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Témoignage : Le problème du Banat à la Conférence de paix
p. 95-99
Note de l’auteur
Il s’agit de l’annexe III au texte d’Emil Botiș édité dans les pages qui précèdent. Cet article était sorti dans la Deutsche Wacht, organe du parti populaire souabe allemand, no 137/27, sept. 1919.
Texte intégral
1La question de l’appartenance du Banat a beaucoup préoccupé la Conférence de paix depuis le tout début des pourparlers, puisque la Roumanie comme la Serbie ont revendiqué ce territoire. Au début, les Serbes ont revendiqué le Banat tout entier, arguant du fait qu’ils avaient des droits historiques sur ce territoire, puisque le Banat avait depuis toujours été un centre du mouvement culturel et religieux des Serbes. Les Serbes ont en outre soutenu que la plaine du Banat était pour eux une question d’intérêt vital, puisque sans cette plaine la Serbie n’aurait pas suffisamment de céréales. Enfin, la Serbie a invoqué des raisons stratégiques : sans le Banat, en cas d’agression, la vallée de la Moravie et la capitale Belgrade tomberaient facilement aux mains de l’ennemi.
2C’étaient là les principaux arguments des Serbes au cours des débats. Les Roumains en revanche se sont référés au traité de 1916, qui avait marqué l’entrée en guerre de la Roumanie. Ils ont également invoqué le principe ethnographique, à savoir la présence en majorité relative des Roumains dans le Banat. Enfin, ils ont insisté sur le droit d’autodétermination des peuples, proposant l’institution d’un plébiscite pour le Banat tout entier et déclarant que le résultat de ce plébiscite serait considéré comme obligatoire.
3La Roumanie a toujours soutenu que le Banat était indivisible et qu’un partage de celui-ci serait contraire à l’intérêt de tout le peuple, car il entraînerait une récession économique pour tout le Banat. Elle a soutenu par ailleurs que l’application stricte du principe ethnographique au Banat était impossible, car différentes nationalités y cohabitaient. La Serbie a affirmé que le Banat n’a jamais constitué une unité, ayant été divisé en trois comtés.
4Plus tard la Serbie a réduit ses prétentions aux seuls comtés de Torontal et de Timiș, et elle n’a pas accepté le plébiscite en soutenant qu’alors ce seraient les Allemands qui décideraient du sort du Banat. Les Serbes ne pouvaient pas admettre que l’ancien ennemi choisisse entre deux alliés. La Roumanie a protesté contre la proposition de ne pas tenir compte du désir du peuple souabe et elle a souligné qu’enlever à un peuple le droit d’exprimer librement sa volonté allait à l’encontre des principes de base de la Conférence de paix.
5Voilà dans les grandes lignes la marche des négociations suite auxquelles le Zehnerrat a établi les impossibles (injustes) frontières actuelles. Cette décision a été acceptée aussi par le Fünferrat au motif que dans l’ouest du Banat les Serbes seraient majoritaires. Les intérêts économiques d’une grande puissance à laquelle la Roumanie n’a pas voulu céder son indépendance économique ont eu aussi une grande influence sur cette décision.
6La Roumanie n’a bien évidemment pas accepté cette frontière (décision), car elle coupait ses routes navales et les principaux chemins de fer du Banat, rendant donc impossible tout échange avec l’étranger. En même temps, cette frontière aurait signifié une récession de l’industrie et du commerce et aurait entraîné la ruine économique du Banat.
7Bien qu’à la Conférence de paix on ait parlé de garanties internationales en ce qui concerne le libre commerce de tout le Banat, quiconque connaît les Serbes sait ce que signifient les garanties qu’ils donnent.
8La délégation envoyée par les Souabes du Banat à la Conférence de paix a trouvé la question du Banat résolue dans sa forme actuelle. La délégation a rédigé un mémorandum qu’elle a immédiatement présenté à la Conférence. Ce mémorandum présentait l’impossibilité de la division du Banat, tout en montrant combien cette division serait peu durable (inefficace), parce qu’elle contrevenait aux intérêts et à la volonté des peuples qui y cohabitent. Se fondant sur la demande du peuple souabe, la délégation a demandé l’unification du Banat tout entier avec la Roumanie, en soulignant notamment que les Roumains et les Souabes formaient (déjà) deux tiers de toute la population de ce territoire, l’application juste du principe ethnique impliquant donc l’unification du Banat tout entier à la Roumanie. Ils ont mis l’accent sur les intérêts économiques, qui parlent aussi contre une division du Banat.
