Chapitre 7
1870-1871 : de la défaite à la Commune
p. 233-253
Texte intégral
1À la fin du Second Empire, la France est sûre de sa force dans le monde ; la grande majorité de la population française est persuadée de la victoire définitive de la civilisation, dont elle constituerait le phare. De plus, elle est le seul grand pays européen à connaître la stabilité ; sa puissance militaire est un dogme accepté par l’opinion publique et les élites. Elle n’a pas de soucis diplomatiques : l’Autriche et la Russie sont affaiblies à la suite de deux défaites militaires ; l’Angleterre est certes une rivale au niveau économique, mais a été une alliée au niveau militaire ; l’Espagne semble décadente, tandis que l’unité italienne n’est pas achevée, pas plus que celle de l’Allemagne. Depuis la défaite des Autrichiens devant les Prussiens à Sadowa en 1866, la puissance militaire de la Prusse devient inquiétante pour la France, mais personne ne s’attend à un conflit imminent. Ainsi, le 14 mai 1870, Charles de Mazade écrit dans la chronique de la Revue des Deux Mondes qu’« en Allemagne, les grandes questions dorment pour le moment d’un sommeil tranquille1 ». Une guerre sur le sol français n’est pas imaginable. À la fin du mois de juin 1870, Émile Ollivier déclarait : « À aucun moment, le maintien de la paix n’a paru plus assuré2. » Mais le 3 juillet, à la surprise générale, la candidature du prince prussien Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne, qui est à l’origine directe de la crise, est annoncée à Paris. La France proclame qu’elle ne peut supporter la présence d’un Allemand « sur le trône de Charles Quint3 ». Le 12 juillet, le gouvernement français demande et obtient le retrait de cette candidature. Cependant, poussé par les bonapartistes autoritaires et par l’impératrice Eugénie, qui voient d’un bon œil l’occasion de redonner du prestige à l’empereur sur le plan diplomatique alors qu’il est en difficulté au niveau de sa politique intérieure, Napoléon III exige de la part de la Prusse la garantie que cela ne se reproduira plus. Le roi de Prusse se contente de repousser courtoisement cette exigence, mais son chancelier Bismarck modifie la réponse du roi de manière à la rendre offensante pour la France, et la rend publique : c’est la fameuse dépêche d’Ems. Malgré la résistance de Thiers, le corps législatif vote les crédits pour la guerre, qui est déclarée le 19 juillet. En peu de temps, les armées françaises sont défaites, Napoléon III doit capituler et se rend prisonnier à Sedan le 1er septembre 1870. Il est alors déchu et la République est proclamée à Paris le 4 septembre (voire avant dans certaines villes de province comme Lyon). La défaite constitue un grave traumatisme collectif. Le grand récit providentiel ayant eu cours sous le Second Empire s’effondre et de multiples discours constituent autant de récits interprétatifs du désastre militaire. Dès le déclenchement de la guerre, Gambetta se montre à la hauteur de la situation, il devient le porte-parole de la mère patrie républicaine. Ainsi, c’est à lui, représentant de la nouvelle génération des républicains positivistes, qu’a été accordé l’honneur d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de France.
La défaite
2La défaite de Sedan stupéfie l’Europe entière. Pour la première fois depuis un siècle, la France est battue par un adversaire unique, alors que ses défaites précédentes étaient dues à la supériorité numérique d’une coalition de nations. C’est aussi tout le mythe napoléonien de la gloire militaire française qui s’effondre. La place, le rôle et l’image de la France en Europe et dans le monde sont récusés, aux yeux des Européens, mais aussi des Français eux-mêmes, dont l’identité collective est ainsi remise en cause. Le pays tout entier est choqué par la rapidité, l’ampleur de la défaite, et par la brutalité de l’occupation allemande. Les habitants sont décrits en état de « stupeur », ils sont « atterrés », « consternés », en état de « deuil profond ». Un commissaire d’une ville frontalière parle « des hommes brisés par la douleur et l’humiliation, [versant] des larmes à la lecture de ces désolantes nouvelles4 ». À ce désastre s’ajoute la guerre civile. En effet, Paris refuse la capitulation et proclame la Commune le 18 mars 1871, après cinq mois de siège. D’autres Communes sont également proclamées en province. Pendant ce temps, le gouvernement s’installe à Versailles. Ferry, qui avait été nommé maire de Paris en novembre 1870, quitte la capitale pendant la Commune ; il voit dans « la folie du siège5 » une raison première à l’insurrection. Veuillot, Taine, Renan, Flaubert, Simon, Clemenceau, tous affirment que la défaite a été causée d’abord par le gouvernement impérial. Pour les républicains, le catholicisme est aussi une des causes de la défaite. Selon eux, c’est précisément le protestantisme, qui a favorisé l’enseignement, la science et la recherche, interdits par le Syllabus, qui a permis la victoire allemande. La philosophie de 1848, républicaine, pacifiste et humanitaire, est mise en échec une nouvelle fois. Littré fait ainsi son autocritique :
Quelle ruine de belles et généreuses perspectives ! Nous qui élevions nos enfants dans un bienveillant respect pour les peuples étrangers ! Il faut changer tout cela ; il faut les élever dans la défiance et dans l’hostilité ; il faut leur apprendre que les exercices militaires sont la première de leurs tâches ; il faut leur inculquer qu’ils doivent toujours être prêts à tuer et à être tués ; car c’est le seul moyen d’échapper au sort de l’Alsace et de la Lorraine, le plus triste des malheurs, la plus poignante des douleurs6.
