28
L’apparition de questionnements historiques
p. 60-61
Texte intégral
1Nous retrouvons à peu près au même moment l’esprit d’enquête et d’analyse historique à l’œuvre chez André de Saint- Victor ; il réfléchissait par exemple sur le sens initial d’une prophétie de l’Ancien Testament que les Chrétiens interprétaient exclusivement et directement en vue de l’apparition du Christ. Il a également tenté de se représenter les auteurs des écrits de l’Ancien Testament tel que Moïse comme des écrivains qui agissaient (aussi) suivant des points de vue séculiers. De telles préoccupations n’étaient certes pas entièrement nouvelles. Ainsi Grégoire le Grand demande si le livre de Job a été écrit par un païen pieux, par Moïse ou par un prophète. Mais la plupart du temps, et c’est le cas aussi chez Grégoire lui-même, la conception dominante voulait que le scriptor humain agisse comme simple instrument de l’auctor effectif, le Saint Esprit. Dans les cas extrêmes, cette conception menait à ce que l’auctorialité de chaque texte – qui définit à la fois l’autorité et la légitimité de ce texte – tende presque à être réduite à un hasard mineur de la transmission, tandis que la Bible apparaissait comme une œuvre unifiée à la surface parfaitement lisse. Ceux qui étaient de cet avis ne voyaient pas d’inconvénient à écarter les questions contestées relatives à l’auteur (par exemple pour la lettre aux Hébreux) – ou même à rectifier à dessein les traductions du texte. Voici un exemple : en dehors des psaumes qui sont liés au nom de David et des nombreux textes pour lesquels il n’y a pas de mention de nom d’auteur, on observe que, pour certains textes, d’autres noms d’auteurs sont transmis par la tradition textuelle, et que ces noms jouent un rôle important, par exemple dans les illustrations carolingiennes et romanes du Psautier. Mais à de nombreuses reprises, ces mentions d’auteurs ont été éludées ; ainsi, Thomas d’Aquin continue à penser que le Psautier proviendrait intégralement du roi David.
2Cependant, parmi des érudits tels qu’André, surgit, couplée avec un intérêt redoublé pour la littera, pour le sens littéral des textes, la question de leurs auteurs humains et en particulier la question des intentiones auctorum – dérivée du sens littéral – en lien avec les destinataires contemporains respectifs ; cette question s’est posée de plus en plus par la suite au XIIIe siècle. Les auteurs bibliques furent rapprochés du lecteur. Ce mouvement consistait effectivement en un intérêt nouveau pour l’herméneutique relative à la Bible. Le fait qu’on ait employé dans ce cadre les méthodes de la théorie littéraire profane, telles que les questions types au sujet de l’accessus ad auctores1, n’est qu’un événement concomitant – cependant remarquable. Ce changement de perspective entraîna un léger recul de la tendance aux interprétations allégoriques : les écrits de l’Ancien Testament furent pris davantage qu’auparavant au pied de la lettre. On étudiait les propos de leurs auteurs de manière plus impartiale et approfondie que ceux des textes du Nouveau Testament qu’on continua au bas Moyen Âge à aborder comme on l’avait fait traditionnellement.
Notes de bas de page
1 Les accessus ad auctores sont des procédures techniques, très prisées au Moyen Âge, d’introduction aux auteurs ; voir Gilbert Dahan, Lire la Bible au Moyen Âge. Essais d’herméneutique médiévale, Genève, Droz, 2009, p. 63-68.
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