Premières rencontres et rendez-vous manqués
p. 17-56
Texte intégral
Travaux d’approche
1Comme nous l’avons noté, parmi les rares écrivains francophones à avoir découvert la psychanalyse avant 1918, l’un, Cendrars, est suisse ; les deux autres, Morand et Lenormand, doivent beaucoup à leurs contacts avec ce pays. Ce rôle de passeur, la Suisse l’assume pleinement dans les années d’après-guerre grâce à La Revue de Genève1, lancée en décembre 1920 par un freudien convaincu, Robert de Traz2. C’est dans cette publication que paraît la première traduction française de Freud. Sous le titre « Origine et développement de la psychanalyse », précédé d’une présentation par Édouard Claparède (« Freud et la psychanalyse »), le texte reprend les Cinq leçons de psychanalyse (professées en 1909), traduites par Yves Le Lay. Il est publié dans les numéros de décembre 1920 et de janvier et février 1921, avant de sortir en volume, la même année, sous le titre : La Psychanalyse (en Suisse par les éd. Sonor ; en France par les éd. Payot)3.
2Par rapport à ce qui s’est passé dans d’autres langues (en anglais, notamment), il est d’usage de déplorer le caractère tardif de cette première traduction française. Mais, avec Marcel Scheidhauer, on peut se demander ce qui se serait réellement passé si, dix ans plus tôt, les lecteurs français avaient disposé des textes de Freud, et craindre qu’ils n’en aient rien fait4. En 1920-1921, cette livraison arrivait au bon moment. Ainsi, dans une lettre du 26 avril 1921, souvent citée, Gide écrit à Dorothy Bussy : « J’achève la lecture (dans la Revue de Genève) d’un troisième article de Freud sur “l’Origine et le développement de la psychanalyse” [...]. C’est décidément très sérieux. À vrai dire il ne me dit rien (Freud) que je n’aie déjà pensé ; mais il met au net une série de pensées qui restaient en moi à l’état flottant – disons “larvaires”5 ». Mais bien qu’à l’en croire Freud ne lui apprenne rien, Gide brûle du désir d’entrer en relation avec lui par l’intermédiaire de James Strachey, frère de Dorothy Bussy, afin d’obtenir une préface pour Corydon – préface qui, bien entendu, ne verra jamais le jour. Peu de temps après, Roger Martin du Gard raconte dans son Journal une visite de Gide venu lui « lire un article de la Revue de Genève relatif aux théories de la psychanalyse de Sigmund Freud. (Un spécialiste, un novateur, en matière de sexualité)6 ».
3À partir de ce moment, les éditeurs français se livrent une véritable course. Comme on l’a vu, Payot remporte la première manche, d’autant qu’en octobre-novembre 1921 cet éditeur crée l’événement en publiant l’Introduction à la psychanalyse, dans une traduction de Samuel Jankélévitch, ouvrage qui va connaître un tel succès qu’il faudra le rééditer à de nombreuses reprises7. Martin du Gard conseille à Coppet de « lire très attentivement le gros livre de Freud sur la psychanalyse », ajoutant que « cela est considérable » car « Freud aura été le premier si avant dans l’inconscient8 » ; H.-R. Lenormand reprend un cas exposé dans l’Introduction pour une nouvelle intitulée « Fidélité9 » ; Jean-Richard Bloch, qui connaissait bien le Pr MorichauBeauchant, a lu lui aussi l’Introduction puisque, le 24 juin 1922, il mentionne les trois grandes blessures narcissiques de l’histoire de l’homme dans une lettre à Romain Rolland10 ; Georges Palante, futur modèle de Cripure dans Le Sang noir de Louis Guilloux, publie un compte-rendu de cet ouvrage dans Le Mercure de France du 1er juillet 192211 ; un mois après, Louis Guilloux rend compte également de l’Introduction dans un article intitulé « La Vie des rêves » (Floréal, 12-08-1922, p. 781-782) ; à partir de juin 1923 Claudel évoque plusieurs fois Freud (« Monsieur de Wien ») dans son Journal12, en s’appuyant sur des éléments empruntés à l’Introduction ; la même année 1923, c’est au tour de Julien Green de lire (deux fois) l’Introduction, ainsi que Jacques Petit le lui rappelle longtemps après13 ; Jean Paulhan prend appui sur un des cas présentés par Freud pour son article14 dans Le Disque vert de 1924 ; en 1929 Max Jacob juge « passionnant » le texte de Freud15 ; et longtemps après, Henry de Montherlant, dans Un assassin est mon maître16, dont l’action se déroule à cette époque, montre le choc éprouvé par le héros à la lecture de l’ouvrage.
4Payot, qui semble alors en passe d’acquérir l’ensemble des traductions françaises de Freud, publiera de nombreux autres titres (p. ex. les Essais de psychanalyse), mais également des essais sur le freudisme comme, en 1922, La Méthode psychanalytique, de Raymond de Saussure17, avec une préface de Freud. Mais, très vite, d’autres éditeurs entrent en scène : Gallimard fait paraître en 1923 Trois essais sur la théorie de la sexualité18, dans une traduction de Blanche Reverchon ; et les éditions Alcan réussissent un coup de maître quand, en 1926, elles présentent la première traduction (par I. Meyerson) de la Traumdeutung sous le titre La Science des rêves, avec deux textes d’Otto Rank.
5Aux éditions de La NRF, Gaston Gallimard avait perçu très vite l’intérêt intellectuel et éditorial de la psychanalyse, grâce notamment à André Gide et Jacques Rivière. Il faut d’ailleurs noter que, dans ces années, trois revues littéraires de premier plan sont dirigées par des freudiens convaincus : Robert de Traz pour La Revue de Genève, Franz Hellens pour Le Disque vert et pour La NRF Jacques Rivière, à même de donner des conférences sur Freud à Lausanne, Genève et Paris en 1922 et à qui, lors de sa disparition en 1925, le psychanalyste Gil Robin consacre un article intitulé : « Jacques Rivière et la psychiatrie19 ». Dans l’histoire de La NRF et de son comptoir d’édition, l’ouverture à la psychanalyse et la publication de Freud constitue un moment fort : nées d’une revue de littérature pure, les futures éditions Gallimard choisissent en effet de prendre en compte les sciences humaines, et notamment cette discipline nouvelle qui enflamme alors les milieux parisiens. Si pareil choix éditorial n’est pas sans arrière-pensées (au plan commercial et en terme de reconnaissance symbolique), il procède d’un intérêt authentique pour la pensée de Freud comme le montre l’accueil fait par La NRF à Eugénie Sokolnicka, venue de Varsovie en 1921, auréolée de sa cure (ratée) avec Freud et de ses relations (conflictuelles) avec lui. Au tournant de 1921-1922, La NRF l’invite à tenir un certain nombre de « séances Freud » pour une assistance composée de Gaston Gallimard, Jean Schlumberger, Jacques Rivière, André Gide et Roger Martin du Gard. Si André Gide, qui doit à Mme Sokolnicka le cas de ce jeune Russe ou Polonais dont il allait faire le petit Boris des Faux-monnayeurs, ne dit mot de ce moment dans son Journal (le nom de Mme Sokolnicka20 n’y figure même pas), Roger Martin du Gard en donne un aperçu savoureux, quant à l’atmosphère et aux sujets traités21.
6Mais avant même la venue de Mme Sokolnicka, La NRF avait franchi une étape avec, en avril 1921, l’article d’Albert Thibaudet intitulé « Psychanalyse et critique22 ». Sur Freud et le freudisme, Thibaudet reste assez partagé (« Freud nous semble parfois avoir simplement nommé de certains vocables nouveaux [...] des faits d’observation que l’analyse psychologique nous avait révélés depuis longtemps ») ; et ses exemples de critiques analytiques, notamment le travail du Suisse Jules Vodoz sur le personnage de Roland23, ne le convainquent qu’à moitié. Mais il pressent les possibilités qu’offre, à l’avenir, l’alliance de la médecine et de la littérature. La NRF acquiert ainsi un rôle de premier plan dans l’avènement du freudisme en France, comme on le voit un an après quand la même revue accueille l’article capital de Jules Romains, « Aperçu de la psychanalyse ». Publié dans le premier numéro de l’année 1922, et en tête de livraison, il fait événement, ainsi que le montre l’extrait de La Garçonne cité en Introduction. Avec une ironie cinglante, l’auteur commence par rappeler l’ignorance du freudisme dans laquelle s’est cantonnée la psychologie française, jusqu’à ce que débute la « saison Freud ». Ancien Normalien, agrégé de philosophie, Jules Romains était à même d’exposer de façon synthétique la pensée freudienne sur le rêve, le refoulement, les actes manqués, ou les perversions. Signé d’un écrivain connu (depuis La Vie unanime, 1908), publié dans une revue littéraire dont commence l’âge d’or, ce texte constitue sans doute la meilleure présentation de Freud dont ait disposé alors le grand public cultivé24.
7Parallèlement, la fiction s’ouvre à la psychanalyse. En 1921, l’année où Thibaudet publie son article, Jean Paulhan, le seul non médecin à avoir rendu compte de la pensée de Freud dès avant 1914, fait paraître Le Pont traversé25 qui, en trois « Nuits », réunit plusieurs récits de rêves. Quand Paulhan rédige ce texte, en 1916, voilà déjà longtemps qu’il s’intéresse à la psychanalyse et à la question du rêve ; et même s’il se garde de toute référence théorique, il a lu les classiques (Hervey de Saint-Denis, Moreau de Tours…). Comme l’ouvrage paraît en 1921, en même temps que les premières traductions de Freud, certains commentateurs firent aussitôt le lien, mais sans pouvoir justifier vraiment cette première impression. L’affaire en resta là jusqu’à la réédition de 1955. Car Paulhan, qui pourtant s’était éloigné du freudisme, a ajouté à la fin une étrange « Remarque » :
Ce petit livre a été écrit au front, au cours de l’année 1916. Bien que la psychanalyse à cette époque n’eût pas encore pénétré en France, j’en connaissais les traits essentiels grâce à un jeune écrivain allemand, Johannes N., rencontré en 1912.
Johannes N. avait été guéri d’une pédérastie, dont il souffrait, par le Dr Freud lui-même.
8Réfléchissant alors à la nature de la psychanalyse, « science expérimentale à ses débuts », et à ses ambiguïtés, l’auteur conclut qu’elle consiste, dans le principe, à décrypter un langage secret :
Or, il va de soi qu’un langage secret, que l’on a déchiffré, cesse d’être secret. Que si les parapluies, ballons, échelles, fuseaux et autres accessoires de nos rêves portent bien le sens que leur attribue la psychanalyse, voici donc notre inconscient réduit, pour maintenir le secret, à former de nouveaux signes et construire un nouvel alphabet : contraint à la plus vive liberté d’expression.
9Enfin, après cette interrogation sur les contradictions internes de l’entreprise, le narrateur nous apprend, ironiquement, que Johannes N., qui s’était marié, « est malheureusement revenu, au cours de la guerre, à ses premiers goûts, et s’est séparé de sa femme » (p. 159). L’ironie de ce finale tient à son ambiguïté. Faisant mine d’adopter le ton de la confidence, l’auteur nous livre en fait un « roman », puisque rien dans ce petit récit ne correspond à la vie de Paulhan lui-même. Mais le plus étrange est que, tout en tenant à distance la psychanalyse, un tel épilogue tardif réinscrit Le Pont traversé dans l’accueil fait à Freud et au freudisme – comme si, sur le tard, Paulhan avait tenu à figurer dans cette histoire.
10Comme on ne peut prendre en compte ce cas singulier qu’est Le Pont traversé, il faut attendre 1922 pour que la littérature s’empare directement de la psychanalyse. En janvier 1922, tandis que Jules Romains publie « Aperçu de la psychanalyse », Henri-René Lenormand fait jouer le 11 janvier à Genève Le Mangeur de rêves, première œuvre littéraire à représenter une cure26. Nous reviendrons sur ce drame bourgeois plutôt médiocre et l’intérêt paradoxal qu’il suscita, puisque le public s’enthousiasma pour le freudisme et pour la cure, alors que dans la pièce elle aboutit à un désastre (le suicide de l’analysante). Malgré tout, Le Mangeur de rêves aida à faire connaître la psychanalyse (mot qui n’apparaît pas dans la pièce) et incita d’autres écrivains à s’en emparer. Trois ans plus tard, avec Les Faux-monnayeurs27, c’est au tour du roman de représenter une cure (Boris analysé par Mme Sophroniska), et d’une façon assez semblable à ce que l’on voit dans Le Mangeur de rêves : la cécité de l’analyste, la violence du dévoilement, le désastre final avec le suicide du petit Boris (pour Lenormand et Gide, voir IIe Partie : « Récits de cures et fictions freudiennes »).
11Entre ces deux œuvres, l’année 1924 aura parachevé la rencontre de la littérature et de la psychanalyse avec le numéro du Disque vert, revue bruxelloise dirigée par Franz Hellens, intitulé Freud et la psychanalyse, et la publication du Manifeste du surréalisme, d’André Breton.
12Achevé d’imprimer en juin 1924 aux éditions du Disque vert, à Bruxelles, ce volume de deux cents pages s’ouvre sur quelques mots de Freud lui-même, avant de donner la parole à des écrivains, à des psychiatres et à des psychanalystes (le distinguo n’allant pas de soi à l’époque). Chez ces derniers, les contributions peuvent être cliniques (G. Robin28, A. Borel) ou théoriques (A. Ombredane) ; elles peuvent aussi franchir les frontières disciplinaires (J. Vinchon, « Le songe de Poliphile ou la tradition dans Freud », p. 62-69 ; J. Hytier, « Psychanalyse et critique littéraire », p. 119-128). Mais l’essentiel du numéro est pris en charge par des écrivains, souvent d’opinions variées quant au freudisme. Fort de son succès à la scène, H.-R. Lenormand affirme que « le jour où les idées freudiennes auront prévalu, tout ce que nous supportons encore quotidiennement, dans le roman ou au théâtre, nous paraîtra superficiel ou faux » (« L’inconscient dans la littérature dramatique », p. 70-76). À l’inverse, beaucoup semblent hésiter. Marcel Arland (« Le dialogue au jardin », p. 137-141) se défie de « cet envahissement de notre littérature par les morticoles, psychanalystes, psychiatres ou aliénistes », avant de célébrer en Freud un « esprit profond », d’« une puissance étonnante », de sorte qu’on ne peut repousser « en bloc » une pensée aussi « paradoxale » – paradoxes auxquels les « moralistes » nous avaient d’ailleurs préparés. De la même façon, Edmond Jaloux (« Observations sur la psychanalyse », p. 28-37), après avoir repris les pires clichés (chez les « races latines », les « manifestations inconscientes » seraient « plus faibles » que chez les « germaniques », ce qui expliquerait l’absence d’un Shakespeare français29), considère avec intérêt un certain nombre de points, comme la sublimation30, pour conclure : « Il faut reconnaître en Freud un des génies les plus féconds de notre temps », l’un de ces hommes « qui ouvrent soudain dans la vie de l’esprit des perspectives imprévues, qui en renouvellent les horizons ».
13Tout aussi partagé dans « Freud et la littérature31 », Valery Larbaud concède que Freud a introduit « quelques idées originales et frappantes », mais estime que pour le rêve « la grande autorité reste Hervey de Saint-Denys » et que Freud cède sans cesse au « désir, ou [à] la manie, d’attribuer à la sexualité un rôle prépondérant sinon exclusif » si bien que « beaucoup de choses ingénieuses » coexistent avec d’autres « qui nous paraissent arbitraires ou grossièrement déduites ». Mais par-delà ces réserves, Valery Larbaud considère qu’on « doit aussi [à Freud] beaucoup de reconnaissance pour voir créé ou vulgarisé les mots Libido, refoulement, censure, etc. Il a fixé l’attention, par ce moyen, sur les phénomènes que le public ignorait ou connaissait mal sous leurs anciens noms, tels que : désir sexuel, contrainte sociale, discipline personnelle, etc. » Une telle conclusion va dans le sens de René Crevel qui, sur un ton à la fois drôle et poétique, se demande s’il est « bien en état de grâce psychanalytique » et reconnaît que Freud nous a offert « le miroir qui précise ce dont si longtemps l’existence demeura insoupçonnée32 ».
