on entend d’ailleurs le point de montage à 4’29. Un même processus fut mis en œuvre pour « Steps-What Was », mais en sens contraire, l’introduction solo de Corea datant du 14 et la version du trio du 19. Les discrètes interventions de Roy Haynes au cours de l’introduction de Corea donnent même à penser que cette introduction-ci en solo pourrait être advenue à l’issue d’une improvisation collective.
2Dans un entretien accordé à Stuart Nicholson en 2001, Corea apporte une information supplémentaire au sujet d’un morceau, sans doute « Steps-What Was » :
« Je me souviens avoir pris les bandes enregistrées, les avoir écoutées et avoir fait un peu de montage sur l’une des pistes afin d’obtenir un solo de batterie plus long de Roy Haynes. J’ai oublié de quelle piste il s’agit mais je l’aimais tellement que je voulais qu’il soit plus long alors j’ai utilisé une autre prise que nous avions faite et j’ai monté les deux solos de batterie ensemble, puis j’ai envoyé la bande à Roy pour lui demander ce qu’il en pensait : il n’a pu faire la différence lui-même1 ! »
3Il ne peut s’agir que du solo de batterie qui fait la transition entre « Steps » et « What Was », puisqu’il constitue l’unique intervention soliste de Roy Haynes de toutes les plages enregistrées lors des trois journées de mars. Toutefois, le relevé des prises par Cuscuna et Ruppli n’indique pas quelle autre prise a pu être utilisée à la fin de « Steps » pour accroître les dimensions de l’improvisation d’Haynes. Deux détails suggèrent néanmoins qu’elle pourrait avoir été extraite, là encore, d’une improvisation libre. D’abord, le solo du batteur apparaît scindé en deux parties : pour la première, il continue de jouer sa cymbale, sur la lancée de son accompagnement précédant, et en tempo, y compris lorsqu’il passe sur les peaux ; en contraste, la seconde partie, qui se signale par un silence à 6’12 (situation propice, s’il en est, pour un montage aisé), voit la disparition d’un tempo fixe. Un autre détail soulève l’attention : cette dernière partie du solo de batterie fait entendre des petites percussions qu’Haynes ne peut actionner lui-même, ses deux mains étant occupées à jouer aux baguettes comme on l’entend clairement. Il est probable que, sans que cela soit crédité, Corea agite ces petites percussions pour nourrir la texture d’ensemble, type d’action qu’il produira effectivement dans le futur pour plusieurs enregistrements2.
4Il est enfin significatif que les deux seules pièces ayant fait l’objet d’un montage avéré apparaissent sur l’édition originale de l’album. Cela constitue pour autant des manipulations d’une ampleur très réduite puisqu’il s’agit dans les deux cas d’assemblages de blocs sonores complets, très éloignés des gommages, corrections, mises en boucle réalisés par Teo Macero, par exemple, pour les enregistrements de Miles Davis avec Gil Evans, ou pour In a Silent Way et Bitches Brew, ce dont Corea sera un témoin direct, lui qui tiendra en 1969 et 1970 l’un des claviers sur ces deux albums historiques.
Trouver des titres
5Réaliser un album, c’est aussi lui trouver un titre. Pour couronner de cohérence son deuxième opus personnel, Corea décide de s’appuyer sur sa lecture du Yi King ou Yi Jing (I Ching en anglais), traduit en français d’abord sous le titre Le Livre des transformations3 et plus récemment sous celui de Livre des changements4 (Book of Changes en anglais).
6Livre le plus ancien de Chine, à l’origine traité de divination, le Yi Jing a fini par contenir « le fruit de la sagesse la plus achevée de plusieurs millénaires. [...] les deux branches de la philosophie chinoise, le confucianisme et le taoïsme, ont ici leurs communes racines5. » Pour Cyrille J.-D. Javary, il est une sorte de « manuel pratique d’aide à la prise de décision dans la vie quotidienne6 », cet auteur précisant :
« Ni livre révélé comme la Bible ou le Coran, ni poème épique comme l’Iliade ou le Ramayana, ni parcours médité comme le Livre des morts tibétain, ni discours logique comme La République de Platon ou Le Discours de la méthode de Descartes, le Yi Jing se veut simplement le Classique (jing) des Changements (yi). Les civilisations de l’Antiquité se sont données des dieux et des codes, les civilisations modernes des lois et des méthodes, les Chinois, eux, ont traqué l’éternel dans sa forme la plus quotidienne : le changement incessant, le roulement saisonnier. Le Yi Jing n’édifie aucun système explicatif de l’univers, il n’explore pas la cause de son existence ou la finalité de son devenir, il ne révèle rien qui doive être l’objet d’une croyance, il ne fait que constater une évidence que ne rejette aucune foi, que ne contredit aucune science : le changement est la vie même. La raison de cet état de fait le laisse indifférent, seul l’intéresse le fonctionnement de ce processus sans cesse à l’œuvre, et cela à la seule fin de permettre à chaque humain de s’y insérer de la manière la plus efficace possible7. »
7Le choix porté par Corea sur cette source d’inspiration reflète en première instance une quête d’ordre personnel, comme il le confie à Curtis Deutsch en 1974 :
« [Toute ma vie], depuis tout petit, j’ai cherché à avoir plus de certitude sur ce que je savais intuitivement... que je suis un être immortel, tout comme vous l’êtes. Mais je ne voulais pas y croire... Je voulais le savoir. Alors j’ai fait beaucoup de choses, j’ai pris des drogues8, j’ai fait des régimes, j’ai médité pendant quatre ans, j’ai étudié avec des gourous, j’ai cherché partout, j’ai lu et étudié beaucoup de philosophies, et j’ai pratiqué ce que je pouvais comprendre de ces philosophies9. »
8Dave Liebman, qui à l’époque de Now He Sings, Now He Sobs habitait le même immeuble que Corea, confirme cette quête : « Parmi toutes les choses qu’il a essayées, il y eut le yoga, la méditation, la philosophie indienne, la macrobiotique [...]10. »
9À partir des années 1950, le Yi Jing avait soulevé un certain intérêt aux États-Unis, en particulier suite à son appropriation par un musicien comme John Cage (1912-1992) pour élaborer certaines de ses partitions11, puis par le plasticien Walter De Maria (1935-2013) ou le poète Jackson Mac Low (1922-2004), le livre atteignant même le statut de « culte naïf [...] quand les hippies des années soixante-dix en firent un des emblèmes de leur recherche d’une nouvelle écologie spirituelle12 ».
10Du Yi Jing, Corea emprunte directement les phrases « Now he sings; now he sobs » (Tantôt il chante ; tantôt il sanglote) et « Now he beats the drum; now he stops » (Tantôt il bat la chamade ; tantôt il s’arrête) de la partie 61, « Tchoung fou / La vérité intérieure », traduction due à Cary F. Baynes (à partir de celle réalisée en allemand par Richard Wilhem) et qui connut en 1967 sa troisième édition13. Richard Wilhem accompagne ces sentences de commentaires aussi traduits par Baynes :
« Ici la source de force ne se trouve pas dans l’essence de la personne, mais dans les relations avec d’autres hommes. Si proches que nous soyons d’eux, si notre centre de gravité dépend d’eux, il est inévitable que nous soyons ballottés entre la joie et le chagrin. Tantôt être transporté au septième ciel et pousser des cris de joie, tantôt être accablé jusqu’à la mort, tel est le destin de ceux qui sont liés à un accord intérieur avec d’autres hommes qui les aiment14. »
11En plus des références métaphoriques à la musique (« he sings », « he beats the drum ») interpellant d’autant plus un musicien, on saisit en quoi ces commentaires du Yi Jing portant à réfléchir sur la relation entre êtres humains, forcément lus par Corea, ont pu résonner en lui. Les énoncés poético-philosophiques qu’il rédige pour la pochette du disque15 reprennent de fait à leur compte l’inéluctabilité d’être « ballotté entre la joie et le chagrin », situation qu’il a dû vivre, de manière plus ou moins intense selon les situations, dans ses rapports humains et musicaux avec Vitouš et Haynes. Son texte s’inspire également de, tourne autour de, ou paraphrase l’idée centrale du livre, celle des « mouvements des choses dans leur transformation16 ».
