Conclusion
p. 391-393
Texte intégral
1Tout au long de ce travail, j’ai pu constater l’omniprésence des métaphores et allégories maternelles dans les discours publics de toutes les familles politiques, à des degrés divers. Elles sont toujours associées à une ou plusieurs valeur(s) : les fils de la patrie sont tantôt les fils de la Liberté, les fils de la Nature, les fils de l’Église, les fils de la grande Nation napoléonienne, etc. Le père est le plus souvent absent de ces représentations collectives, les filles et les femmes n’existent pas en elles-mêmes – au mieux, elles sont englobées dans le terme « enfant » de la patrie ou bien elles apparaissent comme la mère des fils de la patrie (ou de la France, de l’Église, etc.). Cette place leur serait assignée par la « nature » et c’est bien le discours que l’on retrouve constamment au xixe siècle. Les personnages principaux sont la mère et le fils. C’est le fils qui est le plus souvent le porte-parole de la mère1, il est aussi le porte-idéal, et tout l’enjeu du pouvoir est de savoir qui prendra la place de ce fils, seul apte à interpréter les paroles de cette mère qui, le plus souvent, reste muette. La question de la rivalité pour la place du meilleur fils est ainsi posée. Il me semble que la représentation maternelle véhiculée par les métaphores et allégories maternelles peut être abordée valablement et de façon féconde par les différentes théories psychanalytiques mentionnées dans l’introduction. Citons ici par exemple cette belle interprétation de Françoise Dolto, pour qui la Vierge Marie
est l’image sublimée de cette mère, de notre propre mère avec laquelle nous sommes liés par un amour profond qu’il est impossible de nier sans mourir. Le secours par des invisibles puissants dans le christianisme rejoint, dans notre imaginaire d’enfance, notre invisible puissante mère de qui nous dépendions avant même de savoir que nous existions. […] Le recours à une représentation idéale de la féminité est inscrit chez l’être humain quelle que soit sa race ou son époque. Les pèlerinages aux sources sacrées, reliées à la mère, témoignent de cela2.
2Pour Dolto, cette représentation peut également être une mère phallique, « symbole de tout pouvoir et de tout savoir3 ». L’idéalisation de la figure maternelle relevant dans les discours politiques du clivage entre la « bonne mère » et la « mauvaise mère », il convient ici de rappeler, comme l’évoque Lynn Hunt, qu’en octobre 1793, au moment où la mère Nature est mise sur un piédestal, a lieu le procès de Marie-Antoinette, qui est considérée comme la mauvaise mère par excellence. Elle est « immorale sous tous rapports », « perverse et familière avec tous les crimes4 ». La reine est alors « l’antonyme de la nation5 » et, dans les écrits révolutionnaires, son corps, « naguère dénoncé pour ses débauches et son inconduite, devient tour à tour bête dangereuse, araignée maligne, véritable vampire qui boit le sang des Français6 ». La métaphore maternelle peut provoquer un rapport d’aliénation par la distribution des places et par soumission, mais aussi par la passion que suscite l’idéalisation, « propre à générer le fanatisme et l’absence de réflexion7 ». Comment éviter ces dangers ? Pour Pierre Legendre, il s’agit de maintenir l’écart interprétatif avec la représentation. Pour Sophie de Mijolla-Mellor, il s’agirait de maintenir « la dimension de l’abstinence par rapport aux certitudes toutes faites. Cet effort pourrait se définir comme une abstinence de l’âme8 ». C’est donc toute la question de la sublimation de ces passions qui est posée.
Notes de bas de page
1 Cf. Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, op. cit.
2 F. Dolto, Le Féminin, Paris, Gallimard, 1998, p. 74.
3 F. Dolto, Sexualité féminine : la libido génitale et son destin féminin, Paris, Gallimard, 1996, p. 92.
4 L. Hunt, Le Roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995, p. 111.
5 Ibid., p. 116.
6 Ibid., p. 128.
7 Cf. à cet égard S. de Mijolla-Mellor (dir.), Traité de la sublimation, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 26, 62‑63, 71‑72.
8 Ibid., p. 62.
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