Chapitre 2
1793-1794 : triomphe et déclin de la nature, mère souveraine ?
p. 59-115
Texte intégral
1Avec la fin et la ruine de l’ordre monarchique, ordre symbolique, mais aussi imaginaire, se constitue l’idéal d’un ordre référé à la Nature, figure maternelle par excellence. Les débats autour de la définition et de l’application des droits naturels qui lui sont associés continuent à faire rage pendant cette séquence de la Révolution qui s’achève avec la chute de Robespierre en 1794.
La Constitution de 1793 et la Nature
2Avant d’aborder directement l’utilisation des allégories et des métaphores maternelles dans les discours publics prononcés après la chute de la royauté, il convient d’en retracer le contexte historique et doctrinal. Dès la chute de la royauté, le débat concernant l’élaboration de la nouvelle Constitution et la question de la pertinence et de la définition de la loi et des droits naturels mobilise l’opinion publique. Le mouvement populaire, qui demande l’application de ces droits naturels en tant que droit à l’existence, s’était déjà opposé en décembre 1792 à la Convention qui avait voté le rétablissement de la liberté du commerce des grains et la loi martiale, sur proposition des libéraux économistes soutenus par la Gironde1. Puis les événements se précipitent, et en janvier 1793 ont lieu le vote sur la culpabilité du roi, sa condamnation et son exécution. En février, une levée en masse de 100 000 hommes est votée. Cela entraîne le soulèvement de la Vendée, un tribunal révolutionnaire est instauré en mars, et la peine de mort est requise « pour tous ceux qui proposeraient une loi agraire » ou « toute autre [loi] subversive des propriétés territoriales, commerciales et industrielles2 ». De février à juin 1793, une nouvelle Constitution est élaborée. Une Déclaration des droits de l’homme sans droits naturels est votée en mai 1793. L’autonomie du politique est affirmée par rapport à l’éthique des droits naturels. Ce vote accélère les préparatifs de l’insurrection pacifique des journées du 31 mai et du 2 juin 1793, qui voit le peuple en « Souverain armé3 » ramener ses mandataires à la raison des droits naturels et du citoyen après avoir envahi l’Assemblée nationale sans effusion de sang. Ainsi, « de février 1793 jusqu’au 19 mai, le débat [porte] principalement sur le maintien ou non de la référence au droit naturel dans la nouvelle Constitution4 ». La question est celle des limites qui doivent être imposées à la liberté économique : les sans-culottes veulent le maximum, qu’il s’agisse des prix, des profits ou des bénéfices du commerce. « Maximum, telle fut l’expression élaborée par le mouvement populaire pour répondre au droit illimité de propriété5. » Les 23 et 24 juin, l’Assemblée vote une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que la Constitution de l’an I de 1793 qui renoue avec les droits naturels. Elle est publiée le 24 juin, tout en étant considérée comme inapplicable au vu des circonstances, et ratifiée le 4 août. Rappelons que dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, placée en tête de la Constitution de 1791, les hommes sont définis comme « libres et égaux en droits » (article premier) et les droits naturels sont « la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression » (article 2). Dans la nouvelle Constitution de 1793, les droits naturels sont considérés comme « sacrés et inaliénables », le but de la société est défini comme « le bonheur commun » (article premier) et les droits naturels comme ceux de « l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété » (article 2). Les hommes sont présentés comme « égaux par la nature et devant la loi » (article 3). L’égalité est première et précède ici la liberté, qui « a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait » (article 6). Des droits créances sont prévus, il s’agit des secours publics, de l’instruction publique, ainsi que des droits de résistance à l’oppression et d’insurrection et de l’interdiction de l’esclavage. Cependant, les droits naturels de propriété illimités (articles 16 et 17) sont affirmés et l’on retrouve « la même contradiction au niveau économique que la Déclaration de 1789 entre l’affirmation de la liberté économique illimitée et le droit à l’existence ». La Convention abolit les 23 et 24 juin 1793 la loi martiale, et le mouvement populaire commence à obtenir satisfaction. Un premier maximum est ainsi imposé en mai, les biens des émigrés doivent être vendus en petites parcelles, les communaux partagés, en juillet, les droits seigneuriaux sont supprimés sans rachat, les accapareurs sont déclarés passibles de la peine de mort. Une assistance est prévue pour les enfants trouvés et les filles-mères. En septembre 1793, la liberté du commerce des denrées de première nécessité est abolie, le maximum général des prix est proclamé pour les denrées, les salaires sont augmentés, et les subsistances sont administrées. Au niveau politique, l’insurrection de mai-juin 1793 mène à la proscription de 29 chefs girondins et à des révoltes fédéralistes.
3En février 1793, le marquis de Condorcet présente un projet de constitution au nom du Comité de constitution, alors rejeté par les tenants de l’abandon des droits naturels. Les contradicteurs de cette référence à la nature, par la voix de Rabaut Saint-Étienne, répondent ainsi, lors de la discussion sur la Constitution et l’introduction d’une déclaration des droits naturels, que « le mot naturel ne doit pas être conservé dans une société où l’on a abandonné l’état de nature6 ». Certains hommes politiques de premier plan associés aux Girondins, comme Condorcet, sont cependant partisans d’un droit naturel associé à la raison. Condorcet est considéré comme le principal porte-parole de la science institutionnalisée en France. Il publie avec l’abbé Sieyès et Jules-Michel Duhamel – ce dernier exerçant comme instituteur des sourds-muets à Paris – le premier numéro (qui sera aussi le dernier, car Condorcet est mis en accusation et recherché par les autorités le mois suivant) du Journal d’instruction sociale7 dans lequel ils présentent leurs idées à ce sujet, et ce qu’elles impliquent au niveau social et politique. Ils font largement usage des termes « nature », « droit naturel », « loi naturelle ». Les droits naturels sont
des moyens d’existence et de bonheur qui suivent les règles prescrites par notre nature, et par la justice, qui a pour base l’égalité des besoins et des droits. Ces règles qui découlent de la nature de l’homme, pour diriger sa conduite envers lui-même et envers ses semblables, sont le droit naturel. Cette science […] considérée comme devant former les mœurs ou les habitudes des hommes […] est encore appelée morale humaine8.
4Les auteurs du Journal déplorent toutefois le fait que l’une « des principales causes du peu de progrès des sciences morales politiques, et surtout de la difficulté d’en répandre, d’en faire adopter les vrais principes, c’est l’imperfection de la Langue qu’elles emploient9 ». Il ne peut en effet y avoir d’égalité « si tous ne peuvent acquérir des idées justes sur les objets dont la connaissance est nécessaire à la conduite de leur vie ». Le peuple peut par malheur se livrer
à des charlatans politiques qui abusent de son ignorance, de sa crédulité, et des passions qui le dominent, pour lui faire adopter, à la faveur des mots chéris qui rappellent les objets de ses vœux, les mesures les plus absurdes, les plus injustes et les plus atroces […]. Sa seule ressource est dans cette instruction solide qui fait distinguer l’erreur de la vérité, et séparer le factieux qui, sous le masque de la modération ou du patriotisme, abuse du don de la parole pour séduire ceux qu’il veut mettre dans son parti10.
5De ce fait, le rôle des philosophes est essentiel. En effet, « toute société qui n’est pas éclairée par des philosophes, est trompée par des charlatans. Nous ne pouvons en avoir ici qu’une espèce à combattre ; les charlatans politiques11 ». On a donc besoin « d’enchaîner les hommes à la raison par la précision des idées12 ». Ils exhortent ainsi leurs concitoyens : « Répandons cette lumière pure, que la vraie philosophie puise au sein de la nature ; rétablissons enfin l’empire de la raison ; les vraies lumières, la vérité et la raison peuvent seules ramener la paix, la justice et le bonheur dans la société13. » Condorcet, Sieyès et Duhamel ont placé l’entité Nature à la base de leur système de pensée, dont elle constitue la prémisse de raisonnement. Dans cet essai, on ne trouve aucune allégorie ou métaphore maternelle explicite, mais la Nature en tant qu’entité maternelle est partout présente ; telle une bonne mère prévoyante, elle donne à la fois des besoins, mais aussi les moyens pour pourvoir à ceux-ci. Elle décrète, elle a une voix, elle prescrit des règles, elle est le puits où l’on trouve la lumière de la science. Cependant, la nature est imparfaite, et impuissante si elle n’est pas secondée par la raison, qui s’oppose à la séduction de l’imagination et à la puissance de persuasion des sophistes. Constantin de Volney, proche des Girondins, raisonne aussi en partant de l’idée de perfectibilité de l’être humain, qui, s’il suit les lois de la nature, pourra parvenir au bien-être. Brissot, considéré comme un leader des Girondins, estime également que la loi est une « vérité déduite par la raison des principes du droit naturel14 ». Pour Mona Ozouf, les Girondins se seraient ainsi « posés en champions d’une politique éclairée et rationnelle contre les pulsions irrationnelles de la multitude jacobine15 ».
6En exposant son projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen lors des discussions sur la nouvelle Constitution, Robespierre, lui aussi, fait référence à la loi et aux droits naturels. Ainsi, le 21 avril 1793, il affirme que « le souverain légitime » est « le genre humain » et que le « législateur suprême » est « la nature16 ». Les principes de base de la bonne législation sont donc posés. Selon lui, c’est la société qui a perverti l’homme et, au lieu de la nature et du genre humain, ce sont « l’ambition, la force et la perfidie [qui] ont été les législateurs du monde. Ils ont asservi jusqu’à la raison humaine, en la dépravant, et l’ont rendue complice de la misère de l’homme. Le despotisme a produit la corruption des mœurs, et la corruption des mœurs a soutenu le despotisme17 ». Il faut donc changer de législateurs et de législation, et se fier au peuple, qui est le plus proche de la nature et de la vertu : « Posez d’abord cette maxime incontestable : que le peuple est bon, et que ses délégués sont corruptibles ; que c’est dans la vertu et dans la souveraineté du peuple qu’il faut chercher un préservatif contre les vices et le despotisme du gouvernement18. » Robespierre élabore un projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen présenté à la Convention le 24 avril 1793, qui rend inconstitutionnels l’esclavage, le droit de propriété illimité et la liberté économique, il refuse donc l’autonomie de l’économie, et se réfère avant tout aux droits naturels. Cependant, son projet n’est pas retenu19. Dans le discours qu’il prononce en le présentant, il affirme que la patrie « se trouve en premier lieu dans la loi naturelle qui régit le monde et le genre humain20 ». Robespierre ne veut pas faire appel à la raison et aux sciences pour légiférer ; sa conception des lois et du droit naturels n’a pas les mêmes implications que celle de Condorcet et des physiocrates, elle correspond à un idéal originel, puisque, par nature, le peuple est bon et vertueux. Son ami Saint-Just considère aussi que le peuple est bon par nature, mais qu’il a été dénaturé. Saint-Just a joué un rôle de tout premier plan pendant la Révolution, aussi bien en mission auprès des armées que dans le domaine de la politique intérieure en tant que conventionnel, membre du Comité de salut public, théoricien de la Terreur et du gouvernement révolutionnaire, mais aussi président de la Convention au printemps 1794. Sa référence première en politique est la nature. C’est par rapport à la nature qu’il juge de l’état social passé, présent et à venir. Il explique ainsi qu’en ce qui concerne « le droit social ou principes du droit naturel », il a « voulu connaître les principes de l’état social, [il a] pensé que cet état ne pouvait être fondé solidement que sur la nature. […] La nature est le point de justesse et de vérité dans les rapports des choses ou leur moralité21 ».
7Saint-Just a formulé ses pensées politiques dans les Fragments d’institutions républicaines22 qui n’ont été édités qu’à titre posthume, mais dont on retrouve des éléments dans certains discours qu’il a prononcés à la Convention. Selon lui, ce n’est pas l’expression de la volonté générale, comme chez Rousseau, qui doit ordonner la société, mais bien les lois de la nature. Puisqu’il « n’est point de société si elle n’est point fondée sur la nature, la cité ne peut reconnaître d’autres lois que la nature ; ces lois sont l’indépendance et la conservation. La loi n’est donc pas l’expression de la volonté, mais celle de la nature23 ». Comme la nature est la référence première, ceux qui ne veulent pas se plier à ses lois doivent être mis au ban du corps social. Saint-Just « imagine que si l’on donnait à l’homme des lois selon sa nature et son cœur, il cesserait d’être malheureux et corrompu24 ». Pour Saint-Just, la Nature est une entité bienveillante, elle est mère et terre nourricière. Il imagine « quel nombre prodigieux d’habitants [la terre] pourrait nourrir [et que] la nature n’eut jamais plus d’enfants qu’elle n’a de mamelles25 ». C’est « le Peuple qui fait la République par la simplicité de ses mœurs. […] Une charrue, un champ, une chaumière à l’abri du fisc, une famille à l’abri de la lubricité d’un brigand, voilà le bonheur26 ».
