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À l’intersection de la mémoire et de l’histoire ou préambule à une documentation
p. 123-125
Texte intégral
1Dans la documentation qui suit, il est question de la survie au sens littéral, mais surtout de la survie par la mémoire des habitants de la seule localité aujourd’hui encore existante, parmi les quatre du Banat dont la population, arrivée à la fin du xviiie siècle, était en grande majorité francophone. Le village de Tomnatic existe encore sur le territoire roumain du Banat, tandis que les trois autres, les « communes sœurs », comme on les appelait, Seultour, Charleville et Saint-Hubert, ont aujourd’hui disparu en tant qu’entités propres, au profit de la localité appelée Novo Selo, à côté de Kikinda, sur le territoire du Banat serbe (pas loin de Jimbolia, et donc de la frontière avec la Roumanie).
2Installés comme colons au Banat vers 1772 par la cour impériale de Vienne, les fondateurs du village de Triebswetter (ou Tomnatic) étaient dans leur grande majorité des Lorrains de la région connue sous le nom de « Lorraine belge ». La traduction roumaine du nom du village, « Tomnatic », fait écho, par une fausse étymologie, au nom de l’ingénieur qui a tracé le plan de la localité et qui a mené les travaux d’assainissement des marais de la région. Le village a été germanisé progressivement vers le milieu du xixe siècle, d’une part parce que la langue de l’empire des Habsbourg était l’allemand et, d’autre part, parce que la langue devint aussi, à partir d’un certain moment, le critère de définition de l’appartenance ethnique dans les recensements (voir l’entretien avec Hans Damas [p. 171 pour la version imprimée], ainsi que la partie II).
3Presque tous les Banatais qui racontent l’histoire de leur vie n’oublient pas d’y englober – soit en la racontant directement, soit en en tirant une leçon de vie – une histoire collective, qui évoque le moment fondateur de la colonisation du Banat. Dans ses grandes lignes, on peut la résumer en trois mots, considérés comme emblématiques de la naissance d’un destin et de la séquence de la fondation et de l’implantation : die Not, der Tod, das Brot (« la misère, la mort, le pain »). En d’autres termes, au début il y eut les soucis, la misère, la lutte avec les marais et les maladies, avec l’insécurité et l’inadaptation, vaincues ensuite par un immense effort, par un travail acharné. La normalité et un début de prospérité arrivent petit à petit, récompense bien méritée validant l’idée, chère aux habitants de cette région, selon laquelle « l’homme sanctifie le lieu ».
4De cette réflexion, transformée en une prescription de conduite, est née progressivement une morale de vie, un modèle d’existence. Ce dernier a également été assimilé par le Roumain banatais, qui dessine son autoportrait idéal en empruntant les traits du Souabe banatais. Sur l’histoire de ce transfert et la manière dont ont été négociées les images identitaires dans le contexte de la colonisation du Banat et de l’institution de nouveaux rapports de cohabitation, il est utile de lire l’étude de Valeriu Leu dans le volume que j’ai publié avec mes jeunes collègues de la fondation « A treia Europă » (« La Troisième Europe ») sous le titre Germanii din Banat prin povestirile lor (Les Allemands du Banat à travers leurs récits ; Vultur, 2000, p. 33-64 ; repris dans Vultur, 2018). J’y ai consacré un chapitre (Vultur, 2000, p. 247-252) à la mémoire locale de Tomnatic et aux témoignages sous forme de récits de vie de Hans Damas, Ana Schreiber (Cocron), « Brița Peter » (Peter Cocron), Nikolaus Wiewe, aux côtés de ceux de Nikolaus Heidinger, Maria Heidinger ou Elisabeth Roth, précédemment publiés dans le volume consacré à la déportation dans le Bărăgan (Vultur, 1997, Timișoara), de ceux de Katharina Vitye ou Hans Griffaton, publiés de façon fragmentaire dans la revue « A treia Europă » ou dans Lumi în destine (Vultur, 2000a), et enfin de ceux se trouvant dans les Archive d’histoire orale (AIOFTE) que j’ai constituées à la fondation « A treia Europă » entre 1998 et 20091, à l’aide de plusieurs générations d’étudiants ou de jeunes chercheurs. Ensemble, ces témoignages constituent un passionnant itinéraire des mémoires entrecroisées.
5Ils pourraient constituer le noyau d’un futur livre, se basant sur l’histoire orale et des récits de vie, en complément des monographies du type Heimatbuch consacrées à Tomnatic (Petri & Wolf, 1983), ces dernières s’inscrivant dans une pratique mémorielle mise au service de l’identité allemande, mais aussi des récupérations centrées sur le village natal comme lieu de mémoire (Heimat).
Notes de bas de page
1 Les archives d’histoire orale de la fondation « A treia Europă » (AIOFTE) ont été transférées en 2015 (comme don) à la bibliothèque centrale universitaire « Eugen Todoran » de Timișoara, devenant le noyau principal de la nouvelle collection d’Histoire orale que j’ai créée et dirigée entre 2015 et 2020.
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