Chapitre 4. De l’ancrage à la sortie de la fonction de secrétaire régional
p. 159-191
Texte intégral
1Il s’agit dans ce chapitre de se pencher sur la question de la stabilité des directions régionales du PCF, de l’ancrage du secrétaire dans son territoire, et sur les différentes modalités par lesquelles les secrétaires régionaux quittent leur fonction. De la démission à l’exclusion, en passant par la mise à l’écart ou la promotion dans l’appareil, on relève une grande diversité dans les parcours. À partir des données chiffrées de notre enquête biographique, et en nous penchant sur quelques exemples édifiants, nous proposons une lecture d’ensemble de ces trajectoires.
Mouvements ou stabilité des directions régionales ?
2À partir des données rassemblées, et en tenant compte du caractère parfois peu précis de certaines dates, la durée moyenne d’un mandat a pu être établie à 2,2 ans. Ce chiffre, non seulement masque bien entendu une grande diversité de situations, mais, de plus, tient compte des changements opérés lors de l’année 1939, où, entre mobilisation des cadres dirigeants et interdiction du parti, les mandats ne peuvent durer bien longtemps. Après avoir présenté la situation de la région où le renouvellement des secrétaires est le plus important, puis celle où le dirigeant reste le plus longuement en place, nous tâcherons de donner une vue d’ensemble permettant d’appréhender mouvements et stabilité dans la fonction de secrétaire régional.
3Le nombre le plus élevé de secrétaires régionaux se succédant se trouve dans la région du Calvados : huit secrétaires1 se succèdent entre 1934 et 1939. Les militants locaux comme les envoyés du centre, parfois en opposition, ne parviennent pas à établir une direction stable. Il convient de préciser le contexte dans lequel les communistes évoluent. Le Calvados est en effet « un département où l’anticommunisme est le sentiment le mieux partagé, à droite comme à gauche2 ». Le parti communiste y enregistre recul sur recul. Il récolte 1 583 voix pour tout le département aux législatives de 1932 et ne compte guère plus de 80 adhérents cette même année. Caen, « ville industrielle nouvelle, est réfractaire au communisme3 ». À l’été 1934, la situation a même empiré : on comptabilise une centaine d’adhérents pour toute la région normande, c’est-à-dire pour les trois départements du Calvados, de l’Orne et de la Manche réunis4. En décembre de cette année, un instructeur du CC, Henri Chassaing, est envoyé sur place et va alors pousser à la décentralisation5, qui est effective en avril 1935. En janvier 1936, 300 adhérents sont présents dans le Calvados6.
En 1937, les effectifs atteignent 1 300 adhérents et se maintiennent en 1938. Le PC dépasse la SFIO pour la première fois depuis le début des années 1920, et cette dernière reconnaît l’efficacité supérieure de la propagande communiste7.
4Il y a donc un réel progrès, même modeste, de l’organisation communiste dans le département. En revanche ces progrès masquent de très grandes difficultés quant à la mise en place et la stabilisation des directions. Déjà dans la première partie des années trente, les cadres locaux avaient pour habitude de se partager la fonction de secrétaire régional par alternance8. En 1936, c’est André Gouyon qui succède à Louis Collette. S’il fut « l’animateur essentiel [dans la région], qu’il possède une grande influence et a une autorité dans le Parti9 », il doit revenir à Paris. C’est alors Gaston Gandon qui lui succède : trente-deux ans, artisan, il sort d’une école centrale du parti. Les espérances sont rapidement déçues. Les rapports à son sujet sont des plus critiques10. Il n’appliquerait pas les consignes du comité central, serait incapable d’exercer « la plus petite responsabilité », se montrerait « très paresseux » et aurait « un très mauvais caractère ». Le représentant du centre conclut ainsi : « il me semble préférable de temporiser avec lui en attendant d’avoir sous la main une nouvelle direction régionale, ce qui sera évidemment le plus difficile. » Gandon finit par démissionner début novembre. Une nouvelle situation de crise s’ouvre. La région Paris-Ouest parraine alors la région : « actuellement il n’y a plus de région du Calvados, mais la région Paris-Ouest qui travaille dans le département du Calvados11 ». Or, l’arrivée d’une jeune professeure de philosophie change la donne. Marguerite Buffard est en effet nommée à Caen à la rentrée 193712. Après avoir fait ses armes auprès des communistes alsaciens, elle accède aux responsabilités dans ce contexte pour le moins particulier :
En septembre dernier, alors que j’arrivai à Caen, Gaston Gandon, alors secrétaire régional et complètement découragé, me dit après avoir lu les recommandations que la section de Colmar adressait pour moi à ma nouvelle région, « tu tombes bien, moi j’en ai assez, tu vas t’occuper des élections ». C’est ainsi que j’ai été amenée à prendre, dès le début les responsabilités du secrétaire régional, puisque personne ne les voulait et il fallait organiser d’urgence la campagne électorale d’octobre13.
5Un certain nombre de militants locaux pressent la direction du parti d’officialiser cette situation14. Mais Buffard n’est pas acceptée par les instances nationales du parti. Le comité régional désobéit alors aux instructions du représentant du centre, Colin, et élit la jeune professeure secrétaire régionale15. Après s’être entendu avec le centre pour nommer Marcel Petit à la tête de la région, ce dernier est envoyé début 1938 suivre une école régionale organisée par Paris-Ouest. Mais la mort de son père l’empêcha d’y assister. Or, l’opération Petit se solde par un nouvel échec :
Le camarade PETIT, secrétaire régional doit quitter ses fonctions de permanent dans le courant d’avril faute d’argent. Je pense que déplacer ce camarade il y a à peine deux mois, de Dives, fut une mauvaise opération. À Dives il était très coté et devait passer permanent au syndicat des métaux qui compte 1 700 membres. Actuellement il doit quitter sa maison, habitant dans les cités de l’usine. Plus de possibilité de ré-embauchage dans cette usine. PETIT à Dives était une garantie du syndicat pour nous et une meilleure marche du Parti16.
6Marguerite Buffard reprend donc les rênes de la région, non sans difficultés17. Déjà dans le collimateur de l’administration, sa participation à la grève du 30 novembre lui est fatale. Sanctionnée, elle est déplacée d’office. C’est un jeune métallurgiste, Roger Bastion, qui lui succède à la fin de l’année18. L’étude du Calvados permet d’apercevoir les principaux problèmes auxquels se heurte la construction d’équipes dirigeantes : vie professionnelle instable, précarité du statut de permanent, conflits entre militants locaux, équilibre à trouver entre travail politique et travail dans les syndicats, désaccords entre centre et périphérie, place des femmes…
7Dans ce corpus, le recordman de longévité est Robert Gagnaire, dirigeant des Charentes. Non seulement il ne quitte pas ses responsabilités durant toute la période du Front populaire, mais il dirige la région depuis 1928 ! Il est pourtant instituteur, et qualifié de « peu doué comme orateur19 » par la police. Les rapports des envoyés du centre ne sont guère tendres : « Pas de bureau régional, pas de comité régional c’est Robert Gagnaire qui fait tout, qui décide de tout ». Il est « intelligent et actif » en 1936, mais ferait preuve de « faiblesse » en 1937. Son attitude serait « bureaucratique » en 1938 bien qu’il soit toujours « un bon camarade20 ». Toutefois dans une région de « faible » implantation, la tolérance se fait plus grande. Et Gagnaire est un militant qui fait partie de la génération des « fondateurs » après un bref passage à la SFIO : il a donc fait ses preuves, a représenté son parti à plusieurs élections, et, même s’il n’a adhéré qu’en 1919 à la SFIO, son statut de « pionnier » du communisme local, associé à une grande connaissance des réalités de sa région, en font un dirigeant solide. Ceci dit, ce parcours montre les difficultés du parti à faire émerger de ses rangs des cadres correspondant davantage au modèle thorézien, surtout sociologiquement, à promouvoir des cadres ouvriers.
8Au-delà de ces cas particuliers, à l’échelle de notre corpus, on peut tenter de synthétiser l’observation de ces mouvements à travers le tableau suivant :
Mouvements et stabilité (1).
Nombres de « mandats » | Nombre de régions | % |
1 | 16 | 22.22 |
2 | 24 | 33.33 |
3 | 18 | 25 |
4 et + | 14 | 19,44 |
Tableau DM.
9On lit le tableau de la façon suivante : 16 régions (soit 22,22 % du total des régions en 193921) ne connaissent qu’un seul mandat de secrétaire régional (individuel ou collectif).
10Il faut cependant apporter des précisions à ces chiffres et les affiner. En effet, le mode de calcul se base sur les mandats de secrétaire régional effectués par un ou plusieurs militants. Lorsque l’un d’eux quitte le mandat, un nouveau est créé. Les données du mouvement sont donc surévaluées par rapport à celles de la stabilité. Il apparaît ainsi avec ce mode de calcul que la région des Pyrénées-Orientales connaît quatre mandats. Or, Pierre Terrat, son secrétaire en poste depuis 1934, quitte sa fonction durant une brève période en 1936 mais n’est véritablement remplacé à la tête de la région qu’en mars 1939. On peut par conséquent considérer cette région comme possédant durant la période étudiée une direction stable. De plus, les mouvements de l’année 1939 sont parfois dus à des circonstances extérieures à la volonté des militants (interdiction, mobilisation, arrestation). Enfin, prendre en compte les régions créées cette année-là ne peut guère nous renseigner sur les mouvements ou la stabilité de leurs directions.
11Lorsque l’on se penche sur la réalité des pratiques locales, la stabilité dans l’exercice de la fonction de dirigeant régional est observable en Somme-et-Oise avec Amand Brault à sa tête (depuis 1931), dans les Basses-Pyrénées-Landes avec André Moine (depuis 1933), en Meurthe-et-Moselle avec René Uni (depuis 1933), dans l’Aisne avec Georges Pelat (depuis 1934), dans l’Aveyron avec Henri Boyer (depuis 1934), dans la région Centre puis l’Allier avec Marcel Guyot (depuis 1934), en Bretagne avec Alain Signor (non sans avoir menacé de démissionner), dans les Bouches-duRhône avec François Billoux (depuis 1934). Marcel Barbot est secrétaire de la Nièvre de sa création en 1935 à la dissolution du parti. On pourrait ajouter à cette liste Léon Feix, bien que la région du Lot qu’il dirige n’existe que depuis 1936, tout comme René Froissart dans l’Yonne. Louis Gatignon n’est remplacé à la tête de la région Cher-Indre qu’en avril 1939 – du fait de la répression qui suivit la grève du 30 novembre, l’obligeant à quitter la région pour trouver un emploi. Les trois régions constituées en 1937 (Territoire de Belfort, Vaucluse et Var) ne connaissent qu’un seul dirigeant, à l’exception du Var qui voit une direction provisoire se mettre en place lorsque Seillon, secrétaire, se rend à l’école centrale du parti.
12Si l’on tient compte de cette analyse plus fine, on peut donc en conclure que ce sont au total quarante et une régions qui présentent une direction stable (2 mandats ou moins) tout au long des années de Front populaire22, soit presque 60 % des régions23 (à l’exclusion des deux régions créées en 1939 qui ne nous permettent guère d’évaluer la stabilité ou le mouvement).
13Le tableau suivant tente de résumer ces observations :
Mouvements et stabilité (2).
Statut | Nombre de régions | % |
« Stabilité » | 41 | 58.57 |
« Mouvement » | 29 | 41.43 |
Tableau DM.
14On le voit, ces résultats démentent l’apparente instabilité qui se dégageait du premier tableau. Une assez large majorité de régions du Parti communiste présente une direction stable.
15La différence avec les « frères » socialistes est faible. En effet, un tiers des fédérations de la SFIO ne connaît qu’un seul responsable durant au moins les six années de la période du Front populaire. Un peu plus d’un tiers des fédérations n’ont connu que deux responsables, et un dernier petit tiers, trois. Très rares sont les départements qui connurent plus de quatre militants à leur tête24. C’est sur ce dernier point que la différence se fait plus marquante.
Ancrer les secrétaires dans leur région : la fin des militants itinérants ?
16En ces « années de Front populaire », dans la continuité de la conférence de Montreuil, puis du congrès d’Arles, la dimension « locale » de l’activité des communistes et donc de la représentation des secrétaires régionaux prend une importance certaine. Toutes les sources communistes consultées convergent pour faire apparaître une volonté d’établir à la tête des régions des militants qui en sont issus. On a vu que lorsque Marguerite Buffard accéda aux responsabilités dans le Calvados, l’un des arguments qui lui furent exposés pour la remplacer fut qu’elle était « étrangère à la région25 ». Même si cet argument peut être interprété comme un prétexte, il ne faudrait pas en nier la portée.
17Mais quelle est la part des régions dirigées par des militants locaux ? Pour tenter d’obtenir un ordre de grandeur chiffré sur cette dimension, nous avons comparé le département de naissance des membres de notre corpus avec le ou les département(s) dans le(s)quel(s) ils exercent leur fonction de secrétaire régional. Nous connaissons le département de naissance de 174 secrétaires régionaux sur 187. Parmi ces 174 militants, 94, soit 54,02 % exercent leur responsabilité de secrétaire régional dans le même département que celui de leur naissance26. Cette proportion est sans doute légèrement sous-estimée, des militants ayant pu naître dans tel département mais passer la plus grande partie de leur vie, et notamment leur vie militante, dans tel autre. Maurice Lampe par exemple, s’il est originaire du Nord, travaille et milite en région parisienne depuis ses vingt ans. Il est donc fort d’une expérience de près de dix ans de militantisme communiste local lorsqu’il prend la tête de la région Paris-Ville.