Tableau 3 : texte de pochette de l’album Now He Sings, Now He Sobs de Chick Corea, et traduction17
Clinging to Beauty; Clinging to Ugliness | S’accrocher à la beauté ; s’accrocher à la laideur |
Depending on Love and Loving; lingering with hate and hating | Dépendre de l’amour et aimer ; s’attarder sur la haine et haïr |
Rejoicing to high heaven; then sad unto death | Monter aux nues ; puis être triste comme la mort |
Now he sings; now he sobs | Tantôt il chante ; tantôt il sanglote |
Now he beats the drum; now he stops. | Tantôt il bat la chamade ; tantôt il s’arrête. |
During the course of steps, he learns The Law-of-Falling-and-Catching-Up | Au fil des étapes, il apprend la Loi de la chute et du rétablissement |
He begins to see how What Was always was and changes as its waves of energy converge to form a new tonal matrix from which he comes again | Il commence à voir comment Ce Qui Fut a toujours été et toujours change à mesure que ses vagues d’énergie convergent pour former une nouvelle matrice sonore d’où il (re)vient |
Because he sees, with great clarity, The Law-of-Falling-and-Catching-Up, he completes the steps in the right time and mounts toward the Matrix from which he originally came. | Parce qu’il voit, avec une grande clarté, la Loi de la chute et du rattrapage, il accomplit les étapes au bon moment et remonte vers la Matrice d’où il est venu à l’origine. |
12En plus de ces lignes imprimées sur la partie centrale de la pochette à double battant18, deux phrases complémentaires se trouvent imprimées au dos de l’album, en très grands caractères.
Tableau 4 : texte du dos de pochette de l’album Now He Sings, Now He Sobs de Chick Corea, et traduction
The Wind blows over the lake and
stirs the surface of the water. Thus visible effects of the invisible manifest themselves. |
Le vent souffle sur le lac et agite
la surface de l’eau. Ainsi se manifestent les effets visibles de l’invisible. |
13Des paragraphes imprimés sur la partie centrale de la pochette, Corea tire – ou implante au moment de sa rédaction – le titre de l’album et d’une partie de ses plages, conférant du sens à la musique produite : la loi de la chute et du rattrapage métaphorise ainsi les aléas de l’improvisation et de l’interaction ; « les étapes au bon moment » renvoient peut-être à l’opportunité d’entrer en studio à ce moment-là entouré d’un tandem rythmique inédit ; plusieurs morceaux, dont le fameux « Matrix », ont pour cadre le blues, cette « Matrice d’où il est venu à l’origine ». En agissant de la sorte, Corea stipule à ses auditeurs la ligne de conduite adoptée, celle qui consiste à « change[r] au fur et à mesure que ses vagues d’énergie convergent pour former une nouvelle matrice », et procure par la même occasion à son disque la dimension d’un concept-album.
14Il est probable que ces titres aient été trouvés a posteriori de l’enregistrement, puisqu’aucun des autres morceaux de mars 1968 signés par le musicien, et parus ultérieurement, ne se réfère au Yin Jing, ni à la lettre ni dans l’esprit19. Ainsi, le titre « Fragments » renvoie-t-il sans doute au caractère du morceau, une improvisation collective. Si « Gemini » doit renvoyer au fait qu’il s’agit d’une prestation en duo, la raison de donner pour titre « Bossa » à une improvisation collective sans aucune référence à la danse latine demeure obscure. Enfin, une forme de détachement teinté d’humour transparaît dans le titre de « I Don’t Know »20.
Pochette
15L’album paraît en décembre 1968, sous le seul nom de Chick Corea21, et sans que les noms des deux autres musiciens s’y trouvent imprimées. Roy Haynes se souvient :
« [Pour ce disque, o]n n’a pas été crédités. “On”, c’est le contrebassiste Miroslav Vitouš et moi-même. Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé, mais quand le disque est sorti, dans les magazines beaucoup de personnes ont écrit que c’était moi [à la batterie], et donc Vitouš [à la contrebasse]. Mais il y avait beaucoup de suppositions. [Pour ma part] je ne l’ai appris que plus tard. Quand j’ai vu le producteur, il m’a dit “Je ne sais pas”. Il m’a dit avoir essayé de convaincre Chick de mettre nos noms. C’est ce qu’il m’a dit. Je n’ai jamais vraiment su ce qui s’était passé22. »
16Le nom de l’ingénieur du son n’apparaît pas non plus. Ce n’est qu’en 1988, à l’occasion de la première réédition au format numérique, que leurs noms à tous seront enfin imprimés, à l’exception du photographe qui demeure inconnu. Ainsi, en-dehors d’un petit encart biographique sur Corea, ne trouve-t-on aucune indication concernant les clichés utilisés pour illustrer les différents battants de l’album, en particulier celui qui orne la première de couverture. Il représente Chick Corea face à un piano à queue, dans une salle aux rideaux fermés, moquette au sol, des reproductions de toiles de maîtres décorant cet intérieur : une affiche de Toulouse-Lautrec représentant Aristide Bruant (vers 1893), puis à sa gauche deux tableaux de Picasso, Portrait de Jaime Sabartes (le bock) (1901) et Jacqueline assise de profil (1954).
17Une pochette prépare peu ou prou à l’audition d’un contenu musical. L’image principale, en l’occurrence ici la photographie, nous transmet des messages par l’intermédiaire de représentations symboliques dans le but de préparer, donc de conditionner dans une certaine mesure notre réception de la musique en même temps qu’elle participe à la création d’une représentation mentale de l’artiste par l’auditeur. L’artiste ici concerné est un pianiste. Il s’agit donc de musique instrumentale, sans vocaliste. On le voit dans un meublé : le bureau au fond de la pièce avec une photo encadrée ainsi que le meuble à la gauche du piano, un modèle réduit de batterie posé à sa surface, sont peut-être les siens23. Habillé sobrement, sans que rien ne renvoie à la musique dite « classique » (pas de costume, en particulier), le musicien est sans doute en train de s’exercer. Tout indique qu’il s’agit d’un jazzman sérieux, et que par voie de conséquence sa musique doit l’être également. Il semble même s’inscrire dans une démarche artistique ne relevant pas de l’entertainment, les tableaux décorant la pièce réfléchissant de manière symbolique cette aspiration.
Éditions successives : l’imbroglio des labels
De Solid State à United Artists
18Le pressage original ne donne à entendre que cinq titres, la durée moyenne d’un vinyle 33 tours étant de vingt à trente minutes par face.
Tableau 5 : répartition sur les deux faces des cinq plages du vinyle original de Now He Sings, Now He Sobs
Face one |
« Steps – What Was »
(13’53) « Matrix » (6’29) |
Face two |
« Now He Sings, Now He Sobs »
(7’05) « Now He Beats the Drum, Now He Stops » (10’40) « The Law of Falling and Catching Up » (2’28) |
19La sélection effectuée sans doute par Corea et son producteur repose sur une logique à plusieurs niveaux. En premier lieu celle des critères de qualité musicale, en particulier l’engagement énergétique, l’investissement interactionnel et bien sûr les improvisations considérées comme les plus probantes. La signature des compositions constitue un autre paramètre : Corea privilégie ses partitions, y compris « The Law of Falling and Catching Up » alors que la plage est le fruit d’une improvisation libre, ce que ne suggère nullement la mention « all compositions written by Chick Corea » imprimée au dos de la pochette de l’album.
