Les vestiges osseux de contextes contemporains
Bref état des lieux
p. 313-316
Texte intégral
1L’ensemble des travaux archéologiques, anthropologiques ou médicaux souligne que la valeur scientifique des collections ostéologiques n’est plus à démontrer. Plus d’une quinzaine de domaines d’étude ou d’enseignement ont pour support des restes osseux humains1. En effet, les vestiges osseux, notamment en contexte archéologique, ont la double particularité d’être pertinents en qualité de témoin biologique mais aussi comme support d’une pratique funéraire. Les exploitations scientifiques (paléobiologiques ou archéothanatologiques2) soulignent ces deux aspects en attachant une grande importance au cadre de découverte (contexte, collecte, datation, cadre funéraire, etc.).
2À ce jour, en France, les collections ostéologiques contemporaines sont peu nombreuses. En Europe, la majorité des vestiges osseux contemporains, destinés à des études scientifiques, sont issus d’anciennes dissections ou d’exhumations depuis des cimetières connus. On évoque alors des collections dites documentées, car des informations individuelles (âge, sexe, cause de la mort, etc.) accompagnent chaque sujet. Ces ossements contemporains occupent une place capitale en anthropobiologie et en médecine légale. En effet, la plupart des méthodes ont été mises au point ou testées à partir de séries documentées. L’association avec d’abondantes sources archivistiques démarque ces séries osseuses en leur octroyant une valeur scientifique supplémentaire.
3Deux exemples anglais sont à souligner. La fouille, entre 1984 et 1986, de la crypte de la Christ Church de Spitalfields (Londres, XVIIIe- XIXe siècles)3 a livré une collection « documentée » par des données historiques et les plaques des cercueils. Puis, en 2008, conjointement aux travaux de l’Eurostar à Londres, la fouille du grand cimetière de Saint-Pancras daté du XIXe siècle fut à l’origine des modifications du statut juridique des restes ostéoarchéologiques, lequel est encore débattu et contesté4. D’une manière générale, la mise en place de ces collections nécessite des législations adaptées concernant les désaffectations de cimetières, les concessions funéraires abandonnées ou les restes non réclamés par les familles telles que rencontrées en Suisse, en Belgique, en Espagne ou encore au Portugal5.
4En France, ces questions sur le statut des collections conservées dans les musées6 ou issues de fouilles archéologiques animent des débats depuis quinze ans. Depuis 2002 et la restitution de la dépouille de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud, les musées tentent de gérer au mieux les demandes de restitution des communautés qui impliquent de complexes débats juridiques de déclassements de biens appartenant aux collections publiques7.
5Pour les restes issus de l’archéologie, les interrogations relatives à leur statut sont d’une autre nature et tentent de rendre compte des évolutions autour des nouvelles interrogations et perspectives d’étude de l’anthropologie8. En effet, on note que le problème du « comment conserver de manière pérenne ? » s’est mué peu à peu en « que conserver de ces vestiges ? ». Les collections datées des périodes les plus récentes, sans profondeur chronologique, sont concernées au premier plan. Dans ce contexte, la sous-direction de l’archéologie (Ministère de la Culture et de la Communication) a instigué en 2011 une large réflexion portant sur les moyens d’expertise des archives du sol, à des fins de conservation sélective. L’objectif est de formaliser des protocoles d’évaluation et de conservation sélective du matériel archéologique parmi lesquels figurent les vestiges ostéoarchéologiques.
6La valorisation des restes anthropologiques s’opère encore parfois dans un contexte aux repères flous. Lesquels prennent la forme de décisions parfois radicales (réinhumations mal encadrées ou au contraire conservation sans discernement). Les demandes de réinhumation illustrent ces problèmes en marge du statut des restes. Certaines collections font l’objet de demandes dans un souci mémoriel, à la suite de pressions ou de sollicitations de l’opinion publique9. Dans d’autres cas, la réinhumation est directement intégrée à la stratégie et à l’exploitation scientifique de la fouille et des vestiges ostéoarchéologiques10.
