Un inventaire du patrimoine funéraire parisien
Sources, méthode et critères de patrimonialisation
p. 265-282
Texte intégral
1Un poste de conservateur du patrimoine a été créé au Service des cimetières de la Ville de Paris, en 2007, en raison de la recrudescence, dans la capitale, de vols de sculptures et d’éléments métalliques décorant les tombes. Parallèlement, les services de l’État souhaitaient que soit renforcée la protection des cimetières parisiens (autres que le Père-Lachaise), en préservant notamment le paysage funéraire de certains d’entre eux.
2Afin de définir les critères et les contours d’une telle protection, cette démarche a été subordonnée, en premier lieu, à la réalisation d’un inventaire. Notre propos est de présenter ce travail dans ses aspects concrets et méthodologiques et d’évoquer dans ce cadre l’importance des sources historiques et l’usage critique qui en est fait.
Méthodes et critères de l’inventaire
Présentation et volumes
3Quelques cimetières parisiens sont bien connus, tels le Père- Lachaise, modèle historique de nombreux cimetières paysagers européens ou américains, ou le cimetière Montparnasse, en raison de la célébrité de certaines des personnalités qui y sont inhumées. Rappelons que la Ville de Paris est aujourd’hui propriétaire de vingt cimetières (quatorze cimetières intra-muros1 et six extra-muros2) ouverts entre 1798 et 1929 par la Préfecture de la Seine elle-même ou par les anciennes communes annexées à Paris en 1860.
4Les cimetières parisiens représentent un ensemble de 634 000 concessions réparties sur une surface globale de 422 hectares, avec de très fortes disparités. Le petit cimetière Saint-Vincent sur les pentes de la Butte Montmartre (960 concessions sur 0,59 hectares) a par exemple peu de rapport d’échelle avec l’immense cimetière parisien de Pantin (145 570 concessions sur 107 hectares), la plus vaste nécropole d’Europe. Aujourd’hui insérés dans le tissu dense de l’agglomération parisienne, ils présentent une très grande variété de paysages et d’ambiances, selon le style des monuments, le jeu des perspectives arborées et les arrières plan urbains qui les encadrent.
Objectifs
5Pour le conservateur nouvellement nommé, le travail d’inventaire engagé sur ce patrimoine devait s’inscrire parmi d’autres tâches et combiner plusieurs objectifs : la documentation précise de ce patrimoine à des fins de sécurité et de diffusion culturelle ; la gestion des cimetières liée à l’exploitation funéraire et notamment à la politique de reprise administrative des concessions ; la caractérisation et l’évaluation de ce patrimoine afin d’engager les démarches de protection nécessaires et de produire des documents prescriptifs (cahiers des charges, plan de gestion, livrets de recommandations). Ce dernier processus est actuellement engagé pour le cimetière Montmartre.
6La méthode de travail et la base de données (Mausolée) mises au point pour conduire ce projet ont tenté d’intégrer au mieux l’essentiel de ces différents besoins. Le système descriptif utilisé pour la saisie de cet inventaire a été largement inspiré par les outils élaborés par les services du patrimoine du Ministère de la Culture, adaptés et relativement complétés concernant deux aspects : les données administratives de localisation et de gestion et les informations relatives aux personnalités inhumées.
Critères
7À la différence des autres missions d’inventaire menées dans les musées et les églises de la Ville de Paris, celle concernant les cimetières ne s’inscrit pas dans le cadre de la propriété municipale. Bien au contraire, elle porte majoritairement sur un patrimoine de statut privé. Un inventaire du patrimoine funéraire est donc pour l’essentiel un inventaire de biens privés ayant un statut d’immeuble. De ce point de vue, nous nous trouvons dans la même situation que les enquêteurs des services de l’Inventaire général (aujourd’hui rattachés aux Conseils régionaux), effectuant un inventaire de patrimoine urbain, avec les mêmes contraintes juridiques, méthodologiques et pratiques.