20L’ordre et la répartition des morceaux sur les deux faces du vinyle répondent aussi à une logique secondaire. La face A présente deux blues modernisés, « Steps » et « Matrix ». La succession des plages de la face B progresse quant à elle de plus en plus vers l’abstraction. Au titre éponyme, une valse aux dispositions harmoniques modernes, succède l’introduction au piano solo très abstraite de « Now He Beats the Drum, Now He Stops » qui débouche sur la relecture du standard « How Deep Is the Ocean » d’Irving Berlin. L’album se clôt par une plage qui évolue hors des codes de la pratique commune.
21Pendant deux décennies, les rééditions successives de Now He Sings, Now He Sobs conserveront cette disposition initiale. En revanche, l’album ne paraîtra bientôt plus sous le label Solid State. Dès le début des années 1970, sa trajectoire discographique connut des perturbations liées aux ventes et rachats successifs du catalogue de Solid State par plusieurs compagnies. L’année même où le trio était enregistré, le label entama une politique de réédition d’albums publiés antérieurement par United Artists Jazz24. En 1969, le label abandonnait cette option pour de nouveau ne publier que des nouveautés, dont le troisième album de Corea, Is. Le label cesse ses activités en 1970, absorbé par United Artists.
22Fondé en 1957, United Artists et sa société mère de cinéma, United Artists Pictures25, étaient eux-mêmes devenus propriétés du conglomérat Transamerica en 1967. Selon le site londonjazzcollector.wordpress.com, « Transamerica, qui était à l’origine un groupe bancaire et d’assurance, avait été contraint de se défaire de sa branche bancaire et s’était réinventé en tant que conglomérat diversifié, comprenant entre autres United Artists Pictures, la compagnie aérienne Transamerica et Budget Rent A Car26 ». Cherchant à s’implanter un peu plus dans le secteur du divertissement une fois devenu propriétaire d’United Artists, Transamerica rachetait aussi Liberty Records en 1968 dont le catalogue comprenait notamment le label Blue Note27. En 1970, « Transamerica décide de fusionner les avoirs de Liberty et d’United Artists sous la bannière United Artists Records28 » qui prendra également en charge les rééditions des disques Solid State au cours de la décennie, dont Now He Sings, Now He Sobs qui bénéficie d’une première réédition en 1972 pour approvisionner le marché japonais puis d’une seconde distribuée aux États-Unis et au Japon en 1977.
Circling In
23Entre-temps, en 1975, huit morceaux de mars 1968 non retenus paraissent sur un album intitulé Circling In. Ces morceaux se voient réunis à d’autres réalisés par le groupe Circle au long de l’année 1970. Circling In paraît sous label Blue Note.
24La maison de disque d’Alfred Lion (1908-1987) et Francis Wolff (1907-1971) avait été rachetée par Liberty Records en 1966, ce dernier label acquis par Transamerica dès 1968 comme on l’a vu. En 1970, Transamerica décidait de fusionner les avoirs d’United Artists avec ceux de Liberty, dont le catalogue Blue Note, sous la bannière United Artists Records29. En 1975, un cadre de Blue Note, Charlie Lourie, engage Michael Cuscuna pour explorer les bandes jamais publiées par Lion et Wolff. Il s’intéresse ainsi à The Song of the Singing que Chick Corea a enregistré pour Blue Note en 1970, retrouve dans les archives des prises demeurées inédites mais en nombre insuffisant pour constituer un album complet, cherche encore et découvre des sessions complètes inédites de Circle, le quartette constitué par Corea avec Anthony Braxton, Dave Holland et Barry Altschul. United Artists Records étant également propriétaire du catalogue de Solid State, Cuscuna examine les bandes de mars 1968 et retrouve les prises laissées de côté. Forts de tout ce matériel inédit rassemblé, Charlie Lourie et Michael Cuscuna produisent Circling In qui redonne vie à « Bossa », « Gemini », « My One And Only Love », « Fragments », « Windows », « Samba Yanta », « I Don’t Know » et « Pannonica »30.
Now He Sing, Now He Sobs chez Blue Note
25En 1978, deux cadres d’United Artists, Artie Mogull et Jerry Rubinstein, rachètent Blue Note à Transamerica, avec l’aide financière d’EMI en échange d’un accord de distribution. Les deux hommes gèrent mal, ce qui les contraint à revendre leurs acquis à EMI en février 197931. Maison mère de Pacific, la corporation publie en 1981 Now He Sings, Now He Sobs sous label Pacific Jazz, avec une couverture de pochette différente de l’originale.
26En 1984, EMI recrute Bruce Lundvall pour donner une nouvelle jeunesse à Blue Note en tant que label. Pour l’accompagner dans cette remise à flot, il recrute Michael Cuscuna qui devient responsable des rééditions pour Blue Note Records32. C’est ainsi qu’en 1988, Cuscuna faisait reparaître Now He Sings, Now He Sobs en CD sous étiquette Blue Note en assemblant l’intégralité des morceaux enregistrés vingt ans plus tôt, les noms des trois musiciens et de l’ingénieur du son paraissant cette fois au dos de la pochette, mais en changeant l’ordre adopté originellement, plaçant le morceau le plus connu, « Matrix », en plage 1.
Tableau 6 : Ordre des morceaux sur le CD Blue Note (1988) de Now He Sings, Now He Sobs
Matrix My One and Only Love Now He Beats the Drum – Now He Stops Bossa Now He Sings – Now He Sobs Steps-What Was Fragments Windows Pannonica Samba Yantra I Don’t Know The Law of Falling and Catching Up Gemini |
Réception (sur quelques aspects musicaux)
27Now He Sings, Now He Sobs appartient à cette catégorie à part d’album considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du jazz par l’ensemble des adeptes et acteurs du champ jazzistique, sans qu’il soit pour autant parvenu à toucher un public plus large, à la différence du Kind of Blue (Columbia, 1959) de Miles Davis ou du Köln Concert (ECM, 1975) de Keith Jarrett, pour prendre deux bornes historiques entre lesquelles se situe l’album. Ce public, Corea le touchera la décennie suivante avec Return to Forever. Pourtant, les critiques parues dans la presse du jazz, puis dans des médias moins spécialisés, ont toujours souligné l’excellence de Now He Sings, Now He Sobs, jusqu’à le faire entrer au Hall of Fame en 1999. Dès 1969, Alain Gerber pouvait ainsi écrire par exemple dans Jazz Magazine : « À l’unanimité de tous ceux qui l’ont entendu, [Now He Sings, Now He Sobs] est considéré comme l’un des deux ou trois meilleurs albums de piano de ces dix dernières années33. » Un même émoi traversa la communauté jazzistique étatsunienne, et c’est de ce point de vue qu’il convient sans doute d’interroger la réception de cet album. Connaisseur expert et observateur informé, Cuscuna note ainsi :
« Quand Now He Sings, Now He Sobs sortit pour la première fois, son impact sur la communauté du jazz fut considérable. Pour ceux qui n’avaient pas prêté attention à l’énorme talent de Corea (et croyez-le ou non, il y en avait un certain nombre), ce fut une découverte majeure. Pour ceux qui connaissaient et aimaient sa musique, il permit de dévoiler une nouvelle dimension de son talent34. »
28Plusieurs musiciens confirment cette assertion. Le pianiste Andy LaVerne écrit par exemple : « L’enregistrement de référence de Corea, Now He Sings, Now He Sobs, présentait un langage et une approche révolutionnaires du jazz pour le jeu en trio avec piano, ce qui provoqua une onde de choc dans la communauté du jazz35. » Témoin historique, Dave Liebman rapporte quant à lui : « [Ayant entendu ce] disque avant qu’il ne soit rendu public [, je] me souviens avoir été frappé par la musique36. » Ces témoignages, parmi d’autres37, amènent à penser que le disque s’est imposé en particulier par ses qualités musicales aussi bien techniques que stylistiques, ce qu’il convient donc de mettre ici en avant.