3Au désastre de la défaite s’ajoute la Commune, qui provoque chez de nombreux intellectuels le rejet des principes de 1789 et des Lumières. Émile Montégut, essayiste, journaliste et critique attitré de la Revue des Deux Mondes, publie deux articles retentissants en 1871, qui critiquent les idées d’universalité et dans lesquels il affirme sa conception particulariste et défensive du patriotisme français. Pour Gobineau, « la France est un pays perdu » et « il n’y a plus rien à [en] espérer7 ». Mais pour Hugo, cette crise doit permettre à la France de renouer avec les valeurs de la Révolution.
4Victor Hugo refuse de voter la paix imposée à la France. Pour lui, la France est une mère qui va reprendre des forces et élever ses enfants afin de se régénérer et redevenir une femme puissante :
Je ne voterai point cette paix, parce que, avant tout, il faut sauver l’honneur de son pays ; je ne la voterai point, parce qu’une paix honteuse est une paix terrible. Et pourtant, peut-être, aurait-elle un mérite à mes yeux : c’est qu’une telle paix, ce n’est plus la guerre, soit, mais c’est la haine. La haine contre qui ? Contre les peuples ? Non ! Contre les rois. Que les rois recueillent ce qu’ils ont semé. Faites, princes : mutilez, coupez, tranchez, volez, annexez, démembrez ! Vous créez la haine profonde, vous indignez la conscience universelle. La vengeance couve, l’explosion sera en raison de l’oppression. Tout ce que la France perdra, la Révolution le gagnera. Oh ! Une heure sonnera – nous la sentons venir – cette revanche prodigieuse. […] Oui, dès demain cela va commencer, dès demain la France n’aura plus qu’une pensée : […] reprendre des forces, élever ses enfants, nourrir de sainte colère ces petits qui deviendront grands, forger des canons et former des citoyens, créer une armée qui soit un peuple ; appeler la science au secours de la guerre ; étudier le procédé prussien, comme Rome a étudié le procédé punique : se fortifier, s’affermir, se régénérer, redevenir la grande France de 92, la France de l’idée, la France de l’épée. Puis tout à coup, un jour, elle se dressera ! Oh ! elle sera formidable, on la verra, d’un bond, ressaisir la Lorraine, ressaisir l’Alsace8 !
5Si Hugo entraîne ainsi les esprits, c’est Gambetta qui va être à la tête de ce combat.
