Conclusion
p. 115-116
Texte intégral
1La première partie de ce travail a défini ce qu’était un secrétaire régional du PCF, à la fois dans son acception « théorique » et en étudiant le corpus des cent quatre-vingt-sept secrétaires régionaux en fonction entre 1934 et 1939. La nature même de la fonction de secrétaire régional, ses modalités de sélection et de contrôle, placent celui-ci à la charnière entre la base et le groupe dirigeant du PCF : véritable interface entre le centre et la base, il évolue entre ces deux pôles, non sans heurt ou contradiction.
2Nous avons tenté l’exercice délicat du portrait-type des secrétaires régionaux. La majorité d’entre eux sont donc des hommes, issus de la classe ouvrière ou ouvriers eux-mêmes, présentant un parcours scolaire « primaire » réussi. Leur itinéraire croise celui d’une organisation qui cherche à faire accéder aux responsabilités des individus issus des classes populaires. Ils incarnent cette spécificité française d’une rencontre réussie entre le parti communiste et de larges pans de la classe ouvrière1. D’une moyenne d’âge de 33 ans, ces militants sont dans leur majorité mariés ; leur conjoint est également membre ou sympathisant du parti. La question des permanents est importante. Un tiers des secrétaires régionaux furent des « appointés » par le PCF ou par une structure de la galaxie communiste. Groupe constitué à 70 % d’ouvriers, les secrétaires régionaux permanents révèlent pleinement les priorités de classe de la politique de recrutement du parti communiste. Loin de représenter une sinécure ou une place assurée, le statut de permanent est relativement précaire, et, s’il s’accompagne d’une gratification symbolique certaine, conduit à mener une vie très modeste, parfois faite de privations. Majoritairement, ils ne proviennent pas de familles politisées ; ainsi dépourvus de tout engagement précédent, ils se forment de manière autodidacte à la théorie « marxiste-léniniste ». C’est un trait majeur de ce militantisme des cadres intermédiaires qui sans cesse approfondissent leur capital politique, bien qu’il existe des différences notables dans la pratique de la lecture. Ce portrait masque cependant des sous-groupes importants du corpus. Bien que minoritaires, un grand nombre de dirigeants locaux de la seconde moitié des années trente passent par des étapes significatives de l’engagement communiste : écoles de formation, locales et nationales comme internationale (ÉLI), expérience de la répression, celle-ci pouvant les conduire à l’emprisonnement. Ces étapes ont renforcé leurs convictions et leurs attachements à la structure partisane, les ont amenés à accepter et intérioriser les normes mises en place et valorisées par leurs directions, de Paris à Moscou. De même, parmi ceux qui connurent des engagements pré-communistes, notre étude montre une forte proportion de membres de la SFIO, mais aussi de militants influencés par l’anarchisme et le syndicalisme-révolutionnaire : c’est la matrice de la SFIC qui était perceptible au Congrès de Tours. Deux catégories que l’on retrouve également, aux côtés des sympathisants communistes, lorsque l’on se penche sur les 40 % de membres du corpus qui proviennent d’une famille politisée à des degrés divers. Mais ce que montrent aussi les renseignements recueillis, ce sont les mélanges, les hybridations entre différentes cultures politiques. Il n’existe pas de frontière étanche entre des catégories qu’il fut cependant nécessaire d’établir pour se repérer. La Première Guerre mondiale constitue un événement fondateur pour bon nombre de membres du corpus. Anciens combattants, blessés, victimes civiles, enfants de tués ou de mutilés, ils portent dans leurs parcours le poids de ce conflit titanesque et dont une part forme cette « jeunesse ardente “née de la guerre”2 » si importante dans les premiers pas du jeune PCF. Il faut alors considérer les logiques cumulatives à l’œuvre. Près de neuf membres du corpus sur dix, parmi ceux dont nous connaissons avec précisions la date d’adhésion au parti, rejoignent le PC ou la JC avant leur tournant de 1934-1935. La majorité a donc connu le volontarisme de la bolchevisation, l’isolement du « classe contre classe », et accède aux responsabilités dans une période qui ne présente que peu de points communs avec les précédentes.
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