8Dans l’état social idéal tel que le dépeint Saint-Just, il n’y a pas de conflit, pas de rivalité entre les enfants de la mère commune, puisqu’ils sont traités pareillement. Il enserre l’être social dans un réseau de prescriptions qui correspondraient à sa nature. Nous suivons ici l’analyse de François Furet et Mona Ozouf qui expliquent que
cette valorisation de l’identité et de l’unité fusionnelles rend compte de nombreuses dispositions des Fragments : […] nul n’a jamais la disposition de lui-même, puisqu’on appartient à sa mère jusqu’à l’âge de cinq ans, et ensuite à la République jusqu’à la mort. Du berceau à la tombe […] l’individu ne doit jamais sortir du giron, soit de la mère, soit de la mère patrie. Que dire des femmes, confinées jusqu’au mariage dans la maison maternelle ? Il s’agit donc toujours d’empêcher l’émancipation individuelle27.
9Le psychanalyste Jacques André reconnaît derrière cette construction de Saint-Just « la nostalgie d’un état où tous les besoins étaient satisfaits, le mythe du paradis originel. La stricte correspondance du nombre d’enfants et de mamelles livre la clé du paradis, ou du fantasme de l’Un, celui d’un temps où [la mère idéale est parfaitement adaptée aux besoins de l’infans, avec qui elle ne fait qu’un]28 ». La vision de Saint-Just va au-delà de la fusion sociale. Il consacre un chapitre au sujet de l’inceste, qu’il approuve tout en émettant une réserve : c’est un « crime chez celui qui s’y livre par impiété, […] il est vertu chez celui qui s’y livre par innocence et n’est plus inceste29 ». Ce désir fusionnel de l’unité conforme à la nature humaine doit être mis en relation avec l’amour de la patrie. Dans son Rapport au nom du Comité de salut public sur la loi contre les Anglais, présenté à la Convention nationale le 25 du premier mois de l’an II de la République (16 octobre 1793), il affirme que « celui qui ne croit pas à la nature, ne peut point aimer sa patrie30 ». Cet amour pour la patrie et les compatriotes ne s’étend pas aux étrangers, dont il faut se méfier. En effet, Saint-Just met en garde contre les étrangers qui veulent l’échec de la Révolution, et qui n’ont « qu’un moyen de nous perdre : c’est de nous dénaturer et de nous corrompre, puisqu’une République ne peut reposer que sur la nature et sur les mœurs31 ».
10La référence à la nature en tant que figure maternelle est reprise par de nombreux sans-culottes : citons Jean-François Varlet (1764-vers 1831), qui, comme Jacques Roux, fait partie des Enragés. Il joue un rôle important lors de l’insurrection antigirondine du 31 mai 179332. Dans sa Déclaration solennelle des droits de l’homme dans l’état social33, il célèbre le « Peuple sans culotte, le Peuple de la Nature34 ». À l’instar de Jacques Roux, il considère « que des principes puisés dans la Nature toujours une et invariable, forment le Code universel qui doit un jour gouverner les hommes35 ». Très populaire chez les sans-culottes, le journal politique L’Ami du peuple de Jean-Paul Marat révère la mère patrie, dont les lois sont celles de la nature. Marat a une relation passionnelle avec la patrie, qui est pour lui tantôt mère, tantôt maîtresse. Ainsi, il déclare : « Je jure de toujours regarder la patrie comme ma mère, d’avoir pour elle toute la tendresse d’un fils, de consacrer à son service toutes les facultés de mon corps et de mon âme, de la défendre au péril de ma vie, et, s’il le faut, de m’immoler à son salut36. » Marat dénonce l’inégalité injuste qui existe entre les enfants de la nature : « O nature, faut-il qu’une partie de tes enfants soit ainsi née pour la servitude et le travail, tandis que l’autre nage dans l’opulence au sein de la mollesse37 ! » Marat considère que pour « être justes les lois de la société ne doivent jamais aller contre celles de la nature, les premières de toutes les lois38 ». À la mort de Marat, le peintre Jacques-Louis David est chargé d’organiser ses funérailles, lors desquelles il est présenté comme le martyr de la Liberté et comme l’homme de la Nature. Chaumette39, le procureur de la Commune de Paris, affirme ainsi : « C’est sous un arbre que doit être enterré Marat, l’homme de la Nature. C’est là notre Panthéon40. » Sur sa tombe est inscrit : « Ici repose l’ami de la patrie : laissons aux ci-devant nobles reposer les cendres de leurs semblables dans des temples superbes et dans un Panthéon somptueux ; aux sans-culottes seuls appartient le temple de la nature41. »
Allégories et métaphores maternelles
11Hérault de Séchelles42 est chargé en juin 1793 de présenter devant le Comité de salut public un rapport sur le projet de constitution dont il est un des principaux rédacteurs. Lui aussi est un fervent laudateur de la Nature et des droits naturels. Le 14 juin, il rédige une Constitution du peuple français à l’usage des enfants dans laquelle il adresse une « prière du républicain » à la Nature : « Souverain de la Nature ! ô toi Législateur suprême, qui maintiens le Monde dans un ordre si merveilleux, qui le régis par des Lois invariables, sans lesquelles on verrait bientôt cette vaste machine s’écrouler, tous les éléments se troubler et se confondre, et le plus affreux désordre remplacer l’ordre que nous admirons43 ! » La question pour les révolutionnaires est de savoir comment faire aimer la patrie et respecter la loi. De nouveau, les fêtes nationales doivent permettre de régénérer le peuple, qui, quoique bon par nature, a été dénaturé par les institutions viciées de l’Ancien Régime. Pierre-Claude-François Daunou, républicain, mais centriste, est nommé membre du Comité d’instruction publique et publie un essai sur l’éducation nationale44 qui est imprimé sur ordre de la Convention nationale. Pour lui, c’est dans les fêtes nationales que « se manifeste et s’anime la nature45 ». Elles sont essentielles pour la régénération des mœurs. Il constate en effet l’« impuissance des lois sans les mœurs » et affirme qu’il faut donner aux peuples « des aliments à son imagination et à son penchant pour le plaisir46 » et soutenir les « communs élans des âmes vers l’Image de la félicité47 ». C’est maintenant la représentation de la Nature qui doit être au centre des fêtes nationales destinées à régénérer l’esprit public.
Jacques-Louis David, grand ordonnateur des fêtes nationales
12Jacques-Louis David fut aussi un homme politique et développa un langage pictural singulier pour la cause de la Révolution. Pour rappel, David se familiarise avec le nouveau classicisme lors d’un séjour à Rome de 1775 à 1780. C’est en effet l’époque de Winckelmann, qui prône le renouveau de l’allégorie – l’idée faite image –, un vieux langage de la tradition classique48. Le Laocoon et l’Apollon du Belvédère deviennent les références absolues du retour à l’Antique. David revient à Paris avec une aura prestigieuse. Il est ouvert aux idées des Lumières. Lorsque la Révolution éclate, il en saisit différents moments clés avec des tableaux prestigieux. Il devient membre des Jacobins en 1790 et est élu à la Convention en septembre 1792. Il vote la mort du roi, devient un adversaire sans faille des Girondins en mai 1793, et devient président des Jacobins en juin 1793. On ne lui connaît pas de « traités savants ou doctrinaires49 », toutefois, David estime que l’artiste est un « élève de la nature50 » et affirme que « chacun de nous est comptable à la patrie des talents qu’il a reçus de la nature51 ». Les tableaux de David ne se prêtent pas à une seule lecture et, selon Albert Boime, historien de l’art, il faut « chasser à tout jamais le doute qui subsiste encore sur la superposition symbolique de différents niveaux de signification que David utilise pour toucher différentes strates du public52 ». En effet, David est franc-maçon depuis 1787 et entretient des liens étroits avec Cagliostro depuis 1789. Selon Boime, il y avait un nombre très important de maçons parmi les députés de Bretagne, dont le club politique, le Club breton, constitua le noyau du Club des Jacobins. « Dans les loges, les nobles et les bourgeois se rencontraient et discutaient des problèmes d’égal à égal, fournissant ainsi un modèle pour le type d’alliance qui servit de base à l’Assemblée nationale53. » Pour Boime,
les références maçonniques dans l’œuvre de David démontrent que l’artiste structurait sa pensée autour d’un ensemble de codes, qui avaient pour but de toucher des publics différents. […] Cette méthode rappelle les messages à double portée de ses œuvres néo-classiques, qui s’adressaient aussi à plusieurs publics à la fois54.
13Les allégories sont à la base même des institutions de la franc-maçonnerie et David utilise les images propres à celle-ci (le triangle, l’œil qui voit tout, le niveau, etc.).
10 août 1793 : fête de l’unité et de l’indivisibilité de la République
14C’est David qui est chargé d’organiser la fête du 10 août 1793, anniversaire de la chute de la royauté, mais aussi fête de l’unité et de l’indivisibilité de la République, en hommage à la nouvelle Constitution. Il existe plusieurs versions concernant la description de cette fête. Elle fait l’objet d’un projet présenté au nom du Comité d’instruction publique par David, dans le Procès-verbal de la fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République Française, le 10 août 1793, imprimé par ordre de la Convention nationale, puis David et l’éditeur Pithou en font une description générale dans le Procès-verbal des monuments, de la marche, et des discours de la fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République Française, le 10 août 1793 et dans le Recueil complet de tout ce qui s’est passé à la fête de l’unité et de l’indivisibilité de la République française. David organise cette fête en « stations » qui retracent les principaux épisodes de la Révolution. Elles évoquent à la fois les fêtes antiques, les processions catholiques faisant revivre le calvaire du Christ, ou bien les initiations maçonniques. La première est consacrée à la vénération de la Nature, la deuxième rappelle l’héroïsme des femmes les 5 et 6 octobre 1789, la troisième évoque la fin de la tyrannie « avant de brûler les emblèmes du despotisme royal, nobiliaire et sacerdotal », la quatrième a lieu devant la statue colossale représentant le peuple français, la cinquième, « au champ de la réunion, sur l’autel de la patrie », et la sixième et dernière est dédiée au monument funèbre des guerriers morts pour la patrie. C’est assurément la première station qui paraît la plus spectaculaire. Dans le projet de David présenté à la Convention nationale, la fête commence à l’aurore, elle est éclairée par le soleil, car l’accomplissement de la régénération de la France est associé à ce lever de l’astre du jour, qui fait tressaillir de joie la nature55. La première station doit avoir lieu sur l’emplacement de la Bastille :
Au milieu de ses décombres, on verra s’élever la fontaine de la Régénération, représentée par la Nature. De ses fécondes mamelles, qu’elle pressera de ses mains, jaillira avec abondance l’eau pure et salutaire […]. Le président de la convention nationale, après avoir, par une espèce de libation, arrosé le sol de la liberté, boira le premier ; il fera successivement passer la coupe aux commissaires des envoyés des assemblées primaires ; ils seront appelés, par lettre alphabétique, au son de la caisse et de la trompe ; une salve d’artillerie, à chaque fois qu’un commissaire aura bu, annoncera la consommation de l’acte de fraternité56.
15Une autre déesse, celle de la liberté, est évoquée à la troisième station. En effet :
Sur les débris existants du piédestal de la tyrannie, sera élevé [sic] la statue de la liberté, dont l’inauguration se fera avec solemnité [sic] ; des chênes touffus formeront autour d’elle une masse imposante d’ombrage et de verdure ; le feuillage sera couvert des offrandes de tous les Français libres. Rubans tricolors [sic], bonnets de la liberté, hymnes, inscriptions, peinture, sera [sic] le fruit qui plaît à la déesse57.