Gambetta, le porte‑parole de la mère patrie républicaine
6Dès le début de la guerre, Léon Gambetta se jette dans le feu de l’action. À l’heure du péril, il tente de mobiliser « le Peuple », de lever une armée, et de vaincre les Prussiens dans une « guerre à outrance », pour « sauver » et « venger » la patrie, « notre mère à tous9 ». Il s’agit ici de revenir à une chronologie plus fine, afin de montrer l’affermissement et la consolidation de l’autorité et de la légitimité de Gambetta. Après les premières défaites en Alsace et en Moselle, les Chambres sont convoquées le 9 août 1870. Le républicain Jules Favre demande la réorganisation de la Garde nationale et la création d’un comité de quinze membres du Corps législatif « investi des pleins pouvoirs de gouvernement pour repousser l’invasion étrangère10 ». La proposition est signée par trente-deux républicains. La droite réagit violemment et Gambetta rappelle alors qu’il en va « du salut de la patrie11 ». Aucune décision n’est prise et le gouvernement d’Émile Ollivier démissionne. Gambetta en appelle au « salut public » et la mobilisation en masse des citoyens est promue tout le mois d’août. La Garde nationale sédentaire est rétablie pour tous les citoyens valides de 20 à 40 ans, la classe de 1870 est appelée avec un an d’avance, le recrutement de la Garde mobile est élargi et les anciens militaires de moins de 35 ans sont rappelés. Trente-six mille engagés volontaires sont recensés en août, contre quatre mille le mois précédent, auxquels il convient de rajouter le mouvement d’engagements dans les compagnies de francs-tireurs. Pendant toute la guerre, les combats sont acharnés, les taux de pertes humaines sont parmi les plus élevés de tout le xixe siècle. L’acharnement et l’héroïsme militaire des Français ne font aucun doute. Parallèlement, en province, dès le mois d’août 1870, surviennent les premiers troubles politiques. Le 8 août à Marseille, un comité révolutionnaire tente de s’installer à l’hôtel de ville, d’autres villes sont également touchées par ces troubles comme à Beaune, au Creusot, à Limoges, à Mâcon, à Montpellier, à Nîmes, à Toulon. Une Commune tente de se constituer à Lyon le 13 août. C’est le 3 septembre dans la soirée que le gouvernement impérial fait part de la défaite, de la capitulation de l’armée et de la captivité de l’empereur. En réaction à la défaite et à la perte de légitimité de l’Empire, un comité de salut public est mis en place à Lyon, tandis qu’à Marseille, l’hôtel de ville est occupé ; la République est proclamée dans les deux villes le 4 septembre, avant qu’elle le soit à Paris. Les représentants de l’Empire subissent des violences dès le 5 septembre. À Paris, le 3 septembre, la foule commence à se rassembler près du palais Bourbon. La foule pacifique de femmes, d’enfants et d’hommes sans armes (cent à cent cinquante mille personnes12) commence à s’infiltrer sans résistance le 4 septembre dans l’enceinte du Corps législatif. La Chambre est envahie par les Parisiens en colère, et Gambetta fait tout ce qu’il peut pour tenir tête à la foule qui pénètre dans les tribunes, en criant : « La déchéance ! La déchéance ! Vive la République ! » Gambetta affirme alors qu’il « incombe aux hommes qui siègent sur ces bancs de reconnaître que le pouvoir qui a attiré tant de maux sur le pays est déchu. […] Donnons le spectacle de l’union et du calme. C’est au nom de la patrie comme au nom de la liberté politique que je vous adjure d’assister avec calme au retour des députés sur leurs bancs13 ». C’est ainsi qu’en septembre 1870, Gambetta commence à devenir le porte-parole de la patrie. Mais cela ne suffit pas à calmer et à rassurer le flot des manifestants qui continuent à réclamer la déchéance de Napoléon III. À ce moment, le président de l’Assemblée, après avoir rendu hommage au patriotisme de Gambetta, lève la séance et se retire. Gambetta consulte d’autres républicains, remonte à la tribune et déclare solennellement :
Citoyens,
Attendu que la patrie est en danger ;
Attendu que tout le temps nécessaire a été donné à la représentation nationale pour prononcer la déchéance ;
Attendu que nous sommes et que nous constituons le pouvoir régulier issu du suffrage universel libre ;
Nous déclarons que Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France14.
7La foule et les républicains se dirigent vers l’hôtel de ville, la République est proclamée. Le gouvernement de la Défense nationale est ensuite constitué par les députés de Paris à l’exception de Thiers, et plusieurs députés de province. Gambetta en fait partie et reçoit en outre le portefeuille de l’Intérieur. Il fait afficher dans Paris plusieurs proclamations :
Français !
Le Peuple a devancé la Chambre, qui hésitait. Pour sauver la Patrie en danger, il a demandé la République.
Il a mis ses représentants non au pouvoir, mais au péril.
La République a sauvé de l’invasion de 1792, la République est proclamée.
La Révolution est faite au nom du droit, du salut public.
Citoyens, veillez sur la Cité qui vous est confiée ;
Demain vous serez, avec l’armée, les vengeurs de la Patrie15 !
