Chapitre 1. Qu’est-ce qu’un secrétaire régional ?
Présentation générale et étude du corpus
p. 27-66
Texte intégral
Les régions, territoire de la responsabilité
1Il s’agit dans un premier temps d’aborder le territoire sur lequel s’exerce la responsabilité de la fonction politique de secrétaire régional. Des élans volontaristes de la bolchevisation à la « nationalisation » des années du Front populaire, c’est une géographie politique bien particulière qui évolue ainsi sous le regard du chercheur. Au mi-temps des années 1920 en effet, le PCF adopte un nouveau découpage de son organisation territoriale. Les « régions1 » naissent alors. Loin de constituer des entités figées, elles connaissent tout au long des années suivantes de multiples évolutions. Un peu oubliées2, il faut revenir sur l’historique de ces découpages, comprendre d’où ils viennent et ce qu’ils nous disent de l’organisation. À travers l’exemple de la région s’ouvre ainsi une réflexion sur les rapports entre les communistes et le territoire.
Les régions, un héritage de la bolchevisation
2L’organisation du PCF en régions remonte à la phase de « bolchevisation3 ». Cette séquence importante de l’histoire du PCF, impulsée par le Ve congrès de l’Internationale communiste de juillet 1924 et recouvrant des affrontements internes aux communistes soviétiques pour la succession de Lénine, tend à homogénéiser idéologiquement et à ouvriériser les partis communistes, à les faire rompre avec leur héritage social-démocrate, à les structurer en partis de type bolchevique alors qu’est acté le reflux de la vague révolutionnaire européenne amorcée en 1917. Cette transformation doit passer par un bouleversement complet des structures. Le redécoupage territorial marque une rupture politique et symbolique avec la structure territoriale « bourgeoise », mais aussi, donc, avec l’organisation socialiste scindée à Tours. Jusqu’en 1924 en effet, le jeune parti communiste est organisé, à l’instar de la SFIO, en fédérations regroupant toutes les sections d’un département. Dès lors, « l’ambition était de substituer au champ des luttes électorales propre au régime bourgeois, le champ de bataille de la lutte des classes4 ». Les quatre-vingt-dix fédérations communistes furent donc regroupées en vingt-sept régions, dont deux dans les colonies nord-africaines. Ce bouleversement de la structure partisane ne se fit pas sans heurts, conflits et négociations :
Le dessin de ces régions donna lieu à d’âpres marchandages entre le Centre et les militants locaux. Ceux-ci, en effet, arguaient des impératifs commerciaux de la presse régionale communiste, de la disposition des moyens de communications, des affinités traditionnelles entre pays de même vocation agricole pour obtenir un découpage qui respectait au maximum les habitudes locales. Au contraire, le Centre avait mission de prendre pour seul critère la présence de zones industrielles et de concevoir des régions dont le cœur serait constitué par des villes usinières auxquelles serait accolée une zone agricole5.
3L’organisation de base du parti doit désormais être la cellule, non plus la section communale, et tout particulièrement la cellule d’entreprise – innovation majeure dans la vie politique française qu’introduit alors le PC : c’est au plus près du lieu de l’exploitation que le centre de la vie partisane doit s’établir. La base locale, puisqu’elle « dissimule les différences de classe6 », doit s’effacer au profit de la cellule d’usine. Les cellules d’un territoire donné sont regroupées en un rayon, qui, lui, se calque sur les circonscriptions administratives. Il y a donc des rayons de villes ou villages, des rayons équivalent à un canton, à un arrondissement, parfois à un département7 Le rayon peut être doublé d’un sous-rayon en cas d’effectifs importants. L’ensemble des rayons forment à son tour une région. Cette structure est d’ailleurs toute théorique. En certains endroits, les rayons n’existent pas, et les cellules sont directement rattachées au bureau régional. C’est le cas par exemple de la petite région du Maine-et-Loire, qui, après son détachement de la région tourangelle, ne compte à l’été 1935 que 54 adhérents et aucun rayon8.
4Mais en supprimant le cadre fédéral, les communistes se retrouvent aux prises avec des territoires dont l’ampleur spatiale est très grande et les difficultés s’accumulent. Jean-Paul Molinari se plaît ainsi à souligner l’incroyable étendue de la région « limousine » du PCF, tout en soulignant une certaine cohérence propre à l’analyse politique sur le temps long :
La région limousine c’est alors pour le PCF la Charente-Inférieure, la Charente, la Haute-Vienne, la Creuse, la Corrèze, le Lot et la Dordogne. Il faut bien donner un nom à ce vaste conglomérat. Mais la bureaucratie ne fait pas trop mal les choses : une majorité d’électeurs de ces départements (sauf les deux Charente) votent « montagnard » en 1849, et, à peu près en tous, à l’extrême-gauche en 1885, 1893, 19149.
5Un mot enfin sur la dénomination de ces régions. Chacune des vingt-sept régions initiales se dote d’un nom tiré soit du département principal (région Nord), soit de l’ancienne province à laquelle elle correspond (région Quercy), soit de sa situation géographique (région Centre, Alpes, etc.). Les réorganisations successives vont bien entendu faire évoluer cette toponymie dans le sens d’une « départementalisation », à quelques exceptions près. Ainsi la région des Pyrénées-Orientales se voit renommer en 1938 « région catalane ». Mais il faut lire cela à la lumière des événements d’Espagne, et de la mobilisation du sentiment catalan dans le cadre de l’aide à apporter aux républicains10, ainsi que de la redécouverte des enjeux locaux et du folklore11 Comme un retour à la matrice de la Révolution française, cette « départementalisation » des structures est en adéquation totale avec le discours communiste de Front populaire, mais aussi dans une moindre mesure un retour vers l’une des matrices du PC : la SFIO…
Les réorganisations successives : décentraliser le parti
6Au cours de notre étude, la structure fondamentale issue de la bolchevisation se maintient. En revanche, le nombre de régions évolue. Depuis la fin 1932, on constate en effet une démultiplication des régions qui tendent à se restructurer selon le découpage départemental12 À partir d’octobre 1932, une première vague décentralisatrice avait modifié les découpages de la bolchevisation13 De vingt-cinq les régions métropolitaines passaient ainsi à vingt-sept. Quatre autres régions apparaissent en 1933. Ces réorganisations donnent lieu à une note de police du 19 décembre 1935 faisant le point sur les récents redécoupages de l’organisation du parti, qui précise que « Le principe de la décentralisation a été appliqué dans une très large mesure. Le but recherché est “d’alléger les appareils de direction”, de faciliter leur travail et de rendre la propagande plus efficace14 » La décentralisation des régions correspond effectivement – dans une large mesure – à la nécessité d’administrer plus efficacement des territoires très (trop) vastes. Cette dynamique décentralisatrice va connaître une nouvelle vigueur à partir de 1934, puisque dix-neuf régions vont être constituées cette année-là15, et ne va plus s’arrêter jusqu’en septembre 1939. En plus de l’aspect « géographique », avec l’élan du Front populaire les adhésions au parti se multiplient. Comme vu plus haut et ainsi que l’a bien résumé Serge Wolikow :
La décentralisation des structures du parti n’a pas suivi le gonflement de ses effectifs mais l’a précédé puis accompagné. Amorcée en 1934, elle s’est affirmée en 1935 et confirmée après 1936. […] Si le terme de région est maintenu, le territoire de ces régions correspondait de fait à celui des départements. […] En fait cette décentralisation visait à adapter l’organisation du parti aux réalités administratives et politiques locales (départements, villes) et à enraciner leurs responsables dans le milieu local. Cet enracinement dans la plupart des régions a été au moins facilité par cette mesure qui réduisait les dimensions des organisations16.
7Désormais « le local retrouve sa place17 ». Il retrouve d’autant plus sa place que les consignes du centre, qui prévoient des régions de deux à trois départements, sont assez vite débordées par les militants locaux qui se regroupent en régions composées bien plus souvent d’un ou deux départements18 Comme si l’opportunité offerte par la décentralisation était l’occasion donnée aux directions locales d’enfin tenter de résoudre toute une série de difficultés. Les dirigeants nationaux reconnaissent alors qu’ils ont « dû mettre au second plan les considérations économiques et agir selon les nécessités politiques, c’est-à-dire en vue d’assurer une direction aux nouvelles régions19 ».
8Nous proposons ci-dessous notre propre décompte, qui rappelons-le, ne tient pas compte de la région algérienne20 :
Évolution du nombre de régions du PCF.
Fin d'année | Nombre de régions |
1934 | 47 |
1935 | 59 |
1936 | 63 |
1937 | 69 |
1938 | 70 |
1939 | 72 |
Tableau DM.
9Là aussi, ce processus de décentralisation ne se fait pas sans heurts ni résistances. Suite à la création de la région Allier-Auvergne, qui résulte d’un éclatement de la vaste région Centre, le rayon de Moulins (Allier) publie une résolution très critique de cette décision21 N’hésitant pas à s’en prendre à l’envoyé du comité central, les militants de Montluçon dénoncent les arguments « d’une faiblesse inconcevable » qui présidèrent à la création de cette région, se plaignent de la séparation d’avec le département du Cher, des difficultés de déplacement qui persistent, de la méfiance à l’égard de la population paysanne ou encore du choix de Moulins comme siège de la région plutôt que Montluçon ou Clermont-Ferrand, les « deux villes prolétariennes » de la nouvelle région. Parfois, l’opposition à la décentralisation recoupe pour partie une opposition à la nouvelle ligne politique. Ainsi, à propos de la décentralisation de la région auvergnate du parti, qui prévoit à l’été 1935 la séparation de l’Allier et du Puy-de-Dôme, un secrétaire de rayon exprime son désaccord « non seulement avec la politique du Front populaire, mais aussi avec notre politique d’organisation de la décentralisation qu’il caractérise de retour au fédéralisme social-démocrate22 ». Cette crainte d’un retour au passé lié à la SFIO, à l’abandon de la radicalité révolutionnaire, qui se matérialiserait par un retour à l’organisation fédérale, trouve aux yeux de ce militant un écho dans les profonds changements à l’œuvre depuis un an dans le parti. Mais elle est également liée à des impératifs très locaux et non dénués d’arrière-pensées tactiques, comme le montre la suite du rapport :
Il montra que les conditions économiques, la composition sociale, qui d’après lui rendaient inséparables Gannat dans l’Allier et Riom dans le Puy-de-Dôme, sauf toutefois une petite partie qui pourrait renter [sic] à l’Allier. Je me suis renseigné sur cette partie auprès de Guyot [secrétaire régional] qui m’a expliqué que c’était parce que là étaient des cellules qui étaient en désaccord avec la politique défendue par Gire.
10Ici, critique de la stratégie de Front populaire et critique de la réorganisation territoriale se recoupent. De plus, c’est tout un écosystème local qui se retrouve perturbé par les plans de décentralisation. Tels liens créés entre des militants, telles proximités partisanes ou affectives construites au fil des années se retrouvent ainsi potentiellement chamboulés par l’autonomisation d’un département ou d’un groupe de départements par rapport à un autre. Ce qui nous rappelle que l’implantation du communisme « n’épouse jamais les contours officiels d’une unité territoriale et débordent les géographies administratives pour épouser la cartographie moins régulière, ici des zones de compétence, là des aires de résistance23 ». Par ailleurs, ces oppositions trouvent également à s’exprimer lors du retour à l’appellation « section », exprimant l’inquiétude d’un retour en arrière, d’un effacement de la spécificité « bolchevique ». Ainsi, le comité régional du Cantal se prononce contre le retour à l’appellation d’origine, « afin qu’il n’y ait pas de confusion avec les sections SFIO24 » et le secrétaire régional du Maine-et-Loire « ne comprend pas25 » un tel changement.
La fonction de secrétaire régional
Rôle et sélection des secrétaires régionaux
11Les statuts du parti ne sont guère diserts sur la fonction de secrétaire régional. Le terme même n’apparaît qu’une fois, à l’article 19 des statuts de 1937, sans que ses attributs ne soient d’ailleurs suffisamment précisés :
Pour diriger le travail courant, le Comité régional élit un bureau. Le Comité régional nomme aussi le Secrétaire régional, qui doit appartenir au Parti depuis 3 ans au moins. Des exceptions peuvent être admises avec le consentement du Comité Central. Le Comité régional doit délibérer, avant l’élection, avec le Comité Central, de la candidature du Secrétaire26.
12La modification des statuts de 1937 n’avait apporté, sur le plan de l’organisation des directions régionales, quasiment aucun changement à ceux établis au congrès de Lille de 1926. C’est le comité régional qui porte la responsabilité théorique du travail du parti dans la région. Issu de la conférence régionale, c’est lui qui doit appliquer les décisions du comité central et de la conférence régionale, lui qui doit nommer la direction du journal local, la trésorerie régionale, etc. Or, dans les faits, il apparaît bien vite que c’est le secrétaire régional qui assume la plus grosse part de responsabilités et qui « dirige le travail du Parti dans la région ». Un document de la région sud-est (Alpes-Maritimes et BassesAlpes) qui détaille le fonctionnement d’une région27, est intéressant à plus d’un titre. D’abord parce qu’il donne un aperçu du fonctionnement réel d’une direction régionale, ensuite parce que rédigé en 1935, il soulève les problèmes auxquels peuvent se heurter les cadres locaux face au développement du parti et à sa crise de croissance en termes d’effectifs28 Dans ce document, destiné au centre, qui tente d’établir les principaux points faibles dans le fonctionnement de la région et les efforts faits pour les corriger, il est précisé que le comité régional n’assurait pas le rôle dirigeant dans la région, ce rôle étant assumé par le bureau régional. Celui-ci donnait ses directives au comité, qui se contentait de les ventiler dans les rayons. « Sans avoir réussi à transformer complètement cette situation, nous avons progressé. » Une progression qui se vérifierait par la convocation du comité régional lorsqu’il y a débat au sein du bureau. Et l’auteur du rapport (selon toute vraisemblance Virgile Barel, secrétaire régional) de donner en exemple une convocation du comité qui donna raison… au secrétaire régional. Il est indiqué que le secrétariat régional se répartit entre un secrétaire politique (la catégorie qui nous intéresse plus particulièrement ici), un secrétaire administratif et un secrétaire à l’organisation. « Ces 3 camarades se rencontrent presque tous les jours » quand le bureau se réunit une fois par semaine. Ce fonctionnement rappelle dans une certaine mesure celui des organes dirigeants nationaux, avec le comité central en lieu et place du comité régional, le bureau politique et le bureau régional, enfin les secrétariats, nationaux et régionaux, comme si l’on reproduisait à l’échelle locale le mode de fonctionnement de la direction nationale du parti.