18À la mort de Raymond Meunier, Jean Baillet prend la tête de la région ParisOuest, région « marraine » des communistes normands. Dans le Calvados, Baillet, pourtant natif de l’Yonne, « n’est pas pour nous un inconnu, encore moins un “Horsain”27 », « est donc un homme de chez nous » et, circonstance qui ne peut que favoriser ce portrait, « marié à une normande, il aime notre belle province28 ». Mais c’est justement cette extériorité de Baillet au département qui explique sans doute les efforts déployés pour le décrire comme « du coin ». Comme il doit aimer la France, le communiste aime aussi sa « province », sa région29. Lorsque François Billoux présente Raoul Benigni, secrétaire régional de la Corse, celui-ci est non seulement un « fils de paysan » mais également « le type du Corse qui aime son pays30 ». Ces figures de style renvoient aussi à une certaine dimension patriotique et localiste de la politique communiste, où « grande » et « petite » patries se retrouvent étroitement mêlées. Mais selon nous cette recherche de militants locaux a également pour but de contrebalancer les accusations de « parti de l’étranger », qui est « une idée communément admise dans l’opinion publique de la France des années vingt31 ». Montrer, à travers le militant « numéro un » d’une région, l’enracinement des militants communistes, est ainsi à mettre en parallèle avec l’influence du « regard de l’autre », en l’occurrence de la propagande anticommuniste. Plus largement, ce processus partisan est à relier à un phénomène économico-social plus profond, à savoir une certaine stabilisation de la classe ouvrière. En étudiant la période du Front populaire du point de vue de la classe ouvrière, Gérard Noiriel écrit :
Alors que, dans la période précédente, l’action politique et syndicale accomplie dans les régions de grande industrie était toujours à recommencer à cause de l’instabilité de la population et des militants eux-mêmes, la stabilisation de la classe ouvrière permet un début d’enracinement d’une nouvelle tradition de lutte collective32.
19Le modèle militant change et le « gars du coin » se superpose au bolchevique.
20Or, si la majorité des secrétaires régionaux présentent ce type de profil, il existe une part de contre-exemples. Certains parcours sont typiques de ces militants itinérants se déplaçant au gré des besoins du parti, menant une vie d’« itinéraire nomade33 ». Raoul Calas passe ainsi de la rédaction de l’Humanité (1929) à la région Languedoc, puis à celle du Nord-Pas-de-Calais à partir de 1932. Il est ensuite censé retourner dans le Languedoc, mais finalement maintenu à son poste dans le Nord. Il retourne à l’Humanité en février 1934. Puis, réintégré dans l’enseignement, son périple de permanent s’achève en juillet 1936. Il est alors de nouveau instituteur, en poste à Marsillargues, dans l’Hérault34. C’est notamment le cas des « instructeurs » du PC, que nous avons abordé plus haut35, et qui concerne huit membres de notre corpus. Pour une durée théoriquement courte, ils établissent une direction provisoire, sous leur responsabilité, avant de céder le poste de secrétaire régional à un cadre local. Or, si ce schéma s’applique à Jean Guilleminault, qui ne reste que quelques mois à la tête de la région Dordogne, le reste des instructeurs passent plusieurs années à la tête des régions où ils furent envoyés. Des régions parmi les plus importantes du parti ne sont ainsi pas dirigées par des militants « du cru » : on pense notamment à la région marseillaise avec Billoux, originaire de la Loire, qui en prend la tête en 1934.
21Il arrive même que le secrétaire régional ne vive pas dans la région qu’il dirige. Lorsque Henri Lozeray fait le point sur la situation de l’Eure-et-Loir, un seul élément négatif retient son attention : « Un point noir au tableau cependant, nous n’avons pu trouver un secrétaire régional habitant la région, nous avons été contraints de maintenir BONIN comme secrétaire régional36. »
22Bien entendu cette volonté d’inscrire les militants dans un territoire se heurte à un certain nombre de problèmes qui dépassent le seul PC. Des militants se retrouvent ainsi « itinérants » sans que cette situation soit le fait des consignes du parti, bien au contraire. Quelques exemples montrent les obstacles à la fixation des militants sur un territoire, dans lesquels la répression, patronale ou administrative, joue un rôle important. Jules Auffret est originaire de Trignac. Syndicaliste-révolutionnaire, socialiste puis communiste après la scission de Tours, son activité militante le fait repérer par les milieux patronaux de la métallurgie. Sans possibilité de retrouver un emploi après son service militaire, il quitte la Loire-Inférieure pour s’établir en région parisienne37. La « bio » de Raymond Barbé38, professeur dans l’enseignement primaire supérieur, illustre les déplacements d’office qu’il doit subir du fait de son engagement. Il connaît ainsi quatre affectations en trois ans : entre octobre 1933 et février 1935, il se retrouve ainsi à Albert (Somme), puis à Rouen (Seine-Inférieure), Verdun (Meuse) et enfin Saint-Pons (Hérault). Ce sont finalement quatre secrétaires régionaux en exercice qui doivent quitter leur fonction pour des raisons de sanctions professionnelles (trois mutations disciplinaires et un licenciement suite à la grève du 30 novembre 1938). Trois autres mandats s’achèvent du fait de la nécessité pour les dirigeants de trouver du travail, vivant « une situation matérielle intenable39 ».
23La question de l’ancrage renvoie aussi à une dimension interne à l’organisation. Un militant local, connu de ses pairs, aura plus de facilité à s’imposer et à diriger la région. Ainsi lorsque Waldeck Rochet, futur dirigeant de la région lyonnaise, parvient à régler les problèmes du rayon de Saône-et-Loire, c’est « parce qu’il n’apparaît pas comme étranger au terrain40 », lui qui est un permanent de l’appareil central mais natif d’un petit hameau du département, il parvient à aborder les problèmes avec plus de finesse que ses prédécesseurs.
24Dominique Danthieux a bien montré les évolutions à l’œuvre au sein de la région limousine du PC. Au printemps 1929, une nouvelle direction se met en place avec l’assentiment de la direction nationale :
René Fronsac (dit « Fromage ») le nouveau secrétaire fédéral (en fonction depuis décembre 1928), son adjoint René Brigot et le secrétaire de la 25e région syndicale unitaire Antonin Pérol sont des cadres chevronnés désignés et appointés par le parti. Étrangers au Limousin Fronsac et Pérol appartiennent à cette catégorie d’« agitateurs-propagandistes » que le PCF expédie dans les départements pour activer les foyers révolutionnaires. […] Cette nouveauté, ajoutée à leur dogmatisme, ne va pas sans poser problème car elle les rend ignorants du microcosme politique local et des potentialités du parti dont les observateurs soulignent continûment la médiocre réussite41.
25Quelques années plus tard,
En Haute-Vienne, la direction régionale s’ouvre plus largement aux militants locaux. Seul le délégué général [secrétaire régional] Gabriel Citerne, possède un parcours conforme à celui du militant révolutionnaire, ancien du SRI, passé par de nombreuses fédérations [régions] où il remplit des fonctions parfois au-delà des limites de la légalité. L’ouverture est en réalité plus limitée qu’il n’y paraît. La direction du Parti cherche à obtenir une direction fédérale [régionale] présentable recentrée sur l’élément local et tenant compte des équilibres géographiques et sociaux propres au Limousin42.
26En 1939, ce processus est complété par un ultime remaniement qui place Roger Moreau à la tête de la région :
Roger Moreau, nouvel homme fort, est, depuis juin, Secrétaire régional, […]. Le Travailleur du 23 juin 1939 présente ainsi Roger Moreau. C’est un jeune gars du pays. Il a 28 ans. Il est né à Saint-Junien. Il est dans l’organisation communiste depuis 1930. Il a une grande expérience dans l’étude de la doctrine marxiste léniniste mais aussi dans le travail pratique43.
27Pour autant, le « parachuté » n’est pas toujours reçu de manière hostile, par un microcosme militant refermé sur sa vie propre. Ainsi, face à l’arrivée de Pierre Terrat dans les Pyrénées-Orientales, les militants étaient « trop conscients des faiblesses de leur organisation pour s’opposer, même passivement, aux décisions venues du haut, et faire grise mine à leur nouveau secrétaire44 ». De plus, un militant extérieur peut être sollicité pour prendre la tête d’une région dans des cas bien particuliers. Cette situation, exceptionnelle, apparaît dans le cas de la région des Alpes au début de l’année 1939. Le bureau régional se prononce en effet pour « que le CC envoie un SR d’une autre région, un camarade “neutre, indépendant”, au-dessus des “clans”45 ». S’il est juste de souligner que « les militants ne comprennent pas toujours leur direction, et naît un sentiment de méfiance à son égard46 », les militants envoyés depuis « l’extérieur », par leurs connaissances du terrain, leur capacité de travail, parviennent à dépasser cet état de fait.
28Si la pratique des militants « itinérants » ne disparaît pas, elle ne correspond plus à la représentation de la fonction de secrétaire régional. Le discours de l’institution est trop fort, insistant sur l’inscription des militants dans le territoire, pour ne pas chercher à faire émerger des rangs locaux des cadres capables de prendre les rênes de leurs propres régions. Être « originaire du pays47 » devient, notamment à partir de 1937, un critère central dans la sélection des secrétaires régionaux.
« Disparaître du secrétariat » ? Les femmes
29Privées de droits politiques dans la nation48, minoritaires au sein du mouvement ouvrier français, les femmes le sont également au sein du PCF et dans notre corpus : deux femmes accèdent au poste de secrétaire régional entre 1934 et 1936, et l’une d’elles, Martha Desrumeaux dans la région du Nord, l’est en cohabitation avec des camarades hommes. Le PCF, à l’instar de ses homologues soviétiques49, a connu une évolution de ses rapports aux revendications féministes50. À sa fondation, la jeune SFIC reprend les principaux mots d’ordre féministes, y compris les plus radicaux (droit de vote, égalité civile et civique, défense constante de l’égalité des sexes, droit à l’avortement et à la contraception), et noue de fructueuses relations avec les principales animatrices du mouvement. Dès 1922, le PC présente à l’élection du XVIIIe arrondissement de Paris la candidature d’une femme, innovation généralisée aux élections municipales de 1925. Une dizaine de femmes sont élues, aussitôt invalidées. En 1935 et 1936 encore, les mairies de la « banlieue rouge » organisent, comme à Ivry, des votes de femmes en toute illégalité51. La bolchevisation entamée en 1924 puis la période « classe contre classe » amènent à reléguer au second plan la lutte pour l’émancipation des femmes en tant que femmes, et mettent en avant la figure de la « travailleuse » ou de « l’ouvrière ». Il s’agit d’axer la propagande sur « les femmes et la jeunesse de l’usine52 », pour un PCF soucieux de l’entrée massive des femmes dans la production. Certaines militantes se revendiquant du féminisme se désengagent alors progressivement de la SFIC. Enfin, le PCF adopte à partir de 1935 « un recul nataliste, familialiste et moraliste53 », pour reprendre les mots de Christine Bard, tout en « tendant la main aux féministes », qui ont pour la plupart quitté ses rangs tout au long des années précédentes54.
30Qu’en est-il du recrutement ? Ultra-minoritaires dans notre étude, les femmes le sont également dans le parti. En 1926 elles ne représentent qu’1 % des effectifs du PCF55. Une décennie plus tard, en 1937, année faste pour l’effectif militant communiste, les territoires parmi les plus importants du parti ne comptent que peu de femmes : 5,2 % pour la région Paris-Nord, 5,3 % pour Paris-Ouest ou encore 3,3 % pour la région marseillaise56. Au sein du Comité directeur puis du Comité central, on passe d’environ 10 % de femmes membres de ces instances à 1 % en 1936 (Martha Desrumeaux) et… 0 % en 19357. Rappelons tout de même qu’une femme a dirigé le PCF : Suzanne Girault, qui partagea la direction avec Albert Treint entre 1923 et 1925. À titre de comparaison, durant tout l’entre-deux-guerres, les femmes ne représentent jamais plus de 2 à 3 % de l’effectif total de la SFIO58. Le Parti radical quant à lui, longtemps opposé à la participation des femmes à la vie politique, a fini par leur ouvrir ses portes en 1924, organisant une Fédération des femmes radicales en 193559. Mais cette structure reste « sans influence60 » et le parti s’oppose à toute modification du mode de suffrage en 193661.
31Les difficultés des femmes à participer à la vie militante s’expliquent par de nombreux facteurs, déjà analysés dans de précédentes études62 : poids du « machisme » et du virilisme dans la culture du mouvement ouvrier63, misogynie64, difficultés à conjuguer vie familiale, professionnelle et militante, sentiment profond d’illégitimité… Retenons que le PCF, tout comme la SFIO d’ailleurs, n’arrive guère à dépasser ces obstacles, malgré des injonctions répétées au développement de l’adhésion parmi les femmes et à une propagande spécifique dans leur direction65. De plus, l’organisation tend à reproduire en son sein des divisions de genre quant au militantisme à pratiquer : aux femmes sont le plus souvent confiées les tâches liées aux organisations « de masse », organisations satellites du parti et ayant pour thème la lutte pour la paix, l’éducation, l’enfance ou le politico-humanitaire66.
32Paradoxe donc « d’un monde communiste qui fait objectivement une place aux femmes et, subjectivement, préfère en rester à des représentations viriles, confinant les femmes à des rôles subalternes67 ». C’est ce contexte et ces éléments qu’il faut garder à l’esprit lorsque l’on se penche sur le cas des rares militantes de notre corpus.