14Mais il arrive que la résistance l’emporte. Ainsi, dans « Réserve sur un point33 », Jean Paulhan, qui pourtant connaît la psychanalyse de longue date, fait part de son désaccord avec la lecture freudienne d’un cas et se montre sceptique quant au critère de guérison – elle-même soumise à des effets de mode. De la même façon, dans « Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud34 », Henri Michaux, qui sait gré à Freud d’avoir « introduit dans la science les procédés psychologiques du roman, des mémoires et des confessions », récuse le symbolisme sexuel des rêves, avant de conclure : « Freud n’a vu qu’une petite partie./J’espère démontrer l’autre partie, la grosse partie, dans mon prochain ouvrage : Rêves, jeux, littérature et folie ». Bien entendu, cet ouvrage ne verra pas le jour ; mais on en trouve trace dans des textes ultérieurs où, comme le dit Raymond Bellour, Michaux répond à la psychanalyse en n’admettant « ni la primauté du sexuel dans la genèse du sujet [..], ni le monolithisme qui en découle35 ». Ce numéro du Disque vert, devenu une référence obligée, marqua de nombreux lecteurs. Le 19 juin 1924, Gide a ces mots après l’avoir lu dans le train pour Cuverville : « Ah ! que Freud est gênant ! et qu’il me semble qu’on fût bien arrivé sans lui à découvrir son Amérique ! [...] il écarte de nous certaine fausse et gênante pudeur. Mais que de choses absurdes chez cet imbécile de génie36 ! ».
15À ces ambiguïtés de Gide s’oppose, quelques mois plus tard, le Manifeste du surréalisme37, première école à se réclamer ouvertement de la psychanalyse. En 1921, Breton avait été le premier écrivain français à rencontrer Freud – le premier puisqu’on ne peut donner crédit à Paul Dermée quand, dans « Aristote avait raison » (Le Disque vert, 1924), il se vante d’avoir « vu Freud à Vienne en 1913 » sans lui « bais [er] la mule », et d’avoir même « entrepris de traduire son Évangile, lorsque le 1er août 1914... ». Paul Dermée aime provoquer ; André Breton tout autant. Longtemps après, il déplorera que, par « un regrettable sacrifice à l’esprit dada », il ait fourni « dans Littérature une relation dépréciative de [s]a visite », et sait gré à Freud de ne pas lui en avoir « gard [é] rigueur38 ». Car d’emblée, cette « interview » affiche la couleur : « Aux jeunes gens et aux esprits romanesques qui, parce que la mode est cet hiver à la psycho-analyse, ont besoin de se figurer une des agences les plus prospères du rastaquouérisme moderne, le cabinet du professeur Freud, avec des appareils à transformer les lapins en chapeaux [...], je ne suis pas fâché d’apprendre que le plus grand psychologue de ce temps habite une maison de médiocre apparence dans un quartier perdu de Vienne ». Là, Breton dit avoir découvert « un petit vieillard sans allure, qui reçoit dans son pauvre cabinet de médecin de quartier39 » et répond à l’enthousiasme du visiteur par quelques banalités. Dans ses Écrits, Jacques Lacan moquera la « naïveté » de Breton, découvrant que Freud « ne s’auréol [e] d’aucune hantise de Ménades40 ». Sans doute y eut-il une part de naïveté, comme chaque fois que l’objet est idéalisé. Mais l’ironie de Lacan est mal venue, car pour Breton cette rencontre aura constitué une vraie blessure narcissique du fait que Freud n’a pas reconnu le jeune inconnu qui venait à lui, plein d’enthousiasme. À la lumière de pareille scène, on comprend mieux les malentendus à venir entre Freud et Breton – l’affaire Volkelt, dans Les Vases communicants –, qui ne cesseront de rejouer ce premier rendez-vous manqué.
16Comme pour racheter la malencontre de 1921, le Manifeste de 1924 en appelle donc au freudisme, et avec ferveur. De ce fait, le surréalisme apparaît comme la seule avant-garde à se réclamer de la psychanalyse puisque les autres écoles la tiennent en suspicion, à commencer par les Dadas.
17En effet, pour des mouvements qui souhaitent du passé faire table rase, la psychanalyse renvoie au monde d’avant 1914 ; et elle représente ce qu’ils abhorrent : une exploration des profondeurs et une quête du sens (les symptômes les plus étranges étant finalement intégrés dans un grand récit). À Zurich, la rencontre des Dadas et de Jung avait tourné au fiasco, au point que, selon J. Kleinschmidt, ce dernier aurait dit des séances dadas : « C’est trop idiot pour être schizophrénique41. » De son côté, dans le Manifeste Dada 1918, Tristan Tzara déclare que « la psychanalyse est une maladie dangereuse, endort les penchants anti-réels de l’homme et systématise la bourgeoisie42 ». Et, selon Aragon, de Freud lui-même il « disait grand mal : un personnage tout à fait abruti, en lutte avec ses disciples, et lui-même l’imitation d’Adler et de quelques autres, qui avait bâti son système sur une espèce d’idéal bourgeois, un prototype de l’homme normal. Il lui préférait Jung qu’il connaissait [...]. Dans tout ce qu’il disait des psychanalystes on sentait [...] chez Tzara cette faculté qu’il a à un très haut degré de se détacher de ses idées les plus chères dès qu’il les sent assimilées par autrui et en passe d’être vulgarisées43 ».
18Le face-à-face du freudisme littéraire et des dadas connaît d’ailleurs son acmé quand, en mars 1920, H.-R. Lenormand publie dans Comœdia du 25 mars 1920 un article intitulé « Dadaïsme et psychologie », où il considère le dadaïsme comme une régression vers l’enfance, sur fond d’hystérie et de psychonévrose, conseillant à ses partisans de suivre un « traitement psychoanalytique ». À quoi les dadas répondent dans la revue Z (numéro unique paru ce même mois) avec cette « dépêche » anonyme : « Vienne : Le vénérable professeur Freud a failli mourir d’une rétention d’urine en lisant l’article de H.-R. Lenormand “Dadaïsme et psychologie”, suggérant en guise de “traitement” : “une cure de dadaïsme et privation complète de toute lecture scientifique inassimilable44 !” ». Hostile lui aussi à Lenormand, Breton fait paraître dans la NRF un texte intitulé « Pour Dada45 ». Quant à Picabia, il envoie à Comoedia une « Lettre ouverte à M. H.-R. Lenormand », qui ne sera pas publiée : pour lui, le dramaturge a fort bien compris le dadaïsme quand il voit ce mouvement basé sur une « régression à l’enfance » ; mais il est « dans le puits noir de l’erreur » lorsqu’il considère les dadaïstes « comme des hystériques, des psychonévrosés ou des déments précoces », sans jamais se demander si « la doctrine de Freud [est] juste46 ».
19Si, en 1924, l’effervescence dada appartient déjà au passé, il en va autrement avec Yvan Goll qui, en octobre 1924, jette les bases d’un mouvement rival dans l’éphémère revue Surréalisme. Or c’est autour de Freud et du freudisme que se cristallise le conflit. En effet, dans le texte programmatique, intitulé « Manifeste du surréalisme », Yvan Goll n’a pas de mots assez durs à l’encontre de la psychanalyse puisqu’à l’en croire cette « contrefaçon du surréalisme » – contrefaçon du vrai surréalisme, c’est-à-dire le sien – a été « inventée pour épater les dadas ». À la différence de Breton, Yvan Goll refuse donc de considérer Freud comme une « muse nouvelle » avant de conclure par ces mots : « Que le docteur Freud se serve du rêve pour guérir des troubles trop terrestres, fort bien ! Mais de là à faire de sa doctrine une application dans le monde poétique, n’est-ce pas confondre art et psychiatrie47 ? »
20Ce qui montre bien que la référence à Freud constitue un marqueur, c’est que, quelques années plus tard, la psychanalyse se retrouve au cœur du conflit entre Breton et Daumal. Nous reviendrons dans la troisième partie sur les positions du Grand Jeu envers la psychanalyse, et notamment sur la tentation jungienne de Gilbert-Lecomte (dans « La Psychanalyse et le Grand Jeu » et « Psychanalyse48 »). Dans l’immédiat, retenons que le Grand Jeu ne partage en rien l’enthousiasme du Manifeste envers Freud. Ainsi, Gilbert-Lecomte refuse d’accorder à la psychanalyse un statut d’exception et de voir en elle une théorie nouvelle car, à ses yeux, « Le seul but valable de la psychanalyse est de rendre conscient ce qui ne l’était pas. En cela elle est conforme à toute méthode d’ascèse, de progrès spirituel49. » En effet, pour Gilbert-Lecomte, qui regarde du côté de l’Inde et des sagesses traditionnelles, la psychanalyse ne dit rien qui n’ait déjà été formulé, il y a bien longtemps, y compris en ce qui concerne le « pansexualisme », propre à « tout système mystique50 ». Plus insolent, Daumal écrit en février 1930 à Arthur Harfaux : « Art-hure, ne te laisse pas arthurir ni compter beurreté ou flo-flo par Sigmund Freud » (p. 69). À quoi Arthur Harfaux répond en février : « Oh je t’en prie ne me parle pas de Freud. Suis-je de ces gens qui se croient toujours les héros de leurs lectures51 ? » Daumal donne d’ailleurs forme littéraire à cette résistance quand, dans La Grande Beuverie, où s’affrontent les « Scients » et les « Sophes », l’Abyssologue fait étendre le héros sur un divan pour écouter avec le plus grand intérêt toutes sortes de banalités œdipiennes, telles que les bouillottes de sa mère ou le parapluie de son père52.
21Demeuré sourd à Jung et ses sirènes, Breton campe résolument dans le camp loyaliste, lui qui verra le surréalisme exposé à plusieurs sécessions. Envers et contre tout, il restera fidèle à Freud, alors que sa rencontre avec Freud l’avait déçu, et qu’au long des années 30 on perçoit de sa part une forme de rivalité gémellaire. Pourtant, rien de cela n’effacera le retentissement du Manifeste qui scelle définitivement l’alliance du surréalisme, donc de la poésie, et de la psychanalyse. Tout aura commencé au Centre neuro-psychiatrique de Saint-Dizier en 1916 où, grâce à Freud et à sa méthode, Breton obtint de certains malades « un monologue de débit aussi rapide que possible » (OC, I, 326) – scène dans laquelle l’acte médical ouvre la voie à une libération de la parole. Comme à Saint-Dizier, ce moment fondateur, le Manifeste en appelle donc à Freud, auquel Breton « rend grâce » pour ce qu’il apporté. Mais si pareil hommage est resté inscrit dans la mémoire collective, on a moins remarqué que Breton, prosélyte hétérodoxe, donne du freudisme une lecture toute personnelle puisque la psychanalyse qu’il nous présente, identifiée aux seuls territoires du rêve, ignore l’Œdipe, le refoulement et en fait l’inconscient.
22Le succès se paie donc au prix fort ; mais au terme de l’année 1924, d’une densité exceptionnelle, le freudisme littéraire a partie gagnée. Désormais s’en réclament les écrivains les plus divers, et que parfois tout oppose. Avant de vivre dans les années 30 leur « moment ethnologique », les lettres françaises connaissent alors leur « moment freudien ». Avec le recul, Mauriac prend la juste mesure du phénomène quand il écrit que « depuis un demi-siècle, Freud, quoi que nous pensions de lui, nous oblige à tout voir, et d’abord nous-même, à travers des lunettes que nous ne quittons plus », et que « dès le lendemain de l’autre guerre, son empire s’est imposé à tous53 ». Au beau milieu des années vingt, la psychanalyse devient en effet un horizon de pensée que la plupart des écrivains ont en partage comme le montre la multiplication des allusions dans les œuvres, les revues et les auteurs les plus divers.
23Dans cette diffusion de la pensée freudienne, les revues culturelles jouent un rôle de premier plan. Ainsi, dans le numéro 47 de la revue Rythme et Synthèse (juin 1924), Gabriel Huan présente Freud et son œuvre dans un article intitulé « La Psychanalyse ». Le 7 mars 1925 L’Information universitaire ouvre une enquête de Dandieu sur la valeur de la doctrine freudienne et son influence sur les mœurs et la littérature, enquête qui suscite un certain nombre de réponses, notamment de Lenormand et de René Allendy. En 1926, la Revue de littérature comparée donne des informations sur le soixante-dixième anniversaire de Freud. Et l’année suivante, en janvier 1927, Jean de Lassus publie dans La Grande Revue un article significatif sur « L’inquiétude freudienne dans le roman et dans le drame français contemporain. » De tels articles rendent bien compte de l’air du temps. Car très vite la référence à Freud devient un lieu obligé. Outre le cas de La Garçonne, cité en ouverture, il faut évoquer cet autre roman à scandale que fut La Madone des sleepings (1925), où Maurice Dekobra met en scène, dans le premier chapitre, un émule (peu orthodoxe) de Freud en la personne du Pr Siegfried Traurig. En cette année 1925, l’influence du freudisme est devenue telle que, dans le prière d’insérer de Un homme si simple (1925), André Baillon doit se défendre de toute influence : « Peut-être pensera-t-on à Freud ou aux théories les plus récentes du surréalisme ? Traversant les mêmes paysages d’âme, il est possible que nos routes se côtoient quelquefois : elles ne se sont pas cherchées. » De retour à Paris en 1926, Julien Green y respire « l’air néfaste et stérilisant de la psychanalyse » ; il constate que « tout le monde [a] des complexes » et que « les personnages de roman suiv [ent] docilement la mode54 ». Et deux ans après, dans son Traité du style, Aragon, qui une décennie auparavant rapprochait les collages de la « psychoanalyse » et du « rêve diurne55 », s’en prend ironiquement à cette mode, dénonçant un « Freud fardé outrageusement, dans une toilette suggestive arpentant le bitume » pour « fai [re] la retape des écrivains sur le retour », tandis que des écrivains en mal d’inspiration tentent de « revirginiser la mariée » en lui fournissant toutes sortes « d’actessymptômes, de tendances œdipiennes, de complexes variés56 ». Dans cette conversion au freudisme, chacun fait entendre sa petite musique. En 1929, dans Mort de la pensée bourgeoise, Emmanuel Berl, pourtant réservé quant à la nouvelle venue, regrette que la plupart des romanciers ne prennent pas en compte « les leçons de la psychanalyse » qui devrait les convaincre « qu’un personnage est empêché par les lois du refoulement de prendre jamais une conscience claire de soi57 ». Dans L’Homme qui regardait passer les trains, Simenon parle d’un « concept d’infériorité », qui renvoie à Adler ; et le héros peut lire dans le journal le diagnostic posé sur lui par un psychiatre, à savoir qu’il est un « paranoïaque58 ». Et quand, en 1930, Gallimard publie le Dostoïevski d’Anna Grigorievna Dostoievskaïa, traduit par André Beucler, c’est précédé de « Dostoïevski et le parricide » de Freud. Ignorer alors Freud suffit donc à vous discréditer comme on le voit dans Toxique, de Julien Blanc, où la baronne de Corler s’indigne que le peintre nécessiteux à qui elle avait demandé son avis sur la psychanalyse avoue ne pas le connaître59. Mieux encore, Jacques Boulenger peut jouer de l’implicite dans une nouvelle intitulée « Crime à Charonne60 » où, lors d’un dialogue sur un fait-divers (« Rue de Passy un gamin de treize ans et demi tue à coups de fusil son père endormi ») dans un compartiment de train, le Dr Martinet rappelle à son interlocuteur avoir « connu et soigné » l’auteur d’un « fait comparable », cas qu’il a d’ailleurs présenté dans la Revue française de Psychanalyse (p. 15). Le Dr Martinet raconte alors longuement l’histoire du jeune Paul Pie ; mais arrivé à la fin, face à un interlocuteur qui n’a rien compris, le Dr Martinet s’interrompt : « C’est pourtant bien simple [...]. Mais si vous n’êtes pas au courant de la... c’est tout un cours qu’il faudrait vous faire ». En pareil cas, il ne sert à rien de prononcer le terme de « psychanalyse » pour un auditeur qui en ignore tout, mais à l’attention d’un lecteur qui en sait assez pour qu’on n’insiste pas.