13Bien entendu selon la région, la situation n’est pas exactement identique, comité et bureau régionaux peuvent se confondre29, et les fréquences de leurs réunions largement différer du rythme présenté par la région sud-est. S’il est difficile d’établir un schéma précis du fonctionnement réel des régions communistes et particulièrement de leur direction, c’est aussi parce qu’à l’époque les militants euxmêmes naviguent parfois à vue. Particulièrement révélateur est ce cri de détresse lancé par Marcel Barbot, dirigeant de la Nièvre : « Il y a un peu plus d’un an que nous existons en tant que région, personne ne nous a dit d’une façon détaillée ce qu’est un comité régional, un bureau régional, comment ils doivent fonctionner, etc.30 » Les statuts de l’organisation représentent donc davantage un but à atteindre – ou une image à donner – qu’un véritable cadre explicitant l’action. Et ce, y compris au niveau de la sélection du secrétaire. Comme vu plus haut, les seuls attributs accordés au secrétaire d’une région du PCF dans les statuts du parti sont relatifs à sa sélection. Il est précisé que le secrétaire régional est choisi par le comité régional – lui-même issu d’une conférence régionale – en accord avec le comité central du parti. Le choix doit se porter sur un militant dont l’adhésion au parti remonte à plus de trois ans. Dans les faits, ce mode de désignation est soumis à bien des aléas. Il serait bien entendu naïf d’imaginer des dirigeants locaux issus de la simple volonté démocratique des adhérents rassemblés dans les cellules envoyant leurs délégués en conférence régionale. Pour ce qui concerne les comités régionaux, ceux-ci sont passés au crible de la vérification par la commission des cadres lors de grandes enquêtes menées tout au long de notre période : recension des effectifs, composition sociale des comités régionaux, données socio-démographiques sur le territoire, accumulation des questionnaires biographiques… Maurice Tréand, responsable de la commission des cadres, amène avec lui une partie des données amassées lors de ces enquêtes lors de réguliers voyages en Union soviétique et les retravaille avec ces homologues kominterniens31 Mais le poste précis du secrétaire régional reste entouré d’un certain flou, que ce soit sur ses attributions ou sur son mode de sélection et de désignation. Maurice Thorez dans Fils du peuple ne se montre guère disert sur son parcours de dirigeant local, en tant que secrétaire de la fédération du Pas-de-Calais puis de la région du Nord. Son propos reste très évasif sur le processus de désignation : « je fus appelé à la direction de la fédération du Pas-de-Calais » en 1923, puis « en octobre 1924, je deviens secrétaire de la région du Nord32 ». Peut-on pour autant considérer que « c’est le Comité central du parti qui désigne le responsable régional33 » ? L’étude du fonctionnement réel du parti, fondé sur un dépouillement minutieux des archives, permet d’éviter de devoir choisir entre ces deux postulats : un respect strict des statuts ou une mainmise absolue du centre. Il est des régions où la direction nationale du parti (le Secrétariat) désigne, voire impose, le dirigeant. Il en est d’autres, plus rares, où celui-ci est désigné hors de toute consultation du centre et parfois contre l’avis de celui-ci. C’est le cas en au moins trois occasions34 Entre ces deux situations, il y a par exemple celle décrite par Pierre Parigaux, secrétaire de la région de l’Aube « depuis janvier 1936, chargé de ce travail par la Conférence du 12 janvier 1936 après avis favorable du Comité Central représenté par le c [amara]de Lepreux instructeur du CC35 ». Même sans parvenir à chiffrer précisément, on peut sans trop de risque de se tromper émettre l’hypothèse que ce cas de figure est la norme durant la période étudiée. Il faudrait se garder d’ailleurs d’imaginer un centre entièrement homogène. Les archives laissent apparaître de réelles divergences d’approches entre les membres du cercle dirigeant du parti. Un rapport de la fin de l’année 1934 permet de nous en rendre compte36 Ce document fut rédigé par André Marty, membre du secrétariat du PCF, à l’issue d’une délégation dans les régions Gard, Aude-Hérault, Pyrénées-Orientales et toulousaine. Le but de ce séjour de dix jours était d’étudier le soutien de ces régions à la « révolution espagnole », ces insurrections ouvrières secouant alors particulièrement la Catalogne et les Asturies. Une partie de ce rapport nous intéresse tout particulièrement, celle consacrée aux cadres régionaux. Si André Marty est connu pour développer un regard particulièrement sourcilleux sur les difficultés rencontrées par le parti, son propos est cependant révélateur des enjeux présents autour de la sélection des cadres locaux. Marty commence par dénoncer « une gymnastique et la valse des secrétaires régionaux » (f. 34) que subit l’ex-région Languedoc désormais décentralisée en trois régions. Marty déclare ne pas connaître les représentants du comité central ayant procédé à la décentralisation en des termes bien choisis – « j’ignore quel est le stratège qui a opéré cette décentralisation » (f. 34) – et s’attache à critiquer le choix des secrétaires : Edmond Roca pour l’Aude-Hérault, Pierre Terrat pour les PyrénéesOrientales. Les qualités des militants nommés ne sont pas remises en cause, c’est davantage l’aspect pratique qui suscite la colère d’André Marty. Roca habite loin du centre régional, Terrat ne parle pas catalan et n’habite pas Perpignan, mais Marseillan. Il faut cependant ajouter une autre dimension, qui apparaît en creux ici : la référence à des cadres ouvriers qui auraient été mieux placés à ce poste, au détriment de cadres paysans – Terrat et Roca sont tous deux ouvriers agricoles et on connaît le peu d’appétence pour ce milieu chez Marty37 Mais Marty s’en prend aussi à Étienne Fajon (f. 34 et 36), ancien secrétaire du Languedoc et membre du comité central, désormais à la tête de la région Gard-Lozère, associé à ces choix selon lui peu judicieux, et jugé responsable de la mise à l’écart des « préférés » de Marty. Ce dernier, après avoir énuméré les dysfonctionnements dans ces territoires, propose que désormais (f. 36) :
1°) le Bureau politique soit seul qualifié pour donner son avis et au besoin mettre opposition à la constitution des comités régionaux des 5 plus 5 régions essentielles du Parti. 2°) Que seul le BP puisse accepter ou repousser les nominations de nouveaux secrétaires régionaux (quoique travaillant au Secrétariat du Parti je n’ai jamais eu connaissances de ces changements de secrétaires régionaux).
14Pour Marty, hors de question de laisser à la seule responsabilité du comité central la responsabilité du choix (ou de la validation du choix) d’un nouveau secrétaire régional. De même pour les comités régionaux dans les régions importantes. Doiton y voir une opposition entre lui et Marcel Gitton, ce dernier, responsable à l’organisation, ayant en réalité la haute main sur la sélection des cadres ?
15Il n’existe pas dans les sources de grille d’évaluation du « bon » secrétaire régional38 Les mécanismes de sélection des secrétaires régionaux restent difficiles à établir de manière systématique et nécessitent de se pencher sur chaque cas pour en déduire un certain nombre de critères construisant un idéal-type du dirigeant régional. En effet, l’entre-deux-guerres est encore une période où la politique des cadres du PCF passait avant tout par une observation qualitative et individualisée, l’exercice biographique en étant l’un des exemples les plus significatifs. Si les mécanismes de gestion du personnel militant se développent, se systématisent et se perfectionnent tout au long des années 1930, le travail de la commission des cadres ne constitue qu’une « préhistoire » de celui de la Section de montées des cadres (SMC) des années 1960 ou 1970, disposant d’outils statistiques et sociologiques beaucoup plus élaborés39 La politique des cadres ne produit donc pas à ce moment-là de documents nous permettant de définir précisément et explicitement ce que doit être un secrétaire régional idéal (et donc comment le sélectionner). Ce portrait est dressé à travers mille et une indications de rapports internes, de notes d’autobiographies, d’articles, brochures ou ouvrages. C’est bien l’un des buts de cette enquête au long cours d’apporter des réponses à ces interrogations. Si le poids du centre fut évoqué plus haut, par quels mécanismes se met-il en place ?
L’œil du centre : délégués et instructeurs du comité central
16Le contrôle du centre sur l’activité des régions s’établit par plusieurs mécanismes qui tendent à faire connaître toujours le plus précisément possible cette activité locale à la direction nationale. Quelle est ici la place des directions régionales ? Dans des directives adressées en 1934 « à toutes les organisations du parti », la direction du PCF insiste sur l’impératif de « faire connaître au Centre les résultats40 » de l’action quotidienne des militants. Rien de plus normal à ce qu’une direction parisienne souhaite connaître le mieux possible son activité en province. Les bureaux régionaux sont incités à faire remonter les informations au centre, mais aussi les comités de rayons et les cellules d’entreprises, au risque donc de court-circuiter la direction régionale. Celle-ci est ainsi dépossédée d’un potentiel monopole de l’information, au risque de multiplier les doublons et d’accumuler dans les fichiers nationaux une quantité considérable d’informations à traiter. Cette montée du « bas » vers le « haut » des informations se double d’un contrôle du centre vers les périphéries, incarné par des envoyés, représentants du centre dans les régions, rayons et cellules. Un nombre considérable d’archives nous permettant de suivre la vie du parti à l’échelle locale provient des rapports, courriers, échanges des délégués/instructeurs du comité central à la direction nationale du parti. C’est donc un regard bien particulier qui nous est offert : celui de représentants du centre, chargés d’observer, de contrôler, et au besoin d’agir sur la bonne marche des régions. Ces délégués du centre se déplacent habituellement dans une région du parti lors des réunions des instances dirigeantes (et tout particulièrement du comité régional et de la conférence régionale, puisque ces dernières permettent d’avoir un regard théoriquement plus exhaustif sur la marche de la région), et lors de tournées. Ces dernières peuvent coupler à la fois la propagande en faveur du parti et l’inspection de la région et de son fonctionnement. Bien entendu, des circonstances exceptionnelles peuvent motiver l’envoi d’un représentant de la direction : difficultés particulières, troubles dans le parti, etc. Le comité central, au début de l’année 1934, précise ainsi qu’« aucun comité régional ne devrait se tenir sans la participation d’un membre du comité central, cela constitue une garantie pour l’orientation et les conclusions politiques et d’organisation du Comité régional41 ». Et d’ajouter « sauf impossibilité ou nécessité, le camarade assurant la délégation au comité régional, serait également délégué à la Conférence régionale ». Prenant l’exemple du Lot, Max Lagarrigue avait constaté que « l’élément qui autorise le plus souvent l’envoi pendant une durée au moins égale à 15 jours d’un instructeur, est la peur réelle ou imaginaire d’un “déviationnisme”42 ». Le constat d’une telle situation par le centre permet en effet l’envoi d’un délégué particulier : l’instructeur. N’agissant pas toujours pour faire face à une dissidence réelle ou supposée, son rôle est d’assurer une présence permanente de plusieurs jours ou plusieurs mois afin de régler certaines difficultés auxquelles la région ne peut faire face seule. Mais l’envoi d’un instructeur peut également être mis en œuvre sur demande des régions ellesmêmes. « Venez-vite », implore ainsi Émile Roche, éphémère dirigeant de la région des Savoies, après avoir, dans un courrier au comité central, énuméré les nombreuses difficultés auxquelles il se heurte dans l’exercice de ses fonctions43 Car la venue d’un représentant du centre ne doit pas être lue à travers la seule grille du contrôle et de la vigilance. Elle permet également aux acteurs locaux de se réclamer de l’appui du centre, ou du moins de son arbitrage, dans leurs propres conflits. Il faut penser le rôle de l’instructeur par les usages différents que peuvent en faire le « bas » et le « haut » de l’organisation. De plus, on aurait tort de penser la figure de l’instructeur uniquement sous l’angle du parachuté autoritaire. Il arrive que son départ soit vivement regretté par les militants, à l’image d’Auguste Havez qui quitte après sa mission les Côtes-du-Nord (actuelles Côtes d’Armor). Les délégués de la conférence régionale bretonne, leur secrétaire en tête, souhaitent le conserver dans leur région44 Reste que dans le vocabulaire communiste d’alors, l’instructeur a pour rôle le « redressement » des régions, c’est-à-dire le déploiement des mesures à mettre en œuvre pour « corriger » la marche de la région après les analyses faites par de précédents délégués. Pour les militants passés par l’École léniniste internationale, l’« université » de la formation communiste, une formation spécifique était d’ailleurs dédiée aux élèves voués à devenir instructeurs45 Évoquant les précautions à prendre quant à la lecture des archives produites par ce corps si singulier de militants, Max Lagarrigue écrivait :
De même que les rapports préfectoraux, on remarque que les rapports d’un délégué et d’un instructeur sont sensiblement différents. Si ce dernier cherche inévitablement à valoriser son action de formateur en montrant dans ses nombreux courriers que la situation de la « région » s’améliore de jour en jour grâce à son action, le délégué du Comité central, espérant une promotion ou sachant qu’il va être lu par ses pairs soviétiques, ne favorise-t-il pas, par excès de zèle, l’émergence d’opposants plus imaginaires qu’actifs46 ?
17Il est certain qu’une surestimation des difficultés peut-être présente. Mais il ne faut pas oublier que l’activité d’un instructeur est elle-même soumise au regard des délégués. Par conséquent, il n’est pas non plus dans l’intérêt de l’instructeur de surestimer son travail. Certes, le ton est sévère, le vocabulaire employé à l’égard des secrétaires régionaux souvent très dur. Mais lorsque l’on se penche sur le détail des parcours, l’on s’aperçoit que cette tonalité n’est absolument pas synonyme de futures sanctions ni même d’un regard dépréciatif de la direction nationale sur le militant.
18Il existe également des secrétaires régionaux qui, membres du comité central ou non, deviennent à leur tour des délégués du centre. Ils sont donc amenés, en plus de leurs responsabilités locales, à parcourir le pays pour suivre les travaux de leurs camarades. Nous avons pu identifier à partir du sous-fonds 517/1 des archives du RGASPI quatre-vingt-quinze envoyés du comité central et/ou rédacteurs de rapport sur les régions adressés au centre47 Parmi eux, vingt-neuf sont membres de notre corpus. Cela ne signifie pas que tous exercent des fonctions d’envoyés du centre en même temps que celles de secrétaire régional. Cette situation de cumul est celle de douze d’entre eux (dont un adjoint, V. Barel). D’autres jouent le rôle d’envoyés du centre après leur mandat de secrétaire régional. C’est le cas pour dix d’entre eux.
19L’exploration des archives communistes donne une idée du rythme et de la nature des déplacements des envoyés du centre48 Jean Guilleminault par exemple, a la responsabilité de suivre des régions fort différentes les unes des autres, parfois très éloignées géographiquement. Son militantisme l’invite à parcourir la France en tous sens (de l’Atlantique à la Savoie, des Pyrénées à la Manche). Ce choix d’envoyer un même individu dans des régions diverses, s’il comporte le potentiel inconvénient d’un suivi moindre, permet d’éviter que ne se constituent entre le délégué et les militants locaux des liens, des affinités, qui pourraient brouiller le regard et perturber la vigilance du représentant du centre. Inversement, cela permet aussi d’avoir un même et seul regard sur des territoires et des cadres différents. Ces situations gênent parfois le travail des envoyés. Bossus, envoyé dans les Charentes, se plaint ainsi que « c’est le troisième Comité Régional où assiste un délégué du Comité Central – Les camarades Loche, Cadras, Bossus ont été délégués. Il serait souhaitable d’envisager un camarade ayant déjà eu l’occasion de descendre sur place49 ». Néanmoins, les logiques de contrôle poussent à ce que Guilleminault soit le référent pour la situation dans le Jura, à l’heure où le secrétaire régional doit être écarté50 Guilleminault, sur lequel nous avons peu d’information, devient également secrétaire régional de la Dordogne en 1937. Y a-t-il une forme d’acculturation à la fonction de secrétaire régional en inspectant les régions ? Il y a en effet des instructeurs qui, dans le prolongement de leur mission, deviennent secrétaires régionaux : c’est le cas pour la période étudiée de François Billoux, Arthur Ramette, Jean Guilleminault, Henri Chassaing, Philomen Mioch, Sylvan Péronnet, Gabriel Roucaute et Paul Maertens51, soit à peine 4 % des membres de notre corpus. Ce mandat n’a d’ailleurs pas vocation à s’éterniser, l’instructeur devant faire émerger parmi les cadres locaux des dirigeants aptes à conduire la région. Charles Nédélec le rappelle :
Dans des régions importantes mais faibles en cadres et en effectifs, le CC s’est vu parfois dans l’obligation d’envoyer des instructeurs qui devenaient par la suite des dirigeants régionaux élus en congrès. Cette méthode a donné en général de bons résultats, mais le Parti s’efforce surtout de trouver les cadres sur place52
20Or certains d’entre eux, à commencer bien entendu par François Billoux, restent à leur poste et leur nom devient indissociable du développement local du parti.