8Puisqu’il ne s’agit pas d’un inventaire de propriétaire, il n’y a pas à cataloguer, unité par unité, l’intégralité d’une collection mais à opérer une sélection. La première phase est donc celle de la compréhension de l’ensemble « cimetière », de la caractérisation de ses parties constitutives (division, allée, enclos, tombeau, etc.) et de la définition de l’objet même de l’inventaire. Cette délicate phase de sélection a été largement décrite par Nathalie Heinich dans La Fabrique du patrimoine3, notamment dans la deuxième partie de l’ouvrage consacrée au processus de patrimonialisation où, au travers de la notion « d’axiologie du patrimoine », l’auteur pose parfaitement la question de la relativité des critères que sont l’ancienneté, l’authenticité, la rareté, la significativité, la beauté, etc. Notons d’ailleurs que la sociologue s’appuie sur de nombreux exemples pris lors d’inventaires de cimetières - tant par ses récits d’enquêtes que par les illustrations de l’ouvrage -, preuve que ce domaine offre un terrain tout à fait adapté à ce questionnement sur la construction du regard collectif, le rapport aux valeurs et la définition des critères de patrimonialisation (pour reprendre sa terminologie).
9Certains critères (architecture et typologie, inscription, matériau et technique, œuvre et décor, personnalité, intérêt paysager, typicum4) ont été retenus dans notre travail et figurent dans la fiche descriptive de Mausolée. Parmi ceux-ci, deux critères en particulier, la typologie et l’ancienneté, se révèlent aussi essentiels que problématiques et, en tout cas, significatifs du recours indispensable aux sources historiques.
10Le premier de ces critères évalue l’architecture et la typologie du monument funéraire. En effet la constitution d’un corpus typologique résulte bien d’une l’analyse architecturale et d’un travail du regard sur le terrain, ce que Nathalie Heinich a joliment qualifié de « goulot du sablier »5, entre la préexistence de connaissances communes, l’observation de l’objet et la restitution du résultat. Un bilan effectué à partir de l’inventaire des premières divisions du cimetière Montmartre montre ainsi que le premier critère de patrimonialisation est lié à l’architecture ou à la typologie du monument, ce qui pose très clairement la question des références sollicitées dans cette analyse : sources historiques ou culture personnelle de l’enquêteur en matière d’histoire de l’architecture. Cette question sera évoquée plus loin, notamment à propos de l’usage de la presse d’architecture.
11Le second critère, celui de l’ancienneté, pose la question de la datation des tombes. Rien n’est plus difficile à dater précisément qu’un monument funéraire et ce d’autant plus que les pièges sont nombreux et qu’il n’y a bien souvent aucun rapport entre la date du décès, celle de l’achat d’une concession et celle de la réalisation d’un monument. L’inventaire doit ainsi prendre en compte plusieurs étapes : la date l’acquisition du terrain, celle de la première inhumation, l’année de la construction du monument, celle des décors portés (vitraux et des éléments mobiliers (statues, bustes, médaillons, voire celle de leur éventuelle inauguration.
12Par ailleurs, les sépultures les plus anciennes sont de typologie très modeste, exemptes de décor et bien souvent les plus usées ou altérées. Ainsi dans la division 2 du cimetière Montmartre, une première phase d’enquête sur site, sur la base de la seule analyse architecturale, avait exclu de l’inventaire un certain nombre de sépultures, extrêmement simples ou très abimées, sépultures que les archives ont montrées être les plus anciennes de cette partie du cimetière. Une seconde campagne, complémentaire, a donc eu pour but d’intégrer un certain nombre de ces tombes au titre de leur ancienneté et de leur représentativité du premier lotissement du cimetière, à l’époque de la Monarchie de Juillet.
13Cette question est très délicate puisque ce sont bien ces tombes les plus anciennes, souvent dépourvues de toute caractérisation architecturale et très dégradées, qui les premières ont fait (et font toujours) l’objet d’une reprise administrative et sont donc susceptibles d’être prioritairement détruites. Ceci confirme bien l’ambivalence des critères de patrimonialisation et la nécessaire confrontation des sources historiques et du travail du regard sur le terrain.