8Dans ce texte, les auteurs indiquent que c’est le peuple qui demande la République. Il s’agit ici de la République de 1792, celle qui avait sauvé la « patrie en danger », en province, il en est de même. Le conseil municipal de Toulon écrit le 5 septembre aux « citoyens ministres » : « La France est de nouveau maîtresse d’elle-même ; c’est-à-dire que la patrie sera sauvée comme elle le fut en 179216. » Un des premiers actes du gouvernement est de proclamer l’amnistie pour tous les opposants politiques à l’Empire. Deux positivistes, Jules Ferry et André Lavertujon, entrent ainsi au gouvernement. Le 19 septembre, les Allemands encerclent Paris et, dès le lendemain, la ville est bloquée. Le 21 septembre, dans une de ses dépêches, Gambetta rappelle l’exploit des révolutionnaires de 1792 : « Nos pères fondaient la République et se juraient à eux-mêmes, en face de l’étranger qui souillait le sol sacré de la patrie, de vivre libres ou de mourir en combattant. Ils ont tenu leur serment. Ils ont vaincu, et la République de 1792 est restée dans la mémoire des hommes comme le symbole de l’héroïsme et de la grandeur nationale17. » Il est en effet question de vie ou de mort, car le maréchal allemand Helmuth von Moltke décide de mettre en ordre « une vaste stratégie d’encerclement et d’anéantissement », car il considère une « guerre d’extermination comme le seul moyen d’obtenir une sécurité durable pour l’Allemagne18 ». Cependant, le roi Guillaume l’empêche d’aller au bout de son projet. Gambetta le répète jusqu’à l’armistice de janvier 1871 : « Être ou ne pas être, voilà la raison de la guerre19. » Gambetta multiplie les déclarations pour mobiliser la population, mais Strasbourg capitule le 28 septembre. Le gouvernement décide d’envoyer un représentant à Tours. Gambetta accepte cette mission et demande une redéfinition importante de ses pouvoirs, il est alors « revêtu des pleins pouvoirs pour le recrutement, la réunion et l’armement de toutes les forces nationales qu’il conviendrait d’appeler à la défense du pays20 ». Le 7 octobre, avant de partir, il envoie cette proclamation aux départements :
Les Parisiens savent qu’il ne dépend que d’eux, de leur bon ordre et de leur patience, d’arrêter pendant de longs mois la marche des envahisseurs. Français ! C’est pour la Patrie, pour sa gloire, pour son avenir, que la population parisienne affronte le fer et le feu de l’étranger21 !
9Le même jour, Gambetta se rend à Montmartre, et prend place dans la nacelle du ballon L’Armand-Barbès, qui franchit les lignes ennemies. Il joint à ses fonctions de ministre de l’Intérieur celles de ministre de la Guerre et « s’attire ainsi le nom de “dictateur” qui va lui rester et qui n’est pas pour lui déplaire, lui rappelant la figure de Danton sauveur de la patrie22 ». Le tiers des préfets nommés par Gambetta a moins de 40 ans et appartient à sa génération et à celle de ses amis. Comme les républicains de 1792, il faut que les Français de 1870 risquent un saut dans l’inconnu, « c’est en rompant résolument avec la tradition que la Première République a pu réaliser les prodiges de 179223 ». Le 30 octobre, la capitulation de Bazaine à Metz est annoncée, et le lendemain une manifestation populaire envahit l’hôtel de ville à Paris, à laquelle se joignent les bataillons révolutionnaires de la Garde nationale. Un comité de salut public est constitué et Ferry est nommé administrateur de Paris. Le 1er novembre, Gambetta, dans une nouvelle proclamation à l’armée, en appelle à la défense de la mère patrie :
En avant !
Vous ne luttez plus pour l’intérêt et les caprices d’un despote ; vous combattez pour le salut même de la patrie, pour vos foyers incendiés, pour vos familles outragées ; pour la France, notre mère à tous, livrée aux fureurs d’un implacable ennemi : guerre sainte et nationale, mission sublime, pour laquelle il faut, sans jamais regarder en arrière, nous sacrifier tous et tout entiers24.