24Très vite, les autres arts se joignent au mouvement. Pour ce qui est de la peinture, nous reviendrons dans la IIIe Partie sur Dalí et sa période freudienne ; et pour le cinéma, sur l’inflexion analytique qu’apporta à L’Âge d’or, de Buñuel, le texte-programme de Breton « L’Instinct sexuel et l’instinct de mort » (OC, I, p. 1025-27). Mais le plus étonnant concerne la radio. Dans un essai intitulé Pour un art radiophonique (1930), Paul Deharme, en freudien résolu, considère les Essais de psychanalyse (publiés en 1927) et leurs « révélations sur l’inconscient (pressenties de tout temps mais jamais dégagées clairement) » comme « la première promesse faite aux hommes, d’une civilisation transformée, d’un monde, d’une politique, d’une médecine nouvelle, d’une guérison de la peur de la mort61 ». Homme de radio, il estime que c’est « un médium freudien », car « c’est bien le subconscient que nous prétendons, par la T.S.F., émouvoir directement sans éveiller le conscient ni son action perturbatrice » (ibid., p. 146).
25Pourtant, il ne faut pas se méprendre. Même si, globalement, on assiste à une extension du domaine de la psychanalyse, il arrive que des partisans de la cause désertent. Ainsi de Cendrars, ce pionnier, qui procède à une liquidation de la psychiatrie et de la psychanalyse avec Moravagine (1926), lointainement inspiré du cas Otto Gross. Et il suffit de reprendre la liste des auditeurs de Mme Sokolnicka et des contributeurs au numéro du Disque vert sur Freud pour mesurer l’ampleur du phénomène. Parmi les premiers découvreurs, beaucoup semblent avoir maintenu une frontière entre la psychanalyse et la littérature. Tel est le cas de Jean Schlumberger (dont le fils, Marc, deviendra analyste62) ; et de Roger Martin du Gard, alors que dans sa bibliothèque figuraient de nombreux ouvrages spécialisés et que, par leurs thèmes, des textes comme Confidence africaine (1931) et Le Lieutenant-général de Maumort (posth. 1983) semblent appeler la psychanalyse. Même si Roger Martin du Gard explique dans son Journal, au moment où vient de paraître le premier volume des Thibault, que la suite ne pourra être que meilleure du fait que, grâce à Gide et à Freud, il a fait « un pas de géant63 ». D’autres, comme Marcel Arland ou Valery Larbaud, auront bien commis un article dans Le Disque vert ; mais leur relation avec la psychanalyse semble s’être arrêtée là. L’engouement des premiers temps a donc fait place très tôt au désamour. Quant à ceux qui ont franchi le pas en intégrant le freudisme à l’écriture, nombreux sont ceux qui, au bout d’un certain temps, ont repris leurs distances, comme on le verra dans la IIe Partie (Gide et Jouve après 1935, Queneau et Leiris après 1939-1940). Mais au moins, ces derniers se seront confrontés au freudisme – au niveau théorique ou à travers la cure – et auront essayé d’inscrire dans la langue une nouvelle conception du sujet. Mais il existe une autre position. Alors qu’à partir de 1925 nul ne peut ignorer les défis nouveaux de la psychanalyse, certains demeurent sur le seuil, quand bien même ils traitent de questions analogues (Valéry), explorent les mêmes territoires (Cocteau64, Giraudoux, Mauriac), ou bien encore affichent leur défiance envers Freud pour mieux se rapprocher de Jung (Malraux, Marguerite Yourcenar). Car, qu’ils le veuillent ou non, des écrivains comme Valéry, Mauriac, Giraudoux, Malraux... sont des « contemporains » de Freud, au sens où André Job le dit de Giraudoux, du fait qu’ils appartiennent « à une génération qui ne peut plus ignorer le choc des découvertes freudiennes65 ».
Malencontres
26Comme on l’a vu, André Breton n’oublia jamais sa rencontre ratée avec Freud, en 1921, où commence le malentendu qui prévaudra entre le surréalisme et la psychanalyse. En pareille scène, on peut voir une sorte d’allégorie puisque, sur un mode moins théâtral, nombreux sont les écrivains à avoir manqué leur rendez-vous.
Marcel Proust, freudien sans le savoir
27Le cas le plus connu est celui de Marcel Proust. Lui qui décède en novembre 1922, au moment où le freudisme en est sur le point de gagner la partie, avait déclaré en novembre 1913 à un journaliste du Temps que son livre serait comme un roman de l’Inconscient.
28Un tel inconscient, omniprésent dans la littérature depuis la fin du xixe siècle, ne pouvait être freudien car les deux hommes se sont ignorés. Comme l’avoue Marcel Proust à Roger Allard, dont une phrase sur Du côté de Guermantes II avait désorienté l’auteur par une référence à Freud : « Si je n’ai pas compris la phrase sur Freud c’est que je n’ai pas lu ses livres66. » Ce que confirme longtemps après Jean-Yves Tadié : « Aucun d’eux […] n’a lu l’autre. Or Freud savait parfaitement le français et Proust avait étudié l’allemand à Condorcet ». Tous deux sont des israélites laïcisés, liés à la médecine (Adrien Proust, père de Marcel, avait suivi les leçons de Charcot à la Salpêtrière) ; et tous deux ont exploré les mêmes domaines, si bien qu’« on rêve d’un dialogue des morts67 ». Le paradoxe est ainsi que le plus « freudien » de nos écrivains est celui qui n’aura pas connu Freud. Mais les familles d’esprit n’ont que faire de la chronologie si bien que, grâce à Jacques Rivière et aux nombreuses conférences qu’il donna dans les années 1923-1924, le rapprochement s’imposa. Très honnêtement, Jacques Rivière concède que, si Proust connaissait « peut-être le sens général de sa doctrine » [de Freud], il n’avait pu en être informé que tardivement si bien qu’« aucune influence n’en est résultée sur son œuvre68 ». Mais tout au long de ses articles, comme dans « Marcel Proust et l’esprit positif69 », il souligne à quel point « Proust et Freud inaugurent une nouvelle manière d’interroger la conscience » (p. 616) puisqu’ils montrent que « nos sentiments ont pour fonction principale de nous mentir » (614). Car, explique Jacques Rivière, sans connaître Freud, et peut-être pour cette raison même, Proust a inventé une psychologie du désir et une méthode d’analyse qui ont à voir avec celles de Freud.
29Preuve du retentissement de ces articles, Louis Aragon s’en prend à Jacques Rivière dans son Traité du style quand il écrit : « Avec le plus grand sérieux, il se trouve des particuliers qui pour faire valoir leur romancier de chevet prétendent que le digne pisseur de copie bien que n’ayant pu lire Freud a eu, comment dirai-je, le pressentiment de la sychanalisse, et tel est le génie de Prou, comme on prononce à droite70. » Dix ans plus tard, à l’autre extrémité du spectre politique, Léon Daudet pense immédiatement à Proust dans son article sur « La mort de Freud » : « Il [Freud] était le contemporain de Proust, maître de l’introspection et qui est allé aussi loin dans la synthèse des bribes du subconscient. Mais il y a chez Proust un sens de l’ironie, totalement absent chez Freud71. » Depuis, le rapprochement est devenu un exercice obligé entre deux auteurs qui, dans leurs domaines respectifs – le roman pour l’un, la psychologie pour l’autre – dessinent un avant et un après. Mais cette étrange gémellité ne laisse pas de questionner, comme chaque fois qu’un écrivain partage avec la psychanalyse un certain nombre d’objets et de questionnements, sans que pour autant le dialogue se noue. Il y a là un bel exemple de « convergences parallèles », comme le disait Aldo Moro des relations entre la DC et le PCI au temps du compromis historique. C’est d’ailleurs à cet oxymore que l’on est tenté de recourir pour certaines grandes figures, à la fois tout proches et très loin de la psychanalyse.
30La « rencontre » de Proust et de Freud, qui n’a d’existence que dans une conscience extérieure, relève en fait de l’illusion rétrospective. Elle mesure une freudisation des esprits, qui très vite a contaminé la plupart des lectures. Il en est allé ainsi pour Antonin Artaud, dont les analystes et les philosophes ont fait grand cas, jusqu’à voir en son œuvre le moyen de repenser la psychanalyse, alors que le nom de Freud n’apparaît quasiment pas chez lui, et toujours de façon sommaire.
Artaud le Mômo, Artaud le Schizo
31Alors que de nombreux écrivains lisent Freud, mais sans recourir à la cure, Artaud, lui, entretint une relation personnelle avec un analyste, à savoir René Allendy. C’est en tant que mécènes et protecteurs des jeunes créateurs qu’Yvonne et René Allendy, figures en vue du Paris de l’époque, « adoptèrent » Antonin Artaud, qu’ils considéraient comme un fils72 – le fils qu’ils n’avaient pas eu –, et l’aidèrent à ouvrir le Théâtre Alfred Jarry (1926). Jusqu’au bout, Artaud restera d’ailleurs attaché à Yvonne Allendy (décédée en 1935), qu’à Rodez encore il cite parmi ses « filles de cœur ». Quant à Allendy, auteur d’une thèse de médecine sur l’alchimie et la médecine (1912), contributeur du Disque vert sur Freud, intéressé par toutes sortes de sujets hétérodoxes (l’ésotérisme, la numérologie, Paracelse), il est, comme Adrien Borel, un analyste épris de littérature. En effet, Allendy eut comme analysants des écrivains aussi divers qu’Anaïs Nin, Robert Desnos, Maurice Sachs ou René Crevel. Avec ce dernier, dont la cure eut lieu à la fin de 1926, les choses se passèrent mal, si l’on en croit la caricature que Crevel donne de René Allendy dans Êtes-vous fous ?73, où le héros se révolte contre le simplisme de son analyste (voir IIe Partie 2 : « Récits de cures et fictions freudiennes »). Avec Maurice Sachs, analysé en 1929-1930, et qui à un moment logea même chez les Allendy, les choses semblent avoir pris un tour inattendu puisque dans Histoire de John Cooper d’Albany l’auteur évoque sous une forme transposée les avances que lui auraient faites Yvonne Allendy74. Quant à Desnos, des lettres de lui indiquent que sa cure avec Allendy se termine en août 1933 (« Ma psychanalyse est à peu près terminée. C’est une chose très bien. »), sans qu’on sache exactement quand elle avait commencé. Desnos semble d’ailleurs en avoir tiré profit puisqu’il désira, mais en vain, que Youki fasse de même75.
32Mais c’est de loin Anaïs Nin qui connut le mieux Allendy, dont elle parle longuement dans son Journal. À l’en croire, Allendy, auteur de nombreux essais (La Psychanalyse et les névroses, avec René Laforgue ; Capitalisme et sexualité, avec son épouse…), était un esprit brillant et un bon thérapeute. Mais, selon elle, il manquait d’assurance et ignorait la joie de vivre, au point de se considérer comme « vieux et froid76 ». Allendy rencontre donc son double inversé en la personne d’Artaud, puisque ce dernier ne cesse d’invoquer « la vie » et de l’éprouver dans toute son intensité. Et malgré la distance qui le sépare d’Artaud, en dépit du fait que l’analyse de ce dernier se réduisit à peu de choses, il revient à Allendy d’avoir d’emblée mesuré le génie de l’écrivain.
33En 1927, Allendy, à qui Artaud demande sans cesse de lui prescrire des drogues, l’invite à entamer une cure. Comme l’auteur multiplie les thérapies de façon erratique, cette cure ne durera que quelques séances, dont nous ne connaissons que ce qu’en dit Artaud dans sa lettre à Allendy du 30 novembre 1927 :
Vous ai-je dit que les séances de psychanalyse auxquelles j’avais fini par me prêter ont laissé en moi une empreinte inoubliable. Vous savez assez quelles répugnances surtout instinctives et nerveuses je manifestais quand je vous ai connu pour ce mode de traitement. Vous êtes parvenu à me faire changer d’avis, sinon du point de vue intellectuel, car il y a dans cette curiosité, dans cette pénétration de ma conscience par une intelligence étrangère une sorte de prostitution, d’impudeur que je repousserai toujours, mais enfin du point de vue expérimental j’ai pu constater les bienfaits que j’en avais retirés et au besoin je me prêterai de nouveau à une tentative analogue mais du plus profond de ma vie je persiste à fuir la psychanalyse77.
34Partagé entre une opposition de principe et une forme de pragmatisme quant à l’effet constaté, Artaud use ici d’une modération dont il n’est pas coutumier. Cette prise de distance avec Allendy n’a donc rien d’une rupture puisqu’ils conserveront des liens étroits. Car la parenthèse psychanalytique n’a fait que prolonger, par d’autres moyens, une auto-analyse permanente comme le montre, dans la même lettre, cet aveu : « il y a en moi quelque chose de pourri, il y a dans mon psychisme une sorte de vice fondamental qui m’empêche de jouir de ce que la destinée m’offre [...]. Ma lucidité est entière, plus aiguisée que jamais » (ibid., p. 145).
35Quelques années plus tard, Artaud va être à l’origine de la rupture entre le psychanalyste et Anaïs Nin. En mars 1933, Allendy, qui organisait des conférences en Sorbonne par l’intermédiaire du Groupe d’études philosophiques et scientifiques pour l’examen des idées nouvelles, créé avec son épouse, invite Artaud à intervenir sur « Le Théâtre et la Peste ». Tandis que, face à un Artaud halluciné, le public proteste, Anaïs Nin est fascinée. Soudain, elle mesure la distance, accablante, entre le poète et l’analyste, dont la « magie » alors s’évanouit78. Malgré ce qu’il lui a apporté, l’Américaine décide donc de « l’abandonner à son univers étriqué » (ibid.) pour se tourner vers Otto Rank qui, temporairement à Paris, avait alors en analyse Henry Miller79.
36Artaud n’a sans doute pas mesuré les effets de sa conférence. Mais grâce à Anaïs Nin, avec qui il était en confiance, nous connaissons son point de vue sur l’analyse. En effet, Artaud lui a confié son opposition à « l’usage pragmatique qui en est fait », regrettant « qu’on ne l’emploie qu’à libérer sexuellement les individus, alors qu’on devrait en faire uniquement une discipline métaphysique en vue d’atteindre l’unité80 ». Devant pareille proposition, on mesure la distance qui sépare Artaud de la psychanalyse. D’ailleurs, le nom de Freud est quasiment absent de ses textes ; et quand une référence apparaît, elle souligne l’ampleur du malentendu. Ainsi, dans une lettre à Ferdière (11-2-1944) sur les démons qui l’assaillent et suscitent des idées lubriques, Artaud ajoute que « c’est cette idée-là que Freud a eue au fond de lui-même quand il a créé le terme scientifique de “libido” qui incrimine toute la sexualité comme la cause de tout malheur et de tout mal81 ». Bien évidemment, un tel gauchissement de la théorie analytique constitue une lecture projective, et il nous en apprend plus sur Artaud que sur Freud.
37La peur de la sexualité et de la femme (comme quand il découvre la « bestialité monstrueuse » de Catherine Schramm82), combinée à toute une fantasmatique (analité, identifications glorieuses, morcellement du corps, auto-engendrement…), fait d’Antonin Artaud l’un de ces psychotiques exemplaires que la psychanalyse a tant aimés (Schreber, Aimée…). Mais, comme le suggère Serge André dans L’Épreuve d’Antonin Artaud et l’expérience de la psychanalyse (Bruxelles, éd. Luc Pire, 2007), il faut se garder de considérer Artaud et ses délires simplement comme un cas – ce que par ailleurs il est – en oubliant son implacable lucidité sur lui et son mal-être. Plutôt que de lire les textes d’Artaud comme de simples symptômes, Serge André invite donc à analyser moins une maladie en soi qu’une position devant la maladie et la douleur. Ce qui fait que les textes et la personnalité d’Artaud mettent l’analyse au défi de l’interprétation, et donc « éprouv[ent] le savoir psychanalytique83 ». Très tôt, dans sa correspondance avec Artaud, Jacques Rivière – dont on connaît l’intérêt pour Freud – avait noté « l’extraordinaire précision de [son] diagnostic sur [lui]-même84 », le considérant ainsi à la fois comme « un grand malade » et « un grand psychiatre85 ». Jusqu’au bout, c’est bien la position du psychologue (ou de l’analyste) qu’occupe Artaud, quand il considère ses Carnets de Rodez comme des notes sur l’esprit humain et ses aspects ignorés.