Une méthode : de l’unité à l’ensemble
14Rappelons que dans notre cas, le travail d’inventaire se déroule dans des conditions très contraintes (peu de temps et d’effectifs), liées à la diversité des tâches à accomplir et à la nécessité d’optimiser le travail de recueil des données en vue des différents usages qui peuvent en être faits. Les informations collectées lors de l’inventaire doivent donc permettre d’étayer l’expertise patrimoniale liée à la politique de reprise administrative et de fournir les éléments d’appréciation alimentant, notamment, les dossiers de protection et futurs documents prescriptifs. Ainsi au cimetière Montmartre, l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) nous demande de localiser les monuments significatifs, de caractériser et de différencier certaines zones afin de fournir les éléments justificatifs de ses futurs avis.
15Si l’on reprend la comparaison avec l’inventaire du patrimoine urbain, on comprend bien la nécessité d’opérer un double niveau d’analyse : d’une part à l’unité, soit ici le tombeau, terrain circonscrit de la sépulture, implanté sur un cadastre et documenté pour lui-même ; d’autre part à la parcelle, soit ici la division, zone ou allée, construction historique et paysagère du cimetière.
16Cette démarche qui prend en compte comme objet de l’enquête non plus la seule sépulture mais aussi l’ensemble paysager dans lequel celle-ci s’insère n’est pas originale en soi mais elle ne semble pas avoir encore été systématisée dans le cadre d’un inventaire du patrimoine funéraire, en tout cas à Paris (hormis quelques campagnes engagées dans les années 1980-1990 par la Commission d’architecture funéraire, cependant davantage tournées vers la réhabilitation que vers l’inventaire).
17Une telle approche, qui souhaite caractériser et sauvegarder la qualité paysagère des cimetières, découle pourtant assez clairement de la lecture des sources anciennes (conducteurs, guides ou premiers relevés administratifs) où les mentions concernant l’ambiance, les perspectives et les cheminements sont très prégnantes. De même, cette approche a été largement celle relayée et défendue par la Commission du Vieux Paris tout au long du XXe siècle.
18Une importance toute particulière doit donc être accordée aux sources cartographiques et topographiques. Une étape essentielle de l’inventaire correspond ainsi à la recherche et l’usage indispensable de plans anciens archivant les états successifs des parcelles et du site et fournissant les supports et documents de comparaison de plusieurs relevés de terrain.
Sources pour l’inventaire des cimetières parisiens
Sources conservées aux Archives de Paris
19Le recensement des sources concernant l’histoire de la mort, des pompes funèbres et des cimetières, à Paris, a été établi grâce au travail considérable de Juliette Nunez, à la suite de l’exposition « La Mort s’archive aussi » (Archives de Paris, 2008). Soulignons l’importance particulière de la série « Pompes funèbres » (cotes 1325W et 1326W) contenant entre autres les relevés cadastraux (plans et matrices) et les dossiers de travaux qui, avec ceux de la série VM « Bâtiments municipaux » (dont VM38 « cimetières »), permettent de suivre, pour cette période cruciale du dernier tiers du XIXe siècle, les nombreux échanges entre la Direction des Affaires municipales (Service des inhumations) et la Direction des Travaux de Paris en charge des travaux d’aménagement.
Sources conservées au Service des cimetières de la Ville de Paris
20Les conservations des cimetières parisiens détiennent les dossiers de concession (constitués pour chacune d’entre elles du titre d’achat et de la liste des inhumés), les registres d’inhumation, les matrices cadastrales mises à jour (à la différence des volumes conservés aux Archives de Paris), les cahiers de lignes (listes des concessions selon la disposition topographique). Ces documents qui ne sont pas actuellement à la disposition des chercheurs ou du public font l’objet, pour certains d’entre eux, de campagnes de numérisation avec l’objectif, à terme, d’une mise en ligne des données historiques non confidentielles.
21Le Service central des cimetières conserve des plans anciens dont il reste encore à dresser l’inventaire afin de pouvoir les comparer à ceux conservés aux Archives de Paris ou dans d’autres services patrimoniaux (à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, par exemple). Enfin, quelques documents inédits ont été récemment retrouvés et identifiés, comme un atlas du Père-Lachaise des années 1820 et un récolement des premières divisions du même cimetière établi entre 1848 et 1850. Ces archives devraient faire l’objet prochainement d’une campagne de restauration afin d’être publiées.
