Maria Casarès, monstre sacré
p. 54-72
Texte intégral
Éléments biographiques
1Maria Casarès (La Corogne, 1922 - Alloue, 1996) est une des plus grandes comédiennes de théâtre de la seconde moitié du xxe siècle. D’origine espagnole, María Victoria Casares Pérez arrive à l’âge de 14 ans en France avec sa famille fuyant la guerre d’Espagne. Son père, Santiago Casares Quiroga, était président du Conseil des ministres de la Seconde République espagnole quand la guerre a éclaté, ce poste politique important mettait en danger l’ensemble de la famille. À partir de la victoire de Franco en 1939, les Casares savent qu’ils ne pourront pas retourner dans leur terre natale.
2Maria, qui avait déjà pratiqué le théâtre dans sa jeunesse en Espagne, trouvera en France sa véritable vocation. Elle apprend le français, lutte contre son accent et réussit le concours d’entrée au Conservatoire national de musique et d’art dramatique de Paris, où elle s’est formée avec Béatrix Dussane. Rapidement, elle va se révéler une des jeunes artistes les plus prometteuses de sa génération. Elle tourne plusieurs films, dont certains sont aujourd’hui des classiques du cinéma (Les Enfants du paradis de Marcel Carné, Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson, Orphée de Jean Cocteau). Cependant, elle décide de se consacrer pleinement au théâtre préférant la liberté des planches au carcan de la caméra.
3Elle commence sa carrière théâtrale aux côtés de Marcel Herrand au théâtre des Mathurins à Paris, où elle joue notamment dans la création du Malentendu d’Albert Camus. Au Théâtre Hébertot quelques années plus tard, elle incarnera Dora dans Les Justes, rôle que Camus avait écrit pour elle. Après un bref passage à la Comédie-Française, elle rejoint la troupe du Théâtre national populaire de Jean Vilar et devient une tragédienne légendaire. Acclamée dans les rôles de Lady Macbeth et de Marie Tudor, elle s’inscrit dans la mémoire des spectateurs du Festival d’Avignon, du Palais de Chaillot, mais aussi à l’international lors des grandes tournées du TNP. Elle joue ensuite pour Jorge Lavelli, danse dans des pièces chorégraphiques de Maurice Béjart, crée avec Roger Blin Les Paravents de Jean Genet, puis travaille avec une nouvelle génération de metteurs en scène dont Patrice Chéreau et Bernard Sobel.
4Passionnée des écritures, elle incarne des rôles classiques, mais crée également les œuvres des auteurs majeurs de son temps : Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Paul Claudel, Jean Anouilh, Jean Genet, Copi, etc. Bernard-Marie Koltès dira avoir désiré écrire pour le théâtre après avoir vu jouer Maria Casarès. Il lui écrira le rôle de Cécile dans Quai Ouest, qu’elle interprétera lors de la création mise en scène par Patrice Chéreau.
5En 1960, Albert Camus se tue dans un accident de voiture, laissant Maria Casarès dévastée par la perte du grand amour de sa vie. Cette même année, elle s’enrichit considérablement grâce au spectacle Cher menteur qu’elle joue en duo avec Pierre Brasseur. Pour cette réfugiée espagnole coupée de ses racines, le besoin de s’ancrer, d’acquérir une terre prend sens. En 1961, Maria Casarès achète, avec le comédien, chanteur et musicien André Schlesser, le Domaine de la Vergne. Ces cinq hectares de terre deviennent pour cette exilée son refuge loin du « bûcher théâtral » parisien. Pendant les trente-cinq années qui suivirent, elle retourna à la Vergne se ressourcer dès que les exigences de son métier le lui permettaient.
6En 1976, à la mort de Franco, Maria Casarès se rend en Espagne pour jouer dans El adefesio de Rafael Alberti, seule production théâtrale espagnole à laquelle elle participera. Cependant, ce retour ne la conduira pas dans sa Galice natale, qu’elle ne reverra jamais. En 1978, elle épouse André Schlesser et par ce mariage devient une citoyenne française.
7Son talent et son apport à l’art du théâtre ont été salués par de nombreuses distinctions. Le Molière de la meilleure comédienne lui est décerné pour son interprétation d’Hécube dans la pièce éponyme d’Euripide mise en scène par Bernard Sobel en 1989, suivi du Grand Prix national du Théâtre en 1990. Elle fut nommée chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. En Espagne, elle reçoit la médaille d’or du Mérite des beaux-arts en 1987. Les prix du théâtre galicien portent son nom depuis 1996.
8Cette même année, elle décède au Domaine de la Vergne. Quelques jours avant sa mort, elle rédige un testament léguant son domaine et tout ce qu’il contient à la commune d’Alloue. Elle est enterrée aux côtés d’André Schlesser dans le cimetière du village qui surplombe le domaine.
Bibliothèque de Maria Casarès, logis de la Vergne

© Christophe Raynaud de Lage - Maison Maria Casarès
Bibliographie
Écrits de Maria Casarès
Mémoires
Casarès Maria, Résidente privilégiée, Paris, Fayard, 1980.
