Introduction – Partie IV
p. 283-285
Texte intégral
1Si les musées sont, depuis quelques décennies, « condamnés à séduire1 », la montée en puissance de la communication n’épargne pas la sphère académique. Les sciences historiques se doivent désormais de diffuser autrement et le plus largement possible leurs découvertes, pour justifier les investissements économiques consentis par les pouvoirs publics, mais aussi pour transmettre un patrimoine sur lequel les médias braquent de temps à autre les projecteurs. De nombreuses propositions d’exposition des savoirs historiques s’inscrivent dans un processus de vulgarisation de l’histoire, qui permet de relier les espaces de création de ces savoirs (académiques, donc) aux publics amateurs, selon la logique du continuum2. L’explosion des canaux de diffusion et des outils de mise en partage des connaissances (bases de données patrimoniales, festivals tels Les Rendez-vous de l’histoire, chaînes YouTube et autres réseaux sociaux…) se voit par ailleurs corrélée à la généralisation, dans le secteur académique, de la logique économique et managériale du projet, dont l’une des conséquences est de remodeler les activités de production de la science en condensant les temporalités et en multipliant les situations communicationnelles3. Nombreux sont désormais les scientifiques à considérer cette mise en communication comme un passage obligé et adoptent, de fait, cette posture à tout le moins ambiguë de « troisième homme ». Les dialogues réunis dans cette section donnent ainsi la parole à quatre chercheurs et chercheuses s’interrogeant sur leur engagement dans ce processus et les formes médiatiques que prennent ces discours.
2Laurent Macé, historien médiéviste, revient à travers son expérience, sur la distinction délicate entre les deux notions de médiation et de vulgarisation. L’enseignant-chercheur interrogé en 2020 se considère en effet comme « un medium, au sens premier du terme : il aide à passer au milieu du gué. Il s’évertue à restituer à divers publics les fruits de son travail de recherche et de réflexion ». L’expérience de Laurent Macé illustre parfaitement la dimension transformatrice de la médiation qui permet une circulation des savoirs et un échange de points de vue entre le spécialiste et les publics, dans une logique de mise en partage des connaissances préalables des uns et des autres.
3La discussion menée en 2019 avec Marion Fontaine complète cette réflexion : aujourd’hui professeur en histoire contemporaine, celle-ci s’est en effet essayée à des formes d’écriture de la recherche qui sortent de l’écrit traditionnel. Elle a ainsi été commissaire pour une exposition dédiée à Jean Jaurès et autrice avec Richard Berthollet d’un documentaire audiovisuel, Sous l’œil des houillères. Donner la première place à l’image, bien loin des pratiques communicationnelles traditionnelles de la sphère académique, qui privilégient le texte, avoir recours à des témoignages d’acteurs : autant de « subterfuges » qui donnent de l’épaisseur aux documents exploités, reformulant sur le plan linguistique comme sur le plan visuel la production des savoirs historiques.
4Les exploitations audiovisuelles de l’histoire sont également au centre de l’échange mené avec Thibault Le Hégarat en 2017, qui présente ses travaux sur les représentations du patrimoine à la télévision. Cette recherche, réalisée dans le cadre de sa thèse puis d’un contrat postdoctoral, s’est concrétisée par la réalisation d’une base de données éditorialisée, partagée sur le Web. Cette plateforme, La Patrimathèque, présente une sélection de vidéos tirées du corpus d’émissions étudiées. L’évocation de ce dispositif de vulgarisation permet de réfléchir au rapport qu’entretient la télévision avec le patrimoine. Certes, la publicisation agit sur la reconnaissance d’un objet patrimonial et donc participe au processus de patrimonialisation4, mais il n’en reste pas moins que la structure narrative mobilise assez peu le savoir scientifique le plus récent et, finalement, donne beaucoup à voir, mais assez peu à comprendre…
5Dans le dernier dialogue, qui date de 2017, Mélanie Bourdaa, enseignante-chercheuse spécialisée dans les pratiques sérielles des industries culturelles et dans l’étude des communautés de fans, souligne que la multiplication des canaux de diffusion permet aux spécialistes des patrimoines de réinvestir des narrations et des récits qui entourent ces objets patrimoniaux pour les valoriser et les faire vivre au-delà des discours académiques. Coconstruit avec des acteurs et actrices de terrain, le dispositif transmédiatique conçu dans le cadre du programme de recherche-action qu’elle évoque, MédiaNum, a ainsi fait l’objet d’une évaluation interrogeant l’efficacité de ce type de stratégie pour valoriser des objets patrimoniaux : se dessinent en creux les enjeux contemporains auxquels sont désormais soumis les scientifiques, qui sont de plus en plus souvent sommés d’apporter des réponses concrètes en accompagnant notamment le développement des politiques culturelles.
Notes de bas de page
1 D. Jacobi, Les musées sont-ils condamnés à séduire ? Et autres écrits muséologiques, Paris, MkF, 2017.
2 D. Jacobi, B. Schiele (dir.), Vulgariser la science. Le procès de l’ignorance, Seyssel, Champ Vallon, 1988.
3 A. Piponnier, « Le projet dans les pratiques de recherche. Pour un retour réflexif et critique sur nos engagements », Sciences de la société, 93, 2014 (http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/2365, consulté le 9 novembre 2022).
4 Cf. J. Davallon, Le Don du patrimoine. Une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris, Hermès Science-Lavoisier, 2006.
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