38La peur de la sexualité et de la femme (comme quand il découvre la « bestialité monstrueuse » de Catherine Schramm86), combinée à toute une fantasmatique (analité, identifications glorieuses, morcellement du corps, auto-engendrement…), fait d’Antonin Artaud l’un de ces psychotiques exemplaires que la psychanalyse a tant aimés (Schreber, Aimée…). Mais, comme le suggère Serge André dans L’Épreuve d’Antonin Artaud et l’expérience de la psychanalyse, il faut se garder de considérer Artaud et ses délires simplement comme un cas – ce que par ailleurs il est – en oubliant son implacable lucidité sur lui et son mal-être. Plutôt que de lire les textes d’Artaud comme de simples symptômes, Serge André invite donc à analyser moins une maladie en soi qu’une position devant la maladie et la douleur. Ce qui fait que les textes et la personnalité d’Artaud mettent l’analyse au défi de l’interprétation, et donc « éprouv[ent] le savoir psychanalytique87 ». Très tôt, dans sa correspondance avec Artaud, Jacques Rivière – dont on connaît l’intérêt pour Freud – avait noté « l’extraordinaire précision de [son] diagnostic sur [lui]-même88 », le considérant ainsi à la fois comme « un grand malade » et « un grand psychiatre89 ». Jusqu’au bout, c’est bien la position de psychologue (ou d’analyste) qu’occupe Artaud, quand il considère ses Carnets de Rodez comme des notes sur l’esprit humain et ses aspects ignorés.
39Mais si la démarche d’Artaud et quelquefois son lexique possèdent une coloration freudienne, à regarder plus avant son imaginaire apparaît comme une réplique inversée de la psychanalyse, centrée sur Œdipe. En effet, alors que chez Freud le fils tue le père, chez Artaud, dont l’un des grands mythes est Tantale (rencontré chez Sénèque dont il avait souhaité adapter la pièce), c’est le père qui tue le fils. Quant à Héliogabale, s’il s’offre à toutes les identifications, c’est qu’il est un fils sans père, comme l’explique Serge André. Par un même processus d’inversion, Artaud en vient d’ailleurs à redéfinir la ligne de partage entre la santé et la maladie. Ainsi, quand dans Van Gogh le suicidé de la société le peintre se coupe l’oreille gauche, Artaud considère ce geste comme un signe de bonne santé mentale, « car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est malade ». Et il voit là la preuve que si « une société tarée a inventé la psychiatrie », c’est « pour se défendre de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient90 ». De la psychiatrie comme de la psychanalyse, Artaud aurait donc pu dire, comme Karl Kraus, que ce sont des maladies qui se prennent pour des médecines ; et pourtant, c’est à des représentants de ces sciences douteuses qu’il aura eu à faire toute sa vie.
40Par un étrange effet de répétition, Artaud sera passé de René Allendy, psychanalyste féru de littérature, à Gaston Ferdière, devenu psychiatre à Rodez après avoir vécu longtemps à Paris où était en relation avec Michaux, Desnos et Crevel91. En 1943, un an après le décès de René Allendy, qui aura dicté jusqu’au bout ses réflexions sur le mal qui devait l’emporter (Journal d’un médecin malade), Ferdière sauve Artaud en le faisant venir à Rodez. Et il le remet à l’écriture en lui proposant de traduire un chapitre de Through the Looking-Glass, de Lewis Carroll, chapitre particulièrement bien choisi puisqu’il porte sur le langage et la maîtrise des mots. Grâce à cette relation de confiance, Artaud va entretenir avec Ferdière un long dialogue épistolaire. Là, il réaffirme à plusieurs reprises sa distance envers la psychanalyse et, à l’inverse, son intérêt pour l’ésotérisme : « si je connais mal la Psychanalyse de Freud, ou celle de Jung, en revanche j’ai étudié de très près la Kabbale dans le “Zohar” ou le “Sepher Ietzira”92 ». Surtout, il souligne inlassablement sa pleine lucidité et sa capacité à triompher seul de « l’inconscient », considéré comme une instance du Mal. Comme il l’écrit dans un projet de lettre : « je crois que l’inconscient universel nous hait et comme vous, c’est-à-dire comme tous les hommes conscients, je suis victime de cette haine93 […] ». Enfin, à rebours des interprétations médicales de son cas, Artaud ne cesse de réaffirmer le primat de la poésie : « Quelque chose de mon monde intérieur vous échappe […] j’ai toujours voulu vous entraîner dans ma sphère poétique propre mais j’ai vu que vous ne vouliez pas y croire et c’est ce qui m’a fermé le cœur. Les états mystiques du poète ne sont pas du délire Dr Ferdière94 ». Sur quoi Artaud demande à son psychiatre comment il ne parvient pas à aimer dans l’homme qu’il est ce qu’il aime dans son œuvre.
41Tout autant qu’Allendy, Ferdière vit en la personne d’Artaud celui qu’il n’avait pas été et ne serait jamais. Ainsi, le psychiatre comme le psychanalyste regardèrent cet homme accéder à des territoires qui devaient leur rester interdits. On assiste alors à un véritable chassé-croisé, où chacun rêve d’occuper la place de l’autre : le poète jouant le rôle de psychiatre ou de psychanalyste ; les médecins devenus poètes par procuration.
42Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Quand Ferdière disparaît, en 1990, il a été témoin de l’engouement dont Artaud fut l’objet au tournant des années 1960-1970, où il devint une figure majeure de la modernité. C’est à ce moment d’ailleurs que la psychanalyse lui donne un nouveau rendez-vous quand, grâce à Gilles Deleuze, associé un temps à Félix Guattari, Artaud fait irruption dans le domaine de la théorie. En raison des bornes chronologiques de cet essai, la conception deleuzienne de la psychanalyse, qui aurait eu toute sa place dans le chapitre sur « Les Psychanalyses parallèles », demeure hors champ95. Il n’est donc pas question de rouvrir le dossier sur le fond, mais il vaut la peine de signaler pour mémoire le rôle que joua Artaud, comme écrivain et comme personnage, dans ce dispositif.
43Deleuze, qui ne lui a pourtant jamais consacré d’essai, aura entretenu avec Antonin Artaud un long compagnonnage96. On le voit mentionné déjà dans Différence et répétition (PUF, 1968) ; Logique du sens (Minuit, 1969) lui consacre un chapitre, autour de la fameuse traduction de Lewis Carroll et de la question du langage ; et dans Critique et clinique (Minuit, 1993), Artaud est longuement évoqué dans la section XV. Mais c’est surtout au cours des années 1970, quand Deleuze cosigne avec Félix Guattari, les deux volumes de Capitalisme et sexualité, qu’Antonin Artaud devient une figure emblématique.
44Tout comme Lacan, et sa relation première avec les grandes délirantes et l’étrange poésie de leurs écrits (Aimée, Marcelle), ou comme Salvador Dalí et la paranoïa-critique, Deleuze et Guattari cherchent à refonder la psychanalyse à partir de la clinique de la psychose97. Portés par un climat particulier (l’utopisme révolutionnaire suscité par mai 1968, y compris dans le domaine de la maladie mentale), les deux ouvrages que signent en commun Deleuze et Guattari : L’Anti-Œdipe (Minuit, 1972) et Mille Plateaux (Minuit, 1980), qui consacre un chapitre à Artaud, radicalisent une critique du freudisme entamée de longue date par Deleuze, notamment dans Logique du sens, où l’auteur subvertit le mythe d’Œdipe, dont il fait « un héros pacificateur » puisqu’il a conjuré « la puissance infernale des profondeurs ». Œdipe change donc de visage, et surtout il perd, chez Deleuze et Guattari, le caractère de centralité dont il bénéficie chez Freud. Les deux auteurs s’accordent en effet pour dénoncer l’œdipianisation à laquelle succombe la psychanalyse, marquée par le familialisme ; et ils entreprennent de repenser l’inconscient, notamment à la lumière de Nietzsche, afin de poser en des termes nouveaux la question du désir. L’analyse se voit ainsi réévaluée à l’aune de la schizophrénie – alors dans l’air du temps, comme le montre le succès de Louis Wolfson avec Le Schizo et les langues (1970). Plutôt que d’« œdipianiser le schizo », la schizo-analyse, dont Deleuze et Guattari jettent les bases, se propose donc de « schizophréniser l’inconscient ». Pour incarner la schizo-analyse, Deleuze, qui pense l’appareil psychique à travers la représentation qu’en ont donnée les écrivains, en appelle évidemment à Antonin Artaud, à qui déjà dans Logique du sens il avait emprunté la notion fantasmatique de « corps sans organe ».
45Tenant d’une ligne radicale, Deleuze et Guattari refusent toute atténuation du diagnostic porté sur l’auteur, dont le pouvoir de subversion tient justement à la schizophrénie. En effet, Artaud aura été « la mise en pièce de la psychiatrie, précisément parce qu’il est schizophrène et non parce qu’il ne l’est pas ». Et « Artaud est l’accomplissement de la littérature, précisément parce qu’il est schizophrène et non parce qu’il ne l’est pas98. » C’est ainsi qu’en une ultime métamorphose, « Artaud le Mômo » devient « Artaud le Schizo » (ibid.).
Paul Valéry, « le moins freudien des hommes »
46Par ce ravissement, Deleuze confère un rôle central à un auteur qui, peu au fait de Freud, en parla rarement et dont les relations avec la théorie analytique demeurèrent de basse intensité (au regard de ce qui se joua avec ses médecins). Il en alla autrement chez des écrivains qui, conscients d’une proximité embarrassante envers le freudisme, firent soudain preuve d’une agressivité inattendue.
47Tel est le cas de Paul Valéry, « le moins freudien des hommes99 », dont le cheminement fut étrangement parallèle à celui de Freud. Au même moment, en effet, Valéry et Freud entreprennent des recherches sur le fonctionnement de l’esprit, et ils réfléchissent aux mêmes objets (en particulier le rêve) à partir de positions antinomiques sur la question de l’inconscient. Car tandis que Freud fait de l’inconscient un lieu nodal, dont on ne cesse d’appréhender les effets diffractés, Valéry met en avant la conscience, dont il cherche à élargir le champ. Mais comme il ne peut faire totalement l’économie de l’inconscient, il lui faut composer avec un concept embarrassant. L’inconscient selon Freud et l’inconscient selon Valéry ne sont pas évidemment pas de même nature, et ils n’occupent pas le même lieu. Chez Freud, il est le premier moteur de par son caractère pulsionnel, alors que chez Valéry il ignore l’infantile aussi bien que le refoulement, et, comme chez Bergson, se trouve dépossédé de toute vraie dynamique100.
48Dans la dernière décennie du xixe siècle, on voit ainsi surgir différentes conceptions du psychisme, puisque Valéry entreprend la rédaction de ses Cahiers en 1894, période où Freud publie ses premiers articles et Bergson ses premiers essais. Ce dernier, qui a très tôt connaissance de Freud, n’en parle pratiquement jamais. À l’inverse, lorsqu’il découvre la pensée de Freud, Valéry mesure immédiatement la menace. À ses yeux, en effet, « si les théories de Freud ont une valeur thérapeutique – c’est une grande probabilité qu’elles n’ont point de valeur “scientifique”101 ». Car dans ces théories, tout le heurte : « Quoi de plus bête que les inventions de Freud sur ces choses ? » (C 1, 166) – les « choses » en question concernant bien sûr la sexualité. Et c’est encore pire pour le rêve : « Il y a des siècles que je m’occupe du rêve. Depuis, vinrent les thèses de Freud et Cie qui sont toutes différentes102 – ». Et ces thèses « répugnent à [s]a raison » du fait qu’elles voudraient que « dans les rêves les idées des choses les plus insignifiantes dans la veille –, jouent un rôle égal à celui joué par les choses qui ont ému ou émouvraient le plus […] » (C 2, 127). Valéry s’en prend d’ailleurs aux fondements mêmes de l’interprétation, reprochant au freudisme de penser le rêve « à partir des significations103 » et de reposer sur « l’hypothèse d’une action physiologique cachée […] due à des impressions premières généralement sexuelles qui ne furent pas libérées […] » (C 2, 161).
49Comme beaucoup, ce que Valéry reproche à la psychanalyse, c’est de constituer un système clos et donc d’apporter des réponses là où lui, l’homme du fragment, pose d’abord des questions. Car l’auto-analyse à laquelle se livre l’auteur a souvent quelque chose d’indécis : « C’est un débat obscur que celui-ci – Qui est donc le maître, ici ? Chez “Moi” – ? Qui, Toi ? […] C’est un étrange conflit. Et je connaîtrai l’excellence de ma “philosophie” à ceci que je puisse me décrire ce désordre et combat de la Sagesse contre – – – ? ou d’une volonté contre ma volonté – » (C 1, 216). En porte-à-faux avec lui-même (« Je ne suis pas ce/celui/que je suis. Non sum qui sum. ») (C 1, 128), Valéry souligne la pluralité qu’il sent en lui et la tension constante entre plusieurs instances : « Il y a en moi un moi qui en présence d’autres choses, change. Il se contracte, ou refoule une “liberté”, une transparence, une puissance. […] Je le sens comme un corps étranger et rien pourtant de plus intime. Je l’ai pour ennemi. Je le hais. Il m’empêche de ne pas sentir. Sentir, c’est lui. Subir » (C 1, 75). « Élevé dans la peur nerveuse de Tout » (C 1, 88) et exposé à des mouvements soudains (« – Dégoûté, écœuré – de moi, je me prends et me jette par terre à plat ventre, bras étendus. », C 1, 58), l’auteur des Cahiers est conscient de sa fragilité, si bien qu’il ne cesse de faire barrage en jouant de l’intellect contre les passions104.
50Cet homme partagé, qui déclare s’aimer « en puissance » mais se haïr « en actes » (C 1, 103), est donc à lui-même son propre objet. Mais un objet partiel puisque la part de l’intime n’a guère ici sa place, notamment quand il s’agit des sens. Exposé à « toutes les horreurs de l’inconscience », Valéry refuse de s’abandonner en sorte qu’au plus fort de la « volupté », il dit avoir « pensé à autre chose », et notamment « à ce cahier ». À aucun moment, Valéry n’envisage que cette mise au ban du corps puisse faire symptôme, car ses grands hommes sont des héros de la pensée pure (ou considérés comme tels) : Descartes105 et surtout Léonard, à qui il consacre son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (publiée en revue en 1895 ; remaniée en 1919). Or, cette Introduction est à rapprocher de Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (paru en 1910 ; complété en 1919) où figure le fameux vautour et où, à partir d’un matériau très réduit, Freud met en évidence la question du refoulement (pour Léonard, une homosexualité latente) et la volonté de savoir comme sublimation du désir – ce qui met en lumière la part de trouble inhérente à la pure intellectualité. Les deux textes, dont les titres résument bien les deux approches (la méthode/le souvenir d’enfance), sont donc à lire comme l’avers et l’envers d’une même réalité.
51Mais si Léonard constitue un modèle dans l’ordre du savoir, il n’est pas poète. Tandis que les surréalistes vont tenter de faire de la littérature un moyen de connaissance en approchant au plus près l’autre scène, Valéry cherche à réinventer une parole lyrique qui se situe du côté de l’intelligence – tout comme Teste, la bêtise n’est pas son fort – et de la pure conscience. C’est ainsi que « La Jeune Parque » doit être considérée comme « une rêverie dont le personnage en même temps que l’objet est la conscience consciente106 ». Pareille formule résume bien la tension qui habite la poétique de Valéry, chez qui la tentation de la clôture – une « conscience consciente » est une conscience sans objet – préserve une ligne de fuite, à savoir la « rêverie ». Comme on le sait, une « rêverie » n’est pas un rêve, cette « voie royale », mais un état intermédiaire où l’on conserve la capacité de discernement. La rêverie permet donc d’approcher les limites, mais sans les franchir tout à fait. De ce fait, elle manque en partie sa cible car, Valéry le reconnaît, la conscience est loin d’épuiser et d’expliquer le sujet dans son intégralité. Le rêve, la mémoire, la sensation, certains mouvements hors de contrôle dessinent en effet des lignes de faille qui renvoient à un ailleurs. Or, si les métaphores freudiennes (les ruines antiques, l’archéologue...) privilégient un imaginaire de la profondeur, Valéry conçoit les instances du moi comme de pures surfaces, à la façon d’une carte parsemées de terrae incognitae : « D’une extrémité de cette étendue mentale à une autre, il y a de telles distances que nous n’avons jamais parcourues. La continuité à cet ensemble manque à notre connaissance [...]107 ». De telles taches blanches posent problème. Suffit-il d’explorer ces « lieux » pour que la carte de l’imaginaire retrouve son unité ? Ou bien font-ils définitivement trou dans le tissu psychique ? Une telle discontinuité est scandaleuse pour un auteur qui estime ne savoir ce qu’est un rêve que le jour où il pourra « en construire un modèle avec des éléments de la veille108 ». À vouloir décrire le rêve sur le modèle de la veille, Valéry refuse donc l’altérité qui lui est consubstantielle. De même, sa conception de la mémoire (« les impressions s’empilent minutieusement, inconsciemment [...] ») et de son fonctionnement (l’expression du souvenir n’en diminue pas le « tas109 ») en fait une instance passive qui ignore la fabrique du vrai-faux souvenir et les ruses de la mauvaise foi.