10C’est au plus fort des mauvaises nouvelles provenant du front militaire que l’apparition de la métaphore maternelle surgit dans les discours de Gambetta. La chute de Metz est vécue comme un nouveau Sedan et provoque une flambée patriotique. C’est ainsi que, pendant le mois de novembre, l’armée de la Loire reprend Orléans et remporte la bataille de Coulmiers, et l’armée du Nord se forme sous le commandement de Faidherbe. Une marche sur Paris, et donc l’espoir d’une victoire, semble envisageable. Mais dès la fin du mois de novembre et en décembre, ces espoirs sont déçus, les soldats commencent à déserter collectivement, et rentrent chez eux. Des mutineries ont lieu en décembre et en janvier. Aux populations découragées, Gambetta déclare le 22 décembre : la paix, « c’est la mutilation de la patrie25 ». Le 1er janvier 1871, du balcon de la préfecture de Bordeaux, devant cinquante mille personnes rassemblées, il prononce un discours dans lequel il affirme que « la République, liée, associée comme elle l’est à la défense et au salut de la patrie, la République est hors de question, elle est immortelle26 ». Pour lui, « la patrie est incarnée dans la République » selon laquelle « le droit doit finir par primer la force27 ». La République ainsi identifiée au droit et à la justice s’oppose à la conception de Bismarck, qui avait la réputation d’avoir affirmé que « la force prime le droit », et à la philosophie hégélienne telle que la propage le parti national-libéral allemand, qui donne le primat à l’État de puissance (Machtstaat) sur l’État de droit (Rechtsstaat28). Mais les événements se précipitent et, le 28 janvier, après une tentative de sortie de Buzenval quelques jours auparavant, Paris capitule. Un armistice est signé pour vingt et un jours. La nouvelle de la capitulation, sans qu’il en soit prévenu, surprend Gambetta alors qu’il espérait encore la victoire. Le 30 janvier, le gouvernement enlève à Gambetta sa voix prépondérante, il s’était prononcé pour la continuation du combat. Jules Simon reçoit les pleins pouvoirs. Gambetta refuse la capitulation et réagit en invoquant l’amour de la mère patrie :
Non, il ne se trouvera pas un Français pour signer ce pacte infâme. L’étranger sera déçu : il faudra qu’il renonce à mutiler la France ; car tous, animés du même amour pour la mère patrie, impassibles aux revers, nous reviendrons forts, et nous chasserons l’étranger. Pour atteindre ce but sacré, il faut y dévouer nos cœurs, nos volontés,
notre vie. […] N’ayons ni passions ni faiblesses, jurons simplement, comme des hommes libres, de défendre, envers et contre tous, la France et la République. Aux armes ! aux urnes ! Vive la France ! Vive la République une et indivisible29 !
11Son dernier acte est le décret par lequel, en appelant les citoyens au scrutin pour l’élection d’une Assemblée nationale chargée de décider la paix ou la guerre, il frappe d’inéligibilité tous ceux qui avaient exercé sous l’Empire les fonctions de ministre, de sénateur, de conseiller d’État, ou qui avaient été candidats officiels. Bismarck s’oppose à cette mesure, et Gambetta reçoit du gouvernement de Paris l’injonction de rapporter le décret. Gambetta ne veut pas céder et démissionne du gouvernement le 6 février 1871. Le conflit de Gambetta et ses amis avec Jules Simon et Jules Grévy provoque une scission des républicains, qui se divisent entre l’Union républicaine de Gambetta et la Gauche républicaine à laquelle Ferry adhère. Le 8 février 1871, Gambetta est élu représentant à l’Assemblée nationale par huit départements. Il choisit le Bas-Rhin, s’oppose au traité de paix, et démissionne de son mandat. Le groupe des gambettistes se disperse et abandonne la vie politique. La nouvelle Assemblée nationale les perçoit comme une menace et lance des mandats d’arrêt contre plusieurs d’entre eux. Gambetta craint d’être poursuivi. Affaibli physiquement, il part pour San Sebastián en Espagne, tandis que son secrétaire particulier et ami fidèle, Eugène Spuller, gagne l’Italie. Le groupe gambettiste n’existe plus jusqu’à la fin du mois de mai 1871. À travers tous ses discours et proclamations, Gambetta apparaît comme le porte-parole de la France et de la République, l’incarnation du fils de la mère patrie, qui tente désespérément de la sauver. Comme les révolutionnaires de 1792, son exemple doit contribuer à renforcer l’esprit héroïque et guerrier pour que les Français se mobilisent « en masse ». Outre la perte de l’Alsace-Lorraine, il en allait de l’héritage des valeurs de la République et de l’État de droit, de la crainte d’un retour à l’Ancien Régime et de l’arbitraire que l’Allemagne semblait mettre à l’ordre du jour. Gambetta seul n’aurait rien pu faire s’il n’avait été secondé par des amis et des hommes compétents et efficaces comme Charles de Freycinet, mais il est le combattant qui occupe l’espace médiatique, comme nous le dirions aujourd’hui. Avant la guerre, la jeunesse française en avait fait une sorte de modèle de républicain moderne, mais le rôle qu’il joue pendant la guerre va lui permettre, dans l’imaginaire républicain, d’apparaître comme le premier fils de la patrie.