16Dans la description générale faite par David et Pithou, la fête commence aussi à l’aurore, également éclairée par le soleil, « symbole de la vérité, à laquelle [les participants] adresseront des louanges et des hymnes58 ». On retrouve la même évocation centrale de la statue de la Nature. Cependant, au milieu de la fête, le narrateur raconte que « des cris lugubres ont frappé mon oreille. C’est la patrie en pleurs qui nous interrompt pour exprimer sa douleur ; ses droits sont sacrés, il lui appartient de faire retentir jusqu’aux cieux les accents de son éloquence maternelle : qu’elle parle, nous saurons nous taire59 ». S’ensuit une prosopopée présentée comme une « oraison funèbre que la patrie reconnaissante adresse à ses enfants bien‑aimés60 ».
17Le déroulement de la Révolution française est présenté comme « l’enfer déchaîné qui conspirait contre la divine Astrée descendue du ciel pour se fixer chez la Nation Française. […] À la voix de la patrie, on est ému, attendri, touché ; oui, les paroles puissantes qui promettent l’immortalité aux victimes nationales, nous consolent, et ramènent la sérénité que la douleur avait bannie de notre âme61 ». On est sûr maintenant « que la France est invincible, ayant pour défenseurs des citoyens libres et régénérés62 ». Tantôt l’anathème est lancé contre les « enfants rebelles qui déchirent le sein de leur mère63 », tantôt on prend pitié : « Enfants de la patrie, vous qui n’êtes qu’égarés, que je vous plains ! Ah ! revenez à votre mère qui vous appelle et qui vous tend les bras, abjurez des erreurs qui vous seraient mortelles64 ! » La figure d’Astrée évoque à la fois une antique déesse de la justice, et le titre d’un célèbre roman d’Urfé. Le roman pastoral idéalisait le retour à la nature, et se montrait très préoccupé par les questions morales. Le Procès-verbal des monuments, de la marche, et des discours de la fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République Française, le 10 août 1793 présente la description la plus riche de cette fête. La référence à la nature est encore plus insistante. La fondation de la République est directement reliée à « la voix de la nature et ses maximes65 ». Il s’agit de célébrer le triomphe de l’égalité et la fête de la nature. « La statue colossale de la Nature » a un caractère « antique et majestueux », et porte « une inscription : Nous sommes tous ses enfants. […] Tout répandait au loin l’idée sensible de la grandeur de la Nature et de sa bienfaisance66 ». La description de la scène qu’avait prévue David est ensuite encore plus impressionnante : « De ses mamelles qu’elle pressait de ses mains, s’épanchaient dans un vaste bassin deux sources d’une eau pure et abondante, images de son inépuisable fécondité67. » Le président de la Convention nationale, Hérault de Séchelles, s’exprime ainsi :
Souveraine du sauvage et des nations éclairées, ô Nature ! ce peuple immense rassemblé, aux premiers rayons du jour, devant ton image, est digne de toi : il est libre. C’est dans ton sein, c’est dans tes sources sacrées qu’il a recouvré ses droits, qu’il s’est régénéré. […] O Nature ! reçois l’expression de l’attachement éternel des Français pour tes lois ; et que ces eaux fécondes qui jaillissent de tes mamelles ; que cette boisson pure qui abreuva les premiers humains, consacrent dans cette coupe de la fraternité et de l’égalité, les serments que te fait la France en ce jour, le plus beau qu’ait éclairé le soleil depuis qu’il a été suspendu dans l’immensité de l’espace68 !
18Un des représentants du peuple français, après avoir bu dans la coupe, s’exclame ainsi : « O France ! la liberté est immortelle ; les lois de ta République comme celles de la Nature ne périront jamais69. » Cette cérémonie « ramenait en quelque sorte les premiers jours du genre humain ». C’était le « cortège d’une nation régénérée à la liberté et rendue à la nature […]. Ainsi se renouvelait cette sublime alliance aperçue par les peuples des républiques anciennes entre l’agriculture et la législation, et qu’ils figurèrent dans leurs allégories en faisant de Cérès la législatrice des sociétés70 ». Il n’est pas fait état des législateurs de l’Antiquité bien connus comme Lycurgue ou Solon, mais on sollicite la déesse maternelle Cérès en tant que législatrice. Puis le cortège qui succède à la cérémonie montre que les différences sont abolies entre les citoyens et que l’égalité est enfin instaurée : en effet, « tout s’est confondu en présence du peuple […] et dans cette confusion sociale et philosophique […] tout a donné la vue et le sentiment de cette égalité sacrée, empreinte éternelle de la création, première loi de la nature et première loi de la République71 ». Le discours met aussi en valeur les vertus de la piété filiale, en particulier des fils vis-à-vis de leur mère. On rappelle une historiette antique et moralisante, telle que l’aurait racontée Solon au roi de Lydie, qui lui avait demandé quel serait selon lui l’homme le plus heureux. Solon cite d’abord un citoyen d’Athènes mort pour sa patrie, puis deux frères, Cléobis et Biton, qui aimaient tant leur mère qu’ils s’attelèrent à son char à la place des bœufs qui tardaient à venir. Les dieux leur accordèrent ce qu’il y a de meilleur, à savoir une mort douce et immédiate, car « il n’y a pas de plus grand bien dans la vie que d’en sortir après une action glorieuse72 ». Ce sont Hérodote et Plutarque qui rapportent cette histoire. Solon se fait ici le porte-parole de la loi exigeant le sacrifice des fils pour le bonheur de leur mère, ou du citoyen pour sa patrie. Dans le cortège de la fête, un couple de vieillards est assis sur un char qui est tiré par leurs enfants. La seconde station a lieu sous l’Arc de Triomphe élevé en l’honneur des héroïnes des 5 et 6 octobre 1789. Les femmes qui ont marché sur Versailles sont alors célébrées : « Quel spectacle ! la faiblesse du sexe et l’héroïsme du courage ! O Liberté ! ce sont-là tes miracles73 ! » On leur rappelle aussi leurs devoirs : « O femmes ! la Liberté, attaquée par tous les tyrans, pour être défendue a besoin d’un peuple de héros : c’est à vous de l’enfanter. Que toutes les vertus guerrières et généreuses coulent, avec le lait maternel, dans le cœur de tous les nourrissons de la France74. » À la troisième station, le peuple est ensuite représenté sous la forme d’une statue colossale, comme le héros Hercule, il triomphe d’un monstre, le fédéralisme, qui voulait briser « ce que la nature a uni75 ». À la quatrième station, dédiée au peuple français, les citoyens doivent rendre « un hommage éclatant à l’égalité par un acte authentique et nécessaire dans une République » et passer sous un portique et sous « un vaste niveau, le niveau national ; il planera sur toutes les têtes indistinctement : orgueilleux, vous courberez la tête76 ». On explique ici que c’est une « allégorie sensible de cette égalité sociale qui retient tous les hommes sur un plan commun, et les nivelle devant la loi comme ils le sont par la nature77 ». La République est qualifiée « d’éternelle », « cette République que l’humanité a chargée de sa cause, et qui doit sauver l’univers78 ». La Convention décrète que ce procès-verbal sera « imprimé, distribué aux Membres de la Convention au nombre de six exemplaires, envoyé aux départements, aux districts, aux municipalités, aux sociétés populaires, aux armées, et traduit dans toutes les langues79 ». On voit là toute l’importance que la Convention accorde à cette fête fondatrice qui décrit la Nature comme une déesse mère, mais aussi législatrice et bienfaisante. L’eau qu’elle dispense est aussi l’eau de la régénération, telle l’eau baptismale. Mais cette Nature maternelle est aussi représentée par une déesse égyptienne, Hathor, déesse de l’amour, de la beauté, de la musique, de la joie et de la maternité. Comme nous l’avons vu plus haut, la déesse Isis a été confondue plus tard avec Hathor. La statue d’Isis lactans, déesse assise allaitant Osiris, porte la coiffe d’Hathor et sa représentation est très proche de la statue massive de la Nature du 10 août 1793, assise et « allaitant » les représentants du peuple. La création de cet objet maternel tout-puissant condense à la fois les codes auxquels David se réfère et les aspirations et les représentations des idéaux des différents participants de la fête.
19Comment interpréter une telle scénographie ? Pendant toute la Révolution, les allégories et les métaphores maternelles, souvent associées aux « frères » révolutionnaires, sont beaucoup plus nombreuses que les représentations paternelles. Le contexte historique peut expliquer en partie ce phénomène, l’historienne Lynn Hunt constatant en effet l’érosion du rôle paternel au xviiie siècle. Du point de vue psychanalytique, l’ouvrage classique de Freud, Psychologie des masses et analyse du moi, publié en 1921, décrit les masses comme étant structurées par l’identification des frères au chef en tant qu’idéal du Moi commun. Freud écrit ainsi : « Le meneur de la foule incarne toujours le père primitif tant redouté, la foule veut toujours être dominée par une puissance illimitée […]. Le père primitif est l’idéal de la foule qui domine l’individu, après avoir pris la place de l’idéal du moi80. » Son analyse de la psychologie des foules a été critiquée, notamment par le psychanalyste allemand Hans-Jürgen Wirth81, qui reproche à Freud de ne pas accorder assez d’importance au narcissisme, alors qu’il estime que celui-ci joue un rôle prépondérant et plus important que l’idéal du Moi et le Surmoi. Theodor W. Adorno souligne, par exemple, le fait que, pendant la période nazie en Allemagne, « le nazisme a démesurément exacerbé le narcissisme collectif, c’est-à-dire la vanité nationale82 ». Le psychanalyste français Didier Anzieu s’est appuyé sur des décennies de travail thérapeutique et en institution avec des groupes pour élaborer ses théories concernant les processus de groupe. Anzieu estime compléter ainsi la théorie freudienne en décrivant un processus de groupe structuré autour du Moi idéal. Ce concept (Idealich) a certes été créé par Freud dans Pour introduire le narcissisme en 1914 et dans Le Moi et le Ça en 1923. Cependant, on ne trouve pas chez lui de distinction conceptuelle entre Idealich (Moi idéal) et Ichideal (idéal du Moi). À la suite de Freud, certains auteurs, dont Hermann Nunberg en 1932 et Daniel Lagache en 195883, ont repris le couple formé par ces deux termes pour désigner deux formations intrapsychiques différentes. Contrairement à l’idéal du Moi, qui connote les attentes de l’autorité morale intériorisée, le « Moi idéal » correspond à un idéal narcissique de toute-puissance. Il comporte une « identification primaire à un autre être, investi de la toute-puissance, c’est-à-dire à la mère84 ». D’autre part, selon Didier Anzieu, « les sujets humains vont à des groupes de la même façon que dans leur sommeil ils entrent en rêve. Au point de vue de la dynamique psychique, le groupe, c’est un rêve85 ». Le rêve réalise « le désir de rétablir la fusion primitive du Moi et de l’objet et de retrouver l’état heureux de symbiose organique intra-utérine du nourrisson avec sa mère86 ». L’illusion groupale prévalant dans les groupes structurés par le Moi idéal proviendrait selon lui de la « substitution, au Moi idéal de chacun, d’un Moi idéal commun87 ». Celui-ci « cherche à réaliser la fusion avec le sein, source de tous les plaisirs, et la restauration introjective de ce premier objet – partiel – d’amour perdu. Le groupe devient pour les membres le substitut de cet objet perdu88 ». L’accent est « mis alors sur le caractère chaleureux des relations entre les membres, sur la réciprocité de la fusion les uns avec les autres, sur la protection que le groupe apporte aux siens, sur le sentiment d’y participer d’un pouvoir souverain89 ». Selon Didier Anzieu, dans les groupes structurés par le Moi idéal, ce serait une imago de toute-puissance narcissique (identification narcissique au sein, source de plaisir et de fécondité) qui serait investie90. L’illusion groupale basée sur l’identification au Moi idéal aurait d’autres conséquences. En effet, elle aurait, selon Daniel Lagache, des implications sado-masochiques, notamment la négation de l’autre corrélative à l’affirmation de soi91. L’illusion groupale s’accompagne souvent d’un repas de groupe, « figuration symbolique d’une introjection collective du sein en tant qu’objet partiel92 ».