52Mais le psychisme ne cesse d’imposer ses propres lois. Il en va ainsi dans l’« association des idées », souvent « hasardeuse et incompréhensible », « profondément irrationnelle ». La pure conscience se trouve alors en défaut, au risque de voir la liberté menacée car certains « faits mentaux » peuvent susciter des « actes irréversibles », qu’il faut pouvoir « arrêter » afin de « n’engager tout l’être qu’à bon escient110 ». Valéry n’est donc pas complètement convaincu : « Au fond [...] avec ma théorie de la conscience – n’ai-je pas – cherché – surtout une délimitation de l’inconscient111 ». Or, l’inconscient ne se laisse pas facilement « délimiter », comme le montre une rhétorique embarrassée qui souligne la difficulté plus qu’elle ne la résout. Affirmer qu’« il y a deux domaines pour la conscience et deux seuls », mais que « pour les besoins de l’explication, on est obligé d’en supposer un troisième qu’on appelle l’inconscient […]112 », c’est, au prix d’un artifice, reprendre d’une main ce que l’on a donné de l’autre. Et considérer comme « sot » de distinguer entre des instances (cs/ics) qui vivent de leur union113 relève d’une facilité de langage. Heureusement, Valéry n’est pas dupe, comme dans cette note à la limite de l’autodérision : « On dirait qu’une Ière chose voulue ou arrivée différemment – une fois représentée entre dans une certaine existence qui se développe – hors conscience – Zut114 ! »
53Pour M. Teste, la vie consiste à passer « de l’inconscient et insensible à l’inconscient et insensible115 », si bien que l’existence consisterait à être temporairement « conscient » et « sensible ». Mais Valéry n’est pas M. Teste ; et s’il nous touche, c’est par le combat qu’il mène contre lui-même et par les tensions qui traversent son propos. Raison pour laquelle, comme l’écrit Monique David-Ménard, « un lecteur freudien est porté de plain-pied avec ce qui obsédait Valéry116 ».
Jean Giraudoux, et « merde pour Freud Sigmund »
54Comme Valéry, Jean Giraudoux aime les classiques, et il en appelle à la raison contre les puissances de l’ombre. Chez qui prend comme modèle La Fontaine, a le sens de l’élégance et se défie de la part d’ombre, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le nom de Freud apparaisse peu117 – car la Grèce de Giraudoux n’a pas encore rencontré la psychanalyse. Mais lorsqu’il vient à être prononcé, ce nom suscite des formules d’une rare violence – une violence qui fait symptôme. D’ordinaire très policé, l’auteur change de registre dans la fameuse adresse à Freud que lance Rémy Grand, de retour dans son pays natal :
Merde pour toi, criait-il ! Et merde pour la psychologie, et la physiologie, et la psychophysiologie. Et merde pour Freud Sigmund. Je le plains infiniment d’avoir un mal à la langue. Mais aussi on n’embrasse pas l’impur ! Et merde pour la psychiatrie ! Et merde pour les hallucinés, et pour toi mirage : trois fois merde118 !
55En formulant ainsi son mal-être, Rémy Grand crée un malaise et un soupçon1119 : de quoi cette vulgarité est-elle le nom ? et de quel droit interpréter la maladie de Freud comme l’effet d’une justice immanente ? Encore s’agitil là de propos tenus par un personnage120. Mais au long des années 30, l’auteur assume en nom propre cette hostilité foncière : « Comme nous aimerions mieux savoir de nos jours, que le mot “freudisme” vient non de Freud, mais de Freude !... » (i. e. la joie), écrit-il dans Littérature121. Dans un texte donné à la revue Comœdia, il oppose aux classiques, qui ont assigné au « cœur humain » sa juste place, le freudisme, qui « s’est livré, pour placer ce cœur, à une opération qui équivaudrait pour un ténor à situer sa voix non plus dans la fosse buccale, mais dans son ventre et ses pieds », si bien que « la pensée et la voix humaine ne sont plus que des exercices de ventriloquie122 ».
56Comme pour euphémiser cette violence, nombre d’allusions usent de l’ironie. Il y a en effet quelque chose de surjoué quand Rémy Grand, en proie à la « neurasthénie », consulte un article sur l’hallucination, ou quand il apprend dans « un article sur l’hallucination chez les peintres » que Lady Purnay, « spécialisée dans les fillettes avec terre-neuve », voit sans cesse « un obélisque énorme » dont l’extrémité est « rose chair123 ». Il en va de même pour les allusions œdipiennes, abondantes mais souvent ludiques124. Véritables leurres, ces facéties dissimulent mal l’importance dans l’œuvre de tout un lexique psychiatrique et psychanalytique (« neurasthénie », « perversion », « phobie » ou « inconscient »/« inconscience »), même si jamais n’apparaît le substantif « inconscient125 ». Au vu de ce réseau lexical, l’ironie de Giraudoux doit donc être considérée avec prudence. Car la dérision, évidente à certains moments, relève du mentir vrai. Comme l’écrit André Job, la mariée est trop belle ou pas assez : et parce qu’ils en disent trop, les textes de Giraudoux sont suspects de ne pas en dire assez126.
57À y regarder de plus près, en effet, la quête de plusieurs personnages renvoie à la démarche analytique : dans Électre, l’héroïne enquêtant sur sa petite enfance et son histoire familiale ; dans Pour Lucrèce, l’évidence du refoulement à travers l’obsession de l’« impur » ; dans La Guerre de Troie ou Combat avec l’ange les dangers de l’idéalisation ou de la « sublimation culturelle » (Gilbertain dans « Je présente Bellita », qui est « la négation de Freud et de toute la littérature moderne127 » ; le jeune universitaire étranglant une bergère consentante dans Bella). Enfin, on peut considérer que la force aveugle qui emporte Jérôme Bardini ou Edmée (Choix des élues) « s’apparente à celle de l’inconscient128 ». Étrange “classique”, Jean Giraudoux est en effet sensible aux signes, aux rêves et aux forces obscures éparses dans la nature, qui donnent à son œuvre toute sa poésie. Tout cela explique sans doute sa « répulsion » envers le freudisme, dont parle R. M. Albérès, en raison d’une rivalité quant à la compréhension de l’homme et du monde. En effet, Giraudoux « se défend contre une doctrine qui veut expliquer ces liaisons magiques qui sont des instruments de connaissance » car « il sent bien que le freudisme retire à la symbolique littéraire la valeur que lui-même lui donne129 ».
58Tel est le paradoxe de l’auteur, tiraillé sans cesse entre deux postulations contraires, comme le dit André Job : « Contre quoi se défend en définitive Giraudoux ? Comment peut-il à la fois [...] vilipender le freudisme et continuer de croire, contradictoirement, aux vertus et à la transparence d’un langage qui se nourrirait de “l’impur” et constituerait en même temps contre lui le plus efficace rempart ? Comment, en somme, peut-il à la fois considérer l’écriture comme une projection de l’inconscient et une protection contre l’inconscient130 ? ». Ainsi, « en rencontrant les écrits de Freud sur son chemin, Giraudoux fait une sorte de transfert négatif dont son œuvre porte la marque, et qui présente l’immense intérêt à la fois d’exhiber ses résistances et de montrer comment le discours psychanalytique est senti comme une menace pour l’autonomie de l’écriture131 ».
François Mauriac et le « professeur F. »
59Appliquée, dans le cas de Giraudoux, à une œuvre qui tient la religion à distance, la même phrase pourrait désigner aussi bien la relation à la psychanalyse entretenue par François Mauriac, dont la résistance se légitime de ses convictions religieuses132. Pour lui comme pour la plupart des croyants de l’époque, il ne peut exister, ou du moins il ne devrait pas exister de compromis entre le christianisme et Freud, cet artisan de « la mort de Dieu ». Ainsi, jusque dans les années 60, on voit Mauriac opposer le Christ et Freud autour de la notion d’enfance. Après avoir rappelé ce qu’a représenté l’enfance pour le Christ (devenir comme un petit enfant…), il constate, navré : « Et puis Freud est venu, qui a brouillé et comme anéanti la sainte enfance ; à nous de la dégager de toute cette physiologie freudienne133. » – comme si l’avènement de la psychanalyse équivalait à une forme de Chute. Mais si l’hostilité de Mauriac envers elle peut s’expliquer par un différend idéologique, l’agressivité dont il fait souvent preuve laisse entrevoir sans peine une fascination secrète.
60Alors que l’auteur a prétendu avoir connu Freud assez tard, les références à la psychanalyse apparaissent chez lui dès le début des années 30, dans Le Nœud de vipères et dans « Thérèse chez le docteur134 ». Dans Le Nœud de vipères, l’allusion à Freud, pleine d’humour, relève de la provocation. Chargé de défendre Mme de Villenave, accusée du meurtre de son mari, son avocat pensait s’en tenir aux arguments convenus. Mais après le témoignage du fils, couvé par sa mère d’un « regard suppliant et impérieux », il comprend tout et décide d’accuser du meurtre le jeune homme, « cet adolescent malade, jaloux de son père trop aimé » :
Je me jetai alors, avec une logique passionnée, dans cette improvisation aujourd’hui fameuse où le professeur F. a, de son propre aveu, trouvé en germe l’essentiel de son système, et qui a renouvelé à la fois la psychologie de l’adolescence et la thérapeutique de ses névroses135.
61Un parricide peut donc en cacher un autre. Dans la fiction, un fils jaloux a tué son père ; comme en miroir, un auteur met à mort « le professeur F. » en faisant de lui un plagiaire, un « voleurs de mots », qui aurait d’ailleurs avoué. À s’en tenir aux dates, tout concorde puisque le procès, tenu en 1893, précède l’apparition chez Freud du complexe d’Œdipe. De la part de François Mauriac, voilà une singulière façon d’annuler une dette, et en même temps de la reconnaître.
62Un an après avoir tué symboliquement le père de la psychanalyse, l’auteur met à mal le personnage de l’analyste dans « Thérèse chez le docteur136 », où l’on voit Thérèse Desqueyroux demander d’urgence un rendez-vous de nuit à son analyste. Juif alsacien, Élisée Schwartz, qui par son nom devrait être à même d’explorer le « continent noir », se voit d’emblée discrédité par son projet d’essai sur la Sexualité de Blaise Pascal137. Sourd à la parole de Pascal, Élisée Schwartz l’est tout autant envers Thérèse. Alors que les psychanalystes fictionnels sont souvent inquiétants, il brille par son insignifiance. Et comme il ignore la passion, il ne peut comprendre une femme amoureuse (Thérèse éprise de Philippe Azévédo). Mais il existe une justice immanente. Quand, vers la fin, il se ridiculise en craignant pour sa vie, son épouse, qui a tout entendu, le tue symboliquement en lui révélant le mépris qu’elle a pour lui.
63Quel secours attendre alors d’une doctrine insensible aux lumières de la Foi et de « médecins » aveugles aux vérités humaines ? Mais si la psychanalyse n’est d’aucun secours au chrétien, ou au simple pécheur, il en va autrement du romancier. Élisée Schwartz a échoué ; du coup, il revient à la littérature de se substituer à lui. Là réside l’ambivalence de Mauriac. Car dans un entretien avec Frédéric Lefèvre, en 1923, le futur auteur du Nœud de vipères déclare écrire « sous le signe de Freud » du fait que, dans ses romans, écrits de façon entièrement « subconscient [e] », ses personnages sont des « sexuels » – « vocable affreux138 » que Mauriac prononce avec réticence. Et dans Le Romancier et ses personnages, Mauriac va plus loin en reconnaissant que « l’inconscient est la part essentielle de notre être et que la plupart de nos actes ont des motifs qui nous échappent […]139 ».
64Que les personnages de Mauriac soient des « sexuels », nul n’en doute. D’autant que le désir s’expose ici à tous les dérèglements : le puritanisme, l’inceste ou son équivalent (le jeune homme et la femme mûre, dans Destins, 1927), l’homosexualité latente, ainsi que la menace (la castration) en réponse à l’interdit, comme dans ce « grand poème psychanalytique » (Paul Croc dixit) qu’est Le Sang d’Atys (1940) ; et par-dessus tout, des personnages qui ne cessent de répéter leur mépris de la chair et de ses œuvres. En cela, la psychanalyse participe de l’« immonde », comme le constate l’épouse du Dr Schwartz dans « Thérèse… » : « La délivrance de l’esprit par l’assouvissement de la chair : c’était à cela que se ramenait sa méthode. La même clef immonde lui servait pour interpréter l’héroïsme, la sainteté, le renoncement140. » Or, ce mot, nous le retrouvons dans « Voyage en Grèce » quand, face à l’Apollon du fronton d’Olympie, François Mauriac estime que devant une telle œuvre, « il faudrait écrire “beauté du corps humain” [...] », et qu’« Ici, Gide aurait peut-être médité un tout autre Corydon, et Proust un tout autre Sodome et Gomorrhe. Le problème eût été débarrassé de la physiologie, nettoyé de tout l’immonde freudien141 ». Voilà un déplacement admirable – admirable de mauvaise foi – puisque la psychanalyse devient ici responsable de la physiologie, du puritanisme et de l’homosexualité.
André Malraux et le moi, « ce monstre incomparable et fuyant »
65Au christianisme tourmenté de François Mauriac répond l’athéisme inquiet d’André Malraux. Et à une littérature de la « confession », dont Mauriac est partie prenante, s’oppose chez Malraux la même défiance envers l’intime, un identique primat de la conscience claire et un semblable idéal de maîtrise. C’est donc à partir d’un horizon de pensée très éloigné de Gide, Mauriac ou Green que Malraux dialogue avec Freud, de façon souvent conflictuelle. Conflit qu’il tente de surmonter en se tournant peu à peu vers cet autre versant de la psychanalyse que constitue la pensée de C. G. Jung.
66Lors d’un dialogue sur les relations entre l’Inconscient et la Révolution, dans le contexte de mai 1968, Malraux rappelle sa découverte du freudisme, alors qu’il n’a que dix-neuf ans : « Psychanalyse… 1920. Je prenais un café à La Coupole […] avec un peintre suédois qui se fait appeler Kharis […]. Il disait : “Les Autrichiens ont trouvé une méthode pour découvrir ce qu’il y a dans l’inconscient. Ils l’appellent la psycho-analyse”142 ». On ignore ce que Malraux connut exactement de cette nouvelle psychologie, à laquelle s’intéressait Clara puisqu’elle avait traduit le Journal psychanalytique d’une petite fille de Hermine von Hug-Hellmuth (Gallimard, 1928), alors considéré comme un document authentique. D’ailleurs, à l’exception de La Corde et les Souris, le nom de Freud apparaît rarement dans l’œuvre de Malraux qui, à l’instar de Gide, Breton ou Yourcenar, affiche envers lui une grande ambivalence. Ainsi, dans un entretien de 1933 avec Trotski, Malraux désigne Freud à la fois comme un « détective de génie, l’homme qui a ouvert un des plus grands domaines de la psychologie » et comme un « philosophe désastreux143 » – rejoignant en cela Breton ou Valéry.