La Commune, une mère qui protège
12Il n’est pas possible dans le cadre de ce travail de revenir en détail sur la Commune et je renvoie au récit historique magistral qu’en fait Prosper-Olivier Lissagaray. L’auteur est journaliste, publié dans L’Action et Le Tribun du Peuple, communard engagé, et sans doute le dernier combattant des barricades. Après la défaite, il doit rejoindre Londres, car il est condamné par contumace à la déportation. Il revient en France en 1880 à la suite de l’amnistie et se consacre à l’histoire de la Commune. Son œuvre est un succès d’édition en France et à l’étranger. Il relate ainsi qu’un Comité central est institué à Paris en mars 1871, dont il affirme que les membres n’ont qu’une seule idée en tête, « assurer à Paris sa municipalité ». En effet, « pour le peuple, le Conseil Municipal, c’était la Commune, la mère d’autrefois, l’aide aux opprimés, la garantie contre la misère30 ». Le 27 mars 1871 est proclamée la Commune : « Au milieu de l’Hôtel de ville, contre la porte centrale, une grande estrade est dressée. Le buste de la République, l’écharpe rouge en sautoir, rayonnant de rouges faisceaux, plane et protège31. D’immenses banderoles au fronton, au beffroi, claquent, pour envoyer le salut à la France32. » De nombreuses mesures sociales sont mises en place, les services publics sont réorganisés. Selon Lissagaray, « pour la seconde fois, depuis 1792, les malades et les infirmes trouvèrent des amis dans leurs administrateurs et bénirent la Commune qui les traitait en mère33 ». Pour Louise Michel également, la République annoncée par la Commune est une mère bienveillante :
La République universelle
Se lève dans les cieux ardents
Couvrant les peuples de son aile
Comme une mère ses enfants34 !
13Elle lui oppose l’ancienne société, une marâtre : « La vieille société ogresse peut-être sera morte, l’heure étant venue de l’humanité juste et libre, elle a trop grandi pour rentrer dans son sanglant berceau35. » Elle évoque les jours heureux de la Commune : « On voulait tout à la fois, arts, sciences, littérature, découvertes, la vie flamboyait. On avait hâte de s’échapper du vieux monde36. » Mais Versailles décide d’écraser la Commune. Du 21 mai au 28 mai 1871 a lieu la « semaine sanglante ». Le nombre des victimes parisiennes diverge, selon Lissagaray, il y aurait eu vingt mille fusillés, selon Louise Michel, « trente-cinq mille exécutions avouées, à multiplier par trois ». Pour cette dernière, cela permet aux Français vaincus de se venger de leur humiliation face aux Prussiens : « Versailles attaqua. Toutes les meutes d’esclaves, hurlant leurs douleurs sous le fouet, en rendaient responsable la Commune se liguant avec leurs maîtres37. » Le Journal de Versailles de la troisième semaine d’avril 1871 donne ainsi les instructions suivantes : « Pas de prisonniers ! […] Accordez aux braves soldats la liberté de venger leurs camarades en faisant, sur le théâtre et dans la rage de l’action, ce que de sang-froid ils ne voudraient plus faire le lendemain38. »
14Une partie de la population parisienne a quitté Paris avant et après le siège de la ville. Parmi ceux qui restent se trouvent de nombreux membres de l’Internationale, et des positivistes, comme le Dr Robinet, le Dr Sémerie, et l’ouvrier Émile Laporte39. Ce dernier, mécanicien de profession, est un des dirigeants du Cercle parisien des prolétaires positivistes adhérant à l’Internationale et participe à la Commune où il est désigné à la séance du Conseil fédéral de l’Internationale « pour faire partie de la commission de rédaction de la Lutte à outrance qui venait de fusionner avec la République des Travailleurs ». Le Dr Robinet (1825-1899) est un médecin accoucheur très populaire dans son quartier (le 6e arrondissement), où il donne des consultations gratuites. Il fait partie des exécuteurs testamentaires d’Auguste Comte et a été un opposant au Second Empire. D’origine lorraine, il est choqué par la guerre et par l’annexion de l’Alsace-Lorraine, il soutient entièrement Gambetta. Le Dr Robinet et ses amis soignent les blessés, hébergent et cachent les personnes recherchées par les autorités de Versailles. Lui et sa femme organisent une filière pour faire sortir les proscrits de la capitale et de la France, et sollicitent les positivistes « orthodoxes » britanniques qui accueillent des réfugiés. Les circulaires de Pierre Laffitte de 1870 et 1871 entérinent le militantisme de Robinet, et se félicitent des manifestations de solidarité émanées des positivistes britanniques en faveur des populations françaises et spécialement parisiennes. Un autre médecin, le Dr Sémerie, fonde un club positiviste en novembre 1870, sous l’adage « on ne détruit que ce qu’on remplace40 ». Parmi les quatorze membres fondateurs du club, on le retrouve avec le Dr Robinet, l’étudiant en médecine Antoine Ritti et les ouvriers positivistes Fabien Magnin, Émile Laporte, Gabriel Mollin, et l’employé Joseph Lonchampt. Sémerie est nommé, le 4 mai 1871, directeur général des ambulances civiles et militaires à Paris. Lui et Robinet reprennent en pleine Commune le programme de la Constitution positiviste de 1848 (« Nous, les Dictarieux »), puis tentent, avec le concours de coreligionnaires anglais, de créer un parti pour prendre le pouvoir (« Nous sommes vingt fois plus nombreux que les républicains en 178941. »). Paul Robin (1837-1912), professeur de physique et membre de l’Internationale en Belgique et en France et du Conseil général de Londres en 1870-1871, est le seul positiviste ayant participé à la Commune qui ait été plus proche de Littré que du positivisme « orthodoxe » ou religieux. Après la Commune, le Dr Robinet se présente sans succès aux élections. Il prend la défense des insurgés en novembre 1871 dans un article du Radical dans lequel il affirme que le but de la Commune était « d’assurer, par les franchises civiques de la capitale, le maintien de la République et l’amélioration des conditions sociales du prolétariat ». En 1873, la femme du Dr Robinet est soupçonnée d’entretenir une correspondance avec des exilés de Genève. En avril 1876, le Dr Robinet organise une réunion pour lancer une pétition en faveur de l’amnistie au nom de la justice, de la clémence et de l’intérêt général. En 1879 et 1880, il accueille des amnistiés. Il siège au conseil d’administration du Cercle d’études sociales des prolétaires positivistes. En 1871, au lendemain de la Commune, Robinet et ses amis prolétaires attaquent frontalement Littré et les positivistes qui lui sont proches42. Ils auraient échoué dans la catastrophe qui s’est abattue sur la France en 1870 et 1871. Dans un courrier daté du mois de novembre 1871, adressé au directeur du journal Le Radical, Émile Laporte estime que « les agissements parlementaires et ploutocratiques de l’ex-disciple d’Auguste Comte [Littré] » sont en contradiction absolue avec la doctrine du fondateur du positivisme. Dans ces échanges qui regroupent la correspondance de Laporte avec le journal Le Radical et les articles du Dr Robinet dans ce même journal, Robinet, Laporte et leurs amis veulent « mettre un terme à une mystification qui se prolonge au-delà du possible43 ». Laporte veut démontrer l’évolution de Littré qui déclarait en 1849 que « ceux qui ont entamé la Révolution ne peuvent la finir ; cette tâche est dévolue aux prolétaires », et qui, en 1871, déclare que c’est une erreur « d’avoir supposé les classes ouvrières, en état de gouverner ; loin de là, leur incapacité y est manifeste44 ». Le Dr Robinet en conclut, dans un article du Radical publié le 28 novembre 1871, que Littré a trahi la cause des prolétaires, et trahi le positivisme. Le Dr Robinet l’accuse de n’avoir même pas osé « signer avec ses collègues de la Capitale la demande d’amnistie45 » en faveur des proscrits et des condamnés de la Commune. La guerre de 1870 et la solidarité active vécue au temps de la Commune ont soudé les relations entre les positivistes « orthodoxes » ou religieux et les positivistes prolétaires. Ils s’opposent à l’école de Littré non seulement à cause de son positivisme « laïc », mais aussi parce qu’ils se sentent trahis au niveau social et politique. Cependant, alors que Gambetta est un positiviste laïc et qu’il ne demande pas l’amnistie des communards avant 1880, ils lui vouent un culte fervent, car il s’est donné corps et âme dans la lutte pour la défense de la mère patrie, et l’assimilent comme beaucoup de leurs contemporains à Danton, le héros et meilleur fils de la patrie.
15Le traumatisme de la défaite, la chute de l’Empire provoquent l’effondrement du grand récit providentiel qui avait légitimé le pouvoir de Napoléon III ; la Vierge Marie et l’Église jouaient un rôle déterminant dans cette narration. À nouveau, les allégories et métaphores maternelles sont insérées dans des discours où les hyperboles, les constructions pathémiques, l’emphase doivent capter l’attention des auditeurs et des lecteurs, et les convaincre de la pertinence des propos des orateurs. Mgr Dupanloup reprend ainsi de façon très traditionnelle la trame du récit qui régnait sous la Restauration : Dieu a châtié la France qui a péché, etc. Victor Hugo, lui aussi, décrit l’histoire présente de la France à l’aide de la métaphore maternelle. Dès le déclenchement de la guerre, Gambetta utilise les métaphores maternelles dans ses discours aux moments les plus critiques de la guerre. Sa parole peut être qualifiée de polyphonique car, s’il est identifié à Danton, ce sont tous les révolutionnaires de 1792 qui semblent surgir à travers l’évocation de cet événement du passé. Dans l’imaginaire des Français, Gambetta devient donc le premier fils de la patrie et de la République, qui tente désespérément de la sauver des griffes de l’ennemi. Les positivistes religieux, qui sont actifs pendant la guerre, le siège et la Commune, lui vouent un véritable culte, en dépit de sa laïcité positiviste. La Commune, quant à elle, est parfois représentée par une allégorie féminine, une sorte d’ange gardien au féminin qui protège les Parisiens. Après la capitulation et la répression de la Commune, les républicains devront se battre sur le plan politique pour éviter le retour de la royauté ou de l’Empire ; et la philosophie positiviste va constituer pour eux un appui idéologique important.