Le langage pianistique de Corea
29Leader de la session, soliste principal, le langage jazzistique alors développé par Corea constitue nécessairement l’assise de Now He Sings, Now He Sobs. Témoin de cette importance, en 1988 Bill Dobbins faisait paraître sa transcription (réalisée dès 1972) de l’intégralité des parties de piano du disque38, transcription à partir de laquelle Scott Ballin réalisa son analyse de trois des cinq performances de Corea sur l’album original (langage mélodique, dispositions harmoniques, et tendances rythmiques) à l’occasion de sa thèse de doctorat soutenue en 201339. Au sixième chapitre de son étude, Ballin démontre comment le langage de Corea repose sur des éléments issus du blues et du bop combinés à une manipulation et un développement personnels du pentatonisme et du chromatisme dans un contexte harmonique à base de quartes, soit deux versants de la pratique jazzistique, l’une historique, l’autre moderne. Dans ses dernières pages, Ballin résume :
« Les improvisations contenues dans les trois pièces analysées dans cette recherche combinent une technique hors norme, un sens harmonique aigu, des lignes de main droite fascinantes et une attaque rythmique dynamique, le tout dans un esprit ouvert au moment présent. Les analyses des improvisations montrent en détail pourquoi Corea est devenu un précurseur pour les générations de pianistes à venir. Sa manipulation de l’harmonie par quartes et pentatoniques, ainsi que son sens dynamique du rythme, ont réinventé l’art du trio de piano de jazz et sont devenus des éléments essentiels du piano post-bop40. »
30Sans résumer ici les principaux enjeux et conclusions de ses analyses, Ballin aboutit aux notions de « Cellular Melodic Material (CMM)41 » et de « Chromatic Connection Material (CCM)42 », deux approches que Corea articule dans son jeu avec l’usage de phrases mélodiques fondées sur des quartes, sur le développement de motifs et le side-slipping43.
31Son analyse rythmique lui permet ensuite d’établir le tableau synthétique suivant :
Tableau 7 : synthèse du vocabulaire rythmique de Corea établie par Scott Ballin44
Éléments rythmiques de l’accompagnement main gauche |
Éléments rythmiques en configuration de block chords aux deux mains |
Éléments rythmiques utilisés pour l’improvisation main droite |
Utilisation intensive de croches et de noires staccato |
Généralement syncopés |
Phrases en croches de longueurs variables |
Attaques « sur le temps » mixées avec des figures syncopées |
Figures polymétriques parfois employées |
Doubles croches occasionnelles, les phases se terminent parfois par deux doubles croches répétées. |
Silences présents dans la plus grande partie des mesures |
Souvent lié à des durées plus longues et enjambant la barre de mesure |
Syncope brève sur une seule note ou répétition de croches |
Enjambements occasionnels de la barre de mesure |
Presque tout le temps accentué |
Triolets de croches parfois utilisés |
La plupart des attaques sont accentuées ou staccato |
Les doubles croches sont rarement utilisées |
|
De nombreuses mesures contiennent une seule croche attaquée |
Les croches sont souvent liées à des notes de plus longue durée |
32Ce bilan ne dit cependant rien de la précision rythmique de Corea, de sa capacité à placer des accents qui peuvent désarçonner les moins aguerris. Cette puissance rythmique résulte d’une culture jazzique acquise dès son plus jeune âge, renforcée ensuite par son imprégnation-implication dans la musique latine – cubaine en particulier –, et bien sûr par une pratique constante, à quoi il faut ajouter l’expertise batteristique du pianiste, ce qui crée nécessairement des connexions d’un niveau supérieur avec le batteur, comme le confirme Roy Haynes :
« [...] j’ai toujours aimé [l’]écriture [de Corea]. Comme Coltrane, c’est un batteur. [J’ai appris] qu’il a fait quelques concerts à la batterie quand il était à New York, dans l’East Side, à différents endroits. Quand vous entrez chez lui, la première chose que vous voyez parfois est une batterie. Je n’ai jamais entendu Trane parler de batterie ou de quoi que ce soit de ce genre, mais dans son jeu, on entendait le batteur. On le sent. Ses notes sont si régulières. Certaines personnes dépendent du batteur pour le tempo, elles vont peut-être à l’encontre du tempo et attendent que le batteur leur fasse savoir où et comment se place le tempo. Mais avec Trane, ce n’était pas le cas45. »
33Bien qu’il termine son propos en évoquant Coltrane, il est clair que dans l’esprit d’Haynes Corea appartient aux musiciens de même nature, avec pour résultat une dimension rythmique qui a participé à la sidération ressentie au sein de la communauté du jazz à la sortie du disque.
34En conclusion de son étude harmonique, Scott Ballin avance que « Chick Corea s’inspire de nombreux styles dans ses improvisations. Son concept harmonique embrasse beaucoup d’époques du langage du jazz46 ». Il ajoute :
« [...] Corea est reconnu pour pousser les limites harmoniques. [Il] n’utilise pas seulement de nouveaux modèles harmoniques basés sur des formes anciennes telles que le blues et les standards, mais fait souvent des écarts audacieux pour découvrir de nouveaux “accords du moment” inexplorés. De surcroît, au cours de ses improvisations il utilise des sonorités verticales inédites47. »
35Il synthétise ensuite ses résultats par le tableau suivant :
Tableau 8 : synthèse du vocabulaire harmonique de Chick Corea établie par Scott Ballin48
Voicings main gauche |
Principalement en quartes
superposées, ou en quartes avec intervalle de
triton Assemblages de 3 notes Accords en tierces superposées, accords parfaits, accords de septième Notes-guides, secondes mineures |
Voicings main droite |
Accords parfaits, de quartes ou de quintes à vide, de sixtes, en quartes |
Voicings de cinq notes |
Accords So What, en quartes, en quartes+accords parfaits |
Voicings de six notes |
quartes+accords parfaits, accords parfaits+quartes, quartes+tierces de la superstructure, accords superposés [« polychords »]. |
36Il ressort de cette étude que si Corea s’est nourri de pianistes tels qu’Art Tatum, Bud Powell, Thelonious Monk et Bill Evans49, il a su en faire un agencement qui aux oreilles des observateurs de l’époque sonnaient non seulement de manière très personnelle mais aussi tout à fait moderne pour l’époque. D’autant que l’étude de Ballin se borne aux improvisations de Now He Sings, Now He Sobs fidèles aux codes de la pratique commune alors que le style de Corea trouve aussi prise dans le free jazz et les musiques modernes de tradition écrite occidentale, comme Corea s’en souvenait pour Don Heckman :
« À l’époque, le jazz s’essayait à de nombreuses orientations différentes. C’était une période d’exploration avec plusieurs grands leaders comme Miles, Coltrane, Ornette, Mingus, et bien d’autres. Je baignais dans cette atmosphère d’essai de nouvelles approches. Et je regardais aussi du côté de Bartók, Stravinsky, Stockhausen, Alban Berg et d’autres compositeurs qui essayaient aussi de nouvelles choses50. »
37Non seulement Corea possède la tradition, non seulement il est à la pointe des dernières modernités du champ jazzistique, mais de surcroît il a nourri son vocabulaire à ceux des compositeurs des deux moitiés du xxe siècle, ce qui lui a permis de présenter avec Now He Sings, Now He Sobs un langage personnel tout à fait singulier qui ouvrait de nouvelles perspectives d’avenir.