67Comme toujours dans les années vingt-30, c’est la question de l’inconscient qui constitue le nœud, ainsi qu’on le voit dès La Tentation de l’Occident (1926). En effet, dans une lettre à Ling, A. D. estime qu’« en acceptant la notion d’inconscient, en lui portant un intérêt extrême, l’Europe s’est privée de ses meilleures armes144 ». Dans une Europe en crise qui a oublié la rationalité qui était sienne, il ne faut pas s’étonner que les héros de romans agissent sous le coup de forces irraisonnées. Il y a là une menace que perçoit bien un des personnages des Noyers de l’Altenburg, quand il exprime sa méfiance pour « la psychologie-au-secret145 ». Et dans la Postface (1949) des Conquérants, Malraux cite Picasso qui, après avoir condamné tout recours politique à l’inconscient collectif, a cette formule : « Nous proclamons d’abord “valeurs”, non pas l’inconscience, mais la conscience146. » Des héros de la lucidité et de la volonté ont tout à craindre d’une pensée qui met à nu, derrière les idéaux politiques et les exigences éthiques, les ruses du désir et le travail de la pulsion. Au regard de l’analyse, la réalité possède en effet un visage double, comme on le voit dans les romans asiatiques, avec ces héros suicidaires (Tchen) en proie à une véritable pulsion de mort, la peur du « bios » et du féminin, et un goût prononcé pour l’humiliation (chez Lawrence comme chez Katow147). On touche là aux ambiguïtés de Malraux devant la notion d’inconscient. Il peut bien afficher sa défiance envers cette forme de fatalité ou de déterminisme qui, à rebours d’une exigence de liberté et de métamorphose, enracine le moi dans le passé, les métaphores qui traversent ses romans (« grandes profondeurs », « larves ») ou des formules telles que « le moi, ce monstre incomparable et fuyant » (Gisors dans La Condition humaine) entrent en résonance avec la psychanalyse, quand bien même son nom n’apparaît pas. Il y a là une tension entre une volonté de lucidité (le rejet de l’antiintellectualisme qu’implique la composante pulsionnelle) et la part d’ombre dont les personnages sont le jeu.
68Chez des militants révolutionnaires, de telles contradictions peuvent surprendre. Mais, par la suite, dans ses réflexions sur l’art et sur l’histoire, Malraux a souligné à plusieurs reprises cette contradiction. Car « de l’homme de Rousseau à celui de Freud, ce n’est pas la liberté qui a le plus grandi, mais tout ce qui renforce notre irrationalisme148 » ; et « c’est, précisément, dans la civilisation de la raison qu’il y a eu l’irruption de l’inconscient149 » – cet inconscient qu’introduisit Goya en « un siècle qui se v[oulait] de conscience – et de logique, jusqu’à la guillotine150 ». L’histoire semble ainsi de plus en plus dominée par des forces obscures, dont l’inconscient est l’un des noms possibles. Quand, perdant de sa superbe, la civilisation occidentale en vient à se remettre en question, « la part démoniaque, présente plus ou moins subtilement dans tous les arts barbares, rentr[e] en scène », cette « part démoniaque » qui comprend aussi bien « la Guerre, démon majeur », que les « complexes, démons mineurs », et dont « le domaine est celui de tout ce qui, en l’homme, aspire à le détruire : les démons de Babylone, de l’Église, de Freud et de Bikini ont le même visage151 ».
69Associée au Négatif, la psychanalyse peut donc apparaître comme une forme du Mal152. Sans aller toujours aussi loin, Malraux garde souvent ses distances envers Freud, comme quand, toujours dans Les Voix du silence, il s’en prend à l’interprétation analytique de la Sainte Anne de Léonard et l’hypothétique vautour du pasteur Pfister153 – interprétation qui aura fait débat dès les années 30 avec la paranoïa critique de Salvador Dalí. Mais le ton se fait plus nuancé quand, dans La Corde et les Souris, l’auteur met en scène le personnage de Max Torrès. Ancien psychanalyste qui s’est peu à peu éloigné de cette discipline, Max Torrès résume, sur un mode farfelu à la Clappique, les hésitations de Malraux envers le freudisme comme le montre le caractère contradictoire de ses déclarations. Ainsi, quand Max Torrès, ancien analyste, précise n’être « pas contre Freud », c’est pour ajouter aussitôt : « la psychanalyse […], au fond, je m’en fous154 ». Or, tel n’est pas le point de vue de Malraux. Même s’il raille les intellectuels français pour qui « l’essentiel d’un homme se confond avec ce qu’on ne connaît pas155 » et avoue une « gêne » à l’idée que « le problème essentiel d’un homme [soit] toujours lié à un segment de son expérience psychologique156 », Malraux reconnaît volontiers que la psychanalyse est « un fait mental de premier plan157 » – même si la question se pose de savoir si « Freud a […] jamais écrit le mot bonheur158 ».
70Reste à savoir si l’on peut imputer à Freud et à lui seul cette nouvelle économie de la psyché. Dans le contexte post-mai 68 de La Corde et les Souris, Max Torrès remarque que « depuis quelques années, chez nous, Freud est moins important que Jung159 ». Voilà qui confirme assez bien la double tentation que connaît Malraux à l’endroit des frères ennemis de la psychanalyse. Car si « Freud a vraiment changé le cours des fleuves160 », à ses yeux « Jung représente, en complément de Freud, et parfois en contradiction avec Freud, un certain nombre de choses d’une importance extrême161. » Le style de vie de Jung ressemble d’ailleurs davantage au sien propre que celui de Freud car, tout comme Marguerite Yourcenar, Malraux partage avec lui le goût des voyages, une sensibilité ethnologique et un vif intérêt pour l’Orient. Pourtant, à l’exception notable de l’anecdote rapportée dans les Antimémoires162 où l’on voit Jung chez les Indiens du Nouveau-Mexique confronté à la question du clan et du totem, le nom du psychanalyste suisse n’apparaît pratiquement pas dans l’œuvre. Mais si discrète soit sa présence, son influence se fait sentir dans les essais sur l’art et les textes d’après-guerre. Pour Malraux, en effet, « Jung et les siens » ont montré « qu’un être humain ne se définit pas exclusivement par sa vie intellectuelle mais aussi par nombre d’événements qui ne sont pas individuels quoique liés à l’inconscient163 ». De la pensée de Jung, Malraux retient avant tout l’inconscient collectif qui, mieux que l’inconscient individuel de Freud, explique la permanence des grands mythes. De ce fait, il accorde la plus grande importance à la notion d’archétype, qui sous-tend aussi bien Saturne (1950) que L’Intemporel (1976). D’ailleurs, dans La Corde et les Souris, à la question de savoir s’il existe des formes qui « correspondent à quelque chose de profond en nous », Picasso répond : « C’est un peu ce que Jung appelle l’archétype, qu’on connaît seulement par les formes qu’il prend. Comme la mère vinaigre164 ». Et dans les Antimémoires, à propos des grottes d’Ellora, en Inde, Malraux évoque « le domaine immémorial des archétypes et des grands symboles, qui poursuit sa vie nocturne à travers les générations de dormeurs165 ».
71Peu à peu, Malraux va ainsi entretenir avec la psychanalyse des relations plus apaisées, et réfléchir à son retentissement sur la littérature. Lui qui a toujours été hostile à la littérature-confession reconnaît dans L’Homme précaire que « le développement de la psychanalyse, même aux yeux de ceux qui n’y voient qu’une discipline parmi d’autres, pulvérisera, dans l’introspection, l’analyse de l’individu par lui-même166 ». Et dans les Antimémoires, il rappelle le bouleversement qu’a connu l’écriture de soi à l’avènement de la psychanalyse. Grâce à elle, en effet, « l’introspection-aveu a changé de nature, parce que les aveux du mémorialiste le plus provocant sont puérils en face des monstres qu’apporte l’exploration psychanalytique, même à ceux qui en contestent les conclusions » – au point que « la Confession de Stavroguine nous surprend moins que L’Homme aux rats167 ».
Marguerite Yourcenar, et « ce moi incertain et flottant »
72Tout aussi réticente que Malraux à la confidence, marquée par le classicisme, tournée vers les civilisations antiques et les cultures étrangères plus que vers l’Occident moderne, Marguerite Yourcenar appartient à une famille d’esprit qui n’est pas celle de Freud. La psychanalyse ne constitue donc pas son horizon premier, même si un dialogue finira par s’établir, mais plutôt avec Jung qu’avec Freud.
73Quand, en 1929, Marguerite Yourcenar publie Alexis168, elle signe un roman d’analyse à la française. Alors que le comportement des héros s’expose dangereusement à des interprétations analytiques, elle expliquera longtemps après avoir, dans ce roman, usé d’un « langage qui tremble et hésite » de manière à préserver « un flottement psychologique » et éviter toute réduction à un « problème sexuel », selon l’expression en usage dans « le jargon freudien ou post-freudien169 ». Sont donc bannis les « mots-étiquettes » (tels que « homosexuel ») « issus d’un vocabulaire scientifique de formation récente170 », car Marguerite Yourcenar se défie du « jargon médical de la fin du siècle dernier171 ». Mais si l’auteure préserve une distance, le personnage se livre à une auto-analyse qui le conduit en terres freudiennes, sans qu’aucun savoir extérieur vienne peser sur le texte. Tournant son regard sur lui-même, Alexis voit qu’il lui faut accéder « à des raisons beaucoup plus intimes, beaucoup plus obscures, que nous comprenons mal parce qu’elles se cachent en nous-mêmes ». Ainsi, le héros sent que quelque chose se passe en lui « à [s]on insu » – terme qui traduit littéralement l’Unbewusst, le « non su172 ». Il entrevoit là les « sophismes de la conscience » ainsi que la « valeur de symptôme » de ses actions du fait que « nos instincts se communiquent à notre âme et nous pénètrent tout entier173 ». Le trouble tient à ce caché-montré qui fait que plus Marguerite Yourcenar prend position contre la psychanalyse, plus elle s’en approche, semblable en cela au « génie esthétique des anciens » qui « préfère n’accepter qu’inconsciemment l’inconscient174 ».
74Deux ans après Alexis, dans une période de grande effervescence ethnologique, Marguerite Yourcenar regarde de haut l’interprétation des mythes à laquelle s’adonnent ethnographes et analystes, puisqu’elle « abandonne à Sir James Frazer, au docteur Sigmund Freud, à MM. Van Gennep et Lévy Brühl [sic] la question de savoir quelle part les croyances totémiques, les mythes solaires et le culte des ancêtres ont dans l’élaboration des dieux175 ». Plus tard, elle en appelle d’ailleurs à Caillois pour dénoncer avec lui « le besoin de transposer dans l’analyse des mythes un principe d’explication qu’il est déjà abusif d’étendre à toute psychologie, l’emploi mécanique et aveugle d’un symbolisme imbécile176 » – même si, dans les pages qui suivent, Caillois reconnaît que la psychanalyse a posé le problème dans toute sa complexité. Inlassablement, Marguerite Yourcenar dispute donc à la psychanalyse les territoires dont elle s’est emparée, comme le mythe et le rêve177. Tel est le cas lorsqu’en 1938 elle publie les récits de rêve intitulés Les Songes et les Sorts178, puisque depuis la Traumdeutung le rêve semble définitivement acquis à la psychanalyse. Or, à ce monopole, Marguerite Yourcenar se refuse. Pour elle, le rêve vaut par lui-même et en aucun cas ne doit devenir prétexte à interprétation à l’aide de ces Clefs des songes chères aux Anciens, dont Freud nous propose une version renouvelée. Comme le montre le Dossier de l’œuvre179, pour elle l’analyse peine à saisir la complexité du vivant de par sa rigidité : « Le freudisme a trop cru à l’inamovibilité du symbole » et à son unité ; par contrecoup, il « n’a pas assez vu dans le symbole son élément de métaphore, de pur jeu esthétique » (p. 1619). Contre ce danger, la Préface nous met en garde : « Dans les pages qui vont suivre, le disciple de Freud rencontrera presque à chaque ligne des images aisées à traduire selon son système de symboles, trop aisées peut-être. Si ces textes servent à le confirmer dans ses théories, je ne m’en plaindrai pas, mais ce n’est pas dans ce dessein que je les ai réunis, non plus que dans le dessein contraire. » (p. 1538) Car si « l’explication freudienne nous contente », elle ne parvient pas à « nous combler tout à fait » (p. 1539).
75Dans ce contra Freud qu’est Les Songes et les Sorts, les propos de Marguerite Yourcenar sont d’une violence rare. Ainsi, les théories de Freud seraient le pur produit d’un milieu et d’un moment : « une austère famille orthodoxe dans laquelle régnaient tous les préjugés sexuels du judaïsme » ; un « Viennois de la fin du xixe siècle » exerçant dans une société soumise « à toutes les hypocrisies de l’époque » ; « des patients chez qui l’obsession sexuelle se cachait sous les déguisements les plus grotesques » (p. 1627). Quant à ses interprétations de Léonard de Vinci et de Moïse, elles démontrent que Freud n’est « nullement historien », puisqu’il aura « pris pour une donnée universelle ce qui n’était qu’un conditionnement particulier » (p. 1627). Enfin, si Marguerite Yourcenar reconnaît que, concernant le rêve, « l’hypothèse freudienne donne une équation à peu près satisfaisante », c’est pour ajouter aussitôt que « les théories des occultistes parvenaient au même résultat, ainsi que les mages de Pharaon180 ». Le réquisitoire semble sans appel. Pourtant, note avec humour Josette Pacaly, quand bien même Marguerite Yourcenar feint de considérer le freudisme comme une simple clef des songes, ce n’est ni avec les occultistes, ni avec les mages de Pharaon qu’elle dialogue181.
76Or, Marguerite Yourcenar a beau affirmer que ces rêves valent avant tout pour leur beauté formelle – ce qui est vrai –, hors de toute interprétation, ils n’en échappent pas moins au regard de l’analyste. Car nombre de ces rêves invitent à une lecture freudienne : derrière le rêve des « Cœurs arrachés », on devine une scène primitive ; dans « La Mare maudite », le meurtre d’une mère ; dans « L’Aventure des décapités », la question du père, etc. Dans le regard de Josette Pacaly, Les Songes et les Sorts apparaît ainsi comme une anthologie de tous les types de pulsions : « cloacale » dans « L’Enfant bleu » ; « anale » dans « La Route au crépuscule » ; « urétrale » dans « La Flaque dans l’église182 ». Au plan épistémologique (et éthique), une telle approche pose un problème de légitimité, puisqu’on applique à un auteur des concepts qu’il récuse, et qu’il est toujours délicat « de recourir aux outils du freudisme sans succomber le moins du monde à ses préjugés », estime Carole Allamand, auteure elle-même d’une lecture analytique de Marguerite Yourcenar183.
77Ainsi que cette dernière l’écrit à Jacques Brosse en 1969, « en dépit d’une grande familiarité avec la littérature psychanalytique et les analystes […], en dépit de [s]on admiration pour l’œuvre de Freud qui fut à un moment au moins enrichissante et libératrice », le fondateur de la psychanalyse n’aura représenté pour elle « ni une image paternelle ni un maître incontesté184 ». Cette réticence envers Freud, Marguerite Yourcenar ne l’aura pas éprouvée à l’endroit de Jung, vers qui elle va peu à peu se tourner. « Inventeur » des textes alchimiques dans lesquels il perçoit, comme Bachelard, une voie royale d’accès à l’inconscient, Jung signe une œuvre où Marguerite Yourcenar a pu trouver matière. Elle emprunta à Psychologie und Alchemie l’épigraphe de la IIe partie de L’Œuvre au noir ; et elle partageait avec Jung un même intérêt pour les cultures extra-européennes, notamment orientales. Contre les conceptions occidentales du sujet – dont la psychanalyse freudienne est partie prenante –, qui le plus souvent assignent au sujet un principe ordonnateur, Marguerite Yourcenar rêve au contraire d’un moi poreux et fluctuant, qui échapperait à cette psychologie des profondeurs qu’est le freudisme. C’est donc vers les pensées traditionnelles de l’Asie qu’il faut se tourner pour comprendre le « moi yourcenarien », qu’Osamu Hayashi situe quelque part « entre Freud et Bouddha185 ».