Usage de quelques sources administratives particulières
22Parmi toutes ces sources, certaines sont plus particulièrement sollicitées selon les étapes de l’inventaire précédemment décrites.
23Une première phase, nous l’avons évoqué, concerne l’analyse à la parcelle ou, dans notre cas, par division. À ce stade, deux sources administratives sont essentielles : les différents plans (et particulièrement les plans cadastraux) et les matrices cadastrales s’y rapportant. À Paris, l’établissement de ces documents fondamentaux est le résultat concret de la grande réorganisation du Service des cimetières, en 1882, qui crée notamment les postes de commis géomètres attachés à chacun des grands cimetières et spécialement chargés de tous les relevés et travaux techniques de leur circonscription : « Ils appliquent sur le terrain les lotissements adoptés par l’Administration, donnent les alignements des concessions, surveillent les constructions de caveaux, préviennent les anticipations et occupations irrégulières de terrains, examinent les demandes d’addition, de changements d’emplacements, de sursis, de rétrocession, etc., sur lesquelles ils font leur rapport à l’Administration centrale. Depuis l’institution de ces agents, l’Administration a pu entreprendre le grand travail de l’établissement du cadastre des cimetières »6.
24Pour le cimetière Montmartre, les plans cadastraux sont établis en 1886. Ils fixent dès lors la numérotation des terrains ainsi que le plan exact du lotissement en cours. Depuis cette date, ces plans ont été diversement mis à jour et ce jusqu’aux années 1980, période qui correspond dans les cimetières parisiens à d’importantes reprises administratives et mutations de surfaces concédées.
25La confrontation de ces différents états successifs permet de suivre les axes et l’évolution du lotissement. En premier lieu, les plans cadastraux fournissent la base et le fond de plan des différents relevés établis en amont du travail d’inventaire tombe à tombe, comme par exemple le relevé des matériaux et des typologies de l’ensemble des monuments d’une division7. Ces données font alors l’objet de représentations graphiques permettant une visualisation, par comparaisons chiffrées, de la morphologie des différentes zones du cimetière. Bien entendu, si la simple observation visuelle du paysage des divisions conduit intuitivement aux mêmes conclusions, ce type de représentation schématique peut aider, par analyse et rapprochement, à une réflexion plus fine sur les évolutions du cimetière dans une perspective de protection et d’élaboration de documents prescriptifs, dans le cadre d’une politique raisonnée et prudente des reprises administratives.
26À ce stade du travail par division, ces relevés sont complétés par une saisie complète de la matrice cadastrale qui récapitule en tableau les données suivantes : référence du cadastre, date de la première inhumation, description sommaire du monument, premier concessionnaire, date d’achat, surfaces et mutations. L’analyse de ces informations permet d’établir les périodes et les axes du lotissement, l’état ancien des typologies et les évolutions majeures liées à l’exploitation funéraire. Pour la 1ère division du cimetière Montmartre, par exemple, sont ainsi visualisés par code couleur les principales périodes de construction (le Second Empire et l’Entre-deux-guerres), l’accroissement très sensible des typologies basses et la large disparition des éléments métalliques.
27Dernière étape du travail sur une division, la confrontation des anciens plans d’aménagement, des informations de dates relevées sur la matrice cadastrale et des images anciennes du cimetière (dessins, gravures, photos) permet l’analyse de la construction progressive du paysage du cimetière. Notons que pour l’étude du paysage des cimetières parisiens, en particulier du premier Père-Lachaise, certaines sources restent encore assez inexploitées comme l’ensemble de dessins à l’encre conservé au Cabinet d’art graphique du musée Carnavalet (réserve des dessins) : petites vues, sans signature ni date, offrant cependant une image extrêmement précise du Père-Lachaise des années 1840- 1850, riche d’informations sur la disposition des tombes et l’ambiance végétale qui régnait à l’époque8.
28Concernant la phase d’analyse des sépultures prises individuellement, les sources sont nombreuses permettant de recueillir des informations historiques sur les monuments eux-mêmes. Outre les sources imprimées et iconographiques connues (anciens guides, conducteurs, catalogues de marbriers, cartes postales, fonds photographiques, etc.), il est utile de rappeler la nécessité de recourir aux archives privées (correspondance, journal intime, testaments, fonds privés des Archives nationales ou de l’Institut, etc.) pour éclairer tout ce qui relève des circonstances de la commande du monument funéraire, ce qu’Antoinette Le Normand-Romain a fort bien présenté dans le chapitre consacré à « La réalisation du monument » de son ouvrage Mémoire de marbre9.