Le tandem Vitouš / Haynes
38Le jeu de Roy Haynes se présente selon Georges Paczynski non seulement « comme une vaste synthèse de tous les courants et de toutes les révolutions précédentes. [Mais il a influencé à son tour] Tony Williams, Jack Dejohnette, plus tard, Peter Erskine et la plupart des batteurs des années 1980-199051 ». On pourrait exprimer quelque chose de semblable au sujet de Miroslav Vitouš à cette différence près que son jeu demeure celui d’un contrebassiste encore en devenir et qu’il a opté pour une approche moins aventureuse qu’il ne l’aurait voulu pour une partie de ces sessions, comme on l’a vu. Néanmoins, en observant le début de son accompagnement du solo de Corea sur « Matrix », on constate que sa pratique se situe, disons, entre Paul Chambers et Ron Carter :
39Sans entrer dans des détails d’ordres harmonique ou rythmique, la seule vue d’ensemble de cette transcription permet de saisir que Vitouš ne se contente pas d’assurer les basses/bases harmoniques de la grille du blues. Parfois, il suggère un autre accord (dès les mesures 5-6, générant une ambiguïté entre l’accord si bémol attendu et les mi bémol qu’il joue sur les premiers temps des deux mesures), parfois il semble sortir de la grille établie (mesures 57-58 par exemple). Par ailleurs, il s’élève souvent vers le suraigu de son instrument, s’échappant dès lors de son pur rôle de « poseur de fondamentales » pour tendre vers un dialogue plus à parité avec le soliste.
40Quand il prend la parole en tant que soliste, par sa dextérité, par l’amplitude du registre investi, par un langage mélodique très fluide, Vitouš s’impose alors davantage comme un héritier de Scott LaFaro. Enfin, dans les improvisations libres, il démontre qu’il a intégré les conceptions encore élargies de contrebassistes tels que Charles Moffett, Henry Grimes, Steve Swallow, ou surtout Gary Peacock.
L’interaction
41L’ensemble des aptitudes et compétences personnelles des trois musiciens sont à la base des actions interactives de Now He Sings, Now He Sobs. Dans l’esprit de Corea, s’entourer de Vitouš et Haynes représente en réalité des possibilités d’interactions d’un genre inédit. Laurent Cugny définit ainsi l’interaction :
« L’interaction (interplay) concerne toutes les relations entre les musiciens au cours de la performance, c’est-à-dire la manière dont chacun tient mutuellement compte des propositions musicales des autres. [...] le champ le plus important de l’interaction a trait à l’improvisation [...]. L’importance de cette dimension va s’accroissant au fur et à mesure que les styles abandonnent certains codes, ouvrant ainsi de nouveaux espaces à l’interaction. [...] C’est cette prise en compte du discours des autres, indépendamment de tout rapport aux codes de jeu ou aux signaux, qui fournit la matière d’une interaction dont les objectifs dépassent ceux d’une simple fonctionnalité de la musique52. »
42Il conviendrait de faire une étude entière pour mettre en avant les aspects, dimensions, implications et résultats de l’interaction à l’œuvre au sein de notre triangle musical, ce qui dépasserait le cadre de cet ouvrage. Pour autant, trois exemples illustrant l’interaction entre Corea et Haynes permettront de se faire une idée de ces échanges qui ont frappé les esprits. Pour cela appuyons-nous sur le type le plus fréquent d’interaction : le mode responsorial.
43Dans l’exemple suivant, le pianiste exprime d’abord une idée musicale (phrase 1) suivi d’un silence. Sa reprise au piano, transposée, provoque une réponse à la caisse claire et à la grosse caisse de Haynes, qui a saisi, grâce à la première énonciation qu’il conserve en mémoire, que la phrase répétée sera suivie d’un silence où il pouvait placer sa réponse.
44À la fin de cette première grille, Corea produit des phrases reposant elles-mêmes sur la logique de l’antécédent (deux premières phrases des mesures 9 et 10) et du conséquent (dernière phrase, mesure 10-11). Haynes comprend le principe musical et complète le propos de Corea par une figure rythmique qui reprend l’incipit de son partenaire (mesures 11-12).
45Les réactions circulent aussi en sens inverse entre les deux musiciens. Au début de son quatorzième tour de chorus (voir exemple musical n° 3), le pianiste développe un jeu avant tout rythmique, fruit de son dialogue avec Haynes. À partir de la mesure 165, l’échange atteint son sommet d’intensité. Afin d’accroître la tension, tandis que Corea réitère des accords très tendus, Haynes recourt à un effet polymétrique en groupant ses croches par trois (à partir de la mesure 165), à quoi Corea réagit (mesures 167-168).
46Dans l’exemple suivant, un semblable échange se produit entre les deux hommes, à cette différence qu’il s’établit à partir des métaux de Roy Haynes et non plus de ses peaux. Le batteur décale en effet ses appuis aux cymbales charleston sur les temps forts (entourés en rose) à trois exceptions près (entourées en bleu). Dans un même mouvement, il brouille de façon identique la régularité du « ding-a-ding » de sa cymbale ride. En écho à ces déplacements, Corea joue des phrases mélodiques construites sur un effet polymétrique à base de trois croches (mesures 125 à 131).
47Cette rhétorique collective de haute précision participe de la création d’un son singulier, qualité parmi les plus essentielles du jazz. Le son collectif trouve son ancrage en premier lieu dans la connexion Corea-Haynes, comme nous l’indiquions ci-avant. Le son de piano du leader, perlé, jamais agressif, avec un phrasé très legato, y compris avec des attaques piquées (jeu dit « louré »), n’est en rien obéré par la batterie. On le sait, du temps où les instrumentistes jouaient sans amplification, l’association piano-batterie provoquait parfois des difficultés, la batterie possédant une dynamique supérieure au piano ce qui amenait les batteurs à souvent jouer aux balais sans jamais pouvoir exploiter l’éventail complet de leurs nuances (voir les trios dirigés par Ahmad Jamal où le batteur est comme corseté par son leader), ou les pianistes à leur préférer des guitaristes. Une personnalité comme Bill Evans s’est longtemps plainte de ses batteurs par exemple, pourtant excellents dans la plupart des cas, au point qu’il déclara à François Postif que son format préféré était le duo53. Or, ni Corea, ni Haynes n’eurent à souffrir de ce défaut, en particulier grâce à la désormais fameuse flat ride de Haynes54, mais aussi grâce au sens du toucher de ce dernier, lui permettant de demeurer dans une dynamique très propulsive sans être encombrante en volume.
48À ce binôme se greffe la contrebasse de Vitouš qui non seulement fait liant mais permet une variation constante de la texture générale. Son jeu se base en effet sur des mouvements très fréquents et rapides d’amplitude, comme on peut, sans même avoir recours à l’écoute, directement le voir dans l’exemple musical n° 1. Quand ses graves ancrent et renforcent le tout, ses excursions dans l’aigu ou le suraigu (au-dessus de la main gauche du pianiste, et même de sa droite à certains moments) allègent soudainement et parfois brièvement l’ensemble, ce qui entraîne une modulation permanente en densité de la matière musicale.
