Préface
p. 13-15
Texte intégral
1L’ouvrage proposé par Dimitri Manessis sur Les secrétaires régionaux du Parti communiste français (PCF) 1934-1939 est issu de sa thèse d’histoire contemporaine soutenue à l’université de Bourgogne-Franche-Comté le 15 décembre 20201. Maîtrisant l’historiographie riche et plurielle sur le sujet, Dimitri Manessis a su constituer un corpus impressionnant de sources internes au monde communiste, mais aussi externes, celle de la surveillance d’État, voire de la répression2. Dans son ouvrage, il restitue une biographie collective des cadres locaux ou régionaux du PCF au temps du Front populaire. Un moment qui marqua pour longtemps l’horizon, la culture et les pratiques du PCF qu’il saura à maintes reprises remobiliser comme moment fondateur. Ce tournant antifasciste, initié en France après l’onde de choc de l’arrivée d’Hitler au pouvoir et des événements du 6 février 1934 à Paris, intervient après une période marquée par une ligne plus sectaire, « classe contre classe », initiée au VIe Congrès de l’Internationale communiste (1928) ; ligne qui constituait une deuxième bolchevisation, accentuant le contrôle du Parti mondial de la Révolution, l’Internationale communiste ou Komintern3. Dès lors, la nouvelle orientation permet au jeune parti communiste, né en 1920, de renouer avec l’unité du mouvement ouvrier.
2Cette ligne de Front populaire antifasciste, initiée par Georges Dimitrov et mise en œuvre en France par Maurice Thorez et Eugen Fried, dès 1934, est validée au VIIe Congrès de l’Internationale communiste (juillet-août 1935) à Moscou, où la délégation française la plus nombreuse donne le ton de la nouvelle orientation, soulignant les succès en cours, tant d’un point de vue organisationnel, militant, qu’électoral. C’est dans ce contexte particulier que s’inscrit la thèse, au moment où le parti communiste change totalement son univers devenant au gré de cette nouvelle ligne un parti de masse (il passe de 28 400 militants en 1933 à 257 000 en 1937, de 10 députés sur 615 en 1932 à 72 sur 618 en 19364).
3La première partie de l’ouvrage explicite « qui sont les secrétaires régionaux du PCF ? ». Il s’agit non seulement de délimiter et présenter le corpus, mais de revenir sur le rôle et la formation des secrétaires qui constituent l’interface entre la direction nationale et la base du parti. La seconde partie analyse les parcours ou trajectoires des secrétaires régionaux renouant avec une histoire sociale du politique. La troisième et dernière partie analyse ce moment particulier du Front populaire où le PCF rencontre la République. À chaque fois, Dimitri Manessis souligne avec force et conviction les tensions à l’œuvre, les hybridations, voire les arrangements qui peuvent exister loin d’une vision totalisante que d’aucuns ont pu facilement théoriser, alors que « l’amateurisme » peut aussi exister. Il souligne également avec pertinence comment l’activité militante peut constituer un facteur d’ascension pour les membres d’origine populaire. D’autre part, les secrétaires régionaux, cadres communistes intermédiaires, respectent ou font respecter la discipline partisane ce qui peut parfois être sources de conflits ou tensions.
4Histoire sociale du politique, les acteurs sont au cœur du récit. Il ne s’agit pas seulement de dresser le portrait-type du dirigeant local, ce que restitue avec finesse Dimitri Manessis au cours de sa première partie, mais de saisir ou de retrouver les contradictions à l’œuvre, les doutes qui s’emparent de ces cadres régionaux, hommes ou femmes (seules Marguerite Buffard et Martha Desrumeaux ont eu cette fonction de dirigeante locale sur plus de 187 secrétaires régionaux étudiés). L’étude sociologique, fondée sur une approche prosopographique, restitue les parcours des dirigeants locaux : comme la majorité de la population française de l’époque, ils n’ont fréquenté que l’école primaire et le PCF est un véritable tremplin pour ceux qui deviennent des permanents de l’organisation. Toutefois, plus de 30 % d’entre-eux ont obtenu leur Certificat d’études primaires, alors que pour l’ensemble de la société française on compte 20 %. Le capital scolaire est ainsi fructifié par l’organisation politique. Surtout, le « parti de la classe ouvrière » a des dirigeants issus du monde ouvrier (50 %), même si les instituteurs ont un rôle non négligeable au sein de cette cohorte de dirigeants locaux.