Les albums de tombeaux et la presse d’architecture au XIXe siècle
29La presse d’architecture et certains albums de tombeaux sont des sources indispensables pour la compréhension stylistique des monuments funéraires et l’identification de leurs auteurs. Deux périodiques sont plus particulièrement utiles à dépouiller parce qu’ils couvrent une durée de parution longue et qu’ils ont publié très régulièrement des notices et des planches relatives à l’architecture funéraire. Il s’agit d’une part de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics10 et d’autre part de l’Encyclopédie d’architecture11.
30Parallèlement, deux architectes, Louis-Marie Normand dit Normand aîné (1789-1874) et César Daly (1811-1894) ont fait éditer à quelques années d’écart des albums de tombeaux dont les planches ont été gravéesà partir de plans ou relevés cotés fournis par les architectes des monuments eux-mêmes : Normand aîné, en 1863, dans une approche essentiellement typologique et esthétique12, et César Daly, en 1871, suivant une réflexion plus théorique sur l’idée même de monument funéraire dans une dimension sociale et symbolique13. À ces albums, regroupant un choix de monuments contemporains effectivement réalisés, succéderont au tournant du siècle d’autres recueils d’architectes déclinant des répertoires de modèles, généralement classés par typologie, à l’attention des entreprises funéraires.
31Ces sources publiées peuvent d’une part fournir une documentation précise sur les monuments : nom de l’architecte, quelquefois de l’entrepreneur, état ancien, texte des inscriptions, nature des matériaux avec quelquefois leur provenance (carrières d’extraction des pierres, par exemple). Ainsi, pour le tombeau de Louise Delaroche-Vernet au cimetière Montmartre, les planches gravées par Normand aîné14 permettent de connaître les parties métalliques disparues (grilles et frise de couronnement du tombeau) et les décors gravés dans la pierre, aujourd’hui très usés et quasiment invisibles sous l’épaisse couche d’algues et de mousses recouvrant le sarcophage. Un autre exemple est fourni par le tombeau d’Alphonse-Joseph Adhémar, également au cimetière Montmartre, gravé par Mercier et publié par César Daly15 qui nous fournit en légende de son ouvrage le nom de l’architecte, Paul Lorain (1835- 1919)16. Hors accès à des archives privées, seule une source de cette nature permet d’avoir connaissance de l’auteur de ce type de monument, assez modeste, portant rarement une signature inscrite.
32Plus globalement, force est de constater d’autre part que la publication (presse ou albums) de ces ensembles de tombeaux offre, par la sélection et les jugements qu’elle propose, une analyse plus globale de l’architecture funéraire du XIXe siècle et des références stylistiques, historiques ou symboliques, qui la nourrissent. Par son travail critique, César Daly opère ainsi un choix de monuments qu’il classe selon les trois éléments essentiels, selon lui, de l’expression funéraire :« la Foi », « la Mort », « la Glorification ». Son analyse de l’expression funéraire, au travers de la prise en compte d’une idée et d’un programme, est la base même de l’éclectisme, notion essentielle pour la compréhension de cet art funéraire. L’apport de la presse d’architecture pour l’étude de cette architecture a été souligné par Jean-Pierre Épron : « La critique architecturale relie tous les niveaux, toutes les discussions et toutes les institutions où se forment les références et les manières de penser le projet. Envisagée de cette façon, la critique est l’une des conditions de l’éclectisme, l’une des conditions du débat architectural »17. Ici la connaissance de la pensée de l’époque, telle que la presse d’architecture la révèle, est essentielle à la constitution du travail du regard ainsi que nous l’avons défini précédemment dans la démarche d’inventaire et la définition de la valeur patrimoniale.