49De tout ceci, dont il faudrait exprimer encore nombre de détails pour mieux en saisir la singularité, résulte un type d’énergie tout à fait particulier. Le musicologue Christophe Casagrande pense l’énergie « en tant qu’intervalle, ce qu’il y a entre […]. »
« Selon la définition grecque, l’énergie ou energeia est une ‘force en action’ […] et, dans cette définition, c’est le en qui est entre force et action qui nous intéresse […], le à travers, ce qui fait qu’il y a action et force. […] L’énergie, c’est le travail des forces en action. [Avec elle, il s’agit] de relever l’agissement musical55. »
50Cette définition de l’énergie à l’esprit, qu’elle est celle déployée par le trio de Now He Sings, Now He Sobs ? Elle passe par la création d’un son collectif singulier, par la précision et la puissance rythmique des musiciens, enfin par la génération, l’assouplissement et la résolution de tensions – notamment sous forme de prises de risque (ce qu’illustre parfaitement l’exemple musical n° 3 avec ses déplacements rythmiques), les tensions qu’elles génèrent ainsi, et leurs résolutions (repoussées tout au long de ce tour de chorus).
Reprises
51La réussite d’une œuvre de jazz se mesure aussi à l’aune de ses reprises. Des cinq titres, un seul sort du lot à cet égard : « Matrix ». Cinq mois après les sessions Solid State, Corea enregistrait de nouveau son titre pour l’album Total Eclipse du vibraphoniste Bobby Hutcherson. Cette version permet de constater que la deuxième phrase du thème, techniquement redoutable, était bien un élément constitutif de la composition originelle, Corea l’abandonnant dans ses versions postérieures.
52Dès 1969, le pianiste japonais Masabumi Kikushi (1939-2015) gravait une interprétation de la pièce en sextette, reprenant même le titre pour son album56. La décennie suivante, parmi d’autres, Marian McPartland (1918-2013)57 l’interprète en trio et Lee Konitz (1927-2020) le fait arranger par Sy Johnson (1930-2022) pour son nonette58.
53La pièce ne devient pas pour autant un standard moderne, n’apparaissant ni dans le Real Book d’origine que les étudiants de Berklee se passaient sous le manteau, ni dans ses versions ultérieures commercialisées par Sher Music. La composition via l’enregistrement a cependant frappé les esprits, et Corea le sait bien qui l’intègrera au répertoire de plusieurs de ses formations à venir. Le 8 octobre 1972, il la fait interpréter par son nouveau groupe, Return to Forever, à l’occasion de l’enregistrement de leur deuxième disque, Light as a Feather59. Non retenue, la prise ne sera connue du public qu’en 1997, incluse dans une anthologie dédiée à la formation60. À la fin du xxe siècle, « Matrix » appartient au répertoire du groupe Origin que Corea dirigea à la jonction des xxe et xxie siècles, le coffret A Week at the Blue Note en proposant trois versions61. En 2000, le morceau est arrangé par le Norvégien Erlend Skomsvoll pour le Trondheim Jazz Orchestra avec Corea en invité, une partie de son solo se voyant même reprise note à note comme début de solo du tubiste Øystein Baadsvik62. Il réapparaît dans la discographie de Corea avec un Super Trio composé de Christian McBride à la contrebasse et Steve Gadd à la batterie63.
54Les autres plages de l’album n’ont pas eu le même destin, y compris au sein de la propre discographie de Corea, puisque seul le titre éponyme eut les honneurs de réinterprétations dans le cadre des tournées effectuées avec le tandem Christian McBride-Brian Blade, dont un témoignage reste sur l’album Trilogy 2 paru en 201864. En 1989, le pianiste Allen Farnham l’avait auparavant gravé dans une version en quartette avec Joe Lovano au saxophone soprano65. Quant à « Steps – What Was », repris sur New True Illusion du duo piano-contrebasse Joanne Brackeen/Clint Houston66, il s’agit en réalité d’une interprétation du seul second titre.
55« Steps » se verra en revanche repris par Roy Haynes en quartette sur son album When It’s Haynes It Roars!67, signe que sa captation en 1968 ne représentait pas un enregistrement « parmi d’autres » à ses oreilles.
Notes de bas de page
1 Propos recueillis par Stuart Nicholson le 14 mars 2001 (op. cit.).
2 Pour certains passages du Moto Grosso Feio de Wayne Shorter, plusieurs fois avec Circle (Circulus, Paris-Concert, Gathering) et de manière patente pour le Afternoon of a Georgia Faun de Marion Brown, tous albums captés entre 1970 et 1971.
3 Yi King : Le livre des transformations, traduction française à partir de la traduction allemande de Richard Wilhelm et préface d’Etienne Perrot, Paris, Librairie de Médicis, 1992. On en trouve une version en libre accès au format PDF à l’adresse suivante : http://taosophie.free.fr/recueil/yi_king.pdf (consulté le 23 février 2022).
4 Yi Jing. Le Livre des Changements, traduction de Cyrille J.-D. Javary et Pierre Faure, Paris, Albin Michel, février 2002.
5 Wilhelm, Richard, « Introduction », op. cit., p. 25 du PDF (http://taosophie.free.fr/recueil/yi_king.pdf, consulté le 23 février 2022).
6 Javary, Cyrille J.-D., « Un regard renouvelé sur le vieux Classique des Changements », op. cit., p. 4.
7 Ibid., p. 1-2.
8 Dans un autre entretien, il précise : « [La drogue] est un vrai poison [...]. C’est mon expérience personnelle qui me le dit : dans notre vie, nous avons besoin de chaque parcelle de lucidité et de santé dont nous disposons. Les drogues enrayent le processus de la vie. Voilà mon opinion aujourd’hui, après m’être drogué durant de nombreuses années. J’ai arrêté en 1965… », dans Brunel, Bunny, « Chick a 40 ans », Jazz Hot, juillet-août 1981, n° 386-387, p. 19.
9 Deutsch, Curtis, « Chick Corea », Great Speckled Bird, Vol. 7, n° 42, 17 octobre 1974, p. 10 (consultable à l’adresse suivante : https://digitalcollections.library.gsu.edu/digital/collection/GSB/id/7988 (consulté le 23 février 2022).
10 Liebman, Dave, Porter, Lewis, op. cit., p. 127.
11 Sur ce sujet, voir par exemple : Aguila, Jésus, « Musique savante occidentale et cultures extra-européennes, 1950-1980 », dans Donin, Nicolas, Feneyrou, Laurent (dir.), Théories de la composition musicale au XXe siècle, Lyon, Symétrie, coll. « Symétrie recherche », série « 20-21 », vol. 2, 2013, p. 1159-1164 ; ou Marshall, Steve, « John Cage’s I-Ching Chance Operations », https://www.biroco.com/yijing/cage.htm (consulté le 23 février 2022).
12 Javary, Cyrille J.-D., op. cit., p. 4.
13 The I Ching or Book of Changes, traduit de la version allemande de Richard Wilhem par Cary F. Baynes, Princeton, University Press, coll. « Bollingen Series XIX », 1967 (1/1950). La proposition de traduction de l’hexagramme 61 dans la formulation « Now he beats the drum; now he stops / Now he sings; now he sobs » (dans cet ordre dans le texte original) ne se rencontre que dans l’édition de Princeton. James Legge le traduit pour sa part : « Now he beats his drum, and now he leaves off. Now he weeps, and now he sings. » (la première édition de sa traduction chez Clarendon Press en 1882 fut de nombreuses fois rééditée ; dans la version de Dover Publications Inc. [New York, 1963], on trouve ces lignes p. 200) ; quant à John Blofeld, sa version datée de 1963 propose : « Beating a drum by fits and starts, he weeps and sings in turn. » (I Ching (The Book of Change), traduction John Blofeld, New York, Penguin Compass, 1968, p. 205).
14 Yi King : Le livre des transformations, traduction française d’Etienne Perrot depuis la traduction allemande de Richard Wilhelm, http://taosophie.free.fr/recueil/yi_king.pdf, p. 323-324 (consulté le 23 février 2022).