20La station devant la statue de la Nature est suivie lors de la fête du 10 août par une autre station qui exalte le Peuple, sous la forme d’une statue colossale. Cela pourrait être, du point de vue psychologique, une suite logique de la scène fusionnelle avec la Nature. En effet, selon Janine Chasseguet-Smirgel, l’union du Moi et de l’Idéal permet « à chaque membre, non pas de se sentir une infime particule indifférenciée d’un grand ensemble, mais au contraire de s’identifier au groupe global, se conférant de ce fait un Moi tout-puissant, un corps colossal93 ». Cette identification au Moi tout-puissant se fait au sacrifice de la singularité. La philosophe Rada Iveković estime que toute séparation d’avec les « frères » au sein de l’unité avec le groupe « met en danger de fragmentation la sécurisante totalité de référence. Séparé d’elle, l’individu se sent perdu ; il se protège par et dans le groupe des égaux. Ne pouvant lui-même s’individualiser, il se construit, soutenu par ses frères, un ersatz de subjectivité94 ». Ce manque de subjectivation a une conséquence : « Là où il n’y a pas d’individu, il n’y a pas de langage vivant. Il est urgent de se construire un étayage extérieur, armée, nation ou État, qui tiendra lieu d’ego95. » Elle tient à souligner que la « fusion maternelle » avec la communauté est très différente de la relation entre la mère et l’enfant car, dans celle-ci, « il y a toujours l’ouverture qui assure l’évolution et de l’enfant et de la relation, et il y a connivence dans un rapport en constante transformation96 ». Selon Sophie de Mijolla-Mellor, cette situation n’est cependant pas toujours régressive : en effet, « dans l’illusion groupale, les participants se donnent un objet transitionnel commun97 », qui peut permettre le « jeu », dans tous les sens du terme, entre le fantasme et la réalité, et faire accéder à la créativité ou à la réflexion. Si le groupe est le rêve, il convient de rappeler que, pour Freud, « le rêve est soumis à plusieurs mécanismes, dont ceux du déplacement, de la surdétermination, de la prise en considération de la figurabilité, de l’élaboration secondaire et de la condensation98 ». Pour les psychanalystes Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis,
la condensation de plusieurs images peut aboutir à estomper les traits qui ne coïncident pas, pour maintenir et ne renforcer que le ou les traits communs. […] Si certaines images, notamment dans le rêve, acquièrent une vivacité toute particulière, c’est dans la mesure où, produits de la condensation, elles se trouvent fortement investies99.
21Ce mécanisme semble pertinent dans le cadre de l’interprétation de la statue de la Nature. David avait prévu une lecture de ses fêtes à plusieurs niveaux, pouvant interpeller chacun à sa manière. Nous avons vu précédemment comment les différentes interprétations des représentations et des principes de la Nature, de ses lois et du droit naturel pouvaient se contredire. La représentation de la Nature allaitant chaque représentant du peuple correspond néanmoins tout à fait à la Nature selon Saint-Just, qui a autant de mamelles que d’enfants. Du côté du Cercle social proche des Cordeliers, il pourrait s’agir d’une référence à l’ésotérisme et à la franc-maçonnerie ; pour le mouvement sans-culotte, il s’agit du droit naturel à l’existence qui implique des mesures sociales telles que le maximum des prix. Chaumette, à la Commune de Paris, tout comme les Enragés Jacques Roux et Jean-François Varlet, célèbre le code de la nature. Cet appel à l’imaginaire est toutefois aux antipodes de ce que préconisait Condorcet pour qui, justement, il permet aux charlatans politiques toutes les manipulations pour mener le peuple à sa guise. La contradiction entre son appel à la raison et la valorisation de l’imagination et de la sensibilité par Rousseau et ses partisans n’est que la première des contradictions à l’unité et l’indivisibilité de la République promises par cette fête. La statue de la Nature et l’acte fusionnel par l’allaitement/repas partagé cachent bien des divisions potentielles. Cette représentation imaginaire de la Nature correspond par ailleurs à ce moment précis de la Révolution où sont alliés le mouvement sans-culotte et le Club des Jacobins, plus bourgeois, auquel David et Robespierre appartiennent. Hormis l’inscription « Nous sommes tous ses enfants » au pied de la statue, celle-ci reste muette, et son apparition est équivoque. La question se pose donc de savoir qui va en être l’interprète ou le porte-parole, et qui donc est légitime pour parler au nom de cette figure maternelle de la Nature.
Août 1793-juillet 1794 : le rêve brisé
22La représentation de l’acte d’allaitement des représentants (masculins) de la nation par la déesse Nature semble sceller une relation fusionnelle entre le peuple français et la Mère Nature à compter du 10 août 1793, accompagnée de l’affirmation de l’unité et de l’indivisibilité de la nouvelle République. Cependant, l’envers de l’unité se révèle rapidement, et les fils de la Nature commencent à s’entre-déchirer dès le mois suivant.
Culte de la Nature et déchristianisation
23En effet, dès le mois de septembre 1793, un groupe se constitue autour des sans-culottes Hébert100, Chaumette, Momoro et le prussien Anacharsis Cloots. Ils reprennent à leur compte une partie du programme social des Enragés et Hébert pousse le peuple à envahir la Convention le 4 septembre 1793 pour demander du pain. C’est alors que sont votés le maximum et la mise à l’ordre du jour de la Terreur qui s’appuie sur la juridiction d’exception que sont le Tribunal révolutionnaire et la loi des suspects. Ils encouragent la vague de déchristianisation qui se propage en France à partir de la région parisienne. Celle-ci s’accompagne de manifestations variées : par la déprêtrisation forcée, suivie de mariages de prêtres ; par la fermeture d’églises et l’interdiction du culte catholique ; par des scènes de pillage, de mascarade anticléricale ; des bûchers sont érigés sur lesquels brûlent des soutanes et des calottes. Dès novembre 1793, Robespierre tente de mettre un coup d’arrêt à cette campagne de déchristianisation, mais elle continue par endroits jusqu’au printemps 1794. Elle aurait suivi la route des représentants en mission et des soldats de l’armée révolutionnaire101 pour s’allier aux activistes des sociétés populaires et des militants locaux. Cependant, ce mouvement est principalement masculin. Les femmes sont souvent restées fidèles à l’Église traditionnelle, se sont opposées à l’Église constitutionnelle et ont boycotté les prêtres jureurs. Ce sont elles qui « ont campé à la porte des sacristies, défendu leurs ciboires, réclamé leurs cloches, molesté les administrateurs ; elles qui ont boudé le calendrier républicain et les cultes de substitution102 ». Pour Mona Ozouf, « c’est dans leur résistance que s’est affirmé et fixé le visage féminin de l’Église catholique française au xixe siècle103 ». Ce sont les sans-culottes parisiens qui semblent être les plus fervents partisans de ce mouvement de déchristianisation où la nature, la raison et la liberté sont célébrées de façon concomitante. Nous retrouvons Momoro qui affirme en tant que président par intérim de la Commune de Paris devant les parlementaires que « dans peu la République française n’aura plus d’autre culte que celui de la liberté, de l’égalité et de la vérité : culte puisé dans le sein de la nature, et qui, grâce à vos travaux, sera bientôt le culte universel104 ». Il insiste sur l’importance des fêtes pour imposer ce culte. Pour lui, « la liberté, la raison, la vérité […] sont des parties de nous-mêmes. La liberté n’est autre chose que notre volonté, qui a le pouvoir de se manifester et de se réaliser. La raison n’est autre chose que cette faculté qui est en nous, de saisir la nature et le rapport des objets ; et la vérité enfin n’est rien autre que la nature même105 ». Le 20 brumaire an II (10 novembre 1793) a lieu à Notre-Dame de Paris la fête de la Raison dont la célébration doit succéder au culte catholique. Momoro associe la vérité à la nature, et la raison et les Lumières constituent les voies privilégiées pour y accéder. Chaumette affirme ainsi : « Le peuple a dit : Plus de prêtres, plus d’autres dieux que ceux que la nature nous offre106. » Pour Jurgis Baltrušaitis, la Révolution a combattu l’Église en ranimant les divinités égyptiennes, et c’est Isis qui en aurait protégé, dans une certaine mesure, les monuments. Cet auteur souligne également les actions d’Alexandre Lenoir107 « qui se rattachent directement à ces courants révolutionnaires108 ». Pour Lenoir,
le christianisme n’est qu’une suite des anciens cultes dont on a défiguré les principaux personnages et […] nous retrouvons Isis et toutes ses attributions dans la Vierge des Chrétiens. Comme elle, elle a accouché le 25 décembre à minuit, et comme elle, elle allaite un enfant nouveau-né. Son fils Horus ou Christ, le dieu de lumière, après avoir éprouvé les tourments d’une vie orageuse, meurt et ressuscite aux mêmes époques : il est donc évident que c’est la même chose et qu’on ne doit pas s’étonner de voir nos temples décorés des emblèmes qui se trouvent en Égypte dans ceux de la déesse Isis109.
24Lenoir annonce qu’il prouvera « que les théogonies anciennes doivent leur jour aux Égyptiens110 ». Pour lui :
Si Osiris est la raison, Isis est la nature, c’est-à-dire la mère de toutes choses, maîtresse des éléments, le commencement des siècles. […] Si Osiris est la lumière sans mélange, l’empire d’Isis s’exerce sur la matière sublunaire qui reçoit successivement le jour, la nuit, la vie, la mort, l’eau, le feu, le commencement et la fin111.
25Il est convaincu que Notre-Dame de Paris est un sanctuaire d’Isis. « L’architecture gothique est une architecture arabe, introduite en Occident par les Croisés. Mais les Arabes l’ont empruntée directement aux premières sources112 », c’est-à-dire en Égypte. À Chartres, où l’on sait qu’un sanctuaire du culte d’Isis avait existé, a également lieu une fête de la Raison113 le 9 frimaire an II (29 novembre 1793). Dans le récit de la fête, les auditeurs sont ainsi apostrophés :
[Mais] nous avons la religion de la nature, qui nous prescrit d’aimer les hommes, de croire en Dieu & de remplir tous les devoirs dont il a mis le sentiment dans notre conscience […] c’est la nature même qui les a gravées dans nos cœurs [les idées religieuses] : celles-là sont utiles, parce qu’elles nous font aimer la vertu, et pratiquer nos devoirs. Elles sont simples, comme tout ce qui nous vient de la nature, et loin de révolter la raison, elles la flattent, elles sont nécessaires pour nous […]. Nous allons trouver dans la religion naturelle, alliée avec la religion du citoyen, un culte digne de nous et seul capable de former dignement notre âme à toutes les vertus qui doivent faire notre bonheur114.
26Le 20 novembre 1793 a lieu l’inauguration d’un temple à la Raison, en la ci-devant église Saint-Laurent, à Paris, par François de Neufchâteau. Selon lui, il n’y a ni ciel ni enfer : « D’un Enfer chimérique [un républicain] ne craint point la vaine flamme ; d’un Ciel menteur il n’attend point les faux trésors ; le ciel est dans la paix de l’âme et l’Enfer dans les remords115. » Il faut que la France offre au retour des soldats révolutionnaires « une famille unie par la Nature et par l’amour116 ». Le culte de la Raison et l’Évangile de la Nature impliquent ici la fin de la croyance en une vie après la mort. Il n’y a plus aucune récompense pour les hommes vertueux ni de châtiment (hormis la guillotine) pour ceux qui suivent la pente du vice. Ce culte panthéiste athée va s’attirer les foudres de Robespierre dès le mois de novembre 1793.