33Au fil de ce parcours, l’importance de ces approches « croisées et superposées » peut ainsi être mise en évidence, de l’unité à l’ensemble, du monument au paysage funéraire et à sa construction progressive, de la lecture administrative à l’interprétation historique ou sociologique. De même, la fréquentation assidue des sources anciennes les plus diverses est là certes pour la connaissance documentaire des monuments eux-mêmes mais aussi pour la constitution d’une culture du regard, si nécessaire à la compréhension et à l’analyse de ce patrimoine funéraire.
Illustration 1. Paris, cimetière Montmartre, Division 1 (partie 2) : relevé des typologies des monuments.

Illustration 2. Anonyme, Bosquet du Dragon, dessin à l’encre et à l’aquarelle.

Paris, musée Carnavalet, Cabinet d’Arts graphiques (D.13566) [actuelle division 29 du Père-Lachaise].
Illustration 3. « Tombeau de J. Adhémar, mathématicien (Cimetière du Nord, à Paris)

« Tombeau de J. Adhémar, mathématicien (Cimetière du Nord, à Paris), par MR LORAIN, ARCHTE ». Architecture funéraire contemporaine. Spécimens de tombeaux […] par César Daly. Paris, Ducher, 1871, 2e section A’ Pl. 12.
Notes de bas de page
1 Par ordre chronologique d’ouverture : Vaugirard (1798), Auteuil (1800), Le Calvaire (1801), Père-Lachaise (1804), Charonne (1807), Belleville (1808), Bercy (1816), Passy (1820), Montparnasse (1824), Montmartre (1825), La Villette (1828), Saint-Vincent (1831), Batignolles (1833), Grenelle (1835).
2 La Chapelle (1850), Saint-Ouen (1858 et 1872), Ivry (1861 et 1874), Bagneux (1886), Pantin (1886), Thiais (1929).
3 N. Heinich, La Fabrique du patrimoine. « De la cathédrale à la petite cuillère », Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009.
4 Au sein de l’aire d’étude, le typicum est un objet choisi pour sa représentativité d’un groupe ou d’une série identifiée ; il se distingue de l’unicum choisi pour sa rareté ou sa particularité.
5 N. Heinich, La Fabrique du patrimoine…, op. cit., p. 132.
6 Préfecture de la Seine, Direction des Affaires municipales, Bureau des cimetières, Notes sur les Cimetières de la Ville de Paris, Paris, A. Maulde et Cie, 1889, p. 25.
7 Illustration 1, page 281.
8 Illustration 2, page 281.
9 A. Le Normand-Romain, Mémoire de marbre, La sculpture funéraire en France, 1804-1914, Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 1995, p. 102-133.
10 Paris, Paulin & Hetzel, 1840-1890.
11 Paris, Morel, 1851-1862 ; puis A. Morel, 1872-1892.
12 L. Normand Aîné, Monuments funéraires choisis dans les cimetières de Paris et des principales villes de France, Paris, A. Morel, 1863 [deux parties]. Première édition : 1ère partie, Paris, 1832, chez Normand fils ; 2e partie, Paris, 1847, L. Normand aîné.
13 C. Daly, Architecture funéraire contemporaine. Spécimens de tombeaux, chapelles funéraires, mausolées, sarcophages, stèles, pierres tombales, croix etc. choisis principalement dans les cimetières de Paris et exprimant les trois idées radicales de l’architecture funéraire, la mort, l’hommage rendu au mort, l’invocation religieuse à propos du mort, Paris, Ducher, 1871.
14 Ibid., planches 34 et 35.
15 Ibid., Deuxième section : A’, LA FOI ET LA MORT, planche 12.
16 Illustration 3, page 282.
17 J.-P. Épron, Comprendre l’éclectisme, Paris, Institut français d’architecture, NORMA éditions, 1997, p. 293
Auteur
Conservatrice générale du patrimoine au Service des cimetières de la ville de Paris (Direction des espaces verts et de l’environnement, DEVE) depuis 2007, Guénola Groud est responsable de la création d’une cellule patrimoine. Elle dirige l’inventaire du patrimoine funéraire et la mise en valeur des cimetières parisiens (création d’une base de données d’inventaire et de gestion du patrimoine funéraire, Mausolee, évaluation des concessions reprises par l’administration, programmes d’entretien et de restauration en liaison avec le STAP/DRAC d’Île-de-France).
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