Marguerite Buffard : une secrétaire à la marge68
33S’attarder sur le parcours de Marguerite Buffard permet d’éclaircir le fonctionnement du parti, ses difficultés, les tensions qui peuvent exister entre base et sommet, ainsi que d’enrichir la réflexion sur la question des relations entre genre et engagement politique69. Fille d’instituteurs, agrégée de philosophie, Marguerite Buffard, après avoir débuté son militantisme dans les rangs des communistes alsaciens, arrive en septembre 1937 dans le Calvados, territoire en proie à de grandes difficultés, en partie à cause de l’impossibilité à stabiliser une direction locale70. Elle occupe presque immédiatement les plus hautes responsabilités dans la région. Elle devient donc secrétaire régionale « de fait », dans l’urgence, sans que l’on sache d’ailleurs précisément comment ce processus s’est mis en place et a abouti. Une lettre de Buffard à la direction du parti rédigée quelques mois plus tard indique qu’elle a pris ces responsabilités « puisque personne ne les voulait71 ». En novembre 1937, une lettre de cadres locaux du Calvados envoyée au Comité central demande :
d’insister auprès de la camarade Buffard, merveilleuse militante, qui remplit, depuis son arrivée à Caen, les fonctions de secrétaire régionale, afin qu’elle en accepte le titre. Cette camarade peut faire l’unanimité derrière son nom et faire rendre à la région, son maximum. Il ne s’agit d’ailleurs que d’une formalité Buffard étant [plusieurs mots illisibles] au service du parti doit avoir le titre qui lui conférera l’autorité indispensable à l’accomplissement de sa tâche72.
34Cette démarche montre non seulement les capacités dont fait preuve la militante à la tête de sa région, mais également la possibilité de militants de s’adresser à leur direction lorsqu’ils le jugent nécessaire. Las de voir chaque année un nouveau secrétaire, ceux-ci sont en recherche de stabilité pour leur organisation. Ce souhait sera renouvelé lors de la conférence régionale du même mois. Face aux multiples demandes des camarades de Buffard, la direction déclare que celles-ci sont « inacceptable[s], Buffard étant étrangère à la région et une femme73 ». Au-delà du fait qu’elle ne soit pas originaire de la région, on lit donc un rejet clairement exprimé de sa situation de femme. Impossible de savoir ce qu’a ressenti cette militante à l’annonce de cette sentence. Reste que le Comité régional élit officiellement le 28 novembre Marguerite Buffard secrétaire, faisant ainsi fi des consignes du centre.
35À la veille du Congrès d’Arles, Buffard se rend à Paris où on lui déclare que la région doit être « dirigée par un gars du pays ». Et la militante disciplinée d’ajouter « ce en quoi je les approuve entièrement74 ». La direction centrale parvient à remplacer Marguerite Buffard par Marcel Petit au printemps 1938. L’opération est un échec patent75. Réinstallée dans ses précédentes fonctions, Marguerite Buffard se dépense sans compter pour réorganiser la région du Calvados, ce qui n’empêche pas Raymond Bossus de noter que « la camarade Buffard accapare le travail, fait tout, dit tout. […] Inutile d’insister dans ce rapport sur de telles méthodes76. » Épuisée, déplacée par l’administration suite à sa participation à la grève du 30 novembre 1938, Marguerite Buffard est finalement remplacée par un jeune métallurgiste, Roger Bastion77.
36La direction du parti n’a donc pas ménagé ses efforts pour que le mandat de M. Buffard prenne fin le plus rapidement possible. Cependant elle a aussi dû composer avec les attentes de militants locaux, et parfois naviguer entre ses contradictions : redresser la région en faisant confiance à sa nouvelle secrétaire, tout en souhaitant promouvoir un responsable homme issu des militants du département le plus tôt possible.
37Existe-t-il une réelle volonté du parti d’écarter les femmes de certains postes à responsabilité, et du poste de secrétaire régional en particulier ? On peut le penser à travers l’exemple de Marguerite Buffard. Elle cumulait deux « défauts » aux yeux de sa direction : être une femme et exercer une profession intellectuelle. Elle-même semble pénétrer de ce sentiment d’illégitimité, appuyant dans sa correspondance et dans son exercice biographique le fait de ne pas être ouvrière – bien qu’issue d’un milieu fort modeste – et sans jamais s’élever contre la discrimination dont elle semble faire l’objet en tant que femme. Quant au fait d’être « étranger à la région », cela n’a pas inquiété outre mesure ses camarades hommes à la même époque, même si la recherche de militants insérés dans leur territoire est une priorité aux yeux de la direction communiste en ces années de Front populaire78.
Martha Desrumeaux, fille du peuple
38Cette ouvrière du Nord est élevée dans une famille de onze enfants qui connaît une situation proche de la misère à la mort du père79. Elle fréquente très peu l’école et commence à travailler dès l’âge de neuf ans. Les légendes militantes entourant sa personne veulent qu’elle ait appris à lire dans une brochure relative à la jeune Union soviétique80. Sur ce sujet elle déclare : « J’ai appris à lire moi-même dans l’Humanité et dans des petites brochures populaires que j’achetais dans les réunions du PC81. » De façon touchante, on la voit énumérer dans sa bio les différentes grèves auxquelles elle a participé, sans doute pour contrebalancer sa situation d’« illettrée » et mettre en avant « ses titres scolaires82 » que représentent une jeunesse de lutteuse, en lieu et place des lectures ou des écoles. Elle fait partie de cette génération de jeunes militantes ouvrières, venues du syndicalisme unitaire où elles se sont révélées. Desrumeaux va partir suivre la formation des cadres communistes à Moscou, au sein de l’École léniniste internationale83. À son retour d’URSS, elle fait son entrée au Bureau politique du PCF et à la Commission exécutive de la CGTU. En 1936, Martha Desrumeaux est amenée à seconder Arthur Ramette, élu député, à la tête de la région du Nord. La brochure de la conférence régionale du Nord de 1936 contient son intervention et son portrait84. Un an plus tard, au mois de juillet, elle doit abandonner ses responsabilités tant à la région qu’au Comité central du parti. L’incompatibilité entre ses mandats syndicaux et politiques dans la CGT réunifiée – elle devient secrétaire permanente de l’Union départementale CGT du Nord – l’empêche en effet de conserver ses postes dirigeants. « Je ne saurai vous dépeindre la tristesse que j’éprouve en prenant cette décision », écrit-elle dans une lettre publique85. « C’est parce que je suis profondément attachée à la cause de l’unité que je renouvelle cet exemple si pénible pour un communiste86. » Ainsi, la seule femme membre du CC doit le quitter. Mais Martha Desrumeaux est une figure de première importance du mouvement communiste tant au plan local que national et même international. Elle est inscrite dans la lignée des héroïnes révolutionnaires aux côtés de Dolorès « La Pasionaria » Ibaruri, Rosa Luxemburg ou Clara Zetkin9. Jean Renoir l’a faite figurer dans son film de 1936, commandité par le parti, La vie est à nous87. La presse communiste régionale du Nord, dans laquelle elle multiplie les articles en tant que secrétaire régionale et syndicaliste, met régulièrement en avant Desrumeaux. Dans nul autre parti l’ouvrière d’abord quasiment analphabète Martha Desrumeaux n’aurait pu connaître un tel parcours : voyager, s’alphabétiser, s’instruire, avoir son nom et ses écrits publiés dans la presse communiste régionale et nationale – jusque dans son organe théorique88 –, participer aux plus hautes instances de direction.
39Pour affiner ce premier regard sur les femmes aux responsabilités régionales, il faut signaler la présence, à la direction de la région de la Loire, de Marie Doron et celle de Marinette Delvaux pour les Deux-Sèvres. La première, bien qu’élue au secrétariat de la région en 1936 et 1937, parfois présentée comme « secrétaire régionale » dans le journal communiste local le Cri du peuple89, n’atteint pas dans les faits le niveau de responsabilité d’une M. Buffard ou d’une M. Desrumeaux. Veuve de l’ancien dirigeant de la région lyonnaise Jean Doron, mort en février 1932, Marie Doron est institutrice, proche d’Étienne Fajon. Dans son questionnaire biographique de 1938, elle précise que son élection au secrétariat concerne « plus particulièrement les tâches de l’éducation et du travail parmi les femmes90 ». Elle n’est pas une dirigeante « politique » (au sens de « secrétaire politique »), mais une organisatrice, à qui l’on confie par exemple la tâche de mettre en place des écoles de formation. Les différents rapports des envoyés du centre91 louent cependant « Mimie » Doron comme une des camarades les plus capables de sa région. Le ton est différent concernant M. Delvaux. Lorsque celle-ci déclare à l’envoyé du centre, Henri Gourdeaux, qu’elle ne peut que difficilement cumuler ses diverses responsabilités militantes et sa position au secrétariat régional, qu’un choix doit être fait, ce dernier lui répond sans hésiter :
Oui, naturellement, répondis-je, et je pense que tu peux, sans hésiter, disparaître du Secrétariat, tu es au bureau régional qui se réunit assez souvent, tu pourras donc suivre et tout de même vivre la vie de la direction régionale. Un peu d’hésitation, me regardant bien ; sans doute « ma personne » inspirait, exprimait et extériorisait assez de confiance, car Marinette reconnut que j’avais raison. Comme elle me demandait d’intervenir spécialement pour proposer les modifications convenues ainsi, je la priais au contraire de faire elle-même le nécessaire avec explications telles que je les lui avais données, et que ce serait très bien ainsi92.
40Que s’est-il passé pour que Delvaux, notée « A » sur sa bio de 193793, soit ainsi écartée (plus ou moins subtilement) par le centre ? Institutrice, adhérente du PCF, aux côtés de son mari, depuis 1934, elle est en ce début 1939 rédactrice en chef du Semeur, l’organe couvrant à la fois les Deux-Sèvres et la Vendée, et membre du secrétariat dirigé par René Leroy. Écrivant dans les Cahiers du bolchevisme, organisatrice connue et respectée, elle n’hésite pas à porter la contradiction dans les meetings adverses94. Une faute vient cependant entacher le parcours de celle pressentie pour être « le véritable guide, animateur, la tête de la région95 ». Le 14 janvier 1939 en effet, paraît dans le Semeur une recension d’ouvrages récemment acquis par la bibliothèque municipale de Niort. Dans la liste, on lit « Trotsky, La révolution trahie ». Delvaux s’attire alors les foudres de la direction nationale. Henri Janin, à la tribune de la conférence nationale de Gennevilliers, nomme Delvaux, responsable d’avoir incité « la classe ouvrière à lire l’ouvrage de celui qui, pour tous les travailleurs du monde, est maintenant connu comme étant l’agent d’Hitler96 ». Dès lors, Delvaux est suspecte. Lors d’une série de meetings en Vendée quelques mois plus tard, l’envoyé du comité central doit s’opposer à la participation de Delveaux « et combattre l’argument que sans elle nous n’aurions aucun succès, même démolir les arguments la comparant à Maria Rabaté, Maurice Thorez, Jacques Duclos97 ». Dans ces tentatives pour expliquer la popularité de cette militante, Sagnier liste :
1- c’est le seul orateur du coin 2- à chaque demande elle répond à heure et date fixées (chose que malheureusement nos camarades n’ont pas toujours faite, meetings marqués par absence ou retard) 3- dans certaines localités elle a participé à la naissance de la cellule. C’est elle qui bien souvent a porté la contradiction aux fascistes. 4- son métier lui donne une certaine influence dans ces milieux arriérés ou le maître d’école est un personnage 5- on a présenté Marinette comme la communiste, etc. Il faut noter que le manque de cadres a permis certaines opérations des instituteurs trotskistes qui sont en liaison constante entre eux et peut être avec les instituteurs de notre Parti98.
41Curieuse énumération, qui ne rassemble presque que des qualités attendues chez un dirigeant local. Mais il faut lire l’opposition à Marinette Delveaux à travers la vigilance à l’égard des instituteurs, elle-même incluse dans la vigilance anti-trotskiste, au point que les deux catégories tendent souvent à se confondre aux yeux des responsables aux cadres99. Cependant, confronté à une dirigeante très populaire, ce processus de vigilance doit tenir compte des réalités locales, et la popularité de Delveaux la protège de sanctions trop lourdes.
42Si l’on reprend la classification établie par Jacqueline Tardivel100, ces deux militantes, Desrumeaux et Buffard, ne sont donc certainement pas des « passagères », ces féministes des débuts qui quittent l’organisation dans les années 1920. Martha Desrumeaux représente les « fidèles », les militantes de la dure période des années 1927-1933. Marguerite Buffard quant à elle fait partie des « héritières », les adhérentes du Front populaire, attirées d’abord par l’antifascisme101. Ce sont des « femmes d’exception », qui arrivent, à la fois par leurs capacités et par des situations locales exceptionnelles, à sortir du rang à une époque où la division genrée des tâches militantes s’accentue et où la quête de « respectabilité » du PCF s’accompagne d’un discours beaucoup moins offensif quant à la place des femmes dans la société. Le poste de secrétaire régional comme, par extension, celui de cadre communiste seraitil un poste par essence masculin ? Lorsque Marcel Gitton, secrétaire à l’organisation, déclare que « le communiste est aussi un homme, un mari, un père102 », les femmes sont clairement exclues de cette définition, même si là aussi le vocabulaire est marqué par son temps. Il n’empêche que « la femme, l’épouse, la mère » n’est ici absolument pas envisagée comme figure, même symbolique, du militant communiste. L’imaginaire qui se construit autour de la figure du cadre communiste semble être un imaginaire masculin. Cela ne signifie cependant pas que des militantes marginalisées le soient toujours du fait de leur statut de femme, ou uniquement de celui-ci ; ni que des figures de femmes ne soient pas célébrées ou mises en avant, mais elles le sont dans un strict partage des tâches.
Les modalités plurielles de sortie du secrétariat régional
43Quantifier les différentes formes de sortie de la fonction de secrétaire régional n’est pas un exercice aisé. Notre travail permet cependant de dégager quelques grands types de modalités de sorties. Nous présenterons dans un premier temps une vue d’ensemble de celles-ci, puis nous nous pencherons sur quelques modalités particulières.
44Nous présentons tout d’abord le tableau synthétique suivant :
Causes de fin de mandats de secrétaire régional.
Causes | Nombre de mandats |
Non renseignée | 8 |
Interdiction du PCF | 51 |
Mobilisation | 19 |
Promotion | 9 |
Déménagement | 9 |
Raisons de santé | 6 |
Emprisonnement | 5 |
Exclusion | 2 |
Mort | 2 |
Départ à l'ELI | 2 |
Limogeages, démission, remplacement | 72 |
Tableau DM.