Casarès Maria, Residente privilegiada (traduit en espagnol par F. García-Prieto Buendía, E. Sordo), Barcelone, Argos Vergara, 1981 ; autre édition : Residente privilegiada, Séville, Renacimiento, 2022.
Casarès Maria, Residente privilexiada (traduit en galicien par A. B. Martínez Delgado), La Corogne, Trifolium, 2009.
Correspondance
Camus Albert, Casarès Maria, Correspondance (1944-1959), Paris, Gallimard, 2017.
Camus Albert, Casarès Maria, Correspondencia 1944-1959 (traduit en espagnol par M. T. Gallego Urrutia, A. García Gallego), Barcelone, Debate, 2023.
Casarès Maria, lettre, dans Gérard Philipe. Souvenirs et témoignages recueillis par Anne Philipe et présentés par Claude Roy, Paris, Gallimard, 1960, p. 80‑87.
Lopo María, Cartas no exilio. Correspondencia entre Santiago Casares Quiroga e María Casares (1946-1949), La Corogne, Baía, 2008.
Écrits sur Maria Casarès
Biographies
Dussane Béatrix, Maria Casarès, Paris, Calmann-Lévy, 1953.
Estévez Arancha, María Casares. A célebre refuxiada, a descoñecida, Vigo, A Nosa Terra, 1999 (rééd. Allariz, Aira, 2022).
Figuero Javier, Carbonel Marie-Hélène, Maria Casarès. L’étrangère, Paris, Fayard, 2005.
Hermida Sabela, María Casares fronte ao espello, Vigo, Xerais, 2022.
Lopo María, O tempo das mareas. María Casares e Galicia, Saint-Jacques-de-Compostelle, Consello da Cultura Galega, 2016 (éd. actualisée en 2022).
M.-Forsythe Florence, Maria Casarès. Une actrice de rupture, Arles, Actes Sud, 2013.
Biographies romancées ou dramatisées
Fuertes Clara, Todas las horas del día, Barcelone, Plaza & Janés, 2022.
Lopo María, « O meu nome é María Casares », Union libre, 12, 2007, p. 87‑100.
M.-Forsythe Florence, Tu me vertiges, Paris, Le Passeur, 2017.
Plantagenet Anne, L’Unique. Maria Casarès, Paris, Stock, 2021.
Plantagenet Anne, La Única. María Casares (traduit en espagnol par J. Vivanco), Barcelone, Alba, 2021.
Plantagenet Anne, A única. Maria Casarès (traduit en galicien par I. Soro), Pontevedra, Kalandraka, 2022.
Études et autres (sélection)
Aznar Soler Manuel, « Materiales para la memoria de un mito. María Casares y el exilio republicano español de 1939 », dans M. Aznar Soler (dir.), Escritores, editoriales y revistas del exilio republicano de 1939, Séville, Renacimiento, 2006, p. 1073‑1107.
Aznar Soler Manuel, « Douze lettres inédites de Rafael Alberti, José Bergamín, Alejandro Casona, Jean Cassou, Jacinto Grau et Margarita Xirgu a María Casares », dans G. Dreyfus-Armand, D. Fernández Martínez (dir.), L’Art en exil. Les artistes espagnols en France, Marseille, Riveneuve, 2014, p. 229‑263.
Aznar Soler Manuel, « María Casares, Margarita Xirgu y el estreno de Yerma, de Federico García Lorca, en el Teatro Municipal General de San Martín de Buenos Aires (1963) », dans M. F. Vilches de Frutos (dir.), Género y exilio teatral republicano. Entre la tradición y la vanguardia, Amsterdam, Rodopi, 2014, p. 165‑180.
Canosa María, Gregores Bea, María Casares. A impaciencia por vivir, La Corogne, Bululú, 2022.
Castro de Paz José Luis, « Cine y exilio. María Casares », dans S. Reboreda Morillo (dir.), Homenaxe á profesora Lola F. Ferro. Estudios de historia, arte e xeografía, Vigo, Universidade de Vigo, 2005, p. 147‑159.
Castro de Paz José Luis, Pena Pérez Jaime J., Barreiro Fernández Xosé Ramón (dir.), Entre o exilio e o reino. María Casares, unha actriz fronte á cámara, La Corogne, Servizo Galego de Igualdade, 2002.
Chao Ramón, Fernán-Vello Miguel Anxo, Haro Tecglen Eduardo, Molina César Antonio, Rivas Manuel, Senillosa Antonio de, María Casares. Mi patria es el teatro, La Corogne, Trifolium, 2022.
Chenetier-Alev Marion (dir.), « Le jeu de Maria Casarès ou le théâtre à l’épreuve », Revue d’histoire du théâtre, 277, 2018, p. 5‑142.
Coca Méndez Beatriz, « L’expression de la fidélité envers les valeurs noires dans Résidente privilégiée de María Casares », dans A. I. Labra Cenitagoya, E. Laso y León, M. López Mújica, M. J. Valiente Jiménez (dir.), Crises, échec ou défi ?, Alcalá de Henares, Universidad de Alcalá, 2016, p. 90‑101.