78Par son ambivalence même, le cas de Marguerite Yourcenar est exemplaire en ce que le rejet de la psychanalyse, souvent très agressif, va de pair avec un dialogue constant. Le paradoxe, en effet, est que les premiers à avoir été séduits par la psychanalyse auront été souvent les premiers à prendre congé, tandis que les réticents n’auront eu de cesse d’y faire retour (Giraudoux, Mauriac, Malraux…). Littérairement, ces stratégies d’évitement ou de contournement se sont révélées d’une grande fécondité. Mais la psychanalyse, qui se veut avant tout une thérapie, n’a pas pour finalité première le Beau, car au plan médical, seules comptent les vertus thérapeutiques de la cure. Mais est-ce bien à la guérison qu’aspirent les écrivains, eux que le huis clos de la cure aura à la fois fascinés et effrayés ? Car si elle promet l’accès à des territoires du moi jusque-là inexplorés, elle est perçue comme une menace, à même de tarir l’inspiration et de mettre ainsi à mal la littérature.
Notes de bas de page
1 Sur ce point, J.-P. Meylan, chap. « La Revue de Genève et la psychanalyse », dans La Revue de Genève, miroir des lettres européennes (1920-1930), Genève, Droz, 1969, p. 122 sq.
2 Robert de Traz fut reçu par Freud en 1923. Sur cette question, Marcel Scheidhauer, Freud et ses visiteurs : Français et Suisses francophones (1922-1930), éd. ERES-Arcanes, 2010.
3 Pour ces précisions éditoriales, je renvoie à Alain De Mijolla, Freud et la France (18851945), PUF, 2010. Voir également, du même, « L’édition en français des œuvres de Freud avant 1940 », RIHP, n° 4, 1991, p. 209-270.
4 Marcel Scheidhauer, Le Rêve freudien en France : avancées et résistances, 1900-1926, Navarin, 1985, p. 109.
5 Correspondance André Gide – Dorothy Bussy (juin 1918-décembre 1924), Cahiers André Gide, n° 9, Gallimard, 1979, p. 352-353.
6 [30 avril 1921], Journal, II, Gallimard, 1993, p. 228-229.
7 Dans Freud et la France : 1885-1945 (op. cit.), Alain de Mijolla estime à 15.000 les exemplaires vendus entre 1921 et 1940 (note de la p. 215).
8 Journal, II [5 février 1922], op. cit., note de la p. 282.
9 « Fidélité » dans L’Armée secrète suivi de Fidélité et du Juge intérieur, Gallimard-NRF, 1925.
10 Romain Rolland et Jean-Richard Bloch, Correspondance (1919-1944), Éd. univ. de Dijon, 2019, p. 131-132. En outre, J.-R. Bloch a expliqué que son roman La Nuit kurde (1924) doit beaucoup à la psychanalyse.
11 Texte repris dans Georges Palante, Chroniques complètes : le Mercure de France 1911-1923, éd. Coda, 2006, p. 386-389. Dans cette chronique, centrée sur Freud et les « actes manqués », G. Palante évoque également, mais très brièvement, les Études de psychanalyse de Charles Baudouin, que Romain Rolland jugera avec sévérité (voir IVe Partie : « La cité, les dieux & l’inconscient »).
12 « Freud voit dans l’acte de l’enfant qui suce ses doigts la première manifestation de l’instinct érotique. J’y vois plutôt un geste pacifiant, l’enfant qui entre en conscience de lui-même d’une manière continue, qui communie avec lui-même. » [3 juin 1923], Journal, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. 598-599.
13 Julien Green, Journal [23-11-1971], OC, V, « Bibliothèque de la Pléiade », 1977, p. 623.
14 « Réserve sur un point », Le Disque vert, 1924 ; dans OC, IV, Gallimard, 2018, p. 298-300.
15 Max Jacob, lettre à Robert delle Donne (13-10-1929), Correspondance : les Amitiés et les Amours (avril 1921-novembre 1933), Nantes, éd. du Petit Véhicule, 2003, p. 201.
16 Un assassin est mon maître, Gallimard, 1971.
17 Comme Raymond de Saussure, qui connaît la psychanalyse de longue date et en 1920-21 a suivi une cure avec Freud, est le fils de Ferdinand, l’histoire familiale des Saussure met d’emblée en relation la psychanalyse et la linguistique. La Méthode psychanalytique, sans doute la meilleure synthèse présentée alors, n’a guère été citée par les écrivains, à l’exception notable de Roger Caillois, qui reprend l’analyse que fait le Genevois d’un « pervers sexuel » dans la RFP, pour en proposer une autre interprétation (La Nécessité d’esprit [rédigé dans les années 30], Gallimard, 1981, p. 86-87, note 2).
18 Si l’accueil du public fut un peu réservé, ce texte a intéressé au plus haut point André Gide et Ramon Fernandez puisque, dans cette étude sur les « perversions », l’homosexualité apparaît non comme une monstruosité hors nature mais comme le produit d’une fixation à un stade transitoire. Sur le second, voir Dominique Fernandez, Ramon, Grasset, 2008, p. 265-267.
19 La NRF, 1925, t. 24, p. 565-569. Voir également David Steel, « Jacques Rivière et la pensée psychanalytique », RHLF, n° 87, 1987/5, p. 901-915.
20 Après ses interventions à la NRF, Mme Sokolnicka entrera en relation avec Georges Heuyer grâce à Paul Bourget, et pourra ainsi assister à des présentations de cas à SainteAnne. Mais avec l’arrivée de Henri Claude, elle devient persona non grata, parce que non médecin.
21 Roger Martin du gard, Journal, II, [7 janvier 1922], op. cit., p. 281-283 [7 janvier 1922] et p. 293-294 [mars 1922]. C’est dans la séance de janvier que Mme Sokolnicka présenta le cas d’un jeune Polonais qu’elle avait soigné et guéri, et dont Gide, troublé par cet exposé, allait faire le petit Boris des Faux-monnayeurs.
22 « Psychanalyse et critique », NRF, avril 1921, p. 467-481 ; repris dans Réflexions sur la littérature, Gallimard, « Quarto », 2007, p. 518-534. C’est sans doute à cet article que Barrès fait allusion dans ses Cahiers quand, en décembre 1921, il mentionne une étude sur Freud dans La NRF (Mes Cahiers, Plon, 1994, p. 932).
23 Jules Vodoz, « Roland » : un symbole, Honoré Champion, 1920. Ce texte, oublié aujourd’hui, est également cité par Charles Baudouin dans sa Psychanalyse de Victor Hugo, 1943.
24 Cet article donnera l’occasion à Jules Romains de rendre visite à Freud en 1927, ainsi qu’il le raconte dans Amitiés et Rencontres (Flammarion, 1970, p. 44-45). Sur cette rencontre, Marcel Scheidhauer, Freud et ses visiteurs : Français et Suisses francophones, op. cit., p. 47-52.
25 Le Pont traversé [1921], Œuvres complètes, I, éd. par Bernard Baillaud, Gallimard, 2006.
26 Le Mangeur de rêves, Crès, 1922. Sur la création de cette pièce, Alain De Mijolla, Freud et la France, op. cit., p. 223-227.
27 Les Faux-monnayeurs, Éd. de la NRF, 1925 ; dans Gide, Romans et Récits, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009.
28 Parmi les nombreux analystes ou psychiatres à s’être intéressés à la littérature (Allendy, Borel, Ferdière), il faut signaler le trop peu connu Gil Robin : en 1925, il signe dans La NRF un bel hommage à Jacques Rivière, et la même année mesure l’intérêt du surréalisme dans un article de L’Évolution psychiatrique (signalé par Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, II, Fayard, 1994, p. 25. Outre de nombreux essais, dont Les Rêveurs éveillés (1925), que nous évoquerons à propos des surréalistes, Gilbert Robin, dit Gil, fut l’auteur d’un roman (Noël Mathias, 1929) et, sous pseudonyme, d’une pièce de théâtre (L’Empire, 1943).
29 Cette opposition des deux « races », courante à l’époque, est reprise par Daniel-Rops quand, dans Notre inquiétude (Perrin, 1926), il cite longuement l’article d’Edmond Jaloux paru dans Le Disque vert, lorsqu’il aborde l’arrière-plan psychanalytique du sentiment d’inquiétude.
30 La question de la sublimation revient dans plusieurs contributions, comme le note Gil Charbonnier dans « “Surtout pas d’histoires” : psychanalyse et psychologie dans le modernisme de Valery Larbaud », fabula, colloques en lignes.
31 Texte repris dans Valery Larbaud, Cahiers de l’Herne, 1992, p. 202-203.
32 « Freud de l’Alchimiste à l’Hygiéniste », p. 86-94 ; repris dans Mon corps et moi, Pauvert, 1974.
33 « Réserve sur un point », repris dans OC, IV, Gallimard, 2018, p. 298-300.
34 « Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud », repris dans OC, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, p. 48-50.
35 Raymond Bellour, Introduction, OC, I, op. cit., p. LI.
36 Journal, op. cit., p. 785.
37 Manifeste du surréalisme suivi de Poisson soluble, éd. du Sagittaire, 1924 ; OC, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988.
38 André Breton, entretien radiophonique avec André Parinaud, [1952], dans Entretiens 1913-1952, Gallimard, « Le Point du jour », 1952, p. 76 ; rééd. OC, IV, Écrits sur l’art et autres textes, « Bib. de la Pléiade », 2008, p. 560.
39 « Interview du professeur Freud », OC, I, op. cit., p. 255.
40 « La direction de la cure », Écrits, Seuil, 1966, p. 642.
41 Voir Dada, vol. 2, réimp. Centre du xxe siècle, U. de Nice, 1983, p. 2.
42 « Manifeste Dada 1918 », OC, I, Flammarion, 1975, p. 364.
43 Projet d’histoire littéraire contemporaine [1923], Digraphe, 1994, p. 60-61.
44 Pour tout ceci, voir Anouck Cape, Les Frontières du délire : écrivains et fous au temps des avant-gardes, Honoré Champion, 2011, p. 37.
45 « Pour Dada », NRF, 1er août 1920 ; dans Les Pas perdus [1924], OC, I, p. 239.
46 Écrits, I, Belfond, 1945, p. 216.
47 Yvan Goll, Surréalisme, octobre 1924 ; dans Œuvres, I, Émile-Paul, 1968, p. 88.
48 Dans OC, I, Gallimard, 1974, p. 95-101.
49 « La psychanalyse et le Grand Jeu », OC, I, Gallimard, 1974, p. 95 (incipit).
50 Ibid.
51 Correspondance, II, 1929-1932, Gallimard, 1993, note de la p. 69.
52 La Grande Beuverie [1938], rééd. Gallimard, 1967, p. 155-156.
53 Mémoires intérieurs, Flammarion, 1959, p. 8. Phrase citée par J. Lacan dans les Écrits, Seuil, 1966, p. 527 note 1.
54 Fin de jeunesse, dans Jeunes années, Seuil, 1984, p. 754.
55 Voir la lettre du 12 avril 1919, dans Louis Aragon, Lettres à André Breton (1918-1931), Gallimard, 2011, p. 259. Chez Aragon, qui avait sans doute découvert Freud grâce à Breton, la dérision se substitue donc à la séduction.
56 Traité du style [1928], Gallimard, « L’Imaginaire », 1980, p. 144 et 146.
57 Emmanuel Berl, Mort de la pensée bourgeoise [1929], Laffont, 1970, p. 65. À noter que la même année, dans « La faillite de l’inconscient » (Les Nouvelles littéraires, 1929), Berl s’en prend à la fascination pour l’inconscient apparue à la fin du xixe siècle à travers le wagnérisme puis le bergsonisme.
58 Georges Simenon, L’Homme qui regardait passer les trains [1937], Romans, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 682 et 683. La paranoïa est d’ailleurs dans l’air du temps, comme on le verra avec le cas Dalí (IIIe Partie : « Un surréalisme bifrons »).
59 Julien Blanc, Toxique, éd. Pierre Isné, 1939, p. 153. L’auteur fait également allusion à la psychanalyse dans Mort-né (Albin Michel, 1941, p. 92-93). Références signalées par Bruno Curatolo.
60 « Crime à Charonne », première des trois nouvelles du recueil du même titre, Gallimard, 1937, p. 114.
61 Paul Deharme, Pour un art radiophonique, éd. Le Rouge et le Noir, 1930, p. 84 et 85. Voir Pierre-Marie Héron, « Aux débuts de l’art radiophonique : Paul Deharme et la voix du subconscient », in Pascal Lécroart et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), Éclats de voix, éd. L’Improviste, 2005, p. 193-209.
62 De la même façon, si Ramon Fernandez ne recourt pas à la psychanalyse dans un essai tel que De la personnalité (Au sans pareil, 1928), son fils, Dominique Fernandez, entretient un dialogue prolongé avec la psychanalyse dans ses ouvrages critiques (L’Arbre jusqu’aux racines, 1972) et dans ses romans (Le Dernier des Médicis, 1994).
63 Journal, II, op. cit., p. 311.
64 Cocteau eut des mots très durs pour Freud qui, selon lui, « cambriolait de pauvres appartements. Il en déménageait quelques meubles médiocres et des photographies érotiques » (Journal d’un inconnu, Grasset, 1953, p. 39). Mais dans le même temps, il s’est félicité que son film Le Sang d’un poète ait occasionné « une quantité d’études faites par des psychanalystes » (Entretiens avec André Fraigneau, [1951], repris dans Entretiens sur le cinématographe, Belfond, 1973, p. 90), et que ce même film ait eu « l’honneur d’être psychanalysé par Freud » (« Poésie et films » [1948], Du cinématographe, Belfond, 1988, p. 28) – ce qui est évidemment une fiction. Je remercie Guillaume Bridet pour ces références.
65 André Job, Giraudoux Narcisse : genèse d’une écriture romanesque, Toulouse, P. U. du Mirail, 1998, p. 25.
66 Marcel Proust, Lettre à Roger Allard [1ère quinzaine de 1921], dans Lettres (1879-1922), Plon, 2004, p. 1031.
67 Le Lac inconnu : entre Proust et Freud, Gallimard, 2012, p. 11 et 13. Sur Freud et « l’inconscient proustien », voir également Edward Bizub, Faux pas sur les pavés, Proust controversé, éd. Classiques Garnier, 2020, pass.
68 Cahiers d’Occident, 4, 1926, « Deuxième conférence », 17 janvier 1924, p. 23. Sous l’intitulé général Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (titre de la conférence de 1923), les textes de Jacques Rivière sur Proust ont été réunis dans le numéro 13 des Cahiers Marcel Proust (1985). Sur cette question, David Steel, « Jacques Rivière et la psychanalyse », RHLF, n° 87, 1987, p. 901-915.
69 « Marcel Proust et l’esprit positif », NRF, 1er janvier 1923. Repris dans Jacques Rivière, Études (1909-1924) : l’œuvre critique de Jacques Rivière à La Nouvelle Revue française, Gallimard, 1999.
70 Traité du style [1928], op. cit., p. 148.
71 « La mort de Freud », L’Action française, 6 octobre 1939.
72 Noté en janvier 1933 par Anaïs Nin, alors en analyse avec René Allendy, dans son Journal (1931-1934), Stock, 1969, p. 180.
73 Êtes-vous fous ?, Gallimard, 1929 ; rééd. coll. « L’Imaginaire », 1984.
74 Voir Henri Raczymov, Maurice Sachs, ou les travaux forcés de la futilité, Gallimard, 1988, chap. 3 « Le docteur Allendy ». Dans Le Sabbat, Maurice Sachs évoque à plusieurs reprises la psychanalyse, grâce à qui il comprit ce qui l’éloignait de la littérature (Corrêa, 1946, p. 46).
75 Marie-Claire Dumas, « Notes sur Robert Desnos », dans Fabienne Hulak (dir.), Folie et psychanalyse dans l’expérience surréaliste, Nice, Z’Éditions, 1990, p. 109.
76 Ibid., p. 192.
77 OC, I**, Gallimard, 1976, p. 144.
78 Anaïs Nin, op. cit., p. 210.
79 La relation de Henry Miller, Anaïs Nin et Otto Rank mériterait d’être développée, mais les écrivains anglophones excèdent le champ de cet essai. C’est la raison pour laquelle il ne sera pas question de Samuel Beckett qui, attaché à Paris et à la culture française qu’Anaïs Nin par la France, entre en analyse avec Wilfred R. Bion à la fin de l’année 1933 – cure dont son œuvre porte la trace (sur ce point, Didier Anzieu, Beckett et le psychanalyste, L’Aire/Archimbaud, 1996).