21Après avoir présenté la nature de la fonction de secrétaire régional et son contrôle par le centre il s’agit de présenter notre corpus. Qui sont donc les secrétaires régionaux en poste au temps du Front populaire ?
Présentation du corpus : quelques caractéristiques des secrétaires régionaux
22Il s’agit ici de présenter les données issues de notre travail prosopographique, concernant la scolarité, l’âge, la situation matrimoniale et la profession des militants. Cette dernière dimension questionne également la problématique des permanents.
La scolarité
23Ce premier tableau a été construit à partir de la classification que Bernard Pudal avait proposée pour les membres du comité central de 193653 Il permet de constater la présence ultra-majoritaire des « primaires » dans notre corpus. La première colonne rassemble les élèves de l’enseignement primaire qui n’ont pas dépassé ce stade de la scolarité. Elle rassemble donc les titulaires comme les non-titulaires du Certificat d’Études Primaires Élémentaires (CEPE ou CEP comme nous l’appellerons désormais ici), et sans distinction de la durée du parcours au sein de l’enseignement primaire. De plus, les membres du corpus sur lesquels nous n’avions pas de précisions quant au parcours scolaire ont été intégrés à cette colonne. Il est donc possible que les résultats soient surestimés par rapport à la réalité. La seconde colonne inclut les Écoles primaires supérieures, Écoles normales et la formation professionnelle. Enfin, l’enseignement supérieur recouvre la fréquentation du lycée, des universités ou des grandes écoles. Aussi, nous proposons en complément ce second tableau, plus détaillé et qui rend mieux compte de la diversité des situations :
24L’ensemble des militants de notre corpus vivent leur scolarité postérieurement aux lois Ferry. Le militant le plus âgé, Joseph Hentgès, a 6 ans quand Jules Ferry lance ses réformes. Le plus jeune, Roger Pédurand, entame sa scolarité primaire élémentaire en 1919. Depuis les lois Ferry, l’école primaire élémentaire est gratuite, laïque et obligatoire de 6 à 13 ans54 Mais dans les faits cette obligation (loi du 16 juin 1881) reste très relative. Les enfants n’entrent pas toujours à l’école à 6 ou 7 ans et la quittent souvent à 12 ans, ce qui est l’âge le plus fréquemment indiqué pour les membres de notre corpus. Il n’y a guère qu’entre 8 et 10 ans que les enfants vont presque tous à l’école. Il faut attendre l’institution des allocations familiales en 1932, et surtout en 1939, pour avoir les moyens de faire respecter l’obligation scolaire55.
25Les observateurs attestent la fréquence des scolarités inachevées56 : les enfants de familles modestes ne peuvent renoncer au salaire d’appoint qu’apportent les enfants. Les exemples abondent de scolarité contrariée. Il y a ceux qui quittent l’école très vite, comme Martha Desrumeaux, qui la fréquente à peine ou Auguste Gillot qui se souvient pourtant de son admiration d’enfant devant l’histoire de France à l’école. Dès qu’il le peut, il suit d’ailleurs des cours du soir, qu’un instituteur assure bénévolement57 C’est le cas également d’Henri Martel qui dès l’âge de neuf ans se fait tour à tour chiffonnier, ouvrier agricole, ramasseur de charbon, vendeur sur le marché, livreur… avant d’être embauché à la mine à douze ans et demi58 Jules Thomas écrit dans son autobiographie, qu’« à 9 ans on m’enlevait de l’école pour me louer à la campagne. J’ai fait de gros efforts pour me perfectionner ». Ces enfants connaissent alors dès l’âge de neuf ou dix ans le monde du travail. On peut imaginer le sentiment d’injustice que peuvent concevoir ces exploités avant l’heure, connaissant pauvreté voire misère et dureté des conditions de travail dès le plus jeune âge. Et puis il y a ceux qui, un peu plus tard, vers l’âge de 12 ou 13 ans, parfois avec le CEP en poche, ne peuvent poursuivre leurs études. Ou Émile Galatry qui se souvient : « je nes été qu’à l’école primaire et encor la guerre ma privé des meilleurs anné59 ». Il faut travailler. Le sobre mais terrible « pas d’argent pour continuer [l’école] » d’un Charles Hubert60 se retrouve dans au moins une vingtaine d’autobiographies sur les cent deux61 consultées. Ces parcours contrariés sont parfois mis en avant dans des expressions publiques du parti. La brochure éditée par le Secours rouge international à l’occasion de la campagne pour la libération de Lucien Carré insiste sur cet aspect de la vie du militant, forcé d’abandonné l’école avant son CEP. « Dès 12 ans, exploité ! », titre ainsi la première partie du chapitre consacré au parcours du militant62 Le parti et notamment ses écoles sont, pour ses militants, un formidable outil de poursuite de ces études inachevées, du moins l’ouverture d’un horizon culturel fort difficile à trouver ailleurs63 Il prend ainsi en charge des aspirations culturelles pour des classes populaires très tôt exclues du système scolaire.
26Les récits des militants, soit dans l’exercice biographique d’institution, soit dans des mémoires, ne mentionnent que très rarement un mauvais souvenir de l’école primaire, ce que Bernard Pudal avait également relevé dans son étude : « les dirigeants communistes ont une conscience aiguë de ce qu’ils doivent à l’institution scolaire, ou à un instituteur en particulier64 ». En effet, les premiers pas dans la conscientisation politique sont parfois mis au crédit d’instituteurs soit grâce à l’étude de manière générale, ou dans une dimension politique plus affirmée. C’est le cas par exemple pour Louis Bertin, issu d’un milieu plutôt aisé mais pupille de la Nation suite à la mort au combat de son père. Son instituteur, officier revenu gazé des combats et qui devait mourir en 1923, lui donna à lire Le Feu d’Henri Barbusse et des écrits de Paul Vaillant-Couturier65 L’instituteur d’André Gendre quant à lui n’hésite pas à tenir devant ses élèves des discours socialisants, vantant par exemple les bienfaits de la coopération66 En revanche, Édouard Meyer garde un désagréable souvenir de l’école élémentaire allemande qu’il fréquenta (occupation de l’Alsace-Moselle oblige) : « les 2 derniers anné jai rien pris de nouveau par ce que le maitre d’ecole était toujours soulé67 ».
27Le CEP est né à la fin du Second Empire, conçu à l’origine comme un examen ordinaire vérifiant une scolarité normale (de 7 à 13 ans). L’âge auquel on le passait a changé plusieurs fois, il est d’environ 11/12 ans révolus pour notre période. Cet examen a été longtemps hors de portée de la majorité des élèves du primaire. Antoine Prost estime à environ 50 % sur le plan national le nombre d’élèves qui quittent l’école vers 1935 sans avoir obtenu le CEP. Cette proportion est encore bien plus faible pour la période précédente, qui est celle où est scolarisée une majorité de membres de notre corpus : « Bien que les études statistiques fiables relatives au CEP fassent défaut, on peut évaluer aux alentours de 20 % (avec des inégalités régionales plus ou moins marquées), entre 1900 et 1914, les enfants d’une génération scolaire qui le détenaient68 » Le CEP constitue donc un indicateur, indirect, de la qualité du parcours scolaire accompli. Or, les membres de ce corpus l’obtiennent à presque 30 %69, un chiffre probablement sous-évalué, les études précédentes sur l’exercice biographique des militants communistes ayant souligné une certaine propension à taire l’obtention de certains diplômes70.
28Penchons-nous ensuite sur la scolarité post-élémentaire réservée aux classes populaires, des cours du soir aux écoles primaires supérieures (EPS). Elles sont accessibles aux garçons et aux filles de 13 ans munis d’un certificat d’études. Dépendant de l’Instruction publique, elles sont réservées à une élite ouvrière71 La plupart des membres du corpus passant par cette scolarité post-élémentaire (quinze sur vingt-huit) passent par les écoles normales d’instituteurs. Encore faut-il préciser que le passage par ces institutions n’évacue pas toujours le problème de l’aide à apporter à la famille : ainsi Marcel Messeau, qui, certificat d’études en poche, fréquente l’EPS de Montceau-les-Mines puis l’École normale de Mâcon, doit travailler durant ses vacances. Il fut « mousse », manœuvre dans une carrière et ouvrier au ballast72.
29L’enseignement secondaire (lycée) constitue, rappelons-le, un système cloisonné, séparé d’avec le primaire et bien entendu payant. En 1918, 7,5 % des enfants de plus de treize ans poursuivent des études secondaires73 Et ce pourcentage s’avère beaucoup plus faible encore chez les filles74 En somme, « les études secondaires sont réservées à la bourgeoisie75 ». Antoine Bourdarias parvient à se hisser jusqu’au lycée grâce à l’obtention de bourses. Ce parcours est cependant interrompu au bout de deux ans, Bourdarias étant en effet rattrapé par les difficultés de sa condition sociale. Son « père [facteur] étant très malade, les ressources manquaient à la maison76 ».
30Il faut enfin signaler le passage d’un petit nombre de militants par l’enseignement supérieur. Sept membres du corpus fréquentèrent en effet soit l’université (Yves Angeletti, Nonce Benielli, Marcel Bonin, Pierre Couchet) soit l’École normale supérieure (Marguerite Buffard, Raymond Barbé, André Parreaux). Aucun parmi eux ne provient d’une famille communiste. Leurs adhésions au parti, connues pour cinq d’entre eux, s’étalent entre 1924 et 1936. Ces militants sont particulièrement mobilisés pour diriger des écoles locales :
J’ai eu la responsabilité, à Colmar en janvier dernier d’une école pour les cellules de la ville – en août de l’école de la section au Braunkopf dans la vallée de Munster. Actuellement j’en fais une à Mondeville pour les cadres de cette section nouvellement créée77.
31Le passage par cette scolarité « d’élite » a pu être difficilement vécu. L’autobiographie de Marcel Bonin, entré en 1922 en classe de mathématiques supérieures au lycée Saint-Louis à Paris, nous révèle le « complet isolement moral78 » qu’il a vécu. L’internat est assimilé à une prison, dénotant avec la vie en plein air et les travaux des champs auxquels il était habitué pour aider sa famille. « Le fils d’ouvrier que j’étais a “perdu pied” » écrit-il, « Il en est résulté une période de flottement, de dégoût des études qui pouvait m’entraîner à la “débine” intellectuelle totale. » Ce témoignage peut être lu comme une façon de légitimer des origines populaires face à un savoir « bourgeois ». Mais sa date de rédaction (1937) correspondant à une époque où le PC valorise l’accès à la culture, permet plutôt de le décrypter comme un exercice où le militant se livre sur ses défauts dans l’exercice intellectuel.
32Les membres du groupe des secrétaires régionaux de Front populaire présentent donc un niveau scolaire globalement plus élevé que la moyenne nationale. Ce niveau reste cependant inférieur à celui des structures plus élevées dans l’appareil partisan comme le comité central79.
Âge et situation matrimoniale
33Les militants communistes, secrétaires régionaux à l’époque du Front populaire, ont, en moyenne, 33 ans lorsqu’ils accèdent à leur premier mandat80 Plus de 60 % d’entre eux appartiennent au groupe des vingt-six/trente-cinq ans. Le dirigeant le plus jeune, Roger Pédurand, a vingt ans (la majorité, rappelons-le, est à l’âge de 21 ans à l’époque), le plus vieux, Joseph Hentgès, soixante-deux. Le tableau suivant précise la répartition par tranches d’âges :
Âge des secrétaires régionaux.
Tranche d'âge | % |
Moins de 21 ans | 0,57% |
De 21 à 25 ans | 9,66% |
De 26 à 30 ans | 31,82% |
De 31 à 35 ans | 30,68% |
De 36 à 40 ans | 11,93% |
De 41 à 45 ans | 5,68% |
De 46 à 50 ans | 5,11% |
Tableau DM.
34En somme, les secrétaires régionaux du PCF ne sont pas spécialement jeunes. Mais ils le sont plus que les membres du comité central (39,6 ans), du bureau politique (46,1 ans) ou même du secrétariat (36,3 ans) de 1936, cette dernière instance infirmant la logique de promotion interne qui obéirait au principe de l’expérience politique – et dont l’âge serait un indicateur approchant81
35Pour d’évidentes raisons de facilité et de clarté, nous avons distingué dans notre corpus entre les individus non-mariés et les mariés, en ayant conscience de l’aspect arbitraire d’une telle séparation, ne permettant pas de recouvrir toute la gamme de situations existante entre ces deux statuts.
36Le terme de « non-mariés » recouvre bien entendu des réalités très diverses, aussi bien la vie en union libre que le célibat. Il y a également des cas particuliers chez les « mariés », comme celui d’Henri Chassaing qui contracte un mariage blanc en 1931. Il vit maritalement avec sa compagne, militante communiste, à partir de 1935. Signalons également un « doublon » dans les données : celles concernant Marguerite Buffard et Jean Flavien, tous deux membres de notre corpus, et qui se marient ensemble en 1939. Mais même si l’on excepte ces deux situations, près de 73 %82 des membres de notre corpus se sont mariés, au moins une fois, avant l’interdiction du parti en septembre 1939. Une proportion, qui, compte tenu de l’âge des militants vu plus haut, n’étonne pas franchement. Le dirigeant communiste régional des années de Front populaire s’intègre donc à ce « mode normal de l’union conjugale83 ». D’après nos calculs, l’âge moyen du mariage des membres de notre corpus s’élève à 26 ans84 Onze cas de divorces ont été repérés sur la période d’avant 1939. Soit un taux de rupture des unions de l’ordre de 7,75 %, rejoignant en cela la moyenne nationale de l’époque (7,5 %)85 Enfin, soixante-seize membres du corpus (un peu plus de 40 %) sont parents d’un ou plusieurs enfants avant l’interdiction du parti. Les secrétaires régionaux du PCF, dans leur ensemble, ne se distinguent donc guère de l’ensemble de la population française quant à leur situation matrimoniale.
37Les questions 10 à 21 du schéma autobiographique portent sur la compagne ou le compagnon du militant, ses opinions, sa famille, etc86 Si ces questions sont destinées principalement aux militants mariés, elles sont prises très au sérieux, y compris par les « célibataires ». Ainsi, exemple de « remise de soi » dans l’exercice autobiographique, Gaston Auguet tient à mentionner une « amie » qu’il voit « de temps à autre », en précisant son adresse, ses opinions politiques (« sympathisante » communiste en l’occurrence) et sa situation professionnelle87 Des militants peuvent se livrer également au récit parfois très intime des aléas de leur vie privée. C’est le cas d’Étienne Néron, qui n’hésite pas à évoquer comme raisons de son divorce les infidélités de sa femme avec l’un de ses camarades88 Mais la procédure étant toujours en cours au moment de l’écriture de la bio, il s’agit également de justifier le fait de ne pas vivre avec son épouse. Ici sphère privée et militantisme se confondent totalement.
