Propos de Philippe Varoutsikos
Recueillis par Guillaume Bagnol et Wladimir Guerrieri
p. 155-158
Texte intégral
Philippe Varoutsikos intègre le Festival d’Avignon en 1985, comme machiniste. Depuis 2014, il y assure le rôle de directeur technique.
En tant que directeur technique du Festival d’Avignon, quel regard portez-vous sur le cloître des Carmes ?
Le cloître des Carmes est un lieu unique dans lequel chacun semble avoir plaisir à travailler. Il s’agit d’un endroit incroyable, rempli d’histoire mais également complexe à investir pour les équipes techniques, lors d’un événement tel que le Festival d’Avignon. C’est un monument historique qui n’a pas été construit dans le but d’accueillir du public dans des gradins et des comédiens sur une scène. Édifié par un ordre religieux mendiant, il n’a jamais été pensé pour 600 personnes…
Quelle est, selon vous, la spécificité du cloître en tant que lieu de spectacle ?
Tout l’intérêt du cloître des Carmes réside dans le défi constant qu’il offre aux équipes du Festival. C’est une chance, pour quiconque, de pouvoir travailler dans un tel lieu ; ceux qui l’ont bâti n’auraient jamais pensé que leur construction existe encore après tant de siècles et puisse accueillir de telles choses. Un monument historique, à la différence d’une « boîte noire » banale, semble faire briller les yeux de ceux qui y ont travaillé. Le cloître des Célestins, ou encore la Cour d’honneur du Palais des Papes, au même titre que les Carmes, sont des lieux fabuleux mais aussi capricieux. Pour le personnel habitué, chaque été devient l’occasion de retrouver une place familière ; pour les compagnies par contre, que ce soit leur choix ou non, jouer au sein du cloître s’avère toujours un défi. Si dans une salle noire le décor ou les personnages semblent naître du vide, ici il faut imposer au patrimoine ce même décor et ces mêmes personnages.
Le cloître crée-t-il des conditions particulières pour les artistes ?
Si certains choisissent de faire abstraction du lieu, d’autres vont jouer avec lui, comme cela a pu être le cas en 2006 avec Pluie d’été à Hiroshima d’Éric Vigner, où les gradins prenaient place sous chaque arche. Néanmoins, quel que soit le choix du metteur en scène, le lieu reste ce qu’il est, c’est-à-dire un lieu ouvert, soumis à la chaleur de l’été, à la pluie et surtout au mistral, un vent capable de réduire à néant un effet de scène, voire une pièce entière, tout comme il est capable de sublimer une scène et de donner du volume à certaines atmosphères. Le fait que ce soit un théâtre à ciel ouvert n’est bien sûr pas la seule contrainte : il s’agit d’un lieu patrimonial protégé, au sein duquel la pierre fait sa loi ; elle doit toujours être protégée, impossible de poser une quelconque pièce de métal sans y mettre une moquette ou du bois auparavant, afin de ne pas endommager le bâtiment. Pour ce qui est du grill, supportant l’équipement technique de la lumière et du son, il doit être adapté en fonction des demandes des compagnies, mais avant tout en fonction du lieu. Créer ou adapter une scénographie pour le cloître est donc un vrai défi pour des artistes qui n’auront jamais le dernier mot ici.
Quelles sont, par ailleurs, les contraintes qu’il est susceptible d’imposer aux équipes techniques ?
Le cloître des Carmes impose un cahier des charges assez important pour le Festival d’Avignon : l’accessibilité est réduite, il est impossible pour des semi-remorques d’y pénétrer. Il faut assurer la sécurité des 600 personnes présentes lors des représentations et si l’absence de plafond est un avantage, il faut toutefois garder à l’esprit que les bâtisseurs du cloître n’étaient pas soumis aux normes de sécurité actuelles. Il y a donc une dérogation pour ce lieu historique qui ne possède qu’une seule entrée, donc une seule sortie de secours. Bien qu’une seconde issue ait été créée, cela ne suffit pas (et ne suffirait pas même dans un bâtiment classique) pour accueillir davantage de spectateurs. Avec la visée de permettre à n’importe qui d’accéder au théâtre, le Festival d’Avignon met en place chaque année des rampes d’accès pour les personnes à mobilité réduite.
Il est impossible de faire des raccords-lumière aux Carmes en journée, il faut y travailler la nuit, nuit qui dure à peine six à sept heures en été. Tous ces éléments ont un coût, nécessitent une logistique particulière mais sont nécessaires à la transformation du cloître en Théâtre en Ordre de Marche (TOM), capable d’accueillir du public dans les meilleures conditions.
Sur le plan purement technique, l’installation des gradins, de la scène, des loges, du pont lumière et du son dure quatre semaines à huit personnes ; c’est ainsi qu’on obtient un TOM, il n’y a rien de plus. Le démontage, lui, ne dure que deux semaines avec autant de personnes. Le Festival d’Avignon possède 80 % de l’équipement technique dédié au lieu : la scène, les gradins, le grill, etc. Le lieu dispose de plusieurs équipes : sept personnes à la technique, autant à l’accueil, quatre au gardiennage, puis des renforts selon les périodes.
Quelle place le cloître des Carmes occupe-t-il parmi les lieux emblématiques du Festival ?
Le cloître des Carmes, second lieu du Festival d’Avignon, demande une attention toute particulière, comme c’est souvent le cas avec les monuments patrimoniaux. Cela fait cinquante-et-un ans qu’il est investi par des artistes et des spectateurs en été. Au fil du temps le rapport scène-salle a été optimisé, l’espace de jeu reste grand et il y a 600 places confortables, c’est-à-dire avec une bonne vue sur la scène ; ce qui permet d’assister à deux ou trois heures de représentation comme dans n’importe quelle salle de spectacle tout en conservant un décor naturel hors du commun. Cet espace est un lieu magique et unique : la grandeur du cloître en centre-ville, et son clocher côté cour, configurent un cadre de travail exceptionnel.
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