7Ces sollicitations de réinhumation témoignent de l’impact des considérations éthiques, à l’aune de l’élargissement du spectre chronologique des chantiers de fouilles jusqu’aux contextes contemporains. Un rapide examen des pratiques issues du passé de la discipline, telles que le prélèvement exclusif des crânes, le ré- enfouissement systématique ou le dédain des vestiges modernes ou pré-contemporains permet de souligner l’évolution constante de la valeur scientifique attribuée aux restes ostéoarchéologiques.
Notes de bas de page
1 Y. Ardagna. La conservation des archives biologiques et des documents associés en anthropologie biologique. Applications à des collections anthropologiques françaises et hongroises, thèse d’anthropologie biologique, Université d’Aix-Marseille II, Faculté de médecine, et Université de Szeged (Hongrie), 2004.
2 B. Boulestin et H. Duday, « Ethnologie et archéologie de la mort : de l’illusion des références à l’emploi d’un vocabulaire », Les Pratiques funéraires à l’âge du bronze en France. Actes de la table ronde de Sens-en- Bourgogne, (10-12 juin 1998), éd. C. Mordant et G. Depierre, Paris, Éditions du CTHS, 2005, p. 17-30.
3 T. Molleson and M. Cox with A. H. Waldron and D. K. Whittaker, The Spitalfields Project, vol. 2, The Anthropology - The Middling Sort, London, Council for British Archaeology, 1993.
4 D. Sayer, Ethics and Burial Archaeology, London, Gerald Duckworth & Co Ltd, 2010.
5 Y. Ardagna, B. Bizot, B. Boëtsch et X. Delestre éd., « Les Collections ostéologiques humaines : gestion, valorisation et perspectives », Bulletin archéologique de Provence, supplément 4, 2006.
6 Issues de dissections, d’échanges entre institutions médicales ou anthropologiques, d’œuvres artistiques ou encore d’origine ethnographique.
7 Pour une analyse juridique de ce thème, voir le texte de Bérengère Gleize. Pour une approche anthropologique et historique, voir en particulier les récents travaux de M. Van-Praët et de C. Patin.
8 XXXIe colloque du GALF, Groupement des anthropologistes de langue française, 16-18 octobre 2013, Marseille. 5e session – « Le patrimoine biologique et paléobiologique de l’anthropologie : nouvelles perspectives ». Organisation et présidences de session : Y. Ardagna et A. Chaillou.
9 Comme les restes humains (datant du XIIIe au XVIIe siècle) issus de la fouille de l’abbaye d’Ardenne à côté de Caen réalisée en 1999-2000 (responsable d’opération : Mark Guillon, Inrap). Sur le sujet, l’intervention de Mark Guillon dans l’émission de France Culture, « Salon noir » (« Entre Anthropologie funéraire et Éthique : que faire des squelettes exhumés par l’archéologie ? », 24 mars 2011), accessible sur le site de l’Inrap.
10 Ce fut le cas à l’occasion des fouilles préventives du cimetière des Petites-Crottes à Marseille réalisées en 2013- 2014 (responsable d’opération : Anne Richier, Inrap). Certains ossuaires situés en limite d’emprise ont subi une translation et ont été cogérés avec les services funéraires de la Ville de Marseille (renseignements fournis par Anne Richier). Voir aussi http://www.inrap.fr/archeologie-preventive/Actualites/Communiques-de-presse/p-16017-L-ancien-cimetiere-des-Petites-Crottes-a-Marseille.htm (site consulté le 30 octobre 2014).
Auteur
Ingénieur d’étude en anthropologie biologique à l’Université Aix-Marseille, UMR 7268 ADES (Anthropologie bio-culturelle, droit éthique et santé). Ses travaux portent sur l’anthropologie funéraire et biologique. La conservation et le statut du patrimoine biologique au sein des ostéothèques sont l’un des axes de ses activités de recherche. Il prépare, en collaboration avec Anne Chaillou, un ouvrage intitulé Les ensembles anthropologiques et paléobiologiques : entre législation, intérêt scientifique et enjeu éthique.
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