Conclusion
p. 99-100
Texte intégral
1Même si aucun pape n’a franchi ses murs depuis 1403, Avignon reste encore marquée par son passé pontifical. Il y a naturellement l’enjeu touristique et économique, tellement évident qu’il risque de réduire la ville à une « cité des papes » de carte postale et le Palais, littéralement, à un décor de théâtre. S’y ajoutent les enjeux patrimoniaux qui interrogent en permanence les autorités municipales et les agents de l’État : que faut-il préserver, restaurer, voire reconstruire ? Mais l’essentiel consiste à assurer la richesse et le dynamisme d’un cadre de vie pour une communauté d’habitants, Avignonnais de longue date ou nouveaux arrivants, dont l’avenir n’est jamais écrit. Une ville n’est pas un musée ; elle est d’abord un lieu de vie dont la qualité tient aussi à la façon dont elle assume une identité nourrie du passé.
2C’est pourquoi je pense qu’il faut savoir reconnaître et comprendre l’ambivalence que les Avignonnais entretiennent avec leur passé et leur patrimoine. Avignon n’est pas seulement une ville qui a accueilli des papes ; elle les a aussi fait partir, d’abord en 1403 en assiégeant Benoît XIII dans son palais, puis en 1791 en se révoltant contre l’autorité pontificale et en demandant le rattachement à la France. Si, aujourd’hui, l’utilisation et la gestion du Palais continuent de soulever de nombreuses questions, le problème n’est pas nouveau. Depuis le départ des vice-légats, les idées, parfois savantes, se sont multipliées : Viollet-le-Duc voulait transférer la cathédrale dans la Grande Chapelle de Clément VI ; Mistral rêvait d’un « Panthéon » de la Provence au temps où le mouvement du Félibrige en réinventait la langue et l’identité ; on a parlé d’un grand musée du Moyen Âge qui s’est réduit à quelques moulages en plâtre ; on a vu un « musée du Vieil Avignon » finalement démonté pour faire place à un « musée de l’Œuvre » focalisé sur les aspects matériels de la construction… L’art contemporain a peut-être trouvé plus aisément sa place au Palais, à l’occasion de grandes expositions éphémères, de Picasso à Douglas Gordon. Et bien sûr, il y a eu Jean Vilar, avec le projet iconoclaste d’utiliser le lieu pour faire du théâtre, non sans quelques réticences de sa part (fig. no 26). Contre toute attente, c’est finalement cela qui a le mieux fonctionné et qui a pu donner une nouvelle vie au Palais, peut-être parce que le théâtre retrouvait, par des chemins détournés, l’esprit qui avait présidé à sa construction. Au risque de susciter à nouveau la réticence des Avignonnais envers un pouvoir venu d’ailleurs…
Fig. no 26 : Programme de la Semaine d’art en Avignon, 1947

Que faire d’un palais aussi gigantesque et impressionnant ? L’installation des militaires après la Révolution lui a sans doute évité la démolition, et leur départ a permis par de lourdes restaurations de retrouver peu à peu son aspect médiéval. Mais c’est finalement le théâtre, à la suite de l’expérience audacieuse de Jean Vilar en 1947, qui est parvenu à le réinvestir, non sans hésitations ni difficultés, lui redonnant par un usage détourné sa dimension ostentatoire et littéralement spectaculaire.
© Association Jean Vilar
3Il me plaît surtout de retenir que c’est l’ouverture au monde qui constitua la véritable richesse d’Avignon au xive siècle, en faisant d’elle une capitale cosmopolite, un carrefour des influences culturelles les plus novatrices. Pétrarque disait méchamment que dans cette ville, « il n’y a de bon que ce qui est importé ». Est-ce vraiment un défaut ? Avignon a su accueillir des papes, des marchands et des artistes italiens, des musiciens flamands, des clercs de toute l’Europe, plus tard des juifs expulsés du royaume, et puis encore des immigrés italiens, espagnols, maghrébins, et même des hommes de théâtre et des visiteurs du monde entier… C’est ce bouillonnement, sans cesse renouvelé, qui a fait, et fait toujours, la beauté d’Avignon.
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