38Sur 84 épouses ou époux dont les opinions envers le parti sont établies, 45 en sont membres et 39 en sont sympathisants. Sur un total de 142 mariages établis, cela représente une proportion de 59,15 %. Face aux vicissitudes de la vie militante, cette forte proportion de conjoint militant ou sympathisant de la cause communiste fait que parfois, vie privée et militantisme font bon ménage89 Christine Bard et Jean-Louis Robert se posaient la question de l’endogamie : « est-ce la condition nécessaire pour être communiste 24 heures sur 24 ? L’engagement est en effet total, rythme la vie privée et oriente la vie affective90 ». Les conjointes ou épouses (car à deux exceptions près notre corpus est masculin) sympathisantes sont souvent actives. On pourrait citer de multiples exemples, où, à l’instar de Marie, femme d’Henri Boyer, la conjointe « aide le Parti de son mieux en toutes occasions91 » ou est « dévouée à notre cause », comme celle de René Leroy. Sans être adhérente au parti, l’épouse peut prendre place dans la constellation des organisations de masse : « mes longues absences l’ont trouvé courageuse, mais ne m’ont pas permis d’en faire une militante. Je viens de réussir de la faire adhérer au SRI » écrit Sylvan Péronnet92 Dans les couples militants, le poste de secrétaire régional peut-être quasiment partagé.
39Roland Boudet, dirigeant de l’Orne, déclare ainsi dans sa « bio » que sa femme « [le] seconde dans [sa] tâche de secrétaire régional communiste93 ». L’épouse de Raymond Barbé, communiste et fille de communiste, perd ses responsabilités locales à la naissance de leur fille en 1936, itinéraire alors classique de nombreuses femmes militantes, mais continue d’aider les camarades en dactylographiant les tracts94 Si ces apparents signes d’harmonie entre vie privée et engagement peuvent sembler heureux aux yeux des dirigeants locaux, ils peuvent être porteurs de risques. Si le conjoint est mal vu, aux yeux des camarades locaux ou des envoyés du centre, cette proximité militante est alors source de danger : le secrétaire régionale des Hautes-Pyrénées, représentant de commerce, doit s’absenter de Tarbes, siège de la région, plusieurs jours par semaine. C’est alors sa femme qui ouvre la correspondance, « mais même s’il y a quelque chose d’urgent, celle-ci n’est communiquée aux membres du bureau régional qu’à son arrivée. Lassale [Lassalle] n’est donc pas suffisamment en liaison avec les membres du bureau régional. De plus, sa femme me paraît être très bavarde […]95 ». Vu à la fois comme un atout – le fait d’ouvrir la correspondance ne lui est pas reproché – et comme un handicap – transmission tardive des informations qui débouche sur un décalage entre militants – voire comme un danger – le « bavardage » peut nuire à la dimension confidentielle de certains moments militants – l’aide de l’épouse possède ici un statut ambivalent. Plus radicale, cette description de la compagne du secrétaire régional du Tarn-et-Garonne, censée « joue [r] à la sympathisante », motivée par l’appât du gain, qui assiste « à toutes les réunions, même à celles du BR » et dont le mariage prévu détacherait le militant de son parti96 On ne sait pas si cette situation aurait eu raison du poste de Couchet, les événements de l’année 1939 interrompant la marche régulière du parti. La relation entretenue par celui-ci est en tout cas analysée comme délétère pour la bonne marche du parti. Cet extrait renseigne sur le type « d’enquête » que peuvent mener dans les régions les délégués du centre. Par ailleurs, l’aide apportée par le conjoint ne se manifeste pas forcément dans une aide pratique aux tâches militantes, mais aussi en permettant au militant de se consacrer à celles-ci : la femme de Virgile Barel, Eunice « était au PC avant d’avoir un enfant (3 ans). N’a aucune activité officielle actuellement mais facilite grandement la tâche de Barel comme secrétaire régional en le délivrant de toute préoccupation autre que celles de militant97 ».
40D’autres militants indiquent simplement que leur femme ne les « gêne pas98 » dans leur activité. Or, et pour équilibrer ce que l’on a vu plus haut, vie privée et militantisme peuvent se heurter. Henri Delannoy tient à préciser que sa femme « sympathisante » et lui connaissent parfois des « frictions », s’empressant d’ajouter « ce qui arrive chez tous les camarades militants dans les organisations99 ». L’engagement militant peut conduire à des situations difficiles. Edmond Ginestet doit, par exemple, vivre séparé de sa femme, qu’il ne voit qu’une fois tous les dix ou quinze jours100 Les éventuels conflits avec le conjoint, lorsqu’ils sont connus du centre, peuvent être interprétés comme une preuve du dévouement du camarade à l’organisation : « Il est dévoué au parti et n’a pas hésité pour venir à l’école à se brouiller avec sa femme » écrit-on sur Robert Jolly en 1932101 Mais les dirigeants nationaux du parti préfèrent anticiper au maximum ce type de situation, et sont attentifs à tenter de désamorcer en amont les éventuels conflits. Les directions régionales sont ainsi invitées à « examiner à fond la situation familiale » des militants pressentis pour suivre une école centrale de six mois. Les secrétaires régionaux doivent « discuter éventuellement avec leur femme, en toute fraternité, en vue d’éviter tout dissentiment qui serait nuisible au travail de l’élève102 ». Parfois c’est le centre qui se pique d’intervenir dans la vie privée des militants, s’il estime que celle-ci porte préjudice au parti. Sylvain Boulouque a étudié l’exemple – presque caricatural – de la région troyenne secouée, au milieu des années trente, d’affaires « sentimentales » entre camarades. Dans un rapport de 1935 : « Le Sec [rétariat] du Parti demande au camarade de l’élève de l’école léniniste de quitter sa compagne les antécédents de celle-ci ne permettant pas qu’un dirigeant puisse continuer ses fréquentations qui peuvent nuire au parti103 » Ces injonctions ne sont d’ailleurs pas toujours suivies d’effets.
41Peut-on évoquer ici le rapport à la « morale » ? Maurice Agulhon, dans la postface d’un ouvrage consacré aux cultures communistes, évoquait ce rapport de l’institution communiste aux aventures hors mariage de ses militants :
Pour l’opinion commune la fidélité conjugale est de l’ordre de la morale traditionnelle, la recomposition du couple de l’ordre de la modernité assumée. À l’époque que j’ai entrevue, il m’a semblé que la direction du parti était capable de jouer sur les deux tableaux : la bigamie du permanent était tolérée au nom de la modernité (de la liberté, du rejet du conformisme bourgeois, etc.) tant que ce camarade était discipliné, mais s’il cessait d’être discipliné le comportement « coupable » pouvait être évoqué en élément d’appoint dans un réquisitoire de sanction – l’idée étant, comme à propos de l’Art, que le peuple ouvrier est de mentalité plutôt conservatrice et peut donc accepter le réquisitoire « moral »104.
42Lorsque par exemple Yves C. rencontre sa (future seconde) femme à Marseille (alors qu’il est déjà marié à Troyes), la situation ne semble poser aucun problème à la direction du parti. Les secrétaires régionaux – les archives sont très révélatrices à cet égard – sont souvent en proie aux ragots, aux rumeurs… Ces « histoires » sont loin d’être négligées, et donnent lieu à des enquêtes, des vérifications de la part des envoyés du centre. Et en effet les écarts à la norme de la fidélité conjugale ou aux mœurs de l’époque sont relevés, enregistrés, mais rarement soulevés s’ils n’interfèrent pas dans la bonne marche du militantisme dans la région.
43Outre la vie familiale ou de couple, le secrétaire régional a un métier, une profession qui correspond aux canons de la sélection des cadres communistes fondée essentiellement sur la classe ouvrière. Cette typologie n’est cependant pas exempte d’exceptions.
Les professions exercées
Vue d’ensemble
44Les professions présentées ici sont celles exercées avant l’entrée en fonction comme secrétaire régional. Cette entrée comporte de nombreux biais, mais elle a l’avantage d’éclairer la situation sociale du militant lorsqu’il prend la tête d’une région. En particulier, ce choix nous permet d’éclairer la place des permanents, souvent masquée dans les représentations officielles partisanes105 Nous proposons deux graphiques. L’un globalisant, l’autre plus détaillé. Ainsi dans le second graphique, nous avons distingué de la catégorie « ouvrier » les ouvriers agricoles, vu la spécificité du domaine dans lequel ils exercent leur profession. De même, il nous apparaissait devoir faire figurer des groupes spécifiques qui, par le nombre de leur occurrence, étaient significatifs de la composition du parti. Ce fut le cas pour les cheminots, répartis dans le premier graphique entre « ouvrier » et « employé106 » et qui bénéficient d’une catégorie à part dans le second graphique.
« Ouvriers, paysans nous sommes » ?
45« Parti de la classe ouvrière », le PCF entend non seulement organiser mais véritablement incarner cette classe. Et il est indéniablement un parti ouvrier par le recrutement et la promotion de cadres ouvriers, l’établissement d’un lien très fort avec le mouvement syndical. La bolchevisation marque un temps fort dans l’ouvriérisation du parti, vue comme condition de sa nature bolchevique. On a pu parler d’« ouverture “promotionnelle”107 » pour une partie du groupe ouvrier grâce à une très volontariste politique des cadres. Le parti bouleverse donc l’ordre politique traditionnel non seulement par un discours de valorisation politique et identitaire de la classe ouvrière, mais aussi par son organisation, accompagnant la quête de reconnaissance du groupe ouvrier. L’émancipation des travailleurs par eux-mêmes devait donc commencer dans l’organisation, en faisant en sorte que les porte-paroles de la classe ouvrière en soient eux-mêmes issus108 Premier constat à la lecture de ces tableaux : la part prise par le groupe ouvrier. Il domine le corpus des secrétaires régionaux, sans être majoritaire : 31,48 % du total des membres du corpus et 31,84 % du corpus renseigné (graph. 1). Au sein du groupe ouvrier, ce sont les métallurgistes qui dominent l’ensemble (ajusteurs, mécaniciens, forgerons, chaudronniers, tourneurs, mouleurs, carrossiers, sans précision) suivis des ouvriers des chemins de fer (voir tableau suivant).
Répartition par branches ou professions du groupe ouvrier.
Branches ou professions | Nombre |
Métallurgie | 14 |
Chemins de fer | 10 |
électriciens | 5 |
Ouvriers agricoles | 5 |
Bâtiment | 4 |
Mines | 3 |
Livre | 3 |
Textile | 3 |
Armement | 2 |
Bois | 2 |
Manœuvres | 2 |
Total | 53 |
Tableau DM.
46Jean-Paul Molinari avait relevé trois types d’ouvriers plus enclins que d’autres à rejoindre le parti communiste. Ces trois « matrices d’adhésions » sont composées des cheminots, des mineurs et des métallurgistes109 Nous revenons plus bas sur les cheminots. Les métallurgistes sont indubitablement ici le groupe dominant. Leur poids correspond à l’influence du Parti communiste dans ce groupe né du second décollement industriel français, où la grande industrie moderne (métallurgie, sidérurgie, chimie) est alors en pleine essor. De plus, cette catégorie des « métallos » domine l’imaginaire communiste et les grèves de 1936 constituent un moment de gloire particulier pour cette branche110 En revanche le secteur des mines n’est pas le mieux représenté, devancé notamment par le bâtiment et même par les ouvriers agricoles. Mais notre corpus, forcément plus éclaté géographiquement ne peut concorder parfaitement avec les résultats d’une analyse sociologique globale de l’effectif partisan, qui de fait mettra en avant les régions de fortes implantations comme le Nord ou la région parisienne, où l’industrie domine. De plus, l’héroïsation de la figure du mineur, incarnant l’idéal-type du prolétaire et par conséquent du communiste, n’apparaît avec force dans le PCF qu’après la Libération111, même si le groupe des mineurs est celui d’où émerge Maurice Thorez, « fils et petit-fils de mineur112 » et donne sa légitimité au (futur) secrétaire général.
47Ouvriers et ouvrières regroupent en 1936 en France 6 070 000 personnes113, soit environ 14.59 % de la population totale du pays cette année (41 600 000) et 29.96 % de la population active (20,26 millions)114 Il y aurait donc une légère surreprésentation des ouvriers chez les secrétaires régionaux entre 1934 et 1936 par rapport à la société française. Il faut cependant introduire ici un mot d’analyse sur les permanents. Nous les évoquons en détail plus bas. Mais cette analyse, si elle souhaite, au-delà de la profession, renseigner sur le milieu social des secrétaires régionaux, doit se pencher sur les professions exercées avant l’entrée en permanence des quarante-six militants concernés. La répartition par catégories de ces professions donne le résultat suivant :
Professions exercées auparavant par les militants permanents à leur entrée dans le mandat.
Profession | Nombre | % |
Ouvriers | 33 | 71,4 |
Chômeurs | 4 | 8,7 |
Employés | 4 | 8,7 |
Agriculteurs | 2 | 4,35 |
Inconnue | 3 | 6,52 |
Tableau DM.
48Le poids des ouvriers saute aux yeux : plus de 70 %. La moitié d’entre eux sont des métallurgistes. Parmi les chômeurs, deux sont également des ouvriers (un cheminot et un terrassier). Ce tableau illustre la sélection sociale opérée par l’institution partisane lorsqu’il s’agit d’occuper un poste rémunéré en son sein : le processus d’ouvriérisation fonctionne à plein. Si l’on ajoute ces trente-cinq ouvriers aux cinquante-trois qui sont encore en activité au moment de prendre leur mandat de secrétaire régional, on arrive à un taux d’environ 47,06 % d’ouvriers en activité et de permanents précédemment ouvriers sur l’ensemble du corpus, 49.16 % du corpus renseigné. Il y a donc une surreprésentation de la classe ouvrière par rapport à la société d’alors.
49Un seul parmi ces ouvriers est au chômage. Marius Patinaud l’est depuis plus d’un an lorsqu’il accède au secrétariat. Son parcours donne un aperçu des difficultés que connaissent ceux qui sont victimes de la répression patronale, « black-listés » dans les entreprises proches du lieu de vie, et devant subsister avec des ressources qui, en moyenne, sont inférieures de moitié à celles de l’ouvrier en activité115 Mais sa situation de chômeur le rend de fait disponible pour l’engagement, les multiples activités militantes.
50Gérard Noiriel a montré que la période du Front populaire marque la fin d’une certaine histoire du mouvement ouvrier : celle de la tradition d’« action directe » des ouvriers de métiers, très qualifiés, au statut parfois proche des artisans, et l’émergence de la classe ouvrière jusque-là marginalisée sur le devant de la scène politique116 Le PCF est à la fois le reflet et l’outil de cette émergence. Il représente pour certains de ces ouvriers une issue à la crise, une voie d’intégration, par la lutte collective, à la société française117.