45Les 70 mandats concernés par l’interdiction ou la mobilisation des secrétaires régionaux sont bien entendu liés aux événements de 1939 et ne peuvent être analysés comme des modalités « habituelles » de fin de mandat103. Les « déménagements » recouvrent des situations différentes mais qui impliquent toutes que le secrétaire régional doit quitter la région pour s’établir dans une autre : sanctions de l’administration ou recherche d’emploi comme vu plus haut, mutation professionnelle, nécessité de déménager pour soigner un proche… Ailleurs, ce sont des ennuis de santé qui conduisent les militants à démissionner de leurs fonctions de secrétaire régional, du moins officiellement. C’est le cas pour Pierre Marzin, Jules Thomas, Lucien Vergne, Decamp, Élie Augustin. Nous disons « officiellement » car, si l’on se penche par exemple sur le cas de la région du Tarn, Élie Augustin, qui cède sa place à Lucien Aussenac, est l’objet depuis près d’un an de rapports peu élogieux établis, au point que le Tarn apparaît comme « une des plus mauvaises de toutes les régions parmi celles que je connais104 » selon Dupuy, délégué du comité central. Et l’on touche ici à un aspect délicat de cette étude. En effet, 38.92 % des mandats sont concernés par une vaste catégorie : « limogeages, démissions, remplacements ». Nous touchons ici à une sorte de « zone grise » dans l’étude de la sortie du mandat. Il est en effet difficile de distinguer une démission volontaire d’une forcée, d’un limogeage dissimulé. Il existe des processus qui masquent la mise à l’écart d’un dirigeant régional. Par exemple, le limogeage de Maurice Lampe, dirigeant de la région Paris-Ville du parti communiste, est dissimulé par son départ en Espagne105. Le départ du secrétaire d’une des plus importantes régions du parti communiste ne pouvait sans doute pas s’avouer publiquement. Si nous avons pu dégager une quinzaine de limogeages avérés (sur lesquels nous reviendrons plus bas), une grande perméabilité existe entre ces catégories. La démission d’un secrétaire peut avoir été « recommandée », par le centre ou ses camarades locaux, donc s’apparenter à un limogeage, mais sans donner lieu à des conflits et avec un remplacement qui se déroule dans de bonnes conditions. Les modalités de la démission sont en effet diverses. S’agit-il d’une forme d’exit, de défection plus ou moins silencieuse et progressive ? Ou simplement d’une forme de renouvellement « normal » des responsabilités, à l’initiative du militant en charge, en plein accord avec ses camarades et avec le centre ? Le découragement, la fatigue, le manque de confiance en soi pour accomplir les tâches attendues d’un dirigeant régional, poussent certains militants à quitter d’eux-mêmes leur fonction. Dans l’Hérault, Edmond Roca, si l’on en croit les mémoires de son successeur, met en place une forme de résistance « passive » : il délaisse progressivement le travail militant, n’assiste plus aux réunions qu’il convoque106. Gaston Gandon, secrétaire régional du Calvados, vivement critiqué dans les rapports des envoyés du centre, finit par démissionner après avoir confié les rênes de la région à Marguerite Buffard. En revanche, Léon Nicod, secrétaire du Doubs, démissionne car juge plus important de se consacrer à son travail syndical et affirme ne pas pouvoir cumuler ses différentes tâches :
la multiplicité de mes tâches qui, jointes à mon extrême fatigue, ne me permettent pas de me consacrer uniquement à la direction régionale. Je suis en effet secrétaire du syndicat des municipaux et hospitaliers (14 sections, 500 membres), ce poste suffirait simplement à mon activité, mais par ailleurs et j’estime que ceci est de la plus haute importance, je fais partie du Bureau de l’UD des Syndicats qui contrôle 30 000 syndiqués. Il faut que je remplisse ou ma tâche politique ou ma tâche syndicale ; je pense que cette dernière – surtout en raison de ce que nous ne sommes que deux communistes à la direction de l’UD et parce que nous ne devons pas abandonner aux seuls SFIO, particulièrement dressés contre nous, le monopole de la propagande la plus intéressée dans les syndicats – est celle à laquelle je dois plus particulièrement me consacrer107.
46Cette priorité accordée à l’action syndicale conduit aussi Martha Desrumeaux à donner sa démission du secrétariat de la région du Nord du PCF. Comme on peut le constater, démêler les fils des parcours individuels afin de quantifier les modalités de sortie s’avère ardu, et ne peut prétendre à l’exhaustivité.
47Il s’agit maintenant de se pencher sur quelques catégories bien particulières de la sortie, qui nous renseignent plus largement sur les modes de fonctionnement à l’œuvre au sein du PCF, qu’il s’agisse des mesures disciplinaires prises à l’encontre de secrétaires régionaux, ou, au contraire, de leur intégration dans l’appareil central.
Exclusions et mises à l’écart
48Il y a toujours eu une « culture disciplinaire » forte au sein du PCF108. Le changement de statuts de 1937 ajoute à la discipline « la plus sévère », « premier devoir de tous les membres […] du Parti » le fait qu’elle soit « librement consentie par tous les communistes109 », reprenant d’ailleurs le vocabulaire socialiste du début du siècle : « lorsqu’en 1912 Paul Louis décrit le parti socialiste dans L’Encyclopédie socialiste de Compère-Morel, place-t-il la “discipline librement consentie” au cœur de la vie interne du parti, à quelque échelon que ce soit, y compris celui de la section110 ». Le « centralisme démocratique » postule en effet la libre discussion entre membres du parti et l’acceptation des décisions majoritaires. Les écarts à cette discipline font l’objet de contraintes pratiques. On peut graduer ainsi le système de sanctions que peut subir le militant : blâme interne, blâme public, destitutions de fonctions, exclusion temporaire, et enfin l’exclusion définitive.
Les exclusions : une forme de sortie marginale
49Huit communistes sur les 187 que compte notre corpus furent exclus du parti au cours de la période 1934-1939, soit un pourcentage faible, 4.28 %. Il est parfois délicat de distinguer entre un départ volontaire, une démission du parti, et un renvoi, une exclusion. En effet les sources peuvent se contredire. Si l’affaire est rendue publique, le parti a parfois intérêt à la présenter comme une exclusion, se présentant ainsi apte à « faire le ménage » dans ses rangs. Dans les récits de militants « ex », la démission est parfois présentée comme preuve de lucidité ou de courage, de liberté individuelle face au collectif et en ce cas la procédure d’exclusion peut être tue ou minorée. Nous avons tenté ici de démêler ces situations en l’état des sources disponibles. Comme pour les autres sanctions (blâmes, limogeages, etc.), juger du bien-fondé ou non des accusations, parfois graves, portées contre des militants n’est pas l’objet de cette étude. Il s’agit ici d’observer l’une des « sorties » de trajectoires militantes les plus brutales qui puissent être dans ce contexte, d’analyser les moyens mobilisés par l’institution partisane pour y parvenir, et les conséquences éventuelles dans le fonctionnement local du parti. Si huit militants furent donc exclus sur la période, tous n’étaient pas secrétaires régionaux en exercice au moment des faits. C’est le cas pour seulement deux d’entre eux : Henri Gohard en 1934 et Eugène Anstett en 1939.
Membres du corpus exclus du PCF entre 1934 et 1939.
Nom | Année d'exclusion | Motifs de l'exclusion |
Henri Gohard | 1934 | désaccord politique |
Louis Bertin | 1937 | ? |
André Toulza | 1937 | argent et liaisons police |
René Lopin | 1937 | « trotskisme » |
Ernest Geoffroy | 1937 | « trotskisme » |
Albert Faure | 1938 | désagrégation et sabotage |
Eugène Anstett | 1939 | argent |
Nonce Benielli | 1939 | ? |
Tableau DM.
50Centrons d’abord notre propos sur les exclusions des secrétaires régionaux en exercice. Le premier cas d’exclusion d’un secrétaire régional en exercice, celui d’Henri Gohard, en 1934, est le seul exemple d’exclusion d’un secrétaire régional réalisée au moment du « tournant » antifasciste111. Le cas paraît « simple » : un événement déclencheur (des coups de feu tirés lors d’une manifestation) révèle des désaccords politiques sur la nouvelle orientation en cours de développement. Une commission d’enquête est dépêchée dans la région, ces conclusions sont les suivantes :
le principal élément cause d’une telle situation est GOHARD ancien secrétaire régional, de notre enquête rien ne peut nous donner la preuve suffisante que c’est un agent provocateur, mais une chose est certaine c’est que c’est un élément trouble qui doit être surveillé de la façon la plus sérieuse, il apparaît que cet élément a essayé depuis les événements, cause de la situation actuelle, à jouer le rôle d’un petit Doriot, envoie de lettres au membre [sic] du PC, pétitions, etc. […] La commission propose les décisions suivantes : 1°) GOHARD est suspendu pour un an du Parti et pendant ce temps doit-être éliminé des postes responsables qu’il peut avoir dans les organisations amies112.
51La mention de Doriot n’est pas fortuite. Le maire de Saint-Denis, s’il n’est pas encore formellement exclu, est entré en dissidence contre la direction de son parti. La présence de son nom ne peut qu’interpeller cette même direction, destinatrice du rapport cité, sur la gravité présumée de la situation, tout en contribuant à la lutte contre Doriot. Et il faut en effet attendre près d’un an pour lire un rapport indiquant que la région « semble » être sortie de l’affaire Gohard113. Mais notons qu’il est également fait mention des « organisations amies ». Car les organisations de la galaxie communiste ne doivent pas constituer des bases de repli pour les militants exclus. Or, dans un rapport de décembre 1935 rédigé suite à la tenue de la conférence régionale du Maine-et-Loire, on apprend qu’« à Angers, nos camarades ont laissé s’infiltrer dans les organisations : SRI, etc. un nommé GOHARD, exclu de la région Tourangelle, qui fait un travail de désagrégation. Il est soutenu par quelques membres du PC qui sont faibles politiquement114 ». Le déménagement de Gohard lui a ainsi permis de rester en lien avec son engagement, d’espérer peut-être se faire oublier ou faire oublier sa sanction, tout en poursuivant un travail militant dans les « orgas de masse ».
52C’est la situation matérielle d’Eugène Anstett, secrétaire régional de la région Lorraine (ou Moselle), membre du comité central du PCF, qui attire l’attention :
Le ménage Anstett vient d’acheter à Hagondange un bureau de tabac pour 100 000 F. La presse « bourgeoise » ne manque pas de monter en épingle le soudain enrichissement du chef communiste « qui était si pauvre il y a quelques années qu’il avait fallu organiser une collecte à son profit115.
53C’est Victor Michaut qui est envoyé dans la région, en compagnie d’Henri Gourdeaux et de Lucien Midol, pour mener l’enquête sur Anstett « soupçonné de s’être vendu aux de Wendel116 ». Ils réunirent selon le témoignage de Michaut un « faisceau de preuves » : « mais il jouissait de la confiance de la grosse majorité des militants lorrains. Nous trouvions une situation assez comparable à celle de SaintDenis après l’exclusion de Doriot en 1934. » Là encore la mention de Doriot frappe.
54En 1939, la dissidence menée par Jacques Doriot est encore une plaie vive pour la direction nationale du parti. Chez les militants, Doriot est la figure du renégat par excellence, passé au fascisme, « agent d’Hitler ». Les questionnaires biographiques en portent la marque, qui demandent à partir de la révision de 1937 : « êtes-vous en liaison avec des éléments doriotistes ? ; qui connaissez-vous qui soit chez Doriot ? ». Comment les envoyés s’y prennent-ils pour régler le cas Anstett ? Michaut évoque une vaste tournée chez les militants locaux, « un par un », durant deux mois, afin de les convaincre du bien-fondé des accusations portés contre leur secrétaire régional et donc de l’exclusion qui doit suivre. Ils réunissent autour d’eux un noyau de militants pour les aider dans leur tâche : deux maires, le « secrétaire du syndicat de la métallurgie117 » et le frère de Franz Dahlem, Robert118. La réunion de ces militants de « prestige » doit donner une légitimité locale à la démarche. Anstett est finalement exclu le 23 avril 1939 et accusé d’avoir « perçu des fonds dont il se refusa à faire connaître l’origine », selon les termes employés par J. Duclos dans une lettre à L. Jouhaux119. Comme le précisent les auteurs de la notice Maitron d’Anstett, « il faut prendre ce type d’accusations, fréquentes dans les cas d’exclusion, avec prudence. » C’est Paul Entzmann qui prend sa place à la tête de la région Lorraine. Mais l’exclusion d’Anstett a des conséquences fâcheuses. Elle crée des dissensions entre communistes mosellans. Le syndicat des métaux, dont Entzmann est secrétaire adjoint, se déchire, entre pro et anti-Anstett. Entzmann est exclu du syndicat. Schwob et Friedrich, qualifiés de « réformistes » et « bureaucrates » par le nouveau secrétaire régional, sont à leur tour exclus par la section communiste de Thionville « pour comportement contraire aux intérêts du parti120 ». À la veille de l’été 1939, l’exclusion du secrétaire régional en exercice a semé le trouble dans une bonne partie des rangs communistes mosellans, résonné dans la presse nationale communiste et interpellé le bureau confédéral de la CGT.
55Ces deux procédures d’exclusion débouchent donc toutes les deux sur des crises. Crise d’abord circonscrite au rayon de St-Pierre-des-Corps, dans le cas d’Henri Gohard, mais qui produit des effets dans une autre région du parti à travers les organisations de la galaxie communiste ; crise plus intense, et à dimension nationale dans le cas d’Eugène Anstett. Or, ces deux exclusions ont eu lieu à la suite d’événements ayant alarmé la direction nationale du parti, qui a dû intervenir rapidement et brutalement. Les autres cas d’exclusion d’anciens secrétaires régionaux nous renseignent sur les processus mis en œuvre lorsque le temps presse moins, et que la procédure d’exclusion immédiate peut être évitée.