9Dans une conversation qu’ils ont eue avec les représentants des grands pouvoirs et avec les membres du Zehnerrat, la délégation des Souabes banatais a décrit de façon exacte la situation du Banat, mettant surtout l’accent sur les suites néfastes du partage actuel.
10Les membres de la Conférence ont pleinement apprécié les arguments invoqués et ils ont promis qu’ils respecteraient le désir du peuple souabe, si cette question était encore à l’ordre du jour.
11Par ce geste conscient et énergique, le peuple souabe a rendu un réel service, non seulement aux Roumains, mais aussi à tous les autres peuples cohabitant au Banat.
12Du point de vue des Souabes, ce pas est d’une très grande importance, car c’était la première fois que le peuple souabe du Banat réclamait ses droits, s’affirmant comme un peuple conscient, indépendant. Grâce à cela, tout le monde a reconnu que vivait ici un peuple doté d’une volonté nationale, incontestable et impossible à oblitérer.
13Le soutien apporté à la demande des représentants souabes par des hommes d’État roumains est illustré par le fait que les autorités roumaines n’ont vu aucun danger dans le fait que les Souabes forment un peuple indépendant au sein l’État roumain, ce qui nous fait envisager avec optimisme et confiance notre avenir (en tant que Souabes) dans l’État roumain.
14Nous tenons particulièrement à remercier et à exprimer notre confiance et notre reconnaissance au ministre des Affaires étrangères Vaida Voevod et à l’ambassadeur Mișu qui, grâce à leurs conseils et informations sur la situation diplomatique, nous ont été d’une grande aide.
15Lors des conversations avec les membres de la Conférence de paix, nous avons pu nous convaincre du fait que pendant les débats concernant le Banat, la Hongrie n’avait jamais fait partie des options, de sorte que les rumeurs qui sont apparues à ce sujet étaient totalement infondées. Ayant également pu jeter un coup d’œil aux discussions antérieures concernant le Banat, nous avons pu nous convaincre qu’il n’avait jamais été question (keine blasse Idee) de l’unification du Banat à la Hongrie.
16Cela repose sur les faits suivants :
17Quand il a été question de l’Autriche-Hongrie, la Conférence de paix s’est fondée, autant que possible, sur le principe ethnique. En ce qui concerne la Hongrie, les données statistiques hongroises de 1910 ont servi de point de départ. Conformément à ces statistiques, le Banat réunit environ 1 million et demi d’habitants, dont environ 600 000 Roumains, 400 000 Allemands, 280 000 Serbes et 200 000 Hongrois. Il est donc facile d’expliquer – si on en juge d’après le principe ethnique – pourquoi la Hongrie ne peut pas être prise en considération. À cela s’ajoutent aussi les troubles du début de la révolution, qui n’étaient pas du tout de nature à encourager la Conférence de paix à se ranger du côté de la Hongrie. À Paris circule l’opinion selon laquelle le peuple hongrois n’est pas en état de constituer un État indépendant et encore moins d’annexer d’autres peuples au futur État hongrois. C’est en tout cas l’opinion des cercles compétents.
18La situation concernant le Banat est donc la suivante : la partie du Banat habitée par des Roumains est attribuée définitivement à la Roumanie et est déjà comprise dans les conditions de paix avec la Hongrie.
19Maintenant il ne peut plus être question que la Roumanie reçoive tout le territoire du Banat, même si elle n’a pas admis cette division et même si parmi les membres de la Conférence de paix il y avait beaucoup d’adeptes de l’indivisibilité du Banat. La Serbie a tout intérêt à parvenir elle aussi à une entente avec la Roumanie dans la question de l’indivisibilité du Banat.
20Tous les peuples du Banat peuvent être satisfaits de cette résolution de la question du Banat, c’est-à-dire de son rattachement à la Roumanie.
21Du point de vue économique, c’est la solution la plus favorable et les perspectives d’avenir pour l’avancement économique de la Roumanie sont du meilleur augure. Les valeurs roumaines progressent de façon vertigineuse à l’étranger et le cours du leu augmente de jour en jour. Les minorités ne doivent pas avoir peur d’être subjuguées. Les dirigeants roumains, surtout ceux de Transylvanie, offrent la meilleure garantie à cet égard. Le Premier ministre Iuliu Maniu et le ministre Vaida Voevod ont toujours lutté pour l’égalité des droits des peuples. Les décisions d’Alba Iulia et le droit général de vote offrent aussi l’assurance que l’État roumain est fondé sur des droits démocratiques.
22Donc, personne n’a à craindre d’être traité par l’État roumain de façon injuste en raison de sa nationalité ou de sa croyance.
Auteur
Avocat, Timișoara
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