5Ce portrait collectif permet aussi de saisir au mieux la réalité des dirigeants locaux qui ne sont pas, majoritairement, des permanents du PCF ou de la galaxie communiste ; ces derniers ne représentent qu’un tiers du groupe. Ainsi, la majorité a gardé son travail et doit combiner sa vie de militant et cadre politique avec sa vie professionnelle et familiale. C’est l’autre enseignement de cet ouvrage qui permet de penser les couples, les vies militantes. Enfin, Dimitri Manessis offre un regard complémentaire au travail initié par Bernard Pudal5, sur la formation du « cadre thorézien ». Il décentre le regard et l’analyse au sein des régions ou des « petites patries », à travers les exemples corse et alsacien, mais également par l’investissement du folklore et des traditions locales. Dimitri Manessis s’inscrit dans le renouvellement historiographique proposé par Julian Mischi6 qui porte son regard sur les actrices et les acteurs de cette histoire. Là, il complète une histoire par le bas en insistant sur l’interface entre les militants et la direction nationale, voire internationale du parti, tout en restituant le cursus honorum au sein de l’organisation.
6Cette histoire rend compte aussi des évolutions du Front populaire, des difficultés rencontrées, en particulier de la question du soutien à l’Espagne républicaine et les combats à mener. Si l’alliance se délite en 1938, lorsque les Radicaux décident de gouverner à nouveau au centre-droit, le PCF se veut le gardien de la ligne antifasciste jusqu’en 1939. Toutefois, la signature du Pacte germano-soviétique, obligeant plus tard à un nouveau tournant à 180° où la diplomatie soviétique du Parti-État l’emporte sur la ligne antifasciste du Komintern, crée certains remous. De surcroît, l’interdiction du PCF et la répression, qui s’abat sur l’organisation politique, invitent à saisir au mieux le « don de soi » et le « prix à payer pour le militantisme » lors des arrestations de 1939, ouvrant alors des pistes pour des travaux futurs que Dimitri Manessis saura mener, j’en suis convaincu avec brio.
Notes de bas de page
1 Cette thèse a bénéficié d’une allocation de recherche liée à l’ANR Paprik@2F. Le jury était composé d’Emmanuel Bellanger, Directeur de recherche CNRS Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (Paris 1), Noëlline Castagnez, professeur des Universités (Orléans), Frédéric Monier, professeur des Universités (Avignon, président du jury), Jean Vigreux, professeur des Universités (Bourgogne-Franche-Comté), Serge Wolikow, professeur émérite des Universités (Dijon).
2 Les archives de l’Internationale communiste (RGASPI), mises en valeur grâce au projet Paprik@2F et le site PANDOR de la MSH Dijon (https://pandor.u-bourgogne.fr/programme-de-recherche/paprik2f), les mémoires ou témoignages publiés de cadres régionaux du PCF, la presse communiste locale et nationale, les brochures ou les fonds privés comme ceux de Maurice Thorez ou d’André Marty. Dimitri Manessis a aussi dépouillé avec minutie les archives de « la surveillance et de la répression » de la direction de la Sûreté générale (F7 et « fonds de Moscou »).
3 Voir Serge Wolikow, L’Internationale communiste (1919-1943). Le Komintern ou le rêve déchu du parti mondial de la révolution, Paris, L’Atelier, 2010.
4 Roger Martelli, Jean Vigreux, Serge Wolikow, Le parti rouge. Une histoire du PCF 1920-2020, Paris, A. Colin, 2020, p. 277 et p. 282.
5 Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, PFNSP, 1989.
6 Julian Mischi, Le parti des communistes. Histoire du Parti communiste français de 1920 à nos jours, Marseille, Hors d’atteinte, 2020.
Auteur
Professeur d’histoire contemporaine
Université de Bourgogne Franche-Comté,
Directeur de la MSH Dijon
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