56Dans le cas d’André Toulza, secrétaire de la Dordogne, tout semble s’être passé assez vite. Au début de l’année 1937, le délégué du comité central évoquait Toulza en ces termes :
Au point de vue direction, un seul camarade m’est apparu TOULZA que j’estime sérieux, connaissant bien la situation et la composition de sa région, je l’ai entendu dans un village, dans un meeting groupant plus de 100 personnes, expliquant d’une façon claire et accessible aux paysans la politique de notre Parti. Se démène comme un diable dans la direction de la région121.
57Au mois d’août, tout a changé dans la région Dordogne. Le représentant du CC, Guilleminault, a été envoyé comme instructeur. Il évoque alors « l’élimination complète de Toulza ». La lecture de sa correspondance avec le centre renseigne sur la méthode appliquée. Il faut d’abord repérer et sélectionner des remplaçants, des cadres aptes à assurer la direction régionale. Un comité régional doit se réunir afin de désigner un secrétariat provisoire de trois membres :
dont je vois très bien, pour l’instant, deux camarades : PARANT [André Parreaux] qui avec le journal, aura la direction politique, et FOUILLOUX [Julien Fouillou], en raison de sa vigilance, de sa clairvoyance, et de son bon sens politique. Élément malade, de faible activité intellectuelle, quoique non négligeable, pas très développé au point de vue des connaissances politiques, mais ayant, pour cette direction, pour Périgueux, des qualités très précieuses de perspicacité, de contrôle, de dévouement, de méthode dans le travail, de ténacité dans l’effort, jointes à son attachement profond au parti et à sa politique. C’est un élément que je considère comme précieux pour cette direction transitoire. Je ne vois pas encore le troisième, ou plutôt je ne voudrais pas me tromper en le choisissant. Cette direction préparerait, avec le CR, la conférence régionale pouvant se tenir fin novembre, début de décembre122.
58Dans une autre lettre, envoyée en novembre, Guilleminault se félicite que « de nouveaux cadres commencent à sortir, dégagés de l’emprise et de l’étouffement des éléments corrompus123 ». Dans cet échange, la chasse au trotskiste est omniprésente. Enfin, la conférence régionale arrive. Il s’agit du test final, de la vérification officielle : elle vient valider la démarche entreprise depuis des mois par l’instructeur et vise à faire marcher l’ensemble de la région d’un même pas. Étienne Fajon y représente le comité central. André Toulza, limogé, est invité à se livrer à l’exercice de l’autocritique, exercice à moitié réussi :
La Conférence a été marquée également par un discours de Toulza, ancien secrétaire régional. Toulza semble avoir rompu avec les éléments suspects de Périgueux, il observe une stricte discipline. Il a toutefois négligé dans son intervention d’examiner ses graves responsabilités dans la situation de la région. Je dus le faire à sa place, très nettement, en motivant son retrait de la direction régionale124.
59La conférence n’a pas pour objet de valider telle ou telle exclusion ou limogeage. Ces événements ont alors déjà eu lieu. Elle doit marquer l’accord avec cette politique.
Déjà les éléments les plus corrompus (Déficis, Astarie) ont été exclus. L’accès de la conférence a été interdit à Chapdeville qui se trouve devant une commission d’enquête. Un seul délégué, Sartre, […] s’est livré à une défense publique de Chapdeville et à des attaques sournoises contre le CC (attaques contre les instructeurs et notamment Guilleminault).
60Malgré ces incidents, le résultat est à la hauteur des espérances puisque Fajon peut déclarer en conclusion : « En définitive, la politique d’épuration entreprise à la direction régionale et à Périgueux recueille l’adhésion unanime de la Conférence. » Pour autant, le cas d’André Toulza n’est pas réglé. Dès la conférence des secrétaires régionaux du mois d’octobre 1937, Marcel Gitton avait annoncé que son exclusion était à l’ordre du jour125. « Colin » – après Guilleminault et Fajon, on relève encore une fois le turn-over important des délégués du centre –, est envoyé deux fois par le comité central en janvier et février 1938 en Dordogne. Il s’agit d’aider à la réorganisation du rayon de Périgueux et de « liquider définitivement le cas de l’exsecrétaire régional Toulza126 ». Il est finalement accusé de détournement de fonds dans la gestion de la boulangerie coopérative, de fréquentations de maisons closes, mais aussi d’avoir des relations avec la police. Exclu du PCF, celui-ci passe quelque temps après au Parti populaire français (PPF)127. Comment expliquer l’exclusion de Toulza et d’autres militants du Périgord à cette période ? Plusieurs versions des événements circulent, impliquant parfois le témoignage de parents des militants concernés128. Il ne nous appartient pas ici d’en valider une plutôt qu’une autre.
61Que ce soit pour André Toulza comme nous venons de le montrer, mais aussi pour René Lopin, Ernest Geoffroy, Nonce Benielli ou Albert Faure, les exclusions sont systématiquement précédées d’une mise à l’écart. Dans le cas de René Lopin, on peut suivre la procédure à son encontre presque jour par jour129. Là aussi l’envoyé du centre qui mène la procédure cherche à « préparer le terrain » et à créer les conditions qui empêcheraient toute initiative potentiellement scissionniste.
62Lorsque Ernest Geoffroy est évincé puis remplacé par René Floras en 1937, il est encore présent auprès de ses camarades, et leur fait part de sa colère, pestant contre « les salauds » et les « bureaucrates » responsables de son limogeage130. Il lui était reproché de ne pas avoir obéi aux injonctions du bureau régional lui intimant d’aller mettre de l’ordre dans une cellule et de s’être montré inconsidéré dans ses relations avec un élément « trotskiste ». Plus grave, il refuse alors toute autocritique131. En fait, Geoffroy était depuis plusieurs mois dans le viseur des envoyés du centre, qui déplorait ses méthodes de direction, tant sur le fond que sur la forme. Dès le mois de septembre 1936 son remplacement par Floras était envisagé132.
63Louis Bertin, ancien dirigeant de la région des Savoies, contrairement à ce que certaines sources indiquent133, ne démissionna pas du Parti communiste en 1934, mais fut exclu plus tard, à la fin de l’année 1936 ou au tout début 1937134. Nous disposons de peu d’éléments sur les raisons de son exclusion. Un courrier de Vassart de janvier 1936 évoque l’opposition qui existe entre Bertin et Martin, secrétaire régional135. Bertin est d’ailleurs déjà soumis à une procédure disciplinaire visant à le maintenir à la base. L’envoyé du CC s’interroge sur les raisons de cette sanction et demande à ce qu’un examen approfondi de la situation de Bertin soit réalisé. On le retrouve exclu quelques mois plus tard. Mais il continue de faire parler de lui puisque des rapports de fin 1937 évoquent encore les tensions au sein des communistes savoyards, et les attaques visant particulièrement le secrétaire Martin. Une atmosphère qui « ne doit pas être étranger [sic] au travail d’éléments liés à Bertin136 ». La suite de la trajectoire de Bertin (il se lie à la tendance « Syndicats » de la CGT, violemment anticommuniste, et est rédacteur de Au Travail sous l’Occupation) explique sans doute en partie cette mention d’une démission en 1934, bien qu’elle s’avère fausse. Il s’agit de réécrire l’histoire de manière téléologique…
64L’exclusion peut valoir inscription sur les « listes noires » du parti. Ces listes visent à rendre publique le nom des ennemis du parti. Elles sont diffusées dans la presse, sous forme de brochure ou par envoi de courrier aux responsables. Douze listes sont publiées avant-guerre, sous la responsabilité de Maurice Tréand, le responsable de la Commission des cadres. Tous les exclus ne font évidemment pas partie de ces listes : elles assurent un rôle pédagogique, assurant par le contre-exemple la diffusion de codes que les militants doivent intérioriser : « dire et redire la norme137 ». Deux grands temps sont à distinguer sur la période 1934-1939. Le début de notre étude correspond en effet à une phase (1933-1935) de dénonciation des militants qui ont failli à leur devoir de communiste, en particulier du point de vue de l’honnêteté. Le vol (des caisses, des cotisations etc.) apparaît comme le premier motif de ceux qui sont inscrits sur ces listes. Il s’agit donc de protéger l’organisation vis-à-vis d’individus douteux. Mais c’est la figure du dissident politique qui va dominer la seconde période, celle qui s’écoule du Front populaire au déclenchement de la guerre. Il traduit la crainte, pour un PCF devenu parti de masse, de l’ennemi intérieur. C’est d’ailleurs en 1938, que le terme « trotskiste » est accolé à ceux de « provocateurs », « mouchards » et « escrocs » dans l’intitulé habitueldes listes138. Sur l’une de ces fameuses « listes noires », datée d’avril 1938139, le nom d’ex-secrétaires régionaux apparaît :
TOULZA André, (région Dordogne). Ex-secrétaire de la région. Ex-comptable de la coopérative de boulangerie. Exclu du Parti le 16 janvier 1938 pour mauvaise gestion de la coopérative et travail de provocation vis-à-vis des dirigeants de la section.
65En juin 1939, c’est au tour de Geoffroy d’y figurer :
GEOFFROY : (Région de la Charente-Inférieure). Ancien secrétaire départemental à La Rochelle. Exclu du PC comme trotskiste et provocateur et pour tractation avec les ennemis du Parti140.
66Précisons enfin qu’une exclusion n’est pas toujours définitive. Nonce Benielli, exclu en 1939, est ainsi réintégré durant la guerre141. René Froissart, dirigeant iconnais, est exclu à la fin des années 1920 puis réintégré après avoir fait publiquement son autocritique142.
67On peut mesurer la détresse provoquée par une exclusion. V. Codaccioni, avec d’autres, évoque la « mort sociale143 » du militant, lorsque Catherine Leclercq évoque un processus de « désidentification » lorsque l’on quitte le parti144. La vie militante intense rythme le quotidien, définit les cercles de sociabilités. D’autant qu’à la lecture des bios, on se rend aisément compte que le cercle des connaissances se limite bien souvent, hors du lieu d’emploi, au parti. Engagement total qui donne sens à la vie, l’engagement communiste est d’autant plus dur à abandonner. C’est bien souvent « rompre avec la totalité de soi-même, c’est faire en soi le vide et le désert, car le Parti remplit tout145 ».
La catégorie trotskiste
68Nous l’avons vu, l’accusation de trotskisme, si elle frappe peu de secrétaires régionaux (deux sur cent quatre-vingt-sept), correspond à la culture politique dans laquelle baignent les membres de notre corpus. Sans revenir sur la construction de cette catégorie infamante de l’univers communiste146, on sait que la figure du trotskiste147 devient progressivement le repoussoir absolu148 des militants communistes. Non seulement assimilé aux doriotistes, policiers, escrocs, il devient criminel, assassin, fasciste (ou a minima allié des fascistes)149. En URSS, depuis 1934 la chasse aux « terroristes trotskistes » se traduit par des arrestations et des exécutions. L’année 1937 marque sans aucun doute un pas en avant dans la mise en œuvre de cette « vigilance » anti-trotskiste, par la définition du « trotskisme » que donne Staline150 et dans le cas français par le rapport Cogniot151. Cette année 1937 est aussi celle de l’affrontement, en mai, à Barcelone entre les communistes et le gouvernement républicain d’un côté et le POUM152 et des secteurs de la CNT153 de l’autre. Le POUM incarne alors aux yeux du mouvement communiste international ce « trotskisme » allié de Franco dans une lutte sournoise contre la République. Le trotskiste est la figure de l’infiltré, de l’individu qui avance masqué pour effectuer un travail de sape souterrain au sein des organisations syndicales, associatives, politiques. Les trotskystes sont en effet « très dangereux car s’infiltrant partout, tendant à camoufler leur doctrine ils arrivent souvent à leur fin de désagrégation154 ». Cette vigilance est particulièrement visible dans l’exercice biographique. Claude Pennetier et Bernard Pudal soulignent à juste titre à quel point la dénonciation du trotskisme est « érigé en rite d’intégration à la communauté des “fidèles” et en teste de “l’esprit de parti”155 ». Marcel Barbot, dirigeant de la Nièvre, accorde ainsi vingt-deux lignes de sa biographie, presque une page entière sur les quatre et demie qu’elle contient, à développer un argumentaire antitrotskiste156. Le but principal des trotskistes ? « La lutte contre le communisme ». Leurs moyens ? « Toutes les alliances possibles et imaginables ils les feront même avec les pires ennemis de la classe ouvrière ». Leur dangerosité est mise en parallèle avec la jeunesse politique des nouveaux adhérents au parti. C’est pourquoi « il ne faut pas les considérer comme nuls, mais être plus vigilant que jamais ». Il faut dire qu’au même moment il se heurte aux militants trotskistes au sein de la CGT à Nevers157. Même si les questions portant spécifiquement sur le trotskisme ne sont ajoutées qu’en 1937158 dans le questionnaire biographique, la référence n’est pas absente dans les années précédentes. Fernand Arnal, militant avignonnais et futur secrétaire du Vaucluse, écrit par exemple, en 1934, qu’un an auparavant il contribua à chasser des éléments trotskistes de son rayon. Ceux-ci attaquaient « les positions du Parti communiste allemand dans sa lutte contre le fascisme » et « se dressa[i. e.]nt contre le mouvement Amsterdam-Pleyel159 ». Le moindre écart à la norme sur la question des rapports avec le trotskisme ne passe pas inaperçu. La commission des cadres, lisant l’une des autobiographies que Paul Billat rédige après 1933160, note ainsi :
Pense : que les trotskystes sont les ennemis du m[ouvement] o[uvrier] et luttent contre l’IC et l’URSS parce qu’ils sont incapables de s’éduquer par l’activité au sein des mouvements des masses, mais jugent d’une façon abstraite.