Éliminer les traîtres à la mère patrie
27Malgré l’harmonie affichée lors de la fête du 10 août 1793, des fêlures étaient déjà apparues dès le mois de juillet au sein de l’unité rêvée. Un conflit larvé entre les Jacobins et les sans-culottes provient de la pression exercée par ces derniers depuis la mort de Marat, Hébert s’étant imposé comme son successeur et héritier. Après la disparition du journal de Marat, Le Publiciste de la République française, c’est Le Père Duchesne qui devient le grand journal populaire. Alliés aux Cordeliers, les sans-culottes demandent l’accentuation des mesures terroristes, la revendication de la levée en masse et des mesures en faveur du maximum et contre les accapareurs117. Le Père Duchesne s’en prend dès le mois d’août 1793 au gouvernement et dénonce une « nouvelle clique de fripons et d’intrigants qui veulent remplacer les brissotins et mener la Convention à la lisière118 ». Hébert reprend les mots d’ordre qu’il avait jadis reprochés aux Enragés et concernant les Montagnards : « Tant qu’ils ont cru que la Révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue ; ils ont prêté la main aux sans-culottes pour détruire la noblesse et les parlements ; mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates119. » Le 5 septembre, alors que Toulon venait d’être livré aux Anglais, des émeutiers se rendent à l’hôtel de ville. Chaumette et Hébert se rallient in extremis à l’insurrection qui se prépare. Les sections cernent la Convention et exigent la création d’une armée révolutionnaire, l’arrestation des suspects, l’épuration des comités révolutionnaires, ce que la Convention accepte. Le 5 septembre également, la Terreur est organisée par le Comité de salut public, et mise à l’ordre du jour. Robespierre justifie cette mesure plus tard, en février 1794, en établissant laconiquement le lien nécessaire entre vertu et terreur : « La vertu sans laquelle la terreur est funeste, la terreur sans laquelle la vertu est impuissante120. » Cette journée du 5 septembre révèle également les divisions latentes entre une aile extrémiste, les Cordeliers, et une aile modérée, dont Danton et Desmoulins deviennent les porte-parole et les hommes proches de Robespierre. Du point de vue idéologique et discursif, la Nature reste cependant la référence essentielle. Saint-Just déclare lors de la séance du 25 du premier mois (vendémiaire) de l’an II de la République (16 octobre 1793) que « celui qui ne croit pas à la nature, ne peut point aimer sa patrie121 ». La patrie est référée à la nature, et celui qui s’oppose à cette conception devient un traître potentiel. Comme l’unité et l’indivisibilité de la République, scellée par la représentation imaginaire de la Nature allaitant les représentants du peuple, ne peut être remise en question, les désaccords qui surgissent ne peuvent faire l’objet de discussions et de négociations qui pourraient mener à une différence reconnue, ou à une séparation. Ils ne peuvent être envisagés que sous le signe de la trahison. Pour les hébertistes, les traîtres sont les hommes au pouvoir, qu’ils considèrent comme de nouveaux aristocrates ; et pour Robespierre, ils sont les factieux, les hommes dont il affirme savoir qu’ils sont achetés par l’étranger et ont trahi la République. Robespierre s’attaque aux Cordeliers, non sur le terrain de leurs revendications sociales, mais en ce qui concerne leur campagne de déchristianisation. Les célèbres discours qu’il prononce au Club des Jacobins les 1er et 8 frimaire an II (21 et 28 novembre 1793) ou à la Convention visent d’abord à dénoncer les hébertistes et leurs alliés au Club des Cordeliers sous le couvert de la dénonciation de l’athéisme. Pour lui, l’athéisme est aristocratique. Il affirme que
l’idée d’un grand être, qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime, triomphant, est toute populaire. […] Il me semble du moins que le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux, en se reposant sur cette idée consolatrice. Ce sentiment est celui de l’Europe et de l’Univers, c’est celui du Peuple Français. Ce peuple n’est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies religieuses ; il ne l’est qu’au culte en lui-même122.
28Robespierre dénonce « les agents de l’étranger qui veulent faire échouer la Révolution française en faisant déclarer la guerre à tous les cultes tout en dénonçant les Français comme une nation athée et immorale123 ». Il est certain de bientôt pouvoir dévoiler la vérité sur tous les complots et leurs auteurs. L’hiver 1793-1794 est très rude et mène à une crise des subsistances ; les hébertistes envisagent une insurrection. C’est à ce moment-là que la Convention et Saint-Just, qui en est le président, font voter les décrets du 8 ventôse (26 février 1794) qui promettent aux indigents le séquestre et la distribution des biens des suspects reconnus ennemis de la République. Saint-Just présente ces décrets comme une mesure qui doit contribuer à lutter contre les préjugés hostiles à la Révolution française forgés par certaines puissances étrangères. Comme Robespierre, Saint-Just dénonce l’influence sournoise de traîtres potentiels soudoyés par l’étranger, qui selon lui « n’a qu’un moyen de nous perdre : c’est de nous dénaturer et de nous corrompre, puisqu’une République ne peut reposer que sur la nature et sur les mœurs124 ». Les Cordeliers répliquent en apposant un voile sur la déclaration des droits de l’homme le 14 ventôse (4 mars), tout en préparant une insurrection. Leurs dirigeants sont arrêtés dans la nuit du 23 au 24 ventôse (13 au 14 mars) et leur procès a lieu du 1er au 4 germinal (18 au 22 mars). Les Cordeliers sont donc condamnés pour trahison, amalgamés avec des étrangers suspects, et guillotinés. Jacques Roux – qui s’est suicidé en février –, Momoro, Hébert, Chaumette – qui fait partie d’une fournée ultérieure – sont ainsi exécutés au nom de la nature et de la patrie, et Paris ne bouge pas. Puis, le 16 germinal (5 avril) a lieu l’exécution des Indulgents : Condorcet est arrêté le 4 germinal an II (24 mars 1794) et retrouvé mort par suicide dans sa prison. Le 19 floréal an II (8 mai) a lieu l’exécution de fermiers généraux dont Lavoisier125, car « la République n’a pas besoin de savants ». Il n’y a donc apparemment plus de factions ni de divisions au sein de la « République une et indivisible » basée sur la nature, les mœurs et la vertu. Cette exaltation de la nature et de ses lois, représentée par la déesse Isis/Hathor ou par la déesse Raison, ne correspond pas à une valorisation des femmes, bien au contraire. En effet, Robespierre fait fermer leur club en novembre 1793, car il les considère comme proches des Enragés, et la Convention interdit par la suite toutes les sociétés de femmes. Au printemps 1794, on leur interdit également l’entrée des assemblées politiques. Chaumette, le porte-parole des sans-culottes, leur explique (en se référant à la nature, représentée par une femme) :
La nature dit à la femme : sois femme. Les tendres soins dus à l’enfance, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux. Mais tes occupations assidues méritent une récompense ? Eh bien tu l’auras ! Tu seras la divinité du sanctuaire domestique, tu régneras sur tout ce qui t’entoure par le charme invincible des grâces et de la vertu126.
29L’idéalisation des allégories et des métaphores maternelles semble aller de pair avec la dévalorisation et la mise à l’écart des femmes réelles, qui se doivent de rester confinées dans leur rôle de mère au foyer.
Disqualifier les femmes et idéaliser les représentations maternelles
30Yannick Ripa rappelle que le champ d’action politique des femmes s’était déjà rétréci avant la Révolution127, les femmes ayant vu leur statut se dégrader à partir de la fin du xviiie siècle avec l’affirmation concomitante de « l’infériorité mentale » de la femme. Éliane Viennot, dans son livre Et la modernité fut masculine128, affirme également que les hommes n’ont eu de cesse de renforcer leurs privilèges pendant la Révolution et l’Empire. Dès le début de la Révolution, au cours de l’été 1789, les députés « s’alarment des passions provoquées par le public au sein de l’Assemblée nationale, accusant plus particulièrement les femmes129 ». Dans l’ouvrage Histoire des mères, Yvonne Knibiehler et Catherine Marand estiment que « la violence des femmes épouvante et scandalise les hommes. […] D’où le désir de les déconsidérer à tout prix, en les montrant dénaturées, coupées de leur plus authentique vocation130 ». Ainsi, Le Moniteur universel décrit Mme Roland comme « un monstre sous tous les rapports131 ». Albert Soboul rappelle aussi que les sans-culottes estimaient généralement que les femmes doivent être « reléguées dans la sphère étroite de leur ménage132 ». Le grand ordonnateur des fêtes révolutionnaires, David, présentait d’ailleurs toujours les femmes « comme étrangères à la chose publique133 ». Roger Chartier conclut que « d’un côté la Révolution voit la participation massive des femmes à l’exercice de la souveraineté et à la production des discours publics », mais que « d’un autre côté, pourtant, tous les législateurs ou presque considèrent comme légitimes tant l’exclusion des femmes de la citoyenneté (elles ne peuvent ni élire ni être élues) que leur infériorité juridique134 ». Elles sont ainsi exclues du politique « au nom de leur faiblesse naturelle, accentuée par le manque d’éducation morale135 ». Si les femmes sont mises à l’écart du politique, les représentations maternelles de la collectivité restent idéalisées. Selon Hélène Dupuy, cela serait « l’expression d’une même certitude : l’existence d’un principe premier féminin, d’où découle tout le reste136 ». Les allégories maternelles des villes portent parfois des couronnes ornées de tours, elles représenteraient les remparts de la patrie, « terre de la liberté, donc terre fragile et menacée » ; elles réalisent « le lien entre la fertilité terrienne et la fécondité spirituelle des idéaux137 ». Dupuy souligne l’importance accordée à la République romaine, la « cité-louve », terre d’asile, définissant un rapport d’appartenance réciproque : « L’homme lui doit la vie, puisqu’il lui doit la liberté. » La création d’une « filiation-adoption » ferait du citoyen qui n’a pas démérité « un fils, à la fois spirituel et charnel », et « l’autorise, en tant que fils légitime, à parler en son nom138 », d’où l’affirmation du principe tout-puissant au nom duquel on parle. Le plus souvent, ces entités maternelles ne s’expriment pas. Françoise Douay et Agnès Steuckardt rappellent que, pendant la Révolution, Marat, par exemple, « ajoute au premier numéro de son journal une espèce de Décalogue versifié, qu’il intitule : Commandements de la Patrie. La prosopopée de la Patrie est posée comme parole divine139 » ; le plus souvent la « voix » de la patrie « appelle », et parfois « commande », « elle ne dit rien à proprement parler140 ».
L’influence de Rousseau
31Les écrits de Rousseau deviennent incontournables en ce qui concerne la célébration de la patrie et l’adhésion collective à la Révolution. Pour lui, la difficulté essentielle de la politique est bien celle-ci : « Comment conforter dans le cœur de chacun des membres du corps politique le sentiment d’obligation sans lequel il ne saurait y avoir de lien social141 ? » Il estime donc qu’avant de s’exprimer,
la volonté générale est affaire d’opinion et de mœurs […]. Toute la vie du corps politique est suspendue à cette condition que la volonté générale parle d’abord au cœur de chaque citoyen. […] Ainsi donc le Législateur ne pouvant employer la force ni le raisonnement, c’est une nécessité qu’il recoure à une autorité d’un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre. […] Cette autorité sera celle de la religion. Le législateur […] est l’instituteur du peuple142.
32Selon Rousseau, en effet, « il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes143 ». Il présente son projet de religion civile :
Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la Divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du Contrat social et des Lois ; voilà les dogmes positifs. [Dans cette nouvelle religion,] il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen ni sujet fidèle144.
33Cette profession de foi a des implications néanmoins implacables :
Sans pouvoir obliger personne à les croire, [le souverain] peut bannir de l’État quiconque ne les croit pas […] comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir145.
34Pour Rousseau, c’est la patrie qui doit être au cœur de cette profession de foi et qui doit représenter cette entité bienveillante et maternelle. Une des conditions de l’attachement affectif à celle-ci est qu’elle soit tellement bonne que « si les citoyens tiennent d’elle tout ce qui peut donner du prix à leur propre existence – de sages lois, des mœurs simples, le nécessaire, la paix, la liberté et l’estime des autres peuples – leur zèle s’enflammera pour une si tendre mère146 ». Selon lui, cet amour découle de l’égoïsme propre à chaque être humain. La patrie, entité collective, donne au citoyen une protection dont il ne saurait bénéficier s’il restait isolé. L’éducation à l’amour de la patrie doit commencer dès la plus tendre enfance. Rousseau explique que
c’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale, et diriger tellement leurs opinions et leurs goûts, qu’elles soient patriotes par inclination, par passion, par nécessité. Un enfant en ouvrant les yeux doit voir la patrie et jusqu’à la mort ne doit plus voir qu’elle. Tout vrai républicain suça avec le lait de sa mère, l’amour de sa patrie, c’est-à-dire des lois et de la liberté. Cet amour fait toute son existence ; il ne voit que la patrie, il ne vit que pour elle ; sitôt qu’il est seul, il est nul ; sitôt qu’il n’a plus de patrie, il n’est plus ; et s’il n’est pas mort, il est pis147.
35Il souhaite « beaucoup de jeux publics où la bonne mère patrie se plaise à voir jouer ses enfants. Qu’elle s’occupe d’eux souvent afin qu’ils s’occupent toujours d’elle148 ». Ainsi, c’est l’amour de la mère patrie qui confortera le lien social, « car alors tous les citoyens se considéreront comme des frères ». Rousseau est devenu une référence majeure au printemps 1794 et ses cendres sont transférées au Panthéon en octobre 1794.