80 Ibid., p. 227.
81 Nouveaux écrits de Rodez [1977], Gallimard, « L’Imaginaire », 2007, p. 84-85.
82 OC, VII, Gallimard 1982, p. 176.
83 Serge André, L’Épreuve d’Antonin Artaud, op. cit., p. 5.
84 OC, I*, p. 33.
85 Serge André, op. cit., p. 24.
86 OC, VII, Gallimard 1982, p. 176.
87 Serge André, L’Épreuve d’Antonin Artaud, op. cit., p. 5.
88 OC, I*, p. 33.
89 Serge André, op. cit., p. 24.
90 OC, XIII, Gallimard, 1974, p. 13-14.
91 Pour tout ceci, Emmanuel VENET, Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud, Lagrasse, Verdier, 2006. Pour avoir été l’ami de Robert Desnos, Gaston Ferdière publia en 1946 un texte de l’écrivain disparu, La Place de l’étoile. Antipoète, qu’il donna à lire à Artaud.
92 Lettre du 18 octobre 1943, Nouveaux Écrits de Rodez [1977], Gallimard, « L’Imaginaire », 2006, p. 68.
93 Projet de lettre du 9-3-1945, OC, XI, p. 49.
94 Lettre de mai 1944, Nouveaux Écrits de Rodez, p. 96.
95 Parmi les nombreux travaux sur la question, signalons le texte de Monique David-Ménard, Deleuze et la psychanalyse, PUF, 2005.
96 Sur cette question, Bruno Gelas et Hervé Micolet (dir.), Deleuze et les écrivains, Nantes, Cécile Defaut, 2007.
97 Pour ce qui suit, voir notamment Anne Tomiche, « L’Artaud de Deleuze : du schizo au Mômo » ; dans Bruno Gelas et Hervé Micolet (dir.), Deleuze et les écrivains, Nantes, éd. Cécile Defaut, 2007, p. 155-171.
98 Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe : capitalisme et schizophrénie, Minuit, 1972, p. 160.
99 Formule de Bergson citée par Antoine Compagnon. Voir son article : « Paul Valéry, “le moins freudien des hommes” ? », in Antoine Compagnon et Céline Surprenant (dir.), Freud au Collège de France (1885-2016), PSL, 2018 (édition électronique).
100 Jacques Millet, Valéry par-devers Freud : l’écriture des actes de connaissance, L’Harmattan, 2001.
101 Cahiers, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973, p. 995. Sera noté C 1.
102 Cahiers, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1974, p. 174. Sera noté C 2.
103 C 2, p. 158. Ailleurs, Valéry ajoute à la condamnation du fait que, parlant du rêve, l’analyse de Freud « s’y porte sur des choses descriptibles en termes originaires – tandis que le rêve devrait être indescriptible […] » (C 2, p. 177).
104 « je suis doué de sensibilité intellectuelle. J’entends par là que je suis sensible aux choses de l’intellect comme d’autres le sont aux couleurs, aux sentiments, aux sons » (C 1, p. 85).
105 Encore que son admiration pour Descartes ne manque pas d’ambiguïté, de même que sa condamnation (présumée) de Pascal, comme le note Gilberte Aigrisse dans Psychanalyse de Paul Valéry, Éditions universitaires, 1964.
106 Lettre de Valéry à Aimé Lafont, dans Œuvres, I, p. 1636.
107 « Introduction à la méthode de Léonard de Vinci », Œuvres, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, p. 1154.
108 Ms d’Agathe, cité par J. Millet, p. 22.
109 « Tabulae Meae Tentationum », Cahiers, II, Gallimard, 1988, p. 224.
110 « P[ersée]/Algol », Cahiers, V, Gallimard, 1994, p. 232.
111 « Eidolatreia », Cahiers, I, Gallimard, 1987, p. 333.
112 Cahiers 1894-1914, t. III, Gallimard, 1990, p. 147.
113 « L’intelligence dirige les divers inconscients qui sont des bêtes sans elle ; et elle rien, sans eux ; identiquement rien. » Car « Qu’est-ce qu’un général sans soldats ? un sculpteur sans ses mains ? », C1, p. 335-336.
114 « June 99 », Cahiers, III, Gallimard, 1990, p. 250.
115 « Fin de Monsieur Teste », Œuvres, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1960, p. 74.
116 Avant-propos de Jacques Millet, op. cit., p. 12.
117 Dans la bibliothèque de l’auteur figurait l’Introduction à la psychanalyse, dont de nombreuses pages ont été coupées (signalé par André Job) – mais il est difficile de savoir ce que Giraudoux avait vraiment lu.
118 « Mirage de Bessines », La France sentimentale, Grasset, 1932 ; dans Œuvres romanesques complètes, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, p. 235. À noter que « dans la première version publiée de “Mirage de Bessines”, Rémy disait merde non seulement à Freud mais aussi au professeur Forel », un des analystes de l’éditeur Bernard Grasset (ORC, II, p. 1096). Voir aussi Brett Dawson, « “Mirage de Bessines”, Freud et le Livre de Tobit », CJG, n° 21, 1992, p. 91-99.
119 Pour tout ceci, voir André Job, chap. « Au miroir de la psychanalyse : Giraudoux contemporain de Freud », dans Giraudoux Narcisse : genèse de l’écriture romanesque, op. cit., p. 23 sq. ; et du même, entrées « Freud (Sigmund) » et « Orphelin/Roman familial », dans Sylviane Coyault et André Job (dir.), Dictionnaire Jean Giraudoux, Honoré Champion, 2018.
120 Sans oublier l’inspecteur d’Intermezzo qui face à Isabelle et son goût du mystère répond simplement : « Superstition... freudisme... », Théâtre complet, « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. 355.
121 « Gérard de Nerval », Littérature [1941], « Folio-Essais », 1994, p. 87.
122 « La querelle du théâtre », Les Nouvelles littéraires, 21-11-1931.
123 « Mirage de Bessines », op. cit., p. 228.
124 Ainsi du « joyeux Œdipe » dans La Menteuse (ORC, II, op. cit., p. 738), qui trouverait extraordinaire que son épouse fût sa mère ; le « vieux bourru » qu’il a « nettoyé », son père ; et sa fille, aux « petits seins charmants », sa sœur.
125 Pour tout ceci, André Job, op. cit., p. 25.
126 André Job, op. cit., p. 27.
127 La France sentimentale, ORC, II, op. cit., p. 143.
128 André Job, notice « Freud (Sigmund) », Art. cit.
129 R. M. Albérès, Esthétique et morale chez Jean Giraudoux, Nizet, 1957, p. 251. Dans Le Théâtre de Jean Giraudoux : étude psychocritique (José Corti, 1971, p. 11-12), Charles Mauron remarque que les critiques de Giraudoux à l’égard de Freud recoupent pour une large part celles de Jung.
130 André Job, Giraudoux Narcisse, op. cit., p. 33.
131 Ibid., p. 35.
132 Dès 1927, Daniel Mornet perçoit bien le problème de Mauriac et de la « vie secrète » que connaissent ses personnages : « Comme il est catholique […], cette vie secrète s’appelle pour lui, non pas subconscient ou inconscient, mais tentation et péché », Histoire de la Littérature et de la Pensée françaises contemporaines, op. cit., p. 136.
133 « L’Enfance éternelle », La Croix, 22-12-1961 ; dans D’un Bloc-notes l’autre (1952-1969), Bartillat, 2004, p. 727.
134 Pour tout ceci, John E. Flower (dir.), François Mauriac : psycholectures/psychoreadings, Univ. of Exeter Press et P. U. de Bordeaux, 1995. Tout particulièrement : Paul Croc, « Lunettes freudiennes », p. 218-231 ; ainsi que M.-C. Praicheux, « Mauriac, Freud : l’absence d’une conjonction de coordination », p. 232-247 ; et M.-J. Bataille, « Le nœud gordien : Mauriac et la psychanalyse », p. 248-254.
135 Le Nœud de vipères, Grasset, 1932 ; Œuvres romanesques et théâtrales complètes, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1979, p. 424. Une variante du manuscrit évoque explicitement « le professeur S. Freud ».
136 « Thérèse chez le docteur » [1933], Œuvres romanesques et théâtrales complètes, « Bib. de la Pléiade », 1981.
137 À rapprocher du travail de Mauriac, Blaise Pascal et sa sœur Jacqueline (1931). Du fait que F. Mauriac a souvent signalé sa parenté spirituelle avec Pascal, on peut lire dans le titre d’Élisée Schwartz « La sexualité de F. Mauriac », comme le suggère M.-J. Bataille (Art. cit., p. 249). Rapportant que Pascal fut « un écolier troublé de scrupules absurdes » (livre serré contre lui, etc.), Mauriac a d’ailleurs cette remarque : « On imagine assez ce qu’un Freud déduirait de là ; et ce serait un jeu de montrer que toute la destinée de Pascal tient dans cette puérile défiance » (OC, VIII, Fayard, 1952, p. 156).
138 Frédéric Lefèvre, Une heure avec..., 1ère série, 1924, p. 223 et 218. Longtemps après, Mauriac reviendra sur les relations entre la sexualité dans le roman, à propos de La Guerre et la Paix. Et ce qu’il admire, chez Tolstoï, c’est que « la sexualité […] pénètre tous les personnages comme elle fait de toute vie ; elle les pénètre sans se substituer à eux » (« La Guerre et la Paix », Le Figaro littéraire, 4 juin 1960 ; repris dans D’un Bloc-notes à l’autre, Bartillat, 2004, p. 573).
139 Le Romancier et ses personnages, OC, VIII, Fayard, 1952, p. 306.
140 « Thérèse chez le docteur », op. cit., p. 13. C’est moi qui souligne.
141 Journal, OC, XI, Fayard, 1952, p. 192. Pour les deux citations, c’est moi qui souligne.
142 La Corde et les Souris, OC, III, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 561. En 1919-1920, Malraux fut en relation avec Päl Burger Diether dit Kharis pour l’illustration de deux ouvrages aux éditions Kra (Carnet intime de Tailhade, paru en 1919, et Les Complaintes de Laforgue, qu’il ne parvint à achever). Je remercie Jean-Claude Larrat pour ces précisions. Sur les relations de Malraux avec la psychanalyse, voir les Notices « “Freud, Sigmund”, “Inconscient” et “Jung, Carl Gustav” », dans J.-Cl. Larrat (dir.), Dictionnaire Malraux, éd. Classiques Garnier, 2015.
143 Marianne [avril 1934], dans OC, VI, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 261.
144 La Tentation de l’Occident, OC, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 80.
145 Les Noyers de l’Altenburg [1943], OC, II, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, p. 659. À en croire les Antimémoires, les colloques de l’Altenburg sont censés avoir inspiré différents penseurs, dont Freud (OC, III, p. 21-22).
146 Les Conquérants [1928], OC, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 285.
147 Pour la peur du féminin, l’allusion à Hercule aux pieds d’Omphale dans La Condition humaine, OC, I, p. 675. Sur ces aspects, Micheline Tison-Braun, Ce monstre incomparable… Malraux ou l’énigme du moi, Armand Colin, 1983, pass., ainsi que Christiane Moatti, Le Prédicateur et ses masques : les personnages d’André Malraux, Publications de la Sorbonne, 1987, chap. « Psychologie de l’inconscient », p. 209 sq.
148 Les Voix du silence (IVe Partie : La Monnaie de l’absolu), dans Écrits sur l’art, I, « Bib. de la Pléiade », 2004, p. 785.
149 A. Malraux, dans Roger Stéphane, André Malraux, entretiens et précisions, Gallimard, 1984, p. 72.
150 Saturne. Le Destin, l’Art et Goya, dans Écrits sur l’art, OC, IV, « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. 157.
151 Les Voix du silence (La Monnaie de l’absolu), op. cit., p. 785.
152 « En définitive, Freud revient au diable ; la psychanalyse, c’est l’ancien domaine du Mal », déclare Malraux à Olivier Todd dans un entretien au Nouvel Observateur (3-11-1975).
153 Les Voix du silence, dans Écrits sur l’art, OC, IV, op. cit., p. 650.
154 La Corde et les Souris, OC, III, p. 556.
155 L’Homme précaire… cité dans Roger Stéphane, op. cit., p. 72.
156 Roger Stéphane, op. cit., p. 73.
157 OC, VI, p. 1352, note 9. En réponse à une question de Christiane Moatti.
158 La Corde et les Souris, op. cit., p. 830.
159 La Corde et les Souris, op. cit., p. 548.
160 Roger Stéphane, André Malraux : entretiens et précisions, Gallimard, 1984, p. 73. De même, l’auteur déclare à Olivier Todd (Art. cit.) que, considérée par lui comme une philosophie, la psychanalyse « est une chose de premier ordre », qui « nous a posé certains problèmes que l’humanité ne se posait pas ».
161 Ibid., p. 75. Pour cette question, voir Rachid Hiati, « Jung-Malraux : métamorphoses de l’âme et des dieux », Présence de Malraux sur la toile, décembre 2011.
162 Antimémoires, OC, III, p. 16.
163 Roger Stéphane, op. cit., p. 73.
164 La Corde et les Souris, OC, III, p. 749.
165 Antimémoires, OC, III, p. 208.
166 L’Homme précaire et la Littérature, OC, VI, p. 852-853.
167 Antimémoires, OC, III, p. 9.
168 Alexis ou le Traité du vain combat [1929], dans Œuvres romanesques, « Bibliothèque de la Pléiade », 1982.
169 « Alexis », dans Les Yeux ouverts, « Le Livre de Poche », 2013, p. 66.
170 Préface d’Alexis, Œuvres romanesques, op. cit., p. 4.
171 Lettres à ses amis et à quelques autres, Gallimard, 1995, p. 369.
172 Jacques Poirier, Notice « Psychanalyse », dans Bruno Blanckeman (dir.), Dictionnaire Marguerite Yourcenar, Honoré Champion, 2017.
173 Alexis, p. 22, 31, 47 et 45.
174 Marguerite Yourcenar, Avant-propos, Théâtre II, Gallimard, 1971, p. 17. Par cette formule, l’auteur dit bien ce qui à la fois rapproche et différencie les tragédies grecques des lectures analytiques qui en ont été faites.
175 « La Symphonie héroïque » [1930], dans Essais et mémoires, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 1657.
176 En pèlerin et en étranger, dans Essais et Mémoires, p. 539. Les phrases de Roger Caillois sont empruntées à Le Mythe et l’homme [1938], Gallimard, « Folio-Essais », 1992, p. 23.
177 Cette étrange proximité avec la psychanalyse apparaît bien avec « Kâli la noire » (Les Nouvelles orientales), puisque les analystes se sont intéressés à cette divinité. Comme le signale Georges Bataille dans une chronique pour Documents, le Britannique Claud Dangar Daly a publié (en allemand) un texte intitulé : Hindu-Mythologie und Kastrationskomplex (1927), dont tout un chapitre porte sur la déesse Kâli (OC, I, Gallimard, 1970, p. 244).
178 Les Songes et les Sorts [1938], dans Essais et Mémoires. Sur ce texte, Josette Pacaly, « Les Songes et les Sorts, préface et dossier », dans Marguerite Yourcenar : aux frontières du texte, Roman 20/50, 1995.
179 Dossier de Les Songes et les Sorts, dans Essais et Mémoires, p. 1169.
180 P. 1539. Claudel procède au même rapprochement : « Aujourd’hui c’est Freud q[ui] interprète les rêves comme jadis son ancêtre Joseph, Ministre du Pharaon. » [février 1926], Journal, I, op. cit., p. 707.
181 Josette Pacaly, « Les Songes et les Sorts, préface et dossier », dans Marguerite Yourcenar, aux frontières du texte, Roman 20-50, 1995, p. 33.
182 Anne Boissier, « Yourcenar et Freud : un refus d’héritage », dans Rémy Poignault (dir.), La Réception critique de l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Clermont-Ferrand, SIEY, 2010, p. 387.
183 Carole Allamand, Marguerite Yourcenar en mal de mère, Imago, 2004, note 43, p. 30. Sur les lectures freudiennes de l’œuvre, Maurice Delcroix, « Sous les projections de la psychanalyse », dans Rémy Poignault, La Réception critique…, op. cit.
184 Lettres à ses amis et quelques autres, op. cit., p. 321.
185 Osamu Hayashi, « Le moi yourcenarien : entre Freud et Bouddha », dans L’Écriture du moi dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Tours, SIEY, 2004, p. 117-124.
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