Préface
p. 7-9
Texte intégral
1Le Festival d’Avignon est une épreuve corporelle pour ceux qui le font. Et c’est cette épreuve corporelle qui plus qu’ailleurs est censée garantir l’expérience esthétique : un moment marquant qui nous redonne depuis le présent à relire notre passé et nos projets.
2Comme le rappelle l’historien Paul Veyne : « Le rapport de l’homme aux choses ne s’explique pas seulement à partir de ce qu’il y a à l’intérieur de l’homme. Sinon l’altruisme serait de l’égoïsme, puisque l’altruisme se “plaît” à n’être pas égoïste… » C’est aussi et précisément là que commence notre intérêt pour l’autre, et plus fortement encore les formes de la pensée les plus généreuses que nous appelons « culture(s) ». Mais ne nous y trompons pas, notre besoin et notre nécessité de culture ou de création commencent toujours par un tourment ; ainsi est-ce bien d’un tourment qu’est née la volonté d’écrire de Stendhal, un tourment subsumé dans une question initiale et déterminante : « Comment me serais-je comporté à l’une de ces batailles de Napoléon où je ne me suis jamais trouvé ? »
3L’Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse a voulu ouvrir ses portes durant chaque Festival d’Avignon pour offrir chaque année aux publics, aux étudiants et à l’ensemble des participants de la manifestation estivale ses « Leçons de l’Université ». Les Leçons de l’Université espèrent en ce sens apparaître comme autant d’ouvertures possibles pour soutenir tous nos tourments et ce en rappelant combien, dans la droite ligne de Condorcet, notre institution – l’Université – doit mettre tout en œuvre pour « protéger les savoirs contre les pouvoirs », « considérer l’excellence comme la forme la plus haute de l’égalité » et se garder enfin « d’assujettir l’instruction publique aux volontés particulières et à l’utilité immédiate ».
4Le principe de ces leçons est simple : en coopération avec la direction du Festival, l’équipe avignonnaise du Centre Norbert Elias, la Maison de la Culture et de la Vie de campus, nous proposons à des grandes figures de la scène nationale et internationale, à des artistes, à des chercheurs et intellectuels, de donner une leçon magistrale d’une heure retraçant leur expérience, leur point de vue, leur posture et donc, en tout premier lieu, leurs idées.
5Sur le plateau du théâtre et dans chacune de ses propositions artistiques, Angélica Liddell est à la fois auteure, metteuse en scène, scénographe, comédienne, performeuse. Depuis 1993 et la création de sa compagnie Atra Bilis (Bile Noire), elle décline les mots de la douleur, entre confessions intimes et imprécations puissantes. Chez elle « tout passe par le corps pour atteindre l’esprit ». Et rien ne semble l’arrêter pour creuser au plus profond de l’inexplicable et de l’inexprimable. Tout ce qui se cache dans les zones les plus sombres de l’être humain, les zones les plus dangereuses à traverser, constitue pour Angélica Liddell des appuis pour révéler une beauté qui pourrait sauver. Venue pour la première fois au Festival d’Avignon avec L’Année de Richard et La Casa de la Fuerza (2010), puis avec Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme (2011), Ping Pang Qiu et Todo el cielo Sobre la Tierra (El Sindrome de Wendy) (2013), elle est constamment loin des provocations gratuites. Totalement investie dans le cérémonial qu’elle invente sur le plateau, Angélica Liddell surprend en refusant de « feindre avec la vérité », en organisant minutieusement le chaos.
6Grâce aux Éditions Universitaires d’Avignon, et à la collection Entre-Vues, nous espérons fixer durablement quelques-unes de ces précieuses idées étrangères par une retranscription fidèle des Leçons de l’Université d’Avignon afin de prolonger le plaisir, l’intérêt et la réflexion pour tous ceux qui y ont assisté et, pour ceux qui n’étaient pas là, de leur faire découvrir les mots et paroles, si importants ici, de ceux qui définissent au mieux et dans tous les sens du terme, l’espace de la création et de la recherche.
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