Régénérer par l’instruction
36Un Comité d’instruction publique avait été formé en octobre 1792, qui devait organiser l’instruction primaire. La Convention lui retire sa confiance en juillet 1793 et charge six commissaires de présenter un nouveau plan d’éducation nationale. À partir du mois d’août 1793, un grand débat s’engage à la Convention qui considère que l’enseignement est la première dette de l’État envers le peuple. Dans son intervention du 13 août, Danton soutient le projet d’une instruction gratuite, publique et obligatoire. Il explique que ce sont les institutions qui « forment les mœurs. […] Il est nécessaire que chaque homme puisse développer les moyens moraux qu’il a reçus de la nature149 ». Dans son discours du 22 frimaire an II (12 décembre 1793) à la Convention, il souligne la nécessité de
rétablir ce grand principe qu’on semble méconnaître : que les enfants appartiennent à la République avant d’appartenir à leurs parents. […] C’est dans les écoles nationales que l’enfant doit sucer le lait républicain. La République est une et indivisible. L’instruction publique doit aussi se rapporter à ce centre d’unité150.
37Lui-même rappelle que son propre fils ne lui appartient pas, « il est à la République ; c’est à elle de lui dicter ses devoirs pour qu’il la serve bien151 ». Quelques jours plus tard, le 29 frimaire (19 décembre), la Convention adopte le principe de la gratuité et de l’obligation de l’instruction publique, les municipalités devant payer les instituteurs152. Pour Danton, la République est une mère et se doit d’instruire ses enfants. La « nourriture » prodiguée vise non seulement à les instruire, mais aussi à les éduquer selon les valeurs de la République, et les enfants ont donc des devoirs envers elle. Les fêtes de la République doivent célébrer l’Être suprême, considéré comme le « maître de la nature » pour éduquer les Français dans leur ensemble. La nature, qui tenait la première place en 1793, tend à être subordonnée à cet « Être suprême » impersonnel. C’est un dieu qui ne protège pas, mais qui est associé à la justice et au jugement moral. Il promet l’immortalité pour ceux qui suivent son culte et celui de la nature ; ceux qui ne le font pas doivent affronter de tout autres perspectives, dont probablement la guillotine. C’est en avril 1794, après l’élimination d’Hébert et des Enragés, et alors que les sans-culottes ont perdu confiance en Robespierre, que Saint-Just considère que la Révolution est « glacée153 ». L’abbé Grégoire154 estime quant à lui que le peuple est bon, mais dénaturé, il faut que l’instruction et l’éducation aient pour but non seulement l’instruction et l’éducation, mais aussi la régénération. La patrie doit aller chercher l’enfant sur le sein de sa mère pour éduquer et régénérer la génération à venir :
Le peuple français a dépassé les autres peuples ; cependant le régime détestable dont nous secouons les lambeaux nous tient encore à grande distance de la nature ; il reste un intervalle énorme entre ce que nous sommes et ce que nous pourrions être. Hâtons-nous de combler cet intervalle ; reconstituons la nature humaine en lui donnant une nouvelle trempe. Il faut que l’éducation publique s’empare de la génération qui naît, qu’elle aille trouver l’enfant sur le sein de sa mère, dans les bras de son père, pour partager leur tendresse et l’éclairer155.
38Pour Grégoire, l’éducation s’inscrit donc dans un vaste plan qui comprend la création d’un être conforme à la « nature » pour qu’il devienne vraiment libre et soit en mesure de conforter l’ordre social naturel plutôt que de le combattre. Dans cette entreprise, la patrie devient la deuxième mère qui se substitue à la première en ce qui concerne l’éducation. Une fois cette première éducation terminée, les jeunes gens doivent rendre à la mère patrie ce qu’elle leur a donné. C’est ce qu’explique Barère156 dans son rapport157 du 13 prairial an II (1er juin 1794), fait à la Convention nationale, au nom du Comité de salut public, sur l’éducation révolutionnaire, républicaine et militaire, et qui fonde l’École de Mars. Il se réfère à Rousseau. C’est lorsque les jeunes hommes ont 16 ou 17 ans qu’ils sont
dans les meilleures dispositions pour recevoir l’éducation républicaine ; l’ouvrage de la nature est achevé. C’est alors que la Patrie demande à chaque citoyen : Que feras-tu pour moi ; et quels moyens prendras-tu pour défendre mon unité et mes lois, mon territoire et mon indépendance ! La Convention répond aujourd’hui à la Patrie : une École de Mars va s’ouvrir158.
39Cette école doit former pour l’armée française des officiers prêts à se sacrifier par amour pour la mère patrie. Barère cite Rousseau en ce qui concerne le rôle de la nation qui doit faire aimer les lois et la patrie : « Arrachant de son sein les passions qui éludent les lois, elle y nourrira celles qui les font aimer. Enfin, se renouvelant, pour ainsi dire, elle-même, elle reprendra dans ce nouvel âge toute la vigueur d’une nation naissante159. » Par conséquent :
L’amour de la patrie, ce sentiment pur et généreux, qui ne connaît pas de sacrifices qu’il ne puisse faire, et qui ne relève que du cœur et de l’opinion publique ; l’amour de la patrie […] deviendra la passion dominante des élèves de l’École de Mars ; car c’est la patrie qui les aura formés. C’est surtout la haine impérissable des rois […] la haine de la tyrannie et l’exécration des tyrans, que tous les ornements militaires de cette École rappelleront sans cesse à tous les yeux. […] Il faut que l’esprit des familles particulières disparaisse, quand la grande famille vous appelle. La République laisse aux parents la direction de vos premières années ; mais aussitôt que votre intelligence se forme, elle fait hautement valoir les droits qu’elle a sur vous. […] Elle remet en vous ses espérances et sa gloire160.
La régénération du peuple par le respect des lois de la nature
40Quelques semaines plus tard, Boissy d’Anglas161 publie un Essai sur les fêtes nationales162 et souligne le rôle important des émotions et de l’imaginaire en ce qui concerne l’éducation du peuple, qui a pour but de le régénérer. Comme Grégoire, il constate l’écart immense qui existe entre le peuple existant et ce qu’il pourrait – et devrait – être, si seulement il écoutait la voix de la nature. Il estime que celle-ci a donné à l’homme
ce qui pouvait assurer son bonheur et son élévation. Elle semble […] ne l’avoir placé au milieu de l’univers, que pour l’offrir à son admiration, comme le chef-d’œuvre dont elle devait se glorifier le plus ; et lui, peu sensible à tant de bienfaits, paraît au contraire ne s’être attaché, dans tout ce qu’il a ajouté lui-même à une création si sublime, qu’à l’anéantir, ou qu’à la dégrader163.
41Boissy affirme que la loi de la nature est celle de la justice, mais l’homme est injuste ; son guide est la raison, mais il est extravagant ; malgré son instinct de discernement, il préfère ce qui est mal ; au lieu d’aimer ses semblables, il est insensible ou cruel. La nature a des principes de morale simples qu’il foule aux pieds. Boissy regrette de constater que trop souvent l’homme « se souille de tous les vices » alors qu’il devrait tendre vers la vertu. Cependant, la nature lui a aussi donné le désir de la perfection et du bonheur, ce qui a mené à
des révolutions bienfaisantes qui, en détruisant toutes les institutions vicieuses créées par l’ignorance, par les préjugés et par l’abus des passions humaines, permettent de leur en substituer d’autres inspirées par la seule raison et conformes en tout aux vues simples de la nature. […] Il en doit résulter la possibilité de rétablir l’homme dans la pureté primitive de son être, et de lui restituer les avantages naturels, qu’il s’est attaché à détruire. Ce moment est celui où nous sommes164.
42Il s’agit de régénérer complètement et durablement l’espèce humaine. Il faut restituer l’espèce humaine « à l’influence et aux lois de la nature plus sage qu’elle165 ». Les peuples « appartiennent aux institutions dont l’influence a sa source dans les affections les plus douces et les plus puissantes et dans l’ascendant de cette autre nature, l’habitude166 ». Boissy souligne donc l’importance des institutions pour la survie des peuples. Le moyen de régénération le plus important consiste dans les fêtes nationales et les jeux publics. Il affirme que pour Rousseau, « qu’on ne peut citer trop souvent », les peuples sont comme les femmes, « disposés à ne céder qu’à ceux qui les émeuvent, et qui leur plaisent. C’est par l’émotion et par le plaisir qu’on peut les diriger le plus efficacement167 ». Pour ce faire, il faut éclairer l’opinion. Il faut instruire l’être humain et diriger ses passions vers le bien, et le ramener vers sa « simplicité primitive ». Pour cela, « il faut parler à son âme et à son cœur non moins qu’à son esprit et qu’à sa raison168 ». Ce sont donc « les institutions publiques [qui] doivent former la véritable éducation des peuples ». Elles ne seront profitables
qu’autant qu’elles ne seront elles-mêmes que des fêtes et des cérémonies. […] Les fêtes et les jeux publics doivent être dirigés vers un but utile : ils doivent accoutumer de bonne heure les hommes, par la jouissance des plaisirs communs, à faire participer les autres à leur félicité, […] dans le sentiment général, l’amour de la patrie, qui n’est autre chose que l’attachement que chacun a pour tous, et la reconnaissance qu’il éprouve de celui que tous ont pour lui169.
43Pour Boissy d’Anglas, le peuple français se situe à un moment crucial de son histoire, celui de sa régénération. Il fait appel d’abord aux sentiments et aux émotions (contrairement à Condorcet, comme nous l’avons vu). Il se réfère ainsi à la nature et à Rousseau, et célèbre Robespierre, qu’il compare à Orphée « enseignant aux hommes les premiers principes de la civilisation et de la morale170 ».