51Qu’en est-il, après le marteau, de la faucille ? Les succès de l’implantation du communisme rural dans l’entre-deux-guerres proviennent d’abord du traumatisme de la Grande Guerre : les sacrifices du monde paysan poussèrent par pacifisme et antimilitarisme nombre d’entre eux vers la SFIC. Mais le second grand facteur d’explication provient de la politique paysanne défendue par les communistes euxmêmes et qui s’incarne dans le mot d’ordre « la terre à celui qui la travaille », proclamé depuis le congrès de Marseille par un parti communiste qui sait adapter orthodoxie bolchevique et situation française. Ce n’est pas de collectivisation dont il est question ici, mais de l’opposition entre petits paysans et grands propriétaires. Le PCF constitue dès cet entre-deux-guerres des bastions ruraux, et recueille dans la seconde moitié des années trente les fruits de son investissement dans les luttes du début de la décennie, de son discours de défense de la petite propriété familiale, et des réalisations du gouvernement de Front populaire dont l’Office national interprofessionnel du Blé est l’un des exemples les plus achevés. Cependant, peu d’agriculteurs figurent dans ces tableaux : sept. Alors qu’un tiers des actifs sont occupés dans l’agriculture118, la sous-représentation de cette catégorie est patente. En y ajoutant la catégorie des ouvriers agricoles, dont l’emploi est lié au travail de la terre, on parvient à un total de 6.7 % du corpus renseigné. Sur les 1 250 « bios » conservées au RGASPI, 35 sont des autobiographies « paysannes » (agriculteurs et ouvriers agricoles), soit 2,8 % de l’ensemble119 Il y aurait donc une surreprésentation des paysans communistes au sein des secrétariats régionaux relativement à l’encadrement global. Ces chiffres restent cependant faibles. Pour autant les espaces ruraux et ses populations, particulièrement paysannes, sont-ils délaissés ? Le « travail du parti à la campagne » n’est pas négligé et affiche des résultats, notamment électoraux, positifs. On sait que l’implantation communiste dans les campagnes s’établit sur des territoires relativement bien déterminés : les « campagnes rouges » du Centre et du sud-ouest du Massif central. Les communistes y ont bénéficié d’une tradition, héritée du XIXe siècle, qu’ils ont su entretenir : c’est souvent la tradition jacobine et des sociétés populaires, puis démocrate socialiste qui peut servir de matrice à la carte du vote communiste, même si cet héritage ne joue pas partout et qu’il n’est pas le seul facteur120 Durant la seconde moitié des années trente, des efforts sont faits pour améliorer et approfondir le travail militant en direction des populations rurales, et en particulier du monde paysan : restructuration de la section agraire du parti, lancement en 1937 du journal la Terre, création de l’Union des jeunesses agricoles de France, organisation de journées spécifiques aux revendications paysannes, etc. Les régions où les agriculteurs exercent leur mandat sont la Corrèze, le Calvados, l’Aube-Haute-Marne, les PyrénéesOrientales (en intérim), les Côtes-du-Nord, l’Alsace et la Charente-Inférieure. Prenons l’exemple de la Corrèze. Laird Boswell identifie 1 420 militants communistes actifs pour l’entre-deux-guerres et estime qu’ils sont à 57 % paysans. Les ouvriers ne représentent que 4,4 % des effectifs du parti121 et la figure marquante du communisme corrézien est sans conteste Marius Vazeilles, pépiniériste, député, fin connaisseur des problèmes du secteur agricole. Si Boswell insiste sur la présence dans l’encadrement local d’hommes proches du monde rural (sans forcément être paysan eux-mêmes : c’est le cas dans notre corpus d’Antoine Bourdarias ou de Joseph Biaugeaud, qui dirigent la région en 1935) et sortant vainqueurs des affrontements avec les tenants « urbains » d’une ligne ouvriériste, ce serait passer un peu rapidement sur le fait que c’est Clovis Chirin, ouvrier d’État, qui dirige la région de 1936 à son remplacement en 1939. Cela illustre les épreuves de forces pouvant exister entre le secteur paysan du parti et un certain ouvriérisme, déjà visible auparavant, notamment dans la période « classe contre classe ». Cela dit, hors des points forts de l’ancrage du communisme rural, des difficultés de recrutement demeurent.
52À mi-chemin entre ouvriers et employés, la corporation des cheminots est présente à hauteur de près de 8 % du corpus renseigné. On sait l’importance de ce groupe dans l’implantation du PCF122, mais aussi dans l’imaginaire qui présida à la constitution du PCF, où la grande grève de 1920 et la répression qui s’ensuivit furent érigées, au-delà du traumatisme de l’échec123, au rang des mythes fondateurs124 Un cheminot, vétéran de la grève de 1920 qu’il considérait comme un moment fondamental, Pierre Sémard, devint durant quelques années secrétaire général du Parti125 Les cheminots sont, dans les années 1934-1935, en pointe dans l’élan qui amène à la réunification de la CGT, participant localement à la constitution de très nombreux syndicats uniques126 Depuis la scission de 1921, les « unitaires » de la CGTU influençaient largement la corporation, face aux « confédérés » de la CGT. Enfin, les cellules d’entreprises du PCF étaient particulièrement bien implantées dans ce secteur : sur les quatre cent cinquante cellules recensées nationalement en 1934, quatre-vingt-quatorze sont des cellules cheminotes. L’empreinte des travailleurs du rail dans le développement du mouvement ouvrier est particulièrement sensible selon les régions. Les centres ferroviaires jouent dans l’entre-deux-guerres un rôle important dans la consolidation de l’organisation communiste. En Côte-d’Or, le parti communiste se développe autour d’eux. C’est un cheminot, Bouscand, membre de la commission exécutive de la Fédération CGT, qui prend la tête de cette région en 1938. Dans sa « bio », il se réclame d’importantes figures cheminotes comme Lucien Midol et Pierre Sémard. En revanche, l’exercice du métier de cheminot n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés dans l’exercice du mandat de secrétaire régional127.
53La catégorie des employés recouvre des situations très variées. Les conditions de travail de Maurice Romagon, distributeur de journaux après un parcours marqué par le déclassement, ont peu à voir avec celles de Robert Ballanger, employé d’un ministère. Parmi les sous-ensembles repérables, on note la présence d’employés des PTT (huit), un secteur, où, au niveau syndical, les unitaires font presque jeu égal avec les confédérés, mais qui doivent affronter la répression. La présence également des employés de villes peut être soulignée (sept). Lorsqu’ils sont présents dans l’organigramme de villes « rouges », cette situation leur permet d’obtenir des facilités pour leur militantisme quotidien. On pense à Venise Gosnat, concierge puis gérant d’HBM à Ivry, brièvement secrétaire régional pour Paris-Sud à la veille de l’interdiction du PCF. On sait par ailleurs l’importance des employés communaux dans le mouvement ouvrier français, bien avant l’apparition du PCF128 Relevons également la présence d’employés de coopérative (cinq). Si ces derniers ne sont certes pas légion, ils nous rappellent la dimension importante de la coopération dans la vie du mouvement ouvrier, investie par les communistes malgré les difficultés129 Une situation qui permet d’ailleurs, dans les coopératives plus ou moins contrôlées par le parti, de « recaser » certains militants d’usine en butte à la répression, ou même parfois de « dissimuler » l’emploi d’un permanent. Le statut de petit employé ne se vit pas forcément en contradiction avec l’appartenance à la classe ouvrière. D’abord parce que les employés en sont le plus souvent issus. Ensuite parce que leurs conditions de vie les en rapprochent. En revanche, certains militants refusent ce passage au monde des « cols blancs ». C’est le cas par exemple d’E. Ginestet, qui admet sa préférence pour aller travailler « à l’usine » alors qu’il quitte l’École normale où il est élève depuis deux ans130 Malaise à l’idée de franchir la barrière de classe ? C’est aussi l’idée du « vrai métier », celle de la « vraie vie », incarnée par la figure de l’ouvrier qualifié, où émerge une forte dimension virile, qui motivent ces jeunes gens issus de milieux populaires à refuser les codes du monde des employés ou de la petite bourgeoisie urbaine, pour se tourner vers « l’harmonie familière d’un retour culturel à la classe131 ». Eux ont fait ce chemin, et l’on imagine sans peine leur méfiance à l’égard des « arrivistes » supposés qu’ils peuvent croiser au long de leurs parcours politiques.
54Onze militants de notre corpus sont des instituteurs en activité lorsqu’ils accèdent au poste de secrétaire général, soit 5.88 % du corpus. Les instituteurs occupent une place à part dans l’univers communiste. Place peu évidente, ambiguë, qui montre les difficultés d’exister en tant qu’intellectuel ou travailleur intellectuel, incarnant la figure du « sachant », dans un parti ouvrier résolu à ne pas abandonner les rênes de l’encadrement aux professions dotées d’un capital culturel relativement élevé. L’opposition ouvriers/instituteurs constitue en effet une des clés d’entrée pour comprendre la position des instituteurs dans la structure partisane. Les rapports concernant la région de la Loire sont à ce titre éclairants. Une note de la commission des cadres déplore que Barthélémy Ramier, secrétaire de la Loire, « ne pren [ne] pas très bien en main la direction de sa région ». Pour preuve, « il a fallu à la dernière conférence de sa région enlevé 4 instituteurs de son comité régional. N’a pas su amener dans son comité les ouvriers de sa région qui sont bien plus représentatif de que les instituteurs132 » Les différents rapports sur cette région font fréquemment mention de cette surreprésentation des instituteurs, forcément au détriment des cadres ouvriers. Sans nous appesantir sur la catégorie trotskiste133, il faut souligner l’assimilation fréquente de cette figure honnie aux corps des instituteurs. L’exercice biographique des militants est d’ailleurs révélateur de l’intégration du principe instituteur = trotskiste potentiel. Ainsi Marcel Messeau, instituteur lui-même et secrétaire de Saône-et-Loire, avoue ne connaître « personne qui milite chez les trotskystes hors le milieu de l’enseignement où ils pullulent […] Beaucoup d’instituteurs socialistes ont la même idéologie trotskiste134 ». Nombre d’instituteurs communistes sont d’ailleurs « amenés à côtoyer des collègues qui de façon inappropriée sont qualifiés de trotskistes, alors qu’ils sont plutôt syndicalistes révolutionnaires ou/et partisans de Marceau Pivert135 ».
55Maurice Tréand écrit dans un rapport de la fin de l’année 1937 :
Nous réagissons contre la montée des instituteurs dans nos cadres de direction des régions de province. Ce n’est pas par hasard que les deux régions dont nous avons liquidé les directions dans cette dernière période avai(en)t à leur tête deux instituteurs, Geoffroy dans les Charentes et Lopin dans le Jura qui sont tous deux des trotskistes136
56Or, si Lopin est bien instituteur, Geoffroy est pour sa part gérant de coopérative. L’erreur du responsable de la commission des cadres du parti, qui possède pourtant toutes les indications nécessaires pour dresser un profil fiable des militants, montre à quel point l’assimilation fut forte de cette catégorie professionnelle à la figure de l’ennemi trotskiste. Cela ne veut pas dire que tous les instituteurs sont soumis à une vigilance accrue ou tatillonne. Des commentaires de représentants du comité central peuvent être très favorables vis-à-vis d’instituteurs. Les rapports qui concernent Alain Signor, dirigeant sans interruption de la région bretonne entre 1934 et 1939, sont ainsi particulièrement élogieux. Mais si Signor est « excellent », c’est aussi parce qu’il dénote de ses collègues : après avoir insisté pour que le bureau régional raffermisse ses contacts avec les ouvriers et les paysans de la région, l’envoyé du CC précise que « jusqu’ici tout le travail était pratiquement fait par des instituteurs, qui ont des origines et des attaches paysannes, mais dirigent un peu en maîtres d’école, à part Signor, vieux membre du Parti, dont l’autorité est grande137 ». Robert Gagnaire, autre instituteur, dirige sa région de 1928 jusqu’à l’interdiction du parti !
57Ces quelques chiffres et remarques permettent de revenir sur l’idée que le Front populaire est une période de grand « retour en grâce » des instituteurs dans les rangs du parti, après une période marquée par un ouvriérisme très fort teinté d’antiintellectualisme138 C’est en partie vrai, notamment lorsque l’on se penche sur la composition des comités régionaux : accroissement du poids des classes moyennes, avec une « réapparition notable, en grand nombre, des instituteurs139 ». Mais en partie seulement. D’abord parce que le centre tend à combattre le processus de relative désouvriérisation de l’encadrement local. Ensuite, dans un mouvement proche, parce que les instituteurs sont fréquemment amalgamés au trotskisme, qualificatif disqualifiant et criminalisant les adversaires du parti. Alors, l’instituteur est-il « une figure nouvelle que le parti cherche à attirer dans ses rangs, et auquel il n’hésite plus à donner des responsabilités140 », particulièrement dans l’implantation du communisme rural141, ou bien un militant par essence suspect, marginalisé dans l’encadrement partisan ? Il procède en réalité des deux catégories. En fait, à la fois cause et conséquence de ce qui précède, « le Parti communiste ne parvient pas à dominer l’aile militante du monde enseignant142 ».
58Les instituteurs communistes se retrouvent régulièrement en butte à leur administration. On peut parler d’un anticommunisme administratif143, avec son cortège de révocations, déplacements d’offices ou réprimandes. Les membres de notre corpus n’échappent pas à ces mesures. Émile Labrunie, par exemple, fut menacé de déplacement d’office fin 1934. On lui reprochait d’avoir fait de la propagande parmi les élèves de l’école laïque pour le patronage prolétarien et d’avoir mis en doute la neutralité des Éclaireurs de France, « organisation parrainée par son inspecteur144 ». Le fait qu’il fut secrétaire du cartel des fonctionnaires du Lot-et-Garonne et dirigeant de la Fédération départementale des comités de lutte contre la guerre ne pouvait qu’aggraver son cas. Malgré une mobilisation de plusieurs milliers de personnes qui défilèrent dans les rues de Marmande, la sanction fut appliquée. Il ne retrouva son poste à Marmande qu’en octobre 1936. On pense également aux cas emblématiques de Raoul Calas et d’Étienne Fajon, bien qu’ils ne figurent pas dans la catégorie « instituteurs ». Et pour cause ! Raoul Calas fut révoqué de ses fonctions d’instituteur en juillet 1929 pour avoir écrit, dans Le Travailleur du Languedoc, un article appelant la troupe à fraterniser en cas d’emploi de la force contre les classes laborieuses. S’ajouta à cette sanction une peine de six mois de prison ferme, qu’il accomplit à la prison de la Santé145 Étienne Fajon quant à lui, instituteur à Fabrègues, se voit refuser un poste, en mars 1930, après sa demande de congés. Il avait déjà dû batailler contre l’administration une première fois en 1927. Menacé de déplacement d’office pour avoir, lors d’une cérémonie du 14 juillet, recouvert la Marseillaise de sifflets et de l’Internationale, il est soutenu par les parents d’élèves et la Ligue des droits de l’homme. La mobilisation, cette fois, paya. Mais trois ans plus tard, se retrouvant sans emploi, il va travailler la vigne chez son père, avec lequel il est pourtant brouillé146 Ces deux communistes vont connaître alors un parcours singulier, celui des militants professionnels.
Les permanents
Nous rêvions, nous avons toujours rêvé de faire un parti où l’on venait pour se dévouer et pas du tout pour faire carrière147.
59Lors d’un meeting à Saint-Denis en 1934, Jacques Doriot, alors en pleine rupture avec le PC, insulte Auguste Gillot, militant communiste envoyé pour coordonner la lutte contre cette dissidence, en le traitant de « permanent appointé148 ». Outre la mauvaise foi évidente de l’insulteur – Doriot est militant à temps plein depuis le début des années 1920 – cette anecdote illustre la charge péjorative contenue dans ce terme. Elle renvoie à l’histoire longue du mouvement ouvrier français, à sa tradition syndicaliste-révolutionnaire, parfois libertaire, qui, sans toujours refuser l’existence des permanents, conserve une méfiance profonde à l’égard de ceux qui font de leur engagement une « carrière », vite désignés comme « bureaucrates », « bonzes », ou encore « fuyards de l’atelier149 » comme l’écrivait Pierre Monatte150 Qu’il nous soit permis de citer cette autobiographie d’un militant communiste, qui, s’il ne fait pas partie de notre corpus, résume ces enjeux :
je déclare que je n’accepte pas le poste de permanent où l’on me nomme d’office. J’ai encore, je le sais, cette tendance que m’ont inculqué les vieux anards : ne rien devoir à personne, n’être redevable envers personne. […] Je reconnais le juste fondé des Camarades permanent […]. Mais pour moi-même je suis contre, ne pouvant encore accepté l’idée d’être appointé. C’est idiot, c’est même du crétinisme, mais c’est ainsi151.
60D’ailleurs, cette défiance est aussi vieille que la vie politique démocratique elle-même :
La dénonciation de ceux qui vivent non seulement pour mais de la politique est contemporaine de la démocratisation du suffrage et de l’éligibilité et donc de la démocratie comme mode de dévolution réglé, pacifié et autonome du pouvoir politique152.
