Les sources d’une histoire du cercueil
p. 240-243
Texte intégral
1Le mot « cercueil » apparaît vers 1050 dans notre langue, par forte réduction phonétique du grec sarkophagos en sarqueu1, et demeure en forte concurrence avec d’autres termes (« bière » dans le Centre, les termes anciens de « chasse » dans l’Ouest et de « caisse des morts » dans le midi de la France). Certes, la chose existe depuis fort longtemps comme des découvertes archéologiques de clous, de restes de bois et de dispositions spécifiques du corps ont permis de l’attester depuis l’Antiquité. Cependant, pendant de nombreux siècles, la confection d’un cercueil en bois ou en métal2 resta une pratique funéraire réservée à ceux qui pouvaient se payer les services d’un artisan. Philippe Ariès a montré que la « mise en bière » à domicile a constitué dans l’histoire des attitudes face à la mort un tournant assez tardif qu’il situe aux XIIIe et XIVe siècles, au plus tôt, chez les familles riches d’Europe occidentale3. En fait, l’usage du cercueil ne se généralisa et ne devint même obligatoire qu’à partir du XIXe siècle. Cet « accessoire » acquit alors une importance centrale dans le dispositif funéraire et aujourd’hui encore il est peut-être le seul accessoire qui engage pleinement les réflexions de toutes les familles dans les préparatifs des funérailles, qu’il s’agisse d’inhumation ou d’incinération.
2Les sources de l’histoire du cercueil à l’époque contemporaine sont ainsi de plus en plus nombreuses. Dans les grandes villes où se mettent en place des entreprises de pompes funèbres chargées de fournir à un rythme industriel des cercueils désormais exigés pour tous pour des raisons d’hygiène et de salubrité publique, il est ainsi possible de suivre la production et l’évolution des cercueils. Aux Archives départementales de Paris, des répertoires chronologiques de fournitures de cercueils entre 1872 à 1900 (2484W 150 à 249) et pendant les deux guerres mondiales (2484W 364-560, 2484W 573-579) ont été conservés à titre d’échantillon historique. Ces répertoires contiennent des informations sur l’arrondissement de livraison, le nom du défunt, l’adresse de livraison, la date et l’heure de la livraison, la date et l’heure du convoi, mais ils renseignent aussi sur les types de cercueil. Pour le XXe siècle, il existe aussi des tirages photographiques, des cassettes vidéos et des catalogues présentant les différents types de cercueils aux familles (2484W 571-572, 584, 597-599 et 601). Ailleurs, dans les petites villes ou les villages, ce sont les menuisiers qui réalisent à moindre échelle les cercueils des communautés. Il est plus difficile de suivre la production et les évolutions.
3Pour savoir comment les familles choisissent et décorent les cercueils de leurs défunts, il faut toutefois se tourner vers des sources plus qualitatives. Il existe des témoignages dans la littérature, dans les journaux intimes et autres formes d’écriture de soi, mais les archives publiques ne sont pas sans ressource. La plus fructueuse est celle des rapports d’exhumation. Seule l’exhumation sur ordre du juge d’instruction donne lieu à un rapport documentant une tombe précise. Ces rapports d’exhumation se trouvent dans les dossiers de procédure criminelle. Ils peuvent renseigner sur la fabrication du cercueil, le type choisi, son état de conservation, la façon dont le mort y a été disposé, voire les objets qui ont été placés près de lui – uniquement si ces détails peuvent avoir un rôle dans la procédure d’enquête toutefois4. Enfin, l’archéologie des cimetières contemporains en plein essor peut apporter un complément important à ces sources5.
4Il existe aussi des rapports produits par la police des cimetières (du ressort de la municipalité depuis le décret du 23 prairial an XII) et envoyés au Ministère de l’Intérieur qui concernent tous les incidents rencontrés pendant les funérailles et le service des sépultures. Ils sont aujourd’hui conservés aux Archives nationales et classés par département dans la série F7. Ils n’en subsistent que des échantillons pour la période allant de 1804 à 1830. Il y est parfois question de cercueils « hors normes ».
5Quelques affaires ayant défrayé la chronique permettent aussi de se faire une idée de ce que les familles avaient placé dans les cercueils : c’est le cas des affaires très rares de nécrophilie6 dont s’empare la presse à sensation qui prête beaucoup d’importance à la parure des corps et aux symboles entourant les pratiques funéraires.
6Mais le cercueil entre aussi dans l’imaginaire des vivants d’une manière totalement neuve à partir du XIXe siècle : les histoires de vampire sont, de ce point de vue, très intéressantes sur le nouveau rapport symbolique au cercueil, insuffisamment interrogé. De même, les cercueils entrent dans l’œil des photographes, que ce soit pour immortaliser les excentricités de Sarah Bernhardt ou bien pour conserver un dernier portrait dans le cercueil de l’être aimé7. Car, le cercueil finit par devenir une sorte de métaphore active de la mort – une métaphore apaisée, parfois détournée des usages funéraires dont l’histoire serait aussi intéressante à faire à l’époque contemporaine.
Notes de bas de page
1 A. Rey éd., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2010 [1992], notice « cercueil ».
2 On ne parle pas de « cercueils » en pierre, mais de sarcophages. Leur utilisation est bien documentée pour l’Antiquité tardive et le début du Moyen Âge dans nos contrées.
3 P. Ariès, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.
4 Voir le texte de Sandra Menenteau.
5 Voir les textes de Didier Paya et de Thomas Romon.
6 Voir A. Malivin, Voluptés macabres : la nécrophilie en France au XIXe siècle, thèse de doctorat d’histoire, Université Paris Diderot, 2012.
7 Voir par exemple E. Héran éd., Le Dernier Portrait, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2002 et A. Carol & I. Renaudet éd., La Mort à l’œuvre. Usages et représentations du cadavre dans l’art, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013.
Auteur
Stéphanie Sauget est maîtresse de conférences à l’Université François Rabelais de Tours en histoire contemporaine. Elle est normalienne, agrégée, auteure d’une thèse d’histoire contemporaine intitulée À la recherche des pas perdus. Dans la matrice des gares parisiennes (1837-1914) sous la direction de Dominique Kalifa. Elle a publié à ce jour À la recherche des pas perdus. Dans la matrice des gares parisiennes (1837-1914) en 2009, Histoire des maisons hantées. France, Grande-Bretagne, États-Unis – 1780-1940 en 2011, Les Âmes errantes. Fantômes et autres revenants, livre qu’elle a dirigé en 2012. Elle travaille actuellement à une histoire contemporaine du cercueil et s’intéresse aux lieux d’inhumation.
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