Robespierre, porte-parole de la patrie
44Robespierre avait écrit le 18 floréal an II (7 mai 1794) un rapport sur les idées religieuses et leur connexion avec les principes républicains171. Pour lui, « l’idée de l’Être suprême et de l’immortalité de l’âme est un rappel continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine172 ». Le culte de l’Être suprême doit surplomber toutes les autres religions, et « sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre elles-mêmes dans la Religion universelle de la Nature173 ». La liberté des cultes doit être préservée pour autant qu’elle ne trouble pas l’ordre public. Le dieu de la nature est différent du dieu des prêtres, en effet, « le véritable prêtre de l’Être Suprême, c’est la Nature ; son temple l’Univers ; son culte, la Vertu174 ». Le décret reconnaissant l’Être suprême et l’immortalité de l’âme est publié à la suite de ce rapport. Le 16 prairial (4 juin), Robespierre est élu président à la Convention, et le 20 prairial (8 juin), à la veille des décrets instituant la grande Terreur, a lieu la fête de l’Être suprême. L’iconographie nous montre une montagne érigée sur le Champ-de-Mars, et sur laquelle, sous un arbre de la Liberté, se tient Hercule, représentant le peuple français. Il tient dans sa main un globe sur lequel sont posées de petites figurines représentant la Liberté et l’Égalité. La version du médailliste Augustin Dupré montre Hercule se tenant devant Hathor qui le regarde de manière admirative. Il tient là aussi un globe sur lequel se dressent les allégories de la Liberté et de l’Égalité. Pendant la fête de l’Être suprême, un char transporte une déesse, portant un bonnet phrygien, et derrière elle se trouvent tous les attributs de l’agriculture175. Une autre image montre la prêtresse de l’Être suprême, la Nature. C’est une femme dont la coiffure représente une ruche, à ses pieds, une corne d’abondance déverse ses bienfaits et, à ses côtés, une allégorie tient, dans sa main droite, un drapeau tricolore et un bonnet phrygien, tout en posant sa main gauche sur les Tables de la Loi et le niveau maçonnique. Dans le ciel, un œil dans un triangle darde ses rayons sur la scène176. Robespierre met le feu à un bûcher qui représente l’athéisme – rappelons que le mouvement de déchristianisation avait érigé des bûchers sur lesquels avaient été placés des objets provenant des églises catholiques. Pour Robespierre, l’Être suprême est le dieu de la Liberté et le père de la Nature, dont la sœur serait la Raison. Il s’exclame ainsi : « Homme rentre au sein de ta mère, de la nature entends la voix, que la saine raison t’éclaire, qu’elle dirige tes exploits. […] La nature dit chaque jour : offre ta vie, à la patrie, et donne ton cœur à l’amour177. » Celui qui fait le sacrifice suprême « meurt, et son dernier soupir est pour sa mère et sa patrie178 ». Robespierre s’adresse ainsi à l’Être suprême : « Les défenseurs de la Liberté peuvent s’abandonner avec confiance dans ton sein paternel179. » Si tous les Français adoptent ce culte et se conforment aux vertus, « alors nous serons tous heureux, nous ne ferons qu’une famille, nous en écarterons tous ceux qui troublent le bonheur de la vie180 ». Robespierre se désigne comme le porte-parole de la patrie : « France, ô ma chère Patrie ; permets qu’un de tes enfants, de la Liberté chérie fasse entendre les accents ; et que la Vérité pure, en s’exprimant par ma voix, fasse chérir la Nature, et détester tous les rois181. » Robespierre est donc le premier fils de la patrie, son porte-parole, et le porte-parole de la Vérité et de la Liberté. Dans son rapport du 18 floréal (7 mai 1794), Robespierre avait rappelé la nécessité de célébrer les jeunes héros morts pour la patrie, tels que Bara182 et Viala183. David prévoit d’organiser une fête en leur honneur, qui exalte une France qui connaît (ou doit connaître) le bonheur et la félicité sous le règne de la Nature et dans le culte de la Patrie, deux mères communes à tous les Français. Dans son rapport du 23 messidor (11 juillet)184, que la Convention nationale décide d’insérer au Bulletin de la Convention nationale imprimé, et d’envoyer « aux écoles primaires, aux autorités constituées, aux armées, aux sociétés populaires, et [de distribuer] au nombre de six exemplaires à chaque membre de la Convention », David affirme que
la démocratie ne prend conseil que de la nature, à laquelle sans cesse elle ramène les hommes. […] Sous son règne, toutes les pensées, toutes les actions se rapportent à la Patrie ; mourir pour elle, c’est acquérir l’immortalité […]. Sous un ciel aussi pur, sous un gouvernement aussi beau, la mère alors, la mère enfante sans douleurs et sans regrets ; elle bénit sa fécondité, et fait consister sa véritable richesse dans le nombre de ses enfants. Le commerce fleurit à l’ombre de la bonne foi, la sainte égalité plane sur la terre et d’une immense population fait une nombreuse famille. O vérité consolante ! tel est le Français d’aujourd’hui. […] O toi, dont la main puissante étend le ciel comme un voile ; toi qui règles le cours des révolutions, ainsi que celui des saisons, fais disparaître de la face du globe, ou plutôt régénère la terre impie qui donnerait asile au despotisme et s’armerait pour sa querelle […]. N’épargne, Dieu vengeur, n’épargne que ces femmes, ces enfants, ces vieillards égarés ! n’épargne que l’humble toit du pauvre ; et que le monde entier répète avec nous : Paix aux chaumières ! mort aux tyrans185 !
45Lors de la fête, l’on criera que Bara et Viala sont désormais immortels. À la vision idyllique et utopique du règne de la Mère Nature sur terre sont donc maintenant associées les menaces d’extermination envers les déviants, qu’un dieu vengeur (l’Être suprême) doit mettre en œuvre. De fait, dans ses derniers discours, et en particulier dans son discours inaugural sur l’Être suprême, il s’agit pour Robespierre, selon Pierre Legendre,
de faire dire aux dieux, à Dieu, ce qui tient la place de l’Autre fabuleux, comment l’humanité doit être divisée, en quel sens. Inaugural, ce terme qui nous vient de la science des augures – la branche la plus antique du droit romain – implique la reconnaissance d’un lieu de la certitude, la zone divine où ça sait. L’inaugural fonctionne en permanence à travers les formulations théâtrales de la mythologie186.
46Dans ses discours, Robespierre semble assumer la fonction de l’augure, du porte-parole tout-puissant et infaillible des messages divins, et transformer sa parole en parole mythique, réverbérant la toute-puissance maternelle archaïque. En faisant un avec la référence mythique et en abolissant l’écart qui le sépare en tant qu’homme singulier des entités maternelles de la Patrie, de la Liberté et de la Vérité, Robespierre paraît avoir transformé en tyrannie « l’univers politique de la représentation187 » et effacé la place de l’interprète, en tant qu’il est celui qui maintient l’écart avec la représentation et la référence. C’est alors qu’un nouveau maximum défavorable aux pauvres est décrété le 5 thermidor (23 juillet) et que, le 8 thermidor (26 juillet), Robespierre prononce à la Convention un discours comminatoire contre les « traîtres », les « factions », les « fripons », etc. Tous ceux qui se sentent menacés, et qui refusent la position d’exception que vient de s’attribuer Robespierre, s’allient à tous les mécontents, ce qui conduit à la journée du 9 thermidor, c’est-à-dire à l’arrestation et à l’exécution de Robespierre et des derniers de ses fidèles, Saint-Just, son frère Augustin, Couthon et Lebas.
Notes de bas de page
1 Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution…, op. cit., p. 97.
2 Ibid., p. 98.
3 Ibid., p. 101.
4 Ibid., p. 95.
5 Ibid., p. 66.
6 Ibid., p. 95.
7 Marquis de Condorcet, E.-J. Sieyès, J.-M. Duhamel, Journal d’instruction sociale par les citoyens Condorcet, Sieyes et Duhamel, 1793, Paris, EDHIS, 1981.
8 Ibid., p. 132-133.
9 Ibid., p. 2.
10 Ibid., p. 72-73.
11 Ibid., p. 9-10.
12 Ibid., p. 109.
13 Ibid., p. 80.
14 F. Furet, M. Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Acteurs, Paris, Flammarion, 1992, p. 85.
15 Ibid., p. 369.
16 M. Robespierre, Œuvres de Maximilien Robespierre, t. IX, Paris, Presses universitaires de France, 1958, p. 466.
17 Ibid., p. 497.
18 Ibid., p. 498.
19 Cf. Gauthier, Triomphe et mort du droit naturel en Révolution…, op. cit., p. 74-76.
20 Ibid., p. 141.
21 A.-L. de Saint-Just, « Discours sur la constitution à donner à la France, séance du 24 avril 1793 », dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 2004, p. 1042.
22 A.-L. de Saint-Just, Fragments d’institutions républicaines, Paris, Fayolle, 1800.
23 Ibid., p. 1079.
24 Ibid., p. 536.
25 Ibid., p. 1098.
26 Saint-Just, « Rapport sur les factions de l’étranger, présenté à la Convention nationale le 23 ventôse an II [13 mars 1794] », dans Œuvres complètes, op. cit., p. 687-688.
27 Furet, Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Acteurs, op. cit., p. 291-292.
28 André, La Révolution fratricide…, op. cit., p. 162 ; cité dans A. Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 166.
29 Saint-Just, Œuvres complètes, op. cit., p. 1074.
30 Ibid., p. 654.
31 Saint-Just, « Rapport sur la nécessité de détenir les personnes reconnues ennemies de la révolution, séance du 6 ventôse an II de la République [26 février 1794] », dans Œuvres complètes, op. cit., p. 659.
32 D’après J. Maitron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français : première partie, 1789-1864, de la Révolution française à la fondation de la Première Internationale, t. I, Paris, Éditions ouvrières, 1964 (https://maitron.fr/, consulté le 6 octobre 2022) ; Furet, Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Acteurs, op. cit., p. 332.
33 J.-F. Varlet, Déclaration solennelle des droits de l’homme dans l’état social, Paris, Didot, 1793 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k6699x.texteImage, consulté le 6 octobre 2022).
34 Ibid., p. 4.
35 Ibid., p. 9.
36 A. Bougeart, Marat, l’ami du peuple, t. I, Paris, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1865, p. 393.
37 Ibid., p. 68.
38 J.-P. Marat, Œuvres de JP Marat : (l’ami du peuple), Paris, Décembre-Alonnier, 1869, p. 33.
39 Pierre Gaspard, dit Anaxagoras Chaumette (1763-1794) : un des meneurs des Cordeliers. Il contribue à l’organisation de la journée du 10 août 1792, devient membre de la Commune révolutionnaire. Il joue le rôle de porte-parole des sans-culottes parisiens. Robespierre, estimant qu’il est le jouet de l’étranger, le fait arrêter pour trahison.
40 J. Guilhaumou, La Mort de Marat : 1793, Bruxelles, Éditions Complexe, 1989, p. 66.
41 Ibid., p. 40.
42 Hérault de Séchelles (1759-1794) est avocat, élu par la Seine-et-Oise à la Législative et à la Convention. Plusieurs fois président de la Convention, il est aussi membre du Comité d’instruction publique et du Comité de salut public en 1793. Accusé par Robespierre de trahison avec l’ennemi, il est guillotiné en mai 1794.
43 Hérault de Séchelles, Constitution du peuple français, à l’usage des enfants, Paris, Belin, 1793, p. 112 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k49038n.pdf, consulté le 6 octobre 2022).
44 P.-C.-F. Daunou, Convention nationale. Essai sur l’instruction publique, Paris, Imprimerie nationale, 1793.
45 Ibid., p. 4.
46 Ibid., p. 5.
47 Ibid.
48 R. Michel, M.-C. Sahut, David, l’art et le politique, Paris, Gallimard, 1988, p. 56.
49 Ibid., p. 158.
50 Ibid., p. 160.
51 Ibid., p. 81.
52 A. Boime, « Les thèmes du Serment : David et la franc-maçonnerie », dans R. Michel (dir.), David contre David, t. I, Paris, La Documentation française, 1993, p. 262.
53 Ibid., p. 269.
54 Ibid., p. 277-278.
55 Convention nationale, Procès-verbal de la fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République Française, le 10 août 1793, p. 2.
56 J.-L. David, Rapport et décret sur la fête de la Réunion républicaine du 10 août, présentés au nom du Comité d’Instruction publique, par David, député du département de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1793 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b10538230q.image, consulté le 7 octobre 2022).
57 Ibid., p. 6.
58 David, Pithou, « Description générale de la première fête républicaine de la réunion. Suivie du vœu rempli, et ce de qu’il reste à faire », dans Fêtes et cérémonies révolutionnaires, op. cit.
59 Ibid., p. 16.
60 Ibid.
61 Ibid., p. 17, 21.
62 Ibid.
63 Ibid., p. 27.
64 Ibid.
65 Convention nationale, Procès-verbal des monuments, de la marche, et des discours de la fête consacrée à l’inauguration de la Constitution de la République Française, le 10 août 1793, p. 1.
66 Ibid., p. 3.
67 Ibid.
68 Ibid., p. 4.
69 Ibid., p. 6.
70 Ibid., p. 6-7.
71 Ibid., p. 8.
72 Ibid., p. 9.
73 Ibid., p. 12.
74 Ibid., p. 13.
75 Ibid., p. 17.
76 David, Rapport et décret sur la fête de la Réunion républicaine du 10 août…, op. cit., p. 7.
77 Convention nationale, Procès-verbal des monuments, de la marche, et des discours de la fête…, op. cit., p. 18.
78 Ibid., p. 23.
79 Ibid., p. 24.
80 S. Freud, « Psychologie collective et analyse du moi » (trad. de l’allemand par le Dr. S. Jankélévitch en 1921, revue par l’auteur), dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 83-176.
81 Wirth, Narzissmus und Macht…, op. cit., p. 71.
82 T.W. Adorno, Kulturkritik und Gesellschaft II: Eingriffe, Stichworte, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1997, p. 563.
83 J. Laplanche, J.-B. Pontalis, D. Lagache (dir.), Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 255-256.
84 D. Lagache, « La psychanalyse et la structure de la personnalité », dans La Psychanalyse, Paris, Presses universitaires de France, 1958, p. 43.
85 Ibid., p. 60.
86 D. Anzieu, L’Épiderme nomade et la peau psychique, Paris, Apsygée, 1990, p. 101.
87 D. Anzieu, Le Groupe et l’Inconscient : l’imaginaire groupal, Paris, Dunod, 1999, p. 96.
88 Ibid., p. 75.
89 Ibid., p. 96.
90 Ibid., p. 186.
91 Rappelons qu’après cette fête de l’unité du 10 août 1793, et dès la mi-septembre 1793, l’expression « terreur à l’ordre du jour » circule dans tout le pays. David devient, le 14 septembre 1793, membre du Comité de sûreté générale et président de la section des interrogatoires. À ce titre, il signe, avec ses collègues, les mandats d’arrêt qui envoient les suspects au Tribunal révolutionnaire, c’est-à-dire le plus souvent à l’échafaud.