Notes de bas de page
1 C. de Mazade, « Chronique de la quinzaine », Revue des Deux Mondes, 87, 1870, p. 492.
2 Duby (dir.), Histoire de la France, op. cit., p. 446.
3 Ibid.
4 J.-J. Becker, S. Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre : 1850-1920, Paris, Sedes, 1995, p. 79.
5 Ibid., p. 448.
6 C. Digeon, La Crise allemande de la pensée française (1870-1914), Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 86 ; cf. Revue de philosophie positive, numéros de septembre-octobre et novembre-décembre 1871.
7 Ibid., p. 93.
8 V. Hugo, le 1er mars 1871 à l’Assemblée nationale, Annales de l’Assemblée nationale, vol. 1, p. 106-108. Cité dans J. Garrigues, Les Grands Discours parlementaires de la IIIe République : de Victor Hugo à Clemenceau, 1870-1914, Paris, Armand Colin, 2004, p. 14‑15.
9 L. Gambetta, « Proclamation à l’armée », dans Dépêches, circulaires, décrets, proclamations et discours de Léon Gambetta, t. I, Paris, G. Charpentier, 1886, p. 50 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k5813377q/f59.item.texteImage#, consulté le 15 décembre 2022).
10 Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., p. 88.
11 Ibid. La chronologie de la guerre qui suit est un résumé de la présentation de Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., et de Becker, Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre…, op. cit.
12 Ibid., p. 81.
13 Robert, Bourloton, Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit.
14 Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., p. 95.
15 Gambetta, Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 2.
16 Becker, Audoin-Rouzeau, La France, la nation, la guerre…, op. cit., p. 84.
17 Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., p. 99.
18 M. Stürmer, Die Deutschen und ihre Nation: Das ruhelose Reich Deutschland 1866-1918, Berlin, Siedler Verlag, 1983, p. 166‑167.
19 Gambetta, Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 74.
20 Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., p. 100.
21 Gambetta, Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 33‑34.
22 S. v. « Gambetta (Léon-Michel) », dans Robert, Bourloton, Cougny (dir.), Dictionnaire des parlementaires français…, op. cit.
23 Gambetta, Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 114.
24 Ibid., p. 50-51.
25 Mayeur, Léon Gambetta…, op. cit., p. 122.
26 Gambetta, Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 70.
27 Ibid., p. 126.
28 Cf. B. Demeure, L’Image de l’Allemagne dans la Revue des Deux Mondes de 1866 à 1877, mémoire de maîtrise (dir. É. Vial), université d’Aix-en-Provence, 1996, p. 51.
29 Gambetta, « Proclamation aux Français », dans Dépêches, circulaires…, op. cit., p. 56‑57.
30 P.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, La Découverte, 2005, p. 120.
31 C’est moi qui souligne.
32 Ibid., p. 153.
33 Ibid., p. 230.
34 L. Michel, La Commune : histoire et souvenirs, Paris, La Découverte, 1999, p. 72.
35 Ibid., p. 345.
36 Ibid., p. 156.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 177.
39 Les éléments biographiques suivants sont extraits de Maitron (dir.), Dictionnaire biographique…, op. cit., et de J.-C. Wartelle, L’Héritage d’Auguste Comte : histoire de l’église positiviste, 1849-1946, Paris, L’Harmattan, 2001.
40 E. Sémerie, Fondation d’un club positiviste, Paris, Imprimerie Jouaust, 1870.
41 Cf. A. Gérard, « Auguste Comte au purgatoire », dans Acevedo, Ficquelmont, et al., Auguste Comte, qui êtes-vous ?, op. cit., p. 153.
42 Cf. J.-F. Robinet, M. Littré et le positivisme, Paris, Buron, 1871.
43 Ibid., p. 3.
44 Ibid., p. 9.
45 Ibid., p. 10.
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