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Lopo María, María Casares, actriz océano. Itinerario vital dunha exiliada, La Corogne, Concello da Coruña, 2022.
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Méndez Romeu Jose Luis, « La recepción artística de María Casares en España », Nalgures, 19, 2022, p. 167‑193.
Mourier-Martínez María Francisca, « Remembranzas de la patria desde el exilio: Residente privilegiada, de María Casares », dans J. R. Aymes (dir.), Communautés nationales et marginalité dans le monde ibérique et ibéro-américain, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 1981, p. 117‑129.
Rodríguez Cela Julia, « María Casares: la exiliada de todos los exilios », Antígona, 5, 2010, p. 116‑135.
Films documentaires sur Maria Casarès
María Casares. A muller que viviu mil vidas, réalisé par Villaverde Xavier, Coproducción España-Portugal, Agallas Films, Take 2000, 2022.
María Casares. El todo o la nada, réalisé par Anglarill Elisabeth, Arranz Manel, RTVE, 2019.
Maria Casarès et Albert Camus. Toi. Ma vie, réalisé par Kapnist Elisabeth, Kuiv Productions, 2022.
Maria Casarès. Histoires d’actrice, réalisé par Malaterre Jacques, Caméras Continentales, 1992.
Maria Casarès. Medea : la vie d’un rôle, réalisé par Willemin Pierre, Office national de radiodiffusion-télévision française, 1967.
Maria Casarès. « Résidente privilégiée » ou partition pour un livre, réalisé par Dumoulin Michel, INA, 1979.
María Casarès. Voces para un centenario. María Casares e o Festival de Avignon, réalisé par Silva Manuel, Asociación de Actores e Actrices de Galicia, 2022.
María Casarès. Voces para un centenario. O deber da memoria, réalisé par Silva Manuel, Asociación de Actores e Actrices de Galicia, 2022.
Tralos pasos de María Casares, réalisé par Hermida Sabela, Blanco Isabel, La Xunta, 2022.
Une maison, un artiste : La Vergne. La résidence privilégiée de Maria Casarès, réalisé par Gambart Marie-Christine, A Prime Group, 2015.
Annexe
Maria Casarès au Festival d’Avignon
1954 : Macbeth de William Shakespeare, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1955 : Marie Tudor de Victor Hugo, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1955 : La Ville de Paul Claudel, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1956 : Macbeth de William Shakespeare, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1958 : Marie Tudor de Victor Hugo, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1958 : Le Triomphe de l’amour de Marivaux, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1959 : Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, mise en scène Jean Vilar, TNP.
1967 : Medea de Sénèque, mise en scène Jorge Lavelli.
1968 et 1969 : La Nuit obscure de Saint Jean de la Croix, chorégraphie Maurice Béjart.
1970 : Early Morning d’Edward Bond, mise en scène Georges Wilson.
1970 : Le borgne est roi de Carlos Fuentes, mise en scène Jorge Lavelli.
1980 : Le Conte d’hiver de William Shakespeare, mise en scène Jorge Lavelli.
1982 : Les Possédés de Fedor Dostoïevski, mise en scène Denis Llorca.
1985 : La Nuit de Mme Lucienne de Copi, mise en scène Jorge Lavelli
1986 : Elle est là de Nathalie Sarraute, mise en scène Michel Dumoulin.
1986 : L’Usage de la parole de Nathalie Sarraute, mise en scène Michel Dumoulin (lecture).
1986 : Tropismes de Nathalie Sarraute, mise en scène Michel Dumoulin.
1991 : Comédies barbares de Ramón María del Valle-Inclán, mise en scène Jorge Lavelli.
1993 : Ostinato (extraits) de Louis-René des Forêts, mise en scène Michel Dumoulin.
Les étapes du Domaine de la Vergne
1961 : achat du Domaine de la Vergne par Maria Casarès et André Schlesser.
1985 : décès d’André Schlesser. Maria Casarès devient propriétaire de l’entièreté du domaine.
1996 : décès de Maria Casarès. Elle lègue le Domaine de la Vergne à la commune d’Alloue.
1999 : création de l’association « La Maison du comédien Maria Casarès » dirigée par Véronique Charrier et présidée par François Marthouret.
2002 : inscription du logis de la Vergne à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
2004-2006 : première campagne de travaux : transformation de la grange en salle de spectacle et création de logements pour les artistes dans les dépendances.
2008 : obtention du label de « Centre culturel de rencontre ».
2011 : obtention du label de « Maison des Illustres ».
2016 : nomination de Johanna Silberstein et Matthieu Roy à la direction.
2017 : évolution du nom de l’association qui devient « La Maison Maria Casarès » et transmission de la présidence de François Marthouret à Marie-Cécile Zinsou. Premier Festival d’Été.
2021-2022 : campagne de travaux sur les dépendances (cuisine, salles de réception, porche d’accueil, bureaux).
2022-2024 : rénovation du logis de la Vergne.
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