92 Anzieu, Le Groupe et l’Inconscient…, op. cit., p. 96.
93 J. Chasseguet-Smirgel, La Maladie d’idéalité : essai psychanalytique sur l’idéal du moi, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 78.
94 Iveković, Le Sexe de la nation, op. cit., p. 56.
95 Ibid., p. 73.
96 Ibid., p. 90.
97 Ibid., p. 97.
98 D’après R. Chemama (dir.), Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1995, p. 292.
99 Laplanche, Pontalis, Lagache (dir.), Vocabulaire de la psychanalyse, op. cit., p. 89-90.
100 Voir Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.
101 Furet, Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Événements, Paris, Flammarion, 1992, p. 90-96.
102 Ibid., p. 95.
103 Ibid.
104 « Convention nationale. Séance du 17 brumaire, l’an II de la République française une et indivisible. (Jeudi 7 novembre 1793) », dans L. Lataste, L. Claveau, C. Pionnier, G. Barbier (dir.), Archives parlementaires de 1787 à 1860 : première série (1787 à 1799) : tome LXXVIII du 8 brumaire an II au 20 brumaire an II (29 octobre 1793 au 10 novembre 1793), Paris, Librairie administrative Paul Dupont, 1911, p. 550.
105 Convention nationale, Comité d’instruction publique, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, t. II, Paris, Imprimerie nationale, 1891-1958, p. 806.
106 Convention nationale, Archives parlementaires, 20 brumaire an II (10 novembre 1793), t. LXXVIII, p. 723.
107 Alexandre Lenoir (1762-1839) : le jeune artiste fut chargé dès 1790 de la conservation des monuments. Disciple de Dupuis, il en a parfaitement assimilé les théories et les méthodes dont il a étendu le champ d’application à l’iconographie médiévale (cf. Baltrušaitis, Les Perspectives dépravées, t. III, op. cit., p. 46).
108 Ibid.
109 Ibid., p. 47.
110 Ibid., p. 66.
111 Ibid.
112 Ibid., p. 54.
113 Récit de la fête célébrée pour l’inauguration du temple de la Raison, dans la ci-devant cathédrale de Chartres, le 9 frimaire, l’an ii de la République, une et indivisible, Chartres, Durand, 1793 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k486560.image, consulté le 10 octobre 2022).
114 Ibid., p. 7, 9, 13-14.
115 J.-P. Thiébault, Inauguration d’un temple à la raison en la ci-devant église de St-Laurent à Paris, Paris, Limodin, 1794, p. 12-13.
116 Ibid., p. 14.
117 Furet, Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française. Acteurs, op. cit., p. 382.
118 Ibid.
119 Ibid., p. 383.
120 M. Robespierre, « Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, fait au nom du comité de salut public, le 17 pluviose, l’an II de la République », dans M. Robespierre, Œuvres de Maximilien Robespierre, t. X, Paris, Phénix, 2000, p. 357.
121 Saint-Just, Œuvres complètes, op. cit., p. 654.
122 Gazette nationale ou le Moniteur universel, 6 frimaire an II (26 novembre 1793) (https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/26-novembre-1793/149/1329863/1, consulté le 14 décembre 2022). Extrait d’un discours prononcé au Club des Jacobins le 1er frimaire an II (21 novembre 1793).
123 Ibid.
124 Saint-Just, « Rapport sur la nécessité de détenir les personnes reconnues ennemies de la révolution… », dans Œuvres complètes, op. cit., p. 659.
125 Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) est peut-être le plus grand chimiste du xviiie siècle. Enthousiasmé au début de la Révolution, il demande l’abolition des corvées, la création de caisses d’assurance pour les pauvres et les gens âgés. Il a néanmoins été fermier général, faisant ainsi partie de la catégorie sociale la plus haïe de l’Ancien Régime (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.).
126 Y. Knibiehler, C. Marand, Histoire des mères : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Hachette, 1982, p. 161.
127 Y. Ripa, Les Femmes, actrices de l’histoire : France, 1789-1945, Paris, Armand Colin, 2002, p. 11.
128 É. Viennot, La France, les femmes et le pouvoir, t. III, Et la modernité fut masculine, 1789-1804, Paris, Perrin, 2016.
129 Corbin, Courtine, Vigarello (dir.), Histoire des émotions, t. II, op. cit., p. 106.
130 Knibiehler, Marand, Histoire des mères…, op. cit., p. 160.
131 Gazette nationale ou le Moniteur universel, 29 brumaire an II (19 novembre 1793) (https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/19-novembre-1793/149/1994897/1, consulté le 14 décembre 2022).
132 A. Soboul, Les Sans-culottes parisiens en l’an II : mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire, Paris, Clavreuil, 1962, p. 507.
133 M. Ozouf, L’Homme régénéré : essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989, p. 162.
134 Chartier, « Opinion publique et propagande en France », dans Vovelle (dir.), L’Image de la Révolution française…, op. cit., p. 2351.
135 Ripa, Les Femmes, actrices de l’histoire…, op. cit., p. 28.
136 H. Dupuy, « Représentation de l’identité nationale à travers l’idée de Patrie sous la Révolution française », dans Vovelle (dir.), L’Image de la Révolution française…, op. cit., p. 1399.
137 Ibid.
138 Ibid., p. 1404.
139 F. Douay, A. Steuckardt, « Le corps des maîtres mots : l’allégorie comme personnification pendant la Révolution française », dans J. Gardes-Tamine (dir.), L’Allégorie corps et âme : entre personnification et double sens, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2002, p. 109.
140 Ibid.
141 B. Bernardi, « Introduction », dans J.-J. Rousseau, Du contrat social, Paris, Flammarion, 2001, p. 33-34.
142 Ibid., p. 26, 30.
143 Rousseau, Du contrat social, op. cit., p. 79.
144 Ibid., p. 179.
145 Ibid.
146 J.-J. Rousseau, « Fragments politiques », dans Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, 1964 (Bibliothèque de la Pléiade), p. 536. Cité dans J.-J. Rousseau, Discours sur l’économie politique ; Projet de constitution pour la Corse ; Considérations sur le gouvernement de Pologne, Paris, Flammarion, 1990, p. 268.
147 Ibid., p. 177-178.
148 Ibid., p. 173.
149 Gazette nationale ou le Moniteur universel, 25 brumaire an II (15 novembre 1793) (https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/15-novembre-1793/149/1417571/1, consulté le 14 décembre 2022).
150 Réimpression de l’ancien Moniteur : depuis la réunion des États-Généraux jusqu’au Consulat (mai 1789-novembre 1799), t. XVIII, Paris, Bureau central, 1841, p. 654.
151 Réimpression de l’ancien Moniteur : depuis la réunion des États-Généraux jusqu’au Consulat (mai 1789-novembre 1799), t. XVII, Paris, Bureau central, 1841, p. 393.
152 Le 27 brumaire an III (17 novembre 1794), l’éducation reste gratuite, mais n’est plus obligatoire. Le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), la gratuité est supprimée et les parents doivent payer les instituteurs.
153 Saint-Just, Œuvres complètes, op. cit., p. 1141 ; T. Charmasson, A.-M. Lelorrain, M. Sonnet, Chronologie de l’histoire de France, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 479.
154 Henri Jean-Baptiste Grégoire (1750-1831) : simple curé quand il est élu aux États généraux, il organise le ralliement du bas clergé au tiers état. Il se lie dès mai 1789 à Barnave, Pétion et Robespierre. Président de la Société des amis des Noirs en 1790, il participe à l’élaboration de la Constitution civile du clergé et prête serment le 27 décembre 1790. Il s’oppose au Concordat ainsi qu’à l’Empire, mais devient membre du Sénat et accepte le titre de comte de Napoléon (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.).
155 Convention nationale, Comité d’instruction publique, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, 1er frimaire an II (21 novembre 1793)-30 ventôse an II (20 mars 1794), t. III, Paris, Imprimerie nationale, 1897, p. 365.
156 Bertrand Barère (1755-1841) : avocat, classé comme Montagnard, il préside la Convention pendant le procès du roi. Il se rallie aux ennemis de Robespierre quand il les voit assurés de la victoire, mais est cependant inculpé et incarcéré. Il réussit à s’évader et adhère au coup d’État du 18 brumaire. En 1815, il est frappé de bannissement pour régicide et se réfugie en Belgique (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.).
157 Convention nationale, Comité de salut public, Rapport fait à la Convention nationale, au nom du Comité de salut public, dans la séance du 13 prairial, sur l’éducation révolutionnaire, républicaine & militaire ; et Décret sur la formation de l’École de Mars, Paris, Imprimerie Nationale, 1794.
158 Ibid., p. 3.
159 Rousseau, Discours sur l’économie politique, op. cit., p. 181-182.
160 Convention nationale, Comité du salut public, Rapport fait à la Convention nationale, au nom du Comité de salut public, dans la séance du 13 prairial…, op. cit, p. 5, 23-24.
161 François-Antoine Boissy d’Anglas (1756-1826) : avocat d’origine protestante, élu aux États généraux par le tiers état de la sénéchaussée d’Annonay. Il proteste après l’arrestation des Girondins, tout en flattant Robespierre. Après la chute de ce dernier, il ne cache plus ses opinions hostiles à la Terreur. Il assume des responsabilités politiques importantes, entre au Sénat en 1804, est fait comte d’Empire en 1808 et pair de France par Louis XVIII (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.).
162 F.-A. Boissy d’Anglas, Essai sur les fêtes nationales ; (suivi de) Quelques idées sur les arts, et sur la nécessité de les encourager, adressé à la Convention nationale par Boissy d’Anglas, représentant du Peuple, député par le département de l’Ardèche, Paris, Imprimerie Polyglotte, an II (1794) (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k417735/f5.item, consulté le 12 octobre 2022).
163 Ibid., p. 2.
164 Ibid., p. 4.
165 Ibid., p. 6.
166 Ibid., p. 8.
167 Ibid., p. 13.
168 Ibid., p. 7.
169 Ibid., p. 13-14.
170 Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit., p. 587.
171 M. Robespierre, Œuvres de Robespierre, Paris, A. Faure, 1867 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bd6t5368277x/f326.item, consulté le 12 octobre 2022).
172 Ibid., p. 320.
173 Ibid., p. 327.
174 Ibid., p. 328.
175 M. Gutwirth, The Twilight of the Goddesses: Women and Representation in the French Revolutionary Era, New Brunswick, Rutgers University Press, 1992, p. 280.
176 Ibid., p. 281.
177 M. Robespierre, Discours de Maximilien Robespierre, président de la Convention nationale, au peuple réuni pour la fête de l’Être suprême, Paris, Imprimerie de Chaudrillié, 1794, p. 72.
178 Ibid., p. 81.
179 Ibid., p. 9.
180 Ibid., p. 18.
181 Ibid., p. 21.
182 François Joseph Bara (1779-1793) : la légende dit que le jeune tambour, pris par les Vendéens et sommé de crier « vive le roi ! », serait mort en criant « vive la République ! » (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit., p. 559).
183 Joseph Agricol Viala (1780-1793) : en juillet 1793, les royalistes insurgés étaient maîtres de la rive gauche de la Durance, et progressaient dans leur marche sur Avignon. Des patriotes décident de couper les câbles qui tenaient les ponts pour les en empêcher, Viala se propose de le faire et est tué par les royalistes (cf. Tulard, Fayard, Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française…, op. cit.).
184 J.-L. David, Rapport sur la fête héroïque pour les honneurs du Panthéon à décerner aux jeunes Bara et Viala par David, Paris, Imprimerie nationale, 1794. Cité dans Convention nationale, Comité d’instruction publique, Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, t. IV, Paris, Imprimerie nationale, 1891-1958, p. 779 et suivantes. La fête prévue pour le 10 thermidor ne put avoir lieu puisque, le 9 thermidor, Robespierre et ses amis furent arrêtés.
185 Ibid.
186 Legendre, Le Désir politique de Dieu…, op. cit., p. 160.
187 Ibid., p. 310.
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