69Le passage est souligné car il sous-tend que les trotskistes, tout « ennemi » du mouvement ouvrier qu’ils soient, le sont par manque d’éducation et de liens réels avec les masses. Or le trotskisme n’est pas une tendance, une opinion, une idéologie. Il est criminel, il est « un ramassis de brigands161 ». La biographie de Charles Hubert est soulignée elle aussi par son lecteur lorsqu’il décrit le trotskisme comme « un courant politique162 ». La moindre défaillance dans la lutte contre cet ennemi de l’intérieur est donc relevée, sans qu’elle débouche forcément sur des sanctions. Billat est un militant sûr, passé par l’illégalité et l’ÉLI. Il est noté « A1 » malgré ses remarques sur le trotskisme. Trotskisme pour lequel il avait d’ailleurs « avoué » dans un précédent exercice biographique avoir eu quelques « sympathies » dans les années 1920. Comme vu plus haut, aux yeux du responsable aux cadres, le danger trotskiste est également associé à la montée des instituteurs et plus généralement des intellectuels dans les rangs du parti163. Face aux cadres locaux, le centre parisien formule souvent le reproche de l’indolence dans la lutte antitrotskiste. Les directions régionales ne mèneraient pas assez fermement ce combat, minimiseraient la portée du danger, en bref ne prendraient pas assez au sérieux la vigilance. C’est tout le propos d’Henri Janin, qui, en 1939, accompagné dans sa critique par les habituelles interruptions de Thorez, blâme les cadres régionaux sur ce point précis164. Il faut dire que lors de leurs visites en régions, les délégués du centre se heurtent parfois à des attitudes de temporisation face au développement de la vigilance. Ainsi en 1938, le trésorier de la région charentaise déclare qu’« il ne faut pas voir partout des trotskistes165 ». Face au délégué du CC, le secrétaire de la région ne peut que marquer « son étonnement d’une telle intervention166 »…
70L’exclusion concerne une part très réduite (4.28 %) des 187 secrétaires régionaux communistes du Front populaire. De plus, la plupart des secrétaires régionaux exclus ne le sont pas en exercice. L’exclusion vient parachever un processus qui démarre par le limogeage. D’autres militants connaissent également des sanctions qui, sans déboucher sur l’exclusion, ne méritent pas moins d’être observées et analysées.
Limogeages, sanctions, blâmes
71Nous avons identifié une quinzaine de secrétaires régionaux qui furent limogés de leur poste167. Même s’il est peu aisé, comme nous l’avons expliqué plus haut, de toujours bien distinguer entre une mise à l’écart imposée et un remplacement/démission en l’état actuel de sources. Cette question des limogeages est importante car elle soulève plusieurs questions : qui limoge ? Comment se déroulent ces processus ? Si mise à l’écart il y a, quid de la question du remplacement ? Nous avons déjà évoqué le parcours de Sylvan Péronnet, et son départ de la région troyenne, abandonnant son poste de permanent. Péronnet est blâmé à la fin de l’année 1934168. Il lui est reproché de ne pas avoir su mener à bien sa mission de redressement de la région, mais aussi d’avoir « tenté de tromper le Parti en niant les faits qui lui étaient reprochés » concernant sa vie privée169. Péronnet ne peut plus remplir de fonction dirigeante durant un an, et est exclu de fait du comité central. C’est le « retour à la base ». Cette procédure frappe également Philomen Mioch ou encore Lucien Carré. Ce dernier a, en effet, écrit une lettre à sa femme alors élève à l’ÉLI, ne respectant pas les strictes règles de sécurité en vigueur. Le militant n’en était pas à son premier geste inconsidéré aux yeux de ses camarades, puisqu’il s’était fait photographierlors de son service militaire avec trois conscrits brandissant des pancartes anti-impérialistes et glorifiant l’Armée rouge : « tu persistes à sous-estimer les mesures indispensables dont doit s’entourer un communiste pour éviter la répression capitaliste170 ». Carré se fait en effet photographier après avoir subi durant plus de deux ans les affres de l’emprisonnement… Malgré son limogeage du poste de secrétaire régional en 1937, Carré reste cependant noté « A ». Sa famille communiste, ses deux ans et demi de prison dont une partie au bagne et surtout sa proximité avec Tréand et Janin, de la commission des cadres, ne sont pas à négliger dans l’évaluation de cette commission. Si ces éléments biographiques n’ont pas empêché le retour à la base, ils ont sans doute aussi permis de maintenir Carré dans l’estime de la commission des cadres et des cercles dirigeants du parti. Le poids des réseaux, des affinités personnelles, ne doit ainsi pas être sous-estimé, même s’il est difficile à reconstituer et à appréhender. L’affaire Mioch est plus complexe, car elle mobilise des acteurs et un contexte qui dépassent le seul cadre régional171. Envoyé en Espagne par le comité central du PCF, il est remplacé provisoirement à la tête de la région Aude-Hérault par Paul Balmigère. Désorienté à son arrivée en Espagne, puisque André Marty ne semblait pas prévenu de son arrivée, il est ballotté durant plusieurs semaines de réunions en instructions contradictoires. André Marty lui aurait alors proposé de suivre une formation militaire172. Mioch refuse : « Je dis à Marty ce que je pensais : que je serais plus utile pour le parti et l’Espagne, en France. Bon, me dit-il, tu n’as qu’à partir dès ce soir pour Béziers173. » La commission de contrôle politique (CCP) du parti le convoque alors. « Ce sont les plus mauvaises journées de ma vie » écritil à Marty174. Il émet en effet l’hypothèse que son envoien Espagne ne fut qu’un prétexte pour lui ôter la direction de la région. La CCP accuse Mioch d’avoir désobéi aux instructions d’André Marty, d’avoir refusé des responsabilités comme commissaire politique, « attitude indigne d’un militant communiste », aggravée par le fait qu’elle « est commise par un camarade secrétaire d’une Région du Parti en France ». La version d’André Marty diffère en effet de celle proposée par Mioch. Celui-ci aurait refusé un poste sur le front, au sein d’une unité combattante175. La commission adresse donc un blâme à Mioch et le renvoie à la base176. Il est difficile de démêler les fils d’une telle situation. On connaît la propension de Marty à exagérer les fautes commises par les cadres communistes en Espagne. On sait aussi que bien souvent les sanctions infligées aux militants sont revues à la baisse face aux exigences du dirigeant kominternien177. Mais en ce cas précis, Marty a-t-il exigé l’exclusion de Mioch ? Nous ne le savons pas. En tout cas la menace de l’exclusion fut brandie par la CCP face à Mioch, selon ce dernier178. Existait-il un conflit personnel entre Marcel Gitton et Philomen Mioch ? Ce dernier l’affirme. Les archives montrent au moins une réelle tension entre les deux hommes, notamment lors de la conférence des secrétaires régionaux d’avril 1937179. Gitton a également reçu au moins un courrier d’un cadre local se plaignant du comportement de Mioch180. Dès le lendemain de la décision de la CCP, une réunion du bureau régional de l’Hérault se tient, à laquelle Mioch ne peut assister181. Le retour à la base, même s’il est discuté par ses camarades, est finalement accepté et validé sans trop de difficultés182. Commence alors, pour celui qui perd sa « permanence », une période difficile de « petits boulots183 ».
72Le limogeage permet donc de mettre à l’écart un militant dont le comportement s’était écarté des normes de l’action militante communiste et des attentes liées à la fonction de cadre régional. Ces mises à l’écart se font avec des précautions, en essayant de préserver les équilibres locaux et avec le souci constant du remplacement.
73A contrario, certains secrétaires régionaux quittent leur fonction car ils sont intégrés dans l’appareil du centre.
Les promotions, une intégration des cadres par le centre ?
74Marcel Craste, intervenant comme représentant de la Haute-Garonne lors de la conférence des secrétaires régionaux d’avril 1937, déclarait : « Les camarades savent quelle est la faiblesse de nos cadres et comment nous avons perdu nos meilleurs militants car lorsqu’il y en a un qui se montre à la hauteur le Comité central le prend184. » Cette remarque, formulée devant le premier cercle des dirigeants du parti, permet d’introduire ici une des difficultés auxquelles se heurte la politique des cadres du PCF. On l’a vu plus haut, la formation d’un cadre local, passant par un ou plusieurs séjours dans les écoles du parti, donnait déjà lieu à des échanges entre le centre et les régions, ces dernières inquiètes de la perte provisoire d’un militant de valeur. Le passage par l’ÉLI, notamment, était vu comme particulièrement dangereux. Pour autant, la montée de secrétaires régionaux en exercice dans l’appareil du parti ne concerne qu’une minorité d’entre eux, comme le montre le tableau suivant :
Secrétaires régionaux promus dans l’appareil du parti.
Nom | Année | Promotion |
Waldeck Rochet | 1934 | promu dirigeant section paysanne |
Raoul Calas | 1934 | affecté à l'Humanité |
Étienne Fajon | 1935 | devient responsable des écoles du parti |
Hubert Ruffe | 1936 | appelé à Paris |
Étienne Néron | 1936 | affecté à l'Humanité |
Jules Decaux | 1937 | nommé représentant auprès de l'IC |
Félix Cadras | 1938 | promu à la section d'organisation et com. des cadres |
Julien Airoldi | 1939 | nommé représentant auprès de l'IC |
Gabriel Citerne | 1939 | promu délégué permanent à la propagande |
Tableau DM.
75Cette modalité de sortie de la fonction de secrétaire régional ne concerne donc qu’à peine 5 % du corpus étudié.
76Dans ses mémoires, Fajon évoque la manière dont sa promotion lui a été annoncée :
Cependant, mon expérience de secrétaire régional allait bientôt s’achever. Un dimanche de mars 1935, Jacques Duclos vint représenter le Comité central à la réunion de notre Comité régional. Je me demandais le pourquoi de cette délégation au plus haut niveau, qu’aucune raison politique particulière ne justifiait. Jacques m’en instruisit à sa descente du train : la direction du Parti souhaitait que je « monte » à Paris pour m’occuper des écoles, de l’éducation théorique des militants185.
77La première réaction du comité régional est d’exprimer des « objections à la demande qui lui était faite ». Un an après la décentralisation et la mise en place du secrétariat, voilà qu’une réorganisation doit avoir lieu. « […] je rappelai à mes camarades que le Parti ne peut pas vivre sans renouveler raisonnablement ses cadres, et qu’il ne peut en trouver ailleurs que dans ses propres rangs. […] Je partis pour Paris deux semaines plus tard. »
78Pour Raoul Calas, dirigeant du Nord-Pas-de-Calais, le départ ne se fait pas non plus sans peine. « Je devais occuper une fonction importante à l’Humanité. Je ne l’appris pas sans en être affecté. […] Il fallut insister beaucoup, auprès du comité régional pour qu’il acceptât mon départ. Moi-même, j’allais quitter avec regret une région où j’avais appris à devenir un meilleur dirigeant révolutionnaire186 ». Il resta en poste à l’Humanité (où il avait déjà été rédacteur en 1929) du 6 février 1934 au 1er juillet 1936, date où il fut réintégré dans l’enseignement. Il arrive à Paris comme secrétaire général du journal et adjoint d’André Marty, puis est « officiellement relevé de ses fonctions depuis la mi-novembre 1935 pour être affecté au secrétariat de rédaction187 ». Entre-temps Marty fut en effet nommé au secrétariat de l’Internationale communiste et remplacé par Paul Vaillant-Couturier. La présence d’un « protégé » de Marty n’était sans doute plus souhaitée.
79Dans le Pas-de-Calais, c’est celui qui accompagna et impulsa la région dans ses premiers pas, Félix Cadras, qui, après avoir été nommé au comité central, fut appelé à Paris par Maurice Thorez. On le retrouve promu à la direction de la section d’organisation et membre de la commission des cadres et de la commission contrôle politique. Symbole d’une ascension fulgurante, le départ de Cadras ne semble pourtant pas avoir donné lieu à d’importantes protestations. Soit les sources sont lacunaires sur cet épisode, soit la transition se fait d’une telle manière que la perte de la « tête » de la région est compensée. En effet, le nouvel homme fort du parti dans le Pas-de-Calais n’est autre qu’Auguste Lecœur, fraîchement débarqué d’Espagne, qui, après un passage à l’école centrale, ne peut qu’être auréolé de la gloire du combat antifasciste auprès de ses camarades. De plus, Cyprien Quinet, qui formait le duo dirigeant avec Cadras est maintenu à son poste, et continue d’assurer la direction aux côtés de Lecœur, Thiébault et Camphin jusqu’à l’été 1939.
80Le faible nombre de secrétaires régionaux accédant à des responsabilités ou des fonctions nationales est patent : neuf sur cent quatre-vingt-sept. Il doit cependant être relativisé. D’abord parce que ce chiffre masque les secrétaires régionaux qui cumulent fonctions locales et fonctions nationales (soit comme élus, soit comme membres du CC, par exemple). Ensuite parce que d’autres dirigeants locaux connaissent un parcours militant national sans passer directement de la fonction de secrétaire régional à responsable dans l’appareil parisien. C’est le cas par exemple d’André Caresmel, qui est envoyé pour parfaire sa formation à l’ÉLI, et qui est employé à son retour dans l’appareil central. Mais dans tous les cas cette forme de sortie « par le haut » de la fonction de secrétaire régionale n’est clairement pas la norme.
