Construire une histoire de la mort en Algérie coloniale
p. 130-132
Texte intégral
1Les archives d’État dites « de souveraineté », on entend par là les documents produits dans le cadre des relations avec les administrations métropolitaines centrales, ont été rapatriées en France, tandis que l’état-civil et les archives « de gestion », dont les archives municipales, concernant la période 1830-1962, sont restés en Algérie1. Cette distinction très théorique des documents, et pas toujours respectée dans les faits, marque cependant très profondément la construction d’une histoire des cimetières et de la mort en Algérie coloniale. Si les dossiers relatifs à la création et à l’entretien de cimetières, les permis de construire des caveaux sont restés dans les administrations municipales, et dont l’accès est parfois difficile, il est cependant possible de construire une recherche à partir des sources conservées en France.
2On trouve aux Archives nationales d’Outre-Mer et aux Archives nationales (notamment les documents versés par le Ministère de l’Intérieur) un ensemble de sources susceptibles de construire une histoire politique des enterrements et des célébrations post mortem des « héros » de la colonisation. Les pétitions et les subventions pour l’érection de monuments aux morts sont notamment de précieuses sources pour comprendre les « panthéonisations politiques », les constructions de mémoires et les ancrages territoriaux de la présence française2. De même, ces archives renferment les documents traitant des manifestations publiques lors des enterrements et des changements symboliques par les nouvelles autorités algériennes qui ont déplacé de nombreux monuments commémoratifs.
3Les Archives historiques de la Défense, dont celles de l’Armée de terre, conservent, quant à elles, des sources relatives aux carrés militaires mais aussi, pour la période concernant la guerre d’indépendance algérienne, au maintien de l’ordre, dont les comptes rendus des mouvements de foule et des émotions politiques nées lors de funérailles à la toute fin du conflit, des débuts de l’année 1961 jusqu’à l’indépendance de juillet 1962.
4Ce sont là, il est vrai, des documents portant sur les principaux centres urbains, mais on y trouve de quoi bâtir une histoire de l’environnement social et politique de la mort. Enfin, les Archives du Ministère des Affaires étrangères, mais aussi les archives religieuses (archives des diocèses, Archives du Consistoire central israélite), conservent des dossiers relatifs au rapatriement de tombes et de corps, à l’entretien, aux modifications, voire à la destruction de cimetières pour la période de l’indépendance3. On lira dans ces documents les réponses politiques de l’ancienne puissance coloniale, en lien avec les émotions des rapatriés d’Algérie, très sensibles sur cette question. D’autres pays ayant accueilli les flux des populations du Maghreb, et au premier rang desquels Israël, ont aussi organisé des rapatriements de corps ou de tombes. Les archives des ministères des Affaires étrangères, des associations d’originaires du Maghreb, sinon des sociétés mortuaires (hevra kadicha) restent particulièrement précieuses tant pour l’analyse des pratiques religieuses que pour les enjeux politiques et sociaux qui participent aux changements postcoloniaux.
5Mais au-delà de ces sources, et en reprenant les conseils de « déambulation scientifique » de Marc Bloch, c’est la marche dans les cimetières d’Algérie qui nous apprendra beaucoup sur les mises en scènes mortuaires du temps colonial. La monumentalité des tombes, leurs éventuelles inscriptions politiques selon un modèle mis en place sous la Troisième République, et les revendications d’un certain marquage symbolique, sont autant d’éléments de compréhension de ce que pouvait signifier mourir, dans son acception sociale large, en territoire colonial.
Notes de bas de page
1 On en trouvera un descriptif dans la note suivante des archives nationales d’Outre-Mer : http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/PDFs/General/2012_ALGERIE.pdf
2 Voir par exemple R. Branche, L’Embuscade de Palestro, Algérie, 1956, Paris, Armand Colin, 2010, p. 149-153.
3 Y. Scioldo-Zürcher, « ‘‘L’affaire du cimetière d’Oran’’ (1970-1974). Les Juifs oranais, entre inclusions et exclusions d’une population entre deux rives », Archives juives, n° 41, 2008/1, p. 120-128.
Auteur
Yann Scioldo-Zürcher est historien, chercheur au CNRS, membre du Centre de recherche français à Jérusalem (CRFJ - UMIFRE n° 7 CNRS - MAEDI). Ses premiers travaux ont concerné les migrations postcoloniales de rapatriement vers la France métropolitaine, au cours de la décennie 1950. Il travaille désormais à une histoire comparée des migrants juifs, installés en Israël, depuis la construction de l’État hébreu. D’un point de vue méthodologique, il adapte les méthodes géographiques d’enquête dans une perspective historique a in de construire une histoire de l’appropriation des espaces par les migrants, et notamment des espaces hiérosolymitains.
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