61Annie Kriegel estimait que la « vérité profonde » du parti communiste est à chercher dans « le noyau dur et homogène des clercs que l’on désigne ici d’un qualificatif modeste : les permanents153 », insistant sur la conception léniniste du parti qui veut que celui-ci soit basé sur – ou du moins encadré par – un vaste réseau de militants professionnels. Ces militants particuliers formant un « noyau dur et stable, inaccessible à la répression154 ». Pour Pierre Bourdieu, le permanent « doit tout au parti et n’est rien en dehors de celui-ci ; il lui est redevable de la position sociale et lui offre en retour la manifestation obligée de l’esprit de parti155 ». Or, les choses semblent se présenter de manière plus complexe pour notre corpus. Qu’en est-il ici ? Était-ce vraiment un « privilège156 » de travailler pour le parti ?
Avantages et difficultés de se doter de permanents
62Le bénéfice principal pour l’organisation à se doter de militants « permanents » réside dans le fait de disposer de militants à plein temps157, et par voie de conséquence d’une « possibilité de travail plus intense158 ». De nombreuses demandes émanant des régions, sollicitant auprès du centre l’ « appointement » d’un secrétaire régional, sont justifiées par les difficultés qu’a celui-ci à cumuler vie professionnelle et responsabilités militantes. « Gagner son beafteck, tailler la vigne, et diriger la région c’est difficile, et motive des faiblesses159 », résume ainsi le secrétaire du rayon de Montpellier lorsqu’il sollicite un secrétaire permanent pour la région Aude-Hérault-Pyrénées-Orientales. Auguste Touchard, envoyé dans le du Puy-de-Dôme, insiste : « le secrétaire régional doit être permanent et appointé pour y faire un bon travail, malgré le dévouement de celui-ci, il ne peut suffire surtout en travaillant tous les jours chez un patron160 ». Et l’on pourrait multiplier ainsi les exemples. Devenir permanent c’est être libéré des contraintes de la vie professionnelle – et pour des militants ouvriers cette vie peut être particulièrement marquée par la dureté des conditions de travail – et pouvoir se donner à plein dans la vie militante. Virgile Barel, instituteur et secrétaire de la région des Alpes-Maritimes, confie ainsi son soulagement à une amie soviétique lorsqu’il part en retraite anticipée : « Le soir après ma classe, je faisais mon travail social, très pénible… Je suis maintenant complètement maître de mon temps que je consacre entièrement à la cause révolutionnaire161 » Annie Kriegel avait raison d’évoquer cette dimension : des journées sans horaires pour « une vie disponible162 ». Pour les communistes picards, un militant « disposant de son temps » est la condition essentielle pour faire de la région « une très forte région163 ». Ce type de vie, René Bailly, cheminot, l’a sans doute finalement apprécié. Il est révoqué suite aux grèves de 1920. Devenu permanent à la CGTU un an plus tard, il refuse sa réintégration en 1925, préférant se consacrer au militantisme164.
63La création d’un poste de permanent doit permettre le développement du potentiel militant d’une région. La lettre qu’envoie ainsi le responsable de la région bretonne mérite que l’on en cite quelques extraits :
Autant le dire, actuellement je suis seul. Autour de moi les copains du B [ureau] R [égional] pleins de bonne volonté, mais ils sentent bien eux-mêmes qu’ils manquent d’expérience. Je l’ai déjà dit la discussion est très faible aux réunions du BR. En règle générale l’on adopte mon point de vue presque sans discuter. Ça ne peut être bon. Former ces camarades est un travail de longue haleine et je ne crois pas qu’on peut se permettre ce luxe, attendre actuellement. Ce qu’il faut au plus vite, c’est un bon BR où chaque membre contribue à l’élaboration des directives, et soit vraiment un dirigeant. De plus, je continue à m’épuiser. Un repos de plusieurs semaines sans doute serait nécessaire. Comment le prendre ? De toute façon le problème est posé. Très franchement, avec la direction actuelle, la région ne donne pas et ne donnera pas ce qu’on est en droit d’attendre d’elle. […] Avec un permanent sachant diriger, secondé comme il pourrait l’être, non seulement par un bon BR pris à Brest, mais par les militants de toute la région, je crois pouvoir avancer que nous aurions 6 000 membres du Parti dans les deux départements avant la fin de l’année. Du coup, serait résolue la question : comment faire vivre le secrétaire. […] Si vous dites : donnez-nous les moyens de faire vivre un permanent et quand cette condition sera remplie, nous vous donnerons satisfaction, je vous répondrai : Nous perdrons ainsi un temps précieux, car dans les conditions actuelles du fonctionnement de notre direction régionale, les progrès du parti seront très lents165.
64Les arguments mobilisés ici par Alain Signor méritent de s’y attarder. Ils énumèrent en effet certaines des qualités que le centre attend d’un dirigeant régional166 : le sens du travail collectif (« où chaque membre contribue à l’élaboration des directives, et soit vraiment un dirigeant ») et l’abandon d’une attitude souvent qualifiée dans le vocabulaire communiste « de grand seigneur », ou d’« autoritaire » (« on adopte mon point de vue presque sans discuter »). Le développement des effectifs qui serait, selon Signor, quasiautomatiquement induit par l’attribution d’un permanent résoudrait d’ailleurs les questions financières. Il n’indique jamais que ce poste de permanent doit être pour lui, même si l’implicite est la règle en ce cas. En effet « il est mal vu, voire prohibé et sanctionné le cas échéant, de réclamer des bénéfices matériels […] : l’humilité et le désintéressement sont, au contraire, revendiqués167 ». Signor emploie donc une grille d’évaluation non-écrite du dirigeant régional afin de défendre son point de vue. Pour autant, Signor, qui dirige la région jusqu’à l’interdiction du parti, le fait sans quitter sa profession d’instituteur. Sa demande a donc essuyé un refus, sans que l’on connaisse les raisons évoquées par le centre.
65« Appointer » un militant est aussi une manière pour l’organisation de le fidéliser. La reconnaissance symbolique attribuée au sélectionné contribue à l’attacher davantage à son parti. Il existe en effet « toute une gamme de rétributions plus honorifiques mais nullement négligeables qui ne sont pas moins à même d’attirer des adhérents et de stimuler leur activité168 ». La dépendance financière à l’égard de l’institution qui rémunère le militant peut permettre également de s’assurer de la continuité de son engagement y compris dans des périodes de crises ou de tensions. Désapprouver la ligne de l’organisation alors que sa situation matérielle est liée aux décisions du centre fait évidemment réfléchir le militant éventuellement confronté à ce cas de figure. Il semble cependant qu’ici cette dimension n’est pas à surestimer. La relative instabilité du corps des permanents, sur laquelle nous revenons plus bas, incite en effet à la prudence.
66Pour autant, l’emploi de militants professionnels n’est pas sans poser plusieurs problèmes, et tout d’abord celui du coût. Même si les militants appointés vivent chichement, il faut bien les payer. C’est d’abord aux régions du parti qu’incombe de débloquer les fonds. Lorsqu’elles évoquent auprès du centre leur volonté de se doter d’un permanent il leur est systématiquement indiqué que c’est à elles d’assurer prioritairement le financement. Quand la trésorerie régionale ne suffit pas, l’aide du centre est sollicitée. Cette question du financement débouche souvent sur des négociations, des marchandages, parfois des tensions. Le cas d’Amand Brault en est un bon exemple. Secrétaire régional pour la Somme et l’Oise depuis 1931, il revendique le fait de ne pas être permanent dans sa première « bio » de 1932169 En 1936, un échange de courriers170, s’étalant sur tout l’été, entre la région picarde et la direction nationale évoque la nécessité pour la région de se doter d’un secrétaire permanent et la question de sa rémunération. Brault, tout en déclarant ne pas être candidat – « en aucun cas je ne pose ma candidature […] j’ai donné le maximum de moi-même ce ne fut jamais pour obtenir une permanence » –, informe la direction que le montant des mensualités devrait atteindre 1 600 francs. Or la direction rétorque que le salaire d’un secrétaire est de 1 300 francs et rejette la proposition de budget émanant de la région. Brault et ses camarades écrivent alors :
Quant au salaire du permanent, le Bureau régional ne peut concevoir que le permanent ait un traitement inférieur à celui d’un député, alors que son travail est au moins aussi difficile et aussi exténuant. D’ailleurs si le secrétariat a prévu cette somme de 1 600 francs, c’est qu’il est entendu que le permanent n’aura au cours de ses multiples déplacements aucun frais de repas.
67Cette mention du député mérite que l’on s’y penche brièvement171 D’une part parce qu’elle soulève la question du regard des militants communistes sur cette fonction, dont l’importance est ici relativisée vis-à-vis de celle de secrétaire régional. Ensuite parce qu’elle touche à la question de la rémunération. Les indemnités des parlementaires sont au cours de cette période de l’ordre de 82 500 francs par an172 Au parti communiste, les députés versent l’intégralité de ces indemnités à l’organisation, et reçoivent un salaire correspondant environ à celui d’un ouvrier qualifié de la métallurgie. La somme de 1 600 francs demandée par Brault et ses camarades est donc basée sur ce que peut toucher un dirigeant comme Arthur Ramette, à la fois secrétaire régional et député, à savoir 1 300 francs mensuels173 Les communistes picards décident donc l’envoi d’une délégation à Paris pour discuter du budget. On peut raisonnablement penser que Brault, malgré ses dénégations, pensait devenir le futur secrétaire appointé de la région. Touchant un salaire de 1 550 francs en tant qu’employé de la ville de Saint-Denis174, il ne souhaitait sans doute pas perdre au change en acceptant la « permanence ». Malgré ces difficultés, Brault devient permanent à 1 300 francs par mois à partir d’octobre 1936. Ces échanges illustrent les processus de négociations entre le local et le national qui peuvent s’établir.
68Mais au-delà de la question du financement, c’est le principe même de militants professionnels qui peut créer des difficultés. Ainsi en Alsace, un rapport indique :
Le secrétariat régional se compose de 6 membres (tous les 6 sont fonctionnaires permanents). Le Bureau régional se compose de 13 membres (8 permanents et 4 ouvriers travaillant dans l’entreprise). Le Comité régional se compose de 30 membres y compris les membres du Bureau et du secrétariat. […] Le comité est trop large, la composition du Bureau régional ainsi que du Secrétariat régional est mauvaise, trop large et la représentation ouvrière est insuffisante, trop de fonctionnaires permanents. Avec la création d’une nouvelle région mosellane et la conférence de la région d’Alsace, ceci sera changé175.
69Cet extrait témoigne également, parmi tant d’autres, de la vigilance de l’organisation vis-à-vis de sa composition sociale. Lors de l’étude des comités régionaux notamment, les observateurs du parti sont toujours très attentifs à ce que ceux-ci soient « représentatifs » de leur environnement social. « Trop de fonctionnaires permanents » – couplé ici avec la présence jugée trop faible d’ouvriers – c’est courir le risque d’être coupé des lieux de travail, du salariat. Dans un parti où le dévouement, le désintéressement, voire « l’ascétisme » militant, constituent des marqueurs profonds de l’identité176, la situation de « fonctionnaire du parti177 » n’est pas sans créer des contradictions. C’est parce qu’il apparaît et se ressent comme un révolutionnaire professionnel178 et non comme un simple employé d’une institution, que le militant communiste peut accepter l’« appointement ». L’exemple des dirigeants nationaux, et en premier lieu de Maurice Thorez, est là pour suggérer « qu’existe la possibilité de faire carrière tout en restant fidèle à son monde d’origine179 ». « Quitter la production », ce n’est pas trahir, c’est poursuivre son engagement au service de la classe. Cette mise au point est nécessaire tant est grande, comme vue plus haut, la crainte d’être (auto)perçu comme un « arriviste », et la possible contradiction pour le parti « de la classe ouvrière » à se développer à l’aide d’hommes et de femmes « sortis du rang », c’est-à-dire certes issus du monde du travail sensément incarné par le parti mais « sorti » de lui par cette même organisation180 Comme le relevait B. Pudal :
Arme acérée pour déstabiliser un personnel politique en fonction, l’anticarriérisme, s’il aide à libérer des postes, ne prédispose guère à savoir les occuper… Cette contradiction se manifeste de manière aiguë au moment où les intellectuels organiques communistes découvrent que leur combat au sein du PCF débouche inéluctablement sur leur promotion propre, alors qu’ils ont mené ce combat au nom de la lutte contre les « ambitieux », leur morgue et leur orgueil. […] On ne pourra jamais dénombrer les militants ouvriers qui refusèrent catégoriquement toute promotion politique qui eût fait d’eux des « fonctionnaires », administrant ainsi la preuve de leur adhésion totale à l’éthique ouvriériste181.
70Le modèle du cadre thorézien qui se met progressivement en place au cours des années 1930 sert ainsi à canaliser cette éthique, à la tempérer après une période d’exacerbation, pour la faire entrer dans le moule du dirigeant prolétarien. Enfin, la professionnalisation d’un militant fait parfois craindre que ses camarades ne se reposent trop sur lui. En région troyenne, se plaignant de l’absence de travail collectif et de fonctionnement du bureau régional, le délégué du centre n’est guère convaincu que l’appointement de Pierre Parigaux, décidé par le comité régional, soit la solution adaptée : « Il est à craindre que la présence d’un permanent permette aux camarades de se reposer sur celui-ci et que l’on abandonne complètement la vie du Bureau régional.182 ».
Analyse globale du corpus des permanents
71Au moins soixante-treize membres du corpus des secrétaires régionaux sont passés par la fonction de permanent au cours de leur parcours politique, soit 39.04 %183 Que recouvre ici le terme de « permanent » ? On peut d’abord distinguer les militants communistes directement rétribués par le parti, et parmi eux les permanents « techniques » (employés du journal par exemple) de ceux dépendant d’un organisme différent – organisation « de masse » mais aussi syndicat – mais pouvant être considérés comme militants à plein temps du PC. Ce peut être le cas également de militants salariés d’une structure non-partisane, mais qui utilise cette position pour accomplir un travail politique au service du parti. Cette dernière catégorie peut ainsi être illustrée par l’exemple de Roger Roby qui, à son retour de l’École léniniste internationale, travaille officiellement à l’imprimerie coopérative contrôlée par le PCF, mais qui use de son temps avant tout pour son organisation politique184 Ces distinctions ne sont évidemment pas toujours clairement identifiables, et les chiffres proposés ici comportent bien évidemment une marge d’erreur, faible au demeurant. Il s’agit également de prendre en compte la place des élus. Nous les considérons ici comme « permanents », dès lors qu’il cesse d’exercer d’autres activités et de percevoir d’autres rémunérations que celles afférant à l’exercice de leur mandat. Cette diversité de situations conduit à adopter en partie la définition du permanent proposée par Annie Kriegel :
un militant qui, quels que soient sa fonction et son mode de rétribution, dépense la totalité de ses forces dans un poste pour lequel le Parti l’a désigné et « cadré » – soumis au contrôle et à la vérification de la section centrale des cadres185, laquelle a la haute main sur le dispositif et la ventilation des ressources humaines du Parti186.