81Nous avons tenté ici de synthétiser les principaux éléments constituant l’exercice de la fonction de secrétaire régional. Il nous apparaissait important de se plonger dans le quotidien de ces militants, d’en faire ressortir à la fois la dimension sacrificielle mais aussi le « don de soi » qui, au-delà des contraintes qu’il implique, est une composante du « bonheur militant » communiste. Soumis à un rythme de travail militant effréné188, censé incarner un modèle d’abnégation à travers le don de soi au parti, le secrétaire régional acquiert en récompense une reconnaissance symbolique, qui, à l’heure de l’ouverture et du « parti de masse », n’est pas à négliger, particulièrement pour des cadres issus des milieux populaires. L’échéance électorale permet à la fois d’affirmer l’ancrage territoriald’un dirigeant local et de valoriser sa place dans le discours du parti. Il doit néanmoins composer en interne avec la traditionnelle méfiance des militants vis-à-vis des élus. Si les sanctions partisanes n’épargnent pas le corps des secrétaires régionaux, elles sont loin de constituer la norme de la sortie de cette fonction, tout comme d’ailleurs les promotions au sein de l’appareil central. Le corps des secrétaires régionaux apparaît ainsi plus stable qu’une première et rapide impression laisserait entrevoir. Si les situations sont certes très variables d’un parcours à l’autre, une confortable majorité des régions du PC ne connaît pas plus de deux directions régionales différentes au cours des années 1934-1938.
Notes de bas de page
1 En fait huit mandats pour être précis, puisque Marguerite Buffard l’est deux fois.
2 QUELLIEN Jean, Le Calvados au temps du Front populaire, Caen, Éditions du Lys, 1996, p. 47.
3 GIRAULT Jacques, Sur l’implantation du PCF dans l’entre-deux-guerres, Paris, Éditions Sociales, 1977, p. 45.
4 RGASPI 517/1/1662, feuillet 145, Compte rendu de la tournée dans la région normande, 25 juillet – 1er août 1934.
5 RGASPI 517/1/1746, feuillet 199, Rapport sur la situation dans la région Normande, 22 janvier 1935.
6 RGASPI 517/1/1818, feuillet 92, Conférence régionale du Calvados le 5 janvier 1936.
7 LANGEOIS Christian, Marguerite..., op. cit., p. 77.
8 QUELLIEN, op. cit., p. 48.
9 RGASPI 517/1/1863, feuillet 155, Compte rendu du comité régional du Calvados. 18 janvier 1937.
10 RGASPI 517/1/1863, feuillet 166, Région du Calvados, délégation du 9 au 12 août 1937. Les citations qui suivent en sont extraites.
11 RGASPI 517/1/1/1864, feuillet 59, Conférence régionale du Calvados (Mondeville le 28 novembre 1937).
12 Voir chapitre 4. Lire également sa biographie, LANGEOIS Christian, Marguerite..., op. cit. et son autobiographie de 1938, RGASPI 495/270/2730.
13 RGASPI 517/1/1891, feuillet 4, Courrier de Marguerite Buffard à la direction du PCF, 13 février 1938.
14 517/1/1865, feuillet 142, Courrier de Jean Clinel, secrétaire régional des JC, Dureselle, du comité de section de Caen, [illisible], secrétaire du Secours populaire du Calvados et Julien Tachet, secrétaire adjoint de l’ARAC, au comité central, novembre 1937.
15 RGASPI 517/1/1891, feuillet 5, Courrier de Marguerite Buffard, op. cit.
16 RGASPI 517/1/1891, feuillet 7, Tournée de propagande de Le Troadec dans le Calvados du 1er au 20 mars 1938.
17 RGASPI 517/1/1891, feuillet 34, Rapport sur assemblée d’information Région du Calvados. 2 octobre 1938.
18 Un certain Bastion aurait été démissionnaire du parti en même temps que Gandon. S’agit-il du même militant ? Nous ne pouvons l’affirmer. RGASPI 517/1/1864, feuillet 60, Conférence régionale du Calvados, Mondeville, le 28 novembre 1937.
19 AN, Fonds de Moscou, Identification..., 20010216/26, Dossier 619 : Charente. Le Commissaire spécial à Monsieur le Directeur de la Sûreté Générale, Militants du parti communiste en Charente, Angoulême, le 28 décembre 1924.
20 RGASPI 517/1/1894, feuillet 97, Comité régional de la Charente, 26 juin 1938.
21 Soit 72 régions, bien que le nombre évolue entre 1934 et cette date.
22 Ou à partir de l’année de création de la région.
23 Sur soixante-dix régions.
24 MORIN Gilles, « Génération Front populaire ? Renouvellement et caractéristiques du personnel socialiste au temps du Front populaire », in CANDAR Gilles et MORIN Gilles (dir.), Les deux France..., op. cit., p. 98.
25 RGASPI 517/1/1891, feuillet 5, Lettre de Marguerite Buffard à la direction du PCF, février 1938.
26 Nous avons ici considéré en blocs le Nord-Pas-de-Calais et la région parisienne.
27 Un étranger à la région, dans le parler normand.
28 COLETTE [Collette] Louis, « À la mémoire de Raymond Meunier », Le Calvados, n° 2, juillet 1937, p. 1.
29 Voir chapitre 5.
30 Préface à BEGNINI Raoul, Le peuple corse est contre le fascisme. Rapport présenté à la Conférence régionale de Porto-Vecchio, mars 1939, p. 5.
31 BECKER Jean-Jacques et BERSTEIN Serge, Histoire de l’anticommunisme..., op. cit., p. 124.
32 Noiriel Gérard, Les ouvriers dans la société française XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2002, p. 182.
33 « Nomadic itinerary » BULAITIS John, Maurice Thorez. A biography, Londres, IB Tauris, 2018, p. 121.
34 Voir CALAS Raoul, Souvenirs d’un condamné à mort, Éditions sociales, 1976.
35 Voir chapitre 1.
36 RGASPI 517/1/1864, feuillet 119, conférence d’Eure-et-Loir du 21 novembre 1937. Marcel Bonin, répétiteur à Louis-le-Grand, vit en effet à Paris.
37 Notice Maitron, par Claude Pennetier.
38 RGASPI 495/270/257, autobiographie de Raymond Barbé, 10 septembre 1938.
39 RGASPI 517/1/1864, feuillet 12, Lettre de Jolly à la Direction du Parti, Niort, le 10 mai 1937.
40 VIGREUX Jean, Waldeck Rochet, une biographie politique, La Dispute, 2000, p. 42.
41 DANTHIEUX Dominique, Le département rouge. République, socialisme et communisme en Haute-Vienne (18951940), Limoges, PULIM, 2005, p. 270-271.
42 DANTHIEUX Dominique, 1936, le Front populaire en Limousin, Les Ardents éditeurs, 2016, p. 24.
43 PARENT Marcel, Camarade Camille. Militant communiste limousin, le Temps des cerises, 2005, p. 164-165.
44 CADÉ Michel, Le Parti des campagnes rouge. Histoire du Parti communiste dans les Pyrénées-Orientales, 19201939, Éditions du Chiendent, 1988, p. 184.
45 RGASPI 517/1/1909, feuillet 161, Région Isère-Hautes-Alpes du 4 au 8 avril 1939, par Colin.
46 VIGREUX Jean, Waldeck Rochet..., op. cit., p. 42
47 RGASPI 517/1/1894, feuillet 212, Compte-rendu de délégation dans les Hautes-Pyrénées, du 8 avril au 1er mai 1938.
48 La femme demeure un être mineur qui n’a ni droit de vote ni capacité civile. Épouse, elle doit « obéissance » à son mari, en échange de sa « protection ».
49 GOLDMANN Wendy, 2004, « Les femmes dans la société soviétique », dans DREYFUS Michel, GROPPO Bruno, INGERFLOM Claude et al., Le siècle des communismes, op. cit., p. 275-291.
50 Nous pensons ici au « féminisme radical », à tendance anticapitaliste et internationaliste, que Christine Bard distingue des féminismes « réformiste » et « modéré » ; voir BARD Christine, Les femmes dans la société française au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 2001, p. 90-92.
51 BELLANGER Emmanuel, Ivry, banlieue rouge. Capitale du communisme français, XXe siècle, Créaphis, 2017, p. 253 ; AN, Fonds Thorez-Vermeersch, 626AP/35, Organisation du PCF, Plan de travail pour un large recrutement de femmes au Parti, 1936.
52 TARTAKOWSKY Danielle, « Le PCF et les femmes (1926) », Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez, n° 14, 1975, p. 194.
53 BARD Christine, « Lutte féministe pour le communisme ou lutte communiste pour le féminisme ? 19171927 » dans Femmes et communistes, histoire mouvementée, histoire en mouvement, Paris, Association de recherche « Femmes et communistes : jalons pour une histoire », 2002, p. 127.
54 Lire l’important article de Bard Christine et Robert Jean-Louis, « Le Parti communiste français et les femmes », transmis par Paul Boulland que nous remercions. Et aussi Tardivel Jacqueline, Des pacifistes aux résistantes, les militantes communistes en France, dans l’entre-deux-guerres, thèse de doctorat, Paris VII, 1993 ; « Femmes, genres et communismes », Vingtième siècle – Revue d’histoire, n° 126, avril-juin 2015 ; GARBEZ Michel, « La question féminine dans le discours du PCF », in CHEVALLIER Jacques et al. (dir.), Discours et Idéologie, Paris, PUF, 1980, p. 301-393.
55 BARD Christine et ROBERT Jean-Louis, op. cit. D. Tartakowsky avance le chiffre de 964 femmes dont la moitié en Région parisienne, « Le PCF et les femmes (1926) », op. cit., p. 199.
56 BUTTON Philippe, « Les générations communistes », Vingtième siècle, revue d’histoire, numéro spécial n° 22, avril-juin 1989, p. 84.
57 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La part des femmes, des femmes à part », in PENNETIER Claude et PUDAL Bernard (dir.), Le souffle d’octobre..., op. cit., p. 166.
58 LIATARD Séverine, « Autour de la Gauche révolutionnaire : des femmes en politique au temps du Front populaire », in CANDAR Gilles et MORIN Gilles (dir.), Les deux France..., op. cit., p. 347. Pour un regard plus global, lire BARD Chritine, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001, notamment chapitre 4 : « Femmes et politique entre exclusion et engagement (1918-1939) », p. 83-103.
59 BARD Christine, op. cit., p. 84.
60 Ibid.
61 BERSTEIN Serge, Histoire du Parti Radical, t. 1, La recherche de l’âge d’or 1919-1926, t. 2, La crise du radicalisme 1926-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1980 et 1982.
62 Pour le PCF, voir notamment BARD Christine et ROBERT Jean-Louis, op. cit. ; BOULLAND Paul et MISCHI Julian, « Promotion et domination des militantes dans les réseaux locaux du Parti communiste français », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 126, février 2015, p. 73-86. Et plus largement FILLIEULE Olivier et ROUX Patricia (dir.), Le sexe du militantisme, Presses de Sciences Po, 2009.
63 ANGENOT Marc, « Masses aveulies et militants virils », Politix, n° 14, 1991, p. 79-86.
64 Il n’est pas rare, en parcourant les archives de l’organisation, de trouver ce type d’observation : « Des camarades manifestent une certaine hostilité relativement à l’adhésion des femmes au Parti », RGASPI 517/1/1865, feuillet 53, Rapport sur la conférence départementale des Vosges, 28 novembre [1937].
65 Des injonctions visibles aussi bien dans les archives à destination publique qu’à vocation strictement interne.
66 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La part des femmes, des femmes à part », op. cit., p. 166.
67 PUDAL Bernard, « Les communistes », op. cit., p. 66.
68 Nous reprenons ici une partie de notre propos tenu dans « Parcours de secrétaires régionaux communistes au temps du Front populaire, premières approches », in MANESSIS Dimitri et ROUBAUD-QUASHIE Guillaume (dir.), Empreintes rouges..., op. cit., p. 35-45.
69 Lire sa biographie : LANGEOIS Christian, Marguerite..., op. cit.
70 Voir plus haut et QUELLIEN Jean, Le Calvados au temps du Front populaire, Caen, Éditions du Lys, 1996.
71 RGASPI 517/1/1891, feuillet 4, Lettre de Marguerite Buffard à la direction du PCF, 13 février 1938.
72 RGASPI 517/1/1865, feuillet 42, Lettre au comité central, novembre 1937, signée Jean Clinel [ou Clirel], secrétaire régional JC, Dureselle, du comité de la section de Caen [illisible], secrétaire du Secours populaire du Calvados ([illisible] ans de Parti), Julien Tachet, secrétaire adjoint de l’ARAC.
73 RGASPI 517/1/1891, op. cit.
74 Ibid.
75 Sur les difficultés liées à cet épisode voir RGASPI 517/1/1891, feuillet 7, Tournée de propagande de Le Troadec dans le Calvados du 1er au 20 mars 1938.
76 RGASPI 517/1/1891, feuillet 34 : « Rapport sur assemblée d’information Région du Calvados », 2 octobre 1938.
77 Lire sa notice Maitron par Jean Quellien et LANGEOIS Christian, op. cit., p. 96.
78 Voir « Mouvements ou stabilité », p. 250.
79 Sur son parcours OUTTERRYCK Pierre, Martha Desrumaux. Une femme du Nord, ouvrière, syndicaliste, déportée, féministe, Lille, Le Geai bleu, 2009 ; sa notice Maitron par Guillaume Bourgeois et Yves Le Maner ; PERLIER François, Le souffle de Martha, 52 minutes, Les Docs du Nord.
80 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle..., op. cit., p. 178.
81 RGASPI 495/270/, autobiographie de Martha Desrumeaux, 13 août 1932.
82 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle..., op. cit., p. 184.
83 Voir « La formation politique ».
84 Compte rendu de la conférence régionale des 17 et 18 octobre 1936 à Lille, Parti communiste (région du Nord), 1936.
85 « Pour la cause de l’unité syndicale, Martha Desrumeaux donne sa démission de membre du Comité Central du Parti communiste », Le Travailleur du Languedoc, 7 août 1937.
86 M. Desrumeaux fait ici référence aux démissions de Benoît Frachon et Julien Racamond du Bureau politique et du comité central du PCF. 9. BARD Christine et ROBERT Jean-Louis, op. cit.
