Préface
p. 7-9
Texte intégral
1C’est avec plaisir et conviction que je rédige cette courte préface au beau livre de Brigitte Demeure, La Figure maternelle dans la vie politique française : 1789-1914. Atypique dans le paysage universitaire français, le parcours de cette historienne mérite d’abord d’être évoqué. Germaniste de formation, et donc bonne connaisseuse de la philosophie allemande, elle a longtemps utilisé ses compétences linguistiques en anglais et en allemand comme responsable export. Parallèlement, elle s’est toujours engagée comme citoyenne pour un monde plus équitable et a comblé par des lectures une vaste curiosité intellectuelle. Au début des années 2000, ayant repris contact avec l’université d’Avignon comme chargée de cours au département d’études germaniques, elle m’a exposé son projet de s’engager dans une thèse d’histoire. Le projet s’est précisé au fil d’un compagnonnage, toujours actuel, avec l’Association internationale de psychohistoire et a conduit la future directrice de thèse, certes spécialiste d’histoire des femmes et du genre et ouverte aux historiographies étrangères comme aux approches nouvelles, sur des chemins qui lui étaient peu familiers.
2C’est aussi, pour les futurs lecteurs et lectrices, tout l’intérêt de cet ouvrage qui condense la substantifique moelle d’un tapuscrit plus dense. Derrière des historiens français comme Robert Descimon, Roger Chartier, Jacques Guilhaumou, Antoine de Baecque et d’autres, et derrière l’Étasunienne Lynn Hunt dont la traduction en 1995 de l’ouvrage pionner The Family Romance of the French Revolution avait bousculé les spécialistes de la Révolution française, Brigitte Demeure s’inscrit dans ce qui est appelé « la nouvelle histoire culturelle ». Elle use d’outils empruntés à d’autres disciplines – y compris à la psychanalyse qu’elle considère comme « le cadre fantôme » de son travail – pour analyser la place de la figure maternelle dans la vie politique française pendant la Révolution et au xixe siècle et questionner l’écart entre son omniprésence et l’absence ou le rejet des femmes réelles de l’espace politique.
3À cet effet, Brigitte Demeure s’intéresse aux allégories et métaphores maternelles présentes dans les discours publics, et à la littérature d’idées qui les informe. Elle soumet ces discours, largement cités pour laisser parler les locuteurs, à une analyse discursive, car le langage est « l’instrument des hommes pour donner sens à leur expérience » et se demande ce que la personnification d’une représentation politique par une femme maternelle dit du lien social et de l’organisation de la société dans laquelle ils sont énoncés. Appréciant de longue date les ouvrages fondateurs de Maurice Agulhon qui, dans Marianne au combat et Marianne au pouvoir, a exposé l’évolution et la diffusion de l’image-idée de République, elle tente d’aller là où le grand historien de la symbolique et des institutions républicaines se refusait d’entrer « dans la forêt des méditations socio-psychanalytiques ». Dix chapitres relisent ainsi, à l’aune de ce questionnement original, l’histoire politique de la France, de l’abolition de l’Ancien Régime au triomphe du régime républicain, longtemps fragile et menacé. L’approche sur une période de plus d’un siècle n’est pas linéaire et continue, mais centrée sur des moments clés, mettant au jour des configurations successives ou conflictuelles entre familles politiques opposées. Les sources mobilisées sont multiples, presque toutes disponibles sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, dont le travail de numérisation a transformé les conditions de la recherche.
4L’ouvrage de Brigitte Demeure invite au voyage et à la redécouverte de nombreux personnages historiques à travers leurs discours publics, où la figure maternelle, à la différence de celle du père, quasi absente, est étonnamment omniprésente. Elle leur permet de représenter, avec des connotations différentes selon les contextes et les familles politiques, les grandes entités que sont la Patrie, la Nature, la Liberté, la Nation, la République, l’Église. De mobiliser aussi, pour ou contre, les fils que les femmes réelles n’ont d’autre destin que d’éduquer à cet effet. Au risque, évoqué en conclusion, de conduire au fanatisme.
Françoise Thébaud,
professeure émérite d’histoire contemporaine
Avignon Université
Auteur
Professeure émérite d’histoire contemporaine
Avignon Université
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