72En partie seulement, car, rémunéré parfois par d’autres institutions que le parti, la « haute main » de celui-ci n’est pas toujours totale sur la « ressource humaine » qu’est le militant professionnel. En fait, il faudrait établir une distinction entre les « permanents communistes », rémunérés comme tels, par le parti, et les « communistes permanents », rétribués par les autres composantes de la galaxie communiste. Bien entendu, les seconds sont difficiles à dénombrer, et mesurer la part de leur activité qui est en fait consacrée au parti s’avère délicat. Tout cela sans compter la porosité qui fait passer d’une activité rémunérée à une autre, parfois du jour au lendemain187 La notion de galaxie permet alors de cerner l’image d’un vivier militant, aux multiples passerelles entre ses différentes composantes, qui participe de l’imprégnation sociale du communisme et qui, selon les moments, se distribue vers le parti ou vers les organisations de masse188 Nous avons dû exclure de l’analyse certaines situations sur lesquelles nous n’avions que trop peu de précision, ou encore les militants ayant touché à quelques occasions des subsides pour effectuer un travail pour le parti189, qui ne peuvent être considérés comme des militants professionnels.
73Cinq parmi ces permanents deviennent des militants professionnels via l’élection. En revanche, ils sont vingt-cinq au total à avoir été élus, c’est-à-dire plus de la moitié de l’ensemble du corpus des élus (quarante et-un membres). Plus disponibles, il n’est pas étonnant de retrouver les permanents au premier rang du combat électoral. Plus nombreux sont les militants à avoir été rémunérés au moins une fois par leur syndicat : c’est en effet le cas pour quatorze d’entre eux.
74La classification des professions exercées avant l’obtention du premier poste de permanent donne les résultats suivants :
Professions avant la première permanence.
Profession | Nombre | % |
ouvriers | 51 | 69,86 |
employés | 8 | 10,96 |
chômeurs | 5 | 6,85 |
agriculteurs | 2 | 2,74 |
retraité | 1 | 1,37 |
commerçant | 1 | 1,37 |
inconnue | 5 | 6,85 |
Tableau DM.
75Ces chiffres ne tiennent compte que de la profession exercée avant l’obtention d’un premier poste rémunéré, et ne peuvent donc décrire la complexité des parcours professionnels des individus. Première remarque : confirmant la première analyse des quarante-six militants qui étaient permanents au moment de leur entrée au mandat de secrétaire régionale, le tableau montre la prépondérance remarquable des ouvriers. Métallurgistes en tête, mineurs, ouvriers du textile ou du bâtiment, ils représentent 70 % de l’ensemble des membres du corpus devenus à un moment ou à un autre permanent. La catégorie des chômeurs doit être explicitée. Le chômage est, pour les cinq cas étudiés ici, le résultat direct de la répression administrative ou patronale. Ainsi, Bailly est un cheminot révoqué après les grèves de 1920, Raoul Calas est licencié de son emploi d’esquisseur en dentelles, « jeté dans le chômage », en raison de son action politique et connaît des périodes de « misère190 ». Le parti – ou le syndicat dans le cas de Bailly – se présente ici en soutien à des militants qui vivent des périodes très difficiles matériellement, et, on peut le supposer, moralement.
76On connaît la date d’accès au premier poste de permanent pour 68 d’entre eux. 39 le sont avant 1934 (57,35 %), 29 après. 10 % des militants permanents connaissent au moins deux périodes de professionnalisation militante dans leurs parcours. Ce qui montre par conséquent une relative instabilité de cette fonction, où le militant doit chercher du travail dans un contexte pour le moins difficile, où, militant connu des employeurs, il peut subir des pratiques d’inscription sur listes noires patronales. Selon nos estimations, soixante-trois permanents sur soixante-treize le sont durant leur mandat de secrétaire régional. 33,69 % des secrétaires régionaux en exercice entre 1934 et 1939 furent donc des permanents (quel que soit l’organisme qui les rémunère).
77Cette photographie sociale des membres de notre corpus est poursuivie par une présentation plus politique, s’attachant à étudier leur environnement familial et leurs premiers pas en politique lorsque ceux-ci furent extérieurs au PCF. Leur adhésion à celui-ci et enfin la formation politique qu’ils réalisent et/ou reçoivent au sein de cette organisation sont ensuite étudiées.
Notes de bas de page
1 Pour des raisons de facilités de lecture, nous utiliserons désormais le terme « région » sans guillemet.
2 Innombrables sont les références bibliographiques ou mêmes les sources qui évoquent les « fédérations » en lieu et place des « régions », parfois un retour aux fédérations à l’époque du Front populaire, qui n’eut jamais lieu.
3 Sur la bolchevisation lire notamment TARTAKOWSKY Danielle, Les premiers communistes français. Formation des cadres et bolchevisation, Paris, PFNSP, 1980.
4 AUBIN Nicolas, « Le “peuple communiste” en Basse-Seine : dénombrement et étude de l’encadrement des militants communistes, 1920-1939 », Annales de Normandie, 50e année, n° 4, 2000, p. 547.
5 KRIEGEL Annie, Le pain et les roses, jalons pour une histoire des socialismes, PUF, 1968, p. 209.
6 RGASPI 517/1/1502, feuillet 75, cinquième cours moyen de l’École centrale du parti communiste, 1933.
7 Il est fréquent de lire la mention de « comité départemental » dans les archives communistes. Il s’agit d’une structure à mi-chemin entre le rayon et le comité régional, qui en général précède la décentralisation de ce département et sa constitution en région propre.
8 RGASPI 517/1/1731, feuillet 89, Région Maine-et-Loire, état d’organisation, non-datée (désormais n-d) [été 1935].
9 MOLINARI Jean-Paul, « Les paysans du Parti communiste français », Politix, n° 14, 1991, p. 90.
10 Voir chapitre 6.
11 Voir chapitre 5.
12 SCOT Jean-Paul, « La révision des statuts du Front populaire et de la Libération », Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez, n° 29-30, 1979, p. 327.
13 RGASPI 517-1-1271, Matériaux préparatoires et rapports sur l’état de l’organisation du PCF au 7e congrès et RGASPI 517/1/1731, Rapport sur la décentralisation du Parti, 20 janvier 1935.
14 AN, Fonds de Moscou, 20010216/18, Dossier 375, feuillet 170, Courrier confidentiel du Ministère de l’Intérieur aux préfets, Paris, 31 décembre 1935.
15 RGASPI 517/1/1731, feuillet 2, Rapport sur la décentralisation du Parti, 20 janvier 1935.
16 WOLIKOW Serge, « Le PCF au temps du Front populaire. Organisation et activités », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 36, 1989, p. 11-12.
17 VIGREUX Jean, « Culture politique et rapports aux territoires : le cas du Parti communiste français », in TODOROV Antony, WOLIKOW Serge et BOUROUDJIEVA Tayana (dir.), Territoires et identités, Sofia, New Bulgarian University Press, 2004, p. 85.
18 RGASPI 517/1/1731, op. cit., feuillet 2.
19 Ibid.
20 Il est parfois peu aisé de se repérer dans les évolutions successives, nous assumons parfaitement que la date choisie pour la création d’une région peut se discuter (décision de création, mise en place effective, congrès constitutif...). Le très faible écart constaté avec d’autres études ne change pas l’analyse.
21 RGASPI 517/1/1660, feuillets 119 et 120, Résolution du rayon de Montluçon sur le congrès de Moulin et ses résultats (novembre 1934).
22 RGASPI 517/1/1744, feuillet 13, Tournée dans le Puy-de-Dôme du 11 au 25 août 1935.
23 HASTINGS Michel, « Le communisme saisi par l’anthropologie », Communisme, n° 45-46, 1996, p. 106.
24 RGASPI 517/1/1863, feuillet 173, Rapport de Lemayrie, instituteur, secrétaire adjoint de la région, 10 janvier 1937.
25 RGASPI 517/1/1865, feuillet 2, Compte rendu de la conférence régionale de Maine-et-Loire, n-d.
26 AN, Fonds de Moscou, 20010216/2, feuillets 1 à 6, Statuts du PC, n-d [1937].
27 RGASPI 517/1/1747, feuillets 184 à 186. Voir annexe n° 3.
28 Voir chapitre 5.
29 « Un bureau inexistant » est ainsi déploré en Saône-et-Loire en 1935 ; RGASPI 517/1/1747, feuillet 151, Comité régional élargi du 29 septembre 1935.
30 RGASPI 517/1/1818, feuillet 58, Comité régional de la Nièvre le 5 juillet 1936.
31 Sur Tréand lire sa notice Maitron par Roger BOURDERON et BOULOUQUE Sylvain, L’affaire de l’Humanité. Comment le célèbre quotidien tenta de reparaître en pleine occupation nazie, Paris, Larousse, 2010.
32 THOREZ Maurice, Fils du peuple, Éditions sociales internationales, 1937, p. 49.
33 BOULOUQUE Sylvain, « Le mouvement communiste dans l’Aube entre les deux guerres », in COURTOIS Stéphane (dir.), Communisme en France. De la révolution documentaire au renouveau historiographique, Paris, Cujas, 2007, p. 58.
34 Sur 185 « mandats », on constate le caractère exceptionnel de ce type de configuration. Ce qui ne signifie pas que toutes les autres sont « idéales » aux yeux du centre.
35 RGASPI 495/270/3736, autobiographie de Pierre Parigaux, 31 janvier 1937.
36 517/1/1666, feuillets 34 à 38. « Cadres ». Extrait du rapport de délégation d’André Marty, 5 novembre 1934. Les citations qui suivent sont extraites de ce document.
37 VIGREUX Jean, La faucille après le marteau. Le communisme aux champs dans l’entre-deux-guerres, Besançon, PUFC, 2012, p. 123.
38 Comme ce peut être le cas pour la période post-Libération. Lire sur ce sujet BOULLAND Paul, Acteurs et pratiques de l’encadrement communiste à travers l’exemple des fédérations PCF de banlieue parisienne (1944-1974), thèse de doctorat, Paris I, 2011.
39 Lire notamment BOULLAND Paul, « Des militants qui (se) comptent. Mesurer le parti et les pratiques militantes au sein du PCF (années 1920-années 1980) », Histoire & mesure, n° 23, 2018, p. 31-60.
40 RGASPI 517/1/1637, feuillet 26, Directives « À toutes les organisations du parti. “Pour battre le fascisme, pour organiser l’unité d’action, il faut un parti communiste fort !” », n-d mais post-Conférence nationale d’Ivry, 4 p.
41 RGASPI 517/1/1637, feuillet 6, Plan proposé pour les comités régionaux et les conférences régionales du Parti, janvier 1934, Comité central.
42 LAGARRIGUE Max, « Le PCF dans le Sud-Ouest, centre et périphérie », Arkheia, 1998, p. 4.
43 RGASPI 517/1/1656, feuillet 21, Lettre de Roche aux camarades du CC, Chambéry, 4 août 1934.
44 RGASPI 517/11743, feuillet 249, feuillet 253, Compte rendu région Bretonne, à Quimper, le 17 novembre 1935, par Gourdeaux et feuillet 256, Conférence de la Région bretonne, 29 décembre 1935.
45 RGASPI 517/531/174a, feuillets 1 et 2, Plan de travail pour les cinq élèves de l’École léniniste destinés à être instructeurs du CC.
46 LAGARRIGUE Max, « Le PCF dans le Sud-Ouest... », op. cit., p. 4.
47 La liste exhaustive est consultable en annexe n° 4. Ce chiffre ne tient pas compte des secrétaires régionaux rédigeant des rapports sur leur propre région ni des divers courriers reçus par le centre sur la même thématique.
48 Dans la publication Deux ans d’activités au service du peuple, PCF, 1938, p. 211 à 213, sont récapitulées les délégations de cinq instructeurs du comité central entre fin janvier 1936 et octobre 1937. Ces instructeurs cumulent un total de quarante-neuf délégations effectuées dans trente-trois régions différentes pour un temps passé dans celles-ci de 34 mois.
49 RGASPI 517/1/1891, feuillet 117, Rapport sur ma délégation au comité régional des Charentes, 7 août 1938.
50 Sur « l’affaire Lopin », voir RGASPI 517/1/1816, feuillets 57 à 89.
51 Auxquels où pourrait ajouter Henri Védrines, bien que son statut d’instructeur ne soit pas clairement établi.
52 RGASPI 494/1/193, feuillet 92, Intervention au VIIe congrès de l’IC, 31 juillet 1935.
53 PUDAL Bernard, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la FNSP, 1989.
54 En août 1936, l’âge passe à 14 ans.
55 Les informations portant sur l’organisation de l’enseignement en France sont issues principalement de PROST Antoine, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968.
56 Pour une vue synthétique : GRENET Julien, « Les grandes lignes de l’évolution des institutions scolaires au XXe siècle », en ligne sur le site de l’ENS Jourdan.
57 GILLOT Auguste, Un Forgeron dans la cité des rois, Dourdan-Longjumeau-Saint-Denis, Halles de Paris, 1991, p. 20 et p. 40.
58 OUTTERRYCK Pierre, Henri Martel, un mineur syndicaliste élu du peuple, Éditions Le Geai bleu, 2016.
59 Cependant il a déjà 12 ans. RGASPI 495/270/817, autobiographie d’Émile Galatry du 5 janvier 1938. Nous avons respecté l’orthographe originale.
60 RGASPI 495/270/3179, autobiographie de Charles Hubert, 1937 ou 1938.
61 Cent-sept dossiers furent consultés mais ils ne possèdent pas tous un questionnaire biographique.
62 Arrachons Carré au bagne de Méchéria, Publications du SRI, 1932, p. 16.
63 Voir chapitre 2.
64 PUDAL Bernard, Prendre parti..., op. cit., 1989, p. 116.
65 Notice Maitron, par Jean Maitron et Justinien Raymond.
66 Notice Maitron, par André Balent. PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle d’octobre 1917. L’engagement des communistes français, Ivry-sur-Seine, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 2017, p. 148.
67 RGASPI 4900/270/1850, autobiographie d’Édouard Meyer, 17 juin 1933. Meyer ne parle qu’allemand.
Sa « bio » fut probablement traduite par un camarade.
68 PUDAL, Prendre parti..., op. cit., p. 109.
69 29,95 %, 56 militants sur 187.
70 Voir également GRÈZES-RUEFF François, La culture des députés français (1910-1958). Essai de typologie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1994, p. 51, qui montre la présence majoritaire des « primaires » au sein du groupe communiste.
71 PROST, op. cit., p. 315 et VIGNA Xavier, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012, p. 30-31.
72 Notice Maitron, par Jacques Girault et Claude Pennetier.
73 GRENET Julien, op. cit.
74 DÉLOYE Yves, « L’école républicaine est méritocratique », in FONTAINE Marion, MONIER Frédéric et PROCHASSON Christophe (dir.), Une contre-histoire de la IIIe République, Paris, La Découverte, 2013, p. 130.
75 PROST, op. cit., p. 327.
76 RGASPI 495/270/4282, autobiographie d’Antoine Bourdarias, 21 janvier 1938.
77 RGASPI 495/270/2730, autobiographie de Marguerite Buffard, 1937.
78 RGASPI 495/270/3172, autobiographie de Marcel Bonin, 10 août 1937. Les citations qui suivent en sont extraites.
79 Comparaison de la scolarité des membres du corpus et des membres du CC de 1936 établie à partir de PUDAL, op. cit., p. 50.
80 Sur un corpus renseigné de 176 militants, soit 94,12 % du corpus. Ces chiffres tiennent compte des premiers mandats effectués durant la période du Front populaire, même s’ils débutent avant. Par exemple, Jules Walch est dirigeant de l’Alsace en 1934, mais il l’est depuis 1929. C’est donc cette dernière date qui fut retenue pour les calculs.
81 PUDAL Bernard, Prendre parti…, op. cit., p. 45.
82 72.73 % (136 militants sur 187).
83 LAMBERT Anne, « Des causes aux conséquences du divorce : histoire critique d’un champ d’analyse et principales orientations de recherche en France », Population, vol. 64, n° 1, 2009, p. 155.