15 La pochette comporte en effet la mention suivante : « Textes de M. Corea inspirés du I Ching – The Book of Changes ».
16 Wilhelm, Richard, « Usage du Livre des Transformations », op. cit., p. 28 du PDF (http://taosophie.free.fr/recueil/yi_king.pdf, consulté le 23 février 2022).
17 Traduction personnelle. C’est nous qui soulignons.
18 Pour ce type de vinyle qui s’ouvre en deux comme un livre, on utilise aussi le mot « gatefold ». Sur ce point, voir la page wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Gatefold (consulté le 24 février 2022).
19 Ce que semble par ailleurs confirmer la remarque suivante de Dave Liebman : « Je roulais pour me rendre à la maison de Chick et je me souviens avoir entendu le mixage de ce disque avant qu’il ne soit rendu public. Il n’avait pas de titre à ce moment-là. », dans Liebman, Dave, Porter, Lewis, op. cit., p. 103.
20 Qui évoque le « think of one » de Monk (réponse de Monk à son producteur lorsque ce dernier demanda au premier quel était le titre du morceau qu’il venait d’enregistrer [‘trouve toi-même’]) et le « call it anything » lancé par Miles Davis en réponse à l’ingénieur du son qui lui demanda, à la sortie de sa prestation en septette au festival de l’île de Wight (le 29 août 1970, Chick Corea tenant l’un des deux claviers), quel titre donner au long morceau qu’il venait d’enregistrer. D’après le DVD de ce live sorti en 2004 (Miles Electric: A Different Kind Of Blue), les propos de Miles Davis furent utilisés pour titrer la performance.
21 Comme l’annonce le magazine Billboard en date du 21 décembre 1968, p. 35 – en même temps que Think de Lonnie Smith (Blue Note), Caramba de Lee Morgan (Blue Note) et Slow Drag de Donald Byrd : https://books.google.it/books?id=_0QEAAAAMBAJ&pg=PA35#v=onepage&q&f=false (consulté le 23 février 2022).
22 Panken, Ted, entretien avec Roy Haynes mené le 15 mai 1994, Smithsonian Jazz Oral History Program NEA Jazz Master, Archives Center, National Music of American History, Washington D.C. (https://www.si.edu/media/NMAH/NMAH-AC0808_Haynes_Roy_Transcript.pdf, consulté le 23 février 2022).
23 Il n’a pas été possible de déterminer le lieu précis où fut prise cette photographie. Interrogé sur le sujet, Steve Swallow répond : « [...] je ne peux pas vous aider à identifier l’emplacement de la photo de Chick au piano. Je suis allé chez lui dans le Queens [avant que le pianiste ne s’installe dans son loft new yorkais, ndr] à quelques reprises pour répéter, mais mes souvenirs sont vagues, et le piano (ainsi que les reproductions sur le mur) ne me sont pas familiers. » (courriel à l’auteur du 26 février 2022).
24 Notamment Undercurrent du tandem Bill Evans-Jim Hall, Money Jungle par le trio Duke Ellington, Charles Mingus, Max Roach ou Coltrane Time (sous le nom de John Coltrane alors qu’il s’agissait d’une session dirigée par Cecil Taylor).
25 United Artists Pictures fut fondée en 1919 par Charlie Chaplin, Mary Pickford, Douglas Fairbanks et D.W. Griffith.
26 https://londonjazzcollector.wordpress.com/record-labels-guide/labelography-2/blue-note-liberty-years/ (consulté le 24 février 2022).
27 Voir sur ce point, https://worldradiohistory.com/Archive-All-Music/Billboard/60s/1968/Billboard%201968-04-06.pdf (consulté le 24 février 2022).
28 https://londonjazzcollector.wordpress.com/record-labels-guide/labelography-2/blue-note-liberty-years/ (consulté le 24 février 2022)
29 https://londonjazzcollector.wordpress.com/record-labels-guide/labelography-2/blue-note-liberty-years/ (consulté le 24 février 2022)
30 Au sujet des titres donnés aux compositions de Corea, Michael Cuscuna précise : « Chaque morceau avait [déjà] un titre que nous avons utilisé [...]. J’ai envoyé le matériel à Chick à l’époque. Il l’a approuvé mais n’a fait aucun commentaire sur les titres de travail par rapport aux titres finaux. Je me suis donc contenté de ce qui était là à l’origine. » (courriel à l’auteur du 27 février 2022).
31 Sur ce point, voir https://en.wikipedia.org/wiki/United_Artists_Records (consulté le 24 février 2022) et https://londonjazzcollector.wordpress.com/record-labels-guide/labelography-2/blue-note-the-emi-years-to-the-present-day/ (consulté le 24 février 2022).
32 Lundvall se chargera pour sa part de faire revivre le label en engageant et produisant de nouveaux artistes. Sur ce point, voir Cook, Richard, Blue Note Records. The Biography, Boston, Justin, Charles & Co., 2003, p. 205 et suivantes.
33 Gerber, Alain, « C’est ça qu’est Chick », Jazz Magazine, octobre 1969, n° 171, p. 27.
34 Cuscuna, Michael, notes de pochette de Now He Sings, Now He Sobs, Blue Note, 5 21134 2, 1988.
35 LaVerne, Andy, « Intricate and Beautiful and Light as a Feather », Piano Today, mars 1995, p. 44.
36 Liebman, Dave, Porter, Lewis, op. cit., p. 103.
37 Voir le témoignage de Paul Wertico plus haut, par exemple.
38 Dobbins, Bill, op. cit. Cet auteur, musicien lui-même et enseignant à l’Université d’Eastman, apporte ce témoignage dans sa préface : « Now He Sings, Now He Sobs est l’un des plus grands enregistrements de trio de l’histoire du jazz. Avec Chamber Music of the New Jazz d’Ahmad Jamal, Explorations de Bill Evans et le Footloose de Paul Bley, la musique de cet enregistrement particulier de Chick Corea a eu une énorme influence sur le développement des concepts de jeu de la section rythmique en général, et du trio avec piano en particulier. [Il] a donné un nouveau souffle à l’évolution du jazz dans la seconde moitié du xxe siècle. [...] Entendre cette musique pour la première fois a été une expérience inoubliable, qui a continué à inspirer ma propre créativité musicale. » Par ailleurs, en lien avec le dixième anniversaire de la sortie du disque, Down Beat faisait paraître une transcription du début du solo de Corea sur « Matrix » (Haerle, Dan, « Chick Corea’s ‘Matrix’ », Down Beat, novembre 1978).
39 Ballin, Scott, A Formulaic Analysis of Three Performances from Chick Corea’s Recording: Now He Sings, Now He Sobs, Huntington, Five Towns College, 2013, 156 p.
40 Ibid., p. 149-150.
41 « [...] constitué de groupes de quatre notes, souvent utilisés en série. Ces groupements consistent en des motifs dérivés des gammes pentatoniques mineures et majeures, des gammes altérées, des accords de septième arpégés, des triades de superstructures [...], de motifs basés sur des quartes, de motifs pentatoniques diminués chromatiques (CDPM) et de motifs triadiques avec l’ajout de un ou deux bémols. », ibid., p. 118.
42 « Ce chromatisme agit comme un tissu reliant entre eux d’autres matériaux improvisés. Le CCM est hautement chromatique par nature et est enraciné dans le bebop. [L]es différents types de CCM [sont] : le matériel chromatique, la phraséologie bebop, les enchaînements chromatiques. », ibid., p. 22.
