Par Bernadette Cabouret
p. 9-12
Texte intégral
1L’œuvre de Catherine Wolff est riche et diversifiée : ses premiers travaux ont porté sur les brigands dans l’Orient romain et c’est par cette histoire largement « hors normes » que, forte de son excellente connaissance des sources littéraires, en particulier des romans grecs et latins, elle s’est fait connaître dans le monde scientifique : sa thèse sur Les Brigands dans l’Orient romain a connu une belle diffusion grâce à sa publication dans la prestigieuse collection de l’École française de Rome. Divers articles ont creusé certains aspects précis de ce champ d’investigation en des analyses qui soulignent toute l’acribie de la démarche de Catherine. Ce thème de recherche est original et se place à la croisée des compétences et des intérêts heuristiques de Catherine Wolff : l’existence et l’activité des brigands relèvent d’un phénomène historique qu’elle étudie en historienne, mais les sources qui les documentent sont essentiellement littéraires – on a déjà cité les romans – et trouvent alors une lectrice exigeante et avertie.
2Un autre axe de ses recherches pose des questions sociales fondamentales qui sont celles de l’éducation, de la transmission des savoir-faire, de l’apprentissage : toujours grâce à sa vaste culture littéraire, à sa rigueur et à son exhaustivité documentaire, Catherine Wolff sait mener des enquêtes précises et extrêmement bien informées. Ses références sont en effet systématiques : elles renvoient à tous les types de sources disponibles sur un sujet, littéraires mais aussi épigraphiques, voire numismatiques. La complémentarité des sources est magistralement exploitée, de même que la bibliographie qui permet de tapisser immédiatement un sujet de son arrière-plan documentaire. Catherine Wolff sait ne pas se contenter du choix plus ou moins arbitraire de quelques exemples pour illustrer un argument, servir une idée : elle engage une enquête approfondie et cite l’essentiel des documents qui étayent l’affirmation proposée, rendent compte du fait présenté. Cette mise de fonds sur les sources, en particulier littéraires, s’accompagne de solides précautions critiques et certains auteurs ou textes sont passés au crible pour mieux assurer la validité de leur témoignage ou au contraire l’infirmer. L’Histoire Auguste est l’exemple même de cette approche nuancée et prudente de la littérature antique et de l’art d’en déceler les pièges.
3Catherine Wolff sait mener l’enquête de manière très méthodique ; précautionneuse, mais loin d’être frileuse ou timide dans ses avancées, elle la conduit de manière systématique et déterminée. On ne trouve pas dans ses lignes de grands effets, de formules un peu pompeuses, de concepts trop systématiquement invoqués, mais une démonstration claire qui ne se départit jamais du sens du concret et tout simplement du bon sens. Il faut y ajouter une bonne maîtrise de l’allemand qui lui permet d’élargir le champ de l’historiographie grâce à toute l’érudition germanique. Ses enquêtes méthodiques passent en particulier par l’étude attentive du vocabulaire (voir, dans ce recueil d’hommages, les articles sur les brigands et sur les voleurs d’enfants traitant du terme hostes). La réflexion sur la terminologie est en effet fondamentale : elle éclaire les enjeux et permet de mesurer les différences de conception, d’appréhension des phénomènes entre hier et aujourd’hui. Le danger du moderno-centrisme guette toujours. Revenir au sens des mots et à leur polysémie permet de décentrer le regard. D’autre part, les citations des auteurs de référence sont étayées par des analyses et commentaires appropriés et, pour des textes aussi difficiles que ceux de Jean Chrysostome, Catherine Wolff fait l’effort de proposer une traduction quand la facilité conduit le plus souvent à se contenter de la référence en note !
4Outre les sources littéraires, Catherine Wolff maîtrise largement les sources juridiques, connaît les arcanes des codes tardifs et peut mener une enquête, comme elle le fait sur les voyages, uniquement à partir des sources normatives. Elle cite les juristes qui sont à l’origine des lois présentées dans la compilation, ce qui est essentiel pour la datation et l’esprit de la loi : elle obéit par là à un vrai réflexe d’historienne. Ainsi, elle propose un relevé exhaustif et précis sur le voyage à partir des constitutions du Digeste dans un bel article de 2006 que nous republions ici.
5Catherine Wolff possède une qualité rare : la ténacité de rassembler la documentation, toute la documentation avant de l’analyser ; c’est une « collationneuse » hors pair. Ses articles et ouvrages de synthèse sont donc particulièrement précieux et d’une extrême utilité. L’Éducation dans le monde romain, parue chez Picard en 2015, en est la parfaite illustration. Ce qui pourrait être considéré comme un manuel commode ou une pâle copie de l’ouvrage fondateur de Henri-Irénée Marrou est en réalité un essai démonstratif, qui combine perspective diachronique et description raisonnée. Aucune affirmation qui ne soit étayée par les sources, aucune avancée qui ne soit justifiée : on nous donne là une belle leçon de méthode ! L’ouvrage est un ensemble passionnant et vivant qui explore la façon dont une société donne à sa jeunesse les moyens de la perpétuer.
6D’autres sujets, au croisement de l’histoire économique et sociale, intéressent Catherine Wolff. Ce peuvent être aussi des amitiés et complicités universitaires qui ont suscité ces nouvelles directions de recherche, comme l’illustre le cas des travaux sur les confiscations (en collaboration avec l’équipe de Chambéry, réédités ici sans leurs annexes). On y retrouve la méthode éprouvée de Catherine Wolff : elle sélectionne dans la littérature grecque et latine tous les cas connus puis analyse les sources ainsi isolées en fonction de leur contexte, c’est-à-dire des circonstances et des dates. Cela lui permet de tirer des conclusions parfaitement en rapport avec le sujet et d’apporter une réponse argumentée à la problématique de départ.
7Les écrits et ouvrages de Catherine Wolff sont aussi agréables à lire qu’enrichissants pour l’esprit. Ils comblent autant la sensibilité littéraire que l’intérêt historien ; ils offrent un contenu très sûr, mais jamais présomptueux, car dénué de tout jargon et de toute superficialité. Catherine Wolff est toujours précise et nuancée, prudente et circonstanciée. Ses domaines de recherche sont variés et originaux, mais toujours le souci, sinon de reconstituer, du moins d’approcher la vie des femmes et des hommes s’y manifeste, dans une histoire qui n’est en rien désincarnée. La modestie de Catherine Wolff ne doit donc pas faire oublier qu’elle est avant tout une grande chercheuse.
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