84 Dans l’ensemble de la population française de l’époque, 58 % des vingt-six/trente ans sont mariés, SKOUTELSKY Rémi, L’espoir guidait leurs pas. Les volontaires français dans les Brigades internationales 19361939, Paris, Grasset, 1998, p. 143.
85 FESTY Patrick, « Les divorces en France et la Seconde Guerre mondiale », Population, 43e année, n° 4-5, 1988, p. 815.
86 Voir le schéma des autobiographies en annexe.
87 RGASPI 495/270/35, autobiographie de Gaston Auguet, 1937 ou 1938.
88 RGASPI 490/270/4326, autobiographie d’Etienne Néron, 1937.
89 Voir chapitre 3.
90 BARD Christine et ROBERT Jean-Louis, « Le Parti communiste français et les femmes », transmis par Paul Boulland. Paru en anglais dans GRUBER Helmut et GRAVES Pamela (dir.), Women and Socialism, Socialism and Women. Europe between the Two World Wars, New York-Oxford, Berghahn Books, 1998, p. 321-347.
91 RGASPI 495/270/3336, autobiographie d’Henri Boyer de 1937.
92 RGASPI 495/270/1832, autobiographie de Sylvan Péronnet, vers 1930.
93 RGASPI 495/270/4033, autobiographie de Roland Boudet de 1937.
94 Notice Maitron de Raymond Barbé, par Jean Sagnes et Claude Pennetier.
95 RGASPI 517/1/1894, feuillet 200, Compte rendu de délégation dans les Hautes-Pyrénées. 22-28 février 1938.
96 RGASPI 517/1/1909, Délégation dans le Tarn-et-Garonne, du 3 au 12 janvier 1938 [en fait 1939].
97 RGASPI 495/270/564, fiche synthétique établie par Suzanne Tilge sur la base de l’autobiographie de Virgile Barel, 23 juillet 1933. En réalité Eunice dite « Elo » ou « Hello » Barel ne se contente pas de s’occuper de son ménage, comme on pourrait le penser à la lecture de ce rapport. Elle administre la correspondance, particulièrement volumineuse, de son mari.
98 RGASPI 495/270/2163, autobiographie de Jean Lemarquis de 1937.
99 RGASPI 495/270/1267, autobiographie d’Henri Delannoy de 1933.
100 RGASPI 495/270/309, autobiographie d’Edmond Ginestet de 1938.
101 RGASPI 495/270/8649, rapport de Barbé sur le passage à l’ÉLI de R. Jolly, mai 1932.
102 RGASPI 517/1/1805, feuillet 39, courrier du secrétariat du PCF aux secrétaires régionaux, 29 décembre 1936.
103 BOULOUQUE Sylvain, L’affaire de l’Humanité. Comment le célèbre quotidien tenta de reparaître en pleine occupation nazie, Paris, Larousse, 2010, p. 153.
104 AGULHON Maurice « Postface », in VIGREUX Jean et WOLIKOW Serge (dir.), Cultures communistes au XXe siècle. Entre guerre et modernité, Paris, La Dispute, 2003, p. 308.
105 Les militants « appointés » sont systématiquement présentés (dans les professions de foi électorales par exemple) par une des professions exercées au cours de leur vie, alors même qu’ils ne l’exercent plus à ce moment-là. Si elles renseignent sur les origines sociales et sur l’image que veut donner d’elle, à travers ses militants, l’institution partisane, elles masquent bien d’autres enjeux.
106 Les cheminots sur lesquels nous n’avions pas de précisions sur le métier exercé sont intégrés dans la catégorie « ouvrier ».
107 PUDAL Bernard, « Politisations ouvrières et communisme », in DREYFUS Michel, GROPPO Bruno, INGERFLOM Claude et al., Le siècle des communismes, Paris, Éditions de l’Atelier, 2000, p. 522.
108 Voir notamment MISCHI Julian, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes, PUR, 2010.
109 MOLINARI Jean-Paul, Les ouvriers communistes. Sociologie de l’adhésion ouvrière au PCF, Paris, l’Harmattan, 1996.
110 LAZAR Marc, « Damné de la terre et homme de marbre. L’ouvrier dans l’imaginaire du PCF du milieu des années trente à la fin des années cinquante » Annales. Économies, sociétés, civilisations, n° 5, septembreoctobre 1990, p. 1072.
111 LAZAR Marc, « Le mineur de fond : un exemple de l’identité du PCF », Revue française de sciences politiques, 35e année, n° 2, avril 1985, p. 190-205 ; VINCENT Gérard, « Être communiste ? Une manière d’être », in ARIÈS Philippe et DUBY Georges (dir.), Histoire de la vie privée, t. 5, Paris, Seuil, 1999, p. 391.
112 Thorez Maurice, Fils du peuple, Éditions sociales internationales, 1937, p. 7.
113 VIGNA Xavier, Histoire des ouvriers..., op. cit., p. 60.
114 « Évolution de la population active en France depuis cent ans d’après les dénombrements quinquennaux », Études et conjoncture - Union française/Économie française, 8-9e année, n° 3, 1953, p. 239.
115 NOIRIEL Gérard, Les ouvriers dans la société française XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2002, p. 176.
116 Lire NOIRIEL Gérard, Les ouvriers..., op. cit.
117 VIGNA Xavier, Histoire des ouvriers..., op. cit., p. 120.
118 MONIER Frédéric, Le Front populaire, La Découverte, 2002, p. 4 et 8.
119 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle d’octobre..., op. cit., p. 149.
120 Vigreux Jean, « Le Parti communiste français à la campagne, 1920-1964. Bilan historiographique et perspectives de recherche », Ruralia, n° 3, 1998 et « Le campagnes et le communisme », in Moriceau Jean-Marc (dir.), Les campagnes dans les évolutions sociales et politiques en Europe. Des années 1830 à la fin des années 20, CNED/SEDES, 2005.
121 BOSWELL Laird, « La petite propriété fait le communisme (Limousin, Dordogne) », Études rurales, n° 171172, juillet-décembre 2004, p. 75-76.
122 MOLINARI, op. cit., et GIRAULT Jacques, Sur l’implantation du PCF dans l’entre-deux-guerres, Paris, Éditions Sociales, 1977, p. 49.
123 NOIRIEL Gérard, Une histoire populaire de la France, Agone, 2018, p. 501.
124 KRIEGEL Annie, La grève des cheminots, 1920, Paris, Armand Colin, 1988.
125 WOLIKOW Serge (dir.), Pierre Sémard. Engagements, discipline et fidélité, Paris, Le Cherche Midi, 2007.
126 Ces informations et les suivantes se basent sur POGGIOLI Morgan, La CGT du Front populaire à Vichy. De la réunification à la dissolution, 1934-1940, IHS-CGT, 2007 et PROST Antoine, La CGT à l’époque du Front populaire, Paris, Armand Colin, 1964.
127 Voir chapitre 3.
128 WILLARD Claude, « Contribution au portrait du militant guesdiste dans les dix dernières années du 19e siècle », Le Mouvement social, n° 33-34, 1960-1961, p. 55-66.
129 DREYFUS Michel, « Coopération et mutualité sous le Front populaire », in CANDAR Gilles et MORIN Gilles (dir.), Les deux France du Front populaire, L’Harmattan, 2008, p. 169-170.
130 RGASPI 495/270/309, autobiographie d’Edmond Ginestet, 2 janvier 1938.
131 PUDAL Bernard, Prendre parti..., op. cit., p. 130.
132 RGASPI 495/270/1736, dossier biographique de B. Ramier. Note de Maurice Tréand, Moscou, 21 juin 1938. L’orthographe a été respectée.
133 Voir chapitre 4. Nous utilisons l’orthographe « Trotski » et « trotskisme », mais nous avons respecté dans les citations les usages différents.
134 RGASPI 495/270/3976, autobiographie de Marcel Messeau, 3 août 1937.
135 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle..., op. cit., p. 285-286.
136 RGASPI 495/10a/16, Rapport de Maurice Tréand, [fin 1937].
Ce document, non disponible sur Pandor, est cité notamment dans PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, « La peur de l’autre : vigilance anti-trotskiste et travail sur soi », in STUDER Brigitte et HAUMANN Heiko (dir.), Sujets staliniens. L’individu et le système en Union soviétique et dans le Comintern 1929-1953, Zurich, Chronos, 2006 p. 253-271. D’autres auteurs évoquent la cote 495/10a/19 ce qui, après vérification, s’avère inexact. Non daté, ce document intitulé « Bref rapport sur le travail des cadres et la provocation dans le PCF » est estimé avoir été produit fin 1937. Le début de l’année 1938 pourrait également être envisagé, vu le classement chronologique des fonds Manouilski d’où il est extrait.
137 RGASPI 517/1/1864, feuillets 126 et 127, Conférence région Finistère-Morbihan, Quimper, 5 décembre 1937.
138 Cet anti-intellectualisme n’est évidemment pas une « création » d’un PCF en voie de bolchevisation. Il s’inscrit dans l’histoire et la culture profondes du mouvement ouvrier. Signalons cependant que sur les seize professeurs et instituteurs présents dans cette étude, seulement trois ont rejoint l’organisation au moment de la période du Front populaire.
139 PUDAL Bernard, Prendre parti..., op. cit., p. 164.
140 GRENARD Fabrice, « La verticalité inversée : être cadre intermédiaire du parti dans le contexte de la clandestinité (1939-1944) », in DUCOULOMBIER Romain et VIGREUX Jean (dir.), Le PCF, un parti global (1919-1989). Approches transnationales et comparées, Dijon, EUD, 2019, p. 407.
141 VIGREUX Jean, La faucille après le marteau..., op. cit., p. 267.
142 PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle…, op. cit., p. 267.
143 BECKER Jean-Jacques et BERSTEIN Serge, Histoire de l’anticommunisme en France, Paris, Olivier Orban, p. 230.
144 Notice Maitron, par Jacques Girault, Jean Maitron et Claude Pennetier.
145 Notice Maitron, par André Balent, Yves Le Maner, Claude Pennetier et Jean Sagnes.
146 FAJON Étienne, Ma vie s’appelle liberté, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 54.
147 Fernand Grenier, cité par PUDAL Bernard, « Les communistes », in BECKER Jean-Jacques et CANDAR Gilles (dir.), Histoire des gauches en France, t. 2, Paris, La Découverte, p. 54.
148 GILLOT Auguste, Un forgeron dans la cité des rois, Dourdan-Longjumeau-Saint-Denis, Halles de Paris, 1991, p. 115.
149 Cité dans PARENT Marcel, Camarade Camille. Militant communiste limousin, Le Temps des Cerises, p. 9.
150 PUDAL, Bernard, « Les communistes », op. cit., p. 51 et TREMPÉ Rolande, « Sur le permanent dans le mouvement ouvrier français », Le Mouvement social, n° 99, 1977, p. 39-46.
151 RGASPI 495/270/4597, autobiographie d’Albert Varloteau, 2 septembre 1936. L’orthographe a été respectée. Cité dans PENNETIER Claude et PUDAL Bernard, Le souffle d’octobre 1917..., op. cit., p. 71-101.
152 OFFERLÉ Michel, « Professions et profession politique », in OFFERLÉ Michel (dir.), La Profession politique, XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 1999, p. 11.
153 Citée dans PUDAL Bernard, « Les communistes », op. cit., p. 51. Voir KRIEGEL Annie, Les communistes français dans leur premier demi-siècle. 1920-1970, Paris, Seuil, 1985, chapitre 8 : « Un corps consacré : les permanents », p. 187-208.
154 KRIEGEL Annie, Les communistes..., op. cit., p. 194.
155 BOURDIEU Pierre, « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en Sciences sociales, n° 36-37, février-mars 1981, p. 3-24.
156 BULAITIS John, Maurice Thorez. A biography, Londres, IB Tauris, 2018, p. 121.
157 Pour les évolutions ultérieures, lire notamment ALDRIN Philippe, « Les permanents sont-ils des militants ? », Recherche socialiste, OURS, 2009, p. 67-81.
158 RGASPI 517/1/1666, feuillet 122, Rapport de Virgile Barel sur la situation de la Région Sud-Est, 19 mai 1934.
159 RGASPI 517/1/1743, feuillet 110, Comité régional Aude-Hérault Pyrénées-Orientales, 24 février 1935.
160 RGASPI 517/1/1865, feuillet 126, Tournée de propagande dans le Puy-de-Dôme du 20 au 26 mars 1937.
161 Lettre de Virgile Barel à Solovieva, avril 1934, citée dans OLIVESI Dominique, Virgile Barel 1889-1979.
De Riquier à la Crimée française, Nice, Serre éditeur, 1996, p. 95.
162 KRIEGEL Annie, Les communistes..., op. cit., p. 196.
163 RGASPI 517/1/1819, feuillet 35, Rapport régional de la région Picarde, St-Denis, 24 juin 1936.
164 Notice Maitron, par Claude Pennetier.
165 RGASPI 517/1/1815, feuillet 307, Lettre de Signor au secrétariat du parti, 17 juillet 1936.
166 Voir « L’art de diriger », chapitre 3.
167 LAZAR Marc, « Le Parti et le don de soi », Vingtième siècle, revue d’histoire, Volume 60, 1998, p. 38.
168 GAXIE Daniel, « Économie des partis et rétribution du militantisme », Revue française de science politique, n° 1 (27e année), 1977, p. 130.
169 RGASPI 495/270/788.
170 Les informations qui suivent sont extraites de RGASPI 517/1/1819, feuillets 25 à 45.
171 Sur les élus, voir chapitre 3.
172 BILLARD Yves, Le métier de la politique sous la IIIe République, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2003, notamment p. 191-207 et GARRIGOU Alain, « Vivre de la politique. Les“quinze mille”, le mandat et le métier », Politix, n° 20, 1992, p. 7-34.
173 Sur la rémunération des permanents, voir chapitre 3.
174 RGASPI 495-270-788, autobiographie d’Amand Brault de 1938.
175 RGASPI 517-1-1743-feuillet 71, Rapport sur l’organisation du Parti dans la Région Alsace-Lorraine, fin juin 1935.
176 DUCOULOMBIER Romain, Camarades ! La naissance du parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010.
177 Le terme de « fonctionnaire » est à l’époque très utilisé par toutes les formations politiques et, dans le cas communiste, jusqu’au Komintern.
178 Formule employée notamment par Maurice Thorez dans Fils du peuple, Éditions sociales internationales, 1937, p. 49.
179 LAZAR Marc, Le communisme une passion française, Paris, Perrin, 2005, p. 149.
180 P. Robrieux évoque le militant « arraché » à l’usine ; ROBRIEUX Philippe, Histoire intérieure du Parti communiste français. t. 1, Paris, Fayard, 1980, p. 473.
181 PUDAL, Prendre parti..., op. cit., p. 142.
182 517/1/1819, feuillet 267, Rapport sur le comité régional de la région troyenne du 5 juillet [1936].
183 La liste des permanents est à consulter en annexe n° 5.
184 Notice Maitron, par Claude Pennetier. Cette pratique n’est évidemment pas propre au parti communiste.
185 Remplacer par « Commission des cadres » pour l’époque étudiée ici.
186 KRIEGEL Annie, Les Communistes français..., op. cit., p. 207.
187 Voir par exemple le parcours de Charles Tillon ou celui de GILLOT Auguste, Un Forgeron dans la cité des rois, Dourdan-Longjumeau-Saint-Denis, 1991, p. 95.
188 Nous remercions Roger Martelli pour les échanges avec lui sur ce thème.
189 Par exemple : RGASPI 517/1/1666, feuillet 36, Cadres. Régions Gard, Aude-Hérault, PyrénéesOrientales, 2 novembre 1934.
190 RGASPI 495/270/1776, autobiographie de Félix Cadras, 3 décembre 1937.
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