43 « [C’est s’écarter] de la tonalité principale, [en] jouant dans un autre ton que les accompagnateurs [...]. [Ces] excursions harmoniques [...] ne peuvent le plus souvent pas être analysées comme étant dans une tonalité particulièrement contrastante, l’une des raisons en étant qu’il s’agit ici de dissonance et non de polytonalité », Porter, Lewis, John Coltrane. Sa vie, sa musique, traduit de l’anglais par Vincent Cotro, Paris, Éditions Outre-Mesure, 2007, p. 242.
44 Ballin, Scott,, op. cit., p. 140.
45 Panken, Ted, « A 2007 Jazziz Article and Four Interviews with Roy Haynes, who Turns 87 Today », https://tedpanken.wordpress.com/2012/03/13/a-2007-jazziz-article-and-four-interviews-with-roy-haynes-who-turns-87-today/ (consulté le 2 février 2022).
46 Ballin, Scott,, op. cit., p. 140.
47 Ibid.
48 Ibid., p. 141.
49 On trouve deux témoignages intéressants sur la façon dont Corea assimilait les manières de ses pianistes favoris. À Ted Panken, il explique ainsi comment il s’imprégna du jeu de Bud Powell : « Je voulais pouvoir jouer avec ce genre de fluidité. C’est pourquoi, dans les années 1960, j’ai installé mes deux haut-parleurs hi-fi, et j’ai réglé le volume du vinyle à un niveau où, lorsque je jouais du piano, le son sortant du disque et celui de mon piano étaient à peu près égaux, de sorte que je pouvais jouer en même temps que Bud. J’ai essayé d’apprendre à jouer le phrasé de Bud de cette façon. » (dans Panken, Ted, entretien avec Chick Corea mené le 5 novembre 2012, op. cit.). On trouve un autre témoignage dans l’ouvrage de Paul F. Berliner : « [P]our copier [ses] idoles, [...] Corea décrit s’emparer “des créateurs qui m’attirent et je reproduis leur forme d’art autant que possible – leurs techniques. J’essayais consciemment de sonner comme eux pendant une période. Je devenais McCoy [Tyner], je devenais Herbie [Hancock]… [...] je jouais avec le disque pendant des heures jusqu’à ce que je ne puisse plus entendre la différence entre [moi-même et] ce qui était enregistré. Enfin, je me disais : ‘Ok, j’ai compris maintenant’ [...].” Silvert 1978 [« A Conversation with Chick Corea and Herbie Hancock ». Interview apparue sur les notes de programme d’un concert réunissant les deux artistes dans le nord de la Californie, en février. Je ne dispose d’aucune information sur sa publication antérieure]. Je suis redevable à Thomas Owens d’avoir partagé ces données provenant de sa collection de programmes de concerts. » (dans Berliner, Paul F., Thinking in Jazz. The Infinite Art of Improvisation, Chicago et Londres, The Chicago of University Press, 1994, p. 784).
50 Heckman, Don, op. cit.
51 Paczynski, Georges, op. cit., p. 211. Nous renvoyons à cet ouvrage, aisément accessible et rédigé en français, pour une approche du parcours et du style de Roy Haynes (ibid., p. 183 à 217).
52 Cugny, Laurent, op. cit., p. 128-129. Sur l’interaction, voir les ouvrages suivants : Berliner, Paul F., op. cit. ; Monson, Ingrid, Saying Something. Jazz Improvisation and Interaction, Chicago et Londres, The Chicago University Press, coll. « Chicago Studies in Ethnomusicology », 1996 ; Coolman, Todd, The Miles Davis Quintet Of The Mid-1960s : Synthesis Of Improvisational And Compositional Elements, Ph. D., New York, New York University, 1997 ; Hodson, Robert, Interaction, Improvisation, and Interplay in Jazz, New York, Routledge, 2007 ; Araújo Costa, Fabiano, Poétiques du « Lieu Interactionnel-Formatif » : sur les conditions de constitution et de reconnaissance mutuelle de l’expérience esthétique musicale audiotactile (post-1969) comme objet artistique, thèse de doctorat, Paris, Université Paris Sorbonne, 2016.
53 « En réalité, mon rêve, c’est le duo piano contrebasse. Mais le public veut un batteur, parce qu’un bon batteur apporte un côté spectaculaire que n’ont ni le piano ni la contrebasse, instruments éminemment statiques. » dans Postif, François, Jazz Me Blues. Interviews et portraits de musiciens de jazz et de blues, Paris, Outre Mesure, coll. « Contrepoints », 1999, p. 341 (initialement paru dans Jazz Hot, n° 282, avril 1972).
54 Corea apprécia tellement le son de cette cymbale qu’il la confiera à plusieurs de ses batteurs, dont ceux de Return to Forever, comme il l’expliqua plusieurs fois, notamment pour le site jazzonline.com : « J’ai reçu cette cymbale de Roy peu après l’enregistrement de Now He Sings, Now He Sobs. [...] j’ai pris soin de cette cymbale en raison de ce qu’elle symbolise de notre amitié et de notre création musicale. Lorsque j’ai formé Circle avec Dave Holland, nous avons demandé à Barry Altschul de jouer cette cymbale – elle s’accordait si bien avec les timbres du piano. On peut l’entendre sur tous les enregistrements de Circle. Ensuite, quand Airto [Moreira] a rejoint la première mouture de Return To Forever, je lui ai fait jouer de cette cymbale. On peut l’entendre sur Return To Forever paru chez ECM, puis sur Light As A Feather. J’ai demandé à plusieurs de mes batteurs de jouer cette cymbale, comme Jeff Ballard avec The New Trio. L’héritage se perpétue et la cymbale incarne toujours la “Roy-alty” dont elle est issue. », http://jazzonline.com/podcasts/jazz-backstage-roy-haynes-chick-corea.html (consulté le 11 mars 2022).
55 Casagrande, Christophe, L’Énergétique musicale. Sept études à travers la création contemporaine [De Varèse à Schaeffer¸ L’Harmattan, coll. « Univers musical », 2009, p. 14.
56 Kikushi, Masabumi, Matrix, 1969, Victor World Group, SMJX-10078 (LP).
57 McPartland, Marian, Portrait Of Marian McPartland, 1979, Concord Jazz, CJ-101 (LP).
58 Konitz, Lee, The Lee Konitz Nonet, 1977, Roulette, SR 5006 (LP) ; Konitz, Lee, Live at Laren, 1984, Soul Note, 121 069-1.
59 Chick Corea And Return To Forever, Light as a Feather, 1972, Polydor, PD 5525 (LP).
60 Return To Forever Featuring Chick Corea, Return To The 7th Galaxy: The Anthology, Verve 314 533 108-2 (CD).
61 Chick Corea And Origin, Live at the Blue Note, 1998, Stretch Records, SCD-9018-25 (CD).
62 Chick Corea And Trondheim Jazz Orchestra, Live in Molde, 2005, MNJ Records, CD 001 (CD).
63 Chick Corea, Christian McBride, Steve Gadd, Super Trio (Live At The One World Theatre, April 3rd, 2005), 2006, Mad Hatter Productions, MHP02 (CD).
64 Chick Corea, Christian McBride, Brian Blade, Trilogy 2, 2018, Universal Music, UCCJ-3038/9 (CD). Par ailleurs, l’auteur de ces lignes pu aussi entendre le pianiste reprendre « Matrix » avec ce trio au cours de l’un des derniers concerts en public de Corea, le 20 février 2020 à Toulouse.
65 Allen Farnham, 5th House, 1990, Concord Jazz, CDD-4413 (CD).
66 Joanne Brackeen, Clint Houston, New True Illusion, 1976, Timeless, SJP 103 (LP).
67 Roy Haynes Group, When It’s Haynes It Roars!, 1992, Dreyfus Jazz, 191151-2 (CD).
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