87 RENOIR Jean, La vie est à nous, 1936, 62 min.
88 Les Cahiers du bolchevisme du 1er décembre 1936 diffusent la « réponse au cardinal Liénart », rédigée par Arthur Ramette, Joseph Hentgès et Martha Desrumeaux. Il s’agit d’un échange entre la direction de la région du Nord et l’évêque de Lille, Achille Liénart, d’abord diffusé dans l’Enchaîné.
89 Par exemple le Cri du peuple, 9 janvier 1937, 13e année, n° 631, p. 2
90 RGASPI 495/270/758, autobiographie de Marie Doron, 3 janvier 1938.
91 Par exemple RGASPI 517/1/1817, feuillet 86, Rapport sur la 2e conférence de la Région Loire – HauteLoire, 11 et 12 février 1936. Et sa notice Maitron par Jean Lorcin.
92 RGASPI 517/1/1908, feuillets 76-77, Compte rendu d’une réunion du bureau régional des Deux-Sèvres, 19 février 1939.
93 RGASPI 495/270/3493, autobiographie de Marinette Delvaux, 8 avril 1937.
94 Notice Maitron, par Florence Regourd et Jacques Blanchard.
95 RGASPI 517/1/1864, feuillet 12, Lettre de Jolly (secrétaire régional) à la direction du parti, 10 mai 1937.
96 JANIN Henri, « La lutte contre la provocation trotskyste. Rapport à la conférence nationale », Cahiers du bolchevisme, février 1939, p. 213.
97 RGASPI 517/1/1908, feuillet 178, Rapport sur la Vendée.
98 Ibid. Souligné dans le texte.
99 Voir dans le chapitre 1 notre passage sur les instituteurs, et celui sur la catégorie trotskiste.
100 TARDIVEL Jacqueline, op. cit.
101 « Je me suis d’abord orientée à l’antifascisme par dégoût du putsch fasciste [le 6 février 1934] et par amour de la liberté » écrit Marguerite Buffard dans sa « bio », RGASPI 495/270/2730, décembre 1937.
102 Extrait du rapport de Marcel Gitton à la Conférence nationale du PCF de 1936.
103 Sur ces 70 cas, 7 sont soumis au doute : le PCF était-il déjà interdit quand ces dirigeants furent appelés sous les drapeaux ou la mobilisation eut-elle lieu avant ?
104 RGASPI 517/1/1867, feuillet 100, Conférence de la région du Tarn du 7 novembre 1937.
105 Voir chapitre 6.
106 Selon le témoignage de son successeur, MIOCH Philomen, Les tribulations d’un ouvrier agricole, Nîmes, 1984, p. 127-128.
107 RGASPI 517/1/1864, feuillet 72, Lettre de Nicod au PCF, Besançon, le 2 juin 1937.
108 CODACCIONI Vanessa, « Contre l’avant-gardisme et l’opportunisme : l’(in)discipline partisane communiste dans le contexte de l’après-56 », in ALLAL Amin et BUÉ Nicolas (dir.), (In)disciplines partisanes. Comment les partis politiques tiennent leurs militants, Septentrion, 2016, p. 209.
109 WOLIKOW Serge, « Les statuts du PCF du PCF de 1926 », Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez, n° 29-30, 1979, p. 297-316 et SCOT Jean-Paul, « La révision des statuts du Front populaire et de la Libération », ibid, p. 325-337.
110 CASTAGNEZ Noëlline, « Discipline partisane et indisciplines parlementaires », « Socialistes au Parlement », Parlement[s]. Histoire et politique, n° 6, 2006, p. 42.
111 Voir chapitre 6.
112 RGASPI 517/1/1666, feuillet 140, Conclusion de la commission d’enquête sur la situation dans la région tourangelle.
113 RGASPI 517/1/1744, feuillet 244, Comité régional d’Indre-et-Loire, le 3 mars 1935 à Tours.
114 RGASPI 517/1/1746, feuillet 125, Compte rendu de la conférence de la région Maine-et-Loire, décembre 1935.
115 STRAUSS Léon, « L’Alsace-Lorraine » in RIOUX Jean-Pierre, PROST Antoine, AZÉMA Jean-Pierre (dir.), Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), PFNSP, 1987, p. 375.
116 MICHAUT Victor, WILLARD Claude, « Le combat des jeunesses. Une interview de Victor Michaut », Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez, n° 7, 1974, p. 133.
117 Probablement Paul Entzmann, secrétaire adjoint du syndicat des métaux CGT de Moselle.
118 Franz Dalhem (1892-1981) est alors responsable du secrétariat du Parti communiste allemand en France. Il avait assuré d’importantes fonctions à la tête des Brigades internationales. Son frère, Robert (18971978), travaille à l’Humanité d’Alsace-Lorraine et à l’ARAC.
119 Notice Maitron d’Eugène Anstett, par Étienne Kagan, Léon Strauss, Pierre Schill.
120 STRAUSS Léon, « L’Alsace-Lorraine », op. cit., p. 376.
121 RGASPI 517/1/1/1864, feuillet 25, Aperçu sur le Parti dans la région Dordogne, n-d, n-s.
122 RGASPI 517/1/1/1864, feuillet 30, Lettre de Guilleminault [au secrétariat du PC], Périgueux, 28 août 1937.
123 RGASPI 517/1/1/1864, feuillet 44, Lettre de Guilleminault, Périgueux, 5 novembre 1937.
124 RGASPI 517/1/1/1864, feuillet 62, Rapport sur la conférence régionale de la région sur la Dordogne, 20 novembre 1937.
125 RGASPI 517/1/1861, feuillet 13, Conférence des secrétaires régionaux du 30 octobre 1937.
126 RGASPI 517/1/1/1892, feuillet 16, Région de la Dordogne. Délégation du 31 janvier au 12 février 1938.
127 Voir sa notice Maitron, par Claude Pennetier.
128 GILLOT Jean-Jacques, op. cit., p. 139.
129 RGASPI 517/1/1816, feuillets 57 à 88, Lettres de Guilleminault.
130 RGASPI 517/1/1863, feuillet 230, Lettre de Gourget, Rochefort, 14 avril 1937.
131 Notice Maitron, par Yves Dauriac.
132 Voir notamment RGASPI 517/1/1816, feuillets 201 à 210, Rapport de Gourget sur une délégation en Charente-Inférieure du 19 août 1936 au 30 septembre 1936.
133 Voir sa notice Maitron, par Jean Maitron et Justinien Raymond.
134 RGASPI 517/1/1863, feuillet 129, Feuille volante, n-d, n-s, titrée « Remarques », portant sur la région des Savoies suite à sa conférence régionale (probablement janvier ou février 1937).
135 RGASPI 517/1/1815, feuillet 159, Rapport sur la conférence régionale des Deux-Savoies, 5 janvier 1936.
136 RGASPI 517/1/1867, feuillet 65, Notes sur la région des Savoies, conférence régionale du 5 septembre 1937.
137 BOULOUQUE Sylvain et LIAIGRE Frank, Les listes noires du PCF, Paris, Calmann-Lévy, 2008, p. 116.
138 Ibid., p. 113.
139 AN, Fonds de Moscou... 19940500/191, « Liste noire », feuillet 70.
140 Ibid, feuillet 30.
141 Notice Maitron, par Antoine Olivesi et Guy Benigni.
142 Voir chapitre 2.
143 CODACCIONI Vanessa, « Contre l’avant-gardisme... », op. cit., p. 210.
144 LECLERCQ Catherine, « “Raisons de sortir”. Les militants du Parti communiste français », in FILLIEULE Olivier (dir.), Le désengagement militant, Paris, Belin, 2005, p. 147.
145 DUVERGER Maurice, Les partis politiques, Paris, Seuil, 1981, p. 189 cité dans LAZAR Marc, « Le Parti et le don de soi », Vingtième siècle, revue d’histoire, Volume 60, 1998, p. 41.
146 Lire notamment PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La peur de l’autre : vigilance anti-trotskiste et travail sur soi » in STUDER Brigitte et HAUMANN Heiko (dir.), Sujets staliniens..., op. cit., p. 253-273.
147 Nous écrivons ici « Trotski » et « trotskisme ». On trouve cette orthographe comme « Trotsky » et « trotskysme » aussi bien dans la bibliographie que dans les sources.
148 BOULOUQUE et LIAIGRE, Les listes..., op. cit., p. 96.
149 Pour autant, et si le « trotskiste » est bien entendu l’ennemi principal d’un point de vue interne à l’organisation, il ne faudrait pas oublier les efforts de vigilance externe, surtout dirigés vers l’organisation des Croix-de-feu et de son succédané à partir de 1936, le PSF.
150 Pour une formation bolchevique, rapport présenté par Staline à l’Assemblée plénière du Comité central du PC de l’URSS, 3 mars 1937, cité dans PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La peur de l’autre... », op. cit., p. 254.
151 CHAMBARLHAC Vincent, « Le trotskysme au regard de l’autre », in Cahiers Léon Trotsky, n° 79, décembre 2002, p. 71-82.
152 Parti ouvrier d’unification marxiste, issu de la fusion de plusieurs groupes de la gauche communiste catalane, farouchement opposé à la stratégie de Front populaire. Assimilé au trotskisme par les communistes, quand bien même cette filiation ne fut jamais réclamée ni par le POUM, ni par Trotski lui-même.
153 Confédération nationale du travail. Syndicat anarcho-syndicaliste influent en Espagne, il est divisé sur les événements de Barcelone.
154 RGASPI 495/270/3976, autobiographie de Marcel Messeau, 3 août 1937. Il faut noter que le mot doctrine fut souligné par l’examinateur de la bio, comme s’il fallait nier au « criminel » toute possibilité de développer une action politique.
155 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La peur de l’autre... », op. cit., p. 260.
156 RGASPI 495/270/2734, autobiographie de Marcel Barbot, 2 août 1938. Les citations qui suivent en sont extraites.
157 Notice Maitron, par Jean Vigreux.
158 Voir annexe n° 1 : schéma autobiographique.
159 RGASPI 495/270/1605, autobiographie de Fernand Arnal, 28 avril 1934.
160 RGASPI 495/270/1365, autobiographie de Paul Billat.
161 JANIN Henri, « Le problème des cadres... », op. cit., p. 46.
162 RGASPI 495/270/, autobiographie de Charles Hubert, 1937 ou 1938.
163 RGASPI 495/10a/16, Bref rapport sur le travail des cadres et la provocation dans le PCF, n-d [fin 1937].
164 JANIN Henri, « La lutte contre la provocation trotskyste. Rapport à la conférence nationale », Cahiers du bolchevisme, février 1939, p. 209-215.
165 RGASPI 517/1/1894, feuillet 97, Comité régional de la Charente, 26 juin 1938.
166 Ibid.
167 En tenant compte des secrétaires limogés avant d’être exclus : Courtade, Soutan, Parigaux, Mioch, Geoffroy, Patetta, Meyer, Toulza, Faire, Lopin, Carré, Chirin, Roca, Lampe, Benielli.
168 RGASPI 495/270/1832, note au dossier biographique de Sylvan Péronnet, novembre 1934.
169 Sur les multiples histoires « sentimentales » qui agitent la région troyenne, lire BOULOUQUE Sylvain, L’affaire de l’Humanité..., op. cit.
170 RGASPI 495/270/3850, dossier biographique, Lettre du secrétariat à L. Carré, juin 1934.
171 Voir chapitre 5.
172 Mioch évoque dans son témoignage une « école de soldats », sans que l’on sache précisément de quoi il s’agit ni quel rôle il est censé y jouer.
173 MIOCH Philomen, Tribulations d’un ouvriers agricoles, Nîmes, 1984, p. 164.
174 RGASPI 545/6/1321, feuillet 16, Lettre de Philomen Mioch à André Marty, 5 mai 1938. Mioch continue à défendre ce point de vue dans ses mémoires, Tribulations..., op. cit., p. 163.
175 RGASPI 545/6/1321, feuillet 18, Lettre de André Marty à Philomen Mioch, 11 mai 1938.
176 RGASPI 545/6/1321, feuillet 20, procès-verbal de la réunion de la CCP du 20 mai 1938. Signé Henri Gourdeaux, Lucien Midol et Henri Janin.
177 SILL, Édouard, Du combattant volontaire international au soldat-militant transnational : le volontariat étranger antifasciste durant la guerre d’Espagne (1936-1938), thèse de doctorat, EPHE, 2019, p. 259-261.
178 MIOCH, op. cit., p. 165.
179 RGASPI 517/1/1860, feuillets 124 et 325 notamment.
180 RGASPI 517/1/1890, feuillet 204, Lettre de Élisée Gros, membre du CC de la fédération des Jeunesses, à Marcel Gitton. Béziers, le 12 février 1938.
181 RGASPI 517/1/1890, feuillets 221 à 223, Rapport sur la région Aude-Hérault. 24 mai 1938. Bureau régional du samedi 21 mai.
182 Bien des années plus tard, certain des camarades d’alors de Mioch maintiennent cependant qu’il fut envoyé en Espagne uniquement à titre disciplinaire, comme manœuvre visant à le débarquer de la direction régionale. Nous remercions Rose Blin-Mioch de nous avoir transmis un courrier d’Étienne Fabre, alors trésorier régional de l’Aude-Hérault, du 15 septembre 1975, qui traite de cette question.
183 MIOCH, op. cit., p. 170.
184 RGASPI 517/1/1860, feuillet 165, Conférence des secrétaires régionaux, Gentilly, le 27 avril 1937.
185 FAJON Étienne, Ma vie s’appelle liberté, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 74.
186 CALAS Raoul, Souvenirs d’un condamné à mort, Éditions sociales, 1976, p. 88.
187 COURBAN Alexandre, L’Humanité de Jean Jaurès à Marcel Cachin (1904-1939), Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2014, p. 196 et 205.
188 « Une disponibilité forte qui se transforme en un activisme débridé du fait de ce que Daniel Gaxie a appelé “l’effet surrégénérateur”, typique d’une institution totale » selon LAZAR Marc, « Le Parti et le don de soi », op. cit., p. 37.
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